‏ Acts 15

HOMÉLIE XXXII.

ILS DEMEURÈRENT LÀ ASSEZ LONGTEMPS AVEC LES DISCIPLES. – QUELQUES-UNS QUI ÉTAIENT VENUS DE JUDÉE, INSTRUISAIENT, AINSI LES FRÈRES : « SI VOUS N’ÊTES PAS CIRCONCIS SELON LA COUTUME DE MOÏSE, VOUS NE POUVEZ ÊTRE SAUVÉS. » (CHAP. 14, VERS. 27 JUSQU’AU VERS. 1-14 DU. CHAP. XV)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Discours de saint Pierre au concile de. Jérusalem.
  • 2 et 3. Qu’if faut réprimer la colère. – Comment on peut guérir l’orgueil.

1. Vous voyez que les Juifs eux-mêmes avaient partout forcé les apôtres à se porter vers les gentils. Quand on commença à l’accuser, Paul ne fit que se justifier, afin de n’offenser personne ; mais les Juifs se détournant de lui, il s’adressa aux gentils. Pour éviter tout excès d’un côté ou dé l’autre, il établit cette règle, que les apôtres étaient envoyés par Dieu pour parler indistinctement aux uns et aux autres, mais cela excita la jalousie de ceux qui arrivaient de Judée. Ceux-là, non seulement exigeaient la circoncision, mais prétendaient que l’on ne pouvait être sauvé sans cela. Il fallait donc enseigner le contraire et dire que la circoncision lie procurait pas le salut. Voyez combien de tentations de part et d’autre ! Du reste, c’est la Providence qui a permis que Paul fût présent, afin de s’opposer à cette opinion. Paul ne dit pas : Qu’est-ce donc ? Ne suis-je pas digne de confiance après tarit de miracles ? Mais il usa de condescendance à leur égard. Remarquez, du reste, qu’en apprenant ce qui s’était fait chez les gentils, tout le monde s’en réjouit, même les Samaritains.

« Paul et Barnabé s’étant donc fortement élevés contre : eux, il fut résolu, que Paul et Barnabé et quelques-uns d’entre les autres iraient à Jérusalem pour consulter les apôtres et les prêtres sur cette question (2). Les fidèles de cette église les ayant accompagnés à leur départ, ils traversèrent la Phénicie et la Samarie, racontant la conversion des gentils, et ils faisaient une grande joie à tous les frères (3). Étant arrivés à Jérusalem, ils furent reçus par l’église, les apôtres et les prêtres, annonçant tout ce que Dieu avait fait par leur moyen (4) ». Voyez quelle providence dirige tout cela ! « Plusieurs de la secte des pharisiens, qui avaient cru, s’élevèrent et soutinrent qu’il fallait circoncire les gentils et leur imposer la loi de Moïse (5). Les apôtres et les prêtres s’assemblèrent pour examiner cette question (6). Après qu’ils eurent beaucoup conféré ensemble, Pierre se leva, et leur dit : Frères, vous savez qu’il y a longtemps que Dieu m’a choisi parmi vous pour que les gentils pussent entendre de ma bouche la parole de l’Évangile et y croire (7) ». Observez que Pierre n’avait pas encore pris beaucoup de part à cette œuvre, et que, jusque-là, il était pour les coutumes judaïques. Cependant il dit : « Vous savez tous ». Peut-être, en effet, se trouvait-il là quelques-uns de ceux qui l’avaient accusé autrefois d’être allé chez Corneille, et aussi quelques-uns de ceux qui l’y avaient accompagné ; aussi invoque-t-il leur témoignage : « Il y a longtemps que Dieu m’a choisi ». Que veut-il dire quand il ajoute : « Parmi vous ? » Il parle des fidèles de Palestine, ou seulement de ceux qui sont présents. Quand il dit : « Par ma bouche », il montre que Dieu parle par sa voix et que son langage n’a rien d’humain. « Dieu qui connaît les cœurs, lui a rendu témoignage (8). ». Ainsi il les appelle à ce témoignage spirituel. « En leur, donnant le Saint-Esprit aussi bien qu’à nous ». Vous voyez que partout il met les gentils au niveau des Juifs. « Il n’a point fait de différence entre eux et nous, ayant purifié leurs cœurs par la foi (9) ». La foi à elle seule, dit-il, leur a donné tout ce que nous avons. Cela suffisait pour taire rentrer les Juifs en eux-mêmes. Il aurait pu leur apprendre aussi que la foi seule était nécessaire et dispensait des pratiques et de la circoncision, car il ne s’agissait pas seulement de soutenir la cause des gentils, mais de supprimer pour eux la loi de Moïse. Cependant on ne le dit pas encore. « Maintenant pourquoi tentez-vous Dieu en imposant aux disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n’avons pu porter ? (10). Mais nous croyons que parla grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous serons sauvés aussi bien qu’eux ; (11) ». Que signifient ces mots : « Pourquoi tentez-vous Dieu ? » Ils veulent dire : Pourquoi manquez-vous de confiance en Dieu et le tentez-vous, comme s’il n’était pas capable de sauver par la foi ? Conserver l’ancienne règle, est une marque d’incrédulité. Ensuite il remarque qu’eux-mêmes ne l’ont point observée, mais il ne les en accuse point, car il n’en rejette pas la faute sur eux, mais sur la loi. « Ce joug que ni nos a pères ni nous-mêmes n’avons pu porter mais c’est par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ que nous croyons devoir être sauvés aussi bien qu’eux ». Quelle puissance dans ces paroles ! Ce que Paul dit dans plusieurs passages de son épître aux Romains, Pierre le dit ici : « Si Abraham a été justifié par ses œuvres, il a de la gloire, mais non devant Dieu ». (Rom 4,2) Vous voyez qu’il s’agissait encore plus de l’instruction des Juifs que de la défense des gentils. Même sans cette occasion, un pareil langage n’aurait peut-être pas paru suspect ; mais cette occasion étant donnée, c’était une raison de plus pour parler hardiment. Remarquez aussi tout ce qu’ils gagnent par les efforts de leurs adversaires : Sans cela ces choses n’eussent pas été dites, non plus que celles qui le furent plus tard. Les Juifs apprennent par là que quelles que soient leurs dispositions à l’égard des gentils, ils ne doivent pas s’opposer à leur conversion.

Mais étudions encore ce discours. « Il m’a choisi parmi vous, et depuis longtemps ». C’est-à-dire : Ma mission est ancienne et ne date pas d’aujourd’hui. Cette considération est importante quand il s’agit de se séparer, même des Juifs convertis : il soutient donc ses paroles par les circonstances de temps et de lieu. Le mot « il m’a choisi » est aussi fort juste : il ne leur parle pas seulement d’une volonté, mais d’un choix. Comment s’est-il manifesté ? Par le Saint-Esprit. Pierre montre aussi que ce qui s’est passé, témoigne non seulement de la grâce, mais aussi de la vertu des gentils, et que Dieu n’a pas été plus avare envers ceux-ci qu’envers les juifs. « Il n’a fait », dit-il, « aucune différence entre eux et nous ». C’est donc le cœur qu’il faut chercher partout, et il dit avec raison : « Dieu qui connaît les cœurs, lui a rendu témoignage ». C’est la même pensée que plus haut : « Seigneur, qui connaissez les cœurs de tous les hommes, dirigez-nous »., (Act 1,24) Et pour montrer que c’est bien là ce qu’il veut dire, voyez ce qu’il ajoute : « Il n’a fait aucune différence entre eux et nous ». Quand il parle du témoignage de Dieu en faveur des gentils, c’est un mot bien grave, tel que celui de Paul : « La circoncision n’a pas plus d’importance que le prépuce ». (1Co 7,19) Et aussi : « Afin de réunir les deux peuples en lui-même ». (Eph 2,15) Tout cela est en germe dans le discours de Pierre. Il ne dit pas : Les circoncis ; mais : « Parmi nous » ; c’est-à-dire, parmi les apôtres. Pour ne pas les blesser, en disant qu’il n’y avait « aucune différence », il ajoute : « Dieu a purifié leurs cœurs par la foi », ce qui l’empêche de leur paraître suspect. Tout en supprimant ce qui pourrait choquer dans son langage, il finit par leur faire voir que l’ancienne loi était bonne, mais que les hommes étaient trop faibles pour la porter.

2. Cependant voyez ce qu’il y a de terrible dans la fin de son discours. Il ne s’appuie pas sur les prophéties, mars sur les faits présents dont ses auditeurs étaient témoins : En effet, ils les attestent, et ce qu’ils ont vu confirme ce qu’ils entendent. Observez aussi qu’il permet pour la première fois une discussion dans l’église, et qu’il y prend part. Et comme il ne dit pas des « circoncis », mais des « gentils » «(et ainsi, d’une part, il exprime plus fortement sa pensée par une insinuation, et, de l’autre, il met en doute que l’on puisse se sauver en suivant la loi), voyez comme il poursuit : il montre que les Juifs sont en danger, car ce que la loi ne peut faire, la foi le peut, et que, cette loi n’existant même plus, ils sont dans un péril inévitable. Il ne leur dit pas : Vous êtes infidèles, ce qui serait trop dur, surtout pour une cause déjà gagnée. Il n’y avait pas dé gentils à Jérusalem ; mais à Antioche il est clair qu’il y en avait. Aussi les apôtres y vont et y passent assez longtemps. Cela avait déplu à plusieurs pharisiens qui étaient encore possédés de leur ambition maladroite et qui voulaient dominer les gentils. Mais Paul était un savant docteur et il s’y opposa : quand il revint, les dogmes commençaient à se préciser. Car si les apôtres de Jérusalem n’avaient pas eu les exigences des pharisiens, Paul et Barnabé les avaient bien moins encore. Voyez comme ceux qui n’avaient pas cherché à dominer, se réjouissent maintenant dans leur foi. Ils n’allaient pas faire des récits pleins d’orgueil et d’ostentation, mais se justifier (le la prédication qu’ils avaient faite aux gentils aussi ne disent-ils rien de ce qui leur est arrivé avec les Juifs. Les pharisiens étaient bien obstinés, puisque, même après leur conversion, ils conservaient leurs usages et n’obéissaient pas aux apôtres. Mais pour ceux-ci, remarquez comme ils parlent avec douceur et sans déployer leur autorité : ce qui plaît fait toujours plus d’impression. Ne voyez-vous pas que ce qui agit, ce n’est pas la force de leurs paroles, mais celle de leurs actions, celle du Saint-Esprit ? Malgré de pareils soutiens, ils parlent doucement. On ne songeait pas à accuser ceux d’Antioche, mais cela en fournit l’occasion, tant était grand le désir de dominer chez ceux qui accusaient les apôtres, même sans les en prévenir. Ceux-ci ne firent rien de semblable ; mais après avoir exposé leur doctrine par leurs discours, ils la développèrent avec une nouvelle ardeur par leurs écrits. C’est toujours une chose admirable que la bonté : mais je dis la bonté et non l’indifférence, la bonté et non la flatterie. Tout cela ne peut se confondre.

Rien n’irritait Paul, non plus que Pierre. Si vous avez des preuves, pourquoi vous emporter ? Est-ce afin de les affaiblir ? car un homme en colère ne peut convaincre de rien. Hier, nous avons déjà parlé sur la colère, rien ne nous empêche d’en parler encore aujourd’hui, car les observations répétées feront peut-être plus d’effet. Un remède peut avoir une certaine influence pour guérir une blessure, mais si on ne l’emploie pas souvent, sa vertu disparaît. Parce que je reviens sur le même sujet, ne croyez pas que je désespère de vous ; s’il en était ainsi, je me tairais au contraire, si je vous parle, c’est que j’ai grande espérance de vous être utile. Plût au ciel que ces mêmes sujets fussent plus souvent traités dans nos entretiens, que toutes nos conversations, tous nos soins fussent employés à chercher les moyens de corriger nos vices ! N’est-ce pas, en effet, une opposition absurde ? Les empereurs qui vivent dans le luxe et les plus grands honneurs, n’ont d’autre occupation, soit à table, soit partout ailleurs, que de chercher à vaincre leurs ennemis, et pour cela ils tiennent conseil chaque jour, rassemblent des officiers et des soldats, lèvent dés tributs, pensant qu’il n’y a que deux nécessités politiques : vaincre leurs ennemis, et maintenir leurs sujets en paix ; nous, au contraire, nous ne songeons pas à tout cela, même en rêve, mais nous pensons à acheter un champ ou des esclaves, à nous enrichir, à nous divertir chaque jour. Quant à ce qui nous touche véritablement nous-mêmes, nous ne voulons, seulement pas en entendre rien dire aux autres. De quoi donc pourra-t-on parler ? Du dîner ? Cela regarde les cuisiniers. De l’argent ? C’est l’affaire des banquiers et des marchands. Des maisons ? Laissons cela aux architectes et aux maçons. De la terre ? C’est l’occupation des laboureurs. Ce qui devrait être notre unique occupation, c’est d’enrichir notre âme. Ne vous rebutez donc pas de nos discours. Personne ne blâme le médecin qui parle toujours de médecine, ni tes autres savants qui nous entretiennent de leurs sciences. Si nos défauts étaient assez bien corrigés pour ne plus réclamer nos observations, on nous accuserait peut-être de nous faire valoir quand nous continuerions à prêcher : on aurait tort. En effet, les, médecins ne s’adressent pas seulement aux malades, mais aussi aux gens bien portants, et leurs livres ont une double intention : guérir la maladie et conserver la santé. Ainsi, quand même nous nous porterions bien, ce ne serait pas une raison de nous négliger, mais de tout faire pour maintenir notre santé.

3. Pour les, maladies de l’âme, nos discours ont donc deux obligations à remplir : d’abord, de guérir la maladie, puis, après la guérison, d’empêcher les rechutes. Actuellement, nous, cherchons une méthode pour une cure difficile ; il n’est pas question de bonne santé ! Comment couper court à ce défaut déplorable ? Comment apaiser cette fièvre cruelle de la colère ? Voyons d’où elle procède et détruisons la cause : D’où vient-elle d’ordinaire ? D’un excès d’arrogance et d’orgueil, Supprimons cette cause et la maladie disparaîtra. Qu’est-ce que l’orgueil ? D’où procède-t-il ? Nous sommes conduits à remonter vers un nouveau principe. Suivons donc la route que cette instruction nous marquera, afin d’arracher le mal jusque dans les profondeurs de ses racines. Qu’est-ce qui fait naître l’orgueil ? C’est que nous ne nous étudions pas, nous-mêmes. Nous examinons avec soin la nature d’un terrain, quoique nous ne soyons pas laboureurs, ainsi que la valeur des plantes, de l’or, des habits, de tout enfin, quoique nous ne soyons pas marchands ; mais quant à nous, quant à notre nature, nous n’y songeons pas le moins du monde. Mais, direz-vous, qui donc ne connaît pas sa propre nature ? Bien des gens, pour ne pas dire tous ; et, si vous le voulez, je vais vous en donner la preuve. Qu’est-ce que l’homme, dites-moi ? Si l’on vous demande : En quoi diffère-t-il des brutes ? Quel lien a-t-il avec les puissances célestes ? Que doit-il devenir ? Pourrez-vous répondre juste à toutes ces questions ? Je ne le crois pis.

Tout être provient d’une substance ; ainsi l’homme est, pour ainsi dire, la substance humaine qui doit devenir un ange ou une brute. Ce discours vous parait-il déplacé ici ? C’est pourtant ce que les Écritures vous répètent souvent. Il y a des hommes dont elle dit : « C’est un ange du Seigneur, et l’on cherchera le jugement sur ses lèvres » (Mal 2,7) ; et aussi : « J’enverrai mon ange devant ta face ». (Id 3,1) Il y en a d’autres dont elle dit : « Serpents, race de vipères ». (Mat 12,34) Du reste, chacun peut se conduire de manière à devenir à la fois un homme et un ange : Que dis-je, un ange ? Même un fils de Dieu ; car il est écrit : « J’ai dit : vous êtes dieux et tous enfants du Très-Haut ». (Psa 82,6) Ainsi le plus admirable ; c’est qu’il, dépend de lui de devenir Dieu, ange et fils de Dieu.: les hommes peuvent aussi créer des anges. Cela vous étonne peut-être ? Mais écoutez ces mots du Christ : « Dans la résurrection, il n’y a plus de noces ni de mariage ; on est semblable aux anges ». (Luc 20,35, 36) Et aussi : « Que celui qui peut comprendre, le comprenne ». (Mat 19,12) En résumé, c’est la vertu qui fait les anges ; or, nous sommes les maîtres d’être vertueux ; donc nous pouvons créer des anges, sinon par nôtre nature, au moins par notre volonté. En effet, sans la vertu il ne sert à rien d’avoir la nature d’un ange ; cela se voit par le diable qui d’abord était un ange ; au contraire, quand la vertu existe, la nature humaine n’empêche rien. C’est ce que l’on voit par Jean qui était un homme, par Élie qui est monté au ciel, et par tous ceux qui y monteront à leur tour. Leur corps ne leur a pas fait obstacle pour habiter le ciel, tandis que les démons n’ont pu y rester, quoiqu’ils fussent immatériels. Ainsi, que personne ne se tourmente et ne s’irrite contre les obstacles de sa nature, mais contre ceux de sa volonté ! Il a dégénéré d’un être incorporel, ce lion terrible dont il est dit : « Le diable, notre adversaire, tourne autour de nous comme un lion rugissant, cherchant qu’il pourra dévorer ». (1Pi 5,8) Nous, malgré nos corps, nous devenons des anges. Celui qui trouve une substance précieuse et qui la dédaigne parce qu’il ne s’y connaît pas, se fait beaucoup de tort à lui-même, qu’il s’agisse d’huîtres à perles, de coquilles à pourpre ou de toute autre chose semblable ; de même, si nous ignorons notre nature, nous la dédaignons complètement ; mais si nous la connaissons, nous y donnons toute notre attention et nous en retirons un grand avantage. Elle nous fait avoir des vêtements royaux, une demeure royale ; nous devenons rois nous-mêmes, et en nous tout est royal. N’abusons donc point de notre nature pour notre perte ; Dieu nous a faits un peu inférieurs aux anges (Psa 8,6, et Heb 2,7) ; c’est-à-dire qu’il nous a faits mortels, mais il nous a indemnisés de cette légère infériorité. Ainsi, rien ne nous empêche d’être des anges, dès à présent, si nous le voulons. Veuillons-le donc, veuillons-le, et, si nous parvenons à nous transformer ainsi, rapportons-en la gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

HOMÉLIE XXXIII.

APRÈS QU’ILS SE FURENT TU, JACQUES PRIT LA PAROLE ET DIT : « FRÈRES, ÉCOUTEZ-MOI. – SIMÉON VOUS A RACONTÉ COMMENT DIEU A SONGÉ D’ABORD À PRENDRE CHEZ LES GENTILS UN PEUPLE CONSACRÉ A SON NOM : – ET IL EST D’ACCORD AVEC LES PAROLES DES PROPHÈTES ». (CHAP. 15, VERS. 13, 14, 15, JUSQU’AU VERS. 34)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Discours de saint Jacques au concile de Jérusalem, et lettre du concile aux chrétiens d’Antioche.
  • 3 et 4. Il ne se fait aucun bien ici-bas qu’il ne soit mélangé de quelque mal. – Qu’il est facile même pour un païen de distinguer l’Église véritable des sectes hérétiques.

1. Jacques était évêque de l’église de Jérusalem ; aussi parle-t-il le dernier, et ainsi se trouve accompli ce passage de l’Écriture : « Toute parole sera établie par la bouche de deux ou trois témoins ». (Deu 17,6) Remarquez avec quelle sagesse il fonde son avis sur les nouveaux et les anciens prophètes ; en effet, il ne pouvait pas citer ses œuvres personnelles, comme Pierre et comme Paul.

Aussi, la Providence avait-elle tout bien disposé pour que les travaux dont il s’agissait fussent l’ouvrage des apôtres qui ne devaient pas résider à Jérusalem, et que Jacques qui enseignait dans cette ville, n’y eût pas de part, mais ne fût pas d’un avis opposé. Que dit-il ? « Frères, écoutez-moi : Siméon vous a raconté… » Quelques personnes pensent que ce Siméon est celui dont saint Luc a parlé ; d’autres croient que c’est un homonyme
La Vulgate dit Simon, c’est-à-dire Pierre. Alors Jacques parle du discours qu’il vient d’entendre, ce qui parait plus naturel.
. Que ce soit l’un ou l’autre, il est inutile de le rechercher, il faut seulement recueillir ces paroles « Frères », dit Jacques… ; voilà un homme plein de bienveillance et une harangue plus parfaite encore, puisqu’elle termine le débat. « Comment Dieu a songé d’abord à prendre chez les gentils un peuple consacré à son nom : et il est d’accord avec les paroles des prophètes ». Comme il était connu depuis peu de temps et qu’il n’inspirait pas autant de confiance que les anciens, il cite une ancienne prophétie, disant : « Ainsi qu’il est écrit : « Je reviendrai ensuite édifier de nouveau la maison de David qui est tombée, je réparerai ses ruines et la relèverai (16) ; afin que le reste des hommes, et tous les gentils qui seront appelés de mon nom cherchent le Seigneur (17). C’est ce que dit le Seigneur qui « fait tout cela ». (Amo 9,11) Quoi donc ? Jérusalem a-t-elle été relevée ? N’a-t-elle pas plutôt été détruite ? Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Quelle est donc la restauration dont il parle ? La même que celle qui suivit la ruine de Babylone. « Dieu connaît ses œuvres a de toute éternité (18) ». Tout cela est digne de foi, car il n’avance rien de nouveau, mais tout a été prévu dès le commencement.

Enfin, il donne son avis : « C’est pourquoi je juge qu’il ne faut point inquiéter les gentils qui se convertissent à Dieu (19), mais qu’on leur doit seulement écrire qu’ils s’abstiennent des souillures des idoles, de la fornication, des chairs étouffées et du sang (20). Car, quant à Moïse, il y a eu de tout temps, dans chaque ville, des hommes qui le prêchent dans les synagogues, où on le lit chaque jour de sabbat (21) ». Comme les gentils ne connaissaient pas l’ancienne loi, il leur en impose avec raison quelques prescriptions, pour ne pas paraître l’abroger. Voyez, du reste, qu’il ne les impose pas comme faisant partie de la loi, mais comme venant de lui-même, puisqu’il dit : « Je juge » ; c’est-à-dire, je le pense de moi-même et non pour l’avoir lu dans la loi. Ensuite on prononce la décision générale. « Alors il fut résolu, par les apôtres et les prêtres avec toute l’Église, de choisir quelques-uns d’entre eux, pour envoyer à Antioche, avec Paul et Barnabé ils choisirent Jude, surnommé Barsabas, et Silas qui étaient les principaux d’entre les frères (22), et ils écrivirent par leur main ce qui suit… (23) ». Vous voyez qu’ils ne se contentent pas d’établir ces règles, mais pour qu’elles soient reçues avec plus de confiance, ils envoient quelques-uns d’entre eux, afin que Paul et ses amis ne soient pas suspects. Voyez aussi quelle sévérité dans les termes de cette lettre : « Les apôtres, les prêtres et les frères, à nos frères d’entre les gentils, qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut. Comme nous avons su que quelques-uns qui venaient d’avec nous vous ont troublés par leurs discours et ont renversé vos âmes (en vous disant de circoncire vos enfants et d’observer la loi de Moïse
Le passage entre parenthèses est dans le texte grec du Nouveau Testament, et non dans la Vulgate.
, sans que nous leur, en eussions a donné l’ordre (24) ». Cela suffisait pour condamner cette témérité, mais la bonté des apôtres les empêche d’insister. « Après nous être rassemblés dans un même esprit, nous avons jugé à propos de vous envoyer des personnes choisies, avec nos chers frères Barnabé et Paul (25), qui ont exposé leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (26) ».

On voit par là que ce n’était pas un ordre tyrannique, qu’ils étaient tous d’accord et qu’ils n’avaient écrit qu’après avoir bien réfléchi. Nous avons choisi, disent-ils, des messagers parmi nous. Ensuite, afin qu’on ne pût croire qu’ils fussent envoyés pour nuire il Paul et à Barnabé, voyez l’éloge de ces apôtres ! « Ils ont exposé leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous vous avons donc envoyé Jude et Silas, qui vous annonceront la même chose de vive voix (27). Car il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous… (28) » (tout cela n’a donc rien d’humain, puisque c’est le Saint-Esprit qui le décide) « de « ne point vous imposer d’autres charges » : ainsi ils avouent de nouveau que la loi est une charge pesante ; du reste, ils s’expliquent à ce sujet : « D’autres charges que celles-ci qui a sont nécessaires : de vous abstenir de ce qui aura été sacrifié aux idoles, du sang, des chairs étouffées et de la fornication, dont vous ferez bien de vous garder (29) ». Certaines de ces prescriptions ne sont point dans la nouvelle loi, car le Christ n’en a point parlé ; mais ils empruntaient cela à l’ancienne loi. En parlant de « chairs étouffées », ils défendent le meurtre. « Ayant donc été envoyés, ils vinrent « à Antioche, où ils assemblèrent les fidèles et a leur remirent la lettre (30). Ceux-ci, l’ayant lue, eurent beaucoup de joie et de consolation (31) ». Pour mieux faire voir en quoi consistait cette consolation, il est encore écrit : « Jude et Silas étant eux-mêmes prophètes, consolèrent et fortifièrent les frères par plusieurs discours (32) : et après être restés là quelque temps, ils quittèrent les fidèles et retournèrent en paix auprès des apôtres a (33) ».

2. Plus de discussions ni de luttes ; aussi, après les avoir fortifiés, ils partent en paix ils étaient venus pour critiquer Paul, et la doctrine de Paul s’établit. Ainsi, l’Église ne connaissait pas la vanité, mais tout y respirait la modération. Voyez, en effet ; Paul parle après Pierre, et personne ne lui impose silence. Jacques attend, et ne se hâte point de parler ; cependant il présidait l’assemblée. Jean et les autres apôtres n’élèvent pas la voix ; ils se taisent et ne s’emportent pas, tant leur âme était exempte de vanité !

Mais revenons sur ce qui précède. Après qu’ils se furent tu, Jacques prit la parole et dit : « Siméon a raconté comment Dieu conçut d’abord ce dessein ». Pierre avait parlé avec plus de véhémence, mais Jacques s’exprime plus posément. C’est ce que l’on doit faire dans une haute position ; il faut laisser dire par d’autres ce qui peut être pénible à entendre et parler avec plus de douceur. Il a raison de dire : « Siméon a raconté », il semble ne faire ici que rapporter l’avis des autres. Observez qu’il montre que depuis longtemps Dieu avait « ce dessein de prendre chez les gentils un peuple consacré à son nom ». non seulement il le choisit, mais encore il l’associe à son nom, c’est-à-dire à sa gloire. II ne regarde point la vocation des gentils comme une honte pour son nom, il l’appelle une gloire. En effet, cette gloire s’en accroissait. Mais il donne aussi à entendre quelque chose d’étonnant. Qu’est-ce donc ? C’est que l’élection des gentils est la plus ancienne. « Je reviendrai ensuite édifier de nouveau la maison de David, qui est tombée ». En réfléchissant là-dessus, on reconnaîtra que la maison de David est encore debout ; car, puisque c’est un de ses descendants qui règne, son royaume s’étend partout. Qu’importeraient les maisons et la ville, s’il n’y avait pas de sujets ? Et quel dommage la ruine de la ville peut-elle causer, lorsque tout le monde serait prêt à se sacrifier pour le souverain ? Aussi, non seulement cette maison subsiste, mais elle brille par-dessus toutes les autres, car elle est aujourd’hui célèbre par tout l’univers. Or, si la maison de David a été relevée, il est de toute nécessité qu’elle ait été auparavant renversée. Quand il dit : « Je rétablirai », il en explique la raison : « Pour que les autres hommes cherchent le Seigneur ». Si donc la ville a été relevée pour celui qui devait se choisir un peuple parmi les gentils, il est clair qu’elle a été élevée à cause de la vocation des gentils. Quels sont « les autres hommes ? » Ceux qui étaient alors abandonnés. Mais observez qu’il en parle à leur place, c’est-à-dire en dernier. « C’est ce que dit le Seigneur qui fait tout cela ». non seulement il le dit, mais il le fait : ainsi la vacation des gentils est l’œuvre de Dieu. On posait une autre question que Pierre résolut clairement en disant : Il n’est pas nécessaire de les circoncire. A quoi bon ce discours ? C’est qu’on ne prétendait pas exclure les gentils fidèles ; on disait seulement qu’il ne fallait les admettre que d’après l’ancienne loi. Voilà pourquoi Pierre a eu raison de parler ainsi ; mais comme c’était là ce qui inquiétait le plus l’auditoire, Jacques s’en occupe à son tour. Remarquez qu’il s’agissait de faire une loi pour ne pas accomplir la loi, comme Pierre l’avait déjà insinué : maintenant il fallait montrer que notre vocation, à nous autres gentils, était décidée depuis longtemps ; c’est ce que fait Jacques ; puis il arrive aux prescriptions dont les Écritures n’ont point parlé ; il fait, pour apaiser les scrupules, une concession à la faveur de laquelle il émet cette conclusion : « Aussi je juge qu’il ne faut point inquiéter les gentils qui se convertissent », c’est-à-dire, qu’il ne faut pas les repousser. Car, si Dieu les a appelés et si nos pratiques les détournent, nous combattons contre Dieu. C’est pourquoi il parle avec raison des « gentils qui se convertissent », montrant par là que c’était la providence céleste qui les réclamait et que leur obéissance ne faisait que répondre à son appel.

Qu’entend-il par ces mots : « Je juge ? » cela signifie : J’ai le droit de décider ainsi. « Mais il faut leur écrire qu’ils s’abstiennent des souillures des idoles, de la fornication, des chairs étouffées et du sang ». C’étaient là des observations matérielles, mais nécessaires à suivre, car il eût été très-dangereux de les négliger. Pour que personne ne vienne dire pourquoi n’en écrit-on pas autant aux Juifs ? il ajoute : « Quant à Moïse, il y a eu de tout temps, dans chaque ville, des hommes qui le prêchent » ; c’est-à-dire, Moïse leur parle sans cesse. C’est ce qu’il entend par ces mots : « On le lit chaque jour de sabbat ». Voyez quelle tolérance ! Quand il ne voit pas d’inconvénient à le laisser prêcher, il l’accorde sans difficulté, et consent à ce que les Juifs l’étudient partout, mais il en détourne les gentils : de plus, les raisons pour lesquelles il appelle sur Moïse le respect et l’obéissance des Juifs, sont cause qu’il en détourne les gentils. Pourquoi ne leur enseigne-t-il pas cette loi ? Parce que ceux-ci ne sont point disposés à la croire. Il fait voir aussi par là que les Juifs eux-mêmes n’étaient pas tenus d’en observer davantage. Si donc, semble-t-il ajouter, nous n’écrivions pas aux Juifs, ce n’est pas qu’ils doivent en observer davantage, mais c’est qu’ils ont quelqu’un pour leur donner ces prescriptions. Il ne dit pas : de peur de les scandaliser ou de les bouleverser, comme saint Paul écrivant aux Galates (Gal 1,7), mais : je juge qu’il ne faut pas les inquiéter ; il fait voir que cela les inquiéterait sans leur être utile. Ainsi, il enlève toutes les entraves. Il semble conserver la loi parce qu’il lui emprunte quelques prescriptions, mais en réalité il la supprime, parce qu’il ne les emprunte pas toutes. Il avait souvent parlé de ces prescriptions : mais il voulait paraître respecter la loi, et, d’un autre côté, donner ces règles comme venant, non pas de Moïse, mais des apôtres ; alors, afin d’en établir plusieurs, il en divisa une. C’est là surtout ce, qui les apaisa. C’est la Providence qui permet cette dispute, afin qu’après cela le dogme fût mieux établi. « Alors, il fut résolu par les apôtres de choisir les principaux parmi les frères pour les envoyer » : ils n’envoient pas les premiers venus, mais les principaux : « À ceux qui étaient à Antioche, en Syrie et en Cilicie », où la séparation avait pris naissance.

3. Vous voyez qu’ils ne disent rien qui puisse les affliger ; ils songent seulement à ce que tout soit bien réglé ; cela servait à ramener ceux qui avaient soulevé cette discussion. Ils ne leur disent point : Vous êtes de pernicieux séducteurs, ni rien de semblable ; quoique Paul le, fasse au besoin comme quand il s’écrie : « Homme rempli de ruses ! » (Act 13,10) Mais ici, puisqu’ils se corrigent, cela n’est plus nécessaire. Remarquez encore qu’ils ne disent pas : Quelques-uns d’entre nous vous ont ordonné d’observer l’ancienne loi, mais « ils ont troublé et renversé vos âmes ». Cette expression est parfaitement juste ; quoique peu employée. Vos âmes, qui étaient déjà fortifiées solidement, ils les ont renversées comme un édifice, pour y substituer des matériaux de leur fabrique. « Cependant nous ne leur avions donné aucun ordre : Il nous a plu, après nous être rassemblés dans un même esprit avec nos chers frères Paul et Barnabé ». S’ils leur sont chers, ils ne les mépriseront pas, et s’ils ont exposé leur vie, ils sont dignes de foi. « Nous avons donc envoyé Jude et Silas qui vous feront entendre les mêmes choses de vive voix ». Il ne fallait pas, en effet, que la lettre parût seule, de peur qu’on ne la crût extorquée par de faux rapports. L’éloge de Paul fit taire tous ces propos. Car observez que ce n’est pas seulement Paul ou Barnabé qui arrive, mais aussi des messagers de l’Église, afin que ni l’un ni l’autre ne fût suspect, et que l’on vit qu’ils étaient en communauté de dogmes avec ceux de Jérusalem. Cela prouve combien ils sont dignes de foi, sans se comparer eux-mêmes à la source de la foi, car ils sont loin de cet orgueil. Voilà le sens de ces paroles et de celles-ci : « Ce sont des hommes qui ont exposé leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » Mais pourquoi ces mots : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous », lorsqu’il suffisait de mettre : « Au Saint-Esprit ? » Ils disent : « Au Saint-Esprit » pour montrer qu’il ne s’agit pas d’une décision humaine, et ils ajoutent : « À nous », pour montrer qu’ils s’y soumettent, quoiqu’ils soient circoncis, « de ne vous imposer aucune autre charge ». Ils parlent ainsi, parce qu’ils s’adressent à des hommes faibles et timides ; voilà pourquoi ils ajoutent ces mots. Cependant ils font voir que cette décision n’est pas une condescendance, un ménagement pour leur faiblesse, loin de là ; mais il s’agissait d’une pratique répugnante pour les maîtres, inutile et pénible pour les disciples. Voyez comme cette lettre est courte, comme elle ne contient rien de superflu, ni développements oratoires, ni syllogismes, mais seulement la décision, car c’était la loi du Saint-Esprit, et souvent ils répètent cette expression de chargé pénible.

Les envoyés « assemblèrent les fidèles et leur remirent la lettre ». En outre, ils les exhortèrent par leurs discours, ce qui était nécessaire afin d’écarter tout soupçon. « Étant eux-mêmes prophètes, ils exhortèrent les frères par plusieurs discours ». On vit alors combien Paul était digne de foi. Sans doute ses paroles auraient dû suffire, mais il avait besoin d’un pareil appui. « Après être demeurés là quelque temps, ils retournèrent en paix ». Il n’y a plus de sédition, d’opposition. Il semble que tous se soient donné la main, comme le dit Paul : « Ils nous donnèrent la main en signe d’union à Barnabé et à moi » (Gal 11, 9) ; et aussi. « Ils ne m’ont rien appris de nouveau ». (Id. 6) En effet, ils avaient approuvé son avis, l’avaient loué et admiré ! Ici il montre que sa doctrine pouvait se démontrer par des raisonnements humains et que le Saint-Esprit n’était pas indispensable pour cela ; enfin que ses adversaires avaient commis une faute difficile à excuser, comme on le reconnaissait sans l’intervention du Saint-Esprit. Il montre que les autres prescriptions ne sont pas nécessaires ; donc elles sont superflues, puisque celles-ci sont les seules indispensables. « Vous ferez bien de vous abstenir de ces choses ». Cette parole montre que rien ne leur manquera, s’ils observent cette défense. Cela pouvait se dire seulement de vive voix, mais les apôtres envoyaient une lettre pour établir une loi écrite. Puis, afin d’assurer l’obéissance à cette loi, on la lut aux fidèles qui de leur côté s’y soumirent en paix. Ne nous scandalisons pas des hérésies. Dans les commencements de la prédication, voyez combien de scandales : je ne dis pas chez les infidèles, cela n’était rien, mais chez les fidèles eux-mêmes. D’abord Ananie, puis des murmures, après cela Simon le Magicien, puis les accusations contre Pierre à propos de Corneille, ensuite la famine, et enfin cette discussion qui était plus grave que tout le reste.

En effet, il ne peut se faire aucun bien sans que quelque mal ne s’y mêle. Ne nous troublons donc pas si nous voyons quelques scandales, mais rendons grâces à Dieu qui cherche à nous rendre meilleurs, car la vertu est souvent rehaussée, non seulement par les tribulations, mais aussi par les tentations. En : effet, on ne montre pas un grand amour pour la vérité quand on la possède sans que personne vous en détourne ; mais cet amour éclate si beaucoup de personnes cherchent à vous induire en erreur. Eh quoi ! est-ce pour cela qu’arrivent les scandales ? Je ne dis pas que Dieu en soit l’auteur, loin de là ; mais il ne les aurait jamais permis si la perversité des autres ne lui avait servi à nous perfectionner. « Accorde-leur de ne faire qu’un ». (Jn 17,24) Quand il arrive des scandales, cela ne nuit pas aux fidèles, mais plutôt leur est utile. C’est ainsi que les bourreaux sont les bienfaiteurs involontaires des martyrs ; pourtant ce n’est pas Dieu qui excite leur fureur ; de même ne nous inquiétons pas de ceux qui causent du scandale. Ce qui prouve l’excellence de la foi, c’est le nombre de ceux qui l’affectent et la contrefont ; sans la beauté de la religion, il n’y aurait, pas d’hypocrisie ; je vais vous le faire voir clairement.

4. On cherche toujours à falsifier les parfums ; comme par exemple les feuilles d’amome ; comme ces parfums sont rares et indispensables, on les contrefait de bien des façons, car personne ne voudrait imiter une chose qui n’aurait pas de valeur. L’aspect d’une vie pure provoque l’hypocrisie, car personne ne chercherait à ressembler à un méchant, mais plutôt à un solitaire. Que faut-il dire aux gentils, tels que les Grecs ? Un Grec se présente et dit : Je veux me faire chrétien, mais je ne sais à quoi m’arrêter ; chez vous, il y a bien des disputes, des révoltes, des discussions tumultueuses ; quelle secte faut-il embrasser ? Que choisirai-je ? Chacun me répond : c’est moi qui dis la vérité ! Lequel croirai-je, moi qui n’entends rien aux Écritures ? Chaque secte, lui répondrons-nous, prétend s’appuyer sur les Écritures, et nous aussi, assurément ; car si nous prétendions vous convaincre par de simples raisonnements, cela vous étonnerait avec raison : au contraire, si"nous vous disons de croire aux Écritures dans leur simplicité et leur vérité, vous jugerez facilement que celui qui les accepte est chrétien, et que celui qui les repousse ne l’est pas. Mais qu’arrivera-t-il si quelqu’un vient vous expliquer l’Écriture à sa manière ? Pourrez-vous soutenir un autre sens et discuter les deux interprétations ? Votre question, me répondrez-vous, n’est pas raisonnable ni judicieuse ; comment pourrais-je décider pour ou contre vous ? Je veux être disciple et vous me supposez déjà docteur. – Si quelqu’un nous tient ce langage, que lui répliquer ? Comment le convaincre ? S’il ne dit pas cela comme faux-fuyant et prétexte, demandons-lui s’il condamne les païens. Sa réponse nous suffira ; s’il les condamne, il est des nôtres. Demandons-lui pourquoi il les condamne, car il a une raison pour cela. C’est, répondra-t-il évidemment, parce que leurs divinités étant des créatures, ne sont pas le Dieu incréé. Fort bien. S’il trouve ce même caractère chez les hérétiques, et l’opposé chez nous, est-il besoin d’en dire davantage ? Tous nous confessons que le Christ est Dieu. Mais voyons ceux qui sont conséquents avec eux-mêmes et ceux qui ne le sont pas. Pour nous, en disant que le Christ est Dieu, nous ne lui attribuons rien qui ne soit digne de Dieu, nous disons qu’il possède la puissance, qu’il n’est pas esclave, mais libre, et qu’il fait tout de lui-même ; l’hérétique dit tout le contraire. Je lui demanderai encore : votre intention, en étudiant une science telle que la médecine, est-elle simplement de recueillir au hasard tout ce qui se dit, malgré les différences d’opinion ? Vous n’admettrez pas sans examen tout ce que l’on vous dira, cela ne serait pas digne d’un homme ; si vous avez du bon sens et du jugement, vous ne croirez que ce que vous saurez être vrai. Or, nous annonçons le Fils de Dieu, et nos discours s’accordent avec cette prétention ; nos adversaires disent aussi qu’ils l’annoncent, mais le même accord n’existe pas. Pour parler plus clairement, ils ont des hommes dont ils portent le nom ; je veux parler du nom des hérésiarques, et chaque, hérésie a le sien ; pour nous, aucun homme ne nous a donné son nom ; le nôtre rie vient que de la foi.

Mais votre hésitation n’est qu’un prétexte. Dites-moi, quand vous voulez acheter un habit, sans vous connaître aux étoffes, pourquoi cependant ne dites-vous pas : Je ne sais point acheter, on me tromperait ? Ne faites-vous pas au contraire tout ce qu’il faut pour en juger ? Quelque soit l’objet que vous veuillez acheter, vous prenez toutes vos précautions ; mais ici, vous parlez de manière à faire croire que vous ne voulez embrasser aucune secte chrétienne, Eh bien ! supposons un homme qui n’ait pas de religion du tout, et imaginons qu’il dise en général ce que vous dites des chrétiens en particulier : Il y a une infinité d’hommes, et ils ont des opinions diverses : l’un est païen, l’autre juif, un troisième chrétien ; il ne faut admettre aucune croyance, car comment choisir entre ces dogmes qui se contredisent ? Je suis disciple, je ne veux pas être juge ni condamner aucune opinion. On ne pourrait plus dire cela, même comme prétexte. Puisque vous avez su repousser les religions fausses ou altérées, vous saurez aussi, dans la véritable, reconnaître la meilleure foi. Pour celui qui n’a encore repoussé aucun dogme, le choix général sera facile ; celui qui a fait ce premier pas, mais qui n’a pas encore déterminé son choix particulier, y sera conduit naturellement et peu à peu. Ne cherchons pas de détours ni de prétextes ; tout cela est facile. Voulez-vous que je vous montre que tous ces retards sont des prétextes ? Vous savez ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire ; pourquoi donc ne faites-vous point ce qu’il faut, mais au contraire ce qu’il ne faut pas ? Agissez tout autrement, puis interrogez Dieu de bonne foi, et il vous révélera tout. « Dieu n’a point égard aux personnes » (Act 10,34) ; mais dans toute nation, celui qui le craint et qui pratique la justice est accepté par lui. Celui qui l’écoute sans préjugé, ne peut manquer d’être convaincu. S’il existait une longueur à laquelle on dût tout rapporter, il n’y aurait pas besoin de calculer, il serait facile de reconnaître ceux qui mesurent bien ou mal ; c’est ce qui existe pour la religion. Comment ne le voit-on pas ? Cela tient à bien des causes : aux préjugés et aux passions humaines. Mais, observera-t-on, nos adversaires en disent autant contre nous. Eh quoi ? nous sommes-nous séparés de l’Église ? Avons-nous des hérésiarques ? Avons-nous pris notre nom d’un homme ? Avons-nous, à leur exemple, des chefs, tels que Marcion, Manicheus, Arius, ou tout autre pro, moteur d’hérésie ? Si nous nous rattachons à quelques noms, ce n’est pas à ceux des sectaires, mais à ceux des hommes qui ont gouverné et dirigé l’Église. Nous n’avons point de maîtres sur la terre, à Dieu ne plaise ! Mais un seul qui est au ciel. Telle est aussi, dira-t-on, la prétention de nos adversaires, mais ils ont leur nom qui les accuse et leur ferme la bouche. Les gentils aussi étaient d’opinions diverses, il y avait différentes écoles de philosophes, mais cela n’empêcha personne d’embrasser la véritable religion. Cependant quand ils se consultaient à ce sujet, pourquoi ne disaient-ils pas à propos des chrétiens : Ce sont des Juifs comme les autres ; lesquels faut-il croire ? Mais ils obéirent à la loi qu’il fallait choisir. Nous aussi, obéissons aux lois de Dieu ; faisons tout ce qui peut lui plaire, et réglons-nous d’après sa volonté pendant notre existence présente, afin qu’ayant passé dans la vertu le reste de notre vie, nous puissions jouir des biens qu’il promet à ceux qui l’aiment, et obtenir d’être mis au rang de ceux qu’il chérit, par la grâce et la bonté de son Fils unique, ainsi que de l’Esprit-Saint et vivificateur, Déité unique et véritable, maintenant et à toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Voir le début du chap. 16.
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