Acts 19
HOMÉLIE XL.
PAUL, APRÈS ÊTRE DEMEURÉ UN GRAND NOMBRE DE JOURS AVEC LES FRÈRES, LEUR FIT SES ADIEUX, ET NAVIGUA POUR LA SYRIE. IL ÉTAIT ACCOMPAGNÉ PAR PRISCILLE ET AQUILA, S’ÉTANT FAIT COUPER LES CHEVEUX A CENCHRÉE, CAR IL AVAIT FAIT UN VŒU. (CHAP. 18, VERS. 8, JUSQU’AU VERS. 8 DU CHAP. XIX)
ANALYSE.
- 1 et 2. Priscille et Aquila ; leur zèle. – Ils complètent l’instruction d’Apollon. – Zèle de ce disciple. – Divers voyages de saint Paul. – Saint Paul à Ephèse. – Différence entre le baptême de Jean et celui du Christ.
- 3 et 4. Exhortation à la charité, obstacles qui s’opposent à ce que la charité commence à exister ; comment se forme la charité ; sa force, ses effets.
1. Voyez comme la loi mosaïque n’est plus observée, et comme la conscience est désormais la règle des âmes ! C’était une coutume juive de se tondre la tête par suite d’un vœu. Le sacrifice qui n’avait pas été fait après que Sosthène avait été frappé, devait s’accomplir. Il fallait que Paul s’éloignât ; c’est pourquoi il se hâte. Prié par les Éphésiens de rester avec eux, Paul n’accède pas à leur désir. Pourquoi va-t-il de nouveau à Antioche ? En effet : « Il monta à Jérusalem, et ayant salué l’Église, il descendit vers Antioche ». Il avait pour cette ville une sorte d’affection humaine. En effet, c’est là que les disciples avaient été qualifiés du nom de chrétiens, et l’apôtre livré à la grâce de Dieu ; là qu’il avait achevé son instruction. Il navigua donc vers la Syrie, et laissa les autres à Éphèse pour y instruire les fidèles. Pendant le long séjour qu’ils avaient fait avec lui, ils avaient appris bien des choses, mais n’avaient pas encore cependant abandonné les pratiques judaïques. Une femme fait la même œuvre que les hommes, elle enseigne le pense ##Rem que ce qui l’empêchait d’aller en Asie, c’est que des affaires plus pressantes l’appelaient en Syrie. Remarquez que ; prié de rester à Éphèse, il ne se rend pas à la demande qu’on lui fait, parce qu’il était nécessaire qu’il s’en allât. Il ne les quitte pas cependant sans leur promettre de revenir ; apprenez de quelle manière. « Paul », disent les Actes, « vint à Éphèse, et les y laissa. Pour lui, il entra dans la synagogue et discuta avec les Juifs. Comme ils lui demandaient de rester plus longtemps avec eux, il n’acquiesça pas à leur demande ; mais il leur fit ses adieux, et leur dit : Il faut que j’aille passer la fête qui arrive, à Jérusalem ; ensuite, si Dieu le veut, je reviendrai vers vous. Et il s’éloigna d’Éphèse, et partit pour Césarée. Lorsqu’il fut monté à Jérusalem et qu’il eut salué l’Église, il descendit vers Antioche. Il y passa un certain temps, et, lorsqu’il en fut parti, il traversa la Galatie et la Phrygie, en confirmant tous les disciples dans la foi (19-23) ». Remarquez qu’il visite tous les lieux où il est allé auparavant. « Un Juif, nommé Apollon, Alexandrin de naissance, homme éloquent et instruit dans les Écritures, vint à Éphèse ». Voici que les hommes érudits entreprennent de prêcher, et les disciples voyagent. Voyez-vous comment se propage la prédication ? « Cet homme était instruit dans la voie du Seigneur, il parlait plein du feu de l’Esprit-Saint et enseignait exactement les choses du Seigneur, quoiqu’il ne connût que le baptême de Jean. Il commença à parler hardiment dans la synagogue ; mais Aquila et « Priscille l’ayant entendu, s’emparèrent de lui et lui enseignèrent d’une manière plus exacte la voie du Seigneur (23-26) ». Si cet homme ne connaissait que le baptême de Jean comment était-il enflammé du feu de l’Esprit-Saint ? L’Esprit-Saint, en effet, n’était pas donné ainsi. Si ceux qui vinrent après lui eurent besoin du baptême du Christ, comment cet homme n’en eût-il pas eu besoin ? Qu’y a-t-il donc à dire ? Ce n’est pas sans raison que l’écrivain a marqué ces deux choses. Il me semble que cet Apollon était l’un des cent-vingt disciples qui furent baptisés avec les apôtres (Act 1,15) ; ou bien, s’il n’en est pas ainsi, ce qui arriva à Corneille advint aussi pour lui. Mais ne fut-il baptisé qu’après qu’Aquila et Priscille l’eurent instruit plus exactement ? Il me paraît certain qu’il avait dû être baptisé, puisque les douze apôtres ne connurent rien parfaitement, pas même ce qui concernait Jésus avant le baptême. Il est donc vraisemblable qu’il avait été baptisé. Du reste, si ceux qui avaient reçu le baptême de Jean se faisaient baptiser de nouveau, il convenait que les disciples le fissent aussi. « Apollon voulant passer en Achaïe, les frères qui l’y avaient engagé écrivirent aux disciples, et les supplièrent de le recevoir. Lorsqu’il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru par la grâce de Dieu. Il convainquait les Juifs en public avec grande force, et démontrait d’après les Écritures que Jésus était le Christ. Il advint que, pendant qu’Apollon était à Corinthe, Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, vint à Éphèse. Ayant rencontré plusieurs disciples, il leur dit : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir cru ? Ils lui répondirent : Nous n’avons pas même ouï-dire qu’il y ait un Saint-Esprit. Il leur dit donc : En qui donc avez-vous été baptisés ? Ils lui répondirent : Nous avons été baptisés du baptême de Jean. Paul leur dit : Jean a donné le baptême de la pénitence en disant au peuple de croire en Celui qui viendrait après lui, c’est-à-dire, en Jésus-Christ. « Lorsqu’ils l’eurent entendu, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus ; et Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux ; et ils parlaient diverses langues et prophétisaient. Et ils étaient environ douze hommes (27 ; 19, 7) ». Ceux-ci, qui ne savaient même pas si l’Esprit-Saint existait, étaient bien éloignés d’Apollon. Ceux qui lui ont expliqué plus complètement la voie du Seigneur, le poussent en avant et lui donnent des lettres pour les frères. « Lorsqu’il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru, car il convainquait fortement les Juifs en public, et démontrait d’après les Écritures que Jésus était le Christ ». Par là Apollon montre combien il était savant dans les Écritures. Il fermait vigoureusement la bouche aux Juifs, (c’est le sens du mot convainquait). Il augmentait la confiance de ceux qui avaient cru, et les faisait demeurer fidèles à la foi. « Il advint », disent les Actes, « que Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, arriva à Éphèse ». Ces provinces sont auprès de Césarée et au-delà. « Et ayant rencontré quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir été baptisés ? » Que ces hommes crussent en Jésus-Christ, cela est évident par cette parole : « Disant qu’ils croient en Celui qui doit venir après lui ». Il ne dit pas : Le baptême de Jean n’est rien, mais : Il est imparfait. Il ne dit pas cela sans raison, mais pour les instruire et leur persuader de se faire baptiser au nom de Jésus-Christ : ce qu’ils firent ; et ils reçurent le Saint-Esprit par l’imposition des mains de Paul. « Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit vint en eux ». De sorte que ceux à qui il imposait les mains recevaient le Saint-Esprit. Il est vraisemblable qu’ils avaient le Saint-Esprit, mais sans qu’il se manifestât d’abord ; il se montra ensuite par son action en leur faisant parler diverses langues. ; 19, 7) ». Ceux-ci, qui ne savaient même pas si l’Esprit-Saint existait, étaient bien éloignés d’Apollon. Ceux qui lui ont expliqué plus complètement la voie du Seigneur, le poussent en avant et lui donnent des lettres pour les frères. « Lorsqu’il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru, car il convainquait fortement les Juifs en public, et démontrait d’après les Écritures que Jésus était le Christ ». Par là Apollon montre combien il était savant dans les Écritures. Il fermait vigoureusement la bouche aux Juifs, (c’est le sens du mot convainquait). Il augmentait la confiance de ceux qui avaient cru, et les faisait demeurer fidèles à la foi. « Il advint », disent les Actes, « que Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, arriva à Éphèse ». Ces provinces sont auprès de Césarée et au-delà. « Et ayant rencontré quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir été baptisés ? » Que ces hommes crussent en Jésus-Christ, cela est évident par cette parole : « Disant qu’ils croient en Celui qui doit venir après lui ». Il ne dit pas : Le baptême de Jean n’est rien, mais : Il est imparfait. Il ne dit pas cela sans raison, mais pour les instruire et leur persuader de se faire baptiser au nom de Jésus-Christ : ce qu’ils firent ; et ils reçurent le Saint-Esprit par l’imposition des mains de Paul. « Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit vint en eux ». De sorte que ceux à qui il imposait les mains recevaient le Saint-Esprit. Il est vraisemblable qu’ils avaient le Saint-Esprit, mais sans qu’il se manifestât d’abord ; il se montra ensuite par son action en leur faisant parler diverses langues. 2. Mais reprenons ce qui a été lu précédemment. « Paul s’embarqua pour la Syrie, ayant avec lui Priscille et Aquila », qu’il laissa à Éphèse lorsqu’il y fut parvenu. Il les laissa à Éphèse, ou bien parce qu’il ne voulut pas leur faire partager la fatigue de ses voyages, ou bien parce qu’il voulait qu’ils demeurassent à Éphèse pour y enseigner lis habitèrent ensuite Corinthe : on le voit par le témoignage si honorable que Paul leur rend. Il les salue aussi dans son épître aux Romains : j’en conclus qu’ils allèrent ensuite à Rome, comme pour revoir, cette ville qu’ils avaient quittée par l’ordre de Néron. « Et après être descendu vers Césarée, il monta à Jérusalem, et lorsqu’il eut salué l’Église, il alla à Antioche. Il y séjourna un certain temps, et en partit pour parcourir la Galatie et la Phrygie ». Il me semble que les fidèles s’étaient rassemblés là, car les apôtres ne se séparaient pas d’eux si promptement. Voyez comment il les presse. Il parcourt de nouveau ces contrées afin de fortifier les disciples par sa présence. « Un Juif, nommé Apollon », disent les Actes, « savant dans les Écritures, vint à Éphèse ». C’était un homme zélé, c’est pour cela qu’il voyageait. « Celui-ci étant venu en Achaïe convainquait avec force les Juifs en public ». C’est de lui que parle Paul lorsqu’il écrit : « Touchant notre frère Apollon ». (1Co 16,42) Qu’il les confondît en public, cela montrait sa confiance ; qu’il le fît avec vigueur, cela prouve son talent ; par les saintes Écritures, cela témoigne en faveur de sa science. La confiance ne peut rien par elle-même sans le talent de la parole, ni le talent de la parole sans la confiance. Ce n’est donc pas en vain que Paul laissa Aquila à Éphèse : l’Esprit-Saint en disposa ainsi à cause d’Apollon, pour que cet homme fût plus fort pour Corinthe. Et pourquoi donc les Juifs ne firent-ils rien contre cet homme et se révoltèrent-ils contre Paul ? Ils savaient que Paul était le Coryphée, ou bien que son nom était célèbre. « Aquila et Priscille le prirent chez eux, et l’instruisirent plus exactement sur les voies de Dieu ». Voyez comme ils agissent avec foi, et non par envie et malveillance. Aquila était instruit, mais il était plutôt instruit lui-même. Comme ils avaient fait un long séjour avec Paul, ils avaient été assez instruits pour pouvoir enseigner les autres. « Comme il voulait passer en Achaïe, ceux qui l’exhortaient écrivirent aux disciples » de le recevoir. L’auteur explique la raison pour laquelle ils écrivent : c’est « afin qu’on le reçoive ». Comment est-il prouvé que ces habitants d’Éphèse avaient reçu le baptême de Jean ? De ce qu’à l’interrogation : « Au nom de qui avez-vous été baptisés ? » ils répondent ; « Nous avons été baptisés du baptême de Jean ». Peut-être étaient-ils allés à Jérusalem dans ce temps ; ils étaient sortis vers Jean et s’étaient fait baptiser ; mais, bien que baptisés, ils ne connaissaient pas Jésus. Il ne leur dit pas Croyez-vous en Jésus ? mais bien : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit ? » Il savait qu’ils ne l’avaient pas reçu : Paul veut qu’ils le disent, afin que, sachant ce qui leur manquait, ils le demandassent. « Et Paul leur ayant imposé les mains, l’Esprit-Saint vint sur eux, et ils parlaient diverses langues et prophétisaient ». En vertu même du baptême, ils prophétisent. Le baptême de Jean n’avait pas ce privilège, et c’est pour cela qu’il était imparfait. Pour qu’ils soient dignes de ces grâces, Paul les prépare d’avance. C’est pour cela que Jean lorsqu’il baptisait, voulait qu’on crût en celui qui viendrait après lui. Par là est démontré un grand dogme, à savoir : que ceux qui sont baptisés sont purifiés totalement de leurs péchés. En effet, s’ils n’étaient pas purifiés, ils ne recevraient pas le Saint-Esprit, et ne seraient pas aussitôt dignes de ces grâces. Remarquez que la grâce était double : grâce de parler diverses langues, grâce de prophétiser. C’est donc avec raison que Paul leur dit que le baptême de Jean fut un baptême de pénitence et non de pardon, pour les élever plus haut, et leur persuader que le baptême était dénué de ce don ; car le pardon était l’effet du baptême donné en second lieu. Comment ceux-qui reçurent le Saint-Esprit n’enseignaient-ils pas, tandis qu’Apollon qui ne l’avait pas encore reçu enseignait ? Parce qu’ils n’étaient ni si fervents, ni si instruits, et que celui-ci était très-instruit et brûlant de zèle. Il me semble que cet homme avait une grande liberté de parole. Cependant s’il parlait exactement de Jésus, il avait besoin d’une instruction plus soignée. Ainsi, bien qu’il ne sût pas toute chose, il attirait l’Esprit-Saint par sa ferveur, comme il arriva à Cornélius. Beaucoup peut-être regrettent le baptême de Jean et voudraient qu’il fût encore donné ; mais beaucoup négligeraient de mener une vie vertueuse, ou bien chacun s’imaginerait de rechercher la vertu à cause de ce baptême, et non à cause du royaume des cieux. D’ailleurs il y aurait de nombreux faux prophètes ; les hommes d’une vertu éprouvée ne brilleraient guère, et on n’appellerait non plus guère bienheureux ceux qui auraient reçu simplement la foi. De même donc que « Bienheureux sont ceux qui ont cru sans avoir vu », bienheureux sont aussi ceux qui croient sans prodiges. Dites-moi, en effet, n’était-ce pas un reproche que le Christ faisait aux Juifs, lorsqu’il disait : « Si vous ne voyez des miracles, vous ne croyez point ». (Jn 20,29) Nous ne souffririons pas de l’absence des miracles si nous voulions regarder nos avantages actuels. Nous possédons la source de tous les biens par le baptême. Nous avons reçu le pardon de nos péchés, la sanctification, la participation de l’Esprit-Saint, l’adoption, la vie éternelle. Que voulez-vous de plus ? Des prodiges ? Ils ont cessé. Vous avez la foi, l’espérance, la charité qui demeurent ; cherchez ces choses, elles sont plus grandes que les prodiges. Rien de comparable à la charité : « La charité est la plus grande de toutes les vertus » (1Co 13,13), dit l’Écriture. Mais de nos jours la charité périclite, le nom seul en reste, mais la chose n’est nulle part, nous sommes divisés entre nous. 3. Que faire donc pour que nous soyons unis ? Réprimander est facile, mais ce n’est là que la moitié de l’œuvre. Il faut donc montrer comment se forme l’amitié ; il faut nous appliquer à rejoindre les membres désunis. Il n’y a pas seulement à chercher si nous avons une même église, un même dogme ; mais, ce qui est grave, c’est que nous soyons en communion pour toute autre chose et que nous n’y soyons pas dans les choses nécessaires ; que nous soyons en paix avec tous, et que sous d’autres rapports nous soyons en dissentiment. Ne considérez pas que nous n’excitons pas de luttes journalières, mais bien que nous n’avons plus une charité sincère et stable. Il est besoin d’huile et de ligaments. Pensons que la charité est la marque distinctive des disciples du Christ, que sans elle tout le reste n’est rien, et que la charité est chose facile si nous le voulons. Certes, dit-on, nous savons cela, mais comment s’y prendre pour y arriver ? Comment faire pour que cela soit ? Comment s’y prendre pour nous aimer les uns les autres ? Commençons par détruire ce qui détruit la charité, et nous l’établirons ensuite. Que personne n’ait souvenir des injures, que nul ne soit jaloux, que nul ne se réjouisse du mal. Voilà les obstacles de la charité. Ce qui la fait naître est tout autre. Il ne suffit pas de montrer quels sont les obstacles à enlever ; il faut encore montrer ce qui la fait vivre. Sirach dit bien ce qui détruit la charité, mais non ce qui la concilie, et il indique les injures, la révélation d’un secret confié, et le mal fait par ruse. (Sir 22,27) Mais ces choses convenaient aux Juifs charnels. Loin de nous de pareilles choses ; nous ne vous conduisons pas par ces moyens, mais par d’autres : Rien ne nous est utile sans la charité. Ayez mille biens, qu’en revient-il ? Ayez la richesse, soyez dans les délices et sans amis, quel gain en tirerez-vous ? Rien même dans les biens de la vie n’est plus beau que la charité ; de même que rien n’est plus nuisible que l’inimitié : « La charité couvre la multitude des péchés » (1Pi 4,8), l’inimitié soupçonne même ce qui n’est pas. Il ne suffit pas de n’être pas ennemi, mais il faut aimer. Pensez que le Christ l’a ordonné et cela suffit. La persécution forme les amitiés et les noue. Mais, direz-vous, que faire maintenant qu’il n’y a pas de persécution ? Comment s’y prendre pour devenir amis ? n’avez-vous pas d’autres amis, dites-moi ? Comment êtes-vous leurs amis ? Comment persévérez-vous dans leur amitié ? Que personne, en attendant, n’ait d’ennemi, c’est déjà, beaucoup ; que personne ne porte envie ; quand on n’est pas envieux, on n’accuse personne. Nous habitons tous une même terre, nous nous nourrissons des mêmes fruits. Mais tout cela est peu de chose ; nous jouissons des mêmes mystères et de la même nourriture spirituelle. Certes, ce sont là les droits de l’amitié. Mais l’affection chaleureuse, qui nous la donnera ? dit-on. Qu’est-ce qui fait l’amour des corps, la beauté du corps ? Formons-nous donc de belles âmes, et nous serons amoureux les uns des autres ; car il ne suffit pas d’aimer, il faut encore être aimé. Obtenons d’abord d’être aimés, et l’autre sera facile. Comment nous ferons-nous aimer ? Soyons beaux, et agissons de telle sorte que nous ayons toujours des amants. Que personne ne travaille autant à acquérir des biens, des serviteurs et des maisons-, qu’à se faire aimer, qu’à acquérir une bonne réputation. « La bonne renommée est meilleure que d’abondantes richesses ». (Pro 22,1) L’une demeure, les autres périssent ; on peut s’approprier l’une, les autres sont impossibles à garder. Celui qui a une mauvaise réputation, s’en débarrassera difficilement ; le pauvre sera vite riche par sa bonne renommée. Que quelqu’un ait dix mille talents, et un autre cent amis, celui-ci est plus riche que le premier. N’agissons pas sans réflexion, mais bien comme pour acquérir une certaine opulence. Comment le pourrons-nous ? dit-on. « La gorge douce et la langue gracieuse multiplient les amis ». (Sir 6,5) Ayons donc une bouche qui parle comme il convient et des mœurs pures. Celui qui est ainsi fait ne saurait rester inconnu. 4. Voyez combien les païens avaient imaginé de liens d’amitié : l’adoption, le voisinage, la parenté. Mais les nôtres sont plus grands que ceux-là ; cette table est plus digne de vénération. Beaucoup s’en approchent qui ne se connaissent même pas les uns les autres ; c’est la multitude qui en est cause, direz-vous. Nullement, mais notre négligence. Ils étaient trois mille et cinq mille les premiers fidèles, et tous ils n’avaient qu’une âme ; maintenant chacun méconnaît son frère, et ne rougit pas de prétexter la foule. Celui qui a de nombreux amis, est invincible à tous, est plus fort que tout tyran. Les gardes de celui-ci ne veillent pas si bien sur lui, que ses amis ne gardent l’autre, et le premier est plus honoré que le second. En effet, le tyran est gardé par ses esclaves, l’autre par ses égaux ; le tyran par des gens qui y sont forcés et le craignent ; l’autre par des gens qui veillent sur lui de bonne volonté et sans crainte ; et on peut voir une chose admirable, beaucoup en un seul, et un seul en beaucoup. Et de même que dans une lyre il y a divers sons et une seule symphonie, et un seul musicien qui pince les cordes de la lyre ; ainsi dans ce cas : la lyre est la charité, les sons qui retentissent, les paroles d’amour proférées par charité, formant une seule et même harmonie, une seule symphonie ; le musicien est la vertu de la charité qui produit la douce mélodie. Je voudrais vous conduire dans une semblable cité, s’il était possible, où il y aurait une seule âme, et où il se ferait une symphonie mieux accordée que celle de n’importe quelle lyre et de n’importe quel musicien, une symphonie qui ne laisse entendre aucun son discordant. Cette mélodie charme les anges et le Seigneur des anges, c’est elle qui anime le théâtre tout entier dans le ciel, retient la colère du démon, calme les élans de la passion. Cette mélodie ne charme pas seulement les passions, mais elle ne leur permet pas même de s’éveiller, et les réduit à un silence absolu : De même que dans un théâtre tous écoutent en silence le chœur des musiciens, et qu’on n’entend aucun bruit ; ainsi parmi les amis, quand la charité s’exerce, toutes les passions s’apaisent et se calment comme des bêtes sauvages qu’on a charmées et fascinées ; au sein des inimitiés, c’est tout le contraire. Mais nous ne dirons rien présentement de l’inimitié, nous ne parlerons que de l’amitié. S’il vous échappe une parole téméraire, personne ne se lève pour vous reprendre, mais tous vous pardonnent. Si vous avez mal agi, personne ne vous soupçonne, on a une grande indulgence ; tous tendent la main bien vite à celui qui tombe, tous ont à cœur qu’il se relève. L’amitié est véritablement un mur inébranlable que ne peuvent prendre ni le démon, ni à plus forte raison les hommes. Il ne se peut que celui qui a de nombreux amis tombe dans le danger. Il n’a aucune occasion de colère, tout l’entretient dans la paix. Il est toujours dans la joie et le contentement ; l’envie n’a pas de prise sur lui, le souvenir des injures ne saurait trouver place dans son cœur. Voyez comme cet homme mène avec facilité ses affaires temporelles et spirituelles. Qu’est-ce donc qui peut lui être comparé ? Il est comme une ville toute environnée de murailles ; tout autre est comme une cité sans murs. C’est le fait d’une grande sagesse de pouvoir créer l’amitié. Détruisez l’amitié, et vous aurez tout détruit, vous aurez tout confondu. Si l’image de la charité a tant de puissance, quelle force n’aura pas la vérité elle-même ? Préparons-nous donc des amis, je vous en prie, que chacun s’applique à cet art. – Mais voici, dites-vous, que je m’y applique, mais celui-ci ne s’y applique pas. – Il y aura pour vous une plus grande récompense. – Oui, dites-vous, mais la chose est plus difficile. – Comment, dites-moi ? Voici que je vous atteste que si vous vous adjoignez seulement dix amis, et que si vous faites cette œuvre comme les apôtres ont fait celle de la prédication, les prophètes celle de l’enseignement, la récompense sera grande. Préparons-nous des images royales, c’est là la marque distinctive des disciples. Comment négligeons-nous de faire une œuvre qui est plus grande que de ressusciter les morts ? Le diadème et la pourpre désignent le roi, et quoiqu’on ait des vêtements d’or, si l’on n’a pas la pourpre, le roi ne se montre pas encore. Ainsi, dans le cas présent, prenez cette marque, et vous vous ferez des amis à vous-même et aux autres. Nul ne voudrait haïr étant aimé lui-même. Apprenons quelles sont les couleurs à mélanger pour parvenir à former cette image ; soyons affables, allons au-devant des amis. Ne dites pas : Si je vois quelqu’un en retard avec moi, je deviens plus méchant que lui ; mais lorsque vous voyez quelqu’un en retard avec vous, allez au-devant et faites cesser sa froideur. Vous le voyez souffrir et vous aggravez son mal ? Appliquons-nous surtout à nous prévenir mutuellement par des témoignages d’honneur. (Rom 12,10) Ne pensez pas que ce soit se rabaisser soi-même que de tenir les autres pour supérieurs à nous. Si vous prévenez cet homme par l’honneur que vous lui rendez, vous vous honorez bien plus encore vous-même, à cause de l’honneur que vous vous attirez. Cédons partout aux autres les premières places. N’ayons aucun souvenir du mal qu’on nous a fait, ne nous souvenons que du bien. Rien ne rend si cher qu’un langage gracieux, des paroles bienséantes, un esprit sans morgue, méprisant la gloriole et les honneurs. Si nous agissons ainsi, nous serons inaccessibles aux embûches du diable, et, après avoir suivi avec exactitude les sentiers de la vertu, nous pourrons jouir des biens promis à ceux qui aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartient gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XLI.
PAUL ENTRA DANS LA SYNAGOGUE, ET, PENDANT TROIS MOIS, IL Y PARLA AVEC LIBERTÉ, DISCOURANT SUR LE ROYAUME DE DIEU, ET PERSUADANT LES JUIFS. (CHAP. 19, VERS. 8, JUSQU’AU VERS. 20) ANALYSE.
- 1-3. Saint Paul à Éphèse ; son zèle, ses miracles. – Punition des exorcistes juifs. – Examen de la manière d’agir du démon contre les fils de Scéva. – Puissance du démon contre les incrédules. – Les grands exemples servent peu de temps, à cause de la malice des hommes. – Puissance du nom de Jésus, Sauveur du monde. – Des possédés du démon, et des grâces que leur procure leur état.
- 4 et 5. Du péché et des maux qu’il cause à l’homme. – De la colère et de la rancune. – Maux qu’elles produisent, nécessité d’en triompher.
1. Voyez que Paul entre dans les synagogues partout où il va, c’est toujours par là qu’il débute. En effet, partout il voulait prendre chez les Juifs son point d’appui, comme je l’ai déjà dit. Du reste, déjà les nations remplies de ferveur le recevaient avec empressement, et les Juifs faisaient pénitence en voyant les gentils recevoir la foi. Il voulait trouver chez les Juifs quelques disciples, les séparer de leur nation et en faire un peuple à part. Il disputait assidûment avec eux, parce qu’il les persuadait. Parce qu’il est dit qu’il parlait avec liberté, ne croyez pas que cela veuille dire avec rudesse. « Comme plusieurs s’endurcissaient et ne voulaient pas croire, et parlaient en mal de la voie du Seigneur devant le peuple, il s’éloigna d’eux, et emmena ses disciples, et chaque jour il parlait dans l’école d’un certain Tyrannus. Cela eut lieu, pendant deux ales, si bien que tous les habitants de l’Asie, « Juifs et gentils, entendirent la parole du Seigneur Jésus ». On appelait avec raison la prédication une voie. Car c’était véritablement la route qui conduit au royaume des cieux. « Il disputait », dit l’auteur, « dans l’école d’un certain Tyrannus. Et cela eut lieu pendant a deux ans, si bien que tous, Juifs et gentils, entendirent la parole du Seigneur Jésus ». Voyez-vous combien fut utile l’assiduité de Paul ? Les Juifs et les Grecs entendirent la parole. « Et Dieu faisait par les mains de Paul des prodiges plus qu’ordinaires ; au point que l’on mettait sur les malades les mouchoirs et les linges qui avaient touché son corps, et les maladies les abandonnaient, et les esprits mauvais sortaient de leurs corps (9, 12) ». non seulement ceux qui les portaient les touchaient, mais ceux qui les recevaient se les appliquaient. C’est pourquoi le Christ, observant ces circonstances, ne permit pas, à ce que je crois, qu’il allât en Asie. « Quelques-uns des exorcistes juifs qui parcouraient le pays, essayèrent d’invoquer sur ceux qui étaient possédés des esprits mauvais le nom du Seigneur Jésus, en disant : Nous vous adjurons par le Jésus que prêche Paul ». Voyez : ils ne voulaient pas croire en Jésus-Christ, et ils voulaient chasser les démons en son nom. Oh ! combien était grand le nom de Paul. « Il y avait sept fils de Scéva, prince des prêtres, qui faisaient cela ». Mais l’esprit mauvais leur répondit et leur dit : « Je connais Jésus, et je sais qui est Paul, mais vous, qui êtes-vous ? Et l’homme en qui était l’esprit mauvais sauta sur eux, et s’étant rendu maître d’eux, les maltraita si fort qu’ils s’enfuirent de cette maison nus et blessés. Ce fait fut connu de tous les Juifs et des Grecs qui habitaient Éphèse ». Ils agissaient ainsi en secret, et ensuite leur faiblesse fut divulguée. « Et la crainte s’empara de tous ceux-là, et le nom du Seigneur Jésus fut glorifié. Et un grand nombre de ceux qui avaient cru, venaient, et ils confessaient et révélaient leurs actions ». Puisqu’ils avaient assez de puissance pour pouvoir faire de telles choses par les démons, c’est avec raison que tout se passe ainsi. « Beaucoup d’entre ceux qui avaient pratiqué la magie prirent leurs livres, et les brûlèrent en présence de tous ; on supputa le prix de ces livres, et on trouva une somme de cinquante mille deniers d’argent ; ainsi la parole de Dieu s’accroissait et se fortifiait (13, 20) ». Voyant qu’ils leur seront désormais inutiles, ils brûlent leurs livres. Quelquefois les démons eux-mêmes en agissent ainsi. Le nom ne sert donc à rien, s’il n’est prononcé avec foi. Le Christ a donc dit avec raison : « Celui qui croit en moi fera des choses plus grandes » (Jn 14,12) ; et il faisait allusion à ces miracles. Voyez par là comment ils ont tourné leurs armes contre eux-mêmes. « Et il parlait », dit l’auteur, « dans l’école d’un certain Tyran, pendant deux années ». Là, il y avait des hommes fidèles et très-fidèles. Ces Juifs croyaient si peu à la puissance de Jésus, qu’ils ajoutaient le nom de Paul, aimant mieux croire à la grandeur de Paul qu’à celle de son maître. On peut admirer ici que le démon ne voulut pas se prêter à la fourberie des exorcistes ; qu’il les confondit et révéla leur comédie. Il me semble qu’il fut enflammé de colère, comme le serait quelqu’un qui, exposé aux derniers périls, se verrait poussé à bout par quelque misérable, et voudrait décharger sur lui toute sa colère. Pour ne pas sembler mépriser le nom de Jésus, il le confessa d’abord, et reprit ensuite sa puissance. Il est évident que ce n’est pas l’impuissance du nom de Jésus, mais bien la fraude de ces hommes ; autrement, comment expliquer que rien de semblable n’arriva à Paul ? Et l’homme sautant sur eux », dit l’auteur. Peut-être déchira-t-il leurs vêtements, et leur serra-t-il la tête ; c’est ce qu’indique le mot : « Sautant sur eux » ; c’est-à-dire, les attaquant avec une violence capable de les maltraiter de la sorte. Que signifie : « S’éloignant d’eux, il emmena « ses disciples ? » Qu’il coupa court à leurs mauvais propos. Paul agit ainsi et s’en va parce qu’il ne voulait pas enflammer leur envie, ni amener une dispute plus grave. Le mot, « il parlait avec liberté », signifie qu’il était préparé au danger, et qu’il enseignait clairement et sans voiler les dogmes. Par là, nous apprenons que nous ne devons pas nous mêler aux médisants, mais les fuir. Offensé en paroles par les Juifs, il ne leur rendit pas offense pour offense ; au contraire, il redoublait de zèle pour la prédication, et se conciliait de nombreux adhérents ; précisément, par cette raison que, bien qu’il entendît leurs mauvais propos, il ne s’en allait pas et ne se séparait pas d’eux. Remarquez que lorsque l’épreuve a cessé de la part des gens qui sont en dehors de l’Église, elle commence de la part des démons. Voyez-vous l’aveuglement des Juifs ? Ils voyaient les vêtements de Paul accomplir des prodiges, ils n’y faisaient pas attention. Quel plus grand miracle pourrait-on voir ? Mais au lieu de tourner à leur salut, il tourne à leur perte. Si quelque grec est incrédule, qu’il croie en voyant l’ombre de Paul faisant ces prodiges. Ainsi, parce que Paul s’éloigne d’eux, les médisants et ceux qui calomniaient la foi (il l’appelle la voie) sont vaincus. Il s’éloigne pour que les disciples ne se retirent pas, et pour – ne pas exciter les Juifs à la colère, et il montre qu’ils fuient le salut par tous les moyens. Du reste, il ne se disculpe pas devant eux et ne leur montre pas la foi partout embrassée par les gentils. Et il discourt, non pas dans n’importe quel lieu, mais dans une école, parce que l’endroit est plus commode pour se rassembler. 2. Oh ! combien est grande la vertu de ceux qui croient ! Combien est grand l’aveuglement de ceux qui demeurent dans l’incrédulité, même après la manifestation de la vertu divine ! Simon demandait par esprit de lucre la grâce du Saint-Esprit, et ceux-ci agissaient de même pour la même raison. Quel aveuglement ! Et pourquoi Paul ne leur fait-il pas de reproches ? Parce que ses reproches eussent semblé dictés par l’envie. Telle est la raison de sa conduite en cette occasion. La même chose aussi au Christ ; mais alors on n’empêchait rien (c’était le commencement de l’Évangile) : Judas volait et n’était pas réprimé. Ananie et Saphire furent frappés de mort. Beaucoup de Juifs, qui faisaient opposition à Jésus-Christ ne souffrirent aucun châtiment, et Elymas fut frappé de cécité. « Je ne suis pas venu », dit le Christ, « pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé ». (Jn 3,37) Voyez quelle scélératesse ! Des Juifs qui demeuraient encore dans le judaïsme voulaient trafiquer de ce nom divin. Ainsi ils faisaient tout par vaine gloire et en vue du gain. Considérez que partout les hommes se convertissent moins par les événements heureux que par les événements terribles. A propos du châtiment de Saphire, l’épouvante tomba sur l’Église, et les autres n’osaient se joindre à eux. Ici, ils prenaient les mouchoirs et les linges de Paul, et ils étaient guéris, mais ce n’est qu’après le châtiment infligé aux exorcistes qu’ils viennent confesser leurs fautes. De ce que le démon saute sur les Juifs, il est prouvé que la puissance du démon est grande lorsqu’elle s’exerce contre les infidèles. Pourquoi l’esprit mauvais ne dit-il pas : Qu’est-ce que Jésus ? Pourquoi prononce-t-il des paroles inutiles pour lui ? Il craignait lui-même le châtiment ; il savait que c’était ce nom qui lui donnait la faculté de se venger des insulteurs. Pourquoi ces misérables ne lui dirent-ils pas : Nous croyons ? lis redoutaient Paul. Cependant, combien n’eût-il pas été plus glorieux pour eux de le dire, si par là ils s’étaient approprié la puissance de Jésus ? D’ailleurs, ce qui était arrivé à Philippes les rendit sages. Considérez la modération de l’auteur ; il écrit simplement l’histoire, et n’accuse pas. La sincérité des apôtres est admirable. Saint Luc rapporte de qui ces exorcistes étaient fils, leur nom, leur nombre, donnant ainsi à ceux qui vivaient alors un signe certain de la vérité de ce qu’il raconte. Pourquoi donc ces Juifs voyageaient-ils ? Pour gagner de l’argent, mais non pour annoncer la parole. Comment l’auraient-ils fait ? Ils avaient raison de voyager, ensuite ce qui leur était arrivé faisait d’eux des prédicateurs involontaires. C’est ce que l’auteur donne à entendre en disant : « Cela fut connu de tous les Juifs et des Grecs habitants d’Éphèse ». Ce fait étrange ne devait-il pas convertir les endurcis, dites-moi ? Mais il ne les convertit pas. Et qu’on ne s’en étonne pas, rien ne persuade la méchanceté. Permettez-moi de vous montrer quelle fut la malice des exorcistes.- Pourquoi cela n’arriva pas sous le Christ, ce n’est pas le moment de traiter cette question ; disons seulement que ce fait ne se produit qu’au temps où il pouvait se produire utilement. Je soupçonne que ces exorcistes agissaient ainsi pour se moquer ; c’est pourquoi ils sont châtiés, pour que personne désormais n’ose prononcer ce nom témérairement. Cet événement amena beaucoup de fidèles à la confession, les remplit de crainte et fut une preuve éclatante que Dieu connaît tout. Ils se préservaient de l’affront d’être accusés par les démons en s’accusant eux-mêmes. Du moment que les démons, leurs auxiliaires pour le péché, se faisaient leurs accusateurs au lieu de les défendre, quel espoir leur restait, sinon la confession de leurs péchés ? Voyez quels grands maux arrivent peu après que de si grands prodiges ont été accomplis. Notre nature est ainsi faite : nous oublions promptement les bienfaits. Ne vous souvient-il pas que la même chose a eu lieu de notre temps ? Dites-moi donc : Est-ce que l’année dernière Dieu n’a pas ébranlé la ville entière ? Eh bien ! est-ce que tous ne couraient pas au baptême ? Est-ce que les libertins, les hommes infâmes et corrompus, abandonnant leurs demeures et les lieux qu’ils habitaient, ne se convertirent pas et ne devinrent pas pieux ? Or, trois jours après ils retournèrent à leur malice première. D’où cela vient-il ? De l’excès de notre lâcheté. Faut-il s’étonner qu’il en soit ainsi après un châtiment qui passe sans laisser de traces, lorsque la même chose arrive après une catastrophe qui laissé de son passage des monuments durables ? Le châtiment de Sodome, par exemple, n’a-t-il pas laissé d’impérissables vestiges ? Quoi donc ! Les peuples voisins en sont-ils devenus meilleurs ? Nullement. Et le fils de Noé n’était-il pas vicieux aussi ? Ne l’était-il pas en face même de la désolation universelle qu’il voyait de ses yeux ? Ne nous étonnons donc pas si les Juifs restèrent incrédules malgré de tels prodiges, eux qui ont su corrompre jusqu’à la foi elle-même, et la faire servir au mal : par exemple, lorsqu’ils disaient que le Fils de Dieu était possédé du démon. Est-ce que vous ne voyez pas qu’il en est encore ainsi, et que beaucoup d’hommes sont de là nature des serpents, gens incrédules et ingrats qui, comme les vipères, se hâtent de mordre la main du bienfaiteur qui les a réchauffés ? Je dis ceci afin que vous ne vous étonniez pas que ces miracles n’aient pas converti tous ceux qui les virent. 3. Notre âge a vu les miracles du tombeau de saint Babylas, il a vu ceux qui ont éclaté à Jérusalem et qui ont achevé la destruction du temple, et tous ne sont pas convertis. Qu’est-il besoin de rappeler les temps anciens ? Je vous ai dit ce qui est arrivé l’année dernière ; nul n’y a fait attention, on eut bientôt repris la pente du passé, et l’on est retombé aussi bas qu’auparavant. Toujours debout, le ciel crie, pour ainsi dire, sans cesse qu’il a un maître, que cet univers est l’œuvre d’un ouvrier, et quelques-uns persistent à dire le contraire. Ce qui est arrivé à Théodore l’année dernière, qui n’en a pas été frappé d’étonnement ? Et cependant la religion n’y a rien gagné ; mais ceux qui étaient devenus pieux pour un instant, sont retournés à ce qu’ils étaient auparavant. La même chose arriva aussi aux Hébreux : c’est pour cela que le prophète a dit : « Lorsqu’il les mettait à mort, ils le recherchaient, se convertissaient, et venaient au matin près du Seigneur ». (Psa 78,34) Qu’est-il besoin de rapporter tout ce qui leur est arrivé en général ? Combien de maladies n’éprouvèrent-ils pas ? Combien de fois s’étant relevés ont-ils promis de changer de vie, et sont-ils cependant restés les mêmes ? Le changement subit nous démontre notre volonté et la liberté de notre nature. En effet, si le mal était naturel, nous ne pourrions changer ; car nous ne pouvons changer ce qui se fait par nature et par nécessité. Cependant nous changeons, direz-vous. Ne voyons-nous pas parfois des gens qui voient naturellement, devenir aveugles par frayeur ? parce que la nature cède lorsqu’une autre nature vient à l’encontre. Ainsi, c’est suivant l’ordre de nature que l’effroi nous cause l’aveuglement ; et c’est aussi naturellement que, s’il survient un sujet de frayeur plus terrible que le premier, la première crainte disparaît. Mais quoi donc, direz-vous, si la tempérance est dans la nature, et que la crainte la chasse lorsqu’elle l’a dominée ? Que direz-vous si je vous démontre que, même sous l’empire de la crainte, certaines personnes ne sont pas tempérantes, mais conservent jusque-là leur impudence, ne serez-vous pas obligés d’avouer que la nature n’y est pour rien ? Citerai-je des faits d’autrefois ou des faits d’aujourd’hui ? Pharaon, dites-moi, ne fut-il pas changé tout d’un coup, et n’en revint-il pas à sa première malice ? Dans le cas qui nous occupe, les exorcistes prononcèrent purement et simplement le nom de Jésus ; et ils dirent aux démoniaques, qui n’ignoraient pas ce qu’était Jésus : « Nous vous adjurons par le Jésus que prêche Paul ». La réponse que font les démoniaques prouve leur connaissance. Ces Juifs se bornent à dire Jésus, sans ajouter, comme ils devaient Le Sauveur du monde ##Rem, celui qui est ressuscité. Mais ils ne voulaient pas confesser sa gloire. C’est pour cela que le démon, sautant sur eux, leur dit : « Je connais Jésus, et je sais qui est Paul » ; comme s’il leur disait Vous ne croyez pas et vous abusez de ce nom en parlant comme vous faites. Le temple est désert, sa défense est facile à emporter ; vous n’êtes pas des prédicateurs, vous êtes à moi, dit-il. La fureur du démon est grande. Les apôtres auraient pu aussi maltraiter les Juifs comme faisait le démon ; étant plus forts que les démons, comment n’auraient-ils pu faire ce que faisaient ceux-ci ? ils n’usaient pas néanmoins de ce pouvoir. Cela montre bien leur douceur : on les chasse, et ils font le bien ; les démons que l’on sert font tout le contraire. « Je connais Jésus », dit-il, rougissez de honte, vous qui ne le connaissez pas. « Et je connais aussi Paul » : Et, en effet, il savait qu’il était le prédicateur de Dieu. Ensuite il saute sur eux, déchire leurs vêtements, et par là il semble leur dire : Ne croyez pas que j’agisse ainsi par mépris pour Jésus et pour Paul. La crainte du démon était grande aussi. Pourquoi ne déchira-t-il pas leurs vêtements sans ajouter ces paroles ? il eût ainsi assouvi sa colère et établi l’erreur. Il redoutait, comme je l’ai dit, la puissance inabordable ; et il n’eût pas eu tant de force s’il n’eût prononcé ces paroles. Voyez, partout les démons sont plus sages que les Juifs ; ils n’osent pas contredire la parole ni accuser les apôtres ni le Christ. Une fois ils disent : « Nous savons qui tu es » ; et Pourquoi es-tu venu nous tourmenter avant le temps ? » (Mat 8,29) Une autre fois : « Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut » (Act 16,17) ; ici ils disent : « Je connais Jésus et je connais aussi Paul » ; car ils craignaient ces saints et tremblaient devant eux. Peut-être y a-t-il parmi vous quelqu’un qui, en entendant ces paroles, désire posséder une telle puissance de manière à empêcher les démons de le regarder en face, et qui envie l’avantage qu’ont eu ces saints de posséder aine telle force ? qu’il écoute le Christ : « Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis », (Luc 10,20), dit-il, parce qu’il savait que les hommes seraient fiers de ce privilège par vaine gloire. Si vous ambitionnez ce qui plaît à Dieu, et ce qui est d’utilité commune, vous suivrez une voie plus glorieuse. Il n’est pas si difficile d’être délivré du démon, que de se délivrer du péché. Le démon n’empêche pas d’acquérir le royaume des cieux, il coopère à nous le faire obtenir malgré lui, à la vérité. Mais il y coopère cependant, car il rend plus continent celui qu’il possède. Le péché au contraire exclut du royaume des cieux. 4. Mais peut-être quelqu’un dira-t-il : je ne souhaite pas d’acquérir ainsi la continence ! Ni moi non plus je ne vous le souhaite pas, mais je vous souhaite de l’acquérir par une autre voie, en faisant tout par amour du Christ. Mais si, ce que je ne souhaite pas ; ce malheur vous arrivait, il faudrait encore demander cette grâce. Si donc le démon n’exclut pas du ciel, et si le péché en exclut, c’est un plus grand bien d’être délivré du péché. Appliquons-nous donc à délivrer le prochain du péché, et avant le prochain à nous en délivrer nous-mêmes. Veillons à ne pas laisser le démon s’emparer de nous. Examinons-nous avec zèle. Le péché est pire que le démon ; car le démon rend humble. Ne voyez-vous pas combien les démoniaques, lorsqu’ils sont délivrés, de leur maladie, sont tristes et chagrins ? comme leur visage est couvert de honte, et comme ils n’osent regarder ? Voyez l’absurdité : ceux-ci rougissent de ce qu’ils souffrent, et nous, nous ne rougissons pas de ce que nous faisons ; ils sont victimes de l’injustice, et ils ont honte, et nous, nous commettons l’injustice, et nous ne craignons rien. Et cependant leur malheur n’est pas digne de honte, mais bien de pitié, de bienveillance et d’indulgence ; il est même digne d’admiration et de louanges sans nombre, lorsque, soutenant contre le démon un combat si rude, ils supportent tout en rendant à Dieu des actions d e grâces ; notre état à nous, au contraire, est ridicule, honteux, digne d’accusation, de supplice et de châtiment ; il mérite les plus grands maux, l’enfer, il est impardonnable. Voyez-vous comme le péché est pire que le démon ? Les démoniaques, à cause des maux qu’ils endurent, ont un double bénéfice : l’un, qui est d’être plus continents et plus sages ; l’autre, qui est de s’en aller purs devant le Seigneur, puisqu’ils ont subi ici-bas le châtiment de leurs péchés propres. Souvent nous avons parlé sur ce sujet, et nous avons montré que ceux qui sont châtiés ici-bas, s’ils supportent leurs maux avec patience, sont déchargés vraisemblablement d’une grande partie de leurs péchés. Le mal qui provient du péché est double aussi : d’une part nous offensons Dieu, de l’autre, nous devenons plus mauvais qu’auparavant ; faites attention à ce que je vous dis. Le péché ne nous blesse pas seulement parce que nous péchons, mais encore parce que l’âme contracte une habitude, comme il arrive pour le corps. Un exemple exprimera plus clairement ma pensée. De même que le fiévreux ne souffre pas seulement de sa maladie actuelle, mais encore de la faiblesse qui en est la suite, lorsqu’il revient à la santé après une longue maladie ; ainsi en est-il du péché ;. même après qu’il est guéri, nous ressentons encore l’affaiblissement qu’il nous a causé. Voyez celui qui a dit des injures à quelqu’un et n’en a pas été puni. Il ne doit pas seulement pleurer parce qu’il n’a pas subi la peine des injures qu’il a dites, il doit encore s’affliger pour une autre cause. Pourquoi donc ? Parce que son âme est devenue plus impudente. Chacun des, péchés que nous commettons dépose dans l’âme un certain poison qui y reste, même après la destruction du péché. N’entendez-vous pas ceux qui reviennent à la santé, après la maladie, dire : Je n’ose pas encore boire d’eau ? Et cependant ils sont rétablis ; mais la maladie leur a laissé cette infirmité. Les démoniaques, au milieu de leurs tortures, rendent des actions de grâces à Dieu, et nous, qui sommes heureux, nous blasphémons Dieu, et nous le supportons avec peine. Il s’en trouve plus parmi ceux qui jouissent de la santé et de la fortune, qui agissent ainsi, que parmi les pauvres et les infirmes. Le démon est là qui les menace comme un bourreau terrible, comme un maître d’école qui lève sa lanière et ne la laisse jamais reposer. Que si quelques-uns ne deviennent pas sages en passant par une telle épreuve, ils n’en sont pas punis. Ce n’est pas là un médiocre avantage. Si les insensés, les fous, les enfants, ne sont pas responsables, les démoniaques ne le sont pas non plus ; il n’y a personne d’assez cruel pour punir des péchés d’ignorance. Donc nous autres pécheurs sommes dans un état pire que celui des démoniaques. – Mais nous n’écumons pas, nos yeux ne se retournent pas, nos mains ne se tordent point. Plût à Dieu que nous souffrissions ces choses dans le corps, et non dans l’âme ! Voulez-vous que je vous montre une âme écumante, impure, aux yeux égarés ? Pensez aux hommes emportés par la colère et enivrés par la fureur ; ne lancent-ils pas des paroles plus impures que n’importe quelle écume ? Ils vomissent la puanteur et l’ordure. De même que les démoniaques, ils ne connaissent plus personne. Leur esprit est dans les ténèbres, leurs yeux sont renversés, ils ne distinguent plus ni amis ni ennemis, ni ce qui est respectable ni ce qui ne l’est pas ; ils voient tout à la fois sans rien distinguer. Ne les voyez-vous pas trembler comme les démoniaques ? – Mais ils ne tombent pas par terre ? Mais leur âme se jette par terre et tombe en se débattant dans l’agonie. Si elle se tenait comme il convient, la verrait-on dans cet état ? Est-ce qu’il ne semble pas que les actions et les paroles de ces hommes enivrés par la colère soient le fait d’une âme avilie, ayant perdu sa liberté d’action. Il est encore une autre sorte de fureur plus grave que celle-là. Laquelle donc ? – Lorsqu’on ne laisse pas la colère s’étendre, et qu’on nourrit en soi le souvenir du mal comme un bourreau domestique. Cette passion de la rancune perd d’abord ceux qui s’y livrent, pour ne pas parler de ce qu’elle cause dans l’avenir. Que pensez-vous que doive être le tourment d’un homme blessé jusqu’au fond de l’âme, examinant chaque jour comment il se vengera de son ennemi ? Cet homme se punit le premier et se châtie en s’excitant, se combattant et s’enflammant lui-même. Sans cesse le feu brûle en vous ; vous allumez la fièvre, vous attisez ce feu pour ne pas le laisser s’éteindre ; et vous pensez à faire du mal à votre ennemi, tandis que vous vous consumez vous-même en portant continuellement en vous cette flamme ardente, et en ne permettant pas à votre âme de se reposer ; Tous êtes comme une bête farouche, et votre esprit est plein de trouble et de tempêtes. 5. Que peut-il y avoir de plus funeste que cette fureur qui plonge dans un chagrin, une irritation et une ardeur perpétuelles ? Telles sont les âmes de ceux que tourmente la rancune. Sitôt qu’ils voient ceux dont ils veulent se venger, ils sont bouleversés ; sitôt qu’ils entendent la voix de leur ennemi, ils sont comme abattus, ils tremblent ; dans leur lit, ils se représentent mille sortes de vengeances, ils pendent leur ennemi, le tourmentent en esprit de mille manières ; mais s’ils le voient fleurir et prospérer, oh ! quel affreux supplice ! Pardonnez à votre ennemi, et arrachez-vous à ces tortures. Pourquoi vous condamner à un supplice qui n’a pas de fin pour né volis venger et né le punir qu’une seule fois ? Pourquoi vous plonger ainsi vous-même dans une langueur continue ? Pourquoi retenir ainsi dans la contrainte votre cœur qui aspire à la liberté ? Que votre haine ne dure pas jusqu’au soir » (Eph 4,26), dit Paul. Comme la consomption ou un ver rongeur, elle dévore la racine de notre âme. Pourquoi enfermez-vous une bête féroce dans vos entrailles ? Mieux vaudrait avoir dans le cœur un serpent, une vipère, que la colère et la rancune ; ces reptiles eussent été promptement chassés ; mais la haine demeure toujours, elle s’attache aux dents, insère le poison et produit une armée de fâcheuses pensées. Mais j’agis ainsi, dit-on, pour que mon ennemi ne se moque pas de moi et ne me méprise pas. – O homme malheureux, homme infortuné, vous ne voulez pas être la risée de votre compagnon d’esclavage, mais vous consentez à être l’objet de la haine de votre Seigneur ! Vous ne voulez pas être méprisé par votre compagnon d’infortune, mais vous méprisez le Seigneur ! Vous ne pouvez supporter que cet homme vous méprise ; doutez-vous que Dieu ne s’indigne aussi lorsque vous vous riez de lui, que vous le méprisez et que vous ne voulez pas lui obéir ? Ce qui montre que cet homme ne vous tournera pas en risée, le voici : Si vous vous vengez, ce sera pour vous une source de risée et de mépris, car la vengeance est le fait de la petitesse d’esprit ; si au contraire vous pardonnez, vous exciterez l’admiration ; car pardonner est le fait d’un grand cœur. Mais mon ennemi ne le saura pas, dit-on. Que Dieu le sache, il suffit, pour que vous obteniez une plus ample récompense. « Prêtez », est-il dit, « à ceux de qui vous n’espérez rien recevoir ». Ainsi faisons le bien à ceux qui ne s’en aperçoivent, pour qu’ils ne diminuent pas notre récompense en nous louant ou en nous récompensant de quelqu’autre manière. Moins nous aurons reçu des hommes, plus nous recevrons de Dieu. Quoi de plus digne de risée, quoi de plus absurde qu’une âme toujours enflammée par la colère, et désireuse de se venger ? C’est un projet de femme et d’enfant. Une femme s’irrite même contre les choses inanimées, et pour passer sa colère, elle frappera jusqu’au pavé ; tels sont les hommes qui veulent se venger de ceux qui les ont offensés. Ils sont donc dignes de risée ; car c’est le fait d’une âme puérile d’être ainsi en proie à la colère ; en triompher au contraire est une œuvre virile. Ce n’est donc pus nous que notre modération expose à la risée, mais nos ennemis. Vaincre la passion n’est pas le fait d’hommes méprisables ; il appartient aux hommes méprisables de craindre le sourire des étrangers, d’en subir l’influence, de succomber ainsi à sa passion, d’offenser Dieu et enfin de se venger. Voilà ce qui est vraiment digne de risée. Fuyons donc ces choses. Que celui qui nous a fait mille injures puisse dire qu’il n’a rien souffert de notre part, et que, s’il recommençait, il n’en souffrirait pas davantage. En tenant ce langage par lequel il croirait nous blesser, il ne pourrait publier plus haut notre vertu, ni faire mieux notre éloge. Plût à Dieu que tous ceux qui m’entourent pussent dire : c’est un homme sans cœur, homme à tout souffrir ; tous lui font injure, et il le supporte ; tous se jettent sur lui, et il ne se venge pas ! Puissent-ils ajouter quand il le voudrait, il ne le pourrait pas ; afin que Dieu me loue et non les hommes. Qu’on dise si l’on veut que c’est par défaut de cœur que nous ne nous vengeons pas. Cela ne nous fait aucun mal, puisque Dieu sait ce qu’il en est, mais cela met notre trésor sous une sauvegarde plus puissante. Si nous voulons considérer les hommes, nous perdrons tout : ne nous occupons pas de ce qu’on dit, mais de ce qui convient. Ceux-là disent : Je ne veux pas qu’on se moque de moi, ni que personne se vante de m’avoir offensé. O folie ! personne ne s’est ri de moi après m’avoir offensé, dit-on, c’est-à-dire : je me suis vengé. Mais c’est précisément parce que vous vous êtes vengé de l’offenseur que vous méritez d’être un sujet de risée. D’où sont sortis ces mots qui sont la honte, la ruine, la subversion de notre vie particulière et sociale ? N’est-ce pas de l’habitude de parler autrement que Dieu ? Ce que vous jugez ridicule, c’est-à-dire, de ne pas se venger, c’est précisément ce qui rend égal à Dieu. Est-ce que nous ne sommes pas ridicules à nos propres yeux, ainsi qu’à ceux des gentils, de parler ainsi en sens contraire de Dieu ? Je veux raconter un fait qui s’est passé dans les temps anciens, et qui a rapport non à la colère, ruais aux richesses. Quelqu’un avait un champ dans lequel était caché un trésor, sans que le maître le sût. Il vendit ce champ. Celui qui l’avait acheté, fouillant, cultivant, plantant, trouva le trésor qui était enfoui. Le vendeur l’apprit, et vint vers l’acheteur pour le contraindre à lui rendre le trésor, disant qu’il lui avait vendu le champ et non le trésor. L’autre à son tour le réfutait en disant qu’il avait acheté le champ et le trésor, qu’il n’y avait rien à dire là-dessus. De là dispute entre eux, l’un réclamant le trésor, l’autre refusant de le donner ; ils rencontrèrent un homme et se disputèrent devant lui ; ils lui demandèrent à qui devait être le trésor. Mais lui ne prononça rien ; il leur dit qu’il allait vider leur différend, car il était le maître du trésor. Il prit donc le trésor qu’ils lui abandonnèrent volontiers ; il souffrit ensuite mille maux, et apprit par là que les hommes avaient bien fait de se désister. Il faut en agir ainsi par rapport à la colère ; ne cherchons point à nous venger, et que ceux qui ont fait des injures s’appliquent à les réparer justement. Mais sans doute il y en a qui croient cela ridicule. Lorsque cette folie a pris le dessus, les gens modérés sont tournés en ridicule, et, au milieu de la foule des insensés, celui qui ne l’est pas semble l’être. Je vous en supplie donc, supportons l’injure. Contenons nous afin de pouvoir, purifiés que nous serons de cette malheureuse passion, être jugés dignes du royaume des cieux, par la grâce et les miséricordes du Fils unique, à qui appartiennent avec le Père et l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XLII.
APRÈS CES CHOSES, PAUL, PAR L’INSPIRATION DU SAINT-ESPRIT, RÉSOLUT D’ALLER A JÉRUSALEM ; EN PASSANT PAR L’ACHAÏE ET LA MACÉDOINE, IL DISAIT : « LORSQUE J’AURAI ÉTÉ LA IL FAUT QUE JE VOIE ROME ». AYANT DONC ENVOYÉ EN MACÉDOINE DEUX D’ENTRE CEUX QUI LE SERVAIENT, TIMOTHÉE ET ÉRASTE : IL PASSA LUI-MÊME UN CERTAIN TEMPS EN ASIE. IL ARRIVA QUE PENDANT CE TEMPS IL Y EUT UN GRAND TROUBLE TOUCHANT LA VIE DU SEIGNEUR. (CHAP. 19, VERS. 21-23, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE) ANALYSE.
- 1 et 2. Événements d’Ephèse ; sédition de Démétrius. – L’appât du gain en est la cause. – Le juif Alexandre apaise la foule. – Son discours. – Commentaire sur le discours de Démétrius.
- 3 et 4. Bons effets de la tribulation. – Comparaison entre le deuil et la joie : La maison où se fait une noce et celle qui est dans le deuil ; le théâtre et la prison ; l’âme plongée dans les délices, et celle qui est dans l’affliction.
l. Lorsqu’il eut demeuré assez longtemps dans cette ville, Paul voulut s’en aller ailleurs. C’est pour cela qu’il envoie Timothée et Eraste en Macédoine, tandis qu’il reste encore quelque temps à Éphèse. Mais comment se fait-il qu’ayant d’abord eu la pensée d’aller en Syrie, il se détermine maintenant à passer en Macédoine ? Cela montre qu’il ne fait rien par sa propre volonté. Il prophétise en disant : « Il faut que je voie Rome ». Peut-être dit-il cela pour consoler les disciples comme s’il leur disait : Je ne reste pas, mais je reviendrai ; la prophétie qu’il ajoute est aussi un moyen de les encourager. De là il me semble que c’est d’Éphèse qu’il écrit aux Corinthiens, leur disant : « Je ne veux pas que vous ignoriez la a tribulation qui nous est arrivée en Asie ». (2Co 1, 8) Comme il a promis d’aller à Corinthe, il s’excuse de son retard par l’épreuve qu’il a eue à subir, entendant par là ses démêlés avec Démétrius. C’est ce Démétrius qui suscita ce grand trouble dont parle saint Luc. Nouveau danger, nouvelle commotion. Voyez-vous quel éclat jette la vertu de Paul ? Un double prodige s’opère, et les Juifs persistent dans la contradiction. Mais tout concourt au progrès de l’Évangile. « Un homme nommé Démétrius, orfèvre, qui faisait des temples a de Diane en argent, donnait beaucoup à gagner à ceux de ce métier. Il les réunit ainsi que d’autres qui étaient intéressés à ces sortes d’ouvrages et leur dit : Hommes, vous savez que le gain nous vient de cet art ; et vous voyez et vous apprenez que non seulement à Éphèse, mais encore dans presque toute l’Asie, ce Paul a persuadé et entraîné une foule nombreuse, en disant : « Ceux-ci ne sont pas des dieux qui sont fabriqués par la main des hommes, non seulement par là notre art est en danger de se perdre, mais il est à craindre que le temple de la grande Diane ne soit plus compté pour rien, et que soit détruite la majesté de celle que vénère toute l’Asie et l’univers (24-27) ». – « Qui faisait des temples de Diane en argent », dit l’auteur. Comment peut-on faire des temples en argent ? Ce n’était probablement que de petites boîtes. Diane était en grande vénération à Éphèse : l’incendie du temple causa tant d’affliction aux Éphésiens ; qu’on défendit de prononcer jamais le nom de celui qui y avait mis le feu. Remarquez que partout l’idolâtrie ne subsiste que par l’argent. Les ouvriers sont poussés par l’argent, Démétrius est poussé par l’argent ; le danger de leur religion n’est pas ce qui les fait agir, mais bien la crainte de voir disparaître leur gain. Voyez la malice de cet homme : il était opulent, et par conséquent la perte serait pour lui peu sensible ; mais elle devait être grande pour les ouvriers qui sont pauvres et qui vivent du travail de chaque jour. Cependant ils ne disent rien, lui seul parle ; et comme ils étaient du même métier que lui, il en fait des instruments de trouble. Ensuite il exagère le danger en disant : « Il est à craindre pour nous que notre partie ne se perde » : ce qui veut dire que, privés de ce métier, ils sont en danger de mourir de faim. Cependant ces paroles devaient suffire pour amener à la religion ; mais, misérables et sans intelligence comme ils étaient, ils se révoltent plutôt, et ils n’ont garde de réfléchir et de se dire à eux-mêmes : Si cet homme est assez puissant pour convertir le monde et mettre en danger les dieux, quelle doit être la puissance de son Dieu ! Combien donc ce Dieu nous donnera-t-il mieux les choses que nous craignons de perdre ? Démétrius s’était déjà emparé de leur esprit, en leur disant : « Ceux-là ne sont pas des dieux qui sont faits par la main des hommes ». Voyez pour quelle raison s’indignent les gentils, c’est parce qu’on leur dit : « Ceux-là ne sont pas des dieux qui sont faits par la main des hommes ». Il insiste partout sur la question de leur métier. Ensuite, comme pour mettre le comble à leur douleur, il ajoute en dernier lieu : « Non-seulement notre métier est en danger », c’est-à-dire, tout cela n’est rien ; mais ce qui est très-grave, c’est que le temple de la grande Déesse est en danger d’être détruit. Et pour ne pas sembler parler en vue du gain, il ajoute : « Que la terre entière vénère ». Voyez-vous comme il démontre là grande puissance de Paul ; il dit à ces gens qu’ils seront tous réduits à la misère et perdus si cet homme chassé de son pays, ce fabricant de tentes, peut faire de si grandes choses ? Voyez les témoignages rendus aux apôtres par leurs ennemis. Ailleurs ils disaient : « Vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine » (Act 5,28) ; ici : « La majesté de la grande Diane sera détruite ». Dans une autre circonstance ces mêmes ennemis disaient : « Ceux qui ont bouleversé la terre sont ici » (Act 17,6) ; maintenant ils disent : « Il y a danger pour nous que cette partie ne tombe à rien ». Les Juifs disaient aussi du Christ : « Voyez comme tout le monde va après lui, les Romains viendront et prendront notre ville ». (Jn 12,19 et 11, 48) Lorsqu’ils eurent entendu ce discours, ils furent remplis de fureur ». D’où venait cette fureur ? De ce qu’on leur avait dit de Diane et de la perte qu’ils allaient faire. C’est l’habitude, dans la place publique, de se soulever et de prendre feu à propos de quoi que ce soit. Il faut donc toujours agir avec circonspection. Voyez à quel point ils sont méprisables de s’enflammer à propos de tout. « Lorsqu’ils d l’eurent entendu, ils furent remplis de fureur », dit l’auteur, « et ils s’écriaient : La Diane des Éphésiens est grande. Et la ville a entière fut remplie de confusion ; ils se précipitèrent d’un commun accord vers le théâtre, entraînant avec eux Gaïus et Aristarque, « Macédoniens, compagnons de Paul (28-29) ». 2. Ils font irruption sans raison, comme les Juifs chez Jason ; partout les apôtres sont prêts. Ils n’avaient, en agissant de la sorte, souci ni de la gloire, ni de la renommée. « Paul voulait sortir et aller vers le peuple ; mais les disciples ne le permirent pas. Quelques-uns des Asiarques qui étaient ses amis, envoyèrent près de lui pour le prier de ne pas se montrer au théâtre (30, 31) ». Ils le prient de cela, parce que c’était une foule sans raison, capable de tout oser dans son aveugle fureur. « Paul accède à cette prière » ; car il n’était ni ambitieux, ni avide de vaine gloire. « Les uns criaient d’une manière, les autres d’une autre ; car la foule était un mélange de toutes sortes de gens ». Telle est la multitude, elle se précipite au hasard, comme l’incendie. « La plupart ne savaient pas pourquoi ils s’étaient rassemblés. On fit sortir de la foule Alexandre que les Juifs poussaient en avant ». Les Juifs prenaient les devants par l’action de la divine Providence, afin qu’ils n’eussent pas possibilité de contredire ensuite. Cet homme est donc poussé en avant, et il parle ; écoutez ce qu’il dit : « Alexandre ayant fait faire silence de la main, voulait se justifier devant le peuple. Lorsqu’on sut qu’il était Juif, un seul cri partit de la foule entière qui s’écriait, pendant environ deux heures : La Diane des Éphésiens est grande ! » C’était une pensée d’enfant. Ils criaient sans interruption, comme s’ils eussent craint que leur culte ne fût aboli. Paul est resté là pendant deux ans : voyez combien il y a encore de gentils. « Lorsque le greffier eut apaisé la foule, il leur dit : Éphésiens, quel homme ignore que la ville d’Éphèse honore d’un culte particulier la grande déesse Diane, ainsi que le Diopétès ? » Cela tout d’abord éteignit leur fureur. « Le Diopétès ». Il ajoute ces mots pour plus de précision. C’était un autre temple qu’on nommait le Diopétès. Ou bien on appelait de ce nom l’idole de Diane pour signifier que cette argile venait de Jupiter, et n’avait pas été fait de la main d’un homme ; ou bien une autre statue s’appelait ainsi chez eux. « Puisque nul ne peut contredire ces choses, vous devez vous apaiser et ne rien faire avec précipitation. Vous avez emmené ces hommes qui ne sont pas sacrilèges et ne blasphèment pas – votre déesse a (32-37 ». Tout cela était pur mensonge, mais il parlait ainsi au peuple pour l’apaiser. « Si donc Démétrius et les ouvriers qui sont avec a lui ont lieu de se plaindre de quelqu’un, il a se tient des audiences sur la place, il y a des proconsuls, que la cause leur soit déférée. Si vous vous plaignez de quelqu’autre chose, « on réglera tout dans une assemblée légitime. « Nous sommes en danger de nous entendre accuser de la sédition pour ce qui s’est passé aujourd’hui, sans aucun motif que nous a puissions présenter comme étant la raison « de ce tumulte. Par ces paroles, il dissipa l’assemblée (38-40). » Il dit : « l’assemblée légitime », parce qu’il y avait en effet trois assemblées chaque mois. Cette assemblée était illégitime. Il les épouvante en disant : « Nous a sommes en danger d’être accusés de sédition ». Mais reprenons. « Lorsque toutes ces choses eurent été accomplies », dit l’auteur, « Paul, inspiré par l’Esprit-Saint, résolut d’aller à Jérusalem, en passant par la Macédoine et a l’Achaïe ». Il n’agit plus ici par des raisons humaines ; mais c’est par l’inspiration de l’Esprit qu’il se décide à passer par ces pays. C’est là ce que signifie se décida », et c’est le sens du mot. L’auteur ne dit pas pour quelle cause Paul envoie Timothée et Eraste ; il me semble que cette détermination est prise aussi par « l’inspiration de l’Esprit-Saint ». Il est dit de même ailleurs : « C’est pourquoi n’y tenant plus, nous avons préféré rester seul à Athènes ». (1Th 3,1) Il envoya donc deux de ses ministres pour annoncer son arrivée et ranimer le zèle des disciples. C’est, en Asie qu’il demeure le plus longtemps, et c’est avec raison. Là, en effet, se trouvait une foule de philosophes. Et lorsqu’il fut au milieu d’eux, il discutait avec eux comme d’habitude. En effet il y avait là beaucoup de superstition. « Démétrios », dit l’auteur, « un orfèvre, ayant rassemblé les ouvriers de ce métier, leur dit : « Hommes, vous savez, vous voyez, vous apprenez (tant le fait était notoire) que ce Paul a persuadé et converti une grande foule ». S’il a persuadé, il n’a pas usé de violence, c’est ainsi qu’il faut persuader une ville. Ensuite il amène ce qui le touche de près, et ajoute : « Il a persuadé que ce ne sont pas des dieux que ceux qui sont faits par la main des hommes ». Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire ; il renverse notre art. Et de peur qu’ils ne réfléchissent et ne disent : Si un homme seul fait de telles choses, et s’il a une telle puissance, il faut se laisser persuader par lui, Démétrius ajoute : « Que toute l’Asie et la terre vénèrent ». Ils croyaient que leur voix les défendrait contre l’Esprit-Saint, ces païens, ces enfants, pour mieux dire. Nous tirons, dit-il, notre subsistance de ce métier. Et si vous tirez votre subsistance de ce métier, comment un homme simple a-t-il pu persuader à tant de monde de renoncer à cette superstition ? Comment a-t-il prévalu contre une coutume si invétérée ? Que dit-il ? Ce qu’il dit, ce qu’il fait, n’est pas le fait de Paul, n’est pas l’œuvre d’un homme. Il lui a suffi de dire : « Ce ne sont pas des dieux ». S’il a été si facile de trouver le défaut de cette impiété, il fallait la condamner dès longtemps ; si elle eût été forte, elle n’eût pas dû être si vite anéantie. « Là », dit-il, « ne se borne pas notre danger ». Il ajoute cela pour faire entendre quelque chose de plus grave. « Lorsqu’ils l’eurent entendu, ils furent remplis de fureur, et ils criaient : La Diane des Éphésiens est grande ». Dans chaque ville il y avait des dieux particuliers. Tel était l’état de leur esprit, qu’ils croyaient par leurs cris rétablir son culte et détruire ce qui venait de s’accomplir. 3. Voyez cette foule confuse. « Comme Paul », dit l’auteur, « voulait aller vers le peuple, les disciples s’y opposèrent ». Paul voulait donc aller vers le peuple pour lui parler ; car il saisissait les temps de persécution pour instruire. Mais les disciples ne le permirent pas. Remarquez partout de quel soin prévoyant on l’entoure. Et dès le commencement ils l’emmenèrent, de peur qu’il ne reçût quelque coup mortel. Quoiqu’ils lui aient entendu dire qu’il doit voir Rome, cependant ils l’empêchent de sortir. C’est par l’action de la Providence qu’il l’a prédit par avance, afin que les disciples ne se troublent pas. Ils ne voulaient pas qu’il lui arrivât le moindre accident. « Quelques-uns des Asiarques le suppliaient », dit l’auteur ; « de ne pas entrer au théâtre ». Voyant son ardeur, ils le suppliaient. Et pourquoi, direz-vous, Alexandre voulut-il se justifier devant le peuple ? Était-il accusé lui-même ? Afin de trouver une occasion de tout bouleverser et d’exciter la fureur populaire. Vous avez vu l’emportement tumultueux des Éphésiens ? C’est donc avec raison que le scribe leur dit, sous forme de reproche : « Quel homme ne sait que la cité d’Éphèse ». Il parle tout de suite de l’objet de leurs craintes. C’est comme s’il leur disait N’honorez-vous pas la déesse ? Il ne dit pas : Quel homme ne connaît pas Diane ? Mais « notre cité », afin de les flatter. « Comme cela est incontestable, il faut vous calmer ». Leur faire ce reproche, c’est presque leur dire Pourquoi vous inquiétez-vous donc comme si cela était incertain ? Il est clair que l’insulte retombe sur la déesse lis voulaient que la religion assurât leur gain. Il les prend ensuite par la douceur, en leur montrant qu’ils se sont rassemblés sans raison. « Et rien », leur dit-il, « ne doit se faire témérairement ». Il leur parle ainsi pour leur montrer qu’ils ont agi étourdiment. « Si donc Démétrius et ceux qui sont avec lui ont quelque sujet de plainte, il y a des proconsuls ». Il leur dit cela en forme de reproche, pour indiquer qu’il ne fallait pas faire une assemblée publique pour des crimes privés. « Car nous sommes exposés à nous entendre reprocher » : Par là, il les jette dans l’embarras. « Puisqu’il n’y a pas de motif par lequel nous puissions rendre raison de cette émeute ». Voyez avec quelle prudence et quelle sagesse les infidèles raisonnent eux-mêmes. Il calma ainsi leur fureur. Aussi facilement elle avait été allumée, aussi facilement elle s’éteignit. « Par ces paroles, il dissout l’assemblée », dit l’auteur. Remarquez-vous comment Dieu permet les épreuves, et par elles réveille les disciples et les rend plus fervents ? Ne nous laissons donc pas abattre par les afflictions, car Dieu nous donnera le moyen de les supporter. Rien ne fait naître et ne fortifie l’amitié comme la tribulation. Rien ne relie et ne resserre si bien les âmes fidèles ; rien ne nous est plus utile, à nous docteurs, pour que l’on écoute nos paroles. L’auditeur, qui demeure dans la tranquillité, est mou et négligent ; il semble supporter péniblement l’orateur ; dans la tribulation et l’angoisse, au contraire, il désire ardemment qu’on lui parle. Celui dont l’esprit est, dans la peine, cherche partout ce qui le console dans son affliction, et la parole procure une grande consolation : Pourquoi donc, direz-vous, les Juifs n’écoutaient-ils pas lorsqu’ils étaient dans l’affliction ? Parce qu’ils étaient Juifs, toujours faibles et misérables ; d’ailleurs, parce que leur affliction était extrême, et nous ne parlons que d’une affliction ordinaire. Remarquons donc ceci : les Juifs s’attendaient à être délivrés de leurs maux actuels, et ils se précipitèrent dans mille nouveaux malheurs. Cela ne jette pas l’âme dans un chagrin médiocre. Les tribulations nous détachent violemment de l’affection pour le monde d’ici-bas ; nous désirons bien vite la mort ; nous ne sommes plus amoureux de notre corps. Et c’est une grande partie de la philosophie de ne plus se complaire dans la vie présente et de n’y être plus attaché. L’âme affligée ne cherche pas à s’attacher à toutes choses, elle n’aime plus que le calme et le repos ; elle ne souhaite que d’être arrachée à la vie présente, quand même il n’y aurait rien à espérer après. De même qu’un corps fatigué et accablé de maux ne veut plus servir le ventre, triais se reposer et vivre dans la tranquillité ; de même l’âme affligée de mille maux, aspire au calme et à la paix ; celle qui ne connaît pas la peine, est stupide, troublée, indécise ; celle-là ne s’ébahit de rien, elle est étrangère aux molles voluptés ; toujours recueillie en elle-même, elle ne se laisse point emporter à tous les vents. L’une est plus virile, l’autre plus puérile ; celle-là est plus grave, celle-ci plus légère. Lorsqu’un corps tombe dans une eau profonde, s’il est léger, il surnage ; il en est de même d’une âme tout à coup plongée dans une grande joie. Tout le monde sait que nos plus grandes fautes sont causées par l’entraînement du plaisir. Si vous le voulez, faisons la description de deux maisons : l’une où l’on fait des noces, l’autre où l’on est dans le deuil. Entrons par la pensée dans toutes les deux, et voyons quelle est la meilleure. Nous trouverons celle où l’on pleure pleine de sagesse, l’autre où l’on fait des noces est pleine d’inconvenances. Regardez en effet : là se profèrent des paroles honteuses, le rire est immodéré, les allures sont désordonnées, le vêtement et la démarche sans pudeur ; toutes les marques de la folie et de la sottise s’y rencontrent : en un mot, rien autre ne s’y trouve que le rire et la dérision. Ce n’est pas le mariage que je condamne, à Dieu ne plaise ! mais c’est ce qui accompagne les mariages. La nature alors est comme agitée d’une fureur étrange ; les assistants y sont semblables à des êtres sans raison et non à des hommes : les uns hennissent comme des chevaux, les autres ruent comme des ânes ; c’est une grande dissolution, une grande confusion ; il n’y reste plus rien de vertueux ni d’honnête. Là est la pompe du démon, les cymbales, les flûtes ; là se font entendre des chansons remplies de fornication et d’adultère. Il en est tout autrement là où l’on est dans le deuil, l’ordre y règne avec la bienséance. Un grand silence, un grand calme, une grande réserve, rien n’est déréglé ; si quelqu’un parle, c’est pour faire entendre des paroles pleines de sagesse ; mais, chose étonnante, pendant ce temps, ce ne sont pas seulement les hommes, mais même les serviteurs et les femmes dont tous les propos respirent la sagesse. Telle est, en effet, la nature du deuil ; chacun s’efforce de consoler celui qui est dans la peine, on lui communique mille pensées remplies de philosophie. On fait des prières pour que le malheur ne s’aggrave point. Pour consoler l’affligé, on lui énumère ceux qui ont souffert ce qu’il souffre. Qu’est-ce en effet que l’homme ? Étude de notre nature. Qu’est-ce donc que l’homme ? Accusation de sa vie et de sa vile existence, souvenir des choses à venir et du jugement. 4. Chacun rentre dans sa demeure : celui qui revient des noces, s’afflige de n’être pas lui aussi dans la bonne fortune ; celui qui revient du deuil est plus à l’aise, parce qu’il n’a rien souffert de semblable, et il s’en est allé, après avoir éteint en lui-même toute passion. Mais quoi ! Voulez-vous que nous mettions en parallèle les prisons et les théâtres ? Les unes sont des lieux d’affliction, les autres des lieux de plaisir. Souffrez que nous vous fassions voir ce qui se passe dans l’un et l’autre séjour. Dans la prison, beaucoup de philosophie : en effet, là où est le chagrin, là est aussi la philosophie. Celui qui auparavant était riche, orgueilleux, supportera que n’importe qui lui parle, car la crainte et la douleur consument son âme avec plus d’ardeur que le feu, et en amollissent la dureté ; alors il devient humble, austère, alors il comprend l’instabilité des choses de la vie, et il est fort contre toutes les adversités. Au théâtre, tout au contraire, se rencontrent le rire, la honte, la pompe diabolique, l’affaiblissement de l’esprit, la perte de temps, la dépense inutile des jours, tout l’apparat d’une concupiscence effrénée, l’enseignement de l’adultère, l’école de la prostitution et du libertinage, l’encouragement à la honte, les sujets de rire, l’exemple de la dépravation. Telle n’est pas la prison : là se trouvent l’humilité, l’exhortation, l’encouragement à la philosophie, le mépris des choses de cette vie. Toutes choses sont foulées aux pieds et méprisées ; la crainte se tient auprès du prisonnier comme le précepteur près de l’enfant, et le forme à tout ce qui est bon. Si vous le voulez bien, examinons ces lieux sous un autre point de vue. Je voudrais que vous rencontrassiez un homme sortant du théâtre, et un autre quittant la prison, et que vous vissiez l’âme hébétée, troublée ; et vraiment enchaînée du premier ; et celle du second, tranquille, déliée et libre. Celui, en effet, qui sort du théâtre les yeux épris des femmes du lieu, est véritablement lié par des chaînes plus fortes que le fer, c’est-à-dire par les lieux eux-mêmes, les paroles et les formes qu’il y a vues. Celui qui sort de la prison est débarrassé de tout, il ne croira plus rien souffrir désormais en comparant son sort à celui des autres ; pourvu qu’il ne soit plus enchaîné, il considérera cela comme une grâce, il méprisera les choses humaines en voyant tant de riches dans l’infortune, tant de puissants jetés dans les fers. Si on lui fait quelque injustice, il la supportera ; il en a tant vu. Le jugement à venir lui viendra à l’esprit, et il frissonnera d’horreur à l’idée de la prison de l’autre monde. De même que la prison l’a rendu doux envers tout le monde ; de même la perspective du jugement et du châtiment futur lui inspirera de la bonté pour sa femme, pour ses enfants et pour ses serviteurs. Tel n’est pas celui qui revient du théâtre. Il regardera sa femme d’une façon peu aimable, il sera dur envers les domestiques, aigre avec ses enfants, sauvage avec tout le monde. Les théâtres engendrent de grands maux pour les cités, de grands maux, et nous n’en savons pas la grandeur. Si vous me le permettez, nous examinerons aussi ces séjours du rire, je veux dire les festins où se rencontrent les parasites et les flatteurs, et les délices de la bonne chère, et nous les comparerons avec les autres qu’habitent les boiteux et les estropiés. Dans les premiers se voient l’ivresse, les délices, l’énervement de l’âme. Dans les seconds, c’est tout le contraire. Voyez le corps, lorsqu’il s’engraisse et vit dans la délicatesse, il tombe promptement dans la maladie ; il n’en est pas ainsi lorsqu’il est réglé. Pour vous montrer cela plus clairement, prenons un corps qui ait beaucoup de sang et de chairs, et qui soit plein de sève ; il ne faudra qu’une nourriture ordinaire pour lui donner la fièvre, surtout s’il est oisif. Prenons-en un autre qui lutte habituellement avec la faim et l’affliction, celui-ci sera plus difficile à abattre et à vaincre. Quoique le sang soit sain en nous, il engendre cependant souvent la maladie par la réplétion ; s’il est moins abondant, quoique moins sain, on peut facilement le guérir. On peut en dire autant de l’âme, celle qui vit dans l’oisiveté et les délices suit. une pente plus rapide vers le péché : car elle est proche de la violence, de la volupté, de la vaine gloire, de l’envie, des embûches et de la calomnie ; mais il n’en est pas ainsi de celle qui vit dans la tribulation et la frugalité, elle est exempte de tous ses maux. Voyez combien est grande notre cité. D’où viennent les maux ? n’est-ce pas des riches ? n’est-ce pas de ceux qui sont dans la joie ? Quels sont ceux qui traînent les autres devant les tribunaux ? qui est-ce qui dilapide sa fortune ? Sont-ce les malheureux et les rebuts du monde, ou bien les orgueilleux et ceux qui sont dans la joie ? Il n’appartient pas à l’âme affligée de faire le mal. Paul a connu ses avantages, c’est pour cela qu’il dit : « La tribulation engendre la « patience ; la patience, l’épreuve ; l’épreuve, « l’espérance ; l’espérance ne confond pas ». (Rom 5,3-5) Ne nous laissons pas abattre dans l’affliction, mais rendons grâces en toutes circonstances, pour gagner beaucoup et être, éprouvés devant Dieu qui permet les tribulations. L’affliction est un grand bien, et nous voyons cela par nos enfants ; sans l’affliction, l’enfant n’apprend rien de bon. Nous avons encore plus besoin qu’eux de l’affliction. S’ils ne fleurissent que lorsque leurs passions sont tenues dans le calme, à plus forte raison nous qui avons des passions beaucoup plus impérieuses, nous aurions bien plus besoin de maîtres ; les péchés des enfants ne sont pas très-grands, mais les nôtres le sont. L’affliction est notre précepteur. Ne l’attirons pas sur nous, mais supportons-la avec courage lorsqu’elle survient ; elle est la source de mille biens ; supportons-la afin de jouir de la grâce de Dieu et des biens qui sont préparés à ceux qui l’aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.