‏ Acts 13

HOMÉLIE XXVII.

LORSQUE LE JOUR FUT VENU, L’AGITATION N’ÉTAIT PAS PETITE PARMI LES SOLDATS. QU’ÉTAIT DONC DEVENU PIERRE ? HÉRODE L’AVANT DEMANDÉ, ET NE LE TROUVANT PAS, FIT FAIRE UNE ENQUÊTE CONTRE LES GARDES, ET ORDONNA DE LE FAIRE MOURIR ; ET S’ÉLOIGNANT DE LA JUDÉE, IL ALLA DEMEURER A CÉSARÉE. (CHAP. 12, VERS. 18 ET 19, JUSQU’AU VERS. 4 DU CHAP. XIII)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Mort et châtiment d’Hérode, le persécuteur de saint Pierre.
  • 2 et 3. Avantage du jeûne. – Rien n’est plus douteux qu’une femme qui n’est pas sobre. – Honteux effets de l’intempérance.

1. Bien des gens demandent comment Dieu autrefois put supporter qu’on immolât les enfants à cause de lui, et laisser mettre à mort les soldats à cause de Pierre, lorsque cependant il eût pu les sauver avec l’apôtre. Nais si l’ange eût emmené les soldats avec Pierre, on eût pris le fait pour une évasion ordinaire. Pourquoi n’a-t-il pas disposé les choses autrement, dit-on ? En effet, quel malheur immérité ! Si nous considérions que ceux qui souffrent injustement n’éprouvent aucun dommage, nous ne demanderions pas cela. Pourquoi ne dites-vous pas aussi, à propos de Jacques pourquoi ne le délivra-t-il pas ? D’ailleurs, le temps de la Justice n’était pas venu encore, pour que chacun reçût ce qu’il méritait. Mais Pierre ne les avait pas jetés entre les mains d’Hérode. Ce prince était surtout chagrin d’avoir été joué comme son aïeul l’avait été de se voir trompé par les Mages ; c’était surtout un amer dépit d’être devenu un objet de risée. Il est bon d’entendre les paroles de l’écrivain. « Lorsque le jour fut venu », dit-il, « l’agitation fut grande parmi les soldats, pour savoir ce qu’était devenu Pierre. Hérode l’ayant réclamé, et ne le trouvant pas, fit une enquête contre les gardes et ordonna de les mettre à mort ». Il apprit d’eux (car il fit une enquête) qu’il avait laissé ses chaînes et qu’il avait pris ses sandales, et que jusqu’a cette nuit il avait été avec eux. Mais que cachèrent-ils ? Pourquoi n’avaient-ils pas pris la fuite eux-mêmes ? Il dut être étonné, il dut être frappé de stupeur. Du reste leur mort fait éclater à la fois et le prodige divin et la malice d’Hérode. Mais voyez comment l’auteur ne cache rien, et comme il mentionne un fait historique afin de nous instruire. Il dit donc ensuite : « Descendant de la Judée, Hérode demeura à Césarée. Hérode était irrité contre les Tyriens et les Sidoniens. Ils vinrent ensemble vers lui, et ayant gagné Blastus, le chambellan du roi, ils lui demandèrent la paix parce que leur pays tirait sa subsistance des terres du roi. Au jour fixé, Hérode, revêtu de son manteau royal, et assis sur son tribunal, les harangua ; le peuple criait : C’est la voix d’un dieu et non celle d’un homme. Mais l’ange du Seigneur le frappa tout à coup, parce qu’il ne rendait pas gloire à Dieu, et il expira dévoré par les vers. Mais la parole de Dieu grandissait et se multipliait (20-24) ».

C’est là un grand événement. La vengeance divine le frappe tout à coup, bien qu’elle ne l’ait pas atteint à cause de Pierre, mais à cause de son orgueilleux discours. Mais si le peuple l’acclame, dira-t-on, quel est en cela son crime ? C’est d’avoir reçu ces acclamations comme s’en trouvant digne. Grande leçon pour ceux qui font de téméraires flatteries. Remarquez que les uns et les autres sont dignes de châtiment ; mais lui seul est frappé. Le temps du jugement n’est pas venu encore, mais Dieu frappe le plus coupable, et épargne les autres, afin qu’ils profitent de l’exemple. « Et la parole de Dieu, disent les Actes, croissait et se multipliait », c’est-à-dire, après cet événement. Voyez-vous la providence de Dieu ? « Barnabé et Paul retournèrent à Jérusalem, après avoir accompli leur ministère ; ils prirent avec eux Jean surnommé Marc (25). Il y avait dans l’Église qui était à Antioche, des prophètes et des docteurs, Barnabé, Siméon, surnommé Niger, Lucius de Cyrène, Manahen, frère de lait d’Hérode le Tétrarque, et Paul ». (Chap 13,1) L’auteur nomme encore Barnabé le premier : Paul, en effet, n’était pas encore célèbre, et n’avait fait aucun prodige. « Pendant qu’ils servaient le Seigneur a et qu’ils jeûnaient, l’Esprit-Saint dit : Mettez-moi à part Barnabé et Paul, pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés. Alors après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les congédièrent (2 et 3) ». Que veut dire : « Servaient le Seigneur ? » Cela veut dire « Prêchaient. Mettez-moi à part Barnabé et Paul ». Que veut dire. « Mettez-moi à part ? » Pour l’œuvre, pour l’apostolat. Remarquez par qui se fait l’ordination : par Lucius de Cyrène et Manahem, ou plutôt par l’Esprit-Saint. La grâce de Dieu se montre d’autant plus clairement que les personnes sont moins grandes. Enfin Paul est ordonné pour l’apostolat, afin qu’il prêche avec autorité. Comment donc Paul dit-il : « Non par les hommes, ni par le moyen des hommes ? » Il dit : Non par les hommes, pour montrer qu’aucun homme ne l’avait ni appelé ni amené ; il dit : « Par le moyen des hommes », pour signifier que nul ne l’a envoyé, si ce n’est l’Esprit-Saint. C’est pour cela, que l’auteur ajoute : « Ceux-ci, ayant donc été envoyés par l’Esprit-Saint, descendirent à Séleucie, et de là naviguèrent vers Chypre (4) » : Mais revenons au commencement de notre texte : « Le jour étant venu, l’agitation fut grande parmi les soldats, à cause de Pierre ; Hérode fit une enquête contre les soldats, et ordonna de les faire périr ». Il fut tellement dépourvu de bon sens, qu’il osa punir injustement. Voici que je défends leur cause. Les chaînes étaient là, les gardes étaient à l’intérieur, la prison était fermée, nulle part la muraille n’était percée ; tous disaient : Cet homme a dû être enlevé ; pourquoi les condamnez-vous ? S’ils eussent voulu le délivrer, ou bien ils l’auraient délivré plus tôt, ou bien ils seraient partis avec lui. – Mais ils ont reçu de l’argent ? – Comment celui qui n’en avait même pas à donner à un pauvre, leur en aurait-il donné ? En effet les chaînes n’étaient ni brisées ni déliées. Il fallait comprendre que le fait venait de Dieu et non des hommes. En suite l’auteur rapportant un fait historique, il donne les noms pour montrer la vérité de ce qu’il rapporte. « Et ayant gagné Blastus, chambellan du roi », disent les Actes, « ils demandaient la paix ». Ils agissent ainsi à cause de la famine. « Au jour fixé, Hérode s’assit sur son tribunal et fit un discours, « Aussitôt l’ange du Seigneur le frappa, et, dévoré par les vers, il expira ».

2. Josèphe dit qu’Hérode fut atteint d’une longue maladie. Beaucoup ignoraient donc le fait raconté par saint Luc. Au reste, l’ignorance où ils étaient avait encore son utilité, car ils attribuaient le malheur d’Hérode à la mort de Jacques et au meurtre des soldats. Remarquez que lorsqu’il fit périr l’apôtre, il ne fit rien de semblable ; mais lorsqu’il eut fait périr les soldats, il devint taciturne, il est dans la perplexité, la honte le poursuit, il descend de la Judée et va à Césarée. Il me semble que, voulant aussi mettre à mort les apôtres, il vint à Césarée pour en faire son apologie. Il était furieux contre eux lorsqu’il courtisait les Césaréens, Voyez comme cet homme était avide de vaine gloire. Devant leur accorder une faveur, il le harangua. Josèphe dit qu’il portait une splendide robe d’argent. Remarquez aussi combien ce peuple est flatteur, et quel est le bon sens des apôtres. Celui que la foule entière acclamait, ils le méprisaient. Ils purent respirer de nouveau, et des biens sans nombre furent le résultat de la punition d’Hérode. Si cet homme, pour avoir entendu cette parole : « La voix d’un dieu et non celle d’un homme », fut ainsi frappé quoiqu’il n’eût rien dit, combien plus eût dû souffrir le Christ, s’il n’avait été Dieu, le Christ, qui disait sans cesse : « Mes paroles ne sont pas les miennes » ; et « mes serviteurs combattraient », et tant de choses semblables. Hérode termina sa vie d’une façon honteuse et misérable, et il n’est rien resté de lui d’éclatant. Remarquez aussi comme il est persuadé par Blastus ; avec quelle facilité ce malheureux homme est emporté par la colère et aussitôt s’apaise ; à quel point il est l’esclave du peuple et ne jouit d’aucune liberté. Considérez aussi l’autorité de l’Esprit-Saint. « Pendant qu’ils servaient le Seigneur et qu’ils jeûnaient », dit l’auteur, « le Saint-Esprit leur dit : Mettez-moi à part Barnabé et Paul ». Eût-il osé, s’il n’eût joui de la même puissance que le Père et le Fils, dire ces paroles ? Ceci a lieu pour que ces apôtres ne demeurent plus tous ensemble. L’Esprit-Saint voit qu’ils sont plus forts et qu’ils peuvent suffire à un plus grand nombre. Comment leur parla-t-il ? Peut-être par les prophètes. C’est pour cela qu’il est dit auparavant qu’il y avait des prophètes ; ils jeûnaient et servaient Dieu, pour nous apprendre qu’ils eurent besoin d’une grande sobriété. Il est ordonné à Antioche où il prêche. Pourquoi l’Esprit-Saint ne dit-il pas Mettez à part pour le Seigneur, mais « pour « moi ? » Pour, montrer l’unité de puissance et d’autorité.

Remarquez-vous l’importance du jeûne ? Il montre que l’Esprit-Saint fait toutes choses. C’est un grand bien que le jeûne. Il n’est circonscrit par aucune limite. Lorsqu’il faut ordonner, ils jeûnent ; et alors l’Esprit leur parle. Le jeûne n’est pas cela seulement, mais s’abstenir des délices est une sorte de jeûne aussi. 1e ne commande que celui-ci : Ne jeûnez pas, mais abstenez-vous des délices. Recherchons la nourriture, mais non la corruption ; cherchons la nourriture, mais non pas ce qui est la source des maladies de l’âme et du corps ; recherchons la nourriture qui procure quelque plaisir, non les délices, qui sont une source d’incommodité ; c’est cela qui est délice, ceci est une véritable peste ; cela est joie, ceci chagrin ; l’un est dans la nature, et l’autre lui est opposé. Si quelqu’un vous donnait à boire de la ciguë, ne serait-ce pas contre nature ? Si l’on vous servait du bois et des pierres, ne les repousseriez-vous pas ? Et avec raison, car c’est contre nature. Ainsi sont les délices De même que dans une ville, pendant un siégé, il y a tumulte et agitation quand les ennemis s’y introduisent ; ainsi en est-il pour l’âme quand le vin et la bonne chère s’en emparent. « Pour qui les malédictions ? pour qui les ennuis et les vaines paroles ? pour qui « le jugement, si ce n’est pour ceux qui passent « leur temps à boire ? Pour qui les yeux livides ? » (Pro 23,29-30) Mais quoi que nous disions, nous n’éloignerons pas de la bonne chère ceux qui y sont adonnés, si nous n’attaquons pas une autre maladie.

Et d’abord parlons des femmes. Rien de plus honteux qu’une femme adonnée aux plaisirs de la table, rien de plus hideux que celle qui s’enivre. La fleur de son visage se fane, la sérénité et la douceur de ses yeux se trouble ; c’est comme un nuage qui passe sous le soleil et en intercepte les rayons. Elle devient une chose ignoble, servile et couverte de toutes les ignominies. Combien est désagréable la respiration d’une femme exhalant l’odeur puante du vin, vomissant des viandes corrompues, alourdie et ne pouvant se soulever, rouge plus qu’il ne convient, et prise de vertiges et de bâillements répétés. Mais telle n’est – pas la femme qui s’abstient de ces plaisirs : elle imprime le respect, elle est sage et belle. Une âme bien réglée communique au corps une grande beauté ; ne croyez pas, en effet, que la beauté ne vienne que des formes corporelles. Prenez une jeune fille bien faite, mais turbulente, bavarde, médisante, adonnée au vin, coquette, ne devient-elle pas plus laide que la plus difforme ? Au contraire, qu’elle soit modeste et discrète, qu’elle sache rougir, ne parler, qu’avec mesure, et jeûner ; dès lors sa beauté est doublée, sa grâce devient plus grande, son visage plus agréable par la chasteté et la décence dont il est orné. Voulez-vous que nous parlions maintenant des hommes ? Quoi de plus hideux que l’ivrogne ? Il est la risée de ses serviteurs, la risée de ses ennemis, la pitié de ses amis, le digne objet de mille blâmes, une bête plutôt qu’un homme ; car se repaître à l’excès appartient au léopard, au lion, à l’ours. C’est convenable pour eux ; ils n’ont pas une âme raisonnable. Et même, chez ces animaux, lorsqu’ils se repaissent outre mesure et plus que ne le veut la nature, le corps entier se corrompt. Combien plus en est-il ainsi pour nous ? C’est pour cela que, Dieu nous a donné un petit estomac ; c’est, pour cela qu’il nous a fixé une petite mesure de nourriture, afin de nous enseigner à soigner notre âme.

3. Étudions la constitution même, de notre corps, et nous verrons qu’une petite partie de noire être est consacrée à cette opération, La bouche et la langue sont destinées aux hymnes, notre gorge à la, parole. La nécessité de la nature nous a ainsi liés, afin que nous ne puissions, même malgré nous, tomber dans un grand, embarras d’affaires. Si les délices de la table n’étaient la source de tant de peines, de maladies et d’indispositions, elles seraient supportables. Mais les bornes imposées à, la nature sont faites de telle sorte que, même en le voulant, nous, ne puissions les dépasser. Recherchez-vous le plaisir, mon cher auditeur ? Vous le trouverez dans la frugalité. La santé ? C’est encore là qu’il vous faut la chercher. La quiétude ? Vous ne, la rencontrerez que là. La liberté, la vigueur du, corps, sa bonne constitution, la sagesse de l’âme, la vigilance ? Tous les biens naissent de la frugalité. Dans la bonne chère se trouvent les choses contraires : l’aigreur, la langueur, la, maladie, la bassesse et la prodigalité. D’où vient donc, direz-vous, que tous nous courons à la bonne chère ? Cela vient de ce que nous sommes malades. En effet, dites-moi pourquoi la malade recherche-t-il, ce qui est nuisible ? N’est-ce pas là encore un signe de maladie ? Pourquoi, le boiteux ne marche-t-il pas droit ? N’est-ce pas à cause de sa nonchalance, et parce qu’il ne veut pas aller au médecin ? Parmi les choses de ce inonde, les unes procurent une joie passagère, et sont la cause d’un châtiment éternel ; les autres, au contraire, causent des souffrances passagères, et, procurent une joie, sans fin. Celui donc qui est assez lâche et, nonchalant pour ne pas mépriser les joies présentes, afin de gagner les biens futurs, est promptement séduit. Dites-moi, comment fut séduit, Esaü ? D’où vient qu’il préféra une joie passagère à l’honneur à venir ? cela vint de la mollesse et de la faiblesse de son esprit. Mais cela même d’où vient-il ? direz-vous. Cela provient de nous-mêmes, et évidemment de là. Lorsque nous le voulons, nous nous excitons, nous-mêmes, et nous devenons tempérants. Toutes les fois, qu’une nécessité survient, ce n’est, qu’en faisant des efforts que nous parvenons à voir et à embrasser ce qui est bien. Lors donc que vous devrez vous livrer à la bonne chère, songez combien est court le plaisir qu’on y trouve, songez au dommage qui en résulte (car c’est un véritable dommage de dépenser tant de richesses pour son, propre malheur), songez, aux maladies, aux, infirmités, et méprisez la bonne chère. Combien voulez-vous que j’énumère d’hommes devenus victimes de la gourmandise ? Noé s’enivra et resta nu ; et que de maux à cause de cela ! Esaü, par gloutonnerie, livra son droit d’aînesse, et il fut sur le point de commettre un fratricide. « Le peuple d’Israël s’assit pour boire et pour manger, et ils se levèrent pour jouer ». (Exo 32,6) : C’est pour cela qu’il est dit : « En buvant et en mangeant, souvenez-vous du Seigneur votre Dieu ». (Deu 6,2) Ceux qui se plongèrent dans la bonne chère, tombèrent dans l’abîme. « La veuve, qui vit dans le luxe », dit l’Écriture, « est morte, quoique vivante » (1Ti 5,6) et ailleurs : « Le bien-aimé s’engraissa, il s’appesantit, et se révolta ». (Deu 32,16) Et l’apôtre dit encore : « Ne cherchez pas à contenter les désirs de la chair ». Je ne fais pas une loi du jeûne (personne : ne me comprendrait), mais je repousse les délices ; excessives, je blâme la bonne chère pour, votre utilité. De même qu’un torrent, les délices renversent, tout ; rien ne saurait leur résister : elles renversent les trônes. Que dirai-je de plus ? Voulez-vous faire bonne chère ? Donnez aux pauvres ; appelez le Christ, afin d’être encore dans les délices lorsque la table sera enlevée. Vous n’avez pas maintenant, cet avantage ; je le crois, bien ; les choses d’ici-bas s’ont, si peu stables. Mais plus tard vous l’aurez. Vous voulez faire bonne chère ? Nourrissez votre âme, donnez-lui la nourriture dont elle a besoin. Ne la tuez pas par la faim. C’est le temps de la, guerre, c’est le temps du combat ; et vous vous asseyez pour faire bonne chère ! Ne voyez-vous pas ceux qui tiennent le sceptre, vivre frugalement à l’armée ? « Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang » (Eph 6,1), et vous vous engraissez lorsqu’il faut combattre ? L’ennemi, grinçant des dents est là, et vous êtes plongé dans la mollesse et attaché à la table. Je sais que je parle en vain, mais pas pour tous. « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ». Le Christ est desséché par la faim, et vous, crevez des suites de votre gourmandise. Ce sont deux excès. Quel mal ne causent pas les délices de la table ? Elles portent en elles leurs contraires : Je ne vois pas d’où elles ont pris ce nom. Mais de même que la gloire et la richesse sont ainsi nommées quoiqu’elles ne soient que misère et pauvreté, de même le plaisir de la table porte ce nom quoiqu’il ne soit qu’amertume. Devons-nous être immolés, que nous nous engraissons nous-mêmes ? Pourquoi préparez-vous aux vers un festin si copieux ? Pourquoi préparez-vous une masse plus abondante de corruption ? Pourquoi déposez-vous en vous des sources d’humeurs et d’odeurs fétides ? Pourquoi vous rendez-vous vous-même inutile en tout ? Voulez-vous que l’œil soit bon ? Rendez le corps robuste. Parmi les cordes d’instrument, celle qui est grasse et souillée est inutile pour la mélodie ; celle, au contraire, qui est partout bien tendue, est tout à fait harmonieuse. Pourquoi enterrez-vous l’âme ? Pourquoi rendez-vous sa muraille plus épaisse ? Pourquoi épaissir le nuage de fumée qui vous aveugle, car de la bonne chère s’élèvent de toutes parts comme des vapeurs et des brouillards. A défaut d’autres, les athlètes vous enseigneront qu’un corps plus grêle est plus robuste. Ainsi l’âme adonnée à la philosophie est plus forte. Je la compare à un écuyer sur son coursier. Or, il est d’expérience que les chevaux trop gras donnent beaucoup de peine aux écuyers, et qu’ils sont difficiles à manier. Ce qu’on souhaite, c’est que l’écuyer monté sur un cheval vigoureux et docile remporte le prix de la course. Mais donnez à un écuyer un cheval qu’il soit obligé de traîner, qui tombe mille fois sous lui, et qu’il ne puisse exciter même en se servant de l’éperon, si habile que soit cet écuyer il n’obtiendra pas la panne. Ne négligeons pas notre âme, ne la laissons pas opprimer par le corps ; mais au contraire rendons-la plus clairvoyante ; rendons son aile légère, ses, liens plus larges. Nourrissons-la de saintes paroles et de frugalité : ainsi notre corps sera robuste, et notre âme sera dans la joie, sera exempte de peine : et après avoir ainsi réglé convenablement notre existence, nous pourrons atteindre au sommet de la vertu, et jouir des biens éternels par la grâce et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit, pour le Père et l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVIII.

CEUX-CI DONC ENVOYÉS PAR L’ESPRIT-SAINT, DESCENDIRENT A SÉLEUCIE, ET DE LÀ ILS NAVIGUÈRENT VERS CHYPRE. ÉTANT ARRIVÉS À SALAMINE, ILS ANNONÇAIENT LA PAROLE DE DIEU DANS LES SYNAGOGUES DES JUIFS. ILS AVAIENT AUSSI JEAN POUR MINISTRE. (CHAP. 13,4, 5, JUSQU’AU VERS. 16)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Discours de saint Paul aux habitants d’Antioche de Pisidie. – Commentaire sur la véritable mission de Jésus comme Messie : Témoignage de David, de Jean-Baptiste. – Vanité de la loi Mosaïque depuis la venue de Jésus.
  • 3. De la piété. – Inutilité d’écouter les instructions si on n’en profite pas pour avancer dans la vertu.
  • 4. Remèdes contre les vices, tirés de l’Écriture sainte : Contre la colère, l’orgueil. – L’Écriture fournit des exemples de toutes les vertus. – Un seul vice suffit pour se perdre. – Manière de dompter ses passions en s’y exerçant.

1. Remarquez que Barnabé cède le pas à Paul ; comme Jean le cède partout à Pierre. Barnabé avait amené. Paul de Damas, il était plus vénérable que lui ; mais les apôtres ne considéraient que l’avantage commun. « Paul s’étant levé et ayant fait signe de la main pour imposer silence ». C’était l’usage des Juifs. C’est pour cela qu’il s’adresse ainsi à eux. Remarquez comme il fraie la route à la parole : il les loue d’abord, et leur montre le grand intérêt, qu’il leur porte en disant : « Qui craignez Dieu ». Ensuite il commence son discours. Il ne dit pas les prosélytes ; c’était un nom malheureux. « Le Dieu de ce peuple a choisi nos pères ». Voyez, il appelle, lui aussi, comme Étienne, le Dieu commun des hommes, leur Dieu particulier, et leur montre les immenses bienfaits qu’ils ont reçus autrefois. Les apôtres agissent ainsi, pour faire comprendre aux Juifs que Dieu, en leur envoyant son Fils, n’a fait que mettre le comble aux bienfaits dont il les a toujours comblés. Exprimant la même pensée que le Christ dans la parabole de la vigne (Luc 20,13), il dit : « Il a exalté le peuple pendant son séjour dans la terre d’Égypte, et par la puissance de son bras, il l’a tiré de cette terre ». Cependant le contraire était arrivé
C’est-à-dire, si je ne me trompe, Dieu les tira de l’Égypte pour les conduire dans la terre promise ; mais le contraire arriva à cause de leur iniquité, car ils périrent presque tous dans le désert.
, mais ils devinrent nombreux, et des prodiges furent faits en leur, faveur. Les prophètes rappellent toujours le souvenir de ce qui s’est passé en Égypte. Remarquez que Paul passe sous silence les événements malheureux, ne parle point des sujets de plainte de Dieu, mais seulement des bienfaits de la bonté divine, les laissant réfléchir sur les autres événements. « Et pendant quarante années il les nourrit dans le désert ». Et ensuite il aborde le sujet de la terre promise, et il dit : « Et ayant détruit sept peuples dans la terre de Chanaan, il leur donna en héritage la terre de ces peuples (19) ». Puis un longtemps, quatre cent cinquante ans s’écoulèrent : « Et ensuite pendant quatre cent cinquante ans il leur donna des juges jusqu’au prophète Samuel (20) ». Il leur montre par là que Dieu a pourvu de diverses manières à leur gouvernement. « Ensuite ils demandèrent des rois ». Il ne parle pas de leur ingratitude ; mais partout de la bonté de Dieu. « Et Dieu leur donna Saül, fils de Cis, homme de la tribu de Benjamin, pendant quarante ans (21). Et après l’avoir rejeté, il suscita pour roi, David, fils de Jessé, à qui il rendit ce témoignage : J’ai trouvé David, fils de Jessé, homme selon mon cœur, qui accomplira mes volontés (22) ». Cela est important, puisque le Christ sortait de David. Puis il montre Jean rendant témoignage au Christ, et il dit : « De sa race, Dieu a suscité suivant sa promesse le sauveur d’Israël, Jésus ; et Jean a prêché, en vue de sa venue, le baptême de la pénitence à, tout le peuple d’Israël. Lorsque Jean remplissait sa course, il disait : Qui croyez-vous que je sois ? Je ne suis pas celui que vous pensez, mais voici qu’il vient après moi celui dont Je ne suis pas digne de dénouer les souliers (23-26) ». Et Jean ne rend pas simplement témoignage, mais il éloigne de lui la gloire, quoique tous la lui attribuent. Ce n’est pas la même chose de repousser la gloire que nul ne vous donne, et de la repousser quand tous vous la décernent ; et cela non pas par un simple refus, mais avec une si grande humilité. « Hommes, mes frères, fils de la race d’Abraham, et ceux qui parmi vous craignent Dieu, le Verbe du salut vous a été envoyé. Ceux qui habitaient Jérusalem, et leurs princes, ne l’ont pas reconnu ; et les paroles des prophètes qu’on lit tous les jours de sabbat, en le condamnant, ils les ont accomplies. Et ne trouvant aucune cause de mort contre lui, ils ont demandé à Pilate de le faire mourir (26-28) ». Partout les apôtres s’appliquent à montrer que le Christ est leur bien particulier, dupeur que, le considérant comme un objet étranger, ils ne s’éloignent de lui, surtout après qu’ils l’ont crucifié. « Ne l’ayant pas reconnu » ; dit-il, de sorte que c’était un péché d’ignorance. Voyez comme il les excuse avec douceur. Mais cela ne suffit pas, il établit encore qu’il devait en être ainsi. Et pour que personne ne dise : Comment est-il prouvé qu’il est ressuscité ? Paul dit encore : « Ils sont ses témoins ».

Il le prouve ensuite, par les Écritures : « Lorsqu’ils eurent accompli tout ce qui a été écrit de lui, on le descendit de la croix, et on le mit dans un tombeau. Mais bien l’a ressuscité d’entre les morts le troisième jour, et il a été vu pendant un grand nombre de jours par ceux qui étaient venus avec lui de la Galilée à Jérusalem ; ils sont ses témoins devant le peuple. Et nous, nous vous annonçons la promesse quia été faite à nos pères car Dieu l’a accompli pour nous, leurs fils, et il a ressuscité Jésus, suivant qu’il est écrit dans le psaume deuxième : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui. Et pour montrer qu’il l’a ressuscité d’entre les morts, et qu’il ne doit, point retourner dans la corruption ; il dit : J’accomplirai les saintes promesses que j’ai faites à David. C’est pour cela aussi qu’il est dit dans un autre endroit : Vous ne permettrez pas que votre saint voie la corruption. David, après avoir établi la volonté de Dieu dans sa propre génération, s’est endormi, et a été réuni à ses pères, et a vu la corruption ; mais celui que le Seigneur a ressuscité n’a point vu la corruption ». Voyez avec quelle hardiesse Paul parle. Pierre n’a jamais dit cela. « Sachez donc, hommes mes frères, que par ce Jésus nous est annoncée la rémission de nos péchés, et quiconque croit en lui est justifié de tout ce dont vous n’avez pu être justifiés dans la loi de Moïse ». Ensuite il ajoute cette terrible parole : « Prenez donc garde qu’il ne vous arrive ce qui est dit dans les prophètes : Voyez, contempteurs, considérez, admirez et disparaissez, car je fais en vos jours une œuvre que vous ne voudrez pas croire, si quelqu’un vous la raconte (29-41) ».

2. Voyez comme Paul compose le tissu de son discours avec les faits actuels, les prophéties et la race de promission. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : « Hommes mes frères, fils de la race d’Abraham ». Il les appelle par le nom de leur père. « La parole du salut vous a été envoyée ». Ce mot : « à vous », il ne le dit pas aux Juifs à l’exclusion des autres peuples, mais pour donner à ses auditeurs le moyen de se séparer de ceux qui ont osé faire mourir le Christ. Et cela est éclairci par ce qui suit : « En effet, ceux qui habitaient Jérusalem ne l’ont pas reconnu, et n’ayant point entendu les paroles des prophètes, lues tous les jours de sabbat dans les synagogues, ils les ont accomplies en le jugeant ». C’est une circonstance qui aggrave la faute de n’avoir pas fait attention à des paroles qu’ils entendaient souvent. Mais cela ne doit pas surprendre ; ce que l’apôtre a dit de la conduite de leurs pères en Égypte et au désert, était suffisant pour montrer l’ingratitude de ce peuple. Mais comment, dira-t-on, le méconnurent-ils, puisque Jean le leur signalait ? Faut-il s’en étonner, puisqu’ils l’ont méconnu malgré toutes les prophéties qui l’avaient si clairement et si hautement désigné. Ensuite vient une autre accusation : « Et n’ayant trouvé aucune cause de mort » ; ceci n’était pas le fait de l’ignorance. Admettons, en effet, qu’ils ne l’aient pas considéré comme le Christ, pourquoi le mettaient-ils à mort ? « Et ils demandèrent à Pilate de le faire mourir. Lorsqu’ils eurent accompli tout ce qui avait été écrit de lui, on le descendit de la croix et on le mit dans un tombeau ». Voyez le zèle que les Juifs déploient dans toute cette affaire. Paul indique le genre de mort, et introduit Pilate en cause, pour prouver clairement la passion du Christ par le tribunal qui la décida, et pour accuser en même temps plus fortement les Juifs qui ont livré Jésus à un étranger. Paul ne dit pas : ils l’accusèrent ; mais « ils demandèrent » qu’on le mît à mort, sans qu’on eût trouvé de crime de mort en lui, pour montrer qu’ils obtinrent cela comme une grâce de Pilate, qui ne voulait pas le faire mourir ; Pierre le dit plus ouvertement encore par ces paroles : « Pilate, jugeant qu’il devait être relâché ». (Act 3,13) Paul aimait beaucoup les Juifs. Remarquez qu’il ne s’arrête pas à l’ingratitude de leurs pères, mais il leur inspire la crainte à eux-mêmes. Étienne, au contraire, s’y arrête comme il lui convenait, à qui allait être mis à mort, qui ne voulait pas tant instruire les Juifs que leur montrer que la loi était abrogée.

Mais Paul ne parle pas de même, il se contente de les menacer et de les épouvanter. « Mais Dieu l’a ressuscité d’entre les morts. Il a été vu pendant un très-grand nombre de jours par ceux qui étaient venus avec lui de la Galilée à Jérusalem ». Voyez comment Paul, poussé par l’Esprit-Saint, leur rappelle à tout propos la passion et le tombeau du Christ. « Et nous vous annonçons, leur dit-il, la promesse qui a été faite à nos pères » ; c’est-à-dire : Nos pères ont reçu la promesse, vous, vous, en avez vu l’accomplissement. Ensuite, il appelle Jean en témoignage par ces paroles « De cette race, suivant la promesse, Dieu a suscité un Sauveur à Israël, et avant sa venue, Jean prêchait le baptême de la pénitence à Israël ». Puis il le cite de nouveau en témoignage lorsqu’il disait : « Je ne suis pas celui que vous pensez ». Ensuite il donne le témoignage des apôtres en faveur de la résurrection : « Ceux-ci sont ses témoins auprès du peuple ». Enfin il termine par cette parole de David : « Vous ne permettrez pas que votre saint voie la corruption ». Les paroles prises dans les anciens n’avaient pas assez de force par elles-mêmes, et les paroles de Jean et des apôtres ne prouvaient pas assez non plus sans les prophètes, c’est pour cela que Paul se sert des uns et des autres pour rendre sa prédication persuasive. Comme les Juifs étaient retenus par la crainte, vu qu’ils avaient, mis le Christ à mort, comme d’ailleurs leur conscience les éloignait, les apôtres ne leur parlent pas comme à des membres du Christ, ni comme à des hommes qui auraient livré un bien qui ne leur appartenait pas, mais comme à ceux qui auraient livré leur propre bien. Le nom de David était cher aux Juifs, aussi met-il ses paroles en avant pour leur faire accepter le Christ ; comme si David leur disait : C’est mon fils qui sera votre roi, ne rejetez donc pas son joug. Que veut dire : « J’accomplirai mes saints engagements avec David ? » C’est-à-dire, les engagements sûrs, les engagements qui ne doivent jamais être brisés. Il ne s’arrête pas à cela, vu qu’ils ont foi en cette parole. Mais il les menace du châtiment, et passant à ce qui était désirable pour eux, il leur montre que la loi est abrogée ; puis il s’arrête à ce qui importe surtout et leur montre que de grands biens sont promis à ceux qui seront fidèles, et que de grands maux attendent les transgresseurs. Ensuite, il parle avec louange de David : « David dans sa génération accomplit la volonté de Dieu, et fut réuni à ses pères ». Ainsi Pierre, en rappelant David, disait : « On peut, parler avec confiance du patriarche David ». Paul ne dit pas qu’il est mort, mais « qu’il a été réuni à ses pères », ce qui était plus doux à dire. Remarquez que nulle part il ne parle de leurs bonnes œuvres, mais seulement de ce qui les accuse. Il énumère les bienfaits de Dieu, en disant : « Il a choisi, il a élevé, il a nourri ». C’est là un éloge, mais celui de Dieu. II ne donne de louanges qu’à David, parce que le Christ vient de lui. Jean appelle l’entrée du Christ, « avant l’entrée du Christ », son incarnation, sa manifestation dans la chair. Ainsi Jean en écrivant l’Évangile, en appelle souvent à Jean-Baptiste, car son nom était célèbre dans toute la terre. Remarquez enfin que Paul ne parle pas d’après lui-même, niais d’après le témoignage de Jean.

3. Remarquez-vous comme Paul montre avec soin que Dieu a tout conduit ? Mais écoutons ce que les apôtres ont persuadé aux hommes, en prêchant le Christ crucifié. Qu’y a-t-il de plus incroyable, qu’il ait été mis dans le tombeau par ceux à qui il annonçait le salut ; et que cet homme enseveli remette les péchés, et mieux que la loi ? Aussi Paul ne dit-il pas : Dont vous n’avez pas voulu, mais bien : « Quiconque croit en Jésus est justifié de ce dont vous n’avez pu être justifié dans la loi de Moïse ». Et il montre par là la faiblesse de la loi. Il dit avec raison : « Quiconque », pour déclarer que cela s’applique à tout croyant. Mais à quoi bon toute cette doctrine, s’il n’en résultait quelque bien ? Aussi met-il en dernier lien la rémission des péchés, avantage dont il fait ressortir la grandeur, en montrant que ce qui était impossible à la loi, Jésus crucifié l’a fait par sa mort. Paul disait donc avec raison : « Ils sont ses témoins devant le peuple », qui l’a mis à mort. Ils ne le seraient pas s’ils n’étaient fortifiés par la puissance divine. Ils n’attesteraient pas de telles choses à des hommes qui ne respirent que le meurtre, à ceux mêmes qui ont mis le Christ à mort. Il dit cette parole : « Je vous ai engendré aujourd’hui » ; car il sait que tout le reste suit de là. Mais pourquoi Paul n’apporte-t-il pas de témoignage qui puisse les convaincre que la rémission des péchés vient de : Jésus ? Parce qu’il ne voulait que démontrer clairement aux Juifs que Jésus était ressuscité ; ceci prouvé, il était indubitable par là que la rémission des péchés vient par lui. D’ailleurs il voulait les amener au désir de ce grand bien. La mort de Jésus n’était donc pas un abandon de Dieu, mais l’accomplissement des prophéties. Il rapporte les faits historiques dont l’ignorance fut pour les Juifs la source de tant de maux. Paul insinue ce sens à la fin de son discours, en disant : « Voyez, contempteurs, et faites attention ». Remarquez comme il coupe court à cette parole dure, en ajoutant : « Pour qu’il ne vous arrive pas ce qui a été dit aux autres : j’accomplis une œuvre que vous ne croirez pas, si quelqu’un vous la raconte ». Ne vous étonnez pas, cette incrédulité semble inconcevable, mais elle avait été prédite. On pourrait aussi à bon droit nous dire à nous : « Voyez, contempteurs », en parlant de ceux qui ne croient pas à la résurrection. Les affaires de l’Église sont en souffrance, quoique vous pensiez que tout soit en paix. Et c’est un grand malheur de ne pas savoir que nous sommes dans le malheur, lorsque nous sommes plongés dans des maux sans nombre.

Que dites-vous ? Nous avons des églises, des biens, et le reste, les collectes se font, chaque jour le peuple assiste à l’office divin, et nous méprisons. La prospérité de l’Église ne se reconnaît pas à ces signes. Mais à quel signe, direz-vous, la reconnaîtra-t-on ? Ce sera si nous avons de la piété, si nous rentrons dans nos demeures chaque jour avec un gain spirituel nouveau, si nous avons fait quelque fruit grand ou petit ; si nous n’accomplissons pas la loi d’une façon quelconque et connue pour l’acquit de notre conscience. Qui est sorti meilleur des assemblées de tout un mois ? C’est là la question : car souvent ce qui nous semble bien se trouve être mal, parce que nous n’en retirons aucun profit pour notre avancement spirituel. Et encore plût à Dieu que nous fussions toujours au même point ; mais hélas ! vous rétrogradez. Quel fruit avez-vous retiré des assemblées ? Si vous en avez retiré quelque fruit, vous devriez tous mener depuis longtemps une vie sage, car tant de prophètes vous parlent deux fois la semaine, tant d’apôtres, tant d’évangélistes vous entretiennent, qui tous vous exposent les dogmes du salut, et les préceptes qui peuvent amener à mieux régler vos mœurs. Le soldat qui va à l’exercice devient plus habile dans la tactique ; l’athlète qui fréquente la Palestre est plus exercé à combattre ; le médecin qui suit les cours d’un maître devient plus judicieux, il sait et apprend de plus en plus : Vous, qu’avez-vous gagné ? Je ne parle pas à ceux qui ont fréquenté les assemblées pendant un an, mais bien à ceux qui y viennent depuis leur première jeunesse. Croyez-vous que ce soit toute la piété de venir exactement à l’assemblée ? Ce n’est rien, si l’on n’en retire pas de fruit ; si nous ne recueillons rien, il vaut mieux rester à la maison. Si nos ancêtres nous ont construit des églises, ce n’est pas pour que nous venions nous y montrer en public : cela se ferait aussi bien dans la place publique, aux bains et dans les pompes publiques. Mais ils ont voulu réunir les disciples et les docteurs, afin que, par le soin de ceux-ci, ceux-là devinssent meilleurs. Ce que nous faisons maintenant n’est que l’accomplissement d’une loi et une sorte de décorum ; du reste, c’est affaire de pure coutume. Vienne Pâques, il se fait beaucoup de bruit, de grands rassemblements ; je ne dirai pas : il vient beaucoup d’hommes ; car ce qui se fait n’est pas œuvre d’hommes. La fête est passée, le bruit cesse, et l’on rentre dans un calme infructueux. Combien de veilles de nuit ne fait-on pas ? Combien ne chante-t-on pas de cantiques ? En devient-on meilleur ? Que dis-je ? on en devient pire ; beaucoup en effet font tout cela par vaine gloire. À quel point pensez-vous que j’aie les entrailles déchirées en voyant tout s’en aller comme dans un tonneau percé ? Mais vous me direz sans cloute : Nous savons les Écritures. Qu’est-ce que cela ? Montrez votre science dans les Écritures, par vos œuvres : là est le gain, là est l’utilité. L’église est un atelier de teinture : si vous en sortez toujours sans avoir reçu aucune teinture, à quoi sert d’y aller souvent ? Le dommage en est plus grand. Qui de vous ajoute quoi que ce soit aux coutumes qu’il a reçues de ses ancêtres ? Par exemple. Tel a accoutumé de faire mémoire de sa mère, de sa femme, de son enfant : Il le fait, soit qu’il l’apprenne ou ne l’apprenne pas de nous, poussé qu’il y est par la coutume et la conscience. Vous indignez-vous donc de cela, direz-vous ? Loin de là, je m’en réjouis fort, mais je voudrais (lue cet homme retirât quelque fruit de notre allocution ; et ce que la coutume lui fait faire, je voudrais qu’il le fît par notre exhortation, et que de nouvelles habitudes s’ajoutassent aux habitudes déjà prises. Pourquoi travaillerai-je et radoterai-je en vain, si vous devez rester dans vos habitudes, si les assemblées ne vous font aucun bien ?

4. Certes, dit-on, nous prions. Qu’est-ce que cela sans les œuvres ? Écoutez la parole du Christ : « Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas dans le royaume des cieux, mais celui qui accomplit la volonté de mon Père qui est dans les cieux ». (Mat 7,21) Souvent j’ai résolu de me taire, en voyant qu’il ne se faisait parmi vous aucun progrès à ta suite de mes discours ; peut-être ce progrès se fait-il, mais telle est l’impatience et l’ardeur de mon désir, qu’il m’arrive d’éprouver ce qu’éprouvent les hommes qui ont la folie des richesses. De même, en effet, que ceux-ci, quelque grands biens qu’ils amassent, pensent ne rien avoir ; de même aussi moi, par le désir de votre salut qui m’anime, tant que je ne vous verrai pas atteindre le but, je penserai n’avoir rien fait, parce que j’ambitionne de vous voir parvenir au sommet même de la perfection. Je voudrais qu’il fût ainsi : je voudrais que ce que j’éprouve fût l’effet de mon impatience, et non de votre mollesse : je crains fort de mal conjecturer. Il y a tout lieu de croire, en effet, que si vous aviez fait chaque jour quelque progrès, depuis si longtemps que nous parlons, nous n’aurions plus besoin de parler aujourd’hui. Car nous vous avons assez parlé, non seulement pour vous instruire vous-mêmes, mais encore pour vous mettre à même d’instruire, si vous aviez le moins du monde profité de chacun de nos discours. Puisque nous avons toujours besoin de vous avertir, cela ne prouve pas autre chose, si ce n’est que votre conduite n’est pas parfaite.

Que faut-il donc faire ? Car il ne faut pas seulement vous adresser des reproches. Je vous prie et vous conjure de ne pas seulement sous occuper de venir à l’église, mais aussi de remporter, en vous retirant dans vos maisons, quelque remède contre vos passions ; de la sorte vous serez bientôt munis, non par nous, mais par les divines Écritures, de tous les remèdes propres à toutes les maladies de vos âmes. Par exemple, est-on colère, qu’on fasse attention aux lectures des Écritures, et on trouvera certainement, soit dans les histoires, soit dans les conseils, quelque chose qui conviendra. Ainsi dans le conseil il est dit : « Le moment de sa fureur est devenu sa ruine ». (Sir 1,28) Et ailleurs : « L’homme colère n’est pas modéré » (Pro 11,25) ; et mille choses semblables. Ailleurs on lit encore : « L’homme qui n’est pas maître de sa langue ne prospérera pas ». (Psa 140,12) Le Christ a dit : « Celui qui se met sans raison en colère contre son frère »… (Mat 5,22) Le prophète dit aussi : « Mettez-vous en colère, mais ne péchez pas ». (Psa 4,5) Et ailleurs : « Maudite soit leur colère, parce qu’elle est implacable ». (Gen 49,7) Dans les histoires, ce sera pour vous un exemple, lorsque vous lirez que Pharaon et l’Assyrien, enflammés de colère, ont péri par cette cause. Un autre est-il épris de l’amour des richesses, qu’il entende cette parole : « Rien de plus injuste que l’avare, car cet homme met son âme en vente ». (Sir 10,9) Et cette autre du Christ : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Mat 6,24) ; et l’apôtre, lorsqu’il dit : « L’avarice est la racine de tous les vices ». (1Ti 6,10) Le prophète dit : « Si vos richesses sont abondantes, n’y attachez pas, votre cœur ». (Psa 62,10) Et beaucoup de textes semblables. Par les histoires vous connaîtrez Giézi, Juda, les princes des prêtres, les scribes, et vous saurez « que les présents aveuglent les yeux des sages ». Un autre est-il orgueilleux ? qu’il écoute cette parole : « Dieu résiste aux superbes » (Pro 3,34) ; « le principe du péché est l’orgueil » (Sir 10,14) ; et aussi : « Tout homme au cœur hautain est impur devant Dieu ». (Pro 16,5) Dans les histoires vous lirez ce qui est arrivé au démon et à tous les autres. En somme, car nous ne pouvons tout énumérer, que chacun choisisse dans les divines Écritures le remède à ses propres blessures. Si vous ne pouvez guérir le tout, guérissez déjà une partie aujourd’hui, demain une autre, ensuite le tout.

Vous trouverez dans les Écritures de nombreux exemples sur la pénitence et sur la confession, sur l’aumône et sur la justice, sur la sagesse et sur toutes choses. « Toutes ces choses ont été écrites », dit saint Paul, « pour notre instruction ». (Rom 15,4) Si donc c’est pour notre instruction que l’Écriture traite toutes sortes de sujets, prêtons notre attention à l’Écriture. Pourquoi nous faisons-nous de vaines illusions ? Je crains qu’il ne soit dit de nous : « Nos jours se sont écoulés dans la vanité, et nos années ont passé avec rapidité ». (Psa 68,33) Qui de nos auditeurs s’est éloigné du théâtre ? Qui a abandonné l’avarice ? Qui est devenu plus zélé pour l’aumône ? Je voudrais le savoir, non par vaine gloire, mais pour devenir plus ardent à la vue du fruit évident de mes travaux. Mais comment m’appliquerai-je à mon œuvre, en voyant des pluies si abondantes de doctrines tombées inutilement, et notre semence toujours à la même mesure, et les fruits toujours aussi maigres ? Enfin le temps de l’aire, où l’on emploie le van, est arrivé. Je crains qu’il n’y ait que de l’herbe ; je crains que tous nous ne soyons jetés dans la fournaise. L’été est passé ; l’hiver est venu ; nous sommes assis, jeunes et vieux, enchaînés par nos propres vices. Ne me dites pas : Je ne commets pas la fornication. Quelle utilité pour vous de n’être pas fornicateur, si vous êtes avare ? Le passereau, quoiqu’il ne soit pas pris de toutes parts, s’il est seulement retenu par le pied, périt cependant, arrêté dans le filet, et ses ailes ne lui servent à rien, vu qu’il est pris par le pied. Ainsi, vous qui n’êtes pas pris par la fornication, mais qui aimez l’argent, vous êtes pris cependant ; la question n’est pas de savoir comment vous êtes pris, mais si vous l’êtes. Que le jeune homme ne dise pas : Je ne suis point avare ; peut-être êtes-vous fornicateur. Encore une fois, quel gain à cela ? Tous les vices ne peuvent pas être réunis chez nous dans un même âge de la vie, mais ils sont partagés entre tous les âges, et cela par la miséricorde de Dieu, de peur qu’ils ne devinssent indomptables, s’il, s’emparaient de nous tous à la fois ; de peur aussi que la lutte contre eux ne fût trop difficile. Quelle paresse n’y aurait-il donc pas de notre part, à ne pouvoir triompher des passions ainsi divisées, à nous laisser vaincre dans chaque saison de la vie, et à nous prévaloir fièrement des qualités qui nous viennent, non de la vertu, mais de l’âge. Ne remarquez-vous pas les cochers, qui usent de toutes sortes de soins, d’exercices et de travaux, de certaines nourritures mêmes, et de bien d’autres moyens pour n’être pas renversés de leur char ? Voyez ce que peut l’art ! Un homme même courageux ne peut souvent modérer un seul cheval ; et un tout jeune homme, par son art, en prend deux souvent, et les dirige et les conduit avec facilité. Chez les Indiens, dit-on, l’éléphant, cette bête énorme et redoutable, se laisse mener avec plaisir par un enfant de quinze ans. Pourquoi parlé-je ainsi ? Parce que si, par notre art et notre vigilance, nous domptons les éléphants et les chevaux, bien plus pourrons-nous dompter nos passions. D’où vient que nous sommes sans force pendant notre vie entière-? Jamais nous ne nous sommes appliqués à cet art ; jamais aux jours de loisir, libres de toutes luttes, nous ne nous sommes entretenus avec nous-mêmes sur ce qui était bon à faire. Nous ne songeons à mettre le pied sur notre char que lorsqu’il faut combattre ; c’est pour cela que nous devenons un objet de risée. N’ai-je pas dit souvent : Exerçons-nous en notre intérieur avant la tentation ? Souvent nous nous exaspérons à la maison contre nos serviteurs ; apaisons alors notre colère pour apparaître calmes au milieu de nos amis ; si nous nous exercions en toute autre chose, nous ne serions pas un objet de risée au jour du combat. Mais maintenant on a des armes, des exercices, des études pour toute autre chose, comme pour les arts et la lutte ; nullement pour la vertu. L’agriculteur n’oserait cultiver une vigne, si d’abord il ne s’était convenablement exercé à la culture ; le pilote ne s’assiérait pas au gouvernail, s’il ne s’était préalablement instruit ; et nous, avec notre inexpérience, nous voulons tenir la première place. On devrait se taire ; on ne devrait rien dire ni rien faire avant d’avoir pu apprivoiser la bête féroce qui est en nous. Est-ce que la fureur et la concupiscence ne combattent pas plus violemment contre nous que toute bête féroce ? Ne vous lancez pas sur la place publique avec ces bêtes féroces avant de les avoir domptées et apprivoisées. Ne savez-vous pas combien gagnent et sont admirés ces hommes qui conduisent à travers le cirque les lions apprivoisés, parce qu’ils ont dressé à la douceur une bête sans raison ? Mais si tout à coup le lion devient féroce, il chasse tout le monde de la place, son conducteur lui-même est en péril, et de plus, il peut causer la perte des autres. Vous donc, apprivoisez d’abord le lion, et conduisez-le seulement alors, non pour gagner quelque argent, mais pour faire un bénéfice auquel rien n’est comparable, car rien n’est comparable à la douceur ; elle est bonne à ceux qui la possèdent et à ceux qui en profitent. Courons donc après elle, afin qu’après avoir suivi avec soin la route de la vertu, nous acquérions les biens éternels, par la grâce et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent, au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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