‏ Acts 16

HOMÉLIE XXXIV.

PAUL ET BARNABÉ RESTÈRENT A ANTIOCHE, OU ILS ANNONÇAIENT AVEC PLUSIEURS AUTRES LA PAROLE DU SEIGNEUR. – QUELQUES JOURS APRÈS PAUL DIT A BARNABÉ : « RETOURNONS VISITER NOS FRÈRES PAR TOUTES LES VILLES OU NOUS AVONS ANNONCÉ LA PAROLE DU SEIGNEUR, POUR VOIR EN QUEL ÉTAT ILS SONT ». (CHAP. 15, VERS. 35, 36, JUSQU’AU VERS. 13 DU CHAP. XVI)

ANALYSE.

  • 1-4. Séparation de Paul et de Barnabé ; qu’elle a servi à la propagation de l’Évangile. – Paul circoncit Timothée pour mieux abolir la circoncision. – Paul est invité en songe à se rendre en Macédoine. – Deux sortes de songes et visions.
  • 5. Exhortation à orner son âme.

1. Remarquez une fois de plus, avec quelle complaisance ils prodiguent leur parole. Quant aux autres apôtres, saint Luc nous a déjà fait connaître leur caractère, et nous a fait voir que les uns étaient plus doux et plus indulgents, les autres plus fermes et plus sévères. En effet, les dons des hommes sont différents, et il est clair que cette différence est elle-même un don. Un caractère sympathise avec certaines mœurs, et un autre caractère avec certaines autres ; changez tout cela, vous gâterez tout. Vous croyez voir parfois s’élever une discussion, mais tout est providentiel et rien n’arrive que pour mettre chacun à la place qui lui convient. Du reste, il ne fallait pas que tous fussent au même rang ; il fallait au contraire que l’un commandât et que l’autre obéit ; c’est encore un effet de la Providence. Les Cypriotes ne ressemblaient pas à ceux d’Antioche ni aux autres fidèles ; il fallait les traiter avec plus de douceur. « Barnabé voulait prendre avec lui Jean surnommé Marc (37). Mais Paul le priait de ne pas emmener celui qui les avait abandonnés en Pamphylie, et n’avait pas pris part à leur œuvre (38). Il y eut donc entre eux une contestation à la suite de laquelle ils se séparèrent ; et Barnabé ayant pris Marc, fit voile pour Chypre (39). Paul ayant choisi Silas, partit avec lui, après avoir été a abandonné à la grâce de Dieu par les frères (40) ».

De même chez les prophètes, nous trouvons diverses habitudes et différents caractères : par exempte, Élie était sévère et Moïse était doux. Ici Paul fut inflexible ; cependant il montre encore de la condescendance : « il priait Barnabé de ne pas emmener celui qui les avait abandonnés en Pamphylie ». Un général ne voudrait pas garder constamment un serviteur indigne de lui : Il en est de même pour un apôtre. C’est ce que Paul fait voir à tout le monde, et à son collègue en particulier. Quoi ! direz-vous, Barnabé était-il un méchant homme ? Nullement, et il serait même absurde de le penser. Quelle absurdité, en effet, d’appeler quelqu’un méchant pour une chose aussi peu importante ! Mais remarquez d’abord qu’il n’y avait aucun mal à ce qu’ils se séparassent, si par ce moyen ils pouvaient évangéliser tous les gentils ; c’était même un grand bien. Remarquez ensuite que, sans cette occasion, ils eussent eu de la peine à se séparer. Peut-être vous étonnerez-vous que saint Luc n’ait point passé cela sous silence ? Mais, ajouterez-vous, s’ils devaient se séparer, il fallait le faire sans discussion. C’est ici que la nature humaine se montre. Si les intérêts du Christ l’exigeaient, rien ne valait mieux que cette occasion. Du reste, une discussion n’est point blâmable quand elle a lieu sur de pareils sujets, et que chacun défend une idée juste. On ferait bien de la condamner si chacun des adversaires ne soutenait que son avantage particulier ; mais quand tous deux cherchent à enseigner et à convertir, si chacun prend une route différente, quel mal y a-t-il à cela ? Ils se dirigeaient souvent par la raison humaine, car ils n’étaient faits ni de pierre ni de bois. Vous voyez que Paul reprend le choix de Barnabé et donne ses raisons. Barnabé, qui avait été son compagnon et son associé dans tant de circonstances, avait sans doute beaucoup de respect pour lui, mais ce respect n’allait pas jusqu’à négliger son devoir. Lequel, des deux avait raison, ce n’est pas à nous d’en juger ; mais ce fut tin événement providentiel, car sans cela, tandis que certains peuples auraient été visités deux fois, d’autres ne l’auraient pas été une seule. Ce n’était pas sans raison qu’ils étaient restés à Antioche, c’était pour enseigner, Qui enseignaient-ils ? à qui prêchaient-ils l’Évangile ? Tantôt aux fidèles, tantôt à ceux qui ne l’étaient pas encore. Comme il y avait une foule de scandales, leur présence était nécessaire : il faut voir non pas en quoi ils ont différé, mais en quoi ils ont été d’accord. Ainsi leur séparation produisit un grand bien et la prédication en prit un nouvel essor. Quoi donc ! se séparèrent-ils ennemis ? Non certes, car vous voyez ensuite Paul combler Barnabé de louanges dans ses épîtres. « Il y eut entre eux une contestation », mais ce n’était pas une hostilité ni une querelle. Cette contestation fit qu’ils se séparèrent, et avec raison ; car ce que chacun d’eux pensait être utile, il n’aurait pu le faire plus tard, à cause de son compagnon.

2. Je crois que cette séparation a été décidée avec réflexion et qu’ils se sont dit l’un à l’autre : Puisque je ne veux pas ce que tu veux, ne disputons pas, allons chacun de notre côté. Ils montrèrent donc beaucoup de condescendance mutuelle. Barnabé voulait respecter l’œuvre de Paul, et c’est pour cela même qu’il le quittait : de même Paul ne voulait pas nuire aux travaux de Barnabé : aussi agit-il de même en le laissant aller. Plût au ciel que chez nous aussi les séparations n’eussent pas d’autre cause que le zèle de la, prédication ! « Paul ayant choisi Silas partit avec lui, après avoir été abandonné à la grâce de Dieu par les frères ». Voilà un homme admirable et véritablement grand ! Cette discussion fut bien profitable pour Marc : la sévérité de Paul le convertit et l’indulgence de Barnabé empêcha qu’il ne fût laissé de côté : tel est l’avantage auquel aboutit en résumé cette lutte. Se voyant repoussé par Paul, il s’effraya beaucoup et se condamna lui-même ; mais se voyant protégé par Barnabé, il s’attacha à lui, et le disciple fut corrigé par la contestation élevée entre les apôtres, tant il fut loin d’en être scandalisé ! Il l’eût été sans doute si les apôtres n’avaient agi que par vanité, mais puisqu’ils semblaient ne rien faire que pour son propre salut et que cette discussion prouvait qu’on faisait bien de l’estimer, de quoi pouvait-il s’étonner ?

3. Remarquez la sagesse de Paul. Il n’entre point dans d’autres villes avant de visiter celles qui avaient déjà reçu la parole. « Il traversa la Syrie et là Cilicie, confirmant les Églises (41) ». « Il arriva à Derbe et à Lystre (16,1) ». En effet, il n’aurait pas été raisonnable de courir au hasard. Agissons de même, et que les premiers instruits soient aussi les premiers perfectionnés, pour qu’ils ne fassent pas obstacle à ceux qui les suivent. « Visitons nos frères », dit-il, « pour voir en quel état ils sont ». Il était naturel qu’il l’ignorât ; aussi voulait-il les revoir. Voyez comme il est toujours vigilant, inquiet, incapable de repos et s’exposant à mille dangers. Observez que ce n’est point par crainte qu’il est venu à Antioche. Il ressemble à un médecin qui va voir ses malades, et il montre la nécessité de visiter encore les villes « où ils ont annoncé la parole du Seigneur ». Barnabé s’est éloigné et ne l’accompagne plus. « Paul choisit Silas et fut abandonné à la grâce de Dieu ». Que signifie cela ? C’est que les frères prièrent et invoquèrent Dieu pour lui. Vous voyez partout combien la prière des frères est puissante. Il fit la route à pied, afin de pouvoir être utile à tous ceux qui le voyaient, et cela se comprend quand les apôtres devaient se hâter, ils voyageaient par mer ; mais ici il en était autrement : « Il rencontra un disciple, nommé Timothée, fils d’une femme juive fidèle et d’un père gentil. Les frères qui étaient à Lystre et à Icone, rendaient un témoignage avantageux de, ce disciple (2). Paul voulut donc qu’il vînt avec lui ; et l’ayant pris, il le circoncit, à cause des Juifs qui étaient en ces lieux-là ; car tous savaient que son père était gentil (3) ».

Ici l’on doit être frappé de la sagesse de Paul. Lui qui avait soutenu tant de luttes contre la circoncision, qui n’avait eu ni trêve ni repos avant d’avoir tout réglé et fait triompher son opinion, le voilà qui circoncit un disciple ! non seulement il ne s’oppose point à cet usage, mais il le pratique lui-même. Rien n’égalait la prudence de Paul ; il agissait toujours pour le bien et non d’après un parti pris. « Il voulut qu’il vînt avec lui ». Admirez cette précaution de l’emmener, « à cause des Juifs qui étaient en ces lieux-là ». Voilà pourquoi il l’a circoncis, car les Juifs n’auraient jamais accepté la parole de Dieu de la bouche d’un incirconcis. Et qu’en résulta-t-il ? Voyez quel avantage ! Cette circoncision tendait à détruire la circoncision, puisque le nouveau fidèle devait prêcher les dogmes des apôtres. – Voyez une contradiction, et une contradiction qui produit l’édification. Ce n’est plus avec d’autres qu’ils sont en lutte : ils se contredisent eux-mêmes, et c’est pour édifier l’Église. Ainsi, voulant supprimer la circoncision, Paul la pratique pour mieux la supprimer. « Les Églises croissaient en nombre de jour en jour (5) ». Voilà à quoi servait la circoncision. Il ne s’arrête pas là, puisqu’il venait seulement pour visiter ; mais que fait-il ? Il va plus loin. « Allant de ville en ville, ils donnaient pour règle aux fidèles de garder les ordonnances qui avaient été établies par les apôtres et par les prêtres de Jérusalem (4).

« Aussi les Églises étaient confirmées dans la foi, et croissaient en nombre de jour en jour (5). Lorsqu’ils eurent traversé la Phrygie et la Galatie, le Saint-Esprit leur défendit d’annoncer la parole de Dieu en Asie (6). Étant venus en Mysie, ils se disposaient à passer en Bithynie, mais l’Esprit ne le permit pas (7) ». L’auteur ne dit pas pourquoi ces défenses leur furent imposées, il se contente de les rapporter, ce qui nous apprend qu’il faut obéir sans en rechercher la raison, et nous montre aussi que souvent ils agissent d’après la sagesse humaine. « Ils passèrent ensuite la Mysie, et descendirent à Troade (8). Paul eut une vision pendant la nuit : un Macédonien lui apparut et lui fit cette prière : Passez en Macédoine et secourez-nous (9) ». Pourquoi cette vision, et pourquoi le Saint-Esprit ne commanda-t-il pas lui-même ? C’est qu’il voulait aussi exercer son influence de cette manière. Souvent les saints sont visités par des songes, et saint Paul lui-même, au commencement de sa conversion, vit apparaître un homme qui lui imposait les mains. Actuellement, le Saint-Esprit l’entraîne, parce moyen, à étendre davantage sa prédication. C’est pour cela que, d’après l’ordre du Christ lui-même, Paul ne doit pas s’arrêter dans d’autres villes.

En effet, les habitants de ces contrées devaient sans doute être instruits encore longtemps par Jean et n’avaient peut-être pas besoin d’autres secours : aussi Paul n’avait-il pas besoin d’y rester. Il partit donc pour continuer son voyage. « Aussitôt qu’il eut eu cette vision, nous nous disposâmes à passer en Macédoine, ne doutant point que Dieu ne nous appelât, pour y prêcher l’Évangile (10). Nous étant donc embarqués à Troade, nous vînmes droit à Samothrace et le lendemain à Néapolis (11). De là à Philippes, qui est la première colonie romaine qu’on rencontre de ce côté-là, en Macédoine, où nous demeurâmes quelques jours (12) ». C’est ainsi que plus tard le Christ lui apparaît et lui dit : « Il faut que tu te présentes devant César ». (Act 27,24) Ensuite il rapporte les lieux où il passe, il détaille son récit, et indique où il s’est arrêté : il a séjourné dans les villes importantes et a seulement traversé les autres la colonie établie dans une ville en montrait l’importance.

Mais revenons à ce qui précède. Paul montre à Barnabé leur départ comme indispensable, en lui disant : « Visitons les villes où nous avons annoncé la parole de Dieu ». Cependant, devait-il prier celui qu’il devait bientôt réprimander ?

4. C’est ce qui se passe encore entre Dieu et Moïse. L’un supplie et l’autre s’irrite, comme quand il dit à Moïse : « Si son père lui avait craché à la figure » (Nom 12,14) ; et aussi : « Laisse-moi faire et dans ma colère je détruirai ce peuple ». (Exo 32,10) C’est ce que l’on voit aussi lorsque Samuel pleure Saül. (1Sa 15,35) Dans ces circonstances d’où résultent tant d’avantages, l’un est irrité, l’autre ne l’est point ; c’est ce que nous voyons ici. Du reste, cette contestation a sa raison d’être pour qu’elle soit profitable et n’ait pas l’air d’une fiction. Barnabé aurait fini par, céder dans cette occasion, lui qui cédait d’ordinaire, lui qui aimait Paul au point qu’il l’avait cherché à Tarse et présenté aux apôtres, qu’il avait confondu leurs aumônes et soutenu ses dogmes. Il ne se serait point fâché dans cette circonstance, mais tous deux se séparent pour commencer ou achever l’instruction de ceux qui avaient besoin de leurs leçons ; c’est ce que Paul dit encore plus loin : « Ne vous fatiguez jamais de faire le bien ». (2Th 3,13) Dans ce passage il y a des gens qu’il blâme, et en même temps il recommande de faire du bien à tout le monde. C’est aussi ce que nous avons l’habitude de vous dire. Ici encore il me semble que certaines personnes en voulaient à Paul ; du reste, en les mettant à part, il fait tout, il avertit, il exhorte. Il y a une grande puissance dans la concorde, dans la charité ; ce que vous demandez est très-important, et vous ne l’êtes guère ; n’importe, on écoutera toujours votre demande ; ne craignez rien. « En passant dans les villes, il rencontra un disciple, nommé Timothée, dont les frères, qui étaient à Lystre et à Icone, rendaient bon témoignage ». La foi de Timothée était grande, puisque tout le monde en rendait un pareil témoignage. Paul trouva en lui un autre associé pour remplacer Barnabé. Aussi lui dit-il : « Je me souviens de tes larmes et de ta foi sincère qu’ont eue d’abord ton aïeule Loïde et ta mère Eunice ». (2Ti 4,5) Lorsqu’il le prit et le circoncit », il en dit la raison : c’était « à cause des Juifs qui étaient dans ces lieux-là ». Voilà pourquoi il le circoncit, ou bien encore à cause de son père qui ne s’était pas séparé des gentils, et qui, par conséquent, n’était pas circoncit. Voilà déjà, comme vous le voyez, une dérogation à la loi. Quelques personnes pensent que Timothée était né après la prédication de l’Évangile, mais cela n’est pas certain. « Depuis l’enfance », lui dit Paul, « tu connais les saintes Écritures ». Ces mots signifient peut-être encore qu’il voulait l’instituer évêque, et qu’il ne pouvait rester incirconcis. En effet, cette obligation n’existait plus pour les gentils qui se convertissaient : c’était là un grand pas de fait que d’avoir écarté un sujet de scandale aussi ancien. On commençait à abroger cette coutume en décidant que les gentils pouvaient s’en abstenir sans qu’on les blâmât, et sans qu’il leur manquât rien pour la religion ; le reste devait venir tout seul, Cependant comme Timothée devait exercer la prédication, Paul le circoncit, quoiqu’il fût gentil par son père et fidèle par sa mère. Du reste, Paul ne s’inquiéta pas de cette circonstance, parce que l’œuvre immense qu’il accomplissait regardait les gentils ; mais il pratiqua cette circoncision, parce que Timothée devait répandre la parole du Seigneur. Observez ici tout le bien qu’il accomplit quand il semble se contredire. « Les églises se multipliaient ». Vous voyez que cette circoncision, non seulement n’a fait aucun mal, mais, a procuré même de grands avantages.

« Aussitôt qu’il eut eu cette vision, nous nous disposâmes à passer en Macédoine, ne donnant point que Dieu nous y appelât ». Cette apparition n’était pas celle d’un ange, comme à propos de Philippe et de Corneille : qu’était-ce donc ? Cette vision rentre dans l’ordre naturel et non dans l’ordre surnaturel. Les manifestations naturelles ont lieu pour des ordres faciles à suivre : celles qui sont surnaturelles interviennent pour des devoirs plus pénibles. Un songe suffisait pour le retirer d’une ville où il voulait prêcher ; mais, quand ce désir était devenu une passion, il n’en pouvait être détourné que par une révélation du Saint-Esprit. C’est ainsi que, Pierre entendit ces mots : « Lève-toi, et descends ». (Act 10,20) Ainsi le Saint-Esprit ne se manifeste pas lui-même quand il s’agit de choses faciles : il suffit d’un songe. Joseph ; qui était facile à persuader ne voit rien qu’en songe ; d’autres ont une véritable vision. C’est ce qui était arrivé à Corneille et à Paul lui-même. Mais ici, « il lui apparaît un Macédonien, qui le priait ainsi ».

Il ne dit pas : qui ordonnait, mais « qui priait » ; c’est-à-dire, qui lui demandait ce dont il avait besoin. Pourquoi ces mots : ne « doutant point » ? c’est-à-dire, conjecturant. En effet, ils devaient le conclure de cette vision, apparue seulement à Paul, des défenses que le Saint-Esprit leur avait faites et de la proximité où ils étaient de la Macédoine. Ils en étaient encore avertis par la direction de leur navigation, car il n’y avait pas longtemps qu’ils avaient approché de cette frontière de la Macédoine. On reconnaît ici l’avantage providentiel de cette contestation. Sans cela, l’œuvre du Saint-Esprit aurait été incomplète, et la Macédoine n’aurait pas reçu la parole divine. Un pareil progrès montre que ce n’était pas seulement l’action des hommes. Aussi Barnabé ne s’en fâcha point ; seulement « il y eut une contestation entre eux ». Ils n’en furent pas plus irrités l’un que l’autre.

5. Nous voyons par là qu’il ne faut pas écouter ces paroles sans attention, mais les étudier et nous en pénétrer : car tout cela n’est pas écrit en vain. C’est un grand malheur de ne pas connaître l’Écriture : ce qui devrait être notre salut, peut devenir notre perte. C’est ainsi que l’on voit souvent des remèdes souverains, ne servir qu’à la destruction et à la mort de ceux qui les emploient sans en connaître l’usage, et des armes tuer quelquefois les imprudents qui voulaient les utiliser pour leur défense. La raison en est que nous songeons à toute autre chose qu’à l’avantage de notre âme, et que nous sommes préoccupés de tout, excepté de ce qui nous importe le plus. Nous veillons toujours à la solidité de notre maison, et nous craignons pour elle les ravages des années et des orages ; mais notre âme ne nous inquiète pas : nous avons beau la voir menacée de fond en comble, peu nous importe. Si nous avons des animaux, nous veillons sur eux, nous les faisons soigner, guérir ; en un mot, nous n’épargnons rien. Nous tenons à ce qu’ils soient bien abrités, et nous recommandons à ceux qui en sont chargés de ne pas les fatiguer par des exercices ou des fardeaux excessifs, de ne pas les faire sortir de nuit quand le temps n’est pas favorable, de ne pas trafiquer sur leur nourriture ; enfin nous faisons une foule de prescriptions pour nos animaux, tout cela sans songer à notre âme. Mais pourquoi m’arrêter sur ceux des animaux qui nous sont utiles ? Bien des gens ont des oiseaux qui ne servent qu’à les amuser ; cependant ils font là-dessus une foule de recommandations, ils n’oublient et ne négligent rien : enfin nous sommes préoccupés de tout, excepté de nous-mêmes. Sommes-nous donc inférieurs à toutes ces créatures ? Nous sommes fâchés, si l’on nous injurie en nous appelant : chien ; mais quand nous nous injurions ainsi nous-mêmes, non par nos paroles, mais par nos actions, en prenant moins de soin de notre âme que de nos chiens, cela ne nous choque point. En vérité, c’est à n’y rien comprendre. Combien voit-on de gens qui font en sorte que leurs chiens ne mangent pas plus qu’il ne faut, afin que leur appétit non satisfait, les rende plus légers et plus ardents à la chasse, tandis qu’ils ne s’imposent à eux-mêmes aucune règle contre les excès du plaisir ; ils semblent ainsi apprendre la sagesse aux animaux dont ils empruntent la brutalité.

Voilà une chose étrange. Qu’est-ce donc que la sagesse des animaux, direz-vous ? Ne trouvez-vous pas une grande sagesse chez le chien affamé qui saisit une pièce de gibier, et qui, sachant s’abstenir de cette nourriture mise à sa portée, fait taire son appétit pour attendre son maître ? Rougissez donc, et vous-même exercez-vous à une pareille sagesse. Vous n’avez aucune excuse. Puisque cet être qui, par sa nature, n’a ni parole ni raison, peut acquérir une pareille sagesse, vous en êtes bien plus capable. En effet, cela ne vient pas de leur nature, mais des soins de l’homme ; car autrement tous les chiens seraient de même. Tâchez donc de ressembler à des chiens comme ceux-là. Vous me forcez à de pareilles comparaisons. Je voudrais vous comparer aux anges, mais vous diriez qu’ils sont trop au-dessus de nous ; aussi je ne parle pas des anges : à Paul ? vous, diriez que c’était un apôtre ; aussi je ne parle point de Paul : à un homme ? vous diriez que, s’il a été sage, c’est qu’il a pu l’être ; aussi, je ne parle point d’un homme, mais d’un animal dont la sagesse ne provient ni de sa nature, ni de sa volonté : Chose étrange ! elle ne vient pas de lui-même, mais de vos soins à vous-même. Il ne songe pas qu’il est fatigué, épuisé par sa course, qu’il s’est donné la peine de prendre cette proie ; ou plutôt, il laisse tout cela de côté pour obéir à son maître et vaincre son appétit. Oui, direz-vous, mais il attend des éloges, il attend une meilleure nourriture, Eh bien ! dites vous à vous-même que le chien méprise les avantages présents à côté de ceux de l’avenir, tandis que l’espérance du bonheur futur ne peut vous détourner des jouissances actuelles. Le chien sait encore que, s’il déchire le gibier destiné à son maître, non seulement il en sera privé, mais qu’il n’aura même pas sa pâture habituelle et qu’il aura des coups au lieu de nourriture. Vous, au contraire, vous ne pouvez même pas voir cela, et la raison ne fait pas pour vous ce que l’habitude fait pour le chien. Cherchons donc à imiter les chiens. Les faucons et les aigles nous donnent des leçons semblables au lieu de chasser les lièvres et les chevreuils, ils poursuivent les oiseaux, et c’est encore l’homme qui les instruit. Voilà ce qui peut nous condamner ou nous servir d’exemple.

Je vous parlerai encore des chevaux sauvages et indomptés, qui ruent et qui mordent : en peu de temps les écuyers habiles les forment si bien que le cavalier se plaît à leur faire prendre toute espèce d’allure ; tandis que personne ne dirige l’allure déréglée de notre âme, elle bondit, elle rue, elle se traîne par terre comme un enfant, elle fait mille extravagances, personne ne lui met ni frein ni entraves, et elle ne peut supporter son habile écuyer ; je veux dire le Christ : aussi tout va de travers. Nous corrigeons la gourmandise des chiens, nous domptons la férocité des lions et l’indocilité des chevaux, enfin nous faisons parler les oiseaux : n’est-il pas absurde d’exercer les animaux à des actions raisonnables, et de laisser prendre des instincts sauvages à des créatures raisonnables ?

Rien, assurément, rien ne peut nous excuser. Tous ceux qui se conduisent bien, fidèles ou infidèles, n’hésiteront pas à nous accuser ; car il y a des infidèles qui se conduisent bien nous avons même vu qu’on trouvait de bons exemples chez les animaux, chez les chiens ; l’homme seul en donne de mauvais. Nous-mêmes, nous devons nous condamner puisque nous faisons le bien quand nous voulons, et que notre faiblesse seule nous fait tomber en faute. Car on a vu des gens bien pervers se corriger par l’effet de leur volonté. Tout le mal, comme je le disais, vient de ce que les biens que nous cherchons nous sont étrangers. Si vous faites élever une maison splendide, vous cherchez ce qui convient à la maison plutôt qu’à vous : si vous portez de beaux habits, c’est avantageux pour votre corps et non pour vous-même : un beau cheval, c’est la même chose. Personne ne s’inquiète si son âme est belle : cependant, si elle est belle, on n’a besoin de rien autre chose ; si elle ne l’est pas, aucune autre chose ne peut servir. C’est comme pour une mariée : Supposez un lit nuptial orné de tissus dorés, des chœurs de belles femmes, des couronnes de roses, un beau fiancé, les servantes et les amies plus belles les unes que les autres ; si la mariée est laide, tout cela ne l’embellira pas. Mais si elle est belle, pensez-vous qu’elle aura besoin de ces splendeurs ? Sien au contraire. Car celle qui est laide le paraît encore plus avec tout cet éclat, mais celle qui est belle semble l’être encore plus dans sa simplicité. Il en est de même pour l’âme ; lorsqu’elle est belle, toutes les richesses ne lui ajoutent aucun prix et voilent au contraire sa beauté ; car le sage ne brille pas dans l’opulence, mais plutôt dans la pauvreté. S’il est riche, on dit que sa vertu tient à ce qu’il ne manque de rien : au contraire, s’il mérite l’admiration générale, parce que sa pauvreté ne le contraint à rien dont il puisse rougir, personne ne pourra plus lui disputer la couronne de la sagesse.

Si donc nous prétendons aux richesses véritables, embellissons notre âme. De quoi vous servirait-il d’avoir des mulets blancs, bien soignés et bien nourris, si vous, qui les montez, êtes maigre, galeux et difforme : de même, que vous servirait-il d’avoir de beaux lits moelleux, aussi bien ornés que bien travaillés, si votre âme n’avait que des haillons, si elle était nue et sale ? Qu’importe – qu’un cheval s’avance en mesure et semble danser plutôt que marcher, qu’importe qu’il soit accompagné d’un cortège de fête, si celui qui le monte boite plus qu’un boiteux – et remué ses mains et ses pieds d’une manière plus bizarre qu’un ivrogne ou un fou ? Dites-moi, celui qui vous donnerait un beau cheval, mais vous disloquerait le corps, vous ferait-il du bien ? Maintenant c’est votre âme qui est disloquée et vous ne vous en inquiétez point. Je vous en conjure, pensons enfin à nous-mêmes : ne nous mettons pas au-dessous de toutes les créatures Si l’on nous injurie, cela nous pique et nous afflige : mais quand nous nous faisons injure à nous-mêmes par nos actions, nous n’y prenons pas garde. Repentons-nous, si tard que ce soit, veillons sur notre âme et cultivons la vertu, afin que nous puissions obtenir les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXV.

LE JOUR DU SABBAT, NOUS SORTÎMES DE LA VILLE, ET NOUS ALLÂMES PRÈS DE LA RIVIÈRE, OU ÉTAIT LE LIEU ORDINAIRE DE LA PRIÈRE. NOUS NOUS ASSÎMES ET NOUS PARLÂMES AUX FEMMES QUI ÉTAIENT ASSEMBLÉES. – IL Y EN AVAIT UNE NOMMÉE LYDIE, DE LA VILLE DE THYATIRE, MARCHANDE DE POURPRE, QUI SERVAIT DIEU. ELLE ÉCOUTA, ET LE SEIGNEUR LUI OUVRIT LE CŒUR POUR ÊTRE ATTENTIVE AUX PAROLES DE PAUL. (CHAP. 16, VERS. 13, 14, JUSQU’AU VERS. 24)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Conversion de la marchande de pourpre. – Démon chassé du corps d’une servante. – Les apôtres battus de verges et mis en prison par les magistrats de Philippes.
  • 2 et 3. Rien de plus inutile que l’homme oisif. – Contre la bonne chère.

1. Voilà encore Paul qui se rapproche des habitudes juives, à cause des circonstances de temps et de lieu. On ne priait pas seulement dans la synagogue, mais en dehors ; il y avait pour cela comme un rendez-vous, car les usages des Juifs avaient quelque chose de matériel. « Le jour du Sabbat », car il était probable que la foule se rassemblerait ce jour-là, « nous nous assîmes et nous parlâmes aux femelles qui étaient assemblées. Il y en avait une nommée Lydie, de la ville de Thyatire, marchande de pourpre, qui servait Dieu. Elle écouta, et le Seigneur lui ouvrit le cœur pour être attentive aux paroles de Paul ». Tout cela est bien modeste. Il s’agit d’une femme de condition obscure, comme on le voit par sa profession, mais voyez quelle sagesse elle possède. Ou lui rend d’abord ce témoignage qu’elle craignait Dieu et qu’elle invita les apôtres. « Après qu’elle eut été baptisée, et sa famille avec elle, elle nous fit cette prière : « Si vous me croyez fidèle au Seigneur, entrez dans ma maison et y demeurez ; et elle nous y força (15) ». Voyez comment elle les persuade tous ; remarquez aussi la prudence avec laquelle elle supplie les apôtres, l’humilité de ses paroles et sa grande sagesse. « Si vous me jugez », dit-elle, « fidèle au Seigneur ». Rien n’est plus puissant pour persuader. Qui ne serait touché de semblables paroles ? Ce n’étaient pas seulement des instances, des supplications, c’était de la contrainte, puisqu’on ajoute : « Elle nous y força » ; c’est-à-dire, par ces paroles. Voyez quels fruits précoces, et comme elle apprécie l’importance de sa conversion. Vous, me jugez fidèle, vous l’avez prouvé en me confiant de pareils mystères, car vous ne l’eussiez pas fait sans avoir confiance en moi. Elle n’osa pas les inviter avant d’avoir été baptisée, ce qui prouve qu’elle n’aurait pu les t’engager, avant cela. Pourquoi Paul et ses compagnons hésitaient-ils, refusaient-ils, au point de se faire contraindre ? Pour exciter le zèle de cette femme ou bien pour la raison que dit le Christ : « Quand vous entrerez dans une ville, informez-vous si quelqu’un mérite de vous recevoir et demeurez chez lui ». (Luc 10,8) Ainsi la Providence conduisait tout.

« Or, il arriva que, comme nous allions au lieu de la prière, nous rencontrâmes une servante qui, ayant un esprit Pythien, apportait un grand gain à ses maîtres, en devinant (76). Elle se mit à nous suivre, Paul et nous, en criant : Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut, qui nous annoncent la voie du salut (17) ». Pourquoi le démon dit-il de pareilles choses, et pourquoi Paul s’y oppose-t-il ? C’était malignité d’un côté et prudence de l’autre, car le diable voulait ainsi empêcher les apôtres d’être dignes de foi. En effet, si Paul avait accepté son témoignage, le démon aurait trompé les fidèles en se prévalant d’une pareille approbation, car le démon ne les vante que pour s’établir à leur place et ne s’humilie que pour les perdre. Aussi Paul se contenta d’abord de ne pas accepter ce témoignage et de le repousser, ne voulant point prodiguer les miracles : mais comme le démon persévérait plusieurs jours et dévoilait ses intentions en disant toujours : « Voilà les hommes du Dieu Très-Haut qui nous annoncent la voie du salut ; il lui commanda de sortir. Paul, ayant peine à le souffrir, se tourna vers elle et dit à l’esprit : « Je te commande au nom de Jésus-Christ de sortir de cette fille, et il sortit à l’heure même (18). Mais les maîtres de cette fille, « voyant qu’ils avaient perdu l’espérance de leur gain, se saisirent de Paul et de Silas ; et les ayant emmenés dans la place devant ceux qui commandaient dans la ville (19), ils les présentèrent aux magistrats, en leur disant : Ces hommes troublent toute notre ville, car ce sont des Juifs qui veulent établir une manière de vivre qu’il ne nous est point permis de recevoir ni de suivre, à nous qui sommes Romains (21) ». Ainsi l’argent cause du mal partout. O cruauté des païens ! Ils voulaient que cette servante restât possédée, afin de leur rapporter de l’argent. « Ils se saisirent de Paul et de Silas, et ils disaient : Ces hommes troublent toute notre ville ». Que faisaient-ils pour cela ? Pourquoi ne pas les avoir arrêtés plus tôt ? « Car ce sont des Juifs », tant ce nom avait une mauvaise réputation. « Ils veulent établir une manière de vivre qu’il ne nous est point permis de recevoir ni de suivre, à nous qui sommes Romains ». Ils en font un crime de lèse-majesté. « La foule se jeta sur eux (22). » O folie ! Ils n’examinent point, ils ne réfléchissent pas ; tandis qu’après un pareil miracle, on aurait dû se prosterner devant les apôtres et les regarder comme des bienfaiteurs et des sauveurs. Si vous voulez des richesses, pourquoi ne pas vous empresser de recueillir ces immenses trésors ? N’est-il pas plus beau de pouvoir chasser les démons que de leur obéir ? Voilà des miracles, mais l’amour de l’argent l’emporta. « Les magistrats firent déchirer leurs habits et commandèrent qu’ils fussent battus de verges ; et, après qu’on leur en eut donné plusieurs coups, ils les mirent en prison et ordonnèrent au geôlier de les garder sûrement (23) ». Ainsi, c’était Paul qui avait tout fait, les miracles et la prédication ; cependant Silas partagea ses dangers. Pourquoi dit-on que Paul « eut peine à souffrir ces paroles ? » C’est à cause de la malice du démon, dont il dit ailleurs : « Nous n’ignorons point ses pensées. » (2Co 2,11) Pourquoi les habitants ne disent-ils pas : Ils ont chassé un démon, ils ont été impies envers Dieu ? Pourquoi font-ils de cela un crime de lèse-majesté ? c’est qu’autrement ils se seraient avoués vaincus. C’est ainsi que l’on disait à propos du Christ : « Nous n’avons d’autre roi que César ». (Jn 19,15) « Quiconque se prétend roi est l’ennemi de César. (Id 12) Ici ils les mirent en prison », tant était grande leur fureur. « Le geôlier ayant reçu cet ordre, les mit dans un cachot et leur serra les pieds dans des ceps (24) ». Observez qu’il les met dans un cachot, et cela est encore providentiel. Comme il allait se produire un grand miracle, tout se passa en dehors de la ville, dans l’endroit le plus convenable, et à l’abri de toute tentative et de tout danger. Remarquez combien l’historien s’attache à tout indiquer. Comme on était dans le calme, on faisait d’autant plus d’attention à ce qui se disait car Philippes n’était pas une grande cité. Nous-mêmes, apprenons par là à ne rougir de personne. Pierre demeure chez un corroyeur, Paul chez une marchande de pourpre ; est-ce là de l’orgueil ? Prions donc Dieu pour qu’il ouvre notre cœur : du reste, Dieu ouvre tous les cœurs qui s’y prêtent ; mais on en voit qui s’y refusent. Mais revenons à ce qui précède. « C’était une femme marchande de pourpre, à qui Dieu ouvrit le cœur pour qu’elle « fût attentive aux paroles de Paul ». Ouvrir le cœur regardait Dieu, l’attention dépendait de cette femme ; ainsi, c’était une œuvre à la fois divine et humaine. « Après avoir été baptisée, elle pria en disant : Si vous m’avez jugée ». Vous le voyez, elle est baptisée et elle reçoit les apôtres en leur faisant cette supplication, plus instante que celle d’Abraham. Elle ne donne pas d’autre gage que celui de son salut. Elle ne dit pas : si vous m’avez jugée une femme d’une condition supérieure et pieuse, mais quoi ? « Fidèle au Seigneur ». Je le serai de même pour vous, si vous n’hésitez pas à me suivre. Elle ne dit point : chez moi ; mais : « Restez dans ma maison », pour montrer qu’elle agissait ainsi de tout son cœur, tant sa foi était grande !

Mais, dites-moi, quel était ce démon ? C’était le dieu Pythien ; on l’appelle ainsi parce qu’on était en Grèce. Vous voyez donc qu’Apollon était un démon ; il cherchait à tenter les apôtres pour les exciter au mal : voilà pourquoi il faisait parler la servante.

2. O monstre de perversité ! puisque tu sais qu’ils annoncent la voie du salut, pourquoi ne sors-tu pas de toi-même ? Ce que voulait Simon, quand il disait : « Accordez-moi que celui à qui j’imposerai les mains reçoive le Saint-Esprit » (Act 8,19) ; le démon le fait également ici : comme il voyait que l’on accueillait les apôtres, il dissimule, espérant qu’ils le laisseront dans ce corps s’il les célèbre lui-même. Mais si, quand il s’agit d’un homme, « la louange n’est pas agréable dans la bouche d’un pécheur » (Sir 15,9), elle l’est encore bien moins de la part du démon. Si le Christ n’a pas besoin d’un témoignage humain, pas même de celui de Jean il réclame encore moins celui du démon. La prédication ne vient pas des hommes, mais du Saint-Esprit. Plusieurs habitants poussaient des clameurs insolentes, espérant troubler les apôtres par leurs cris, et disaient : « Ce sont des hommes qui troublent notre ville ». Que dites-vous ? N’êtes-vous pas esclaves du démon ? pourquoi ne l’écoutez-vous plus maintenant ? Il dit lui-même que « ce sont là les serviteurs du Dieu Très-Haut » ; et vous dites : « Ils troublent notre ville ». Le démon dit « Ils annoncent la route du salut », et vous dites : « Ils nous enseignent une manière de vivre que nous ne devons pas suivre ». Vous voyez qu’ils n’écoutent même plus le démon et qu’ils ne songent qu’à une chose : l’amour de l’argent. « Ils les menèrent dans la place, devant ceux qui commandaient la ville, et le « peuple se jeta sur eux ». Observez que les apôtres ne répondent rien et ne se défendent pas : ce qui les rend encore plus admirables. Car il est écrit : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis puissant : ma grâce te suffit, car ma force se montre tout entière dans la faiblesse ». (2Co 12,10 et 9) Ainsi leur douceur leur méritait une nouvelle admiration. Plus leur prison était étroite, plus le miracle fut éclatant. Sans doute les magistrats voulaient éviter une sédition. Pour contenter là foule furieuse, ils firent immédiatement frapper les apôtres ; s’ils les firent mettre en prison et garder soigneusement, c’était pour les juger ensuite. « On leur serra les pieds « avec des ceps », qui remplaçaient les cordes. Que de larmes ne devons-nous pas verser sur ce qui se passe aujourd’hui ! Voilà ce qu’ils souffraient patiemment, tandis que nous vivons dans le luxe et au milieu des fêtes, et dans les théâtres. Aussi arrivons-nous à notre ruine et à notre perte, tout en cherchant partout le plaisir, lorsque nous craignons d’être insultés pour le Christ ou même de défendre sa cause. Rappelons-nous souvent, je vous en conjure, leurs souffrances et leur constance, leur calme et leur courage. Voilà ce qu’ils supportaient pour accomplir l’œuvre de Dieu. Ils ne disaient pas : Pourquoi Dieu ne nous secourt-il pas quand nous annonçons sa parole ? Mais ces épreuves même leur étaient utiles, et, même quand ils n’étaient pas secourus, ils en sortaient plus fermes, plus forts et plus audacieux. « La tribulation donne la patience ». (Rom 5,4)

Ne recherchons donc pas une vie molle et, dissolue. Nous venons de voir que les apôtres recueillaient un double avantage, parce qu’ils se fortifiaient et que leur récompense en devenait plus grande ; de même, une manière de vivre opposée a un double inconvénient, parce qu’elle amollit sans cesse et parce qu’elle ne promet aucune récompense, mais plutôt une punition. Rien de plus inutile que l’homme qui passe tout son temps dans le luxe et la dissolution. Celui qui n’a pas été éprouvé est réprouvé, non seulement pour les luttes spirituelles, mais pour toutes les autres. La paresse n’est bonne à rien, et l’amour du plaisir ne réussit même pas à le procurer, car il n’en résulte que le dégoût. Il n’y a pas tant d’agréments dans la gourmandise et la volupté ; tout cela passe et disparaît. Gardons-nous de les rechercher. Si nous examinons quel est le plus heureux, de l’homme qui travaille et se fatigue, ou de celui qui vit dans le luxe et l’oisiveté, nous trouverons que c’est encore le premier. Le second a un corps énervé et lymphatique, ses sens eux-mêmes, loin d’être sains et intacts, restent languissants et émoussés ; dans un pareil état, on n’a même pas le plaisir de la santé. Lequel faut-il préférer pour un cheval ? L’oisiveté ou l’exercice ? Pour un navire ? de pourrir au port, ou de voguer dans la mer ? Pour l’eau ? de rester stagnante ou de s’écouler ? Pour le fer ? le repos ou le mouvement ? Ne voit-on pas que d’une façon il brille et ressemble à l’argent, tandis que de l’autre il est rongé par la rouille, hors d’usage et perd quelque chose de sa substance ? Voilà ce qui arrive à une âme oisive, la rouille l’envahit et lui ôte son éclat ainsi que toutes ses autres qualités. Par quel procédé peut-on enlever cette rouille ? En l’aiguisant au moyen des fatigues ; ce sont elles qui rendent à l’âme sa puissance et son activité. Comment, dites-moi, si elle restait émoussée, inerte comme du plomb, pourrait-elle arracher les vices et blesser le démon ? À qui peut plaire l’homme qui nourrit son obésité et se fait traîner comme un phoque ?

3. Je ne vous parle pas de ceux dont c’est la conformation naturelle, mais de ceux qui se sont rendus tels que je le dis par leur gourmandise, tandis que la nature les avait destinés à être dispos. Le soleil s’est levé, il a répandu partout ses rayons éclatants, il a éveillé chaque homme pour l’envoyer à ses travaux ; le laboureur a saisi son hoyau, le forgeron son marteau, tous les ouvriers manient les instruments de leur profession ; la femme a repris sa quenouille ou sa toile ; mais le paresseux, bien avant dans la matinée, se lève comme un porc pour remplir son ventre, et ne songe qu’à bien dîner. Car, même parmi les animaux, les seuls qui ne se réveillent qu’après le jour et pour se repaître, sont ceux qui ne sont bons qu’à être mangés eux-mêmes ; tandis due les bêtes de somme et celles qui rendent quelque service, ont aussi leur travail, même la nuit. Il sort de table quand le soleil éclaire déjà toute la place, et il se lève en se détirant comme un porc engraissé, après avoir passé la meilleure partie du jour dans l’ombre. Il reste longtemps assis, accablé sous le poids de l’ivresse ; c’est là sa principale occupation. Puis il se fait parer et va promener sa honte, n’ayant plus rien de l’homme et ne montrant qu’une brute sous forme humaine, Ses yeux sont chassieux, sa bouche sent le vin, sa pauvre âme semble elle-même abattue par une indigestion, il traîne une masse de chair comme un éléphant. Puis il s’assied près d’autres personnes, mais sa conversation et ses actions sont telles, qu’il, vaudrait mieux pour lui dormir qu’être éveillé. Une mauvaise nouvelle le trouve plus faible qu’une jeune fille ; une bonne, plus vain qu’un enfant ; il bâille à chaque instant. Il a tout à craindre de toutes les attaques, sinon de la part des hommes, au moins de celle des passions ; un pareil homme est facilement entraîné par la colère, la volupté, la jalousie, par tout enfin. Chacun le flatte, le caresse, amollit encore son âme ; aussi son état devient-il pire de jour en jour. S’il se présente une difficulté d’affaires, il n’est plus que cendre et que poussière, et ses habits de soie ne lui servent à rien. Ce n’est pas sans raison que nous vous parlons ainsi, mais pour vous empêcher de vivre oisifs et inutiles. L’oisiveté et les plaisirs sont inutiles dans toutes professions et ne servent qu’à la vanité et à la mollesse. Comment un pareil homme ne serait-il point condamné par tout le monde, domestiques, amis et parents ? Qui est-ce qui n’a pas le droit de dire : C’est un fardeau de la terre, c’est un être inutile au monde ? non seulement il est inutile, mais il se fait tort à lui-même, il fait son malheur et celui des autres. On se demande ce qu’il y a de plus doux que le repos ? Voilà à quoi aboutit ce que l’on cherche tant, l’inaction et l’oisiveté. Qu’y a-t-il de plus déplaisant qu’un homme qui n’a rien à faire, de plus gênant, de plus malheureux ? Ne vaudrait-il pas mieux être chargé de chaînes, que de s’asseoir dans la place pour bâiller et regarder les passants ? L’âme est destinée par sa nature à une activité continuelle ; elle ne souffre pas le repos. Dieu a fait tout être vivant pour agir ; sa nature particulière détermine son genre d’action, mais sa nature générale lui interdit le repos. Ne prenons pas exemple sur les malades, mais consultons l’expérience. Rien de plus pénible que la nonchalance, que l’inaction ; aussi Dieu nous a imposé la nécessité du travail. Le repos prolongé nuit à tout ce qui existe et à notre corps lui-même. Si l’œil est inactif, de même que la bouche, l’estomac ou toute – autre partie du corps, celui-ci est bientôt réduit à l’extrémité, mais cela est surtout vrai pour l’âme. Du reste, ce n’est pas seulement l’oisiveté qui est nuisible, mais aussi toute occupation mal choisie. Les dents souffrent si elles ne broient rien, mais elles s’émoussent si elles cherchent à broyer ce qui est trop dur. De même l’âme s’affaiblit, soit qu’elle reste inactive, soit qu’elle se livre à des occupations qui ne lui conviennent pas. Nous devons donc fuir ces deux écueils : l’oisiveté et les actions plus nuisibles que l’oisiveté. Quelles sont-elles ? Celles qui inspirent l’avarice ; la colère, la calomnie, les disputes, le meurtre, la jalousie et tous les autres vices. Voilà ce que nous ne devons pas faire, tandis que nous devons rechercher de toute notre force les actions inspirées par les vertus, afin d’obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXVI.

VERS MINUIT, PAUL ET SILAS S’ÉTANT MIS EN PRIÈRE, CHANTAIENT A LA LOUANGE DE DIEU, ET LES PRISONNIERS LES ENTENDAIENT. – TOUT À COUP IL SE FIT UN SI GRAND TREMBLEMENT DE TERRE, QUE LES FONDEMENTS DE LA PRISON EN FURENT ÉBRANLÉS ; TOUTES LES PORTES S’OUVRIRENT EN MÊME TEMPS, ET LES LIENS DE TOUS LES PRISONNIERS FURENT ROMPUS. (CHAP. 16, VERS. 25, 26, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Paul et Silas sont délivrés de leur prison par un tremblement de terre. – Le geôlier de la prison se convertit.
  • 3. Qu’il faut prier la nuit : – Ce que c’est que prier en vérité.

1. Que peut-on trouver d’égal à leurs âmes ? Battus de verges, ils étaient couverts de blessures, ils avaient subi mille injures, encouru les plus grands dangers, ils étaient attachés au fond d’un cachot ; or, même dans cet état, ils ne songeaient pas au sommeil ; ils veillaient, au contraire. Voyez tout l’avantage des tribulations ! tandis que nous autres, couchés dans des lits moelleux, à l’abri de tout danger, nous dormons toute la nuit. Peut-être leur position même les excitait-elle à veiller. Ils ne cédèrent point à la tyrannie du sommeil, à l’accablement de la douleur, à l’abattement de la crainte ; tout cela, au contraire, les animait et les réjouissait. « Vers minuit, ils priaient et chantaient les louanges de Dieu ; les prisonniers les entendaient ». C’était pour eux une chose nouvelle et étonnante. « Tout à coup il se fit un si grand tremblement de terre, que les fondements de la prison en furent ébranlés ; toutes les portes s’ouvrirent en même temps et les liens de tous les prisonniers furent rompus ». La terre trembla afin que le geôlier fût éveillé, et les portes s’ouvrirent pour rendre le miracle plus frappant, mais les autres prisonniers ne s’en aperçurent pas, car ils se seraient tous enfuis. « Le geôlier s’étant éveillé et voyant toutes les portes de la prison ouvertes, tira son épée et voulut se tuer, s’imaginant que les prisonniers s’étaient sauvés (27). Mais Paul lui cria à haute voix : Ne « vous faites pas de mal, car nous sommes tous ici (28) ». II admira encore plus la bonté de Paul : il s’étonna de voir un homme qui, pouvant fuir, ne l’avait pas fait, et qui le détournait de se tuer lui-même. « Alors le geôlier ayant demandé de la lumière, entra et se jeta en tremblant aux pieds de Paul et de Silas (29), et les ayant fait sortir, il leur dit : « Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé (30) ? » Voyez jusqu’où allait son admiration ! « Ils lui répondirent : Croyez à Notre Seigneur Jésus-Christ et vous serez sauvé, vous et votre famille (31). Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans sa maison (32) ». En se hâtant de parler ainsi à leur geôlier, ils montraient toute leur bonté pour lui. « À cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et aussitôt il fut baptisé avec toute sa famille (33). Puis les ayant menés dans son logement, il leur servit à manger ; et il se réjouit avec toute sa maison de ce qu’il avait cru en Dieu (34) ». Il les soigna ainsi comme pour les remercier et leur rendre hommage. « Le jour étant venu, les magistrats lui envoyèrent dire par des huissiers qu’il laissât aller ces prisonniers (35) ». Les magistrats avaient sans doute appris ce qui s’était passé, mais ils n’osaient pas les mettre ouvertement en liberté. « Aussitôt le geôlier vint dire à Paul : Les magistrats ont mandé qu’on vous élargit ; sortez donc maintenant et allez en paix (36). Mais Paul dit aux huissiers : Après nous avoir publiquement battus de verges, sans connaissance de cause, nous qui sommes citoyens romains, ils nous ont mis en prison, et maintenant ils nous font sortir en secret. Il n’en sera pas ainsi, mais qu’ils viennent eux-mêmes nous en tirer (37). Les huissiers rapportèrent ces paroles aux magistrats qui eurent peur, ayant appris qu’ils étaient citoyens romains (38). Ils vinrent donc leur faire des excuses, et, les ayant mis hors de la prison, ils les supplièrent de se retirer de la ville (39). Et eux, au sortir de la prison, ils allèrent chez Lydie, et ayant vu les frères, ils les consolèrent et partirent (40) ». Paul ne part point aussitôt après l’ordre des magistrats, peut-être à cause de Lydie et des autres frères, ou bien pour intimider les magistrats en évitant de s’éloigner avec trop de résignation, et aussi pour encourager les fidèles. Ils avaient donc, mes bien-aimés, trois griefs contre les magistrats : ils étaient citoyens romains, non condamnés, et on les avait jetés publiquement en prison. Ainsi les apôtres ne négligent point toutes ces considérations humaines.

Comparons cette nuit à celles que nous passons au milieu des festins, de l’ivresse, de la débauche ; celles où notre sommeil est aussi pesant que la mort, ou bien nos veilles plus pénibles que ce sommeil même. Les uns, en effet, quand ils dorment, sont privés de tout sentiment : les autres ne veillent que pour leur perte et leur malheur, à préparer des intrigues, à gagner de l’argent, à combiner des vengeances, à méditer des méchancetés, à repasser les injures qu’ils ont dites ou entendues dans la journée ; c’est ainsi qu’ils rallument leur colère et s’excitent à tous les crimes. Voyez comme Pierre dormait : la Providence l’avait voulu ; en effet, quand l’ange se présenta, personne ne devait voir ce qui se passait. La délivrance de Paul fut encore disposée pour éviter que le geôlier se tuât lui-même. Pourquoi n’y eut-il pas d’autre miracle ? Parce que cela suffisait pour entraîner et convaincre cet homme qui aurait été dans un grand danger, si Paul avait été délivré autrement ; car un miracle nous touche moins que ce qui peut nous sauver : ce qui suivit servait à prouver que le tremblement de terre n’était pas un phénomène ordinaire. Il eut lieu la nuit, parce que rien ne se faisait pour l’ostentation, mais tout pour le salut des hommes. Cet homme n’était pas méchant ; il avait mis les apôtres au cachot parce qu’il en avait reçu l’ordre, mais non de son propre mouvement. Pourquoi Paul n’éleva-t-il pas la voix tout d’abord ? Cet homme était plein de trouble et d’émotion et ne l’aurait pas écouté. Aussi quand il le voit prêt à se tuer, il l’arrête et lui crie : « Nous sommes tous là ! » Alors le geôlier, « ayant demandé de la lumière, entra et se prosterna devant Paul et Silas ». Le geôlier tombe aux pieds de ses prisonniers. « Il les fait sortir et leur dit : Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » En effet, de quoi parlaient les apôtres ? Observez aussi que le geôlier ne les aime pas seulement parce qu’ils l’ont sauvé, mais parce qu’il admire leur puissance.

2. Voyez ce qui se passe de part et d’autre. D’un côté, voilà une servante débarrassée du mauvais esprit, et les magistrats mettent en prison ceux qui l’ont ainsi délivrée du démon : (le l’autre côté, au seul aspect des portes ouvertes, le geôlier ouvre les portes de son cœur, le dégage de tous es liens et allume sa lumière ; car cette lumière brillait dans son cœur. Il s’élance et se prosterne, sans demander : Comment cela s’est-il fait ? qu’est-il arrivé ? Il dit aussitôt : « Que dois-je faire pour être sauvé ? Là-dessus, que dit Paul ? Croyez à Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vous serez sauvé, vous et votre maison ». Ce que les hommes désirent le plus, c’est que toute leur, famille soit sauvée. « Ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans sa maison ». Il lava les plaies de leurs corps, et, eux, celles de son âme ; il donna la nourriture temporelle et reçut la nourriture spirituelle. « Et il se réjouit ». Cependant tout se réduisait à des paroles et à de grandes espérances ; mais c’était une preuve, qu’il avait la foi et que tout lui était remis. Qu’y a-t-il de pire, de plus cruel, de plus sauvage qu’un geôlier ? Cependant il les accueillit avec beaucoup de respect : il ne se réjouit pas d’avoir été préservé de la mort, mais « d’avoir cru en Dieu. Croyez au Seigneur », lui dit Paul ; aussi est-il écrit : « Il crut à Dieu », pour montrer que ce n’était pas le pardon d’un coupable et d’un pécheur. Aussi les apôtres disent-ils : « Ils nous ont battus, sans condamnation préalable, et nous ont jetés en prison », pour montrer qu’ils avaient agi en même temps que la grâce. Voyez comme cette grâce se manifeste de différentes manières, pour la délivrance de Pierre, puis de Paul, qui tous deux étaient apôtres.

Les magistrats « furent effrayés » : pourquoi ? Par la qualité de citoyens romains, mais non par l’injustice de la condamnation. « Ils les supplièrent de sortir de la ville ». Ils leur demandaient cela comme une grâce ; mais ceux-ci ne partirent qu’après avoir visité Lydie et l’avoir encouragée : en effet, ils ne pouvaient laisser cette femme hospitalière dans l’angoisse et l’affliction. Ils partirent donc, non pour obéir aux magistrats, mais pour déployer leur zèle apostolique ; cette ville ayant été suffisamment instruite par le miracle, il ne fallait pas y rester plus longtemps. Car un miracle semble avoir plus d’éclat et faire plus de bruit quand ceux qui l’ont fait ne sont plus là : en effet, 1a foi du geôlier le proclamait assez haut : que peut-on voir de plus étonnant ? Voilà un homme que l’on charge de chaînes, et c’est lui qui délie les autres ; il brise une double chaîne et sacrifie sa liberté pour la rendre à celui qui la lui avait enlevée. Voilà vraiment les œuvres de la grâce. « Sortez », leur dit-on, « allez en paix » ; c’est-à-dire, en sécurité et sans rien craindre. Ils veulent aussi que le geôlier, soit hors de tout danger, et n’encoure aucune responsabilité. Ils ne disent point : On nous a battus et jetés en prison après les miracles que nous avons faits ; personne ne s’en serait inquiété. Ils disent ce qui pourrait le plus frapper les esprits : « Nous n’étions pas condamnés et nous sommes citoyens romains ». Songeons toujours à une pareille captivité, plutôt encore qu’au miracle. Que diront les gentils, en voyant le prisonnier convertir le geôlier ? Il ne s’agissait, répondront-ils, que d’un homme méprisable, misérable et privé de sens, sujet à tous les vices et à toutes les erreurs. Ils diront encore. Qu’importe de convertir un corroyeur, une marchande de pourpre, un eunuque, un geôlier, des esclaves et des femmes ? Mais que pourront-ils répliquer, quand nous leur citerons des personnages bien plus élevés, un centurion, un proconsul et bien d’autres depuis ce temps-là jusqu’à nos jours, des rois et des empereurs. Eh bien ! je vais vous dire quelque chose d’étrange : nous allons considérer les moins importants. Qu’y a-t-il d’étonnant à cela ? Cela est étonnant en effet : il n’y aurait rien d’extraordinaire s’il s’agissait de faire comprendre la première chose venue ; mais quand il s’agit de la résurrection, du royaume des cieux, de la conduite de la vie, il est plus étonnant d’en faire acquérir l’intelligence et la conviction à des gens simples qu’à des personnes instruites. En l’absence de tout danger, si l’on enseigne une science, on distingue naturellement les élèves sans intelligence. Mais si vous dites à un de ces hommes que vous appelez esclaves : Si tu m’écoutes, tu t’exposes à tous les dangers, tout le monde te sera hostile, il te faudra mourir après avoir subi mille maux. Avec tout cela, si vous persuadez son âme, on ne pourra plus dire que c’est par faute d’intelligence. On pourrait le prétendre si ces dogmes promettaient le plaisir ; mais si l’esclave embrasse une doctrine à laquelle ne peuvent s’élever les philosophes, voilà ce qui est le plus étonnant.

Parlons, si vous le voulez, de ce corroyeur, et voyons ce que Pierre lui dit, ou bien revenons à ce geôlier. Que lui dit Paul ? Il lui parle de la résurrection du Christ, de la résurrection des morts et du royaume des cieux ; aussitôt il le convertit sans peine. Eh quoi ! il n’a pas besoin de lui dire qu’il faut vivre sagement, ne pas être avare ni cruel, et même donner ses biens à d’autres ? Cependant le voilà convaincu de ces vérités qui n’appartiennent pas aux esprits faibles, mais aux grandes âmes. Supposons que sa simplicité même lui eût fait accepter les dogmes ; qu’est-ce donc que cette simplicité qui lui fait accepter la vie parfaite ? Plus il y a de simplicité chez un homme converti à des principes que même les philosophes n’ont pu persuader aux philosophes, plus le miracle est extraordinaire, surtout quand les esclaves et les femmes se convertissent et déploient des vertus que Platon et aucun autre philosophe n’ont pu inspirer à personne. Que dis-je, à personne ? pas à eux-mêmes. Si fou s’en rapporte à Platon, il ne faut pas mépriser les richesses, puisqu’il possédait tant de biens de toute espèce, des anneaux d’or et des vases précieux. Quant à l’approbation publique, Socrate, qui a si bien parlé là-dessus, nous a fait voir qu’il ne la méprisait pas, puisqu’il a tout fait pour la gloire. Si vous connaissiez ses discours, je pourrais vous en parler longuement et vous montrer qu’il y prodigue l’ironie, du moins s’il faut s’en rapporter à ses disciples : tout ce qu’ils ont écrit d’après lui, semble avoir pour fondement un vain amour de la gloire.

3. Mais laissons les philosophes de côté et revenons sur nous-mêmes. A ce qui précède, il faut encore ajouter les dangers qui menaçaient les nouveaux fidèles ; nous ne devons donc point rougir de leur condition. Mais songeons à cette nuit que passèrent les apôtres, au bois qui leur servait d’entraves, à leurs chants religieux ; cherchons nous-mêmes à les imiter, et nous verrons s’ouvrir pour nous, non pas une prison, mais le ciel. Oui, nos prières peuvent ouvrir le ciel lui-même. Par ses prières, Élie a fermé le ciel et l’a ouvert L’autre vie a aussi une prison : « Ce que vous aurez lié sur terre, sera lié aussi dans le ciel ». (Mat 16,19) Prions pendant la nuit, et nous romprons ces chaînes. Comme preuve que les prières effacent les péchés, nous avons l’exemple de la veuve et celle de cet ami qui, à une heure indue de la nuit, ne cesse pas de frapper. Nous pouvons encore citer Corneille : « Tes prières et tes aumônes sont montées en présence de Dieu ». (Act 10,4) Enfin, croyons-le, d’après ce que dit Paul : « La veuve qui est vraiment veuve et solitaire, espère en Dieu et persévère jour et nuit dans ses prières ». (1Ti 5,5) S’il le dit pour une veuve, une faible femme, cela est encore plus vrai pour les hommes.

Je vous l’ai déjà dit, et je le répète. Sans même dire beaucoup de prières, veillons assez pour en dire une seule avec attention : cela suffit, je n’en demande pas davantage. Si ce n’est pas au milieu de la nuit, que ce soit du moins le matin. Montrez par là que la nuit n’est pas faite seulement pour le corps, mais pour l’âme : ne souffrez point qu’elle s’écoule sans profit et rendez grâces à Dieu ; ces grâces retombent sur vous. Dites-moi, si nous sommes préoccupés d’une affaire importante, n’allons-nous pas solliciter tout le monde ? Puis, si nous obtenons promptement ce qu’il nous faut, nous respirons. Eh bien ! ne voudriez-vous pas avoir à solliciter quelqu’un qui fût disposé à vous savoir gré de vos sollicitations ? Ne voudriez-vous pas être dispensé de chercher à qui vous adresser, mais trouver un protecteur tout prêt, et ne pas avoir besoin d’intermédiaire pour vos demandes ? N’est-ce pas ce qu’il y a de plus avantageux ? Il agit pour nous, d’autant plus que nous n’avons pas besoin d’autres appuis : semblable à un ami sincère, il nous reproche surtout de ne pas avoir assez de confiance en lui et de ne le faire solliciter que par d’autres. C’est ainsi que nous sommes à l’égard de ceux qui nous demandent une faveur ; nous la leur accordons plutôt quand ils se présentent eux-mêmes, que s’ils se font représenter par d’autres. Mais, direz-vous, si je l’ai offensé ? Ne l’offensez plus et repentez-vous ; venez ensuite, et c’est surtout alors que vous éprouverez sans retard toute sa bonté. Dites-lui seulement : Je vous ai offensé ; dites-le du fond de l’âme et en toute sincérité, et tout vous sera remis. Vous n’avez pas autant de désir de vous faire pardonner vos péchés, qu’il n’en a de les pardonner. Pour comprendre que vous ne le désirez pas assez, songez combien peu vous veillez et vous faites l’aumône ; lui, au contraire, afin de remettre nos péchés, n’a pas épargné son Fils unique, qui partage son trône. Voyez-vous qu’il désire le pardon des pécheurs encore plus qu’eux-mêmes ? Hâtons-nous donc et ne remettons rien à demain. Il est bon et clément, donnons-lui seulement prise sur nous, afin de ne pas rester inutiles à nous-mêmes, car il nous pardonnerait encore sans cela. De même que dans mille circonstances nous confions nos intérêts à différentes personnes, nous pouvons nous reposer sur lui du soin de notre salut. « Présentons-nous devant lui en lui rendant hommage » (Psa 95,2), car il est bon et clément.

Cependant que fera-t-il si vous ne l’invoquez pas avec sincérité, si vous ne lui dites : Pardonnez-moi, que des lèvres et non du cœur ? Qu’est-ce qu’invoquer avec sincérité ? c’est-à-dire, de toute son âme, avec un esprit pur : on dit d’un parfum qu’il est pur quand il n’est mêlé avec rien ; il en est de même ici. Celui qui le prie et l’invoque sincèrement, persévère et ne s’arrête qu’après avoir été exaucé ; mais celui qui se contente d’accomplir le précepte de la prière, ne l’invoque pas sincèrement. Qui que vous soyez, ne dites pas seulement : Je suis un pécheur ; mais cherchez à perdre cette opinion de vous-même ; ne le dites pas seulement, mais affligez-vous-en. Si vous éprouvez cette souffrance, vous chercherez à en guérir ; si vous n’y travaillez pas, c’est que vous ne souffrez point et qu’alors votre prière est une dérision. Celui qui dit : Je suis malade, ne fait-il pas tout pour guérir ? La prière est une arme bien puissante. « Si vous savez donner à vos enfants ce qui leur convient, combien plus votre père ne vous le donnera-t-il pas ». (Luc 11,13) Pourquoi ne voulez-vous pas aller vers lui ? Il vous aime, il est plus puissant que toute créature, il peut et il veut ; qui vous arrête ? Rien. Adressons-nous donc à lui avec confiance, allons le trouver en lui apportant les offrandes qu’il réclame, le pardon des injures, la bonté et la douceur. Tout pécheur que vous êtes, ne craignez pas de lui demander la rémission de vos péchés, pourvu que vous puissiez lui présenter cet hommage mais, fussiez-vous juste, cela ne vous sert à rien si vous ne savez oublier les offenses. Celui qui ne pardonne pas à son prochain, ne peut lui-même obtenir un pardon complet. Dieu est sans comparaison plus clément que nous ; cela est clair pour tout le monde, n’est-il pas vrai ? Or, si vous pouvez lui dire : J’ai été offensé, et j’ai dompté ma colère ; j’ai été patient contre la violence, afin d’accomplir vos ordres ; ne vous pardonnera-t-il pas lui-même ? Certainement il vous remettra toutes vos fautes. Ainsi bannissons de nos âmes le souvenir des injures ; cela nous suffit pour être exaucés. Prions donc avec vigilance et persévérance, pour jouir avec abondance des fruits de la clémence divine et obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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