Acts 10
HOMÉLIE XXII.
IL Y AVAIT A CÉSARÉE UN HOMME NOMMÉ CORNEILLE, QUI ÉTAIT CENTENIER DANS UNE COHORTE DE LA LÉGION APPELÉE L’ITALIENNE ; IL ÉTAIT RELIGIEUX ET CRAIGNANT DIEU ; AVEC TOUTE SA MAISON, IL FAISAIT BEAUCOUP D’AUMÔNES AU PEUPLE, ET IL PRIAIT DIEU INCESSAMMENT. UN JOUR, VERS LA NEUVIÈME HEURE, IL VIT CLAIREMENT DANS UNE VISION UN ANGE DE DIEU QUI SE PRÉSENTA DEVANT LUI ET LUI DIT : « CORNEILLE ! » ALORS, REGARDANT L’ANGE, IL FUT SAISI DE FRAYEUR, ET LUI DIT : « SEIGNEUR, QU’Y A-T-IL ? » L’ANGE LUI RÉPONDIT : « VOS PRIÈRES ET VOS AUMÔNES SONT MONTÉES JUSQU’EN LA PRÉSENCE DE DIEU, ET IL S’EN EST SOUVENU ». (CHAP. 10,1, 2, 3, 4, JUSQU’AU VERS. 22)
ANALYSE.
- 1-3. Histoire du centurion Corneille.
- 3 et 4. Développement original et brillant sur la charité comparée à une source d’eau vive.
1. Ce n’est pas un Juif, il ne vit pas selon la loi ; mais c’est un homme qui suit déjà nos institutions. Et voyez, deux croyants : l’eunuque de Gaza, et l’homme d’aujourd’hui ; tous deux, constitués en dignité, tous deux l’objet d’un soin spécial. Mais ne croyez pas que cette grâce leur vienne de leur dignité ; non, éloignez de vous cette pensée ; elle leur est accordée à cause de leur piété. Leur dignité ne leur a été accordée que pour mieux faire briller leur piété. En effet, on admire plus un riche, un homme puissant, qui montre des vertus semblables. Certes, c’est une grande gloire pour l’eunuque que ce grand voyage entrepris par lui, que ces lectures non interrompues dans de pareilles circonstances, au milieu du voyage ; que ce soin de faire monter Philippe à côté de lui dans son char, et tant d’autres détails. C’est une belle gloire aussi pour le centenier, que ses aumônes, ses prières, au milieu du commandement qu’il exerce. Voilà pourquoi l’Écriture fait mention de sa charge, et c’est avec raison, pour éviter le reproche de mensonge. « Dans une cohorte », dit l’Écriture, « de la légion appelée italienne ». Le mot « cohorte » correspond à ce que nous appelons aujourd’hui « nombre ». – « Il était religieux et « craignant Dieu, avec toute sa maison ». Ceci est dit afin que vous n’alliez pas attribuer à sa dignité la faveur qu’il a reçue. Quand il fallut attirer Paul à la foi, ce : ne fut pas un ange, ce fut le Seigneur lui-même qui lui apparut. Et le Seigneur ne l’envoie pas au premier venu parmi les douze, mais à Ananie. Ici, an contraire. Dieu envoie un ange, comme il envoie Philippe à l’eunuque, s’accommodant à l’infirmité de ses serviteurs, et enseignant par là comment nous devons nous conduire dans les mêmes circonstances. Car le Christ se montre souvent lui-même à ceux qui souffrent et qui ne trouvent pas en eux les moyens de s’approcher de lui. Maintenant, voyez encore ici un éloge de l’aumône, comme nous en avons vu un à propos de Thabite. « Il était religieux et craignant Dieu, avec toute sa maison ». Écoutons, tous tant que nous sommes, nous qui ne prenons pas de soin de nos domestiques. Celui-ci prenait soin de ses soldats et faisait l’aumône à tout le peuple. C’est ainsi qu’il était irréprochable dans ses croyances, dans sa conduite. « Un jour, vers la neuvième heure, il vit clairement, dans une vision, un ange de Dieu, qui se présenta devant lui, et lui dit : Corneille ! » Pourquoi voit-il un ange ? C’est afin que Pierre soit pleinement convaincu ; ou plutôt, ce n’est pas pour prévenir l’hésitation de Pierre, mais celle des autres moins fermes que lui. Maintenant, « vers la neuvième heure », c’est-à-dire, quand il était libre de soins, en repos, en prières, dans la contrition du cœur. « Alors, regardant l’ange, il fut saisi de frayeur ». Remarquez : l’ange ne lui dit pas tout de suite ce qu’il doit lui annoncer ; il le rassure d’abord et relève son esprit. Si la vision lui inspira de la crainte, ce fut toutefois une crainte modérée, qui ne faisait qu’appeler son attention. Les paroles de l’ange le rassurèrent, ou plutôt l’éloge qu’elles renfermaient, adoucirent sa crainte. Quelles furent ces paroles ? Écoutez : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu’en la présence de Dieu, et il s’en est souvenu. Envoyez donc présentement des personnes à Joppé, et faites venir un certain Simon, surnommé Pierre (5) ». Pour prévenir toute erreur des envoyés, il ne se contente pas de dire le surnom, il marque aussi le lieu où l’on trouvera celui que l’on cherche. « Qui est logé chez un corroyeur, nommé Simon, dont la maison est près de la mer (6) ». Voyez-vous comme les apôtres, dans leur amour de la solitude, de la tranquillité, recherchaient les parties des villes qui se trouvaient à l’écart ? Que serait-il arrivé, s’il s’était rencontré un autre Simon, corroyeur aussi lui-même ? Mais l’ange donne encore une autre indication : l’habitation près de la mer. Ces trois circonstances ne pouvaient pas se rencontrer. L’ange ne lui dit pas pourquoi il devait agir ainsi, ce qui aurait pu ralentir son ardeur ; il le laissa, excité du désir de savoir ce qui allait arriver. « Dès que l’ange, qui lui parlait, se fut retiré, Corneille appela deux de ses domestiques, et un soldat craignant Dieu, du nombre de ceux qu’il commandait, et, leur ayant dit tout ce qui lui « était arrivé, il les envoya à Joppé (7, 8) ». Vous comprenez ? L’Écriture n’ajoute pas ce détail sans motif ; c’est pour montrer que ceux qui lui obéissaient craignaient Dieu comme lui. « Et leur ayant dit tout ce qui lui était arrivé », dit le texte. Voyez la modestie de cet homme ! il ne dit pas : faites venir auprès de moi Pierre ; ce n’est que pour persuader l’apôtre qu’il raconte ainsi tout ; il montre, en cela, de la prévoyance. Il ne croit pas devoir prendre un ton d’autorité, pour appeler Pierre ; voilà pourquoi il raconte tout ce qui lui est arrivé ; il fait preuve ainsi d’une rare modestie, quoiqu’il ne dût pas avoir grande idée d’un homme logé chez un corroyeur. « Le lendemain, lorsqu’ils étaient en chemin, et qu’ils approchaient de la ville, Pierre monta sur le haut de la maison où il était vers la sixième heure, pour prier (9) ». Voyez comme l’Esprit ménage les temps, n’allant ni trop vite, ni trop lentement ! « Pierre monta », dit le texte, « sur le haut de la maison, vers la sixième heure, pour prier », c’est-à-dire, se mit à l’écart, dans un lieu tranquille, comme le sont les chambres hautes. « Et ayant faim, il voulut manger ; mais, pendant qu’on lui apprêtait de la nourriture, il lui survint un ravissement d’esprit, et – il vit le ciel ouvert (10) ». Qu’est-ce qu’un ravissement d’esprit ? Son esprit entra en contemplation ; son âme, pour ainsi dire, sortit de son corps. « Et il vit le ciel ouvert, et comme une grande nappe, liée par les quatre coins, qui descendait du ciel en terre, où il y avait de toutes sortes d’animaux terrestres, quadrupèdes, reptiles et oiseaux du ciel ; et il entendit une voix, qui lui dit : Levez-vous, Pierre, tuez et mangez. Mais Pierre répondit : Je n’ai garde, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de tout ce qui est impur et souillé. Et la voix, lui parlant encore, une seconde fois, lui dit : N’appelez pas impur ce que Dieu a purifié. Cela s’étant fait jusqu’à trois fois, la nappe fut retirée dans le ciel (11-16) ». 2. Que signifie cette vision ? C’est un symbole pour l’univers tout entier. Il s’agissait d’un incirconcis, n’ayant rien de commun avec les Juifs. Tous devaient bientôt accuser Pierre de transgresser la loi, qui leur était fort à cœur. Il était nécessaire que Pierre pût dire « Je n’ai jamais mangé ». Ce n’est pas que Pierre eût peur ; loin de nous cette pensée ! mais l’Esprit-Saint, comme je l’ai déjà dit, lui ménageait une réponse à ses accusateurs, à qui il pourrait dire qu’il avait fait résistance. C’étaient des gens qui tenaient fort à ce que la loi fût observée. Il était envoyé aux gentils. Donc il fallait que les Juifs ne pussent pas l’accuser, et toutes choses, comme je me suis empressé de le dire, furent disposées d’en haut à cet effet. Il ne fallait pas non plus que cette vision ne parût qu’une image fantastique. Pierre dit : « Je n’ai garde, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de tout ce qui est impur et souillé ». Et la voix lui dit : « N’appelez pas impur ce que Dieu a purifié ». Ces paroles, qui ne semblent s’adresser qu’à Pierre, sont dites uniquement pour les Juifs, car le reproche qui s’adresse au Maître, tombe à bien plus forte raison sur ceux-ci. La nappe c’est la terre, et les animaux qui sont dedans, représentent les gentils. Quant à ces paroles : « Tuez et mangez », elles signifient qu’il faut s’approcher des gentils ; et ce fait, qui se reproduit jusqu’à trois fois, c’est l’emblème du baptême. « Je n’ai garde, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de tout ce qui est impur et souillé ». Mais pourquoi, direz-vous, ce refus ? C’est pour qu’il ne fût pas dit que Dieu l’avait tenté, comme il tenta Abraham, en lui donnant l’ordre d’offrir son fils en sacrifice ; comme le Christ tenta Philippe, en lui demandant : Combien de pains avez-vous ? Cette question n’était pas pour obtenir un renseignement, mais pour le tenter. Maintenant, dans la loi sur les choses pures et impures, les prescriptions de Moïse étaient précises, aussi bien en ce qui concerne les animaux terrestres qu’en ce qui concerne ceux de la mer. Et cependant Pierre ne savait à quoi se résoudre. « Lorsque Pierre était en peine en lui-même de ce que pouvait signifier la vision qu’il avait eue, les hommes envoyés par Corneille, s’étant enquis de la maison de Simon, se présentèrent à la porte. Ils appelèrent, et demandèrent, si ce n’était pas là que Simon, surnommé Pierre, était logé (17, 18) ». Ainsi Pierre s’étonne en lui-même, il hésite, et ces hommes arrivent à temps pour le tirer de son hésitation. C’est ainsi que le Seigneur permit que Joseph eût un moment d’hésitation, et alors il lui envoya l’archange. (Mat 2,13) C’est un bonheur pour l’âme de se voir délivrée de l’hésitation qui a commencé par la troubler. Pour l’hésitation de Pierre, elle n’était pas de longue date, il ne la ressentit qu’au moment du repas. « Cependant Pierre, pensant à la vision qu’il avait eue, l’Esprit lui dit : Voilà trois hommes qui vous demandent ; levez-vous donc, descendez, et ne faites point difficulté d’aller avec eux, car c’est moi qui les ai envoyés (19, 20) ». Il faut voir, encore ici, une défense ménagée à Pierre auprès des disciples. C’est pour que ceux-ci sachent bien que Pierre a hésité, et qu’il a appris gaie son hésitation devait cesser : « Car c’est moi qui les ai envoyés ». Admirez la puissance de l’Esprit ! Ce que Dieu fait, on l’attribue à l’Esprit. L’ange ne s’était pas exprimé ainsi. Ce n’est qu’après avoir dit : « Vos prières et vos aumônes », qu’il ajoute : « Envoyez » ; il montre d’abord qu’il vient d’en haut ; mais comme l’Esprit est le Seigneur lui-même il dit : « C’est moi qui les ai envoyés. Pierre, étant descendu pour aller trouver ces hommes, leur dit : Je suis celui que vous cherchez ; quel sujet vous amène ? Ils lui répondirent : Corneille, centenier, homme juste et craignant Dieu, selon le témoignage que lui rend toute la nation juive, a été averti par un saint ange, de vous « faire venir dans sa maison, et d’écouter vos « paroles (21, 22) ». Ils font entendre cet éloge afin de bien montrer que c’est un ange qui a apparu à Corneille. Pierre les ayant donc fait entrer les logea (23) ». Voyez-vous par quoi commence l’œuvre des gentils ? Par un homme pieux que ses œuvres ont rendu digne d’une telle faveur. Si, même dans ces circonstances, les Juifs sont scandalisés, supposez un homme ne méritant rien, que n’auraient-ils pas dit ? « Pierre les ayant fait entrer », dit le texte, « les logea ». Voyez quelle sécurité ! il ne veut pas qu’il leur arrive rien ; il les fait entrer, et il les reçoit avec une pleine confiance auprès de lui. « Le jour d’après, Pierre partit avec eux, et quelques-uns des frères de la ville de Joppé l’accompagnèrent ; le jour d’après ils arrivèrent à Césarée (24) ». Corneille était un personnage important, d’une ville importante ; en ce qui le concerne, tout est disposé avec sagesse ; l’histoire commence par la Judée ; Corneille n’est pas endormi, mais il veille ; et c’est pendant le jour que l’ange lui apparaît, environ à la neuvième heure ; c’était un homme d’une conduite exacte et régulière. Mais voyons, reprenons ce que nous avons déjà dit : « Et l’ange lui dit : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu’en la présence de Dieu, et il s’en est souvenu ». D’où il est évident que l’ange l’appela, et que c’est là ce qui fait que Corneille a vu l’ange. Si l’ange ne l’avait pas appelé, il ne l’aurait pas vu, tant ce Corneille était appliqué à tout ce qu’il faisait ! « Et faites venir Simon, surnommé Pierre ». En ce moment, l’ange lui montre qu’il doit le faire venir pour son utilité ; mais pour quelle espèce d’utilité ? L’ange n’en dit rien. Eh bien, de même, Pierre ne dit pas tout. Vous ne voyez de toutes parts que des récits écourtés, pour piquer la curiosité. C’est ainsi qu’on appelle Philippe, seulement pour aller dans la solitude. « Pierre monta sur le haut de la maison, vers la sixième heure, pour prier, et il lui survint un ravissement d’esprit ». Il vit « comme une nappe » ; réfléchissez : la faim n’a pas été assez forte pour faire courir Pierre au linge déployé devant lui. Ce qui devait couper court à son hésitation, c’est la voix qu’il entendit : « Levez-vous, Pierre, tuez et mangez ». Peut-être était-il à genoux quand il vit la vision. Moi, je pense que c’est le prédication que signifie cette vision. Maintenant, qu’elle lui vint de Dieu, ce qui le prouve, c’est qu’elle descendait sur lui d’en haut, et de plus, qu’il était dans un ravissement d’esprit. Ajoutez à cela qu’une voix se fit entendre d’en haut ; que le fait eut lieu trois fois ; que le ciel s’ouvrit ; que cela venait du ciel et y fut retiré ; grande preuve que c’était là une opération tout à fait divine ! 3. Et maintenant, pourquoi la chose se passe-t-elle ainsi ? Par égard pour ceux à qui Pierre devait la raconter ; parce que lui-même avait entendu ces paroles : « N’allez point vers les gentils ». (Mat 10,5) Et ne soyez pas dans l’étonnement : si Paul fut forcé d’avoir recours à la circoncision et d’offrir des victimes, à bien plus forte raison ces ménagements furent utiles au début de la prédication pour ceux qui étaient encore peu affermis. « Et voici », dit le texte, « que les hommes envoyés par Corneille se présentèrent à la porte ; ils appelèrent et demandèrent si ce n’était pas là que Simon, surnommé Pierre, était logé ». La maison était misérable ; voilà pourquoi ils demandent en bas des renseignements ; ils ne vont pas interroger les voisins. « Cependant Pierre, pensant à la vision qu’il avait eue, l’Esprit lui dit : Levez-vous, descendez et ne faites point difficulté d’aller avec eux, car c’est moi qui les ai envoyés ». Remarquez, l’Esprit ne dit pas Car voilà pourquoi une vision vous est apparue ; mais : « C’est moi qui les ai envoyés », montrant ainsi qu’il faut obéir, qu’il n’y a pas de compte à demander. Il devait suffire à Pierre, pour être persuadé, d’entendre l’Esprit. Faites cela, dites cela, n’en cherchez pas plus long. « Pierre étant descendu, leur dit : « Je suis celui que vous cherchez ». Pourquoi ne les reçoit-il pas aussitôt ? Pourquoi la question qu’il leur adresse ? Il voit des soldats ; il ne se contente pas de les interroger ; il commence par se faire connaître, et il leur demande ensuite ce qui les amène, afin que sa question ne fasse pas croire qu’il veut se cacher. Et la question qu’il leur adresse est de telle sorte, que, si on le pressait, il partait tout de suite avec eux ; sinon, il les logeait chez lui. Maintenant, pourquoi ceux-ci lui disent-ils : « Il vous prie de venir dans sa maison ? » C’est parce que cet ordre leur avait été donné. Peut-être aussi est-ce une excuse au nom de Corneille, comme s’ils disaient : Ne le condamnez pas ; ce n’est pas parce qu’il vous méprise qu’il nous a envoyés vers vous ; il obéit à un ordre qu’il a reçu. « Et Corneille les attendait avec ses parents et ses plus intimes amis, qu’il avait assemblés chez lui ». Et c’est avec raison : il n’eût pas été convenable de ne pas réunir ses parents et ses amis ; d’ailleurs ceux-ci, en se réunissant, devaient mieux entendre la parole de Pierre. Avez-vous bien compris la puissance de l’aumône, et dans notre entretien précédent, et dans celui-ci ? Vous avez vu l’aumône délivrer de la mort qui n’a qu’un temps, elle délivre aujourd’hui de la mort éternelle.. Aujourd’hui l’aumône ouvre, de plus, les portes du ciel. Voyez quel bien précieux fut la foi pour Corneille ! elle lui valut la visite d’un ange, l’opération de l’Esprit en lui, le voyage du prince des apôtres se rendant auprès de lui, et une vision, qui ne laisse rien à désirer. Combien n’y avait-il pas à cette époque de centurions, de tribuns, de souverains ? Et aucun d’eux n’a reçu pareille faveur. Écoutez, vous tous, qui remplissez les armées, qui formez les cortèges des rois. « Il était religieux », dit le texte, « et craignant Dieu », et, ce qui vaut mieux encore, « avec toute sa maison ». Il était donc si attentif à la piété que, non seulement il savait se conduire, mais il conduisait de même tous les gens de sa maison. Ce n’est pas là notre habitude à nous, qui ne négligeons rien pour nous faire craindre de nos serviteurs ; mais qui, de leur piété, nous soucions fort peu. Il n’en était pas de même de Corneille ; c’était avec sa maison tout entière qu’il craignait Dieu. Et il n’était pas seulement le père commun de tous ceux qui vivaient avec lui, mais le père de ses soldats. Écoutez ce que l’on dit encore ; ce n’est pas sans dessein que le texte ajoute : « Tout le peuple rendait de lui témoignage ». C’était pour prévenir le reproche d’incirconcision. Les Juifs mêmes, dit le texte, lui rendent témoignage ; donc il n’est rien d’égal à l’aumône ; disons mieux : si grande est l’efficacité de l’aumône, lorsque les mains qui la dispensent sont pures, que, si les trésors injustement amassés ressemblent à des sources d’où jaillirait de la boue, les dons qu’épanche l’aumône ressemblent aux eaux limpides et pures, aux ruisseaux du paradis, plein de charmes pour la vue, de charmes pour le toucher, répandant au milieu du jour une douce fraîcheur ; telle est l’aumône. Sur les rives de cette source ne s’élèvent pas des peupliers, des pins, des cyprès, mais des plantes bien supérieures et beaucoup plus élevées : l’amour de Dieu, la considération auprès des hommes, la gloire rejaillissant jusqu’à Dieu, l’amour de tous, la rémission des péchés, la plénitude de la confiance, le mépris des richesses ; l’aumône qui alimente l’arbre de la charité. Rien, en effet, n’entretient la charité autant que la miséricorde. C’est par elle que l’arbre élève ses rameaux dans les airs. Cette source vaut mieux que le fleuve du paradis ; elle n’est pas divisée en quatre branches, elle touche le ciel même. C’est d’elle que sort le fleuve, rejaillissant dans la vie éternelle. (Jn 4,14) La mort y tombe comme l’étincelle dans l’eau, où elle s’éteint, tant il est vrai que partout où elle jaillit, elle opère des biens ineffables ! elle éteint le fleuve de feu comme l’eau fait d’une étincelle ; elle étouffe lever sinistre et le réduit à rien. Qui possède cette source ne grince pas des dents ; cette eau tombant sur les fers, les brise ; tombant sur les fournaises, les éteint toutes à l’instant. 4. Et comme le fleuve du paradis, on ne la voit pas tantôt verser des ruisseaux, tantôt se dessécher (s’il en était ainsi ce ne serait plus une source). C’est une source toujours jaillissante. Notre source épanche toujours des eaux plus abondantes, avant tout sur ceux qui ont le plus besoin de miséricorde ; et, en même temps, la source est inépuisable. Et qui la reçoit se réjouit. Voilà l’aumône. Ce n’est pas seulement un courant rapide, mais un courant non interrompu. Veux-tu faire pleuvoir sur toi, des divines fontaines, la miséricorde de Dieu ? commence par avoir ta source à toi ; rien ne vaut ce trésor. Si tu ouvres les issues de cette source, l’écoulement sera tel que tous les abîmes en seront comblés. Dieu n’attend de nous que l’occasion d’épancher sur nous tous les trésors qu’il tient en réserve. Dépenser, prodiguer, voilà, pour lui, la richesse, voilà l’abondance. Elle est grande l’ouverture de cette source ; pur et limpide en est le courant. L’ouverture, ne la bouchez pas, n’obstruez pas le courant, qu’aucun arbre stérile ne se dresse auprès pour en absorber les eaux. Avez-vous des richesses ? ne plantez pas là des saules ; tels sont les plaisirs, attirant tout à soi, n’ayant rien à montrer, ne portant pas de fruits ; ne plantez pas de pins, ni rien de semblable, rien, de ce qui dépense et ne produit point. Tel est le plaisir de la toilette : c’est beau à voir, mais inutile ; remplissez les abords avec de la vigne ; tous les arbres fruitiers que vous voudrez, plantez-les, dans les mains des pauvres. Rien n’est plus gras que cette terre-là. La capacité de la main est peu de chose, et pourtant, l’arbre planté là, s’élève jusqu’au ciel, et tient bon. Voilà ce qui s’appelle vraiment planter ; car, si ce qu’on plante en terre ne meurt pas tout de suite, c’est pour périr dans cent ans. A quoi bon planter des arbres dont tu ne peux jouir ? Avant que tu en jouisses, la mort arrive, et t’enlève ; l’arbre dont je te parle, à ta mort, te donne son fruit. Si tu plantes, ne plante pas dans le ventre inutile de la gloutonnerie, le fruit s’en irait où chacun sait ; mais plante dans les entrailles fertiles de l’affliction, dont le fruit bondit jusqu’au ciel. Fais goûter le repos à l’indigent déchiré dans les sentiers étroits, si tu ne veux pas voir l’affliction rétrécir ton large chemin. Ne remarques-tu pas que les arbres, arrosés sans mesure, ont les racines pourries ; au contraire, ceux qu’on arrose modérément, s’accroissent et grandissent. Eh bien ! n’inonde pas ton ventre d’un excès de boisson, ne fais pas pourrir la racine de L’arbre. Donne à boire à celui qui a soif, afin que l’arbre porte son fruit. Le soleil préserve de pourriture les arbres arrosés modérément ; mais ceux qu’on arrose sans fin, il les pourrit, voilà ce que fait le soleil. Partout l’excès est funeste, fuyons-le donc, pour obtenir ce que nous désirons. C’est, dit-on, sur les hauteurs que jaillissent les sources ; tenons donc nos âmes dans les hauteurs, et bientôt l’aumône en découlera ; car il est impossible, sans la miséricorde, qu’une âme soit haute, et il est impossible qu’une âme miséricordieuse ne soit pas une âme élevée. Qui méprise les richesses, voit donc, au-dessous de lui, la racine de tous les maux. Les sources, le plus souvent, sont dans les lieux déserts ; sachons donc aussi retirer notre âme loin des choses tumultueuses, et l’aumône jaillira auprès de nous. Plus les sources sont purifiées, plus elles sont abondantes ; nous aussi, plus nous nous purifierons à notre source, plus nous verrons tous les biens jaillir autour de nous. Celui qui possède une source, est rassuré ; si nous avons, nous aussi, la source de l’aumône, nous serons rassurés, car cette fontaine nous est utile pour nos breuvages, pour nos irrigations, pour nos édifices, pour tous nos besoins Rien n’est meilleur que ce breuvage ; cette fontaine ne verse pas l’ivresse ; cette fontaine, il vaut mieux la posséder que de verser des flots d’or ; plus riche que toutes les mines d’or est l’âme qui renferme l’or dont je parle. Car cet or-là ne nous accompagne pas dans les palais de la terre, mais il nous suit dans le palais céleste. Cet or est l’ornement de l’Église de Dieu ; de cet or se fait le glaive de l’esprit, le glaive qui sert à déchirer le dragon ; de cette fontaine sortent des perles précieuses, qui ornent la tête du roi. C’est pourquoi ne négligeons pas de telles richesses, mais faisons l’aumône largement, afin de mériter la bonté de Dieu, par la grâce et par la miséricorde de son Fils unique, à qui appartient toute gloire, l’honneur et l’empire, ainsi qu’au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXIII.
LE LENDEMAIN, DIT LE TESTE, IL PARTIT AVEC EUX, ET QUELQUES-UNS DES FRÈRES DE LA VILLE DE JOPPÉ L’ACCOMPAGNÈRENT, ET VINRENT AVEC LUI A CÉSARÉE. CORNEILLE LES ATTENDAIT, AVEC SES PARENTS ET SES PLUS INTIMES AMIS QU’IL AVAIT ASSEMBLÉS CHEZ LUI. (CH. 10,23, 2-1, JUSQU’AU VERS. 43) ANALYSE.
- 1-3 Suite de l’histoire du centenier Corneille.
- 3 et 4. Contre la tiédeur. – Vertu du baptême. – Reconnaissance que nous devons à Dieu. – Ne pas mourir sans avoir fait effort pour s’acquitter envers Lui. – Combien la loi de Dieu est plus aimable que celle des hommes. – Contre la curiosité indiscrète et frivole qui cherche des problèmes à résoudre au lieu de chercher à bien vivre. – Contre la mollesse nonchalante.
1. Il rend ses devoirs à ses hôtes, d’abord ; ensuite il sort avec eux. C’est bien. Il commence par les accueillir avec affabilité ; ils étaient fatigués du voyage ; il fait leur connaissance en les recevant dans sa maison, et ce n’est qu’ensuite qu’il sort avec eux. « Le lendemain », dit le texte, « il partit avec eux et quelques-uns des frères ». Il ne s’en va pas tout seul avec eux, d’autres frères l’accompagnent, et il y a là une certaine disposition de la Providence : ces frères devaient lui servir de témoins, plus tard, quand il aurait besoin de se justifier. « Corneille les attendait, avec ses parents et ses plus intimes amis, qu’il avait assemblés citez lui ». C’est le propre d’un homme rempli d’affection et de piété, lorsque de tels biens lui arrivent, de tenir vivement à en faire part à ses amis ; Corneille a donc raison d’appeler ses intimes, ceux avec qui il ne craignait pas de s’entretenir chaque jour sur des sujets qu’il aurait eu tort de traiter avec d’autres personnes. Il me semble, à moi, que les amis, les parents de Corneille vivaient sous sa direction. « Lorsque Pierre fut entré, Corneille vint au-devant de lui, et, se jetant à ses pieds, il l’adora. Mais Pierre, le relevant, lui dit :« Levez-vous, je ne suis qu’un homme (25, 26) ». Ce que fait Corneille prouve son humilité, prouve que c’est un homme d’un bon exemple, qui sait bénir Dieu ; Corneille montre aussi par là qu’indépendamment de l’ordre qu’il a reçu, il agit par un fonds considérable de piété qu’il porte en lui. Et maintenant, Pierre ? « Levez-vous, je ne suis qu’un homme ». Voyez-vous comme les apôtres tiennent, avant tout, à prévenir la trop haute opinion que l’on pourrait se former d’eux ? « Et s’entretenant avec lui, il entra dans la maison, où il trouva plusieurs personnes qui s’y étaient assemblées ; alors, il leur dit : Vous savez que les Juifs ont en grande horreur d’avoir quelque liaison avec un étranger, ou d’aller le trouver chez lui (27, 28) ». Voyez-le parler tout de suite de la bonté de Dieu, et montrer la grandeur des biens qu’il leur a départis. Et il ne faut pas seulement admirer ici les paroles qu’il fait entendre ; mais, en même temps, la grandeur de ses paroles, et la modestie de sa conduite. En effet, il ne leur dit pas : Nous, qui ne daignons pas entretenir des rapports avec qui que ce soit, nous venons vers vous ; mais que dit-il ? « Vous savez (c’est l’ordre de Dieu, dit-il), qu’il est contraire à la loi, d’avoir des liaisons avec un étranger, ou d’aller le trouver chez lui ». Et ensuite, pour n’avoir pas l’air de faire à Corneille une faveur : « Mais Dieu m’a fait voir que je ne devais regarder aucun homme comme impur ou souillé ». Ce qu’il dit là, c’est pour ne pas avoir l’air d’adresser une flatterie à Corneille. « C’est pourquoi dès que vous m’avez demandé, je n’ai fait aucune difficulté de venir (29) ». Les apôtres ne voulaient pas que la chose parût défendue, et toutefois faite par égard pour Corneille qui était un personnage important. Pierre veut que le Seigneur seul paraisse avoir dirigé sa conduite. Voilà pourquoi il rappelle la défense, non seulement d’avoir quelque liaison avec un étranger, mais encore d’aller le trouver chez lui. « Je vous prie donc de me dire pourquoi vous m’avez envoyé chercher ». Ce n’est pas par ignorance qu’il interroge ; Pierre savait tout, sa vision l’avait instruit. De plus, les soldats l’avaient averti. Mais il veut, avant tout, que ces gentils s’expriment et se montrent attachés à la foi. Que fait donc Corneille ? Il ne répond pas : Est-ce que les soldats ne vous l’ont pas dit ? Mais voyez la douceur, l’humilité de son langage : « Il y a maintenant quatre jours que, jeûnant et m’étant mis en prières, dans ma maison, à la neuvième heure, j’ai vu un homme qui est venu se présenter devant moi, vêtu d’une robe éclatante, et il m’a dit : Corneille, votre prière a été exaucée, et vos aumônes sont montées jusqu’en la présence de Dieu, et il s’en est souvenu (30, 34). M’étant mis en prière, dit-il, à la neuvième heure ». Qu’est-ce à dire ? Cet homme me semble s’être fixé certains jours, pour mener une vie plus appliquée à la piété ; et voilà pourquoi il dit : « il y a quatre jours ». Voyez le prix de la prière c’est pendant qu’il s’appliquait à un pieux devoir qu’un ange lui apparaît. Le jour présent, un ; le jour où les envoyés de Césarée sont partis de Joppé, deux ; le jour de l’arrivée à Joppé, trois ; le jour de la vision de Corneille, quatre ; de sorte que c’est le second jour en remontant, après le jour de la prière de Pierre : « Je vis un homme qui se présenta tout à coup devant moi, vêtu d’une robe éclatante : » Il ne dit pas, un ange, tant il évite de prononcer des paroles orgueilleuses. Et il me dit : « Corneille, votre prière a été entendue, et vos aumônes sont montées jusqu’à la présence de Dieu, et il s’en est souvenu. C’est pourquoi, envoyez à Joppé, et faites venir de là Simon, surnommé Pierre ; il loge dans la maison de Simon, corroyeur, près de la mer. C’est lui qui vous dira ce qu’il faut que vous fassiez. J’ai envoyé à l’heure même vers vous, et vous m’avez fait la grâce de venir ; nous voilà donc maintenant tous assemblés devant vous, pour entendre tout ce que le Seigneur vous a ordonné de nous dire (32, 33) ». Donc la question de Pierre : « Pourquoi m’avez-vous envoyé chercher ? » n’était que pour motiver ces paroles de Corneille. « Alors Pierre, prenant la parole, dit : En vérité, je vois bien que Dieu n’a point d’égard aux diverses conditions des personnes, mais qu’en toute nation, celui qui le craint, et qui pratique la justice, lui est agréable (34, 35) ». Ce qui veut dire : soit incirconcis, soit circoncis. Paul fait la même déclaration : « Car Dieu ne fait point acception des personnes. (Rom 2,11) Nous voilà donc maintenant tous assembles », dit Corneille, « en présence de « Dieu ». Voyez la grandeur de la foi, la grandeur de la piété ! il savait bien que Pierre ne disait rien au nom de l’homme ; « Dieu m’a montré », dit Pierre, et voilà pourquoi Corneille répond : « Nous voilà donc maintenant tous assemblés, pour entendre tout ce que le Seigneur vous a ordonné de nous dire ». Eh quoi ! le Persan est-il donc agréable au Seigneur ? Il le sera, s’il le mérite par sa foi. Voilà encore pourquoi le Seigneur n’a pas dédaigné l’eunuque de l’Éthiopie. Et que direz-vous, m’objectera-t-on, des hommes religieux qui ont été dédaignés ? Loin de nous cette pensée ! nul n’est dédaigné parmi ceux qui ont la piété en honneur ; non, non. Il n’est pas possible qu’un tel homme soit dédaigné. « En toute nation », dit l’apôtre, « celui qui craint Dieu, et qui pratique la justice ». Ce qu’il entend par justice, c’est la vertu tout entière. 2. Voyez-vous comme Pierre rabaisse l’orgueil par ces paroles : « En toute nation, celui qui craint Dieu, lui est agréable ? » c’est comme s’il disait : Dieu ne rejette personne ; il agrée tous ceux qui ont la foi. Ensuite, comme Pierre ne veut pas que ceux à qui il s’adresse, se croient au nombre des rejetés, il ajoute : « Dieu a fait entendre sa parole aux enfants d’Israël, en leur annonçant la paix par Jésus-Christ, qui est le Seigneur de tous (36) ». Ces paroles ont pour but de persuader les personnes présentes ; il s’exprime ainsi pour faire parler Corneille : « Dieu a fait entendre », dit-il, « sa parole aux enfants d’Israël ». Voyez ! il leur donne, en parlant ainsi, la prérogative ; ensuite il les produit comme témoins, en disant : « Vous savez la parole qui s’est fait entendre dans toute la Judée, en commençant par la Galilée, après le baptême que Jean a prêché ». Ce qu’il confirme par les paroles suivantes : « Comment Dieu a oint de l’Esprit-Saint et de force Jésus de Nazareth (37, 38) ». Il ne dit pas : Vous connaissez Jésus (car ils ne le connaissaient pas), mais il raconte ce que Jésus a fait. « Qui a passé, en faisant du bien, et en guérissant tous ceux qui étaient sous la puissance du démon ». Ces paroles montrent toutes les possessions des démoniaques, les convulsions sous l’action de Satan. « Parce que Dieu était avec lui ». Il abaisse ensuite son langage, non sans dessein, à mon sens, mais parce qu’il parle à des hommes : « Et nous sommes témoins de toutes les choses qu’il a faites dans la Judée et dans Jérusalem (39) ». Et vous, dit-il, et nous. « Ils l’ont fait mourir en l’attachant à une croix ». Ici, il prêche la passion. « Mais Dieu l’a ressuscité le troisième jour, et a voulu qu’il se montrât, non pas à tout le peuple, mais aux témoins fixés d’avance par Dieu ; à nous, qui avons mangé qui avons bu avec lui, après sa résurrection d’entre les morts ». Voilà la plus forte preuve de la résurrection. « Et il nous a commandé de prêcher et d’attester devant le peuple que c’est lui qui a été établi de Dieu pour être le juge des vivants et des morts (39, 40, 41, 42) ». Voilà encore un grand argument pour montrer que les apôtres sont dignes de foi. Il rend donc témoignage, en disant : « Tous les prophètes lui rendent témoignage, que tous ceux qui croiront en lui, recevront, par son nom, la rémission de leurs péchés (43) ». Il prédit ainsi ce qui arrivera ; il confirme cette prédiction en citant à propos les prophètes. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut de Corneille. « Il envoya », dit le texte, « à Joppé pour faire venir Pierre ». C’est parce qu’il avait la certitude que Pierre viendrait qu’il l’envoya chercher. « Et Pierre s’entretenant avec lui », dit le texte. De quoi s’entretenait-il ? Sans doute, j’imagine, de ce qui a été dit plus haut. « Et, se jetant à ses pieds, il l’adora ». Vous voyez partout un entretien sans adulation, et plein d’humilité ; c’est un mérite que nous avons déjà remarqué dans l’eunuque ; « il commanda », dit le texte, « à Philippe, de monter et de s’asseoir dans le char », quoiqu’il n’ignorât pas quel homme c’était ; et qu’il ne sût que ce qu’il venait de lire dans le prophète. Celui-ci fait plus : il tombe, il se jette aux pieds de l’apôtre. Voyez-vous ces mœurs sans aucune espèce de faste ? Mais maintenant considérez comment Pierre montre qu’il vient de la part de Dieu, lorsqu’il dit : « Vous savez qu’il n’est pas permis aux Juifs d’avoir quelque liaison avec un étranger, ou d’aller le trouver chez lui ». Mais pourquoi n’a-t-il pas tout de suite parlé de sa vision ? Parce qu’il était tout à fait étranger aux sentiments de la vaine gloire. Il se dit envoyé de Dieu ; comment a-t-il été envoyé ? Il ne l’explique pas ; mais, quand la nécessité le commande. Voici comment il s’exprime : « Vous savez qu’il n’est pas permis aux Juifs d’avoir quelque liaison avec un étranger, ou d’aller le trouver chez lui ». Voyez comme il est loin de la vaine gloire ! En parlant ainsi, il se fait, de ce qu’ils savent eux-mêmes, une garantie. Eh bien, maintenant, Corneille ? « Nous voilà », dit-il, « maintenant en la présence de Dieu, pour entendre tout ce que le Seigneur vous a ordonné de nous dire ». Il ne dit pas : En présence d’un homme, mais en la présence « de Dieu », montrant, par ces paroles, en quelle disposition on doit s’approcher des serviteurs de Dieu. Comprenez-vous cette ferveur ? Comprenez-vous combien cet homme était digne de cette grande distinction ? « Alors Pierre », dit le texte, « prenant la parole, dit : En vérité, je vois bien que Dieu n’a point d’égard aux diverses conditions des personnes ». Cette observation, Pierre l’adresse aux Juifs présents ; c’est pour sa défense. Au moment de révéler la – parole aux gentils, il commence par présenter comme sa défense. Quoi donc ? Auparavant, Pierre faisait-il donc acception des personnes ? nullement. Même auparavant, il était toujours le même. « Tout homme », dit-il, « qui craint Dieu, et dont les œuvres sont justes, lui est agréable ». C’est ce que déclare Paul dans ses lettres : « Lors donc que les gentils, qui n’ont point la loi, font les choses que la loi commande ». (Rom 2,14) Voilà le dogme et la conduite de Dieu. Si Dieu n’a dédaigné ni les mages, ni l’Éthiopien, ni le larron, ni la courtisane, à bien plus forte raison, ne méprisera-t-il pas ceux qui opèrent la justice et qui la veulent. Mais quoi ? S’ils sont doux et bons, ceux qui ne veulent pas croire ? Eh biefs, vous venez de donner la raison, c’est qu’ils ne veulent pas croire. Maintenant, l’homme bon ici, ce n’est pas celui qui a la douceur en partage, mais celui qui opère la justice, c’est-à-dire celui qui, dans toutes ses actions, est agréable au Seigneur, et, pour être agréable, il faut craindre Dieu. Or, un homme de ce – caractère, Dieu seul le connaît. Voyez comment le centenier s’est rendu agréable. A peine a-t-il entendu la parole, il a obéi ; aujourd’hui, me direz-vous, un ange viendrait, que personne ne l’écouterait. Mais aujourd’hui les signes sont beaucoup plus considérables qu’autrefois, et cependant combien d’incrédules ? Pierre communique ensuite la doctrine, et il a soin de conserver aux Juifs, leur noble prérogative. « Dieu a fait entendre sa parole aux enfants d’Israël, en leur annonçant la paix, par Jésus-Christ, qui est le Seigneur de tous ». Il parle d’abord de la domination, et il le fait en termes tout à fait élevés, parce qu’il s’adresse à une âme déjà élevée, et qui reçoit avec chaleur ce qu’on lui annonce. Ensuite, pour prouver comment c’est le Seigneur de tous, il a soin de dire : « Dieu a fait entendre sa parole, en leur annonçant la paix », c’est-à-dire, en les appelant au bonheur, non pas au jugement. 3. Par là, il déclare que la parole a été envoyée par Dieu, d’abord aux Juifs. Il en donne ensuite la démonstration, par les événements qui se sont accomplis dans toute la Judée. « Vous savez ce qui est arrivé dans toute la Judée ». Et voici qui est admirable : « Qui a commencé par la Galilée, après le baptême que Jean a prêché ». Il a d’abord parlé de l’œuvre glorieuse du Seigneur ; ce n’est qu’après qu’il a assez d’assurance pour parler de sa patrie : « Jésus de Nazareth ». Pierre n’ignorait pas que la seule patrie était une occasion de scandale. « Comment Dieu a oint de l’Esprit-Saint et de force », seconde preuve. On aurait pu dire, qui le démontre ? Pierre ajoute : « Qui passait, en faisant le bien, et en guérissant tous ceux qui étaient sous la puissance du démon ». Il montre ensuite la grandeur du pouvoir unie à ses bonnes couvres ; pour surmonter le démon il fallait que ce pouvoir fût grand. On en donne la cause : « Parce que Dieu était avec lui ». Voilà pourquoi les Juifs aussi disaient : « Nous savons, maître, que vous êtes venu de la part de Dieu, car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est avec lui ». (Jn 3,2) Et maintenant, après avoir montré qu’il est envoyé de Dieu, il ajoute qu’il a été tué, pour prévenir l’égarement des pensées. Remarquez-vous que, nulle part, il ne cache le supplice de la croix ? au contraire, il se hâte de le mentionner. « Cependant ils l’ont fait mourir », dit-il, « en l’attachant à une croix ; et Dieu a voulu qu’il se montrât vivant, non à tout le peuple, mais aux témoins que Dieu avait choisis, avant tous les temps (39, 40) ». C’était le Christ qui les avait choisis lui-même ; mais l’apôtre attribue cela à Dieu : « Choisis, avant tous les temps », dit-il. Voyez comment il prouve la résurrection ; par le repas en commun. Pourquoi le Christ ressuscité ne fait-il aucun miracle, se bornant à manger et à boire ? c’est que la résurrection, toute seule, était, d’elle-même, un assez grand miracle ; et impossible d’en trouver une plus grande preuve que ce fait, que le ressuscité buvait et mangeait. « Pour attester », dit-il. Ces paroles ont une énergie terrible ; impossible de prétexter l’ignorance. Et l’apôtre ne dit pas C’est le Fils de Dieu, mais, ce qui était de nature à épouvanter le plus les Juifs : « C’est lui qui a été établi de Dieu, pour être le juge des vivants et des morts (42) ». Suit une preuve imposante prise des prophètes, lesquels étaient en grande estime : « Tous les prophètes lui rendent témoignage (43) ». Après avoir inspiré la crainte, il mentionne le pardon, annoncé non par lui, mais par les prophètes ; ce qui est terrible, vient de lui, ce qui est plus doux, vient des prophètes. O vous tous, qui que vous soyez, qui avez obtenu cette rémission des péchés, vous tous, tant que vous êtes, qui avez trouvé la foi, après avoir appris la grandeur du don, je vous en conjure, veillez sur vous-mêmes, n’outragez pas le bienfaiteur. Si nous avons obtenu la rémission des péchés, ce n’est pas pour dégénérer, mais pour nous élever bien plus haut vers la perfection. Donc, gardons-nous bien de dire que la cause de nos malheurs, c’est Dieu, parce qu’il ne punit pas, parce qu’il n’inflige pas de châtiment ; car enfin, répondez-moi : un meurtrier est pris, le prince le relâche, les meurtres qui suivront, seront-ils imputés au prince ? Non, assurément ; et comment se peut-il que notre langue impie outrage Dieu sans épouvante, sans un frisson d’horreur ? Quels discours n’entendons-nous pas ? Quel bruit de paroles ! C’est Dieu lui-même qui a permis les crimes, répète-t-on. Il fallait châtier les coupables ; honneurs, couronnes, dignités, il ne leur fallait rien de tout cela, il en fallait tirer satisfaction et vengeance. Que fait Dieu au contraire ? il les honore et les rend tels qu’ils sont. Je vous en prie, je vous en conjure, qu’aucun de nous jamais ne fasse entendre de pareilles paroles. Mieux vaudrait mille fois être enfoui dans la terre, que de proférer, contre Dieu, de pareils discours. Les Juifs aussi disaient : « Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même » ; et encore : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ». (Mat 27,40) Mais ces blasphèmes d’aujourd’hui sont plus affreux que ceux-là ; qu’il ne soit pas dit que nous l’appelons un docteur d’iniquités ; n’allons pas, par de pareils blasphèmes, nous exposer à l’éternel supplice. Car, dit l’apôtre, « vous êtes cause que le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations ». (Rom 2,24) Appliquons-nous à faire dire le contraire ; menons une vie conforme à notre vocation ; approchons-nous du baptême de l’adoption, car elle est vraiment grande, la puissance du baptême, qui admet les hommes régénérés au partage des dons célestes ; qui ne souffre pas que les hommes restent simplement des hommes. Faites en sorte que le grec ait foi dans la grande puissance de l’Esprit, puissance qui transforme, puissance qui régénère. Pourquoi attendre ainsi l’heure de vos derniers soupirs, comme un fugitif, comme un méchant, comme un être qui ne doit pas vivre pour Dieu ? Pourquoi cette disposition de votre cœur, comme si votre Dieu était sans entrailles, était un maître féroce ? Quoi de plus froid, quoi de plus misérable, que de recevoir ainsi le baptême ? Dieu a fait de vous son ami ; il vous a gratifié de tous ses dons, afin que vous-même vous lui montriez tout ce qu’on attend d’un ami. Répondez-moi : je suppose un homme à qui vous auriez fait mille injures, mille outrages, vous tomberiez entre ses mains, et cet homme se vengerait de vous en partageant, avec vous, tous ses biens ; pour les injures qu’il aurait reçues de vous, il vous admettrait au nombre de ses amis, il vous couronnerait, il dirait que vous êtes son propre fils, et ensuite, tout à coup, il viendrait à mourir. Ne regarderiez-vous pas sa mort comme un malheur ? ne diriez-vous pas : Je voudrais le voir vivant, afin de m’acquitter envers lui, afin de le payer de retour, afin de ne pas paraître ingrat envers mon bienfaiteur ? Voilà certes quelles seraient vos dispositions envers un homme ; et, quand il s’agit de Dieu, vous pensez à partir sans vous acquitter envers celui qui vous a fait tant de dons ? Ah ! croyez-moi, approchez-vous de lui, quand vous pouvez encore le payer de retour. Pourquoi fuir ? Sans doute, me répond-on, mais je ne suis pas maître de moi. Donc Dieu nous a commandé l’impossible ? Voilà ce qui bouleverse tout ; voilà d’où vient, sur la terre, la corruption ; nul ne se propose de vivre selon Dieu. Les zélés catéchumènes n’ont aucun souci de mener une vie droite. Et voilà comment ceux qui ont déjà reçu le baptême ont été baptisés : les uns, c’est quand ils n’étaient encore que des enfants ; les autres, c’est dans leurs maladies, après de nombreux délais, parce qu’ils ne sentaient pas en eux le désir de vivre selon Dieu ; et ceux-là n’ont aucun zèle. Et ceux qui ont reçu le baptême en parfaite santé, montrent à leur tour aussi peu de zèle ; ils sortent du baptême plein d’ardeur, mais ils sont bientôt les premiers à éteindre leur feu. Et ne pouvez-vous donc pas vous livrer à vos affaires ? Et, est-ce que je vous sépare de votre femme ? C’est de la fornication que je veux vous séparer. Est-ce que je vous interdis l’usage de votre fortune ? C’est l’avarice que je vous interdis, et la rapine. Est-ce que je veux vous contraindre à vous dépouiller de tout ? Un peu de ce que vous avez, voilà tout ce que je vous demande pour les indigents. « Votre abondance », dit l’apôtre, « supplée à leur pauvreté ». (2Co 8,14) Dans cette mesure même nous ne réussissons pas à vous persuader. Est-ce que nous vous forçons au jeûne ? C’est l’ivresse que nous voulons réprimer, avec la gourmandise. Ce que nous retranchons, c’est ce qui vous déshonore, c’est ce que vous-mêmes, vous trouvez plus affreux que la géhenne, plus redoutable, plus odieux. Est-ce que l’on vous interdit le plaisir et la joie ? Non, mais ce qui est honteux, ce qui est indigne. 4. Que craignez-vous, que redoutez-vous, pourquoi tremblez-vous ? Là où se trouve le lien conjugal, la vraie jouissance des richesses, la tempérance, quelle est l’occasion de pécher ? Vos maîtres, en dehors de l’église, d’un ton qui commande, exigent de vous bien autre chose, et vous les écoutez. Ce n’est pas seulement une petite part de ce que vous avez qu’ils réclament, mais ils vous disent : Il faut donner tant, et, quand vous objecteriez votre pauvreté, peu importe, ils insistent encore. Le Christ au contraire ne parle pas ainsi : il vous dit : Selon ce que vous avez, donnez, et je vous mettrai au premier rang. Ces étrangers vous disent encore : Voulez-vous de la gloire ? Abandonnez père, mère, parents, proches, et résidez dans les palais des rois, pour y être fatigués, affligés, esclaves, en proie à des douleurs sans nombre. Le Christ au contraire ne parle pas ainsi, il vous dit Restez chez vous, avec votre femme et vos enfants ; vivez tranquilles, à l’abri des dangers. Sans doute, me direz-vous ; mais le roi promet des richesses. Mais Dieu promet la royauté, et, de plus, des richesses avec la royauté ; car il dit : « Cherchez premièrement le royaume des cieux, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ». (Mat 6,33) Le roi de la terre ne donne rien par surcroît, tandis que Dieu donne d’avance. « J’ai été jeune », dit le Psalmiste, « et je suis vieux maintenant ; mais je n’ai point encore vu le juste abandonné, ni sa race cherchant son pain ». (Psa 37,25) Commençons donc, pratiquons les premières vertus ; ne nous attachons qu’à la vertu seule, et vous verrez quels biens elle conquiert. Est-ce donc sans fatigue que vous gagnez les biens de la terre ; vous qui montrez tant de mollesse à la poursuite des biens du ciel ? Oui, me direz-vous, on a ceux d’ici-bas sans peine, sans fatigue ; c’est pour les biens d’en haut qu’il faut se fatiguer. Tout au contraire, mille fois non ; mais si nous voulons dire la vérité, ces biens d’en-bas ne s’acquièrent qu’au prix des fatigues et des sueurs ; les biens d’en haut, nous n’avons qu’à vouloir, s’obtiennent facilement. Ne nous éloignons pas, je vous en prie, des divins mystères ; ne remarquez pas que celui qui avant vous a été baptisé est devenu un méchant, est déchu de ses espérances ; ne vous relâchez pas. Que voyons-nous dans la milice ? Les timides d’une part ; de l’autre, les braves qui se couvrent de gloire ; ne regardons pas les lâches ; rivalisons avec les vaillants. En outre, considérez combien d’hommes, après le baptême, sont devenus des anges ; redoutez l’avenir incertain. La mort vient comme un voleur de nuit, et ce n’est pas assez dire, comme un voleur ; elle nous surprendra pendant notre sommeil ; pendant que nous sommes nonchalamment couchés, la voilà qui nous prend, qui nous emporte. Si Dieu a fait l’avenir incertain, c’est pour que l’attente continuelle de cette heure incertaine nous attache à la vertu. Mais Dieu est bon, me direz-vous ; combien de temps encore répéterons-nous cette froide et ridicule parole ? Eh bien, moi je dis et je ne cesserai pas de redire, non seulement que Dieu est bon, mais que rien ne surpasse sa bonté, et qu’il dispose toutes choses pour notre utilité. Combien d’hommes ne voyez-vous pas souffrant toute leur vie de l’éléphantiasis ? Combien d’hommes, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, toujours aveugles ; d’autres, devenus aveugles après coup ; d’autres, victimes de la pauvreté ; d’autres languissant dans les fers ; d’autres, dans les mines ; d’autres, enterrés vivants ; d’autres, emportés par la guerre ? Ne sont-ce pas là des marques de la divine bonté, je vous le demande ? Dieu ne pouvait-il pas prévenir ces maux, s’il l’eût voulu ? Au contraire, il les a permis. Oui, me direz-vous. Eh bien, dites-moi, pourquoi des aveugles de naissance ? Je ne répondrai pas tant que vous ne me promettrez pas que vous serez baptisés, et que, baptisés, vous conformerez votre vie à la sagesse. C’est un problème qu’il ne vous appartient pas de résoudre, et la parole n’a pas pour but le plaisir. Supposez cette question résolue, il en viendra une autre, car l’Écriture est un abîme de questions. C’est pourquoi non seulement ne vous faites pas une habitude de résoudre des problèmes, mais ne cherchez jamais de problème à résoudre. Les questions d’ailleurs se succéderaient sans fin. Pour une solution que vous auriez trouvée, je vous proposerais mille autres questions à résoudre. Apprenons par conséquent plutôt à chercher la sagesse qu’à chercher des solutions. Supposons que nous les ayons trouvées, nous ne les trouvons pas toutes. Il n’est pour de telles questions qu’une solution possible, la foi, qui croit que Dieu fait tout avec justice, avec bonté, avec utilité pour nous, et que sa raison est incompréhensible. Voilà l’unique solution, et il n’en est pas de meilleure ; car, quelle est, répondez-moi, la solution par excellence ? C’est de ne plus chercher de solution, parce que tout est expliqué. Si vous êtes bien persuadés que tout est administré par la divine Providence, qui permet certaines choses, par des raisons qu’elle seule connaît, et qui en opère certaines autres, vous êtes affranchis de toute recherche, et vous jouissez du profit de la solution. Mais revenons à notre sujet ; puisque vous voyez tant de supplices, Dieu permettant toutes ces choses, servez-vous de la santé de votre corps, pour assurer la santé de votre âme. Mais, direz-vous, qu’ai-je besoin de fatigues et d’affliction, puisque je puis, sans fatigues, acquitter toute ma dette ? Assurément voilà qui n’est pas évident, car non seulement il arrive que vous ne pouvez pas vous acquitter sans fatigues, mais il peut arriver aussi que vous partiez chargés de tout ce qui pèse sur vous. D’ailleurs, quand ce que vous dites serait de toute évidence, vos paroles seraient encore difficiles à supporter. Dieu vous a appelés dans les combats ; il vous a donné des armes d’or ; au lieu de les prendre et de vous en servir, vous voulez conserver votre vie sans gloire, n’opérant aucune bonne action. Répondez-moi ; je suppose que la guerre nous menace ; l’empereur est là ; vous voyez les uns s’élancer au milieu des phalanges, porter des coups à l’ennemi, distribuer d’innombrables blessures ; vous en voyez d’autres qui se livrent à des combats singuliers ; d’autres bondissent ; d’autres encore s’élancent sur leurs chevaux, et l’empereur leur décerne des éloges, et on les admire ; et les applaudissements les saluent, on les couronne ; tandis qu’il en est qui ne veulent s’exposer à aucun coup et qui restent au dernier rang ? Bientôt la guerre est terminée ; les uns, on les appelle, on les comble de nobles récompenses ; leurs noms sont dans toutes les bouches ; les autres, au contraire, restent avec leurs noms ignorés ; ils ont la vie sauve ; voilà leur seule récompense : à laquelle de ces deux classes d’hommes voudriez-vous appartenir ? Fussiez-vous de pierre, fussiez-vous plus lâches que les êtres insensibles, inanimés, ne préféreriez-vous pas mille fois être rangés parmi les braves ? Oui, certes, et je vous en prie, et je vous en conjure, quand vous devriez tomber en combattant, n’est-ce pas là le sort qu’il faudrait résolument choisir ? Ne voyez-vous pas quel éclat accompagne ceux qui tombent dans les combats, quelle illustration, quelle gloire ? Et pourtant une fois qu’ils sont morts, ils ne peuvent plus attendre les honneurs que l’empereur décerne ; au contraire, dans cette guerre dont je parle, il n’est rien de pareil : votre gloire sera d’autant plus grande que vos blessures seront nombreuses. Puissions-nous tous en avoir à montrer, sans les recevoir des persécutions, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXIV.
PIERRE PARLAIT ENCORE, LORSQUE LE SAINT-ESPRIT DESCENDIT SUR TOUS CEUX QUI ÉCOUTAIENT SA PAROLE ; E LES FIDÈLES CIRCONCIS, QUI ÉTAIENT VENUS AVEC PIERRE, FURENT FRAPPÉS D’ÉTONNEMENT DE VOIR QUE LA GRACE DU SAINT-ESPRIT SE RÉPANDAIT AUSSI SUR LES GENTILS. CAR ILS LES ENTENDAIENT PARIER DIVERSES LANGUES, ET GLORIFIER DIEU. (CHAP. 10, VERS. 44, 45, 46) Traduit par M. C. PORTELETTE. ANALYSE.
- 1 et 2. Économie de la Providence dans la conversion des Gentils. – Conduite de Pierre, qui ne fait rien de lui-même, Dieu seul opérant tout.
- 3 et 4. Développement pathétique de l’efficacité de la pénitence. – Combien y en aura-t-il de sauvés dans tout ce peuple ! Magnifique mouvement d’éloquence pressante, élevée, saisissante. – Contre les spectacles.
1. Voyez la conduite de Dieu ! il n’a pas permis que le discours fût achevé, ni que le baptême fût donné par l’ordre de Pierre. Ils montraient une âme merveilleusement disposée ; ils avaient reçu le commencement de la doctrine ; ils regardaient le baptême comme la rémission des péchés, et aussitôt l’Esprit arriva. Ce qui avait lieu, en outre, parce que la providence de Dieu voulait ménager à Pierre de puissants moyens de défense, non seulement ils reçoivent l’Esprit, mais ils parlaient diverses langues ; ce qui frappait d’étonnement les assistants. Pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? A cause des Juifs, car ce prodige excitait toute leur haine. Aussi est-ce partout Dieu qui agit seul. Et Pierre est là, pour ainsi dire, par hasard, leur disant qu’il convient maintenant d’aller trouver les nations, qu’il convient qu’elles soient instruites. Et ne soyez pas surpris, en effet, si, après de si grandes marques, et à Césarée et à Jérusalem, il y a eu des disputes, que ne serait-il pas arrivé sans ces merveilles qui accompagnèrent les apôtres ? Voilà pourquoi ces signes paraissent d’une manière éclatante. Et maintenant, voyez comment Pierre profite de l’occasion pour se justifier, et, pour preuve que sa réponse lui est inspirée par la circonstance, écoutez l’évangéliste : « Alors Pierre dit : Peut-on refuser l’eau du baptême à ceux qui ont déjà reçu le Saint. Esprit comme nous ? (47) ». Voyez jusqu’où il est arrivé, et quel était son désir d’aller plus, loin ; c’était là depuis longtemps sa pensée : « Peut-on refuser », dit-il, « l’eau du baptême ? » Il s’emporte, pour ainsi dire, contre ceux qui refuseraient, qui diraient que le baptême ne peut être donné aux gentils. Le plus nécessaire, dit-il, est accompli : ils ont reçu le baptême que nous avons reçu nous-mêmes. « Et il commanda qu’on les « baptisât, au nom du Seigneur Jésus-Christ (48) ». C’est après s’être justifié qu’il ordonne de les baptiser, les instruisant par les faits mêmes, tant les Juifs étaient indisposés ! Il se justifie d’abord, quoique les faits parlassent assez d’eux-mêmes ; et ce n’est qu’ensuite qu’il donne son ordre. « Après cela, ils le prièrent de demeurer quelques jours avec eux ». Il a donc raison de demeurer avec eux en toute confiance. « Les apôtres et les frères qui étaient dans la Judée apprirent que les gentils mêmes avaient reçu la parole de Dieu, et lorsque Pierre fut venu à Jérusalem, les circoncis disputaient contre lui, et lui disaient : Pourquoi avez-vous été chez des hommes incirconcis et avez-vous mangé avec eux ? (Chap 11,1, 2, 3) ». Et « les circoncis disputaient » ; ce ne sont pas les apôtres. Qu’est-ce que cela veut dire, « disputaient ? » C’est-à-dire, étaient scandalisés, tout à fait scandalisés. Et voyez ce qu’ils lui reprochent : Ils ne lui disent pas : Pourquoi avez-vous prêché ? mais « Pourquoi avez-vous mangé avec eux ? » Or Pierre ne répond pas à ce reproche sans valeur (sans valeur en réalité), mais il fait entendre une réponse imposante : S’ils avaient reçu l’Esprit, eux aussi, comment pouvions-nous leur refuser le baptême ? Pourquoi donc, avec les Samaritains, la chose ne s’est-elle pas passée de même ? Comment est-ce le contraire qui est arrivé ? Car non seulement le Saint-Esprit ne descendit pas avant le baptême, mais pas même après le baptême. Et les Juifs ne se sont pas indignés ; au contraire, ils ont très-volontiers envoyé chez eux, précisément pour cette raison. Mais ici l’accusation contre Pierre ne porte pas sur ce point. Ils savaient bien, en effet, qu’il agissait par la grâce divine. « Mais pourquoi », disent-ils, « avez-vous mangé avec eux ? » Il y avait d’ailleurs une différence du tout au tout entre les Samaritains et les gentils. Et en outre, c’est un effet de la sagesse que Pierre soit accusé pour l’édification des autres. Car ce n’est pas sans dessein que Pierre leur a tout raconté. Or, maintenant soyez comme il est exempt de faste et de vaine gloire ! Le texte dit : « Mais Pierre commença à leur raconter par ordre comment la chose s’était passée : Lorsque j’étais dans la ville de Joppé, en prières,(4, 5) ». Il ne dit pas pourquoi ni à quelle occasion ; « il me survint un ravissement d’esprit ; et j’eus une vision, dans laquelle je vis descendre du ciel comme une grande nappe, tenue par les quatre coins, qui s’abaissait et venait jusqu’à moi ; et la considérant avec attention, j’y vis des animaux terrestres à quatre pieds, des bêtes sauvages, des reptiles et des oiseaux du ciel. J’entendis aussi une voix qui me dit : Pierre, levez-vous, tuez et mangez (6, 7) ». Que veut-il dire par là ? Il suffisait, dira-t-on, pour opérer la persuasion, de dire qu’il avait vu une nappe. Cependant une voix se joignit à la vision. « Je répondis : Je n’ai garde, Seigneur, car jamais rien d’impur ni de souillé n’entrera dans ma bouche (8) ». Comprenez-vous ? Ce que je devais faire, dit-il, je l’ai fait ; j’ai dit que je n’ai jamais mangé. Ces paroles étaient sa réponse à ceux qui lui disaient : « Pourquoi avez-vous été, et pourquoi avez-vous mangé avec eux ? » Quant à cela, il ne le dit pas à Corneille ; et en effet, il n’y avait pas de nécessité. « Et la voix, me parlant du ciel une seconde fois, me dit : N’appelez pas impur ce que Dieu a purifié. Cela se fit jusqu’a trois fois, et ensuite toutes ces choses furent retirées dans le ciel. Au même temps, trois hommes, qui avaient été envoyés vers moi de la ville de Césarée, se présentèrent dans la maison où j’étais (9, 10, 11) ». Il raconte ce qui est nécessaire, passant le reste sous silence, ou plutôt, par ce qu’il raconte, il prouve ce qu’il ne dit pas. Et voyez comme il se défend, sans user de son autorité de maître ; il savait bien, en effet, que plus il mettrait de modestie dans sa réponse à ses accusateurs, plus il parviendrait à les calmer. « Jamais rien d’impur ni de souillé n’entra dans ma bouche », dit-il. Et voilà comment il défend sa vie tout entière. « Au même temps, trois hommes se présentèrent dans la maison où j’étais, et l’Esprit me dit d’aller avec eux sans faire aucune difficulté (12) ». 2. Voyez-vous que c’est l’Esprit qui fait la loi ? « Ces six de nos frères que vous voyez, vinrent aussi avec moi ». Quoi de plus humble que Pierre, qui invoque, ici encore, le témoignage des frères ! « Ces six de nos frères que vous voyez, vinrent aussi avec moi, et nous entrâmes dans la maison de cet homme, qui nous raconta comment il avait vu, dans sa maison, un ange qui s’était présenté devant lui, et lui avait dit : Envoyez à Joppé, et faites venir Simon, surnommé Pierre ; il vous dira des paroles par lesquelles vous serez sauvé, vous et toute votre maison (13, 14) ». Il ne cite pas les paroles adressées par l’ange à Corneille : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu’en présence de Dieu, et il s’en est souvenu » ; il ne veut pas les heurter, il ne cite que des paroles dont le sens n’a rien d’orgueilleux : « Il vous dira des paroles par lesquelles vous serez sauvé, vous et toute votre maison ». Voyez-vous comme il se hâte pour la raison que j’ai dite ? Et il ne parle pas de la vertu de Corneille. Eh bien, voilà donc l’Esprit qui l’envoie, Dieu qui lui donne son ordre, qui, d’un côté, l’appelle par le ministère d’un ange, qui, d’un autre côté, le pousse encore ; qui supprime tout obstacle matériel ; que fallait-il faire ? Pierre ne dit rien de tout cela, il s’appuie sur ce qui a suivi, et qui fournissait une preuve irrésistible. Et pourquoi, dira-t-on, le dernier lait ne s’est-il pas produit seul ? Dieu a tout ménagé de manière à prouver surabondamment que le commencement n’est pas le fait de l’apôtre. S’il était parti de lui-même, sans que rien fût arrivé, les Juifs auraient été tout à fait choqués. Il commence par se les rendre favorables en disant : « À ceux qui ont déjà reçu le Saint-Esprit comme nous ». Et encore : « Quand j’eus commencé à leur parler, le Saint-Esprit descendit sur eux comme il était descendu sur nous au commencement (15) ». Et non content de ce qu’il vient de dire, il rappelle la parole du Seigneur : « Alors je me souvins de cette parole du Seigneur : Jean a baptisé dans l’eau, mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit (16; Mat 3,11) ». C’est pourquoi il n’est rien arrivé de nouveau ; c’est une prédiction qui s’est accomplie, filais, dira-t-on, le baptême n’aurait pas dû être donné ; remarquons que le baptême était un fait accompli, puisque le Saint-Esprit était descendu. Aussi Pierre ne dit-il pas : J’ai ordonné d’abord de les baptiser ; que dit-il ? « Peut-on refuser l’eau du baptême ? » montrant par là qu’il n’a rien fait de son propre mouvement. Ce que nous avions, ils l’ont reçu. « Puis donc que Dieu leur a donné la même grâce qu’à nous, qui avons cru au Seigneur Jésus-Christ, qui étais-je ; moi, pour empêcher le dessein de « Dieu ? (17 »). C’est pour leur fermer complètement la bouche qu’il ajoute : « La même grâce ». Voyez-vous comme Dieu accorde à ces gentils les mêmes avantages qu’aux apôtres, aussitôt qu’ils ont cru. Dieu leur donne une grâce égale à celle qu’il nous communique, à nous qui avons cru clans le Seigneur ; Dieu se charge lui-même de les purifier. Et l’apôtre ne dit pas : la même grâce qu’à vous, mais « Qu’à nous » ; manière d’adoucir son discours. Qu’avez-vous donc à vous indigner, puisque nous nous rangeons nous-mêmes parmi vous ? « Ayant entendu ces paroles, ils s’apaisèrent, et glorifièrent Dieu, en disant : Dieu a donc aussi fait part aux gentils du don de la pénitence ; qui mène à la vie (18) ? » Voyez-vous comme tout s’explique et s’apaise par suite du discours de Pierre, qui raconte exactement ce qui est arrivé ? Les voilà donc glorifiant Dieu, qui accordait aussi la pénitence aux gentils, et voilà en même temps ces Juifs humiliés par ces discours. À partir de ce moment, la porte est ouverte aux gentils. Mais, si vous le voulez bien, reprenons plus liant. Le texte ne dit pas que c’était Pierre qui disputait ; mais : « Les circoncis ». En effet, Pierre savait bien ce qui se préparait. Il y avait lieu d’admirer que les gentils fussent arrivés à la foi. Néanmoins, quand les Juifs entendirent que les gentils avaient cru, ils ne s’émurent point ; ce qui les indignait, c’est que Dieu leur eût accordé l’Esprit ; c’est, lorsque Pierre racontait sa vision, ce qu’il disait : Dieu m’a montré qu’il n’y a aucun homme qui soit impur et souillé. Pierre le savait déjà auparavant ; aussi prépara-t-il son discours dans l’intérêt des gentils, pour montrer qu’il n’y avait plus de gentils, dès que la foi les avait saisis. Il n’y a rien d’étonnant qu’ils aient reçu l’Esprit avant le baptême ; la même chose est arrivée de notre temps. Pierre montre ici qu’ils n’ont pas été baptisés comme les autres, mais bien ; mieux. Les choses sont donc disposées avec une parfaite sagesse, de manière due les Juifs, réduits au silence, regardent les gentils comme leurs égaux. « Et ils le prièrent », dit le texte, « de rester ». Avez-vous bien compris les mauvaises dispositions des Juifs ? Voyez-vous quel zèle pour la loi ? Ne respectant ni la dignité de Pierre, ni les signes qui avaient paru, ni un si grand ouvrage, ni ce prodige de conversion, ils disputaient sur de petites choses. Si, en effet, rien de ce que vous avez vu pour la défense de Pierre ne se fût manifesté, Pierre n’aurait pas assez fait. Mais Pierre ne se défend pas par ces règles étroites ; c’était un homme sage, ou plutôt ses paroles ne venaient pas do sa sagesse à lui, ruais de l’Esprit, et, dans sa défense, il ne s’attribue rien à lui-même, il attribue tout à Dieu. Il leur dit presque : C’est Dieu qui a fait que j’eusse un ravissement ; moi j’étais simplement en prière ; c’est Dieu qui m’a montré cette nappe ; moi, je lui faisais des réponses contraires ; Dieu m’a encore répondu, et moi, je ne l’entendais pas encore ; « Et l’Esprit me dit d’aller » ; et, eu allant, je ne courais pas ; j’ai dit que c’était Dieu (lui m’envoyait ; et cependant ce n’est pas moi en suite qui ai baptisé ; mais c’est Dieu encore qui a tout fait. Ainsi, en réalité, c’est Dieu qui les a baptisés, ce n’est pas moi. Et Pierre ne dit pas : Après tout ce qui était arrivé, ne fallait-il pas ajouter l’eau, qui manquait encore ? Non : comme si rien n’eût manqué au baptême. « Qui étais-je », dit-il, « pour empêcher le dessein de Dieu ? » Ah ! quelle manière de se défendre ! En effet, il ne leur dit pas maintenant que vous êtes renseignés, apaisez-vous ; mais que leur dit-il ? il soutient leur assaut ; on l’accuse, il se justifie. « Qui étais-je pour empêcher le dessein de Dieu ? » Défense éloquente et efficace ; je ne pouvais pas empêcher ; de sorte qu’ils finirent par se tenir en repos et glorifier Dieu. 3. C’est ainsi que nous devons, nous aussi, dans les biens qui arrivent au prochain, glorifier Dieu, au lieu de proférer des paroles insultantes comme le font un grand nombre des nouveaux baptisés, quand ils en voient d’autres aussitôt après le baptême partir de cette vie. Il faut glorifier Dieu, même de ce qu’il ne permet pas de rester. Car, si vous le voulez, vous avez reçu, vous, un plus grand don, je ne parle pas du baptême (car l’autre le partage avec vous), mais vous avez reçu le temps d’ajouter à votre glorification. L’autre a revêtu la robe, et il ne lui a pas été permis de s’y distinguer ; mais, à vous, Dieu a donné un pouvoir considérable pour faire un noble usage de vos armes, pour les essayer ici-bas. L’autre s’en va, n’ayant que le salaire de la foi ; vous, vous restez dans le stade et vous pouvez recevoir beaucoup de récompenses pour vos œuvres, et paraître un jour surpasser cet autre, autant que le soleil surpasse la plus petite des étoiles, autant que le général surpasse le dernier des soldats ; disons mieux, de toute la différence entre le dernier des soldats et l’empereur. Donc n’accusez que vous-mêmes ; ou plutôt ne vous accusez pas, mais corrigez-vous toujours. Car il ne suffit pas d’accuser, il faut lutter. Vous êtes renversés ? Vous avez reçu de cruelles blessures ? Relevez – vous, rentrez en possession de vous-mêmes ; vous êtes encore sur le stade, vous êtes encore sur le théâtre. Ne voyez-vous pas combien de combattants, jetés par terre dans la mêlée, ont recommencé la bataille ? Seulement ne tombez pas volontairement, vous portez envie à celui qui est parti ? Félicitez-vous vous-mêmes bien plus que lui. Celui-là est affranchi du péché ; mais vous, vous n’avez qu’à vouloir, et, non seulement vous expierez vos fautes, mais, de plus, vous vous enrichirez de bonnes œuvres ; ce qui, pour l’autre, est impossible. Nous pouvons nous exciter nous-mêmes. Ils sont grands, les remèdes de la pénitence, que nul donc ne désespère. Il n’y a réellement de désespéré que celui qui désespère de lui-même ; celui-là ne peut plus attendre de salut. L’affreux malheur, ce n’est pas de tomber dans un abîme de maux, mais d’y rester étendu, après y être tombé ; l’impiété, ce n’est pas de tomber dans l’affreux abîme, mais d’y rester dans l’insouciance, après y être tombé. Est-ce ainsi que ce qui doit éveiller toutes vos inquiétudes, ne fait qu’ajouter à votre insouciance ? – Mais vous avez, dans votre chute, reçu tant de blessures ! – Aucune blessure de l’âme n’est incurable ; le corps en a d’incurables ; l’âme, pas une. Le corps est-il blessé, nous prenons mille soins qui nous fatiguent ; les blessures de l’âme nous laissent plein de nonchalance. Ne voyez-vous pas le peu de temps qu’il a fallu au larron pour tout réparer ? Ne voyez-vous pas le peu d’instants qui suffisent aux martyrs, pour consommer leur victoire ? Mais ce n’est plus le temps des martyrs ? Mais c’est toujours le temps des combats, je le redis sans cesse, nous n’avons qu’à vouloir. « Car ceux qui veulent », dit l’apôtre, « vivre dans la piété en Jésus-Christ, seront persécutés ». (2Ti 3,12) Ceux qui vivent dans la piété subissent toujours la persécution, si non de la part des hommes, au moins de la part des démons ; persécution plus terrible que toutes les autres. Et d’abord la persécution qui vient de la négligence. La croyez-vous donc à mépriser la persécution que produit la négligence, le plus terrible des fléaux, mal plus funeste que ce qu’on appelle la persécution ? Comme une eau courante, la négligence détrempe l’âme ; ce qu’est l’hiver comparé à l’été, voilà la négligence comparée à la persécution. Et ce qui prouve combien est plus détestable la persécution de la négligence, c’est qu’elle jette l’âme dans l’assoupissement ; c’est qu’elle l’engourdit dans le relâchement et l’indolence, c’est qu’elle éveille toutes les passions ; elle arme l’orgueil, elle arme la volupté, elle arme la colère, l’envie, la vaine gloire, la basse jalousie. Dans la persécution ordinaire, aucune de ces passions ne saurait nous troubler ; la terreur qui envahit l’âme écarte, pour ainsi dire, de son fouet, le chien aboyant ; empêche tout grondement des mauvais instincts. Qui donc, dans la persécution, se livre à la vaine gloire ? qui donc cède à la volupté ? Personne. Le tremblement, l’épouvante opère la tranquillité, prépare le port où l’on goûte la paix, dispose l’âme à la piété. J’ai entendu dire à nos pères (je ne désire pas que notre âge subisse cette épreuve, car il nous est défendu de désirer les tentations), qu’autrefois c’était au sein de la persécution que l’on pouvait voir de vrais chrétiens. Car nul alors ne s’inquiétait de fortune, de femme, d’enfants, de famille, de patrie ; tous n’avaient qu’un désir unique, le salut de leur âme. Ou se cachait, les uns, dans les tombeaux, dans les sépultures ; les autres, dans les solitudes. Et non seulement des hommes, mais des femmes tendres et délicates allaient y chercher une retraite pour y lutter sans cesse avec la faim. Eh bien, je vous le demande, pensait-elle beaucoup à la vie somptueuse, pensait-elle aux délices, aux plaisirs, cette femme cachée dans un tombeau, attendant la servante qui lui apportait son repas, ayant peur d’être prise, et demeurant dans ce tombeau comme dans un four ? Désirait-elle les délices de la vie ? Savait-elle seulement qu’il y a une vie délicieuse, qu’il y a un monde ? Ne comprenez-vous pas que si la persécution est terrible, c’est lorsque nos passions s’élancent Burnous comme des bêtes fauves ? C’est, n’en doutez pas, c’est lorsqu’on s’imagine qu’il n’y a pas de persécution ; c’est alors assurément que la persécution doit frapper d’épouvante. Et ce qui rend cette guerre redoutable entre toutes, c’est que l’on se croit en paix. Nous ne prenons pas les armes, nous ne sommes pas debout, pour repousser l’ennemi ; personne n’a peur, personne ne tremble. Si vous ne me croyez pas, demandez aux gentils, qui nous persécutent ; quand le christianisme était-il le plus prospère ? Quand les chrétiens se sont-ils couverts de plus de gloire ? C’est quand ils étaient en petit nombre. C’est qu’alors aussi les âmes étaient riches en vertus. Qu’importe, répondez-moi, l’abondance d’une herbe inutile, quand on peut la remplacer par des pierres précieuses ? Ce n’est pas la multitude, c’est l’éclat de la vertu qui seul a du prix. Élie était seul, mais le monde n’était pas digne de lui. Le monde renferme des milliers de milliers d’êtres, mais ces milliers d’êtres ne sont rien, puisque tous ces êtres ensemble n’en valent pas un. « Mieux vaut un seul homme faisant la volonté du Seigneur, que mille adonnés à l’injustice ». (Sir 21,3) C’est ce qu’un sage insinue encore par ces paroles : « Ne désirez pas la multitude des fils inutiles ». (Id. 1) Ils servent uniquement à provoquer contre Dieu plus de blasphèmes que s’ils n’étaient pas chrétiens : Qu’ai-je besoin de la multitude ? aliment plus considérable pour le feu de l’enfer. Vous apprendriez de votre corps la même vérité, il vous dirait que mieux vaut une nourriture modérée, et la santé, que des mets délicats, et la maladie. La première nourriture est préférable à l’autre ; la première est une nourriture, l’autre est un poison. La guerre encore enseignerait la même chose, savoir : que mieux vaut une dizaine d’hommes résolus, et expérimentés, que des milliers de gens ne sachant rien faire. Ceux-ci, non seulement ne combattent pas, ils gênent les combattants. La navigation vous dit encore : mieux vaut n’être que deux matelots habiles, qu’une foule innombrable sans habileté. Cette troupe innombrable fera sombrer le navire. 4. Ce que j’en dis, ce n’est pas par aversion contre vous, contre ce peuple innombrable, mais je voudrais vous voir tous hommes, d’une vertu éprouvée, et vous défiant du grand nombre. Bien plus nombreux sont ceux qui tombent dans la géhenne, mais plus grande est la royauté du ciel, quoiqu’elle ait peu d’élus. La multitude du peule juif était comme le sable de la mer. Il n’y eut qu’un seul homme, pour sauver tout ce peuple : Le seul Moïse était plus puissant que tous les Juifs ; le seul Jésus était plus puissant que tant de milliers. Inquiétons-nous moins de rassembler des chrétiens nombreux, que des chrétiens véritables. Ayons de bons chrétiens et le grand nombre viendra aussi. Il n’est personne qui veuille tout de suite rendre sa demeure spacieuse ; on la veut d’abord solide et bien éprouvée ; ensuite on la rend spacieuse. Nul ne jette des fondations de manière à se rendre ridicule. Cherchons d’abord ce qui doit venir en premier lieu ; le reste viendra plus tard. Si nous réussissons d’abord, nous réussirons aussi après ; si nous n’avons pas d’abord ce qu’il nous faut, ce qui vient ensuite est inutile. Que l’Église possède ceux qui peuvent être sa gloire ; elle aura bien vite, en outre, la multitude. S’il lui manque des chrétiens dignes de la glorifier, jamais la multitude ne la glorifiera. Combien y en a-t-il, suivant vous, dans notre ville qui obtiendront leur salut ? Les paroles que je vais faire entendre sont pénibles, toutefois je les dirai : Parmi tant de milliers d’hommes, il n’y a pas cent chrétiens qui obtiendront leur salut. Et ceux-là même l’obtiendront-ils ? Je n’en sais rien. Quelle corruption, répondez-moi, parmi les jeunes gens ! Quel relâchement parmi les vieillards ! Nul ne s’inquiète d’élever son fils comme il devrait le faire ; nul, à la vue d’un vieillard, ne songe à l’imiter. Les modèles ont disparu, et voilà pourquoi il n’y a plus de jeunes gens que l’on puisse admirer. Ne me dites pas : nous formons une multitude ; réflexion d’hommes insensés. Et supposez que pour les hommes cette réflexion eût quelque valeur ; pour Dieu, qui n’a pas besoin de nous, elle n’en a plus. Mais, tenez, écoutez donc ce (: lui prouve que cette réflexion, même pour les hommes, est sans valeur : un homme a un grand nombre de serviteurs ; si ces serviteurs sont corrompus, que de maux ne souffrira-t-il pas ! Celui qui n’a pas même un serviteur, se trouve à plaindre de n’être pas servi ; mais celui qui a des serviteurs pervers, se précipite avec eux dans la perdition, et sa perte est plus déplorable. S’il est triste de n’avoir personne à son service, ce qui est bien plus triste, c’est d’avoir des ennemis, pour lutter contre eux, pour leur faire la guerre. Ce que je dis, c’est afin de prévenir l’admiration qui considère dans l’Église la multitude ; je voudrais nous voir tous jaloux de rendre cette multitude vertueuse, chacun de nous s’emparant d’un autre membre, dont il ferait son affaire personnelle ; chacun de nous, attirant au bien, non seulement ses amis, non seulement ses parents ; ce que je redis et redis sans cesse ; non seulement les voisins, mais encore les étrangers. Par exemple : on fait la prière et tous sont là pêle-mêle, jeunes gens, vieillards, qui n’ont rien dans la tête ; des balayures, et non des jeunes gens, riant, plaisantant, conversant, (je dis ce que j’ai entendu), ils sont à genoux, se renvoyant les uns aux autres des quolibets. Eh bien ! vous qui êtes là, jeune homme ou vieillard, à ce spectacle, réprimandez, et sévèrement, et, si l’on ne vous écoute pas, appelez le diacre ; menacez, faites ce qui dépend de vous. Et si l’on osait vous répondre par des violences, certes vous trouveriez des soutiens en foule. Qui donc aurait assez peu de raison pour ne pas partager votre colère contre de pareils désordres, pour refuser de se mettre de votre côté ? Sachez vous ménager, au sortir l’église le salaire de votre prière. Dans une maison de maître, les meilleurs serviteurs sont ceux qui tiennent le mieux tout en ordre. Vous verriez, dans une maison, un vase d’argent égaré, vous auriez beau n’être pas chargé d’en prendre soin, ne reporteriez-vous pas ce vase dans cette maison ? Je suppose un vêtement qui va se perdre, et peu vous importe à vous, et vous êtes l’ennemi de l’intendant de la maison ; cependant, comme vous aimez le maître, ne vous ferez-vous pas un devoir de lui reporter ce vêtement ? Eh bien, c’est à présent ce que je vous demande. Je vous parle de nos vases à nous. Si vous les voyez en désordre, rangez-les ; venez me trouver, je ne m’y oppose pas ; parlez-moi, avertissez-moi, je ne peux pas tout voir ; il faut me pardonner. Voyez la corruption dont la terre est infectée. Avais-je tort de dire que nous ne sommes qu’un amas d’herbes inutiles, une mer pleine de confusion ? Je ne dis pas que tous commettent de pareils désordres, mais tel est l’assoupissement répandu sur ceux qui entrent dans l’église, qu’ils ne préviennent rien, qu’ils ne redressent rien. Maintenant j’en vois d’autres qui continuent leurs conversations et restent debout pendant la prière ; d’autres comprennent mieux la décence, ce n’est pas seulement pendant la prière, mais quand le prêtre bénit. Est-ce pousser assez loin l’audace ? Espérez donc le saint l Com ment parviendrons-nous à apaiser Dieu ! Entrez dans une salle d’exercices et de jeux, vous verrez tout le monde formant un chœur bien ordonné, on n’aura rien négligé. De même que, dans, une lyre bien accordée, la variété des parties forme un tout harmonieux d’où résulte une symphonie ravissante, de même ici nous devrions, tous tant que nous sommes, nous unir, ne formant qu’un seul chœur d’une parfaite harmonie. Car nous ne sommes qu’une Église, nous ne sommes que les membres harmonieusement agencés d’une seule tête ; nous ne sommes tous qu’un seul corps ; négliger un membre quel qu’il soit, c’est négliger le corps entier, qui se meurt. Voilà comment le bon ordre du grand nombre est en péril par le désordre d’un seul. Et ce qu’il y a d’effrayant, c’est qu’ici vous ne venez pas à un divertissement, à une danse pour danser, et vous apportez le désordre ! Ignorez-vous donc que vous êtes avec les anges ? que c’est avec les anges que vous faites entendre vos chants et vos hymnes, et vous passez le temps à rire ! Si la foudre ne tombe pas, non seulement sur ces malheureux, mais sur nous, n’y a-t-il pas lied d’en être surpris ? car voilà qui est fait pour attirer la foudre. Le souverain est là ; son armée vous voit ; et vous, bravant tous ces regards, vous riez ou laissez rire ? Mais à quoi bon ces reproches ? à quoi bon ces réprimandes ? Ces fléaux, ces pestes, ces empoisonneurs infectant l’Église de mille souillures ; chassez-les. Quand s’abstiendront-ils de rire, ceux qu’on voit rire à l’heure redoutable ? Quand cesseront-ils de faire des plaisanteries, ceux qui prennent le temps de la bénédiction pour causer et converser ? Comment ! nul respect pour les assistants, nulle crainte de Dieu ! Eh quoi ! ne nous suffit-il pas du secret engourdissement de notre esprit, de la divagation de nos pensées dans la prière ? Y faut-il joindre encore l’indécence du rire et des plaisanteries ? Sommes-nous au théâtre ici ? Oui, c’est le théâtre, pour dire ce que j’en pense, qui produit tout cela ; en voilà les fruits : indiscipline et dérèglement. Ce que nous édifions ici, on le détruit là-bas : et ce n’est pas tout, ajoutez-y nécessairement encore l’infection de mille autres souillures. Supposez une place qu’on voudrait purifier, et, plus élevée que ce champ, une source y répandant de la vase ; plus vous purifiez la terre, et plus la vase la recouvre. C’est ce qui se montre ici. Ceux que les théâtres nous envoient souillés, nous les purifions, ils y retournent, et nous reviennent plus souillés encore : on dirait qu’ils ne vivent que pour accroître notre tâche ; ils nous viennent portant la corruption dans leurs mœurs, dans leurs gestes, dans leurs paroles, dans leur rire, dans leur nonchalance. Et nous, de notre côté, nous raclons ces ordures, et il semble que ce que nous voulons, c’est uniquement les purifier, pour les voir revenir avec plus de fumier. Aussi, je vous remets entre les mains de Dieu. Et je conclus, et je vous signifie, à vous qui êtes bien portants, que ce sera pour vous votre jugement, votre condamnation, que d’avoir vu ces désordres, ces conversations, surtout à une telle heure, sans avoir fait entendre votre voix pour avertir, pour corriger. Cette correction a plus de mérite que la prière même. Cessez de. prier, réprimandez ; ce sera pour le coupable un service, et pour vous un profit. Et ainsi nous pourrons tous, tant que nous sommes, être sauvés, et obtenir le royaume des cieux. Puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. Traduit par M. C. PORTELETTE.