Acts 2
HOMÉLIE IV.
QUAND LES JOURS DE LA PENTECÔTE FURENT ACCOMPLIS, LES DISCIPLES ÉTAIENT TOUS ENSEMBLE EN UN MÊME LIEU, ET SOUDAIN UN BRUIT S’ENTENDIT VENANT DU CIEL. (ACT. 2,1, 2)
ANALYSE.
- 1. L’orateur explique d’abord les rapports qui existent entre la Pentecôte des Juifs et celle des chrétiens, et puis les raisons symboliques des langues de feu, sous lesquelles se montra l’Esprit-Saint.
- 2. Il dépeint ensuite l’étonnement où le don des langues jeta tous ceux qui en furent témoins, et puis il oppose l’excellence et la supériorité du feu, comme emblème de l’action de l’Esprit-Saint, aux divers signes de l’inspiration qu’avaient reçus les prophètes de l’Ancien Testament, et il y trouve une preuve de la sainteté des apôtres. – Ceux-ci parlent toutes les langues, parce qu’ils doivent convertir tous les peuples, et tandis que les uns sont dans l’admiration d’un tel prodige, les autres l’attribuent à l’ivresse, ainsi que les ennemis de Jésus-Christ attribuaient ses miracles au prince des démons.
- 3. Mais Pierre élève la voix au nom des onze qui l’entourent : Quel homme ! et quel langage ! à un tel changement on reconnaît l’action divine de l’Esprit-Saint. – Ici l’orateur trace un éloquent parallèle entre les plus diserts philosophes, et ce pécheur du lac de Génézareth, qui, tout rempli d’une science céleste, confond les plus beaux génies, et réfute les plus subtils sophistes.
- 4. Il compare ensuite la doctrine et la morale de ce Platon, qu’on a surnommé divin, à la doctrine et à la morale de l’apôtre, et laisse à ses auditeurs de décider lequel des deux fait plus d’honneur à l’humanité. – Enfin il termine en exaltant de nouveau la vertu humble et réelle des apôtres en opposition avec l’orgueil et la vanité des philosophes païens.
1. A quelle époque de l’année se célébrait la fête de la Pentecôte ? Au moment de mettre la faux dans la moisson, et de recueillir le froment ; telle est la figure, et voici la vérité. Lorsque la faux de la parole évangélique doit être mise dans la moisson des âmes, le Saint-Esprit paraît, semblable à une faux aiguë. Aussi le Sauveur avait-il dit : « Levez vos yeux et regardez les campagnes, car elles blanchissent déjà pour la moisson » ; et encore : « La moisson est grande et les ouvriers peu nombreux ». (
Jn 4,35 ;
Luc 10,2) Il s’empresse d’envoyer la faux, parce que le moment de la moisson était arrivé. Et, en effet, il en avait déjà comme recueilli les prémices en introduisant notre nature dans les cieux. « Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis », c’est-à-dire, non avant la solennité, mais le jour même de la fête, et il y avait opportunité que la descente de l’Esprit-Saint s’opérât un jour de fête, afin que les témoins de la mort de Jésus-Christ vissent également ce prodige. « Et soudain un bruit s’entendit, venant du ciel ». Pourquoi la venue de l’Esprit-Saint, est-elle annoncée par ces signes sensibles ? Parce que, malgré ce concours de circonstances, si les Juifs dirent « ils sont, pris de vin », que n’eussent-ils pas dit dans toute autre hypothèse ? Mais ce ne fut pas un bruit ordinaire, « il vint du ciel » ; et comme il se fit entendre soudain, il excita l’attention des disciples. « Et il remplit toute la maison ». C’est un symbole de la puissance de l’Esprit-Saint. Soyez attentifs : saint Luc nous dit que tous les disciples étaient réunis ; en sorte que tous crurent sur le témoignage de leurs sens, et que tous devinrent ainsi des témoins dignes de foi.
Mais voici un nouveau prodige plus étonnant encore. « Et ils virent comme des langues de feu qui se partagèrent ». Ce n’est pas sans raison que l’écrivain sacré dit : « Comme des langues ». Il veut prévenir l’erreur de ceux qui croient que l’Esprit-Saint est un élément sensible ; aussi dit-il : « comme un feu », et : « comme un vent ». Ce n’était donc pas un simple courant d’air. Lorsque ce même Esprit dut se manifester à Jean-Baptiste, il apparut au-dessus de Jésus-Christ, sous la forme d’une colombe ; et aujourd’hui qu’il s’agit d’évangéliser l’univers, il vient comme un feu ardent. « Et il s’arrêta sur chacun d’eux » ; c’est-à-dire, se fixa et se reposa sur chacun d’eux, car telle est la signification du verbe s’arrêter. Mais l’Esprit-Saint ne se reposa-t-il que sur les douze apôtres, à l’exclusion de tous les autres ? Nullement, il se répandit également sur les disciples qui étaient au nombre de cent vingt. Aussi est-ce avec juste raison que saint Pierre cite ce passage d’un prophète : « Dans ces derniers temps, dit le Seigneur Dieu, je répandrai mon Esprit sur toute chair ; et vos fils et vos filles prophétiseront ; vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes ». (Joël, 3,1)
Observez aussi que ce ne fut pas seulement pour frapper d’étonnement les disciples, mais encore pour les remplir de grâce que l’Esprit-Saint s’annonça sous le double symbole du vent et du feu. C’est pourquoi saint Luc ajoute « Qu’ils furent tous remplis de l’Esprit-Saint, et qu’ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur donnait « de les parler ». Ce don des langues, inouï jusqu’alors, fut le seul signe des opérations du divin Esprit, et il était un témoignage bien suffisant. Mais ce divin Esprit « s’arrêta sur chacun d’eux » ; par conséquent sur Joseph qui n’avait pas été élu, et qui n’eut plus à envier la préférence donnée à Matthias. « Et tous furent remplis » ; c’est-à-dire que la grâce de l’Esprit-Saint ne leur fut point départie comme avec mesure, mais dans toute sa plénitude. « Et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur donnait de les parler ». Saint Luc n’eût point dit « tous », s’il n’eût voulu désigner que les apôtres, et si ce don n’eût été communiqué également à tous les autres disciples. Et, en effet, puisqu’il avait précédemment désigné les apôtres chacun par son nom, il lui eût suffi de constater ici leur présence.
Observez encore que l’Esprit-Saint descendit sur les disciples dans le temps qu’ils persévéraient dans la prière et l’union des cœurs. Ces mots : « Comme des langues de feu », nous rappellent un autre prodige de ce genre, celui du buisson ardent. « Selon que l’Esprit-Saint leur donnait de parler », car toutes leurs paroles étaient autant de sentences. « Or, il y avait à Jérusalem », poursuit saint Luc, « des Juifs religieux qui y habitaient ». C’était par un motif de religion que ces Juifs s’y étaient fixés. Et, comment ? Parce que pour le faire ils avaient dû, étant de diverses contrées, quitter leur patrie, leurs biens et leur famille. Aussi saint Luc dit-il « qu’il y avait à Jérusalem des habitants, Juifs religieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel ; et ce bruit s’étant répandu, il s’en assembla un grand nombre, et ils furent fort étonnés ». Le prodige s’était accompli dans l’intérieur de la maison, et une légitime curiosité y faisait accourir tous ceux qui en entendaient parler. « Et ils étaient fort étonnés ». Que signifie cette expression ? Elle marque en eux un mélange de trouble et d’admiration.
Mais saint Luc nous révèle la cause de cette disposition, quand il ajoute que « chacun les entendait parler en sa langue. Or, cette multitude s’entre-disait : Ces gens-là qui parlent, ne sont-ils pas tous Galiléens ? » Voyez-vous comme tous les esprits et les regards se tournent vers les apôtres. « Comment donc les entendons-nous parler chacun la langue du pays où nous sommes nés ? Parthes, Mèdes, Elamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont et l’Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l’Égypte et cette partie de la Libye qui est proche de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs aussi et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons parler, chacun en notre langue, des merveilles de Dieu. Ils étaient donc dans la stupeur et l’admiration, se disant l’un à l’autre : Que veut dire ceci ? » (
Act 2, 5, 12) Les voyez-vous accourir de l’Orient et de l’Occident ? « Mais quelques-uns se moquaient, disant : C’est qu’ils sont pleins de vin nouveau ».
2. Quelle impudence et quelle malignité ! car la Pentecôte ne tombait pas au temps de la vendange. Mais, ô comble de la malice ! tandis que tous les autres, Romains, prosélytes, et peut-être même les bourreaux qui avaient crucifié le Christ, reconnaissent la vérité du prodige ; ces Juifs ne savent répondre aux nombreux miracles qu’opèrent les apôtres que par cette raillerie : « Ces gens sont pleins de vin nouveau ». Mais reprenons l’explication des premiers versets. « L’Esprit-Saint », dit saint Luc, « remplit toute la maison ». Ce divin Esprit fut pour les apôtres comme une piscine d’eau, et le feu marquait, la plénitude de la grâce et la véhémence du zèle. Ce n’est pas ainsi que ce même Esprit se communiquait aux prophètes, et il le faisait d’une manière moins solennelle. Le Seigneur présenta un livre à Ézéchiel ; et il lui dit : Dévore ce livre qui contient ce que tu devras dire. « Et je dévorai le livre », dit le prophète, « et il fut dans ma bouche comme le miel le plus doux ». (
Eze 3,3) À l’égard de Jérémie, c’est la main du Seigneur qui toucha ses lèvres. (
Jer 1,9) Mais ici l’Esprit-Saint paraît en personne, et se montre ainsi égal en gloire au Père et au Fils.
Ézéchiel dit encore : « Je vis un livre qui contenait des plaintes lugubres, des malédictions et des calamités ». (
Eze 2,9) La tradition de ce livre lui fut une preuve suffisante de l’inspiration divine : et, en effet, il avait besoin d’en être averti par quelque signe ; mais, du reste, il n’était envoyé qu’à une seule nation, et à ses concitoyens. Les apôtres, au contraire, devaient se répandre dans le monde entier, et parmi des peuples inconnus. Le manteau d’Élie fut pour Élisée le gage des dons de prophétie et de miracles, David reçut avec l’onction sainte celui de l’inspiration divine, et du milieu du buisson ardent le Seigneur confia à Moïse la mission de délivrer. Israël. Mais ici se révèle un ordre de choses tout nouveau, le feu lui-même s’arrête sur chacun des disciples. Eh ! pourquoi ce feu ne parut-il pas embraser toute la maison ? Parce que tous en eussent été effrayés. Au reste, c’est ce qui eut effectivement lieu, car il faut faire plus attention à ce globe de feu qui parut alors, qu’« à ces langues qui se partagèrent ». Eh ! combien devait être immense le foyer d’un aussi vaste incendie ! Saint Luc dit aussi avec raison que les langues « se partagèrent », parce qu’elles partaient toutes d’un même tronc, et qu’elles recevaient leur force et leur énergie du divin Paraclet.
Observez encore qu’alors pour la première fois fut manifestée la sainteté des apôtres ; aussi, reçurent-ils l’Esprit-Saint. Nous voyons également que David ne se montra pas moins fidèle au Seigneur après qu’il eut triomphé de ses ennemis, qu’il ne l’avait été lorsqu’il gardait les troupeaux ; que Moïse, qui avait méprisé les palais des rois, prit en mains, après quarante ans, la conduite du peuple hébreu ; que Samuel, élevé dans le temple, devint juge en Israël, et qu’Élisée et Ézéchiel, qui avaient tout quitté, reçurent le don de prophétie. La suite des faits prouve qu’il en avait été ainsi des apôtres, et qu’ils avaient eux-mêmes tout abandonné. C’est pourquoi l’Esprit-Saint vint en eux, parce qu’ils avaient fait preuve de vertu et de générosité. Ils avaient appris par leur propre expérience à connaître la faiblesse de l’homme, mais ils apprirent alors quel est le mérite de la pauvreté volontaire.
Saül reçut l’Esprit-Saint lorsque Samuel lui rendit témoignage qu’il était homme de bien. Mais personne ne l’a jamais reçu de la même manière que les disciples, pas même Moïse, le plus grand de tous les prophètes. Et en effet, il perdit quelque chose de sa plénitude, lorsque son esprit se reposa sur Josué. Ici rien de semblable. Vous allumez à un brasier autant de lampes que, vous voulez, sans diminuer son volume ; et c’est ce qui arriva aux apôtres. Au reste, ce feu montrait moins l’abondance de la grâce qu’il ne signifiait la source même de l’Esprit-Saint où ils puisaient, et on peut y trouver un rapport réel avec cette parole du Sauveur : « Je donnerai à celui qui croira en moi, je lui donnerai une fontaine d’eau jaillissante jusqu’à la vie éternelle ». (
Jn 4,14) Or, il était bien à propos que la plénitude de l’Esprit-Saint se répandît sur les apôtres, car ils ne devaient point disputer avec un Pharaon, mais combattre contre le démon. Leur empressement à accepter cette lutte n’est pas moins admirable ; ils ne s’autorisent point de l’exemple de Moïse pour dire que leur parole était lente et leur langue embarrassée, et ils n’allèguent point avec Jérémie leur inexpérience. Mais, quoiqu’ils aient entendu des prédictions plus effrayantes et plus élevées, ils n’osent se refuser à l’ordre du Seigneur. Nous pouvons donc en conclure qu’ils furent réellement des anges de lumière et les dispensateurs des vérités éternelles.
Jusqu’à ce jour les apôtres n’avaient été favorisés d’aucune vision céleste. Mais dès que l’homme-Dieu fut monté au plus haut des cieux, l’Esprit-Saint en descendit « pareil à un vent violent qui s’approche ». C’était déclarer aux apôtres que rien ne leur résisterait, et qu’ils disperseraient leurs ennemis comme une poussière légère. « Et il remplit toute la maison ». Cette maison figurait l’univers entier. « Et il s’arrêta sur chacun d’eux, et une grande multitude s’assembla et fut tout étonnée ». Voyez la piété des apôtres : ils ne se hâtent pas, de parler et hésitent à rompre le silence. Les méchants, au contraire, s’écrient soudain : « Ces gens sont pleins de vin nouveau ». La loi ordonnait aux Juifs de se présenter au temple trois fois chaque année, et c’est pourquoi des hommes religieux de toutes les nations demeuraient à Jérusalem. Cette circonstance prouve combien l’auteur du livre des Actes cherche peu à flatter les Juifs. Et, en effet, il ne dit point qu’ils se soient exprimés en belles paroles, et il se contente d’écrire : « Ce bruit s’étant répandu, une grande multitude s’assembla et fut tout étonnée ».
Au reste, cet étonnement était tout naturel, car les Juifs croyaient que par la mort de Jésus-Christ tout était fini. Cependant leur conscience se troublait à la vue de ce sang dont leurs mains étaient encore toutes dégoûtantes, aussi s’effrayaient-ils de tout : « Est-ce », disent-ils, « que tous ceux qui parlent ne sont pas Galiléens ? » Eh oui ! les apôtres étaient véritablement de la Galilée, et ils ne s’en cachaient pas. D’ailleurs le bruit de ce vent impétueux avait tellement saisi les esprits, qu’une grande multitude dé toutes les nations du monde s’était rassemblée. Quant aux apôtres, ils puisaient une nouvelle assurance dans ce fait, qu’ignorant l’idiome persan, ils apprenaient des Perses eux-mêmes qu’ils le parlaient. Saint Luc cite ici en particulier des peuples ennemis des Juifs pour annoncer que les apôtres devaient les soumettre au joug de l’Évangile.
3. Mais comme les Juifs étaient, à cette époque, dispersés au milieu des nations, il est vraisemblable que plusieurs gentils se trouvaient alors à Jérusalem, car la connaissance de la loi avait été répandue parmi eux. Ils étaient donc présents en grand nombre, et pouvaient rendre témoignage de ce qu’ils avaient entendu. Ainsi tous s’accordaient pour attester unanimement le prodige, les indigènes, les étrangers et les prosélytes. « Nous les entendons », disent-ils, « parler en notre langue des grandeurs de Dieu ». C’est que la parole des apôtres n’était point une parole vulgaire, mais un langage sublime. C’est pourquoi ils hésitaient d’abord, car jamais semblable prodige ne s’était vu. Observez aussi parmi cette foule la probité des uns ; ils s’étonnent, et expriment leur étonnement par cette exclamation : « Que veut dire ceci ? Mais d’autres disaient en se moquant : Ils sont pleins de vin nouveau ». O impudence ! Et toute s n’en soyons pas surpris, puisqu’ils ont bien dit que le Sauveur qui chassait les démons, était lui-même possédé du démon. (
Jn 8,48) Ici comme toujours, l’intempérance de la langue ne cherche qu’à se répandre, et peu lui, importe qu’elle déraisonne ; pourvu qu’elle parle.
« Ils sont pleins de vin nouveau » ; oui, c’est par l’effet d’une ivresse toute céleste que des hommes exposés à mille dangers, craignant la mort et plongés dans une profonde tristesse, osent tenir un tel langage. Au reste, il n’est pas inutile d’observer que ce reproche était si peu vraisemblable, que son énonciation seule prouvait « eux-mêmes étaient troublés par les fumées du vin. Ils expliquaient donc la conduite et le langage des apôtres, en disant : « Ils sont pleins de vin nouveau. Mais Pierre, se tenant debout avec les onze, éleva la voix et dit » : Vous avez admiré son esprit de sagesse dans l’élection de Matthias, admirez ici son courage. Et en effet, au milieu de cette stupeur et de cet étonnement général, ce n’était pas un prodige `moins surprenant qu’un homme simple et ignorant osât parler devant une aussi grande multitude. Car si quelquefois on se trouble dans un cercle d’amis, Pierre ne devait-il pas être tout interdit en s’adressant à des ennemis qui ne respiraient que le sang et le meurtre ? D’ailleurs, le son seul de sa voix prouva que ni loi, ni ses collègues n’étaient ivres, et fit connaître qu’ils n’étaient point, comme les prêtres des idoles, agités de transports furieux, ou dominés par quelque violence extérieure. Que signifie cette parole : « avec les onze ? » Elle marque que tous avaient également reçu le don des langues, et que tous parlaient par là bouche de Pierre. C’est pourquoi les onze l’entourent, confirmant sa parole par leur témoignage. « Il éleva donc la voix et dit » : c’est-à-dire, qu’il s’exprima avec une rare intrépidité.
Or, Pierre n’agissait ainsi que pour faire comprendre aux Juifs quels miracles venait de produire la grâce de l’Esprit-Saint. Et en effet, ce même homme, qui avait tremblé à la voix d’une servante, parle hardiment au milieu d’un peuple nombreux qui ne respire que le sang et le meurtre. Mais il fallait qu’il fût bien assuré de la résurrection de Jésus-Christ, pour qu’il en parlât avec une pleine assurance à des gens qui ne savaient que rire et se moquer.
Eh ! n’était-ce donc point tout ensemble légèreté, impiété et impudence que d’attribuer à l’ivresse ce don merveilleux des langues ? Mais cette froide raillerie ne troubla point les apôtres et ne les intimida point. Car la présence de l’Esprit-Saint les avait comme transformés et rendus supérieurs à tout sentiment bas et terrestre. Oui, quand l’Esprit-Saint remplit une âme, d’un vase de terre il en fait un vase d’or. Eh ! voyez Pierre ! Est-ce encore cet apôtre timide et insensé, auquel Jésus-Christ disait : « Et vous aussi êtes-vous sans intelligence ? et qu’il appelait Satan, même après son admirable profession de foi ? (Mat 15,46
; 16, 23)
Admirez également l’union qui règne entre tous les apôtres. Ils cèdent la parole à Pierre, parce qu’il ne fallait pas que tous parlassent à la fois. « Pierre éleva donc la Voix » ; et il parla aux Juifs avec une grande hardiesse Voilà donc ce que c’est que d’être un homme spirituel, et pour que tout nous soit facile, il suffit que nous nous rendions dignes de recevoir les dons de l’Esprit-Saint. L’incendié qui rencontre des matières inflammables se nourrit et se développe avec une nouvelle rapidité, et dévore souvent ceux qui tentent d’arrêter ses progrès. C’est ce que l’on vit au jour de la Pentecôte ; ou plutôt supposez un combat entre un homme qui porte un réchaud ardent, et un autre qui est tout chargé de paille et de foin, et vous comprendrez avec quelle supériorité les apôtres engagèrent la lutté. Le nombre de leurs adversaires les fit-il jamais reculer ? N’avaient-ils pas à combattre l’indigence et la faim, la honte et l’infamie, l’insulte et là raillerie, car on les considérait comme de vils imposteurs ? Tous ces maux fondaient sur eux, et ils étaient également en butte aux sarcasmes des uns et aux moqueries des autres. Nous les voyons encore exposés aux fureurs d’un peuple insensé, aux séditions et aux embûches ; aux bûchers, aux glaives et aux bêtes féroces. De toutes parts on leur déclarait une guerre cruelle, et ils semblaient aussi insensibles à toutes ces persécutions que si elles n’eussent été qu’un rêve ou une ombre vaine. Que dis-je ? Après avoir épuisé sur eux-mêmes toute la fureur de leurs ennemis, ils leur firent éprouver les mêmes anxiétés ; car l’écrivain sacré nous les représente en proie à la colère et à la crainte, à l’incertitude et à la frayeur. C’est pourquoi ils s’écrient : « Voulez-vous donc faire tomber sur nous le sang de cet homme ? » (
Act 5,28)
Mais il n’est pas moins admirable de voir les apôtres nus et sans armes engager le combat contre des ennemis armés de toutes pièces, et lutter, faibles et infirmes, contre des princes qui avaient pour eux la puissance et l’autorité. Ignorants et peu orateurs, ils entraient en dispute avec des jongleurs et des magiciens, des sophistes, des rhéteurs et des philosophes qui avaient vieilli dans les chicanes de l’académie et du portique. Et cependant Pierre, qui n’avait fréquenté que les bords du lac de Génésareth, en triompha comme s’ils n’eussent été que des poissons muets. En vérité, il les vainquit avec autant de facilité qu’un pêcheur prend des poissons muets. Le fameux Platon, qui a débité tant de belles choses, se tait lui-même, tandis que Pierre parle aux Juifs, aux Parthes, aux Mèdes, aux Elamites, aux Indiens, et enfin à tous les peuples et aux nations les plus éloignées. Que devient aujourd’hui l’orgueil de la Grèce, le nom d’Athènes, et les rêve ries de ses philosophes ? Pierre de Galilée, Pierre de Bethsaïde, Pierre t’ignorant les a tous surpassés. Mais, je vous en conjure, ne rougissez point de la patrie ni du nom de votre vainqueur ; car, si vous voulez savoir son nom, il s’appelle Pierre, et ce vous sera une nouvelle confusion. Ce qui vous a perdu, c’est que vous avez méprisé la simplicité, et trop exalté l’éloquence. Vous vous êtes trompés de route, et ana lieu dé suivre la voie royale, facile et unie, vous avez pris un sentier rude, escarpé et difficile. Aussi n’avez-vous pu arriver au royaume des cieux.
4. Pourquoi donc, me direz-vous, Jésus-Christ ne s’est-il pas, de préférence, révélé à Platon, ou à Pythagore ? Parce que Pierre montrait plus de dispositions pour cette divine philosophie. Car les premiers n’étaient que des enfants, et ne recherchaient que la vanité de la gloire humaine ; le second, au contraire, était un homme mûr, et vraiment ami de la sagesse. Aussi était-il capable de recevoir les dons de la grâce. Vous riez peut-être de mes paroles, et je ne m’en étonne point, car les Juifs aussi se moquaient des apôtres, et disaient qu’ils étaient pleins de vin nouveau. Mais lorsque ; quelques années après, ils furent en proie aux maux les plus extrêmes, et qu’ils virent la prise de Jérusalem et la démolition de ses murailles, l’incendie du temple et ces calamités qu’on ne peut décrire, ils n’eurent plus envie de rire. Eh bien ! vous aussi, vous ne rirez plus au jour du jugement, et en face des feux de l’enfer.
Mais pourquoi parler de l’avenir ? Désirez-vous connaître quel a été Pierre et quel a été Platon ? Étudions leur conduite, leurs mœurs et leur doctrine. Platon a consacré son existence à formuler des aphorismes vains et inutiles. Car de quelle utilité m’est-il de savoir que l’âme d’un philosophe se transforme en mouche ? En vérité, si l’âme de Platon n’a pas été transformée en mouche, du moins elle n’a pas bourdonné moins pertinemment qu’une mouche. Quelles niaiseries ! Et un esprit sage peut-il débiter de semblables rêveries ! Au reste, Platon était naturellement ironique et jaloux de tous. C’est pourquoi il s’est comme attaché à ne produire rien d’utile, ni par lui-même, ni par les autres. Ainsi il a emprunté à Pythagore le dogme de la métempsycose et a promulgué lui-même la théorie d’une république dont plusieurs lois sont infâmes. Que les femmes, dit-il, soient communes ; que les jeunes filles paraissent nues devant les jeunes gens, et que les parents et les enfants ne se connaissent point. Est-il rien de plus insensé ?
Mais en voilà assez pour Platon. Dans le christianisme, au contraire, ce n’est plus la nature, mais la philosophie de Pierre qui, au nom de la charité, déclare que tous les hommes sont frères, et corrige ainsi la doctrine scandaleuse de Platon. Car celui-ci ne cherchait qu’à introduire dans la famille un adultère et à faire rejeter le véritable père. N’était-ce pas plonger l’âme dans l’ivresse et la fange des passions ? Aussi disait-il avec une cynique hardiesse : Que les femmes soient communes. Si je rapportais les théogonies des poètes, on m’accuserait de débiter des fables, mais ces philosophiques rêveries ne sont-elles pas plus ridicules encore ? Et jamais les poètes ont-ils propagé d’aussi monstrueuses doctrines ? Ce prince des philosophes transforme encore la femme en amazone et l’arme d’un casque et d’une cuirasse. Enfin, il ose dire que l’homme et le chien sont une seule et même espèce, parce que dans l’un comme dans l’autre, il y a union des deux sexes. Peut-on déraisonner plus cyniquement !
Mais ici, je ne puis que reconnaître l’action du démon qui s’efforce de prouver que l’homme est l’égal de la bruite ; et c’est par son inspiration que des philosophes ont accrédité cette absurde et dangereuse doctrine, et qu’ils ont dit que la brute était, comme l’homme, douée de raison. Eh ! voyez quel désordre règne parmi eut sur la question de l’âme. Les plus savants ont dit que notre âme se transformait en mouche, en chien et en bête ; et leurs successeurs, rougissant d’une telle doctrine, sont tombés dans une autre non moins honteuse. Car ils veulent que l’animal entre en partage de la raison humaine, et ils nous montrent comme plus excellentes que l’homme les créatures qui ont été faites pour son service. Que dis-je ? Ils leur accordent même le don de prescience et le sentiment religieux. Le corbeau et la corneille, disent-ils, connaissent Dieu, et comme les prophètes, ils prédisent l’avenir. Les chiens, au témoignage de Platon, forment une véritable république qui a ses lois, qui observe la justice, et qui même connaît la jalousie. Peut-être ne m’en croyez-vous pas ? Je n’en suis pas surpris, car vous êtes nourris des saines doctrines du christianisme ; et, accoutumés à ces viandes délicieuses, vous ne pouvez regarder comme un homme celui qui se repaît de telles ordures.
Mais lorsque nous reprochons aux païens ces fables insipides, ils nous répondent que nous ne les comprenons pas. Ah ! plaise au ciel que jamais nous ne comprenions de pareilles inepties ! Au reste, il ne faut pas être bien savant pour découvrir l’abîme où nous conduisent cette impiété et cette confusion de toutes choses. Comme le corbeau, vous répétez, ô insensés, ce que vous n’entendez pas vous-mêmes, et vous agissez en enfants, car vous êtes de véritables enfants. Mais Pierre tient un tout autre langage, et sa parole est comme une vive lumière qui chasse les ténèbres et dissipe la nuit, profonde qui enveloppait l’univers. Et muant à son mérite personnel, que dirai-je de sa douceur et de sa charité ? Combien il était éloigné de tout sentiment de vanité ; et quoiqu’il ressuscitât les morts, il regardait le ciel avec une humble simplicité. Si jamais un de ces prétendus philosophes eût pu, par des opérations magiques, produire quelque chose qui ressemblât à un tel miracle, n’eût-il pas immédiatement exigé qu’on l’honorât comme un Dieu et qu’on lui dressât des autels et des temples ? Mais les apôtres opèrent chaque jour ces miracles, et ils n’imaginent rien de semblable.
Que sont, en réalité, les divinités du paganisme : Minerve, Apollon et Junon ? Des démons qui se font adorer sous ces divers noms. Et est-il un roi idolâtre qui ne désire mourir pour obtenir les honneurs de l’apothéose ? Combien la conduite des apôtres est opposée ! Car, écoutez ce que disent Pierre et Jean après la guérison du boiteux : « Hommes d’Israël, pourquoi nous regardez-vous, comme si par notre vertu ou notre puissance nous avions fait marcher cet homme ? » Et dans une autre circonstance, ils s’écrient : « Nous sommes mortels et hommes comme vous ». (
Act 3,12 ; 14, 14) Dans les philosophes, au contraire, tout est orgueil, arrogance et recherche de la gloire ; le vrai amour de la philosophie ne dirigea jamais leur conduite. Or, dès qu’on n’agit que par désir de la gloire, tout se ressent de cet esprit vil et grossier ; et quelles que soient d’ailleurs ses qualités extérieures, le philosophe qui ne possède pas celle-ci, n’est point véritablement ami de la sagesse ; il n’est que l’esclave d’une violente et honteuse passion. Mais le mépris de la gloire humaine est bien propre à nous enseigner la vertu et à chasser de notre âme toute affection vicieuse. Je vous exhorte donc à faire tous vos efforts pour guérir en vous cette maladie, car c’est le seul moyen de nous rendre agréables à Dieu et d’attirer sur nous le bienveillant regard de cet œil qui ne se ferme jamais. Ainsi, employons tous nos soins à acquérir les dons célestes, à fuir les maux présents et à mériter les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant, toujours et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
HOMÉLIES SUR LA PENTECÔTE.
PREMIÈRE HOMÉLIE.
Pourquoi il ne se fait plus de miracles, et sur cette pensée qu’il y a un livre où sont inscrites nos actions et nos pensées.
Tome 2 p.259.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.
Dans la cinquième homélie sur Anne, mère de Samuel, saint Chrysostome se plaint du peu de compte qu’on a tenu d’un avertissement donné par lui dans une précédente homélie prononcée le jour de la Pentecôte ; il avait dit que ce n’était pas seulement les jours de grandes fêtes qu’il fallait fréquenter l’église, mais encore pendant toute l’année. Or, le saint docteur s’étend assez longuement sur ce sujet dans la première homélie sur la Pentecôte. – Nous serions tentés de conclure de là que l’homélie qu’on va lire est bien celle que saint Chrysostome prononça le jour de la Pentecôte de l’an 387, année à laquelle appartiennent les homélies sur Anne, mère de Samuel ; par malheur, il y a quelque chose qui s’y oppose. Dans la même cinquième homélie sur Anne, mère de Samuel, nous lisons ce qui suit : En ce même jour de la Pentecôte, nous vous avons expliqué la parabole de ce prodigue, qui, après avoir dévoré son patrimoine, revint à la maison paternelle ; nous vous avons fait la peinture de sa misère, de sa faim, de sa dégradation, de ses opprobres, et de tout ce qu’il endura chez l’étranger. Or, de tout cela pas un mot dans la présente homélie, dont il est impossible par conséquent de déterminer l’année. Énumérant les principales fêtes des chrétiens, saint Chrysostome nomme l’Épiphanie, Pâques, et la Pentecôte. On se demande aussitôt pourquoi la Nativité du Seigneur est omise, pourquoi c’est l’Épiphanie qui figure en premier rang. – On ne peut pas dire que la Nativité et l’Épiphanie n’étaient qu’une seule et même fête ; cela avait été la vérité, mais avait cessé de l’être à l’époque où parlait l’orateur ; la Nativité se célébrait déjà à Antioche le 25 décembre et l’Épiphanie le ô janvier. – Saint Chrysostome lui-même distingue parfaitement ces deux fêtes dans les homélies sur la Nativité et sur l’Épiphanie. – tout cela semble contradictoire, cependant tout s’explique si l’on réfléchit que la célébration de la fête de la Nativité le 25 décembre était une innovation très-récemment empruntée à l’Occident, qu’autrefois l’on fêtait simultanément, le 6 janvier, sous le nom d’Épiphanie et la Nativité, et l’adoration des Mages, et le baptême de Notre-Seigneur, de sorte qu’en nommant l’Épiphanie et en omettant la Nativité l’orateur ne faisait que se conformer à l’ancienne coutume, à l’ancienne manière de parler. 1° C’est une fête continuelle qui devrait régner dans l’église. – C’était assez sous la loi ancienne de se montrer trois fois l’an devant le Seigneur Dieu ; pour les chrétiens, c’est tous les jours que Dieu veut qu’ils soient devant lui ; ceux qui ne paraissent dans l’église que les jours de grandes fêtes sont donc infidèles à leur vocation de chrétiens. – 2° Saint Paul nous apprend à quelle condition cette fête perpétuelle est possible : Célébrons, dit-il, une fête perpétuelle, non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de l’iniquité, mais avec les azymes de la sincérité et de la vérité. (1Co 5,8) – 3° Le don de l’Esprit-Saint est un don de réconciliation. C’est pour cela qu’il n’est descendu qu’après que Jésus-Christ eut été glorifié, c’est-à-dire après qu’il eut effacé par sa passion les crimes qui empêchaient notre réconciliation. – 4° Il prouve la vérité de la réconciliation et celle de la descente du Saint-Esprit par les miracles que les apôtres opérèrent après l’avoir reçu. – Objection : Si les miracles sont la preuve de la présence du Saint-Esprit, il n’est donc plus maintenant dans l’Église, puisqu’on n’y voit plus de miracles. – Réponse : Si le Saint-Esprit n’était plus dans l’Église, il n’y aurait plus ni baptême, ni ministère pastoral, etc. – Si les miracles ne se voient plus, c’est parce qu’ils sont devenus inutiles, la foi des chrétiens étant suffisamment établie et affermie. – 5° et 6° L’orateur avait souhaité d’expliquer pourquoi le Saint-Esprit était descendu le jour de la Pentecôte, pourquoi en forme de langues de feu, et pourquoi dix jours après l’Ascension, mais craignant de trop prolonger son discours, il le finit en exhortant ses auditeurs à vivre de façon qu’ils puissent participer un jour à la gloire que Jésus-Christ est allé leur préparer. 1. Nouvelle fête, nouvelle assemblée, nouvelle joie pour l’Église, fière du grand nombre de ses enfants, nouvelle gloire pour cette mère féconde et pleine d’amour. Mais que fait cet amour à son bonheur, si ce n’est qu’aux jours de fête, si ce n’est pas continuellement qu’elle voit ses enfants chéris comme un beau vêtement dont il ne lui serait pas permis de se parer toujours ? Le vêtement de l’Église, c’est la foule des fidèles, selon la parole du Prophète qui adressait à l’Église cette parole descendue du ciel : Vous les mettrez tous autour de vous comme une parure nuptiale, comme une robe d’épouse. (Isa 49,18) Comme une femme de mœurs honnêtes et de condition libre, dont la robe tombe jusque sur ses talons, paraît plus belle et plus sage, ainsi l’Église se montre plus brillante en ce jour où votre foule l’entoure comme une robe à longs plis. Car aujourd’hui on ne peut rien découvrir en elle qui soit resté à nu, comme dans les jours précédents. Mais à qui faut-il imputer cette nudité des autres jours ? à ceux qui viennent aujourd’hui seulement près de leur mère, qui ne restent pas toujours à ses côtés. Il n’y a pas un médiocre danger à négliger sa mère qu’on laisse ainsi à nu ; rappelons-nous une vieille histoire, rappelons-nous ce fils qui vit son père nu, et qui fut puni pour l’avoir vu ainsi. (Gen 9,21 et seq) Cependant ce n’était pas lui qui avait fait que son père était nu, il n’avait fait que le voir nu ; même dans cette circonstance, il n’échappa pas au châtiment ; il n’avait fait que le voir, mais ceux qui sont aujourd’hui présents, qui, les jours passés, n’étaient pas présents, ceux-là ne voient pas seulement la nudité, ils font la nudité de leur mère. Eh bien ! si le fils qui a seulement vu la nudité n’a pas échappé au châtiment, quel pardon pourraient mériter ceux qui produisent la nudité ? Je ne veux blesser personne, mais fuyons le châtiment, fuyons la malédiction de Cham ; imitons la piété de Sem et de Japhet, et nous aussi enveloppons toujours cette mère qui est notre mère. C’est l’esprit des Juifs de ne se montrer que trois fois dans l’année en la présence de Dieu. C’est à eux qu’il a été dit :Trois fois dans l’année, tu te présenteras au Seigneur ton Dieu (Exo 23,17) ; quant à nous, Dieu veut que nous nous présentions toujours devant lui. Pour les Juifs, c’étaient les distances des lieux qui réduisaient ainsi le nombre de leurs assemblées, car le culte d’alors était renfermé dans un seul lieu ; voilà pourquoi ils ne pouvaient se réunir, paraître que dans des occasions dont le nombre était limité ; on ne pouvait adorer qu’à Jérusalem, ailleurs, défense expresse. Voilà pourquoi l’ordre était de se présenter trois fois l’an devant Dieu, la longueur du voyage servait d’excuse ; pour nous, aucune excuse ne peut valoir. En outre, les Juifs étaient dispersés par toute la terre. Or il y avait dans Jérusalem des juifs pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel (Act 2,5) ; nous, au contraire, nous habitons, tous tant que nous sommes, une seule et même ville, les mêmes murailles nous renferment, souvent même une ruelle ne nous sépare pas de l’église, et on dirait que de longs espaces de mers nous en tiennent écartés à voir combien sont rares nos apparitions dans cette sainte assemblée. Les Juifs encore ne reçurent d’ordre que pour la célébration de trois fêtes, mais vous avez, vous, l’ordre de Dieu de célébrer toujours la fête, car c’est pour nous toujours fête. Et pour vous montrer que notre fête est de tous les jours, je veux vous dire les sujets de fêtes et vous comprendrez que chaque jour est une fête pour nous. Eh bien ! chez nous, la première c’est l’Épiphanie ▼▼Saint Chrysostome se conforme à l’usage antique de l’Orient, selon lequel l’Épiphanie était à la fois et la fête de la naissance de Jésus-Christ, et celle de son adoration par les Mages, et celle de son baptême. En d’autres endroits, notamment dans le panégyrique de saint Philogone, tom. 2, pag. 136, il se conforme à l’usage récemment établi de célébrer à part la Nativité, et il nomme cette dernière fête la première de toutes les fêtes.
. Quel en est le sujet ? C’est que Dieu a paru sur la terre, et il a conversé avec les hommes (Bar 3,38) ; c’est que le Dieu, fils unique de Dieu, était avec nous ; mais cela dure toujours : Car voici, dit-il, que je serai toujours avec vous, jusqu’à la consommation des siècles (Mat 28,20) ; voilà pourquoi on peut tous les jours célébrer l’Épiphanie. Que signifie la fête de Pâques ? quel en est le sujet ? C’est la mort du Seigneur que nous annonçons alors ; voilà la fête de Pâques, mais nous ne la célébrons pas dans un temps exclusivement déterminé. En effet, Paul voulant nous affranchir de la nécessité des temps, et nous montrer que l’on peut toujours célébrer la Pâque : Toutes les fois, dit-il, que vous mangerez ce pain, et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. (1Co 11,26) Donc si nous pouvons toujours annoncer la mort du Seigneur, nous pouvons toujours célébrer la Pâque. Voulez-vous savoir que la fête d’aujourd’hui peut chaque jour être accomplie, je dis plus, que c’est réellement la fête de tous les jours ? Voyons quel est le sujet de la présente fête, et pourquoi la célébrons-nous ? C’est que l’Esprit est venu à nous, car de même que le Fils unique de Dieu est avec les hommes fidèles, ainsi demeure avec eux l’Esprit de Dieu. Qui le prouve ? Celui qui m’aime, dit le Seigneur, gardera mes commandements, et moi je prierai mon Père et il vous donnera un autre Consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous, l’Esprit de vérité. (Jn 14,15, 17) Donc, comme le Christ a dit, en parlant de lui-même : Voici que je serai toujours avec vous, jusqu’à la consommation des siècles, ce qui fait que nous pouvons toujours célébrer l’Épiphanie ; ainsi, en parlant de l’Esprit, il dit : L’Esprit demeure éternellement avec vous, ce qui fait que nous pouvons toujours célébrer la Pentecôte. 2. Et ce qui prouve que nous pouvons toujours être en fête, qu’il n’y a pas de temps déterminé, qu’il n’y a pas de nécessité de temps où il se faille renfermer, écoutez ce que dit saint Paul : C’est pourquoi célébrons la fête. (1Co 5,8) Quand il écrivait ces paroles, ce n’était ni Pâques, ni l’Épiphanie, ni la Pentecôte, mais l’Apôtre indiquait par là que ce n’est pas le temps qui constitue la fête, que c’est la pureté de la conscience ; fête n’est pas autre chose que joie ; la joie de l’intelligence, la joie de l’esprit réside uniquement dans la conscience des bonnes actions ; celui qui a une bonne conscience et une bonne vie, peut toujours être en fête. Vérité que Paul démontre en ces mots : C’est pourquoi célébrons la fête, non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de la corruption, mais avec les pains sans levain de la sincérité et de la vérité. Voyez-vous comme il se garde bien de vous lier par une nécessité de temps, mais comme il vous exhorte à vous faire une conscience pure ? Je consacrerais volontiers tout cet entretien à cette pensée ; car lorsqu’au bout d’un long temps on tient certaines personnes entre ses mains, on ne les lâche pas facilement ; il en est de même de vous après un an d’absence, nous vous avons pris dans nos filets, nous ne voulons pas vous lâcher aujourd’hui ; mais il faut bien vous instruire de la présente fête, et par conséquent notre discours doit vous en parler. Des grâces abondantes souvent sont descendues du ciel sur la terre pour le bonheur de tous les hommes, jamais présents célestes n’ont égalé autrefois ceux que nous recevons en ce jour. Apprenez les premiers dons, ceux d’aujourd’hui, et appréciez-en la différence. Dieu a fait pleuvoir la manne sur la terre, et il leur a donné le pain du ciel. (Psa 78,24) L’homme a mangé le pain des anges ; grande faveur et digne de l’amour de Dieu pour les hommes ! Plus tard, le feu est descendu du ciel, et il guidait la marche errante du peuple juif, et il a consumé le sacrifice sur l’autel. Autre prodige : la famine était générale et desséchait tout ; la pluie tomba et produisit une grande abondance de fruits. (1Ro 18,38) Voilà de grandes merveilles, mais bien plus admirables sont celles de nos jours ; ni la manne, ni le feu, ni la pluie ne sont tombés aujourd’hui, mais la rosée des grâces spirituelles : des nuages sont descendus, non pas pour réveiller la fécondité de la terre, mais pour tirer, de la nature humaine, par la persuasion, les fruits de vertu qui récompensent le cultivateur des âmes. Ceux qui en ont reçu la moindre goutte, ont aussitôt oublié leur nature, et voilà que tout à coup des anges ont rempli toute la terre ; non dans des anges célestes, mais dans des corps humains s’est montrée la vertu des puissances qui n’ont pas de corps. Ce ne sont pas les anges du ciel qui sont descendus, mais ce qui est plus admirable, les habitants de la terre se sont élevés à la vertu des puissances célestes ; ils n’ont pas été, dépouillant leur chair, de pures âmes, mais persistant dans leur nature, ils sont devenus des anges, par leur volonté. Et voici qui vous fera comprendre, que même l’ancien châtiment n’était pas un châtiment, lorsque Dieu dit : Vous êtes poudre, et vous retournerez en poudre (Gen 3,19). Si Dieu vous a permis de rester sur la terre, c’est pour mieux faire éclater la puissance de l’Esprit, produisant de telles œuvres par le moyen d’un corps fait de terre. En effet, on a pu voir une langue d’argile commander aux démons ; une main d’argile guérir les maladies, ou plutôt ce n’était pas même une main d’argile qu’on voyait, c’était une merveille, plus admirable encore, les ombres de ces corps d’argile triomphaient de la mort et des puissances qui n’ont pas de corps, je veux dire des démons. Comme l’apparition du soleil chasse l’obscurité, fait rentrer les bêtes féroces dans leurs repaires, précipite les meurtriers, les brigands, les violateurs de tombeaux dans les montagnes dont les sommets les recèlent ; ainsi, à la vue, à la voix de Pierre, les ténèbres de l’erreur étaient dissipées, le démon se retirait, les puissances de l’enfer prenaient la fuite, les maladies des corps disparaissaient, c’en était fait des maux qui affligent les âmes, de toute perversité, la vertu revenait sur la terre. Et, de même que si, dans les trésors des rois, où se trouvent de l’or et des pierreries, on prend si peu que ce soit de cette précieuse épargne, une seule pierre suffit à faire la fortune de celui qui la tient, de même pour ce qui tombait des bouches des apôtres ; leurs bouches étaient comme des trésors de rois où se trouvait une réserve de guérisons d’un prix inestimable ; chaque parole qui s’échappait de leurs lèvres faisait tout un trésor spirituel. C’était vraiment alors qu’on pouvait voir que les paroles du Seigneur sont plus désirables que l’or et la grande quantité des pierres précieuses (Psa 119,11), car ce que ne pouvait faire ni l’or, ni aucune pierre précieuse, les paroles de Pierre l’opéraient. Combien aurait-il fallu de talents d’or pour faire marcher droit celui qui était boiteux de naissance ? La parole de Pierre suffit pour faire disparaître ce défaut de nature. Il lui dit : Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche (Act 3,6), et la parole devint une réalité. Comprenez-vous combien de telles paroles sont plus désirables que l’or et la grande quantité des pierres précieuses ? Comprenez-vous comment leurs bouches étaient comme des trésors de rois ? En réalité, ils étaient les médecins de la terre, et les agriculteurs et les pilotes ; les médecins, puisqu’ils guérissaient les maladies ; les agriculteurs puisqu’ils semaient les paroles de la piété ; les pilotes, puisqu’ils apaisaient la tempête de l’erreur. De là, ce qui est écrit : Allez, guérissez les malades (Mat 10,8), comme on dit aux médecins. Quelquefois le Seigneur dit : Voici que je vous envoie moissonner, ce qui n’est pas venu par votre travail (Jn 4,38), comme s’il parlait à des agriculteurs ; et ailleurs encore : Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes (Mat 4,19) ; et à Pierre : Ne crains rien, dorénavant tu prendras des hommes (Luc 5,10), comme s’il parlait à des pilotes et à des pêcheurs ; et l’on voyait miracles sur miracles. Notre nature, il y a dix jours, s’est élevée jusqu’au trône du roi, et en ce jour l’Esprit-Saint est descendu sur notre nature ; le Seigneur a porté nos prémices en haut, et il a fait descendre l’Esprit-Saint. C’est un autre Seigneur qui nous distribue ces présents ; car l’Esprit est aussi Seigneur, et le Père, le Fils et le Saint-Esprit se sont partagés le soin de nous gouverner. Il n’y a pas dix jours que le Christ est remonté au ciel, et il nous a envoyé les grâces spirituelles, présents de la grande réconciliation. Car, pour que personne ne puisse douter, ni s’informer de ce qu’a fait le Christ de retour au ciel, s’il nous a réconciliés avec son Père, s’il nous l’a rendu propice, pour preuves manifestes de la réconciliation, il nous en a bien vite envoyé les présents. Car lorsque des ennemis ne font plus qu’un même cœur, lorsqu’ils sont réconciliés, aussitôt après la réconciliation viennent les invitations, les festins, les présents. Nous avons donc envoyé au ciel notre foi, et nous avons reçu d’en haut les présents ; nous avons envoyé notre obéissance, et nous avons reçu la justice. 3. Il vous faut comprendre que le don de notre réconciliation avec Dieu, c’est l’Esprit-Saint. J’essayerai de vous en persuader par les saintes Écritures ; ma première preuve se fera par les contraires ; je vous montrerai que Dieu retire à lui la grâce de l’Esprit, lorsqu’il est en colère contre nous ; si vous acquérez la persuasion que la colère de Dieu se prouve par ce fait qu’on ne voit plus l’Esprit-Saint, l’apparition de l’Esprit, descendant de nouveau, vous fera comprendre que si Dieu n’était pas réconcilié avec nous il n’enverrait pas l’Esprit-Saint. D’où tirerons-nous nos preuves ? Héli était ion vieillard, d’ailleurs juste et sage, mais ne sachant pas corriger ses enfants, et portant un amour exagéré aux fils sortis de lui. Écoutez tous tant que vous êtes qui avez des enfants, apprenez à faire la juste part de l’affection et du devoir. Héli, par cette raison, irrita Dieu à tel point qu’il se détourna de tout le peuple. Eh bien ! celui qui écrit ces choses dit, pour montrer que Dieu s’était tout à fait détourné des Juifs : La parole du Seigneur était précieuse et il n’y avait plus de vision distincte. (1Sa 3,1) Ici, précieuse, veut dire rare ; cette parole signifie que les prophéties étaient rares alors. Un autre maintenant se lamentant et gémissant à cause de la colère de Dieu, disait Et il n’y a dans ce temple ni prince, ni prophète (Dan 3,38) ; de son côté l’Évangéliste dit : Le Saint-Esprit n’avait pas encore été donné, car Jésus n’avait pas encore été glorifié. (Jn 7,39) Comme il n’avait pas encore été crucifié, dit-il, l’Esprit-Saint n’était pas encore un don accordé aux hommes ; cette expression, n’avait pas encore été crucifié, correspond tout à fait à n’avait pas encore été glorifié. Car si, à ne considérer que le fait en lui-même, c’est une honte, comme cette honte n’a été subie que par amour, le Christ l’appelle une gloire. Et pourquoi, répondez-moi, l’Esprit n’a-t-il pas été accordé avant la mise en croix ? C’est que la terre était dans le péché, dans les offenses, un objet de haine et d’ignominie, avant l’oblation de l’Agneau qui enlève le péché du monde. Le Christ n’étant pas encore crucifié, la réconciliation n’était pas encore faite ; or, la réconciliation n’étant pas encore faite, il était convenable que le Saint-Esprit ne fût pas envoyé, de telle sorte que ce qui prouve la réconciliation c’est l’envoi du Saint-Esprit. Voilà pourquoi le Christ dit encore : Il est avantageux pour vous que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas, celui-là ne viendra pas. (Jn 16,7) Si je ne m’en vais, et ne réconcilie le Père, dit-il, je ne vous enverrai point le Paraclet. Vous voyez par combien de textes je vous ai prouvé que c’est un signe de la colère de Dieu que l’absence du Saint-Esprit parmi les hommes : La parole de Dieu était précieuse et il n’y avait point de vision distincte ; il n’y a dans ce peuple, ni prince, ni prophète ; le Saint-Esprit n’avait pas encore été donné, car Jésus n’avait pas encore été glorifié ; il est avantageux pour vous que je m’en aille, car si je ne m’en vais, celui-là ne viendra pas. C’est pourquoi l’absence du Saint-Esprit est un signe de la colère divine ; au contraire, quand vous voyez l’Esprit-Saint descendre en abondance, ne doutez plus de la réconciliation. Mais, dira-t-on, où est le Saint-Esprit maintenant ? Sans doute, on en pouvait parler quand on en voyait des signes, quand des morts étaient ressuscités, quand tous les lépreux étaient purifiés ; mais aujourd’hui qui nous montrera que le Saint-Esprit est présent au milieu de nous ? Soyez sans crainte, car je vais vous démontrer qu’aujourd’hui encore le Saint-Esprit est en nous. Comment et de quelle manière ? Si le Saint-Esprit n’est pas en nous, comment ceux que vous voyez qui, dans cette sainte nuit, ont été illuminés, ont-ils pu être affranchis de leurs péchés ? Vous savez bien qu’il est impossible d’être affranchi des péchés sans l’opération de l’Esprit. Écoutez ce que dit Paul : Car nous étions aussi nous-mêmes autrefois insensés, désobéissants, égarés, asservis aux diverses passions ; mais depuis que la bonté de Dieu, notre Sauveur, et son amour pour les hommes a paru, il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous eussions faites, mais à – cause de sa miséricorde, par le baptême de la renaissance, et par le renouvellement du Saint-Esprit (Tit 3,3-5) ; et encore ailleurs : Ne vous y trompez pas, ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les luxurieux, ni ceux qui pratiquent l’abomination, ni les voleurs, ni les avares, ni ceux qui s’enivrent, ni les médisants, ni les ravisseurs, ne posséderont point le royaume de Dieu. (1Co 6,9-11) Voyez-vous toutes les espèces de perversité ? C’est ce que quelques-uns de vous ont été autrefois, mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés. Comment ? car voilà ce que nous cherchons, si c’est par la grâce du Saint-Esprit que nous avons déposé notre perversité. Donc, écoutez : Mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus, et dans l’Esprit de notre Dieu. Voyez-vous que c’est l’Esprit-Saint qui a fait disparaître toute cette perversité ? 4. Où sont-ils maintenant les blasphémateurs de l’Esprit ? Car s’il ne remet pas les péchés, c’est en vain qu’on le reçoit dans le baptême ; si, au contraire, il les remet, c’est en vain que les hérétiques le blasphèment. Si le Saint-Esprit n’existait pas, nous ne pourrions pas dire que Jésus est Notre-Seigneur : Car nul ne peut dire que Jésus est Notre-Seigneur, sinon par le Saint-Esprit. (1Co 12,3) Si le Saint-Esprit n’existait pas, nous ne pourrions pas prier Dieu, nous fidèles ; en effet, nous disons : Notre Père, qui êtes aux cieux. (Mat 6,9) Or, de même que nous ne pourrions pas appeler Notre-Seigneur, de même nous ne pourrions pas appeler Dieu notre Père. Qui le prouve ? L’Apôtre disant : Parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie Abba, mon Père. (Gal 4,6) C’est pourquoi, quand vous invoquez le Père, rappelez-vous qu’il a fallu que l’Esprit ait touché votre âme pour que vous fussiez jugés dignes d’appeler Dieu de ce nom. Si le Saint-Esprit n’existait pas, les discours de la sagesse et de la science ne seraient pas dans l’Église : Car l’Esprit a donné à l’un de parler avec sagesse ; à l’autre, de parler avec science. (1Co 12,8) Si le Saint-Esprit n’existait pas, il n’y aurait dans l’Église ni pasteurs, ni docteurs, car c’est l’Esprit qui les fait, selon ce que dit Paul : Sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques et pasteurs. (Act 20,28) Voyez-vous que cela encore se fait par l’opération de l’Esprit ? Si l’Esprit-Saint n’existait pas en celui qui est notre commun Père et Docteur, quand tout à l’heure il est monté à cette tribune sainte, quand il vous a donné, à tous, la paix, vous ne lui auriez pas répondu, tous d’une commune voix : Et avec votre esprit; c’est pourquoi non seulement quand il monte à l’autel, ou qu’il s’entretient avec vous, ou qu’il prie pour vous, vous faites entendre cette parole ; mais encore quand il se tient auprès de cette table sainte, quand il est sur le point d’offrir ce sacrifice redoutable, c’est ce que savent bien les initiés ; il ne touche pas les offrandes, avant d’avoir imploré pour vous la grâce du Seigneur, avant que vous lui ayez répondu : Et avec votre esprit, cette réponse même vous rappelant que celui qui est là ne fait rien par lui-même, que les dons qu’on attend ne sont nullement des ouvrages de l’homme ; que c’est la grâce présente de l’Esprit, descendue sur tout, qui accomplit seule ce sacrifice mystique. Sans doute il y a là un homme qui est présent, mais c’est Dieu qui agit au moyen de lui. Donc ne vous attachez pas à ce qui frappe vos yeux, mais concevez la grâce invisible. Il n’y a rien qui vienne de l’homme dans toutes les choses qui s’accomplissent au sanctuaire. Si l’Esprit n’était pas présent, l’Église ne formerait pas un tout bien consistant ; la consistance de l’Église manifeste la présence de l’Esprit. Mais pourquoi donc, me dira-t-on, n’y a-t-il plus aujourd’hui de signes miraculeux ? Ici, accordez-moi toute votre attention ; car un grand nombre de personnes me font cette question et la répètent sans cesse ; pourquoi le don des langues était-il accordé autrefois aux baptisés, pourquoi ne l’ont-ils plus aujourd’hui ? Comprenons bien d’abord ce que c’était que le don des langues, et nous expliquerons ensuite ce qui arrive. Qu’est-ce donc que le don des langues ? Le nouveau baptisé parlait aussitôt la langue des Indiens, des Égyptiens, des Perses, des Scythes, des Thraces, et un seul homme devenait capable de se faire entendre en beaucoup de langues, et si nos baptisés d’aujourd’hui l’avaient été en ces temps-là, vous les auriez tout de suite entendus parler des langues différentes. Car Paul trouva, dit-il, quelques disciples qui avaient reçu le baptême de Jean, et il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous avez embrassé la foi ? Ils lui répondirent : Nous n’avons pas seulement entendu dire qu’il y ait un Saint-Esprit. (Act 19,2-6) Et aussitôt, il les fit baptiser : Et après que Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux, et ils parlaient diverses langues. Pourquoi donc cette grâce a-t-elle disparu, n’est-elle plus accordée aux hommes d’aujourd’hui ? Ce n’est pas que Dieu nous fasse outrage, au contraire c’est qu’il a grande estime de nous. Comment cela ? je vais le dire. Les hommes d’alors étaient d’un esprit grossier, à peine affranchis du culte des idoles ; leur intelligence était épaisse et engourdie ; ils n’étaient frappés de saisissement, d’admiration que pour les choses corporelles ; impossible à eux de comprendre des biens qui n’ont pas de corps ; ils ne pouvaient concevoir la grâce spirituelle, visible seulement aux yeux de la foi ; voilà pourquoi il y avait des signes. C’est qu’en effet, parmi les grâces spirituelles, les unes sont invisibles, la foi seule peut les comprendre ; les autres sont accompagnées d’un signe sensible, pour convaincre les infidèles. Exemple : la rémission des péchés, affaire spirituelle, grâce invisible : car comment nos péchés sont-ils dissipés de manière à purger notre âme, c’est ce que nous ne voyons pas des yeux de la chair. Pourquoi ? c’est que c’est l’âme qui est purifiée ; or l’âme n’est pas visible aux yeux du corps. Donc la purification des péchés est un présent spirituel, qui ne peut être sensible aux yeux du corps ; mais le don des langues est aussi un effet de l’opération spirituelle de l’Esprit ; et, en même temps, cette opération est accompagnée d’un signe sensible, que les infidèles mêmes peuvent apercevoir. Quand l’opération a lieu dans l’âme, je dis l’opération invisible, la langue que l’on entend au-dehors, en est la manifestation et la preuve. De là ce que dit Paul : A chacun la manifestation de l’Esprit a été donnée pour l’utilité. (1Co 12,7) Donc aujourd’hui, moi du moins, je n’ai pas besoin de signes. Pourquoi ? C’est que j’ai appris à avoir foi dans le Seigneur, indépendamment de tout signe. L’infidèle a besoin de garantie ; mais moi qui suis un fidèle, je n’ai besoin ni de garantie ni de signe ; bien que je ne parle pas une langue miraculeusement, je sais que j’ai été purifié de mes péchés. Les hommes d’alors n’auraient pas cru, s’ils n’avaient pas reçu un signe ; voilà pourquoi des signes leur furent donnés comme garantie de la foi qu’on leur demandait. Pour prouver que ce n’était pas aux fidèles, mais aux infidèles que des signes étaient donnés, afin de les rendre fidèles, Paul dit : Les signes ne sont pas pour ceux qui croient, mais pour ceux qui ne croient pas. (1Co 14,22) Comprenez-vous que Dieu ne nous fait pas outrage, que c’est, au contraire, par estime pour nous, qu’il a supprimé la manifestation des signes ? Il a voulu montrer que notre foi est indépendante des garanties et des signes, voilà pourquoi Dieu a fait ce qu’il a fait : les hommes d’autrefois demandaient avant tout un signe, une garantie pour croire Dieu sur les choses invisibles ; mais moi, indépendamment de tout cela, je montre une foi entière : voilà donc pourquoi il n’y a plus de signes aujourd’hui. 5. J’aurais voulu vous parler du sujet de cette fête, vous expliquer ce qu’est la Pentecôte, et pourquoi le Saint-Esprit a été donné en ce jour, et pourquoi il est descendu en langues de feu, et pourquoi au bout de dix jours ; mais je vois que cet enseignement serait trop long ; je n’ajouterai donc que quelques mots et je terminerai ce discours. Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis, les disciples virent paraître comme des langues de feu qui se partagèrent (Act 2,13) ; non pas des langues de feu, mais, comme de feu, ceci afin que vous ne soupçonniez rien de sensible au sujet de l’Esprit. Car, de même que, sur le Jourdain, ce ne fut pas une colombe qui descendit, mais l’Esprit sous une forme de colombe, de même ici encore ce ne fut pas un feu, mais une forme de feu ; et de même, dans le verset qui précède, il dit : On entendit comme un souffle violent, non pas un souffle violent, mais comme un souffle violent. Pourquoi donc Ézéchiel n’a-t-il pas reçu le don de prophétie sous forme de feu, mais par le moyen d’un livre, tandis que les apôtres reçoivent par le feu les grâces de l’Esprit ? En ce qui touche Ézéchiel, l’Écriture dit qu’on lui porta à la bouche un livre où étaient écrites des plaintes, avec des cantiques et des malédictions, et ce livre était écrit dedans et dehors, et il le mangea, et il devint doux à sa bouche comme le miel. (Eze 2,9 ; III, 3) Quant aux apôtres, il n’en est pas ainsi : mais, ils virent paraître comme des langues de feu. Pourquoi donc, d’un côté, un livre et des caractères écrits ; de l’autre, une langue et du feu ? C’est que le prophète allait accuser les péchés, faire entendre des gémissements sur les malheurs des Juifs ; les apôtres, au contraire, allaient dissiper les péchés de la terre : voilà pourquoi le prophète reçut un livre destiné à lui rappeler les malheurs à venir ; les apôtres reçurent le feu qui devait brûler les péchés de la terre, et les détruire entièrement. Car, de même que le feu, tombant sur des épines, les détruit toutes facilement, de même la grâce de l’Esprit dissipait les péchés des hommes. Mais les Juifs, insensés, à la vue de ces prodiges qui auraient dû les frapper d’admiration et de crainte et les porter à adorer l’auteur de telles grâces, montrent encore l’aveuglement qui leur est propre, ils accusent d’ivresse les apôtres remplis de l’Esprit-Saint. Ces gens-là, disent-ils, sont ivres et pleins de vin doux. (Act 2,13) Remarquez l’aveuglement des hommes, et observez la sagesse des anges : les anges, en voyant nos prémices monter dans le ciel, se réjouissaient et disaient : Levez vos portes, ô princes ; et vous, portes éternelles, levez-vous, et il entrera le roi de gloire (Psa 24,7) ; mais les hommes, en voyant descendre jusqu’à nous la grâce de l’Esprit, disent que ceux qui ont reçu la grâce, sont des gens ivres, sans que la considération de la saison où l’on était, empêche un tel jugement ; car ce n’est pas au printemps que l’on trouve du vin doux, et l’on était alors au printemps. Mais laissons de côté ces anciens hommes ; appliquons-nous à considérer la rétribution que nous accorde la bonté de Dieu. Le Christ a reçu les prémices de notre nature, et il nous a donné en retour la grâce de l’Esprit ; et de même qu’il arrive, après une longue guerre, quand les combats ont cessé, quand on fait la paix, que ceux qui se haïssaient mutuellement, se donnent réciproquement des garanties et des otages, ainsi est-il arrivé entre Dieu et la nature humaine ; elle lui a envoyé, à titre de garanties et d’otages, les prémices que le Christ a emportées au ciel ; Dieu, en retour, nous a envoyé à titre de garanties et d’otages l’Esprit-Saint. Or maintenant que ce soient là des garanties et des otages, en voici la preuve : il faut que ceux qui servent de garanties et d’otages soient de race royale : voilà pourquoi il a envoyé du ciel vers nous le Saint-Esprit comme étant, au plus haut degré, d’une essence royale ; celui qui était auprès de nous et qui s’est élevé au ciel, était bien aussi de race royale, car il était du sang de David. Voilà pourquoi je suis désormais sans crainte, nos prémices siègent là-haut ; voilà pourquoi, quand on m’objecterait le ver qui ne meurt pas, le feu qui ne s’éteint pas, les autres châtiments et supplices, je suis désormais sans épouvante ; ou plutôt, je suis toujours plein d’épouvante, mais je ne désespère pas de mon salut. Car si Dieu n’avait pas résolu de nous accorder de grands biens, il n’aurait pas reçu nos prémices dans le ciel. Auparavant quand nos regards s’y portaient, quand nos pensées concevaient les puissances qui n’ont pas de corps, notre bassesse nous paraissait plus évidente ; c’était là l’effet de la comparaison (lue nous faisions de nous avec les puissances d’en haut ; mais maintenant, quand nous voudrons nous convaincre de notre noblesse, nous élèverons nos regards jusqu’au ciel ; plus haut, jusqu’au trône royal, car c’est là que siègent nos prémices. C’est de là que viendra le Fils de Dieu, descendant du ciel, pour nous juger. Apprêtons-nous donc, afin de ne pas déchoir de cette gloire. Car il n’en faut pas douter, il viendra, et il ne se fera pas attendre celui qui est notre commun Maître ; il viendra, escorté de ses bataillons, de ses légions d’anges, de ses troupes d’archanges, de ses compagnies de martyrs, de ses chœurs de justes, de ses tribus de prophètes et d’apôtres, et au milieu de ces armées spirituelles il apparaîtra, lui, le roi, resplendissant d’une gloire ineffable, qu’aucune parole ne saurait exprimer. 6. Donc faisons tout ce qu’il faut faire pour ne pas déchoir d’une telle gloire. Voulez-vous que je vous dise aussi des pensées qui inspirent l’épouvante ? Je ne veux pas vous attrister, mais il faut que je vous établisse dans le droit chemin. Alors un fleuve de feu jaillit devant ce tribunal de Dieu (Dan 7,10) ; alors des livres s’ouvrent ; le jugement a lieu, terrible, plein d’épouvante. C’est un jugement où l’on rappelle, où on lit toutes les actions de notre vie, et les prophètes parlent souvent des livres où se fera cette lecture. Ainsi Moïse dit : Si vous leur remettez leur péché, remettez : si non, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit (Exo 32,31, 32) ; et le Christ disait aussi à ses disciples : Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits impurs vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel (Luc 10,20) ; et David, de son côté : Dans votre livre, tous seront, écrits, les jours y seront formés, et personne dans ces livres… (Psa 139,16) Autre passage encore : Qu’ils soient effacés du livre des vivants, et ne soient pas inscrits avec les justes. (Psa 69,28) Voyez-vous comme les uns sont effacés, les autres, inscrits ? Voulez-vous avoir la preuve que les justes ne sont pas seuls inscrits dans ces livres du jugement, mais que nos péchés aussi sont inscrits là ? C’est aujourd’hui jour de fête, apprenons les œuvres par lesquelles nous pouvons nous préserver du châtiment. Discours terrible, mais utile et profitable, s’il nous préserve de l’expérience et de la réalité des supplices ; apprenons donc que les péchés sont inscrits, que tout ce que nous aurons dit ici-bas, se trouve aussitôt porté là-haut et s’inscrit. Comment en ferons-nous la preuve ? car il ne suffit pas en si grave matière d’une pure affirmation. Michée dit aux Juifs : Malheur à vous qui provoquez le Seigneur. Et comment, disent-ils, l’avons-nous provoqué ? En disant Tout homme qui fait le mal, est bon en présence du Seigneur (Michée, par erreur : Mal 2,17) ; paroles de méchants serviteurs ; ils disaient, et ces personnes sont agréables au Seigneur ; ils entendaient par ces personnes des hommes perdus qui ne s’assujettissent pas à la loi de Dieu. Voici que nous avons gardé ses commandements, et nous célébrons le bonheur des autres ▼▼Le saint orateur, après avoir nommé Michée an lieu de Malachie, fait encore ici une espèce de confusion, en ce sens qu’il exprime plutôt la pensée qu’il ne reproduit le texte de Malachie, 3,14-15.
. (Mal 3,14, 1.5) Ce qui veut dire, tous les jours nous servons, et le bonheur est pour les autres. On entend souvent les serviteurs parler ainsi de leurs maîtres ; mais qu’un homme en parlant d’un homme tienne ce langage, il n’y a pas là un si grand mal, quoique pourtant il y ait du mal ; mais parler ainsi au sujet du souverain Maître du monde, du Dieu de miséricorde et de bonté, voilà ce qui mérite toute espèce de châtiment, et les derniers supplices. Eh bien ! sachez que de telles paroles sont inscrites, écoutez ce que dit le prophète : Voici que toutes ces paroles ont été écrites dans le livre des vivants pour servir à Dieu de monument en sa présence ▼▼Il est, très important de reproduire ici la traduction du passage de Malachie, auquel le saint orateur fait une allusion qui en change la pensée. Mais ceux qui craignent le Seigneur ont tenu dans leurs entretiens un autre langage : aussi le Seigneur s’est rendu attentif à leurs paroles : il les a écoutés, et il a fait écrire un livre qui doit lui servir de monument en faveur de ceux qui craignent le Seigneur, et qui s’occupent de la grandeur de son nom. (Malachie, in, 16, traduct de Lemaîstre de Sacy) Les paroles que saint Jean Chrysostome ajoute, après sa citation, semblent montrer qu’il se doute que sa mémoire lui fait défaut.
. (Ibid 16) Ces paroles sont écrites, non que Dieu tienne à se rappeler le jour, ni à fournir une preuve à l’appui de l’accusation, le tout consigné dans le livre. Peut-être ai-je épouvanté vos esprits ; non les vôtres seulement, mais le mien tout d’abord : Eh bien ! je veux mettre un terme à ce discours, ou plutôt à nos terreurs ; je ne veux pas les dissiper, mais les calmer ; qu’elles demeurent en nous pour purifier nos pensées ; mais retranchons ce qu’elles ont d’excessif. Comment faire ce retranchement ? en montrant que les péchés ne sont pas seulement écrits, mais qu’ils peuvent aussi être effacés. Dans un procès ordinaire, tout ce que petit dire celui qui est en cause, est écrit tout au long, et rien ne peut plus l’effacer, mais dans ce livre du ciel quelles que soient les mauvaises paroles que vous ayez dites, il dépend de vous de les effacer. Comment le savons-nous ? par l’Écriture. Détournez votre face, dit le saint pénitent, de dessus mes péchés, et effacez toutes mes iniquités. (Psa 51,9) Mais personne ne peut effacer ce qui n’est pas écrit ; c’est donc parce que les péchés étaient écrits qu’il demande à les voir effacés. Or en voici un autre qui nous enseigne comment on les efface. C’est par la miséricorde et par la foi que les péchés se purifient ; non-seulement, s’effacent, mais se purifient (Pro 15,27), de telle sorte qu’il ne reste pas la moindre trace de souillure. Et ce n’est pas seulement ce qui a été écrit après le baptême, qui est effacé, mais aussi ce qui était écrit avant cette purification ; l’eau du baptême et la croix de Jésus-Christ effacent tout, selon ce que dit Paul : Il a effacé la cédule qui était contre nous, il l’a abolie en l’attachant à sa croix. (Col 2,14) Voyez-vous comme cette cédule a été effacée, et non seulement effacée, mais déchirée par les clous de la croix, de manière à devenir inutile. Oui, l’ancienne faute, par la grâce, par la bonté, par les mérites de Jésus mis en croix, a été entièrement effacée ; quant à ce qui a suivi le baptême, il faut beaucoup de zèle pour que cela soit effacé encore ; il n’y a pas de seconde ablution ; par conséquent nos larmes sont nécessaires, et le repentir, et la confession, et l’aumône, et les prières et tous les autres exercices de la piété ; ainsi, même après le baptême, les péchés sont purifiés à la condition, il est vrai, de beaucoup de peines et de fatigues. Montrons donc le plus grand zèle pour les effacer d’ici même, afin de ne pas avoir à subir la honte et le châtiment là-bas. Quand nos péchés seraient innombrables, il dépend de nous de nous décharger du fardeau de tous ces péchés. Sachons donc le vouloir, car il vaut bien mieux souffrir un peu ici-bas, et n’avoir pas à craindre l’implacable châtiment, que de vivre un temps bien court dans l’indolence pour tomber dans les supplices qui ne finiront jamais. Il ne nous reste plus qu’à résumer ce que nous avons dit. Nous avons reproché à ceux qui ne viennent ici qu’une fois l’an, de négliger leur mère qu’ils laissent sans vêtement ; nous leur avons rappelé une vieille histoire, une malédiction, une bénédiction ; nous avons parlé des fêtes des Juifs, et nous avons expliqué pourquoi l’ordre leur fut donné de paraître trois fois l’an devant Dieu ; nous avons dit que l’on pouvait célébrer en tout temps la Pentecôte, la Pâque et l’Épiphanie ; nous avons dit qu’une fête consistait dans la pureté de la conscience, et non dans un quantième, dans une saison quelconque ; ensuite nous avons fait une digression au sujet des présents que nous avons reçus d’en haut ; nous avons dit que ces présents sont un signe de réconciliation ; nous avons prouvé la présence de l’Esprit-Saint par la rémission des péchés, par la réponse que nous faisons à notre pasteur, par les paroles de la sagesse et de la science, par les ordinations, par le sacrifice mystique ; nous avons dit que nous avons des garanties, des otages échangés réciproquement ; nous avons ajouté à nos réflexions pourquoi les signes miraculeux ont disparu aujourd’hui du milieu de nous ; ensuite nous avons rappelé le redoutable jugement, les livres qu’on y ouvre, et nous avons dit que tous nos péchés y sont inscrits ; nous avons démontré qu’on peut les effacer, que cela dépend de nous. Retenez toutes ces pensées dans votre mémoire ; si vous ne pouvez tout vous rappeler, souvenez-vous principalement de ce qui vous a été dit sur les livres ; toutes les fois que vous ferez entendre une réponse, figurez-vous qu’il y a, auprès de vous, quelqu’un, qui est là à vos côtés ; et qui écrit vos paroles ; soyez donc circonspects dans vos entretiens, et conservez toujours frais dans votre mémoire le discours – que vous venez d’entendre, afin que, parmi vous, les uns augmentent par leurs bonnes couvres le nombre des justes inscrits dans le livre ; les autres, ayant beaucoup de péchés inscrits, les effacent d’ici-même, et qu’ainsi nous n’ayons pas à redouter une terrible publication. Car il est possible, nous vous l’avons montré, par le zèle, par la prière, par la persévérance dans la piété, d’effacer les péchés écrits là-haut, de les effacer tous. Que ce soit donc là notre étude tous les jours de notre vie, afin qu’étant partis d’ici-bas, nous puissions obtenir quelque indulgence, et tous échapper aux inexorables châtiments ; et puissions-nous tous, affranchis de ces tourments, être jugés dignes du royaume des cieux, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduit par M. C. PORTELETTE. HOMÉLIES SUR LA PENTECÔTE.
DEUXIÈME HOMÉLIE ▼▼Traduction de l’abbé Auger, revue.
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ANALYSE.
1° Dans cette homélie, dont on ne peut pas fixer l’année, saint Jean Chrysostome exhorte les fidèles à se réjouir, parce que la fête qu’ils célèbrent est la principale ou, comme il dit, la Métropole de toutes les fêtes ; qu’elle en est le complément, parce qu’en ce jour nous recevons les fruits des promesses du Fils de Dieu. – 2° Il prouve que toutes les grâces nous viennent par l’Esprit-Saint ; il établit sa divinité contre les hérétiques macédoniens qui l’attaquaient ; il examine pourquoi Jésus-Christ n’a pas envoyé le Saint-Esprit à ses disciples aussitôt après son ascension, pourquoi le Saint-Esprit est descendu sur eux en forme de langues. – 3° Il engage ses auditeurs à décorer leurs âmes de toutes les vertus pour recueillir les fruits que l’Esprit-Saint leur apporte, dont le principal est la charité, qui exclut l’envie ; il attaque avec force ce vice, et finit par adresser la parole à ceux qui étaient nouvellement baptisés, pour qu’ils travaillent à conserver la grâce qu’ils viennent de recevoir. 1. Qu’elles sont excellentes, mes très-chers frères, et au-dessus de toute expression, les grâces dont nous comble aujourd’hui un Dieu plein de bonté ! Ainsi réjouissons-nous tous, et, dans les transports de notre joie, rendons hommage à notre divin Maître, puisque ce jour nous ramène une fête solennelle qui rassemble tout le peuple. Comme, dans la nature les saisons se succèdent les unes aux autres, de même, dans l’Église, les fêtes qui se remplacent nous occupent successivement des différents mystères. Après avoir célébré la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa passion, sa résurrection, son ascension glorieuse, nous sommes enfin arrivés aujourd’hui au comble de tous les biens, à la principale de toutes les fêtes, au fruit des promesses du Fils de Dieu : Si je m’en vais, dit-il, je vous enverrai le Consolateur, et je ne vous laisserai pas orphelins. (Jn 16,7) Voyez-vous l’attention de ce divin Maître et sa bonté infinie ! Avant ces jours, il s’est élevé au ciel, il est remonté sur son trône royal, et a repris sa place à la droite de son Père ; aujourd’hui il fait descendre pour nous l’Esprit-Saint, et nous envoie avec lui du ciel des biens sans nombre. Car, je vous le demande, parmi toutes les grâces qui opèrent notre salut, en est-il une seule qui ne nous soit dispensée par ce divin Esprit ? par lui nous sommes affranchis de la servitude, appelés à la liberté, honorés d’une adoption divine ; nous sommes formés de nouveau, pour ainsi dire ; nous déposons le fardeau pesant et odieux de nos péchés. C’est par l’Esprit-Saint que nous voyons des assemblées de prêtres, que nous avons des ordres de docteurs. De cette source découlent les révélations, les remèdes salutaires de nos âmes ; enfin de là viennent tous les avantages qui décorent l’Église du Seigneur. Aussi saint Paul s’écrie-t-il : C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons suivant qu’il lui plaît. (1Co 12,2) Il dit suivant qu’il lui plaît, et non suivant qu’on le lui ordonne. Il dit encore distribuant et non distribué, c’est-à-dire agissant de son autorité propre et non par une autorité étrangère à laquelle il obéisse. En un mot, saint Paul attribue à l’Esprit-Saint la même puissance qui, d’après son témoignage, convient au Père ; et comme il dit de celui-ci : C’est Dieu qui opère toutes choses dans tous les hommes (1Co 12,6) ; il dit de l’Esprit-Saint : C’est un seul même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant ses dons à chacun suivant qu’il lui plaît. Ne voyez-vous pas dans l’Esprit-Saint une puissance parfaite, égale à celle du Père ? Des êtres qui ont une même nature, ont sans doute une même autorité ; des êtres qui ont une dignité pareille, doivent avoir la même puissance. C’est par l’Esprit-Saint que nous avons trouvé la délivrance de nos péchés ; c’est par lui que nous avons été lavés de toutes nos taches ; c’est par l’efficacité de sa présence et en participant à la grâce, que nous sommes devenus anges, d’hommes que nous étions. Ce n’est pas que notre nature ait été changée ; mais ce qui est beaucoup plus admirable, quoique conservant la nature humaine nous montrons en nous une vie angélique. Tel est le pouvoir de l’Esprit-Saint ; et comme le feu ordinaire fait un vase solide d’une molle argile, de même le feu de l’Esprit divin, lorsqu’il trouve une âme bien préparée, quoique plus molle que l’argile, il la rend plus ferme que l’airain ; et celui qui, peu auparavant, était souillé de la lie du péché, il le rend tout à coup plus brillant que le soleil. C’est ce que nous apprend le bienheureux Paul, lorsqu’il s’écrie : Ne vous y trompez pas ; ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les impudiques, ni les abominables, ni les ambitieux, ni les avares, ni les voleurs, ni les hommes adonnés au vin, ni les ravisseurs du bien d’autrui, ne seront héritiers du royaume de Dieu. (1Co 6,9 et 10) Après avoir parcouru presque toutes les espèces de vices et montré que tous ceux qui sont sujets à ces désordres, ne sont pas faits pour le royaume céleste, il ajoute aussitôt : C’est là ce que furent autrefois quelques-uns de vous ; mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés…… comment et de quelle manière ? dites-nous-le, grand apôtre ; c’est là ce que nous cherchons : Au nom, dit-il, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et par l’Esprit de notre Dieu. Voyez-vous, mes très chers frères, la puissance de l’Esprit-Saint ? voyez-vous comme le divin Esprit a fait disparaître tous les vices, et a élevé tout à coup à des honneurs suprêmes ceux que le péché avait dégradés ? 2. Qui pourrait donc assez déplorer les blasphèmes de ces hommes qui entreprennent d’attaquer la divinité de l’Esprit-Saint, et qui, comme des furieux, ne pouvant être détournés d’une erreur coupable par la grandeur de ses bienfaits, osent agir contre leur propre salut, dépouillent un Dieu, autant qu’il est en leur pouvoir, de la majesté divine, et le font descendre à la condition de simple créature ? Je leur dirais volontiers : Pourquoi, je vous prie, déclarez-vous une telle guerre à la divinité de l’Esprit-Saint, ou plutôt à votre propre salut ? pourquoi ne daignez-vous point vous rappeler ces paroles du Sauveur à ses disciples : Allez, enseignez toutes les nations, en les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ? (Mat 26,19) Ne voyez-vous pas une dignité pareille ? ne voyez-vous pas une ressemblance parfaite ? ne voyez-vous pas une Trinité indivisible ? une des trois personnes offre-t-elle quelque différence, quelque changement, ou quelque diminution ? osez-vous ajouter vos commandements aux commandements du divin Maître ? ne savez-vous pas que parmi les hommes celui qui porterait l’audace jusqu’à entreprendre d’ajouter ou de retrancher quelques mots aux dépêches du prince, qui cependant a la même origine et la même nature que nous, subirait le dernier supplice, sans que rien pût le sauver de la punition ? Si donc on a tant à craindre de la part d’un homme, quel pardon peuvent espérer des hommes qui entreprennent d’altérer les paroles du Sauveur commun, et qui refusent d’écouter le digne organe du Fils de Dieu dont il annonce les oracles, saint Paul, qui leur crie d’une voix éclatante : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, l’esprit de l’homme n’a pas conçu ce que Dieu prépare pour ceux qui l’aiment ? (1Co 2,9) Mais si l’œil n’a pas vu, si l’oreille n’a pas entendu, si l’esprit de l’homme ne peut concevoir ce que Dieu prépare pour ceux qui l’aiment, d’où pouvons-nous, bienheureux Paul, en avoir la connaissance ? Attendez un moment, et vous allez entendre cet apôtre qui s’explique en termes clairs : Mais Dieu, dit-il, nous l’a révélé par son Esprit. Et il ne s’arrête point là ; mais afin de montrer la grande puissance de cet Esprit divin, et qu’il est de même nature que le Père et le Fils, il continue : Parce que l’Esprit pénètre tout, et même les profondeurs de Dieu. Ensuite, voulant nous instruire plus exactement encore par des exemples humains, il ajoute : Car qui des hommes connaît ce qui est en l’homme, sinon l’esprit de l’homme, qui est en lui ? Ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. Voyez-vous une doctrine parfaite ? Comme il n’est pas possible, dit-il, qu’un autre connaisse ce qui est dans la pensée d’un homme, si ce n’est lui-même ; ainsi personne ne connaît les choses de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu ; ce qui est la plus forte preuve, la preuve la plus propre à établir la divinité de l’Esprit-Saint. Dans l’exemple qu’apporte saint Paul, il semble dire : Il n’est pas possible qu’un homme ignore jamais ce qui est dans sa pensée. Eh bien ! dit-il, l’Esprit-Saint connaît aussi parfaitement les choses de Dieu. N’est-il donc pas clair que dans ce passage le bienheureux apôtre confond ceux qui, prévenus eux-mêmes contre leur propre salut, déclarent la guerre à la divinité de l’Esprit-Saint, et, le dépouillant, autant qu’il est en eux, de la dignité de Seigneur et de Maître, le rabaissent à la simple condition des êtres créés et mortels ? Mais si, par un vain esprit de dispute, ces hommes combattent ouvertement les paroles de la divine Écriture, nous, du moins, qui regardons les dogmes sacrés qu’elle renferme comme des oracles venus d’en haut, renvoyons à Dieu la gloire qui lui est due, et montrons en nous, avec la droiture de la foi, l’exactitude de la vérité. Je n’en dirai pas davantage contre ceux qui ont la hardiesse d’attaquer, dans leurs enseignements, les oracles de l’Esprit divin. Il est nécessaire de vous expliquer pourquoi le Seigneur n’a pas accordé à ses disciples, aussitôt après son ascension, tous les biens qu’il leur avait promis ; pourquoi il ne leur a envoyé la grâce de l’Esprit-Saint qu’après la leur avoir fait attendre quelques jours, et les avoir abandonnés à eux-mêmes. Ce n’est pas au hasard et sans cause qu’il a tenu cette conduite. Il savait, sans doute, que les hommes n’estiment, comme ils le doivent, les biens, qu’en les comparant aux maux ; qu’ils n’apprécient, comme elle le mérite, la position la plus douce et la plus heureuse que quand ils ont éprouvé une situation contraire. Par exemple, car c’est une vérité qu’il faut démontrer clairement, un homme qui jouit de la santé la plus florissante, ne peut en bien connaître tout le prix, à moins qu’une maladie survenue ne lui ait fait éprouver un état contraire. Pour apprécier à sa valeur le bienfait de la lumière du jour, il faut sortir de l’obscurité de la nuit. L’expérience du contraire est donc toujours le meilleur maître pour nous apprendre et nous faire sentir toute l’importance des avantages dont nous jouissons. Voilà pourquoi lorsque les disciples eurent joui d’une infinité de biens, par la présence de leur divin Maître, et trouvé en sa compagnie le bonheur et la gloire (car tous les habitants de la Palestine regardaient comme des astres bienfaisants, des hommes qui ressuscitaient les morts, chassaient les démons, guérissaient la lèpre et toutes les maladies, qui enfin opéraient une infinité de prodiges, ils étaient donc connus et même célèbres). Voilà, dis-je, pourquoi Dieu a permis qu’ils fussent séparés quelque temps de la puissance de Celui qui les soutenait, afin qu’étant laissés à eux seuls, ils sentissent mieux tout l’avantage de la présence d’un Maître plein de bonté, et que le sentiment des biens passés leur fît recevoir, avec plus de reconnaissance, le don dé l’Esprit consolateur. Ils étaient tristes, affligés, découragés, abattus par la séparation de leur Maître ; l’Esprit-Saint les a consolés, il a ranimé leur courage, dissipé le nuage de tristesse qui les enveloppait, il les a éclairés de sa lumière, et les a tirés de leur embarras. Ils avaient entendu cette parole du Sauveur : Allez, enseignez les nations; mais chacun d’eux flottait incertain, et ne savait de quel côté il devait tourner ses pas ; dans quelle partie de la terre il devait aller prêcher la parole : l’Esprit-Saint venant à eux en forme de langues, leur distribue les régions de la terre qu’ils doivent instruire, et par la langue de feu, sous la figure de laquelle il repose sur chaque disciple, il écrit dans l’âme de chacun, comme dans un livre, l’autorité qu’il lui confie ; il lui marque la partie du monde qu’il doit éclairer de ses instructions. Voilà pourquoi l’Esprit-Saint est venu les visiter en forme de langues ; c’était aussi pour nous rappeler le souvenir d’une ancienne histoire. Comme dans les premiers âges du monde, les hommes, entraînés par l’orgueil, avaient voulu construire une tour qui s’élevât jusqu’au ciel, mais que Dieu, par la division des langues, avait dissipé leur criminel complot, l’Esprit-Saint descend aujourd’hui sous la forme de langues de feu, afin de réunir le monde divisé, et, par une opération nouvelle et extraordinaire, au lieu qu’autrefois les langues avaient divisé la terre et rompu une ligue coupable, les langues, aujourd’hui, réunissent la terre, et ramènent l’union où régnait la discorde. Voilà donc pourquoi l’Esprit-Saint se montre sous la forme de langues ; il emprunte des langues de feu, à cause de l’abondance des épines que le péché avait fait croître en nous. Quelque gras et quelque fertile que soit un champ par lui-même, s’il n’est point labouré, il se couvre et se hérisse partout de buissons et d’épines ainsi notre âme, quoique sortie bonne des mains du Créateur, quoique propre par elle-même à produire des fruits de vertu, ne recevant pas la culture de la piété, ni la semence de la connaissance de Dieu, a produit comme une forêt d’épines et de plantes inutiles, que l’impiété a fait croître en elle. Et semblable à la terre, dont la face est souvent cachée sous la multitude des épines et des mauvaises herbes, la pureté et la dignité de la plus noble portion de nous-mêmes étaient comme étouffées et ne paraissaient pas, jusqu’à ce que le divin Cultivateur de la nature humaine l’eût purifiée par le feu de son Esprit, et l’eût rendue propre à recevoir les semences célestes. 3. Tels sont les biens, et de plus grands encore, que ce jour nous a procurés. Célébrons-le donc, ce jour, d’une manière qui réponde aux grâces qu’il nous apporte, célébrons-le en décorant nos âmes de toutes les vertus, plutôt qu’en ornant de fleurs l’entrée de nos maisons, et en revêtant nos murs de tapis superbes, afin que nous puissions recevoir la grâce de l’Esprit-Saint, et recueillir les fruits qui en proviennent. Et quels sont ces fruits ? écoutons le bienheureux Paul : Les fruits de l’Esprit, dit-il, sont la charité, la joie, la paix. (Gal 5,22) Voyez quelle est l’exactitude du langage, et la suite naturelle des idées ! Il met la charité à la tête ; et après cela il parle des biens qui doivent suivre ; c’est après avoir planté la racine qu’il montre les fruits qui doivent naître ; c’est après avoir posé le fondement, qu’il bâtit dessus l’édifice ; c’est après être remonté à la source qu’il descend aux ruisseaux qui en découlent. Car la joie ne peut entrer dans nos âmes avant que nous ne regardions la prospérité d’autrui comme la nôtre, avant que le bien qui arrive à notre prochain ne nous soit aussi agréable que s’il nous arrivait à nous-mêmes. Or, nous ne parviendrons jamais à ce point de perfection, à moins qu’une charité supérieure ne domine chez nous avec empire, la charité, qui est la racine, la source, la mère de tous les biens spirituels. Comme une racine, elle produit mille branches de vertu ; comme une source, elle fait jaillir des eaux abondantes ; comme une mère, elle reçoit dans son sein et embrasse tous ceux qui ont recours à elle. Pénétré de cette vérité, saint Paul dit, dans une de ses épîtres, que la charité est le fruit de l’esprit. Il lui accorde dans une autre la glorieuse prérogative d’être l’accomplissement de la loi : La charité, dit-il, est l’accomplissement de la loi. (Rom 13, I0) Lorsque le Sauveur du monde établit la règle certaine et la marque sûre à laquelle on reconnaîtra ses disciples, il ne propose point d’autre règle, d’autre marque que la charité : Tous les hommes, dit-il, connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de ! a charité les uns pour les autres. (Jn 13,35) Ainsi, recourons tous à la charité, embrassons-la avec ardeur, et décorons-nous de cette vertu pour célébrer la fête présente. Où est la charité, tous les défauts disparaissent ; où est la charité, tous les appétits déraisonnables se répriment. La charité, dit saint Paul, n’agit point à contre-temps, elle ne s’enfle point, elle n’est point ambitieuse. (1Co 13,4) La charité ne fait point de mal à son prochain. Où la charité domine, il n’y a pas de Caïn qui tue son frère. Retranchez l’envie, et vous avez retranché la source de tous les maux ; coupez la racine, et vous avez supprimé le fruit. C’est moins dans l’intérêt de ceux qui sont en butte à l’envie, que je parle, que pour l’avantage de ceux qui éprouvent cette passion, puisque ces derniers se causent les plus grands préjudices, et se portent les coups les plus mortels, tandis que les persécutions de l’envie peuvent valoir aux autres, s’ils le veulent, des prix et des couronnes. Voyez comme le juste Abel est chanté et célébré tous les jours, et comme la mort violente qu’il a essuyée a été pour lui une source de gloire : étendu sans vie et sans mouvement, il ne parle qu’avec plus de force ; son sang, après la mort, élève la voix, et accuse hautement le malheureux fratricide ; celui-ci n’a survécu que pour recevoir la punition de son attentat, pour parcourir la terre toujours gémissant et tremblant. Et comme le crime de l’un l’a condamné à une vie plus triste que la mort même, ainsi la vertu de l’autre l’a rendu plus glorieux et plus brillant même après le trépas. Nous donc, mes frères, afin que nous puissions acquérir plus de confiance, et dans ce monde et dans l’autre, afin que nous puissions recueillir plus de joie de cette fête, dépouillons-nous de tous les vices qui souillent et défigurent notre âme, et surtout de l’envie ; parce que, sans doute, eussions-nous fait une infinité de bonnes œuvres, nous en perdrions tout le mérite si nous étions dominés par cette passion basse et cruelle. Puissions-nous tous éviter ce fléau de toutes les vertus, et principalement ceux qui ont reçu aujourd’hui la grâce de la régénération qui ont dépouillé les anciens vêtements du péché, et qui peuvent briller avec le même éclat que les rayons du soleil ! Vous donc ▼ qui en ce jour avez été mis au nombre des enfants, conservez avec soin la blancheur éclatante des habits dont vous êtes maintenant revêtus, fermez de toutes parts l’entrée au démon, afin que recevant une grâce plus abondante du divin Esprit, vous puissiez produire des fruits au centuple, vous soyez jugés dignes de paraître avec confiance devant le Roi des cieux, lorsqu’il viendra juger le monde, et distribuer des biens ineffables à ceux qui auront terminé leur vie dans la vertu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient la gloire et l’empire, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. HOMÉLIE V.
HOMMES DE LA JUDÉE, ET VOUS TOUS QUI, HABITEZ JÉRUSALEM, APPRENEZ CECI ET PRÊTEZ L’OREILLE A MES PAROLES. (ACT. 2,14, JUSQU’AU VERS. 21) ANALYSE.
- 1. L’orateur explique le discours de l’apôtre saint Pierre, et en fait voir toutes les beautés d’ensemble et de détail. – D’abord ce n’est plus cet homme timide qui tremblait à la voix d’une servante, mais c’est un apôtre plein d’une noble hardiesse et d’une mâle éloquence.
- 2. L’application de la prophétie de Joël à la conversion des gentils lui fournit ensuite d’heureux développements, et l’annonce qu’elle contient de la ruine de Jérusalem lui en fait tracer un lugubre et effrayant tableau.
- 3. Mais si le Seigneur châtie ainsi ses ennemis sur la terre, quels seront les supplices de l’enfer ? Et quoique ce sujet soit peu agréable à ses auditeurs, il est obligé de le traiter pour satisfaire aux devoirs de sa charge.
- 4. De là l’orateur est amené à se comparer au magistrat sévère qui maintient l’ordre dans la cité, et que le peuple maudit quelquefois, tandis qu’il n’a que des louanges et des applaudissements pour le riche citoyen qui lui prodigue les fêtes et les jeux. – Mais lequel des deux est réellement le plus utile ? – Le doute n’est pas possible ; et de même l’évêque qui explique la loi divine, et qui montre la terrible sanction dans les menaces de l’enfer, est le vrai père de son peuple. – Celui-ci ne doit donc point murmurer contre lui, mais profiter de ses avis pour acquérir les biens éternels.
1. Pierre s’adresse ici à cette foule d’étrangers qui étaient accourus, mais, en leur parlant, il ne néglige pas de réfuter ses calomniateurs. Car la divine Providence n’avait permis leurs amères critiques que pour donner à l’apôtre l’occasion de se défendre et d’annoncer l’Évangile. Et parce qu’ils se glorifiaient beaucoup d’habiter Jérusalem, il leur dit : « Apprenez ceci, et prêtez l’oreille à mes paroles ». Ce langage ne pouvait que les rendre attentifs et les disposer à écouter favorablement sa défense. « Non, ces hommes ne sont point ivres, comme vous le pensez ». Que ce langage est doux et bienveillant ! Pierre avait pour lui la plus grande partie du peuple, et néanmoins il n’adresse à ses critiques que de bienveillantes paroles. Il écarte d’abord tout mauvais soupçon à leur égard, et n’établit sa propre défense qu’en second lieu. Aussi ne dit-il pas, comme vous vous l’imaginez par une supposition insensée, ou une froide plaisanterie, mais « comme vous le pensez ». Il donne ainsi à entendre qu’ils ne parlent point sérieusement, et il semble imputer leur faute bien plus à l’ignorance qu’à la malice. « Non, ces hommes ne sont pas ivres, comme vous le pensez, puisqu’il n’est que la troisième heure du jour ». Cette raison est-elle péremptoire ? et les apôtres ne pouvaient-ils, en effet, s’être enivrés à la troisième heure du jour ? Sans doute, ils l’eussent pu ; mais, sans beaucoup insister sur cette circonstance, Pierre se borne à nier le fait qu’alléguaient ses détracteurs ; et cette réserve nous apprend à ne pas beaucoup parler hors de la nécessité. Au reste, la suite de son discours confirme cette assertion, et désormais il s’adresse à tous : « Mais c’est ce qui a été prédit par le prophète Joël, dans les derniers temps, dit le Seigneur ». (Joël, 2,28) L’apôtre ne nomme pas encore le Christ, et, sans faire mention de sa promesse, il rapporte tout au Père ; c’est de sa part une profonde habileté. Il évite donc d’insister de prime abord sur ce qui concernait Jésus-Christ, et de rappeler les promesses qu’il leur avait faites après sa mort sur la croix ; car t’eût été ruiner par avance tout le succès de sa prédication. Mais les apôtres ne pouvaient-ils pas, me direz-vous, prouver sa divinité ? Oui, sans doute, si vous supposer la foi en sa mort et sa résurrection. Mais en ce moment c’était ce qu’il fallait faire croire ; et, en parler inconsidérément, c’était s’exposer à se faire lapider. « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair ». Il leur donnait ainsi de bonnes espérances, car, s’ils le voulaient, ils pouvaient, eux aussi, recevoir ce divin Esprit. Mais il les avertit en même temps qu’ils n’en jouiront pas exclusivement, afin de ne pas exciter contre eux la jalousie des gentils ; et, pour couper dans sa racine toute pensée d’envie, il ajoute : « Et vos fils prophétiseront ». C’est comme s’il leur eût dit : Cette miraculeuse effusion de l’Esprit-Saint n’est ni votre bien, ni votre gloire exclusifs, mais la grâce en passera jusqu’à vos enfants. Par honneur il leur donne le nom de pères, et il appelle leurs fils ceux qui devaient être disciples de l’Évangile. Et vos jeunes gens auront des visions, et a vos vieillards auront des songes. Et, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront ». C’était adroitement leur insinuer qu’eux, les apôtres, étaient approuvés de Dieu, puisqu’ils avaient mérité de recevoir l’Esprit-Saint, tandis que les Juifs en étaient rejetés, parce qu’ils avaient crucifié le Seigneur Jésus. Autrefois Jésus-Christ, pour apaiser l’irritation des Juifs, leur disait : « Par qui vos enfants chassent-ils les démons ? » (Mat 12,27) Il ne disait pas, mes disciples, afin d’éviter tout soupçon de s’encenser lui-même ; et c’est ainsi que Pierre ne dit pas nous ne sommes pas ivres, mais nous parlons sous l’inspiration du Saint-Esprit. Observons aussi qu’il ne se borne pas à alléguer ce fait, mais qu’il l’appuie sur l’autorité d’un prophète. Aussi, cette autorité le remplit-elle de force et de courage. Sa simple parole avait suffi pour repousser l’accusation d’ivresse ; mais, quand il s’agit d’attester l’effusion de la grâce, il invoque l’autorité d’un prophète. « Je répandrai », dit le Seigneur, « de mon Esprit sur toute chair ». Cette expression générale se rapporte à ce que Dieu instruisait ses prophètes ou par songe, ou par une révélation manifeste. L’apôtre aborde ensuite ce passage assez terrible de la prophétie : « Et je ferai paraître », dit le Seigneur, « des prodiges dans le ciel, et des miracles sur la terre ». Ces paroles désignent le jugement dernier et la ruine de Jérusalem. « Je ferai paraître du sang et du feu, et une colonne de fumée ; et le soleil sera changé en ténèbres, et la lune en sang ». Quel tableau ! et quelles affreuses calamités ! Ces lugubres emblèmes représentent les maux extrêmes qui arriveront au dernier jour ; et néanmoins, l’historien Josèphe raconte que plusieurs prodiges de ce genre parurent dans les airs, et annoncèrent les désastres de la Judée. Cependant, l’apôtre répand parmi ses auditeurs un vif sentiment de crainte, en leur rappelant ces épaisses ténèbres et l’attente du jugement. « Car elles précéderont le grand « jour dit Seigneur ». C’était leur dire : ne vous abusez pas en croyant que vous pouvez pécher impunément. Et telle est la conclusion de cette annonce du jour grand et terrible du Seigneur. Eh bien ! a-t-il remué les consciences, et changé les rires en remords ? Et, en effet, si déjà les pronostics de ce jour éclatent, les périls des derniers temps sont donc proches. Mais quoi ! va-t-il prolonger cet effrayant langage ? Nullement ; il permet à ses auditeurs de respirer, et continue ainsi : « Et il arrivera que quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé ». Selon saint Paul, cette parole désigne Jésus-Christ ; mais, par prudence, Pierre ne le dit pas manifestement. (Rom 10,13) Et maintenant, si nous revenons sur ses premières paroles, nous observerons qu’il s’est élevé avec force contre ses critiques et ses railleurs. « Apprenez ceci », leur a-t-il dit, « et prêtez l’oreille à mes paroles ». En s’adressant à eux, il leur avait dit : « Hommes de la Judée ». C’est-à-dire, selon moi, vous qui habitez dans la Judée. Mais voulez-vous connaître combien Pierre est aujourd’hui changé ? rappelons-nous ce passage de l’Évangile. « Une servante s’approcha de lui, disant : Et toi, tu étais avec Jésus de Nazareth. Mais il répondit : Je ne connais point cet homme. Et, interrogé de nouveau, il commença à faire des serments et des imprécations ». (Mat 26,69, 72) 2. Admirez aussi l’assurance et la noble franchise de sa parole. Il ne loue point ceux de ses auditeurs qui avaient dit : « Nous les entendons parler en notre langue des grandeurs du Dieu » ; et il se borne à exciter davantage leur zèle par la sévérité dont il use envers ses détracteurs. Ainsi son langage ne laisse apercevoir aucune trace de flatterie, et une remarque qui se justifie toujours, c’est que son discours, quoique rempli d’une extrême bienveillance, présenté le rare mérite d’éviter également l’adulation et l’injure. Ce n’est pas non plus sans une profonde raison que le prodige de la Pentecôte s’effectua à la troisième heure du jour, car à ce moment le soleil brille, les plaisirs de la table ne nous retiennent plus, et les charmes du jour et de la conversation attirent tous les hommes sur la place publique. Au reste, le langage de Pierre respire une noble franchise. « Prêtez l’oreille à mes paroles ». Et aussitôt, sans rien dire de lui-même, il ajoute : « Ceci est ce qui a été dit par le prophète Joël, dans les derniers temps ». Il indique ainsi, par cette expression un peu emphatique, que la réalisation des menaces divines est peu éloignée, et, pour ne point paraître la fixer à la seconde génération, il ajoute : « Et vos vieillards auront des songes ». Voyez l’admirable enchaînement de ses paroles. D’abord il a nommé les fils, à l’exemple de David qui a dit : « A la place de vos pères, il vous est né des enfants ». (Psa 45,17) Et Malachie dit également : « Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants ». (Mal 4,6) « Je répandrai de mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes ». Ces paroles nous révèlent toute la force de cet Esprit divin qui, en nous délivrant du péché, nous attache à son service. Eh ! quelle n’est pas l’excellence de ce don qui se communique même au sexe le plus faible, dans une large proportion, et noir à quelques individus seulement, comme autrefois à Débora et Holda. Mais observez que Pierre évite de dire que cet Esprit dont parle le prophète est l’Esprit-Saint, et qu’il néglige ainsi d’expliquer les termes de la prophétie. Il se contente de la citer, parce que cette citation suffit à son but. Il se tait également sur Judas, dont tout le monde connaissait la triste fin, et il pense avec raison, qu’à l’égard des Juifs, l’autorité du prophète Joël est l’argument le plus péremptoire. Et, en effet, aux yeux des Juifs, les prophéties l’emportaient sur les miracles. Aussi les voyons-nous contredire ceux de Jésus-Christ, et se taire quand il leur allègue une prophétie. Un jour il leur dit : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite » (Psa 110,1 ; Mat 22,42) ; et ils furent si confus qu’ils n’osèrent plus répondre. C’est pourquoi, et il est facile de le vérifier, le Sauveur ne négligeait aucune occasion de leur citer les saintes Écritures, comme lorsqu’il leur dit : « L’Écriture appelle dieux ceux auxquels la parole de Dieu est adressée ». (Jn 10,35) C’est donc à l’exemple de son divin Maître que Pierre cite cette prophétie : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair », c’est-à-dire, sur les gentils. Mais – il ne révèle rien et n’explique rien, parce que l’obscurité même de la prophétie servait ses projets. « Je ferai paraître des prodiges dans le ciel ». Le vague de cette menace était bien propre 'à épouvanter les esprits, et toute explication en eût diminué la salutaire terreur. Il se tait donc sur cette prophétie, comme étant par elle-même assez claire, et facile à comprendre. D’ailleurs, il se réserve de l’expliquer en parlant de la résurrection, et il y dirige l’enchaînement de son discours. Ainsi son silence est volontaire et réfléchi, parce que la promesse d’un heureux 'avenir eût été impuissante pour attirer les Juifs à l’Évangile. Ajoutez encore que nul n’échappera aux désastres du dernier jour, tandis que sous Vespasien les chrétiens évitèrent la mort. Et c’est à cette fuite que se rapportent ces paroles du Sauveur : « Si ces jours n’eussent été abrégés, toute chair eût été détruite ». (Mat 24,22) Le premier malheur des Juifs fut, en effet, cette ligne de circonvallation qui prit, comme dans un filet, tous les habitants de Jérusalem, et le second fut la ruine et l’incendie de la ville. L’apôtre continue ensuite la métaphore, et met, comme sous les yeux de ses auditeurs, la désolation de Jérusalem : « Le soleil », dit-il, « se changera en ténèbres et la lune en sang ». Que signifie ce changement de la lune en sang ? Il me paraît indiquer un effroyable carnage ; et ce langage était bien propre à consterner tous les esprits. « Et quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé ». Quiconque, dit-il ; c’est-à-dire, sans qu’il l’explique, le prêtre, l’esclave et l’homme libre. « Car il n’y a plus en Jésus-Christ d’homme ni de femme, d’esclave ni d’homme libre ». (Gal 3,28) Et certes, toutes distinctions sont avec raison abolies sous l’Évangile, de même qu’elles subsistaient sous la loi mosaïque, parce qu’elle n’était que figurative. Et en effet, si, dans le palais impérial, le noble ne se distingue point du plébéien, et si chacun ne s’illustre que par ses œuvres et se recommande par son service, combien plus doit-il en être ainsi dans le christianisme ! « Quiconque invoquera le nom du Seigneur ». Ce n’est pas sans raison que le prophète emploie ce terme ; car Jésus-Christ nous assure que « tous ceux qui lui disent : « Seigneur, Seigneur, ne seront point sauvés », et qu’il n’y aura d’élus que ceux qui le lui diront avec ce véritable amour qui repose sur une bonne vie et une grande confiance. Au reste, l’apôtre ne décourage point ses auditeurs, bien qu’il leur révèle de profonds mystères et qu’il ne leur cache point les terreurs des supplices éternels. Et comment ? Parce qu’il leur montre le salut dans l’invocation du nom du Seigneur. 3. Que dites-vous, ô grand apôtre ? Vous placez le salut à côté de la croix ! Attendez un peu, et vous connaîtrez combien est grande la miséricorde du Sauveur Jésus. Car la vocation des gentils n’est pas une preuve moins éclatante de sa divinité que sa résurrection et ses miracles. Souvenez-vous aussi qu’un des attributs de Dieu est d’être infiniment bon ; aussi Jésus-Christ dit-il : « Nul n’est bon, si ce n’est Dieu seul ». (Luc 18,19) Mais il punit également en Dieu, en sorte que sa bonté ne doit point favoriser en nous la paresse et la négligence. C’est ce que nous apprend admirablement l’apôtre quand il dit : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ». Et maintenant je veux, en parlant de la ruine de Jérusalem et de l’effroyable vengeance que le Seigneur en tira, vous prémunir contre les marcionites et plusieurs autres hérétiques. Ils disent qu’en Jésus-Christ le Dieu était bon, et que l’homme était mauvais. Or, qui est l’auteur de ces maux ? L’homme mauvais a-t-il vengé le Dieu bon ? Nullement. C’est donc un être qui lui est étranger, ou bien le Dieu bon a fait ainsi éclater ses vengeances. Mais alors il est manifeste qu’il faut les rapporter au Père non moins qu’au Fils. C’est ce que prouvent, pour le Père, plusieurs passages de l’Évangile, et spécialement celui-ci où il est dit que le père de famille détruira sa vigne. (Mat 21,41) Il est également écrit du Fils qu’il fait ce commandement à ses serviteurs « Quant à mes ennemis qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les et faites-les mourir devant moi ». (Luc 19,27) Dans un autre endroit, Jésus-Christ annonce les calamités qui accableront Jérusalem, calamités inouïes jusqu’alors, et qu’il prédit lui-même. Voulez-vous que je vous en rappelle quelques traits ? On vit une mère, épouvantable atrocité ! faire rôtir son propre enfant. Et quoi de plus lamentable qu’un tel fait ! Faut-il décrire les horreurs de la famine et de la peste ? Et il y eut des horreurs plus grandes encore. On foulait aux pieds les lois de la nature et celles de l’humanité, et les hommes se montraient plus cruels que les bêtes féroces. Or tous ces maux furent amenés par cette guerre sanglante que permirent le Seigneur et son Christ. Ces faits sont un bon argument contre les marcionites et contre ceux qui nient l’existence de l’enfer ; et on peut s’en servir utilement pour confondre leur impudence. Et puis, cette dernière désolation ne surpasse-t-elle pas celle de la captivité ; et la famine qu’elle occasionna ne fut-elle pas plus cruelle qu’à cette époque ? Certainement ; et c’est de tous ces maux que Jésus-Christ lui-même a dit : « Cette tribulation sera telle qu’on n’en a jamais vu et qu’on n’en verra jamais de semblable ». (Mat 24,21) Comment donc quelques-uns disent-ils que Jésus-Christ a remis aux Juifs la peine de leur déicide ? Cette objection est peu grave, et vous pouvez facilement la résoudre. Au reste, on ne pourrait ici rien inventer qui approchât de la réalité ; et si le récit que nous en possédons était dû à une plume chrétienne, il serait permis de le soupçonner d’exagération. Mais on ne saurait s’inscrire en faux contre sa véracité, puisqu’il a pour auteur un Juif, très attaché à sa nation, et qui écrivait après 1a promulgation de l’Évangile. On voit en effet que dans toutes circonstances il s’attache à relever ses concitoyens. Concluons qu’il existe un enfer, et que Dieu est bon. Le récit des malheurs de Jérusalem vous a remplis d’effroi ; eh ! que sont ces maux en comparaison des supplices de l’enfer ? Mais voilà que de nouveau je vous deviens fâcheux et importun. Que faire à cela ? Ma position l’exige. Un évêque ressemble à un maître sévère qui encourt la haine de ses élèves. Mais, puisque les ministres d’un roi exécutent ses ordres, même les plus rigoureux, ne serait-il pas absurde que, pour vous complaire, je négligeasse les devoirs de ma charge ? Chacun a son œuvre à remplir ; et le devoir du plus grand nombre est de se secourir mutuellement dans un esprit de compassion et de bienveillance, de douceur et de bonté. Le pasteur, au contraire, pour être utile à son troupeau, doit se montrer dur et sévère, fâcheux et importun. Car il fera le bien par d’austères remontrances plus que par d’agréables compliments. Tel est aussi le sort du médecin ; et toutefois il est moins rude, parce que les bienfaits de son art se réalisent soudain, tandis que ceux de l’évêque se réservent pour l’éternité. Ainsi encore, le juge est odieux aux malfaiteurs et aux séditieux, et le législateur est importun à ceux que gêne la loi. Mais un accueil bien différent est réservé à celui qui flatte le peuple, qui l’amuse et qui lui préparé des jeux et des fêtes. Et en effet, quels applaudissements ne reçoivent pas ces riches citoyens qui donnent les jeux publics et se ruinent en prodigalités ! Aussi le peuple reconnaissant célèbre-t-il leurs louanges, et par honneur il tend les rues de riches tapisseries, illumine les maisons, porte des palmes et leur offre des couronnes et de somptueux vêtements. Le malade, au contraire, s’attriste en voyant le médecin, et le séditieux devient humble en présence du juge : il perd soudain sa pétulance et son audace, parce qu’il sait que le devoir de ce juge est de le châtier. Mais examinons qui est plus utile à une cité, ou l’édile qui fournit aux dépenses des jeux, du théâtre et des repas publics, ou le magistrat qui, an lieu de ces pompes superflues, s’entoure de chevalets, de fouets, de bourreaux et de soldats terribles, qui prononce des paroles sévères et des arrêts rigoureux, et qui commande à ses licteurs d’écarter du forum une foule tumultueuse. Eh bien ! examinons quels résultats amènent deux conduites si opposées. Le magistrat est un homme odieux et l’édile est un galant homme. Mais que produisent le fêtes qu’il prodigue ? De froids plaisirs qui durent jusqu’au soir et s’évanouissent avec l’aurore ; des rires indécents et des paroles libres et légères. Eh ! que doit-on au magistrat ? La crainte et la tempérance, la soumission de l’esprit et la retenue des mœurs, l’amour du travail, la répression des mauvaises passions de l’âme, est un rempart contre les désordres extérieurs. Sous l’égide de ces vertus, chacun jouit tranquillement de sa fortune, tandis que le régime contraire la dilapide dans les jeux et les fêtes ; et si des voleurs ne nous l’enlèvent pas, le plaisir et l’ostentation nous la ravissent. Cependant on s’aperçoit bien qu’on est volé, mais on ne laisse pas que d’en rire. Ce sont des voleurs d’un genre tout nouveau : ils dépouillent leur victime et puis lui persuadent qu’elle doit s’en réjouir. 4. Mais dans la religion, rien de semblable, et le Seigneur, qui est le père de tous, nous prescrit le secret de nos bonnes œuvres, et même de nos bonnes intentions. Car il a dit : « Prenez garde de faire l’aumône devant les hommes ». (Mat 6,1) Le chrétien y apprend donc à fuir toute injustice. Car il y a également injustice à dérober le bien d’autrui, et à se plonger dans les excès de la table, ou à s’abandonner à une joie effrénée et dissolue. Il y apprend encore à garder la chasteté, et à éviter l’impureté, puisque ce péché se commet même par un simple regard. Il y apprend enfin à pratiquer la modestie et à repousser le faste et l’orgueil, et il n’oublie point, selon la parole de l’apôtre, que : « si tout lui est permis, tout n’est pas expédient ». (1Co 6,12) En un mot, l’Église est l’école des vertus, et le théâtre celle des vices. Mais laissons ce sujet, et je me borne à vous dire que les fêtes du monde sont plus fécondes en chagrins qu’en véritables plaisirs. Il suffit, pour nous en convaincre, de considérer au lendemain d’une fête, celui qui en a fait les frais, et ceux qui y ont pris part. Tous, et surtout le premier, nous les verrons tristes et abattus. Et en effet, le jour précédent, le peuple se livrait à une folle gaîté, et il se réjouissait sous un riche vêtement ; mais, comme il ne lui appartenait pas, il s’attriste aujourd’hui, et s’afflige de ne plus le posséder. Quant à celui qui a fait les frais de la fête, il se croyait moins heureux que ses joyeux convives : mais le lendemain, ceux-ci n’ont qu’à rendre les habits qu’on leur avait prêtés, tandis que lui-même tombe dans un profond chagrin. Ah ! si, dans les choses extérieures, la joie enfante la tristesse, et le malheur l’utilité, à plus forte raison en est-il ainsi dans les choses spirituelles ! C’est pourquoi personne ne s’irrite contre les lois, et même tous les regardent comme protectrices de la sûreté publique ; car elles ne sont point l’ouvrage de législateurs étrangers, ou ennemis, mais l’œuvre des citoyens, des édiles et des tuteurs de la cité. Tous, ils ont cru bien mériter de la patrie en établissant ces lois, et cependant elles renferment des peines et des châtiments ; car, toute loi contient une sanction pénale. Mais, n’est-il pas absurde de décerner aux législateurs humains les noms de sauveurs, de bienfaiteurs et de protecteurs, et d’appeler dur et fâcheux l’évêque qui vous explique les lois divines ? Oh ! quand je vous parle de l’enfer, que fais-je, sinon de vous exposer la, sanction de ces lois ? Les législations de la terre édictent des peines sévères contre l’homicide, le vol, l’adultère et autres crimes semblables ; pourquoi donc murmurer si je mets sous vos yeux les supplices dont vous menace, non un homme, mais Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu ? Que celui, dit-il, qui est sans miséricorde, soit rigoureusement puni. Car, telle est la conclusion de la parabole sur le pardon des ennemis. Que celui, ajoute-t-il, qui garde le souvenir d’une offense, subisse le dernier supplice ; que celui qui s’irrite sans motif soit jeté dans le feu, et que celui qui injurie son frère, soit condamné aux peines de l’enfer ! Au reste, ne vous troublez point si ces lois vous paraissent nouvelles ; car Jésus-Christ n’est venu sur la terre que pour y apporter une nouvelle législation. Et en effet, la raison seule nous dit que l’homicide et l’adultère doivent être punis ; et, si l’Évangile ne contenait pas une autre défense, il eût été inutile qu’un législateur divin nous l’eût apporté. Aussi ne dit-il pas : Que l’adultère soit puni, mais bien celui qui se permet même un regard mauvais, et il spécifie le lieu et le genre du supplice. Jésus-Christ n’a point écrit son Évangile sur des tables de pierre, et il ne l’a point gravé sur des colonnes de bronze ; mais il a surnaturalisé l’âme des douze apôtres, et par l’opération de l’Esprit-Saint, il y a gravé ces lois que nous vous faisons connaître. C’était le devoir des prêtres à l’égard des Juifs, afin que nul ne prétextât son ignorance, et à plus forte raison est-ce le mien ? Si quelqu’un disait : Je n’écouterai pas, et ainsi je ne serai point jugé ; il devrait s’attendre à un châtiment plus rigoureux, car son excuse ne serait valable qu’en l’absence dé toute instruction. Mais, puisqu’un évêque instruit son peuple, elle n’est plus recevable. Souvenez-vous donc que Jésus-Christ lui-même a condamné les Juifs : « Si je n’étais pas venu », disait-il, « et si je ne leur eusse pas parlé, ils ne seraient pas coupables ». (Jn 15,22) L’apôtre s’écrie également : « Que dis-je ? Est-ce qu’ils n’ont pas entendu la parole du salut ? Sans doute ; car la voix des apôtres a retenti par toute la terre ». (Rom 10,18) Alléguez donc votre ignorance, si personne ne vous prêche la doctrine évangélique. Mais quand l’évêque est assis dans sa chaire, et qu’il remplit son devoir, vous n’avez plus d’excuse. J’ajoute aussi que Jésus-Christ, qui a établi dans son Église les apôtres, comme autant de colonnes de la vérité, a voulu honorer les évêques du même privilège. Et si nous nous sommes rendus indignes de comprendre les sublimes inscriptions que portent ces colonnes, fixons du moins sur elles un regard respectueux. Les colonnes, non plus que les lois, ne sont coupables des menaces qu’elles profèrent contre les malfaiteurs ; et il en est ainsi des bienheureux apôtres. Mais l’Église, qui est la colonne de vérité, ne se dresse pas dans un seul lieu, et ses inscriptions sont répandues dans le monde entier. Passez jusqu’aux Indes, et vous les entendrez publier ; avancez jusqu’à l’Espagne, et jusqu’aux limites de l’univers, et vous ne trouverez personne qui, avec un peu de bonne volonté, ne parvienne à les connaître. Ne murmurez donc point contre ces lois divines, mais efforcez-vous de pratiquer les vertus chrétiennes, afin que vous puissiez obtenir les biens éternels, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. FIN DU TOME HUITIÈME.
HOMÉLIE VI.
HOMMES D’ISRAËL, ÉCOUTEZ CES PAROLES. (ACT. 2,22, JUSQU’AU VERS. 36) ANALYSE.
- 1. Saint Chrysostome développe habilement l’art et le tact exquis avec lesquels saint Pierre propose à ses auditeurs les grands mystères de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Il glisse légèrement sur le premier, comme étant un fait public, et s’appuie pour prouver le second sur l’autorité de David, dont les prophéties étaient connues et respectées de tous.
- 2. Revenant ensuite sur l’explication des premiers versets de ce discours, l’orateur fait ressortir la force du témoignage qu’allègue l’apôtre en faveur de la résurrection de Jésus-Christ, et le montre assis dans les cieux sur un trône de gloire, régnant sur ses ennemis, et envoyant l’Esprit-Saint à ses apôtres. – Cependant, pour ne pas offusquer ses auditeurs, Pierre, comme l’observe saint Chrysostome, signale principalement ici l’action du Père, se contentant de faire entendre que le Fils étant Dieu comme lui, participe également à cet envoi.
- 3. Mais si Dieu le Père a établi dans les cieux le règne de son Fils, c’est afin de nous faire part de son royaume ; et cependant les chrétiens méprisent ce royaume, et courent encenser le démon qui les conduit à l’enfer. – Ici l’orateur trace un éloquent parallèle entre la conduite du Seigneur et celle du démon ; et entre l’homme doux et patient et celui qui habituellement se livre à tous les transports de la colère.
- 4. L’âme de l’un, calme et sereine, ressemble à ces montagnes qui jouissent d’une température toujours douce et toujours égale, et le cœur de l’autre rappelle le tumulte et les cris de la place publique. – Le choix d’un chrétien ne saurait donc être douteux.
1. Ces paroles ne sont point, dans la bouche de saint Pierre, un langage d’adulation ; mais parce qu’il avait vivement pressé ses auditeurs, il prend un ton plus modéré et cite, avec opportunité, un passage du Psalmiste. Il répète aussi le début de son discours, afin de prévenir en eux le trouble de l’esprit, car il va leur parler de Jésus-Christ. Précédemment ils ont entendu dans la paix et le calme la citation qu’il a faite du prophète. Joël ; mais le nom de Jésus les eût soudain offusqués ; c’est pourquoi l’apôtre ne l’a pas prononcé. Observez encore qu’il ne dit pas : Obéissez à ma parole, mais Écoutez ces paroles ; et certainement, il n’y avait là rien qui pût les offenser. Enfin, remarquons qu’il évite de toucher tout d’abord aux mystères les plus sublimes et qu’il commence par ce qu’il y a de plus humble : « Jésus de Nazareth », dit-il. Pierre nomme donc la patrie de Jésus ; et cette patrie n’était qu’une obscure bourgade ; et il ne révèle de lui rien de grand et d’élevé, pas même ce que tout autre prophète en eût annoncé. « Jésus de Nazareth, homme que Dieu a rendu célèbre parmi vous ». Ces premiers mots annoncent déjà un grand mystère, et révèlent que Jésus a été envoyé de Dieu. Or, c’est ce que toujours et en toute circonstance le précurseur et les apôtres ont soin de prouver. Écoutez la parole du précurseur : « Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et se reposer, c’est celui-là ». (Jn 1,33) Tel est aussi le témoignage que Jésus-Christ lui-même se rend tout spécialement, lorsqu’il dit : « Je ne suis point venu de moi-même, mais le Père m’a envoyé ». (Jn 7,28) Et ce langage se retrouve à toutes les pages de l’Évangile. C’est pourquoi Pierre, le prince du collège apostolique, l’ami du Christ et son ardent disciple, Pierre, à qui les clés du royaume des cieux ont été confiées, et qui a reçu les révélations de l’Esprit, a saisi d’abord ses auditeurs de crainte et d’effroi, et puis il a ranimé leur courage en leur montrant qu’ils n’étaient point exclus des grâces célestes. Enfin, après les avoir ainsi préparés à recevoir le don de la loi, il aborde la grande question de Jésus-Christ. Eh ! comment osera-t-il affirmer sa résurrection en face de ceux mêmes qui l’ont fait mourir ? Aussi ne se hâte-t-il pas de dire qu’il est ressuscité, mais seulement que Dieu l’a envoyé vers eux. Et la preuve, ce sont les miracles qu’il a opérés. Encore ne dit-il pas que Jésus les a opérés lui-même, mais que Dieu les a opérés par lui, afin de mieux gagner ses auditeurs par ce langage si empreint de modération. Quant à la certitude de ces miracles, il s’en rapporte à leur propre témoignage. « Jésus », dit-il, « homme que Dieu a rendu célèbre parmi vous par les merveilles, les prodiges et les miracles qu’il a faits par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes ». C’est alors seulement, et comme par incident, qu’il rappelle le crime affreux qu’ils avaient commis, et qu’il s’efforce de les excuser. Mais, en réalité ; quoique ce déicide eût été arrêté dans les conseils divins, ils n’en étaient pas moins coupables. « Ce Jésus », dit-il, « qui vous a été livré par le conseil et la prescience de Dieu, l’immolant par la main des méchants, vous l’avez mis à mort ». Nous retrouvons ici le même langage et presque les mêmes expressions dont Joseph avait usé à l’égard de ses frères : « Ne craignez point, car ce n’est pas vous qui m’avez livré, mais c’est Dieu qui m’a envoyé ici ». (Gen 15,5) Néanmoins, parce qu’ il avait dit que la mort de Jésus était arrêtée dans les conseils divins, les Juifs eussent pu répliquer : Nous avons donc bien fait ; c’est pourquoi il les convainc d’homicide par cette parole : « L’immolant par la main des méchants, vous l’avez mis à mort ». Il désigne ici Judas et montre que les Juifs n’eussent pu exécuter leur noir dessein, si Dieu ne le leur eût permis et si le traître ne leur eût livré Jésus. Car c’est ce que signifie ce mot « livré », et l’apôtre rejette ainsi tout l’odieux du crime sur Judas qui livra le Sauveur et le trahit par un baiser. Quant à ces mots : « Par la main des méchants », ils se rapportent à la trahison de Judas, ou aux soldats qui crucifièrent le Sauveur, en sorte que les Juifs l’ont, mis à mort, moins par eux-mêmes que « par la main des méchants ». Mais comme les apôtres ont toujours soin de prêcher d’abord la passion de Jésus-Christ, tandis que Pierre ne fait ici qu’indiquer sa résurrection ; et quoiqu’elle soit le point fondamental de la religion, il se contente de l’affirmer. C’est que le crucifiement et la mort de Jésus étaient des faits publics ; mais il n’en était pas encore ainsi de sa résurrection. Aussi ajoute-t-il : « Dieu l’a ressuscité après l’avoir délivré des douleurs du tombeau, et il était impossible qu’il y fût retenu ». Ici l’apôtre nous révèle un grand et sublime mystère : car ce mot : « Il était impossible », signifie que Jésus-Christ lui-même a permis au tombeau de le renfermer, et que la mort, en voulant le retenir, a souffert des violences aussi extrêmes que les douleurs de l’enfantement. C’est en effet sous cette image que l’Écriture se plaît à nous représenter les efforts de la mort, et elle nous indique en même temps que le Christ est ressuscité pour ne plus mourir. On peut aussi donner un autre sens à ces paroles : « Il était impossible qu’il fût retenu dans le tombeau », et dire qu’elles signifient que la résurrection de Jésus-Christ est différente de celle des autres hommes. Et aussitôt, avant que ses auditeurs aient eu le temps de s’arrêter à quelques pensées, Pierre cite le Psalmiste et coupe court à tout raisonnement humain : « Car David a dit de lui ». Mais observez combien cette façon de s’exprimer est humble, et c’est la même modestie de langage que ci-dessus. Cependant il ne laisse pas que d’en tirer cette grande leçon, qu’il ne faut pas s’affliger de la mort. « J’ai toujours », dit-il, « le Seigneur en ma présence ; et il est à ma droite, afin que je ne sois pas ébranlé. C’est pourquoi vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer ». (Psa 16,8) Pierre voulant alors développer cette prophétie, commence ainsi : « Mes frères ». C’est toujours ainsi qu’il s’exprime lorsqu’il veut annoncer quelques grandes vérités ; et ce début est bien propre à rendre ses auditeurs attentifs et bienveillants. « Mes frères, qu’il soit permis de vous dire hardiment du patriarche David ». Quelle humilité ! et comme il parle modestement, dès qu’il peut le faire sans danger ! Il n’affirme donc pas que la prophétie concerne Jésus-Christ à l’exclusion de David ; et il agit en cela très prudemment, afin qu’en honorant à leurs yeux cet illustre prophète, il les amène à mieux respecter son autorité. Bien plus, en s’excusant comme d’un trait de hardiesse, de rapporter un fait public, il les loue et les flatte habilement Aussi ne dit-il pas simplement David, mais le patriarche David. « Qu’il soit donc permis de dire hardiment du patriarche David qu’il est mort et enseveli ». Il n’ajoute point qu’il n’est pas ressuscité, mais il le fait assez entendre par ces mots : « Et son sépulcre est parmi nous jusqu’à ce jour ». Cette citation suffit à son dessein, et, au lien d’en venir immédiatement à Jésus-Christ, il loue de nouveau le saint roi. « Or, comme il était prophète et qu’il savait que Dieu lui avait promis avec serment ». 2. Pierre s’exprime ainsi afin que du moins ; par honneur pour David et pour ses descendants, les Juifs accueillissent le dogme de la résurrection. Car si Jésus-Christ n’était réellement ressuscité, la prophétie ne serait pas accomplie, et eux-mêmes auraient à en rougir. « Et comme il savait que Dieu lui avait promis avec serment ». Ce n’était pas une simple promesse, mais un serment solennel. « Dieu lui avait donc promis avec serment que, selon la chair, le Christ sortirait de sa race, et qu’il serait assis sur son trône ». Admirez quels profonds mystères l’apôtre laisse soupçonner ! et comme il cite avec assurance les paroles du prophète, dès qu’il a su s’insinuer dans l’esprit de ses auditeurs. Aussi proclame-t-il ouvertement la résurrection de Jésus-Christ. « C’est pourquoi son âme n’a point été laissée dans le tombeau, et sa chair n’a point vu la corruption ». Ce langage a droit de nous étonner. Et, en effet, il affirme que la résurrection de Jésus-Christ n’est point semblable à celle des autres hommes, et que la mort, qui l’a tenu quelques instants, n’a pu étendre sur lui son empire souverain. Quant au péché des Juifs, Pierre l’a laissé entrevoir comme dans l’ombre, et sans parler du châtiment que ce péché méritait, il s’est borné à déclarer que les Juifs avaient mis à mort le Christ : puis il a exposé les preuves de sa divinité. Mais dès qu’il est démontré que celui qui a été mis à mort, est le Juste par excellence, et l’ami de Dieu, vous avez beau taire le châtiment de ce crime, les coupables se condamneront eux-mêmes plus sévèrement que vous ne pourriez le faire. C’est pourquoi, afin de mieux se concilier leur attention, il s’en réfère aux décrets du Père éternel, et tire cette conclusion de la prophétie, qu’ « il était impossible » que le Christ restât dans le tombeau. Mais revenons sur l’explication des premiers versets. « Jésus de Nazareth que Dieu a rendu célèbre parmi vous ». Ainsi, le doute n’est plus permis à son égard parce qu’il s’est fait connaître par ses œuvres. Aussi, Nicodème disait-il à Jésus-Christ : « Personne ne peut faire « les miracles que vous faites ». (Jn 3,2) Pierre dit également : « Dieu l’a rendu célèbre par les merveilles, les prodiges et les miracles qu’il a opérés par lui au milieu de vous ». Ce n’est donc point secrètement, puisqu’il a agi devant tout le peuple. C’est ainsi que l’apôtre conduit insensiblement ses auditeurs, des faits qu’ils connaissent à ceux qu’ils ignorent ; et quand il dit que tout cela s’est fait « par suite des décrets divins », il semble dire que de leur part ce crime a été involontaire, puisqu’il avait été prévu et réglé dans la sagesse et les conseils du Seigneur. Il passe donc rapidement sur tout ce qui eût pu les contrister, et dirige tous ses efforts à leur prouver que le Christ a été mis à mort. C’était dire à ses auditeurs : Quand vous le nieriez, ceux-ci, à savoir, les apôtres, l’attesteraient. Or, celui qui triomphe de la mort ne pourra-t-il pas plus aisément encore se venger de ses bourreaux ? Certainement. Mais Pierre évite de le dire ; et, sans leur annoncer que le Christ exterminera la nation déicide, il se borne à le leur faire comprendre. Nous apprenons également du discours de l’apôtre quelle est la signification de ce mot « être retenu ». Car celui qui retient une chose avec souffrance, cherche moins à en conserver la possession qu’à s’en décharger et à soulager ainsi sa douleur. C’est aussi avec une admirable justesse que saint Pierre dit : « David parlant au nom du Christ », de peur qu’on ne crût qu’il parlait en son nom. Voyez-vous maintenant avec quelle hardiesse il interprète la prophétie et en expose clairement le sens, en montrant le Christ assis sur son trône ? Or, le royaume du Christ est un royaume spirituel qui n’existe qu’au ciel. C’est pourquoi le fait de la résurrection implique celui de la possession de ce royaume ; et le prophète ne pouvait pas ne point en parler, puisque la prophétie concernait le Christ. Mais pourquoi le Psalmiste parle-t-il « de la résurrection du Christ », plutôt que de son royaume ? C’est pour nous révéler un grand mystère. Et pourquoi dit-il qu’il est assis sur son trône ? Parce que du haut des cieux il étend son autorité sur tous les Juifs et principalement sur ceux qui l’ont crucifié. « Et sa chair n’a point vu la corruption ». Cette parole n’exprime pas moins fortement le dogme de la résurrection que celle-ci : « Dieu a ressuscité ce Jésus ». Et voyez-vous comme maintenant il le désigne par son nom ? « Et nous en sommes tous témoins. Après donc qu’il a été élevé, de la main de Dieu » ; Pierre en revient encore à Dieu le Père, quoique déjà il ait suffisamment, montré son action, parce qu’il sait combien cet argument est puissant. Il laisse également comprendre, sans le dire ouvertement, que ce même Jésus est monté au ciel, et qu’il y réside. « Et après qu’il a reçu la promesse du Saint-Esprit ». Observez ici que l’apôtre attribue l’envoi de cet Esprit divin au Père, et non au Christ. Mais, après avoir rappelé les miracles de celui-ci, l’attentat des Juifs contre sa personne, et le prodige de sa résurrection, il s’enhardit à en parler librement, et leur cite la déclaration de témoins qui ont tout vu et tout entendu. Cependant, s’il revient fréquemment sur la résurrection de Jésus-Christ, il ne parle qu’une seule fois du crime de ceux qui l’ont crucifié, pour éviter de leur être importun. « Après donc qu’il a reçu la promesse du Saint-Esprit ». Quel sublime mystère recèlent ces paroles ! Et je pense qu’ici saint Pierre fait allusion à la promesse que Jésus-Christ fit à ses apôtres avant sa passion. Aussi remarquez comme en ceci il lui attribue l’action principale, et comme il obtient adroitement un immense résultat. Car si Jésus-Christ a répandu l’Esprit-Saint, c’est de lui que parlait le prophète, quand il disait : « Dans les derniers jours je répandrai de mon Esprit sur vos serviteurs et sur vos servantes, et je ferai paraître des prodiges dans le ciel ». Quelle doctrine se cachait donc sous ces paroles ? Mais à cause même de sa sublimité, l’apôtre la voile aux regards de ses auditeurs, et attribue au Père l’envoi du Saint-Esprit ; c’est pourquoi il se borne à énumérer les biens que nous a procurés l’incarnation du Fils, les miracles que celui-ci a opérés, la royauté qu’il a fondée, le peuple au milieu duquel il a paru, et il ajoute comme incidemment que lui aussi donne l’Esprit-Saint. Toute parole qui ne tend pas à l’utilité de ceux qui l’écoutent, est une parole vaine et inutile. C’est ce que témoigne le saint précurseur quand il dit : « Le Christ vous baptisera lui-même en l’Esprit-Saint ». (Mat 3,11) Pierre montre également que Jésus-Christ, bien loin d’affaiblir la vertu de sa croix, l’a rendue plus brillante, puisqu’il accomplit en ce jour, à l’égard de ses disciples, la promesse qu’il avait précédemment reçue de son Père. C’était donc, dit l’apôtre, cette promesse qu’il nous avait faite, et qu’il se réservait d’accomplir dans toute son étendue, après le mystère de sa passion. « Je répandrai » ; cette expression marque la dignité du bienfaiteur, et l’abondance de ses dons. La suite de ce discours en est une preuve sensible, car c’est après avoir reçu l’Esprit-Saint, que Pierre annonce hardiment l’ascension de Jésus-Christ, et que, pour la prouver, il allègue, à l’exemple du Sauveur, le témoignage du Psalmiste. « Car David », dit-il, « n’est point monté au ciel ». 3. Ici la parole de l’apôtre se relève noblement, et il parle avec fermeté. Il n’a donc plus recours à ces précautions oratoires : qu’il me soit permis de vous dire ; mais il s’exprime en toute franchise. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marche-pied ». Or, si le Christ est le Seigneur de David, à plus forte raison l’est-il des Juifs. « Assieds-toi à ma droite ». Cette parole résume toutes choses. « Jusqu’à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marche-pied ». Cette citation ne pouvait manquer de renouveler dans les esprits une salutaire terreur, car elle montrait quelle sera la conduite du Seigneur envers ses amis et ses ennemis. Mais, pour se mieux concilier ses auditeurs, Pierre se hâte d’attribuer au Père l’exercice de la souveraineté, et, après avoir proclamé ces sublimes mystères, il abaisse insensiblement son langage. « Que toute la maison d’Israël sache donc ». Voyez comme il prévient le doute et l’hésitation, et comme il continue avec autorité. « Que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus ». Il cite les paroles du Psalmiste, et, au lieu de dire : Que toute la maison d’Israël sache donc certainement que le Christ est assis à la droite de Dieu le Père, ce qui marquait la gloire la plus élevée, il laisse ce privilège, et dit plus humblement que Dieu l’a « fait », c’est-à-dire, l’a établi Christ et Seigneur. Ainsi, il omet de parler de la personne même du Fils, et ne s’arrête qu’à l’action du Père. « Ce Jésus que vous avez crucifié ». Que ce dernier membre de phrase est heureux ! et quels remords il devait exciter, dans l’âme de cette multitude. Car l’apôtre, qui lui a d’abord montré toute la grandeur du crime, en désigne ici les coupables, afin qu’ils en comprennent mieux l’énormité, et qu’ils en conçoivent une salutaire terreur. Et en effet, les bienfaits sont moins puissants pour attirer les hommes que la crainte pour les corriger. Mais il est des hommes admirables, de pieux amis du Seigneur, qui sont au-dessus de ce double motif ; tel était Paul qui aimait Dieu sans s’inquiéter du ciel, ni de l’enfer. C’est là véritablement aimer Jésus-Christ, et ne point se conduire en mercenaire, qui ne cherche que son profit et son avantage : c’est là être véritablement chrétien, et n’agir que par le principe de l’amour divin. Combien donc notre conduite est-elle digne de larmes, puisqu’appelés à cet héroïsme de vertu, nous ne savons pas même considérer le ciel comme le but d’un utile négoce. Jésus-Christ nous promet les plus riches trésors, et nous ne l’écoutons point. Ah ! quels châtiments ne mérite pas une telle indifférence ! L’homme qu’excite la tyrannique passion de l’or ne considère point s’il se trouve en rapport avec un étranger, ou un esclave ; avec un ennemi, ou un rival implacable, pourvu qu’il espère en tirer quelqu’argent. Il n’est donc rien qu’il né fasse volontiers, fallût-il les aduler, les servir, et les tenir pour les plus honnêtes gens du monde, dès qu’il est assuré d’en être grassement payé : tant la soif du lucre éteint en lui toute autre pensée. Eh ! le royaume des cieux est moins puissant sur nous que la vue d’un vil métal ! Cette perspective ne peut émouvoir notre indifférence, et néanmoins celui qui nous promet ce royaume n’est pas un homme ordinaire ; c’est le Roi des cieux. Cependant, à ne considérer même que le royaume qui nous est promis, et le Dieu qui veut nous le donner, il est beau de recevoir un tel don, et de le recevoir de telles mains. Hélas ! nous agissons comme ces insensés à l’égard desquels un roi veut couronner mille bienfaits en les associant à l’héritage de son fils, et qui ne savent que mépriser ses offres généreuses. Mais, au contraire, que le prince des méchants, celui qui, plein de malice, a précipité nos premiers parents et toute leur postérité dans un abîme de maux, nous présente une obole, et soudain nous courons l’adorer. Dieu nous promet un royaume, et nous le méprisons ; le démon nous entraîne vers l’enfer, et nous l’honorons. Ainsi, d’un côté le Seigneur, et dé l’autre le démon. Mais quelle différence encore dans leurs commandements ! Oui, supposons qu’il n’existe ni Dieu, ni démon, ni ciel, ni enfer, cette différence seule suffirait à éclairer notre choix. Et, qu’ordonnent-ils donc l’un et l’autre ? Le démon, tout ce qui souille l’homme ; et Dieu, tout ce qui fait sa gloire et son honneur. Le démon, tout ce qui nous rend malheureux et infâmes ; et Dieu, tout ce qui nous apporte la paix et la tranquillité. Écoutez en effet les paroles de l’un : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ». (Mat 11,29) Quel est, au contraire, le langage de l’autre ? Soyez dur et inhumain, furieux, et moins homme que bête féroce. Quant aux résultats de ces commandements, de quel côté est l’utilité et l’opportunité ? Mais, à part toutes ces considérations, il suffit de savoir que l’un des deux est le démon ; et, si nous en sommes bien persuadés, nous le vaincrons avec plus de gloire. Car l’utilité du précepte, et non sa facilité, nous doit faire connaître celui qui nous porte un véritable intérêt. C’est ainsi que les pères donnent à leurs enfants des ordres sévères, et les maîtres à leurs esclaves ; mais ils n’en sont pas moins pères et maîtres, tandis que les autres sont dépendants et serviteurs. Et maintenant, voulez-vous examiner la question sous le rapport du bonheur ? La solution en est facile et évidente. Et en effet, y a-t-il parité de satisfaction entre l’homme irascible et furieux et l’homme doux et patient ? L’esprit de ce dernier possède le calme d’une paisible solitude et l’âme du premier ressemble à ces places publiques où se presse une foule importune et où les gens qui conduisent des chameaux, des mulets et des ânes, crient à tue-tête pour avertir les passants de se garer. Oui, je comparerai le méchant à ces villes où l’on n’entend que le bruit de l’enclume et du marteau et où l’encombrement est si grand qu’à chaque pas on risque de heurter les autres ou d’en être soi-même heurté. Mais le juste est semblable à une montagne dont le sommet jouit de la douce haleine des zéphyrs et s’illumine des rayons d’une pure lumière. Des sources jaillissantes abreuvent mille fleurs qui en font un délicieux jardin ; l’on dirait une prairie que le printemps a émaillée de plantes et de fleurs et qu’il arrose de limpides ruisseaux. Ajoutez au plaisir des yeux celui de l’oreille que charment de suaves mélodies. Car, ou les oiseaux chantent sur les cimes élevées des grands arbres, ou la cigale, le rossignol et l’hirondelle harmonisent leurs voix et leurs concerts : D’autres fois c’est le zéphyr qui se joue dans les hautes branches des arbres et qui, agitant les pins et les mélèzes, imite les chants mélodieux du cygne ; ou ce sont les lis et les roses de la vallée qui s’inclinent comme dans un fraternel embrassement et présentent l’image d’une mer calme et tranquille. Les fleurs nous offrent d’autres emblèmes non moins gracieux. Ainsi la rose symbolise l’arc-en-ciel, la violette la mer azurée, et le lis le ciel. Mais cet admirable spectacle de la nature qui réjouit l’œil, récrée également le corps. On y respire en effet un tel bien-être qu’on se croit plutôt dans les cieux que sur la terre. 4. Dirai-je encore que le murmure des eaux qui se précipitent en cascade et frémissent sur un lit de cailloux, détend nos membres fatigués et provoque un doux sommeil ? Cette description vous charme et vous ferait aimer la solitude ; ruais combien plus délicieux est L’état d’une âme humble et patiente. Et ne croyez pas que ma parole se soit égayée dans cette description pour le seul plaisir de peindre la nature et d’en tracer un riant tableau ; non, non. J’ai voulu vous montrer quels sont les charmes de la patience, et vous faire comprendre qu’il est plus doux et plus utile de vivre avec un homme vraiment patient, que d’habiter ces lieux enchanteurs. Et en effet, jamais il ne déchaîne autour de lui le souffle violent de l’aquilon, et son langage doux et modéré ne rappelle que les brises légères d’un paisible zéphyr. Ses reproches eux-mêmes sont pleins de bienveillance et imitent le chant des oiseaux. Comment donc ne pas trouver auprès de lui le véritable bonheur ? Si sa parole ne peut rien sur le corps, du moins elle calme et récrée l’âme ; et les soins habiles d’un médecin coupent moins vite la fièvre que la parole d’un homme patient n’apaise un esprit furieux et emporté. Eh ! pourquoi parler du médecin, puisqu’un fer rouge qu’on plonge dans l’eau, perd sa chaleur moins promptement qu’un cœur courroucé ne se calme au contact d’un homme patient ? Mais de même qu’on ne fait sur la place publique aucune attention au chant des oiseaux, ainsi mes paroles frappent inutilement l’oreille d’un esprit furieux et irascible. Combien donc la douceur est préférable à la colère et à l’emportement. D’ailleurs Dieu nous commande la première et le démon la seconde. Aussi, quand même il n’existerait ni Dieu, ni démon, n’oubliez point que nos propres intérêts nous prescriraient encore de cultiver cette vertu et de fuir ce vice. Et en effet, l’homme doux et patient est débonnaire pour lui-même et utile aux autres, tandis que l’homme violent et irascible devient ennuyeux à lui-même et inutile aux autres. Eh ! y a-t-il rien de moins aimable et de plus triste, de plus fatigant et de plus insupportable que de vivre avec un esprit de ce caractère, tandis que nos relations avec un esprit pacifique sont empreintes de charmes et de douceurs ! Il vaut mieux habiter avec une bête féroce qu’avec le premier ; car celle-ci s’apprivoise et devient soumise, mais celui-là s’irrite des démarches mêmes que vous faites pour l’apaiser, tant la colère est son état habituel ! Les jours joyeux et sereins de l’été et les tristes frimas de l’hiver sont moins opposés que ces deux hommes. Mais, avant d’exposer tous les maux dont la colère est le principe à l’égard du prochain, examinons ceux qu’elle nous attire. Sans doute c’est déjà un grand mal que de nuire à ses frères, et j’en parlerai plus tard. Pour le moment je vous demande quel bourreau déchire les côtés comme la colère et l’emportement, quel dard transperce le corps aussi cruellement, et quel accès de folie ébranle aussi complètement la raison ? J’en ai connu plusieurs que la colère a rendus malades ; et, de toutes les fièvres, celles-ci sont les plus dangereuses. Mais si tels sont les ravages que cette passion porte dans le corps, que seront ceux dont elle afflige l’âme ? Eh ! ne dites point qu’on ne les voit pas au dehors, mais pensez que si l’homme furieux et emporté se nuit ainsi à lui-même, il ne peut amener pour les autres que de terribles malheurs. Plusieurs en effet ont perdu la vue par suite d’un accès de colère, et plusieurs autres sont tombés dans de graves maladies. Mais l’homme vraiment patient soutient sans fléchir le poids de l’adversité. Et cependant, malgré, toute la rigueur de ses commandements et en dépit des supplices de l’enfer où ils nous conduisent, le démon, cet ennemi juré de notre salut, se voit obéi avec plus d’empressement que le Sauveur Jésus, qui est notre bienfaiteur et qui ne nous intime que des préceptes faciles, salutaires, et non moins utiles à nous-mêmes qu’à nos frères. Rien de plus dangereux, mon cher frère, que la colère et l’emportement. Si sa violence ne dure qu’un instant, les suites en sont bien graves. Car souvent toute la vie ne suffit pas pour réparer un mot prononcé dans la colère ; et un seul acte d’emportement brise souvent toute une carrière. Mais ce qui est plus déplorable encore, c’est que souvent un instant, une action et une parole nous font perdre les biens éternels et nous dévouent aux plus affreux supplices. Je vous en conjure donc, muselez cette bête féroce. Mais c’est assez parler de la douceur et de la colère, et si vous voulez poursuivre ce parallèle entre l’avarice et la générosité, l’impureté et la chasteté, la jalousie et la bienveillance, vous trouverez entre elles la même différence. Il me suffit de vous avoir montré à reconnaître par le seul énoncé du précepte quel en est l’auteur, Dieu ou le démon. Ah ! obéissons à Dieu et ne nous précipitons point dans l’enfer ; et tandis que nous en avons le temps et la facilité, purifions notre âme de la tache du péché, afin que nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE VII.
A CES PAROLES ILS FURENT TOUCHÉS AU FOND DE LEUR CŒUR, ET ILS DIRENT A PIERRE ET AUX AUTRES APÔTRES : FRÈRES, QUE FERONS-NOUS ? (CHAP. 2,37, JUSQU’A LA FIN) ANALYSE.
- 1. L’Orateur montre, par les sentiments de componction que font paraître les Juifs, le succès de la méthode que saint Pierre a suivie, et développe la réponse de cet apôtre : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé. – Ici saint Chrysostome trace le tableau de cette vie si admirable des premiers fidèles, et nous les représente persévérant dans la prière, la fraction du pain et la communauté des biens.
- 2. A l’égard de ce merveilleux désintéressement, il observe qu’ils faisaient de leurs biens un sage et utile usage, et ne les dédaignaient point, comme quelques philosophes, par vanité et arrogance. – Il appuie également sur le tact avec lequel saint Pierre leur propose le baptême sans s’étendre sur la passion et la mort de Jésus-Christ, parce qu’il voulait ménager ici, comme précédemment, leur trop grande susceptibilité.
- 3. L’Orateur revient ensuite sur le spectacle qu’offraient les premiers fidèles, et exalte leur charité qui – enfantait pour tous la joie pure de l’âme, et l’abondance des biens célestes. – Il rehausse ensuite magnifiquement leur simplicité, et prouve que la prudence qui accompagne toujours cette vertu, ainsi que la confiance en Dieu, finissent par réussir.
- 4. Ces premiers fidèles étaient ardents à se mortifier, et les chrétiens de nos jours ne recherchent que les délices ; ils se dépouillaient de leurs biens, et nous prétendons conserver les nôtres avec affection ; ils descendaient nus dans l’arène, et nous nous présentons au combat pompeusement parés : la lutte ne peut donc être égale. – C’est pourquoi nous devons, à leur exemple, retrancher toute cupidité, et, par un désintéressement vrai et sincère, nous assurer la victoire sur le démon, et la possession des biens éternels.
1. Considérez ici les avantages inestimables de la douceur. Elle pénètre dans les cœurs plus avant que la violence, et les perce plus profondément. Le fer qui ouvre un abcès dur et compact ne produit qu’une légère douleur ; mais si des émollients ont rendu cet abcès tendre et impressionnable, la douleur devient vive et forte. C’est ainsi que l’apôtre devait amollir d’abord les esprits, et puis les piquer. Or ce résultat s’obtient par la douceur, et non par la colère, les reproches violents et les injures. Car l’emportement augmente le mal, et la douceur le diminue. Aussi voulez – vous amener celui qui vous a insulté à reconnaître sa faute, reprenez-le avec une extrême douceur. Telle est la conduite de l’apôtre. Il rappelle à ses auditeurs le souvenir de leur crime ; et sans y ajouter aucun reproche, il s’étend sur les dons de Dieu à l’égard des Juifs, et sur les preuves des faits qui se sont accomplis parmi eux. C’est pourquoi ils surent gré à l’apôtre de sa douceur, parce qu’il ne faisait entendre à ceux qui avaient crucifié son Dieu, et qui voulaient la mort de ses disciples, que le langage d’un père et d’un maître affectionné. Mais bientôt ils joignirent à ces sentiments de reconnaissance les remords d’une conscience coupable, et ils comprirent toute l’énormité de leur crime. Car Pierre ne permit point qu’ils s’abandonnassent aux fureurs du désespoir, ni que leurs âmes fussent enveloppées de ténèbres. Il se hâta donc de dissiper, par l’humilité de sa parole, les nuages de l’indignation, et puis il leur représenta la grièveté de leur faute. Chaque jour l’expérience justifie une semblable conduite. Quand nous disons à un injuste agresseur qu’il nous a blessé, il s’efforce de nous prouver le contraire. Mais si nous lui soutenons que, loin d’avoir été atteint par ses traits, c’est nous qui l’avons percé, il se récrie et se déclare invulnérable. Aussi, voulez-vous fortement embarrasser votre ennemi, ne l’accusez pas, mais prenez sa défense, et il s’accusera lui-même. Car l’homme aime naturellement la contradiction. Pierre ne l’ignorait pas ; c’est pourquoi il évite de les reprendre avec aigreur, et s’efforce, autant qu’il peut, de les excuser tout doucement. Aussi parvint-il à toucher leurs esprits. Eh ! qui atteste ce succès ? Leurs propres paroles, car ils disent : « Frères, que ferons-nous ? » Voyez-vous comme ils appellent frères ces mêmes hommes qu’ils nommaient séducteurs ? Ce n’est point qu’ils s’égalent à eux, et ils ne veulent que s’attirer leur bienveillance et leur amitié. Observez encore qu’après les avoir appelés frères, et avoir dit : « Que ferons-nous ? » ils n’ajoutent pas : Nous ferons donc pénitence, mais : qu’ils s’abandonnent à leur conduite. C’est ainsi que dans un naufrage imminent, ou dans une grave maladie, tous laissent agir le pilote ou le médecin, et lui obéissent docilement. Et de même ces Juifs reconnaissent hautement qu’ils sont en un péril extrême, et qu’il ne leur reste plus aucune espérance de salut. Aussi ne disent-ils point : Comment serons-nous sauvés ? mais : « Que ferons-nous ? » Ils s’adressaient à tous les apôtres ; mais Pierre seul répond. Et que dit-il ? « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ». Il ne dit pas encore : Croyez ; mais : « Que chacun de vous soit baptisé », parce qu’ils devaient recevoir la foi avec le baptême ; et pour leur en montrer les avantages il ajoute : « En rémission de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit ». N’était-ce pas leur dire : Pourquoi différer ce baptême qui vous apportera la rémission de vos péchés et la plénitude des dons célestes ? Bien plus, afin de rendre sa parole plus persuasive encore, il ajoute : « Car la promesse », celle dont il avait parlé précédemment, « est faite à vous, et à vos enfants ». Ainsi le don de l’Esprit-Saint est d’autant plus excellent qu’ils pourront le laisser en héritage à leurs enfants. « Et à tous ceux qui sont éloignés » ; à plus forte raison à vous qui êtes proches « et à tous les hommes que le Seigneur notre Dieu appelle ». Observez que l’apôtre ne parle de « ceux qui sont éloignés » que quand il voit ses auditeurs rentrer en eux-mêmes et se condamner eux-mêmes. Car de semblables dispositions empêchaient qu’ils ne fussent jaloux des gentils. « Et par plusieurs autres discours il rendait témoignage et les exhortait en ces termes ». Voyez comme Pierre parle toujours brièvement, sans faste et sans ostentation – « Il rendait témoignage et les exhortait en ces termes ! » La doctrine parfaite sait également inspirer la crainte et l’amour. « Sauvez-vous de cette génération perverse ». S’il parle du présent plutôt que de l’avenir, c’est que rien ne nous touche plus vivement. Aussi leur prouve-t-il que sa parole les délivrera des maux présents et futurs. « Ceux donc qui reçurent sa parole furent baptisés, et il y eut en ce jour environ trois mille personnes qui se joignirent aux disciples ». Ne pensez-vous pas que tout autre miracle eût moins réjoui les apôtres que ces nombreuses conversions ? « Or ils persévéraient dans la doctrine des apôtres et dans la communion ». Ici l’écrivain sacré note spécialement deux vertus : la persévérance et l’union ; des esprits ; et il nous fait ainsi entendre que les apôtres continuèrent longtemps encore à les instruire. « Ils persévéraient donc dans la communion, et dans la fraction du pain, et dans la prière ». En outre, dit saint Luc, tout était commun entre eux, et ils se soutenaient dans ces saintes dispositions. « Et la crainte était dans les âmes, et les apôtres opéraient beaucoup de merveilles et de miracles ». Je ne m’en étonne pas. Car ce n’étaient pas des hommes ordinaires. Ils n’envisageaient plus les choses sous un aspect tout profane ; et ils étaient tout embrasés des feux de l’Esprit-Saint. Mais parce que Pierre, dans son discours, avait entremêlé les promesses et les menaces, le présent et l’avenir, les esprits étaient d’autant plus frappés de crainte que les prodiges confirmaient les paroles. Ainsi aux jours de la Pentecôte comme en ceux du Sauveur, les prodiges précédaient la doctrine et les miracles l’accompagnaient. « Or tous ceux qui croyaient vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ». Voyez quels progrès rapides ! Car à l’union de la prière et de la doctrine, ils ajoutaient celle de la vertu. « Ils vendaient leurs terres et leurs biens et les distribuaient à tous selon que chacun en avait besoin ». Voyez encore quelle crainte dominait les esprits ! « Et ils les distribuaient », c’est-à-dire, en faisaient un sage partage, « selon que chacun en avait besoin ». Ce n’était donc pas cette prodigalité de certains philosophes qui abandonnaient leur patrimoine ou jetaient leur or dans la mer, plutôt par folie et déraison que par un véritable mépris des richesses. Car toujours le démon s’est étudié à corrompre l’usage des créatures que Dieu a faites, comme si l’on ne pouvait user sagement de l’or et de l’argent. 2. « Et tous les jours ils étaient ensemble dans le temple ». Ces paroles nous apprennent quels fruits produisit immédiatement la prédication des apôtres ; et admirez avec quel zèle ces Juifs oubliaient le soin de toute affaire temporelle et se rendaient assidûment au temple. Car leur respect pour ce lieu sacré croissait avec leur ferveur ; et les apôtres ne les en éloignaient pas encore par bonté et par condescendance. « Et ils rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu et agréables à tout le peuple ». Je crois que, par cette expression : Rompant le pain, l’écrivain sacré a voulu désigner les jeûnes et l’abstinence que pratiquaient ces premiers chrétiens, puisque leur nourriture était frugale et ennemie de, toute recherche. Apprenez donc ici, mes frères, que le bonheur de la vie accompagne la frugalité bien plus que les délices de la table ; et la pratique de la sobriété nous est une source de joie, tandis que l’intempérance du festin est un principe de tristesse. La parole de Pierre fit donc éclore la sobriété chrétienne qui produisit à son tour un pur et saint contentement. Et comment ? me direz-vous. Parce que leurs aumônes « les rendaient agréables à tout le peuple ». Car il faut faire moins attention aux prêtres qui s’élevaient contre eux par esprit d’une basse jalousie, qu’au peuple qui les accueillait avec faveur. « Or le Seigneur augmentait chaque jour ceux qui devaient être sauvés dans l’Église ; et tous ceux qui croyaient vivaient ensemble ». Tant l’union et la concorde sont bonnes en toutes choses ! Cependant Pierre « rendait témoignage par d’autres discours ». Cette remarque de saint Lue nous fait entendre que l’apôtre donna quelque développement à ses premières paroles, ou qu’après avoir amené ses auditeurs à croire en Jésus-Christ, il laissa aux autres apôtres le soin de leur expliquer la pratique de cette croyance. Il évite aussi de leur parler de la croix, et dit seulement : « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ». Pourquoi dont ne leur parle-t-il point fréquemment de la croix ? Par ménagement et pour éviter tout reproche ; aussi se borne-t-il à dire : « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ». Ainsi, au tribunal de la religion, les choses se passent tout autrement que dans celui de la justice humaine : car l’aveu de sa faute assure le salut du pécheur. Observez encore avec quel tact Pierre insiste sur un point bien important. Après avoir signalé la grâce du baptême, il ajoute immédiatement : « Vous recevrez le don de l’Esprit-Saint » ; et en présence des prodiges qui s’opéraient sous leurs yeux, les Juifs ne pouvaient pas ne point croire à cette promesse. Au reste, l’apôtre se contente de leur révéler ce qu’il y avait de plus facile, et qui, par la communication des dons célestes, les pouvait conduire au salut. Car il savait bien qu’à l’occasion la saveur de ces premiers biens les enflammerait d’un nouveau zèle. Mais parce qu’il voyait en ses auditeurs le désir de connaître ce point capital de son discours, il leur apprit que cette connaissance était un don de l’Esprit-Saint. Aussi voyez avec quelle attention ils l’écoutent et comme ils louent une parole qui les remplit de crainte et de frayeur ! Bien plus, ils croient et demandent le baptême. Mais reprenons l’explication des premiers versets de notre texte : « Ils persévéraient », dit saint Luc, « dans la doctrine ». Nous pouvons évidemment conclure de ces paroles que les apôtres instruisirent ces néophytes non seulement pendant un, deux ou trois jours, mais tout le temps que demandait leur conversion. « Et tous étaient dans une grande frayeur ». « Tous », c’est-à-dire même ceux qui ne croyaient pas. Et il est vraisemblable que, dans ces derniers, cette frayeur venait ou du changement prodigieux qu’ils voyaient, ou peut-être des miracles qui s’opéraient sous leurs yeux. Saint Luc dit aussi qu’ils vivaient « dans une intime union », expression plus forte que l’adverbe « ensemble », parce qu’on peut vivre avec des personnes dont on ne partage pas les sentiments. Enfin il ajoute que Pierre les exhortait par ses discours, et sans en rien rapporter, il se borne à cette sommaire indication. Mais elle suffit pour nous apprendre que les apôtres présentèrent d’abord à ces néophytes, comme à de tendres enfants, le lait et le miel de – la doctrine évangélique, et qu’en peu de temps ceux-ci atteignirent une perfection tout angélique. « Et ils distribuaient à tous leurs biens, selon que chacun en avait besoin ». Ces nouveaux disciples voyaient qu’entre eux les dons spirituels étaient communs et que tous en étaient également favorisés ; aussi en vinrent-ils promptement à l’idée d’en faire autant pour les biens de la terre. « Or, tous ceux qui « croyaient, vivaient ensemble ». Mais ils n’habitaient pas la même maison, comme le prouvent ces autres paroles : « Et ils avaient tout en commun ». Ainsi l’égalité était parfaite sans que l’un eût plus, et l’autre moins, et ils formaient comme une société d’esprits célestes, puisque chacun ne possédait, rien en propre. Cette pauvreté volontaire coupait donc jusque dans ses racines le principe de tous les maux, et ces nouveaux disciples prouvaient par là qu’ils avaient compris la doctrine évangélique. Or, Pierre leur disait : « Sauvez-vous de cette génération perverse ; et il y eut en ce jour environ, trois mille personnes qui se joignirent aux disciples ». Parce qu’ils étaient trois mille, ils ne craignaient point de se produire au-dehors, et chaque jour ils montaient au temple, où ils se rendaient assidûment. C’est aussi ce que firent peu après les apôtres Pierre et Jean car tout d’abord ils ne changèrent rien à la loi de Moïse. Au reste l’honneur rendu au temple rejaillissait sur le Maître du temple. Voyez aussi quels rapides progrès faisait en eux l’esprit de piété ! Ils se dépouillaient avec joie de leurs biens terrestres, et ils s’en réjouissaient d’autant plus qu’ils estimaient davantage leurs richesses spirituelles. L’orgueil et la jalousie, le faste et le mépris étaient inconnus parmi eux, c’étaient des enfants qui ne voulaient qu’être instruits ; et ils avaient la candeur d’un enfant nouveau-né. Direz-vous que je trace un tableau d’imagination ? mais rappelez-vous le dernier tremblement de terre dont le Seigneur a épouvanté cette ville. Quel n’était pas l’effroi et la consternation générale ! qui songeait alors à tromper son frère, ou à médire de lui ! ce que faisait parmi nous la terreur et l’effroi, la charité l’opérait parmi les premiers chrétiens : ils ne connaissaient point cette froide parole, « le mien » et « le tien » ; aussi s’asseyaient-ils pleins de joie à une table commune. L’un ne pensait point qu’il faisait les frais du festin, et l’autre qu’il était nourri gratuitement, quoique cela nous paraisse aujourd’hui une véritable énigme. Mais c’est que chacun se regardait comme propriétaire des biens de la communauté, en même temps qu’il les considérait comme appartenant à tous les frères. Ainsi le pauvre ne rougissait point de sa pauvreté, et le riche ne s’enorgueillissait point de ses richesses. De là naissait une joie vraie et sincère, parce que dans l’un le sentiment de la reconnaissance, et dans l’autre celui d’une bonne œuvre resserrait entre tous les liens d’une fraternelle unanimité. Mais parce que, même dans l’aumône, il peut se glisser quelque orgueil, quelque vanité ou quelque hauteur, l’apôtre nous dit : « qu’il ne faut point la faire avec tristesse, et comme par force ». Qu’il est donc beau le témoignage que saint Luc rend à ces premiers chrétiens ! il atteste leur foi sincère, leur vie irréprochable, et leur persévérance dans la doctrine, la prière, la frugalité et la joie. 3. Deux choses cependant pouvaient les attrister : le jeûne et l’abandon de leurs biens. Mais ils y trouvaient un double sujet de joie ; et à la vue de semblables dispositions, chacun les aimait comme son père. Nul ne songeait à molester son frère, et ils s’abandonnaient entièrement à la grâce divine. Aussi étaient-ils généreux et intrépides au milieu des dangers. Mais cette confiante simplicité attestait tout l’héroïsme de leur vertu, plus encore que le mépris des richesses, le jeûne et la persévérance dans la prière. Ils louaient donc le Seigneur en esprit et en vérité ; et ce sont là les seules louanges qu’il demande. Eh ! voyez comme ils en sont immédiatement récompensés ! car la faveur dont le peuple les entoure prouve combien ils étaient aimables et savaient se faire aimer. Et en effet, qui ne loue et qui n’admire un homme simple dans ses mœurs, et qui. ne se lie volontiers avec un homme franc et sincère ? Mais n’est-ce point à eux qu’appartiennent le salut et tous les dons du ciel ? Les bergers n’ont-ils pas été les premiers appelés à l’Évangile ? et Joseph n’était-il pas admirable de simplicité, lui qui, même en soupçonnant une faute, ne s’arrête à aucune mesure rigoureuse. Est-ce que Dieu n’a point toujours choisi des hommes simples et francs ? « Toute âme simple », dit l’auteur des Proverbes, « sera bénie » ; et encore : « Celui qui marche avec simplicité, marche avec sécurité ». (Pro 2,25 ; 10, 9) Je l’avoue, me direz-vous ; mais il faut y joindre la prudence. Eh ! la simplicité n’est-elle pas inséparable de la prudence ? Vous ne soupçonnez pas le mal ; vous ne le commettez donc point : vous ne vous offensez de rien ; pourriez-vous donc conserver le souvenir d’une injure ? on a cherché à vous humilier et vous n’en avez eu aucun ressentiment ; on a parlé contre vous, et vous n’y avez fait aucune attention ; on vous jalouse, et vous restez calme et impassible. La simplicité nous conduit ainsi à la vraie sagesse ; et l’âme n’est jamais plus belle que quand elle est simple. Et en effet le chagrin, l’accablement et le vague des pensées altèrent la beauté du visage, tandis que la joie et le sourire en augmentent les charmes ; et de même un esprit fourbe et menteur corrompt toutes les bonnes qualités qu’il possède, au lieu qu’un esprit simple et franc les pare et les embellit. Avec un tel homme l’amitié est fidèle, et une réconciliation devient facile. Il ne faut pour cela ni chaînes, ni prison, et la plus grande sécurité règne entre lui et ses amis. Mais qu’arrivera-t-il, direz-vous, si ce juste tombe entre les mains des méchants ? Le Seigneur, qui nous commande d’être simples, nous tend une main protectrice. Qui se montra plus simple que David et plus rusé que Saül ? Et néanmoins qui fut vainqueur ? Que n’eut pas à souffrir Joseph ? Il agissait envers sa maîtresse en toute simplicité : et celle-ci usait de ruse à son égard : mais en devint-il la victime ? Qui fut plus simple qu’Abel, et plus méchant que Caïn ? Et pour en revenir à Joseph, ne se conduisit-il pas toujours envers ses frères avec une entière simplicité ? et le rang élevé où il parvint, n’eut-il point pour principe la franchise de ses paroles et la malignité de ses frères ? Il leur avait raconté ses deux songes, et sans aucune défiance de sa part, il leur apportait des vivres, se confiant pour toutes choses au Seigneur. C’est ainsi que plus ils le regardaient comme un ennemi, et plus il les traitait comme des frères. Sans doute Dieu pouvait empêcher qu’il ne tombât entre leurs mains ; mais il le permit pour faire éclater la vertu de Joseph, et montrer qu’il triompherait de tous leurs mauvais desseins. Concluons que si le juste est quelquefois éprouvé, le coup vient des autres et non de lui-même. Le méchant, au contraire, se blesse le premier et n’atteint point son adversaire, en en sorte qu’il est son propre ennemi. Son âme est toujours pleine d’un noir chagrin, et ses pensées troublées et confuses. Il ne saurait rien entendre, ni rien dire qu’il ne tourne tout en mal, et qu’il ne critique tout. Entre des hommes de ce caractère, l’amitié et l’union sont impossibles ; ils ne savent que se disputer, se haïr et se contrarier ; bien plus, ils se suspectent les uns les autres, ils ne connaissent ni les douceurs du sommeil, ni celles de la vie ; et s’ils sont mariés, hélas ! hélas ! ils n’aiment personne, et détestent tout le monde. Enfin mille jalousies les consument, et une crainte continuelle les agite. Aussi disons-nous que « mauvais » dérive de « mal » ; et en effet, l’Écriture joint toujours ces deux mots : « Le mal et le travail », dit-elle, « résident sous la langue des mauvais » ; et encore : « Il ne reste aux mauvais que le mal et la douleur ». (Psa 9,7 ; 89, 10). Et maintenant si l’on s’étonne que les chrétiens aient été si parfaits au commencement, lorsqu’aujourd’hui on les voit si imparfaits, je répondrai que cette perfection reposait sur le principe de la pauvreté volontaire, et que cette pauvreté était pour eux l’oracle de la sagesse et la mère de la piété ; car en se dépouillant de leurs biens, ils tarissaient la source de toute iniquité. Je l’avoue, me direz-vous ; mais, souffrez que je vous le demande : pourquoi tant de vices parmi nous ? À la parole des apôtres, trois mille hommes d’abord, et puis cinq mille embrassèrent soudain la vertu, et devinrent véritablement philosophes, tandis qu’aujourd’hui à peine ces premiers chrétiens comptent-ils un imitateur. D’où vient encore, qu’ils étaient si unis ensemble ? si prompts et si agiles au service de Dieu ? et quel feu sacré les embrasait ? C’est qu’ils se convertissaient sincèrement, qu’ils ne recherchaient pas les – honneurs comme on le fait aujourd’hui, et que, dégagés de toute affection terrestre, ils élevaient leurs pensées vers les biens célestes. Le propre d’une âme ardente est de se plaire dans les souffrances, et c’est en cela que ces premiers fidèles faisaient consister le christianisme. Nous, au contraire, nous ne recherchons qu’une vie molle et délicate. Aussi dans l’occasion, combien nous sommes loin de les imiter ! Ils disaient, en s’accusant eux-mêmes : « Que ferons-nous » ? Nous disons également : que ferons-nous ? mais dans un sens tout contraire, car nous nous vendons au monde, et nous nous estimons profondément sages. Ils accomplissaient strictement leurs devoirs, et nous, nous négligeons les nôtres. Ils se condamnaient eux-mêmes, et craignaient pour leur salut ; aussi devinrent-ils des saints, et ils reconnurent toute l’excellence du don qu’ils avaient reçu. 4. Mais comment leur ressembleriez-vous, vous qui faites tout le contraire ? Dès la première prédication, ils demandèrent le baptême, et n’alléguèrent point ces froides excuses qu’aujourd’hui nous mettons en avant. Ils ne cherchèrent ni retards, ni prétextes, quoiqu’ils ne connussent pas encore l’ensemble de la religion, et qu’ils n’eussent entendu que cette parole : « Sauvez-vous de cette génération perverse ». Ils ne furent donc pas lâches et négligents, mais ils crurent à la parole des apôtres, et prouvèrent leur foi par leurs œuvres. Ils se montrèrent donc tels qu’ils étaient, et à peine entrés dans la lice, ils se dépouillèrent de leurs vêtements. Nous, au contraire, nous les conservons, même en nous présentant au combat. Aussi notre adversaire nous renverse-t-il sans grands efforts, car, par tout ce vain attrait, nous lui facilitons notre chute. Nous agissons comme l’athlète qui, voyant son antagoniste nu et couvert de poussière, noirci par le soleil, frotté d’huile et tout ruisselant de sueur, de boue et de sable, se hâterait de parfumer sa chevelure, de revêtir un vêtement de soie, de chausser des brodequins dorés, de relever une robe longue et traînante, et de ceindre une couronne d’or, et puis engagerait la lutte, non seulement cette superbe parure gênerait ses mouvements, mais le soin qu’il prendrait pour ne la point salir ou déchirer occasionnerait promptement sa défaite, et il tomberait bientôt blessé, comme il le craignait, dans les principales parties du corps. Or, voilà l’heure du combat, et vous vous couvrez d’un vêtement de soie ? Voilà le moment de la lutte et de la course, et vous vous parez avec une ridicule recherche ? Pouvez-vous espérer la victoire ? Il ne s’agit pas ici de combats extérieurs, mais d’une lutte intestine. Car lorsque l’âme est enchaînée par les soucis et les préoccupations des biens terrestres, elle ne nous permet ni de lever le bras, ni de frapper l’ennemi, tant elle nous rend mous et efféminés. Ah ! puissions-nous briser ces liens, et vaincre ce tyrannique ennemi ! C’est pourquoi, comme si ce n’était pas assez de renoncer à nos richesses, Jésus-Christ nous dit encore : « Vendez tout ce que vous possédez, et le donnez aux pauvres ; et venez, et suivez-moi ». (Mrc 10,21) Ainsi le renoncement aux biens de la terre ne suffit pas toujours pour nous établir dans une parfaite sûreté, et il faut y joindre mille précautions. – Mais, à plus forte raison, si nous retenons ces biens, deviendrons-nous incapables de tout héroïsme, et prêterons-nous à rire aux spectateurs et à notre cruel ennemi. Au reste, quand même le démon n’existerait point, et que nul ne nous attaquerait, l’amour des richesses multiplierait pour nous les chemins (le l’enfer. Où sont donc aujourd’hui ceux qui disent : Pourquoi le démon a-t-il été créé ? Car ici l’action du démon est nulle, et c’est nous qui faisons tout. Ce langage pourrait être permis à ces anachorètes qui vivent sur les montagnes, qui ont embrassé la sainte virginité, et qui ont méprisé l’argent et tous les biens de la terre, et qui ont quitté généreusement maison et champ, père, femme et enfants. Mais ils se taisent, et laissent ces blasphèmes à ceux qui ne devraient jamais les prononcer. La passion de l’argent est comme une arène où le démon nous provoque, et il ne mérite pas que nous y descendions. Mais c’est lui, me direz-vous, qui allume en nous cette ardente cupidité. Fuyez donc, ô homme ! et éteignez ces feux dangereux. Si vous voyiez un homme secouer d’un lieu élevé un vêtement couvert de poussière, et un autre assis au-dessous recevoir tranquillement ces immondices ; vous ne plaindriez point ce dernier, et même vous diriez dans votre indignation qu’il n’a que ce qu’il mérite. Tous les passants lui diraient également : Ne soyez donc pas si imbécile ! et ils blâmeraient plus celui qui reçoit l’outrage que celui qui en est l’auteur. Or, maintenant vous ne pouvez ignorer que le démon n’excite en nous la soif des richesses, et qu’il est à notre égard la cause d’épouvantables malheurs. Vous le voyez préparer, comme une fange immonde, les pensées les plus honteuses, et vous ne comprenez pas qu’il vous les jette au visage, quand il ne faudrait qu’un peu vous éloigner pour les éviter. L’imbécile dont je parlais tout à l’heure n’aurait qu’à changer de place, et il s’épargnerait tout désagrément ; et vous aussi n’accueillez pas ces pensées, et vous éviterez le péché. Réprimez donc en vous la cupidité. Eh ! comment y parviendrai-je, me direz-vous ? Si vous étiez païen, et si, comme tel, vous n’étiez touché que des biens de la terre, cela vous serait peut-être difficile, quoique des païens l’aient fait. Mais vous espérez le ciel et les biens – éternels, et vous dites : Comment réprimer la cupidité ? Si je vous tenais un langage tout contraire, le doute vous serait permis ; et si je vous disais : Désirez les richesses, vous me répondriez avec raison Comment puis-je les désirer en voyant tout ce que je vois ? Si je vous disais encore, en vous offrant de l’or et des pierres précieuses Donnez la préférence à une masse de plomb, hésiteriez-vous à me répondre : Eh ! puis-je le faire ? S’il ne fallait, au contraire, que mépriser le plomb, rien ne vous serait plus facile. En vérité, j’admire moins qu’on méprise les richesses que je ne m’étonne qu’on les puisse rechercher. Car c’est le caractère d’une âme basse, qui n’a aucune élévation dans la pensée, et qui, semblable à un vil insecte, rampe à terre, et se complaît dans la boue et la fange. Étrange langage ! vous prétendez à l’héritage de la vie éternelle, et vous dites : Comment mépriserai-je la vie présente ? Est-ce que ces deux vies peuvent être comparées ? on vous offre la pourpre impériale, et vous dites Comment rejetterais-je ces sales haillons ? on va vous introduire dans le palais du prince, et vous dites : Comment abandonnerais-je cette humble cabane ? Certes, nous sommes toujours nous-mêmes la cause et le principe de tous nos malheurs, parce que nous ne secouons jamais une coupable indolence. Car tous ceux qui l’ont réellement voulu y sont parvenus avec ferveur et facilité. Ah ! puissent mes paroles convaincre vos esprits, en sorte que votre conduite soit vraiment chrétienne, et que vous deveniez les imitateurs de ces premiers héros du christianisme, par la grâce et la miséricorde du Fils unique de Dieu, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.