‏ Acts 22

HOMÉLIE XLVI.

LE JOUR SUIVANT PAUL ENTRAIT AVEC NOUS CHEZ JACQUES ; TOUS LES PRÊTRES ÉTAIENT PRÉSENTS. LORSQU’IL LES EUT SALUÉS, IL LEUR RACONTA UNE A UNE LES CHOSES QUE DIEU AVAIT FAITES PARMI LES NATIONS PAR SON MINISTÈRE. (CHAP. 21,18, 19, JUSQU’AU VERSET 16. DU CHAP. XXII)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Paul visite les apôtres à Jérusalem. – Paroles de saint Jacques. – Les coutumes légales. – Paul s’y soumet. – Sédition des Juifs contre Paul. – Nécessité des imposteurs pour faire triompher la foi.
  • 3. un scandale. – Quand il faut l’éviter, ou ne pas s’en occuper.

1. Celui-ci était le frère du Seigneur et évêque de Jérusalem, homme grand et admirable. Paul va vers lui, comme auparavant on l’a envoyé vers lui. Écoutez comment : « Le jour suivant », dit l’auteur, « Paul entra chez Jacques avec nous ». Voyez comme Paul est ennemi dé la vaine gloire. « Tous les prêtres étaient présents. Lorsqu’il les eut salués, il leur raconta une à une les choses que Dieu avait faites parmi les nations par son ministère ». Il raconte de nouveau les choses qui ont rapport aux nations, non par vaine gloire, loin de là, mais pour montrer la clémence de Dieu et les remplir d’une grande joie. Remarquez comme les auditeurs glorifiaient Dieu. Ils ne glorifiaient pas Paul, et ne s’étonnaient pas de ce qu’il avait fait, mais ils glorifiaient Dieu ». Il racontait la chose de façon à lui attribuer la gloire. « Lorsqu’ils l’eurent entendu, ils glorifiaient Dieu, et lui dirent : Vous voyez, mon frère, combien de milliers de Juifs ont cru, et tous sont zélés pour la loi. Ils ont appris de vous que vous enseigniez l’éloignement de Moïse à tous les Juifs qui résident au milieu des nations, et que vous dites qu’il ne faut pas circoncire les enfants, ni suivre les coutumes (20) ». Voyez avec quelle grande modération ils parlent. Jacques parle, comme évêque, avec autorité ; on admet Paul à décider la question. Le discours de ces chrétiens est rempli de précautions bienveillantes, ils semblent dire : nous ne voulions point parler. Remarquez-vous l’importance de l’affaire ! « Vous voyez combien de milliers de Juifs ont cru ». Ils ne disent pas : combien de milliers de Juifs nous avons instruits ; mais : combien il y en a qui ont cru. Et ceux-ci sont tous zélés pour la loi », dit-il. Deux causes, la multitude et son sentiment. En effet, s’ils étaient peu nombreux, il faudrait les mépriser ; et il n’y aurait pas beaucoup à s’en occuper, si, étant nombreux, ils n’eussent pas gardé la loi. Il se présente une troisième cause : « Tous ont appris de vous », dit Jacques : « que vous enseignez l’éloignement de Moïse à tous les Juifs qui habitent a parmi les nations, et que vous dites qu’il ne a faut pas circoncire les enfants, ni suivre les coutumes ». Ensuite il ajoute : « Qu’en est-il donc ? La multitude va se réunir sans doute, car ils vont apprendre que vous êtes venu. Faites donc ce que nous vous disons ». Ils parlent ainsi pour lui donner un conseil et non pas un ordre. « Il y a parmi nous quatre hommes qui ont un vœu. Prenez ces hommes et purifiez-vous avec eux ; faites pour eux la dépense ; qu’ils se rasent la tête, et que tous sachent que ce qu’ils ont appris sur vous n’est rien, et que vous marchez en gardant la loi ». Ils lui conseillent de faire son apologie en actions et non en paroles. « Qu’ils se rasent la tête, et que tous sachent que ce qu’ils ont appris sur vous n’est rien ». Ils ne disent pas : Vous enseignez ; mais : « ils ont appris », signifiant par ce mot : ont été instruits ; « et que vous marchez », c’est-à-dire, que vous les observez vous-même amplement. On ne s’inquiétait pas seulement qu’il enseignait les coutumes aux autres, mais si lui-même les observait. Mais quoi, si les nations l’apprennent, ne se scandaliseront-elles pas ? Non, puisque nous, docteurs des Juifs, « nous leur avons envoyé dire ceci : mais touchant ceux qui a parmi les nations ont cru, nous avons écrit et décidé qu’ils n’aient point à observer rien a de semblable, si ce n’est qu’ils doivent s’abstenir de ce qui a été immolé aux idoles, du sang et de ce qui a été étouffé, et de la fornication ». Il parle ainsi en forme d’avertissement. Ce qu’il dit signifie : de même que nous l’avons réglé pour eux, quoique nous prêchions les Juifs ; ainsi vous, quoique vous prêchiez aux gentils, travaillez avec nous. Considérez Paul ; il ne dit pas : Je puis amener Timothée que j’ai circoncis, et je puis, par ce discours, les persuader certainement ; mais il leur obéit et fit tout ce qu’on lui conseillait ; et en effet, c’était le plus expédient. Ce n’était pas la même chose de faire son apologie en paroles, et de faire ces choses sans que personne ne sût rien. Payer pour eux n’était pas de nature à faire naître les soupçons. « Alors Paul ayant pris ces hommes, et, le jour suivant, s’étant purifié avec eux, il entra dans le temple en «, annonçant l’accomplissement des jours de la purification lorsqu’il offrirait l’oblation pour chacun d’eux (21, 26) ». « Annonçant », c’est-à-dire, déclarant : de sorte que c’était lui-même qui se faisait connaître, mais « lorsque les sept jours furent écoulés ».

2. Remarquez le temps qu’il donne à ces choses. « Les Juifs d’Asie ayant vu Paul dans le temple, soulevèrent la foule entière, et mirent la main sur lui en criant : Hommes d’Israël, aidez-nous : c’est là L’homme qui enceigne en tout lieu contre le peuple, contre la loi et contre ce lieu ; de plus il a introduit des gentils dans le temple et violé ce lieu saint ». Voyez leurs mœurs partout turbulentes : ils crient témérairement dans le temple. « En effet, ils avaient vu avec lui dans la ville Trophime d’Éphèse, qu’ils pensaient avoir été introduit dans le temple par Paul. La ville tout entière fut troublée, il se fit un rassemblement de peuple ; et s’étant saisis de Paul, et ils l’arrachèrent du temple, et aussitôt les portes furent fermées ». Les Juifs mettent ici en avant ce qui les tourmentait le plus : « le temple et la loi ». Paul, quoiqu’il souffrît de telles injures, n’accusa pas les apôtres d’être la cause de ce qui lui arrivait, tant il avait un grand cœur. « Et ils le poussaient hors du temple ; et les portes furent fermées ». Ils voulaient le tuer, et pour cela ils le tiraient hors du temple, pour commettre ce crime en toute liberté. « Comme ils cherchaient à le tuer, la nouvelle arriva au tribun de la cohorte, que Jérusalem tout entière était bouleversée. Celui-ci prit avec lui aussitôt des soldats et des centurions, et marcha contre eux. Voyant le tribun et les soldats, ils cessèrent de frapper Paul. Alors le tribun s’étant approché, s’empara de lui, ordonna de le lier avec deux chaînes ; et il demandait qui était cet homme, et ce qu’il avait fait. Ils criaient dans la foule, l’un ceci, l’autre cela ». Et pourquoi, puisqu’il venait l’interroger, ordonna-t-il de le lier avec deux chaînes ? Pour calmer la fureur du peuple. « Et comme, à cause du tumulte, il ne pouvait savoir la vérité, il ordonna de le conduire dans le camp. Lorsqu’il fut arrivé près des a degrés, il se trouva qu’il était porté par les soldats à cause de la violence du peuple : La foule suivait, en effet, en criant : Ôtez-le ». Que signifie : « Ôtez-le ? » C’était l’habitude des Juifs de parler ainsi contre ceux qu’ils condamnaient, comme ils le firent contre le Christ, lorsqu’ils crièrent : « Ôtez-le », c’est-à-dire : faites-le disparaître du nombre des vivants. D’autres disent que « Ôtez-le » signifie ce qui se dit parmi nous suivant la coutume romaine : « Jetez-le aux enseignes ». Et lorsque Paul allait entrer dans le camp, il dit au tribun : « s’il m’était permis de vous dire quelque chose ? » Porté sur les degrés, il demande à parler au tribun. Voyez avec quelle douceur : « S’il m’était permis de vous dire quelque chose ? » dit-il. « Celui-ci lui dit : Savez-vous le grec ? N’êtes-vous pas cet Égyptien qui, il y a quelques jours, a excité du tumulte, et a entraîné après lui au désert quatre mille sicaires ? » Cet Égyptien était un homme séditieux et novateur. Paul se lave de cette accusation, et, par ce qu’il dit, détruit ce soupçon.

Reprenons. « Il y a parmi nous quatre hommes qui ont un vœu ; prenez-les avec vous, et purifiez-vous avec eux ». Paul n’oppose rien à cela et se laisse persuader. D’où l’on voit clairement qu’il n’était pas obligé de suivre ce conseil, mais que ce fut prévoyance et indulgence de sa part. Cela n’était pas un empêchement à la prédication, puisque les apôtres eux-mêmes gouvernaient les Juifs suivant les coutumes légales. Quoique Paul tienne ici lui-même cette conduite, cependant plus tard il accuse Pierre ; mais ce n’était pas une accusation pure et simple. En effet, ce qu’il avait fait lui-même dans le cas présent, Pierre, dans l’occasion à laquelle je fais allusion, le fit en se taisant pour l’établissement de la doctrine véritable
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). Ils ne dirent pas : Il ne faut pas enseigner cela aux gentils ; n ##Rem : Il suffit que l’on ne le pêche pas ici ; mais ils disent : Il faut faire quelque chose de plus, les persuader que vous gardez la loi. Ce n’est là qu’une condescendance : ne craignez rien. Envoyez : les apôtres ne le persuadent point avant de lui avoir montré la prévoyance qu’il y a à agir de la sorte et le gain qu’on en peut retirer. Il était supportable d’agir de la sorte à Jérusalem. Faites cela ici, et hors de cette ville vous ferez autrement. « Alors Paul prit le lendemain ces hommes », dit l’auteur. Il ne différa pas, mais montra par l’action qu’il était persuadé. Il prend donc ceux avec qui il devait se purifier ; tant la prévoyance inspire de ferveur ! Et comment, direz-vous, les Juifs d’Asie le virent-ils dans le temple ? Il est vraisemblable qu’ils étaient venus passer quelques jours à Jérusalem. Voyez comment l’événement est préparé. En effet, après que les Juifs ont été persuadés, alors ils s’insurgent contre Paul ; et cela se passe ainsi pour que ces derniers ne s’insurgent pas en même temps contre lui. « Aidez-nous, hommes d’Israël », disent-ils. Comme si quelqu’un de difficile à saisir et à vaincre était tombé entre leurs mains. « Aidez-nous », disent-ils. « Cet homme est celui qui enseigne partout à tous », non seulement ici, mais partout. L’accusation tirée des circonstances présentes avait encore plus de gravité. « Il a même de plus profané le temple en y introduisant les gentils ». Cependant, au temps du Christ, les gentils montèrent au temple pour y adorer ; mais ils parlent de ceux qui étaient venus sans vouloir adorer. « Et s’étant emparés de Paul, ils le poussaient dehors ». Considérez qu’ils le chassent du temple ; ils se, passaient bien de lois et de tribunaux. C’est pourquoi ils le frappaient ; ainsi en tout, ils sont audacieux et pétulants. Mais lui ne se défendit pas alors, mais seulement plus tard ; avec raison, car alors ils ne l’auraient pas écouté Et pourquoi criaient-ils donc : « Ôtez-le ? » Ils craignaient qu’il ne s’enfuît. Mais voyez avec quelle modération Paul parle au tribun ! Que dit-il donc ? S’il m’était permis de vous – dire quelque chose n. Il était tellement humble qu’il parlait toujours avec modestie. « N’êtes-vous pas cet Égyptien ? »

3. Voyez la malignité : du démon. Cet homme était un imposteur et un magicien ; et le démon espérait, par son moyen, pouvoir jeter de l’ombre sur le Christ et les apôtres, et les faire passer pour les complices de ses crimes. Mais il ne put rien ; la vérité n’en éclata que mieux ; bien loin de souffrir des machinations du démon. S’il n’y eût pas eu d’imposteurs, le triomphe des apôtres eût peut-être provoqué quelques soupçons. Ce qui rend ce triomphe plus admirable, c’est qu’il s’est accompli malgré les imposteurs qui ont paru. Il n’est pas mis d’empêchement à l’apparition des imposteurs pour que les apôtres brillent davantage, ainsi que Paul dit ailleurs : « Afin que ceux qui ont été éprouvés soient distingués ». (1Co 11,19) Gamaliel disait quelque chose de semblable : « Il y a peu de temps s’est élevé Théodas ». (Act 5,36) Quant aux sicaires, les uns disent que c’étaient des voleurs, qu’on appelait ainsi à cause des épées qu’ils portaient, et qu’on appelait chez les Romains « sica », un poignard ; d’autres pensent que leur nom leur vient d’une secte juive.

Il y a en effet, chez les Juifs, trois sectes principales : les Pharisiens, les Saducéens et les Esséniens, qui sont aussi appelés les saints (car le nom Esséniens signifie cela), à cause de la pureté de leur vie. On les appelait aussi les sicaires, parce qu’ils étaient zélés. Ne nous affligeons donc pas qu’il y ait des hérésies, puisque de faux christs voulurent tendre des embûches au Christ, afin d’obscurcir sa gloire, avant et après l’événement dont nous nous occupons. Mais la vérité brille et resplendit partout. Il en arriva de même du temps des prophètes. Il y avait de faux prophètes, et les prophètes brillaient par la comparaison. En effet, la maladie fait briller la santé ; les ténèbres font remarquer la lumière ; la, tempête fait aimer le calme. Les païens ne peuvent pas dire que les apôtres furent des fourbes et des imposteurs, car les imposteurs furent convaincus. Cela arriva à Moïse. Dieu permit qu’il y eût des magiciens, afin que Moïse ne passât pas pour l’être ; il permit qu’ils montrassent jusqu’à quel point la magie peut faire illusion ; au-delà ils ne purent tromper, mais ils avouèrent leur défaite. Les imposteurs ne nuisent en rien ; bien plus, ils rendent meilleurs ceux qui sont attentifs. Comment donc, direz-vous, si nous partageons leur gloire ? Les imposteurs ne sont pas glorifiés parmi nous, mais seulement par ceux qui n’ont pas de discernement. Ne nous occupons pas de la clameur de la coule, n’y attachons pas plus d’importance qu’il ne faut. Vivons pour Dieu et non pour lés hommes ; vivons en citoyens du ciel et non de la terre ; là sont les prix et les récompenses de nos travaux, là nous recevrons des louanges, là nous recevrons des couronnes. Ne nous occupons des hommes qu’autant qu’il est nécessaire pour ne pas leur donner prise sur nous. Si, sans que nous y ayons donné lieu ils veulent nous accuser témérairement et au hasard, rions et ne pleurons pas. Faites le bien devant Dieu et devant les hommes ; si l’ennemi vous poursuit lorsque vous faites le bien, ne vous en occupez même pas. Vous avez des exemples dans les Écritures : « Est-ce que j’obéis aux hommes ou bien à Dieu ? »(Gal 1,10) dit Paul, et ailleurs : « Nous persuadons les hommes, mais Dieu nous connaît ». (2Co 5,11) Et le Christ disait de ceux qui se scandalisaient : « Laissez-les, ce sont des aveugles que conduisent des aveugles » (Mat 15,14) ; et ailleurs : « Malheur à vous lorsque tous les hommes diront du bien de vous » (Luc 6,26) ! et encore : « Que vos œuvres brillent de sorte qu’elles soient vues des hommes, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mat 5,16) Ne vous étonnez pas s’il dit ailleurs : « Si quelqu’un scandalise l’un de ces petits, il est bon pour lui qu’on lui attache la meule d’un âne au cou, et qu’on le précipite au fond de la mer ». Car ces paroles ne sont en rien contraires, elles s’accordent parfaitement. Si cela arrive parmi nous, malheur à nous ! si cela n’arrive pas parmi nous, il en est autrement. Et ailleurs Paul dit : « Malheur à vous, par qui le nom de Dieu est blasphémé ! » (Rom 2,24) Mais quoi ! si je fais ce qu’il faut faire et qu’un autre blasphème ? Ce n’est pas votre affaire, c’est la sienne ; car c’est lui qui blasphème. Mais comment se peut-il que l’on fasse ce que l’on doit et qu’on donne prise aux autres ? D’où voulez-vous que je tire des exemples ? du temps passé ou du temps d’aujourd’hui ? De peur de sembler amoureux de vaine gloire, voulez-vous que nous parlions de ce qui se présente aujourd’hui sous notre main ? Paul judaïsait à Jérusalem et non à Antioche. Il judaïsait et on se scandalisait ; mais les Juifs ne se scandalisaient pas avec raison. On dit qu’il salua l’échanson et la concubine de Néron. Combien eussent-ils dit de paroles contre lui à cause de cela, mais injustement ! S’il avait salué par libertinage ou pour quelque mauvaise cause, on eût parlé justement contre lui ; mais s’il a salué pour une bonne cause, pourquoi l’en blâmer ?

Je rapporterai quelque chose arrivé à l’un de mes amis. Dans un moment où Dieu faisait sentir sa colère, lorsqu’il était jeune, dans l’ordre des diacres, il se trouva que l’évêque était absent en ce moment, et qu’aucun des prêtres ne s’occupait d’instruire ; ils baptisaient à la hâte, en une seule nuit, une foule immense de plusieurs milliers de personnes, et tous étaient simplement baptisés sans être instruits. Ce jeune homme, prenant alors en particulier cent et deux cents personnes, leur parlait, et ne leur enseignait rien autre chose que les mystères, de sorte qu’il ne laissait approcher que des initiés. Beaucoup crurent qu’il ne faisait cela que parce qu’il désirait le commandement. Mais il ne prit pas garde à ce qu’ils pensaient ; il ne continua pas cependant ; il cessa immédiatement. Quoi donc ? Celui-ci fut-il une cause de scandale ? Je ne le pense pas ; en effet, s’il avait agi sans aucun motif, on eût pu lui faire à bon droit des reproches, et aussi s’il avait continué. Lorsque l’on est empêché par le scandale d’autrui de faire ce qui plaît à Dieu, on n’en doit faire aucun cas ; mais il faut y faire attention, lorsque nous le pouvons sans offenser Dieu. Lorsque nous parlons, et raillons les ivrognes, si quelqu’un se scandalise, faudra-t-il, dites-moi, cesser notre discours ? Écoutez le Christ : « Voulez-vous aussi », dit-il, « vous en aller ? » (Jn 6,68) Ainsi on ne doit ni prendre trop de souci de la faiblesse de la multitude, ni la mépriser trop. Ne voyons-nous, pas les médecins agir ainsi ? Lorsque cela se peut, ils sont prêts à satisfaire aux désirs de leurs malades ; si, au contraire, leur condescendance peut porter préjudice aux malades, ils n’accèdent plus à ce qu’ils désirent ? En tout il faut observer la mesure convenable.

Plusieurs personnes poursuivaient d’injures une belle jeune fille à cause de son assiduité à l’instruction ; ils l’assaillaient et injuriaient même ceux qui l’instruisaient. Mais, quoi ? Fallait-il que ses maîtres cessassent à cause de cela ? En aucune façon ; car ils ne faisaient rien de contraire à la volonté de Dieu, mais bien au contraire, une œuvre très-agréable à Dieu. Ne considérons donc pas si quelques-uns se scandalisent, mais bien s’ils le font justement et si ce n’est pas pour nous perdre. « Si ce que je mange scandalise un frère », dit Paul, « je ne mangerai plutôt jamais de chair ». (1Co 8,13) Il dit cela à bon droit, car ce n’était pas une chose nuisible de n’en pas manger ; si toutefois quelqu’un se scandalise de ce que je veux renoncer, il ne faut plus faire attention à son scandale ? Mais qui, direz-vous, peut se scandaliser de cela ? Beaucoup, je le sais. Lors donc que la chose qui fait scandale est indifférente, abstenons-nous-en ; si nous voulons nous placer à ce point de vue, il faudra s’abstenir de beaucoup de choses ; au contraire, si nous ne donnons aucune attention au scandale, beaucoup périront par notre faute. Paul s’est précautionné contré le scandale en disant : « De peur que personne ne puisse rien nous reprocher sur le sujet de cette aumône abondante dont nous sommes les dispensateurs ». (2Co 8,20) Ce n’était pas une close nuisible de détruire le soupçon. Lorsque nous sommes dans une telle nécessité, qu’à cause du scandale que l’on voudrait éviter, il peut arriver de grands maux, ne nous occupons point de ce scandale. C’est celui qui se scandalise qui est à soi-même la cause de scandale, mais nous ne sommes plus responsables ; on ne peut sans danger lui céder. Beaucoup se sont offensés de ce que quelques fidèles couchaient dans les temples, comme si on ne devait pas y coucher ; mais c’est à – tort. Il n’y a aucun mal à cela. On s’offensait de ce que Pierre mangeait avec les gentils ; mais il s’en abstint : Paul ne fit pas de même. Partout il convient, en suivant les lois de Dieu, de veiller avec grand soin à ne pas fournir occasion au scandale, afin de se conserver innocent ; afin aussi de mériter la miséricorde de Dieu, par la grâce et la charité du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLVII.

PAUL DIT : « JE SUIS JUIF, NATIF DE TARSE EN CILICIE, CITOYEN DE CETTE VILLE. JE VOUS EN PRIE, PERMETTEZ-MOI DE PARLER AU PEUPLE ». LE TRIBUN LE LUI AYANT PERMIS, PAUL, SE TENANT DEBOUT SUR LES DEGRÉS, FIT SIGNE DE LA MAIN AU PEUPLE. UN GRAND SILENCE S’ÉTANT FAIT, IL PARLA EN HÉBREU, DISANT… (CHAP. 21, VERS. 39 ET 40, JUSQU’AU VERS. 16 DU CHAP. XXII)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Discours de saint Paul au peuple juif. – Habileté chrétienne de ce discours – Commentaire sur la conversion de saint Paul. – Il faut faire accorder sa croyance et sa conduite. – N’écoutons pas nos passions.
  • 3 et 4. Que le témoignage que nous rendons à la foi s’accorde avec notre fidélité à la pratique des vertus. – Force de persuasion d’une bonne vie. – Maux produits par une vie mauvaise. – Punition de la mauvaise vie.

1. Remarquez que Paul, quand il parle à ceux qui sont en dehors de la foi, ne refuse pas d’user du secours des lois. Dans ce moment, il rappelle le tribun au respect, en nommant sa cité. C’est ainsi qu’il disait autrefois : « Après nous avoir battus de verges, sans connaissance de cause, nous qui sommes « citoyens romains, ils nous ont mis en prison ». (Act 16,37) Le tribun lui ayant demandé : « N’êtes-vous pas cet Égyptien », Paul répond ; « Je suis Juif ». En parlant ainsi il fait cesser les soupçons du tribun. Ensuite, pour qu’on ne le croie pas Juif de naissance, il dit sa religion, ailleurs il dit qu’il vit sous la loi du Christ. Qu’est-ce que cela ? Paul ment-il donc ? Loin de là. Quoi donc ? N’a-t-il pas nié ? Il n’en saurait être ainsi. Il était Juif et chrétien, observant ce qu’il fallait, puisqu’il obéissait à la loi plus que tout le monde, en croyant au Christ ; en parlant à Pierre, il dit : « Nous sommes Juifs de race ». (Gal 2,15) – Je vous en prie, permettez-moi de parler « au peuple ». Et c’est là un signe qu’il ne ment pas, puisqu’il les prend tous à témoin. Remarquez de nouveau comme il parle avec douceur. Et c’est 1à une nouvelle et forte preuve de son innocence, qu’il soit ainsi prêt à rendre compte de ses actes, et qu’il veuille répondre, en présence du peuple.

Considérez cet homme tout préparé, voyez l’action de la Providence. Si le tribun n’était venu, s’il ne l’avait enchaîné, il n’eût pas eu l’occasion de faire un discours pour sa défense, il n’eût pas obtenu un si grand silence. « Le tribun le lui ayant permis, Paul se tenait sur les degrés ». L’endroit où il était placé lui donnait une plus grande facilité à cause de l’élévation des degrés et des chaînes dont il était attaché. Quel spectacle plus beau à voir que celui de Paul parlant au peuple, les mains liées par une double chaîne ? Comment ne se trouble-t-il pas, comment n’est-il pas confondu à la vue d’une foule si nombreuse exaspérée contre lui, et en présence du chef des soldats ? D’abord il calme leur fureur, puis il discute. Voyez avec quelle prudence. En effet, ce qu’il fait dans son épître aux Hébreux, il le fait là aussi : Tout d’abord, il les apprivoise par l’usage de leur langue, ensuite par sa douceur. C’est pour cela que l’auteur continue : « Il se fit un grand silence : et leur parlant en hébreu, il dit : Hommes mes frères et mes pères, entendez mon apologie que je vous adresse ». Remarquez ce discours d’où toute flatterie est bannie, et si plein de douceur ; Il ne dit pas : maîtres ou seigneurs, mais « Frères » ; ce qu’ils aimaient le plus, comme s’il leur disait : Je ne vous suis pas étranger, je ne suis pas contre vous. « Hommes mes frères et mes pères », dit-il. Ce second mot est un titre d’honneur ; le premier, l’expression de la fraternité. « Écoutez mon apologie que je vous adresse ». Il ne dit pas l’enseignement, ni la harangue, mais l’Apologie » ; il se pose lui-même comme un suppliant. « Entendant qu’il parlait hébreu, ils firent un plus grand silence, ». Ne voyez-vous, pas comme il s’empare d’eux par leur propre langue pour laquelle ils avaient une sorte de vénération ? Voyez comme il continue son discours ainsi commencé, en disant : « Je suis Juif, né à Tarse de Cilicie, mais élevé dans cette ville, aux pieds de Gamaliel, instruit suivant la vérité de la loi paternelle, serviteur zélé de Dieu, comme vous l’êtes aujourd’hui ». – « Je suis », leur dit-il, « Juif », ce qu’ils aimaient le plus à entendre, « né à Tarse de Cilicie ». Pour qu’ils n’aillent pas se figurer une nation étrangère, il ajoute sa religion : « mais élevé dans cette ville ».

Il montre son grand zèle pour le culte, puisqu’il avait quitté sa patrie, ville célèbre et si éloignée, et avait voulu être élevé à. Jérusalem pour s’instruire dans la loi. Voyez quel respect il avait autrefois pour la loi. Il ne parle pas ainsi, seulement pour se défendre, mais pour montrer que ce n’est pas dans un but humain qu’il a été conduit à la prédication, mais parla puissance divine ; autrement il n’aurait pas été ainsi instruit tout d’un coup. S’il eût fait partie du commun des hommes, on eût pu faire cette supposition ; si, contraire, il était du nombre de ceux qui étaient le plus attachés à 1a loi, il n’était pas vraisemblable qu’il eût changé d’avis au hasard, et sans l’impulsion d’une urgente nécessité. Mais peut-être quelqu’un dira-t-il : Qu’il eût été élevé à Jérusalem, cela importe peu ; qu’est-ce que cela signifie en effet, si pour quelque intérêt ou pour toute autre cause vous êtes venu ici ? Pour qu’on ne pense pas ainsi, il ajoute « aux pieds de Gamaliel » : et il ne dit pas simplement auprès de Gamaliel, mais « aux pieds de Gamaliel ». Montrant par là sa persévérance, son assiduité, son ardeur pour apprendre et son profond respect pour cet homme. « Instruit suivant la vérité de la loi paternelle » ; il ne dit pas simplement de la loi, mais « de la loi paternelle. », pour montrer qu’autrefois il était observateur de la loi, et qu’il ne la connaissait pas simplement. Il semble dire ces choses pour eux, mais c’est contre eux qu’il parle, puisqu’il a abandonné cette loi qu’il connaissait si bien. Ensuite, de peur qu’on ne lui fasse cette nouvelle objection : Pourquoi donc, si vous connaissez complètement la loi, ne la défendez-vous pas et ne l’aimez-vous pas ? Il ajoute : « Zélé pour la « pratique de la loi », c’est-à-dire : non seulement je la connaissais, mais j’étais fort zélé pour elle. Et après qu’il a parlé de lui-même avec tant d’éloges, il dit : « Comme vous l’êtes tous aujourd’hui ». Il les montre par là agissant, non par des raisons humaines, mais par zèle pour Dieu. Il parle ainsi pour capter leurs bonnes grâces, s’emparer de leurs esprits, et les retenir par des moyens légitimes ; voici des preuves : « Moi qui ai persécuté cette voie jusqu’à la mort, enchaînant et emprisonnant les hommes et les femmes, ainsi que le grand prêtre et les anciens m’en rendent témoignage ». Afin, d’empêcher, de dire : Et la preuve ? Il apporte le témoignage du grand prêtre et du conseil des anciens. Il dit pour les adoucir : « Zélé dans la pratique de la loi comme vous » ; c’est-à-dire, autant que vous, et par ses œuvres il leur montre qu’il l’était plus qu’eux. En effet, certes, je ne perdais pas de temps pour les saisir ; mais de plus je pressais les prêtres, j’entreprenais, des voyages, je n’attaquais pas seulement les hommes comme vous, mais encore les femmes, et je les emprisonnais tous, et je les jetais dans les cachots. Ce témoignage est indubitable, les accusations des Juifs sont insoutenables. Voyez combien il cite de témoins : les anciens, le grand prêtre, les habitants de la cité.

2. Remarquez que sa défense n’est pas marquée au cachet de – l’a crainte, mais plutôt de l’enseignement et de la – doctrine. Si les auditeurs n’eussent été des pierres, ils auraient fait attention à ses paroles. Jusqu’ici il a eu les Juifs pour témoins ; ce qui suit s’était fait sans témoins. « De qui, ayant reçu des lettres, j’allais vers les frères à Damas pour emmener enchaînés ceux qui demeuraient en cette ville, et les conduire à Jérusalem afin qu’on les punît. Il arriva que lorsque j’étais en route et proche de Damas, vers le midi tout à coup une grande lumière venue du ciel m’enveloppa, je tombai par terre et j’entendis une voix qui me disait : Saul, Saul, « pourquoi me persécutes-tu ? Je répondis : Qui êtes-vous, Seigneur ? Et il me dit : Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes » (Chap 22,1-8) Ces paroles étaient dignes de foi, la conversion de Paul inexplicable autrement, devait leur mériter créance. Qu’est-ce que cela prouve, dira-t-on, s’il se vante ? Il ne se vante nullement. Pourquoi, dites-moi, se serait-il tout d’un coup enflammé d’un tel zèle ? Parce qu’il recherchait les honneurs ? Or il a enduré les outrages. Il recherchait le repos ? Cela non plus ; quelqu’autre chose ? La pensée ne peut rien"découvrir. Paul leur laisse ces conclusions à tirer, il raconte les choses, et leur dit : « J’étais proche de Damas, vers a midi tout à coup une grande lumière venue du ciel m’enveloppa, je tombai par « terre ». Ceux qui m’accompagnaient, qui m’ont conduit par la main, qui ont vu la lumière, me sont témoins que je ne me vante point. « Ceux qui étaient avec moi virent la lumière ; et furent épouvantés ; mais ils n’entendirent pas là voix de celui qui me parlait ». Ne vous étonnez pas s’il parle ainsi en cet endroit, et si, ailleurs, il est dit d’une autre manière : « Ils, restèrent debout entendant la voix, mais ne voyant personne ». (Act 9,7) Il n’y a pas contradiction. En effet il y avait deux voix : la voix de Paul, et celle du Seigneur ! Dans le dernier passage, la voix dont parle Paul est la sienne. Mais dans celui qui nous occupe, Paul ajoute : « Ils n’entendirent pas la voix de celui qui me parlait ! » Donc ce mot ne voyant personne », ne s’applique pas à la vision, mais signifie qu’ils n’entendirent pas. En effet ; Paul ne dit pas qu’ils ne virent pas la lumière ; mais : « Ne voyant personne, ils restèrent immobiles » c’est-à-dire, né voyant pas la personne qui me parlait. Il convenait que ce fait se passât ainsi, car il fallait que Paul fût seul jugé digne de cette voix. Si ceux qui accompagnaient Paul eussent entendu la voix, le prodige n’eût pas été aussi grand. Comme c’étaient des hommes grossiers, la vision était plus propre à les persuader ; c’est pour cela qu’ils virent seulement la lumière, ce qui suffisait pour les persuader, et qui les épouvanta. D’ailleurs la lumière n’agit pas autant sur eux que sur Paul : La lumière en effet aveugla Paul, et, par ce qui lui arrivait, fournit à ses compagnons le moyen de voir, s’ils le voulaient. Il me semble que ce fut par une disposition de la Providence que ces hommes, ne crurent pas, pour qu’ils fussent des témoins dignes de foi. « Il me dit », rapporte Paul : « Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes ». La ville est à propos nommée, pour qu’ils le reconnaissent. Et les apôtres disaient de même : « Jésus de Nazareth ». Voyez : le Christ lui-même témoignait qu’il était persécuté. « Ceux qui étaient avec moi virent la lumière et furent épouvantés ; mais ils n’entendirent pas la voix de celui qui me parlait. Je dis : Que ferai-je, Seigneur ? Le Seigneur me dit : Lève-toi, va à Damas, et là on te dira ce qu’il faut que tu fasses. Et comme je ne voyais pas, à cause de la splendeur de cette lumière, conduit par la main de mes compagnons, j’allai à Damas ; mais Ananie, homme pieux suivant la loi, ayant le témoignage de tous les Juifs qui sont a Damas ; vint vers moi, et se tenant auprès de moi, me dit : Saul, mon frère, voyez. Et à l’heure même, je le regardai. Entrez, dit le Christ, dans la ville, et là on vous dira ce que vous devez faire ». Voici un nouveau témoin ; et voyez comme il le montre digne de foi. « Un certain Ananias, homme pieux suivant la loi, ayant le témoignage de tous les Juifs, qui sont à Damas ; étant venu vers moi, et s’étant tenir auprès de moi, me dit : « Voyez ». Ainsi, rien n’était étranger. « Et à la même heure, je le regardai ». C’est là le témoignage par les faits. Voyez comme il est mélangé de personnages amis et étrangers. Les personnages, ce sont les prêtres, les anciens, les compagnons de route de Paul ; les événements, ce sont ce qu’il fait, ce qu’il souffre ; les faits servent de témoins aux faits, et non pas seulement les personnes ; ou bien encore d’une autre manière : Ananie était étranger. Ensuite, l’événement lui-même, c’est-à-dire, Paul recouvre la vue ; puis une grande prophétie : « Ananie dit : Le Dieu de nos Pères a étendu sa main sur vous par avance ; pour que vous connaissiez sa volonté et voyiez ce qui est juste ». Il dit à propos de nos pères », pour montrer qu’ils ne sont pas Juifs, mais étrangers à la loi ; et qu’ils agissent par envie ; et non par zèle. « Pour que vous connaissiez sa volonté et voyiez ce qui est juste ». Donc, c’est là sa volonté. Voyez comme la doctrine est expliquée par l’ordre de la narration. « Et que a vous entendiez la voix de sa bouche, parce d que vous serez son témoin auprès de tous les hommes de ce que vous avez vu et entendu. – Et pour que vous voyiez ce qui est juste », dit Ananie ; ce qui revient à dire : Si donc vous êtes juste, les Juifs sont coupables. « Et pour que vous entendiez la voix de sa bouche ». Voyez comme il développe la chose : « Parce que », dit-il, « vous serez son témoin ». Ainsi donc, à cause de cela, vous ne trahirez pas la vue et l’audition de ce que vous avez vu et entendu ; il le rend fidèle par ses deux sens qui ont été frappés. « Et maintenant qu’attendez-vous ? Levez-vous et soyez baptisé ; purifiez-vous de vos péchés, après avoir invoqué son nom (9-16) ».

3. Ananie, en cet endroit, prononça une grande parole ; car il ne dit pas : Soyez baptisé en son nom, mais bien « après avoir invoqué le nom du Christ. » C’était proclamer le Christ Dieu, car il n’est pas permis d’invoquer quelqu’autre que Dieu. Paul montre ensuite qu’il n’a point été contraint, car il dit : « Le Seigneur me dit : Va à Damas, et là on te dira ce qu’il te faut faire ». Rien qui n’ait son témoignage, mais il produit ici le témoignage de cette ville entière qui l’a vu conduit par la main. Remarquez aussi la, prophétie qu’il entend, dans laquelle on lui déclare qu’il sera le témoin du Seigneur. En effet, il a été le témoin du Seigneur ; et le témoin tel qu’il convenait qu’il fût, et par ses œuvres, et par ses paroles. Soyons nous-mêmes des témoins tels que lui, et ne trahissons pas nos croyances, non seulement dogmatiques, mais morales. Voyez donc : ce qu’il a vu et entendu, Paul en a rendu témoignage à tous les hommes, et rien n’a pu l’arrêter. Nous aussi, nous avons appris qu’il y aura une résurrection et mille biens ; donc, nous devons en rendre témoignage à tous les hommes ; mais nous rendons témoignage, direz-vous, et nous croyons : Comment cela, lorsque vous faites tout le contraire ? Mais, dites-moi, le vous prie : Si quelqu’un se disait chrétien, et ensuite, comme un apostat, s’adonnait au judaïsme, est-ce que ce témoignage serait suffisant ? En aucune façon, parce qu’on rechercherait le témoignage de ses, actions. Ainsi de nous, si nous disons qu’il y aura une résurrection, qu’il y aura des biens sans nombre, et qu’ensuite nous les dédaignions et nous attachions aux choses d’ici-bas, qui nous croira ? Tous, en effet, ne font attention qu’à ce que nous faisons et non à ce que nous disons. « Vous serez témoin devant tous les hommes », non seulement devant vos proches, mais aussi au milieu des infidèles. Les témoins, en effet, sont ceux qui persuadent ceux qui ne savent pas, et non ceux qui savent, Soyons des témoins dignes de foi. Mais comment serons-nous dignes de foi ? Par notre vie. Les Juifs s’insurgeaient contre Paul : Les passions s’insurgent contre nous pour nous pousser à renier notre témoignage. Mais ne leur cédons pas ; mous sommes des témoins envoyés par Dieu. Il y a des hommes qui jugent que Dieu n’est pas Dieu ; il nous a envoyés pour lui rendre témoignage. Rendons témoignage et Persuadons ceux qui nous contestent, car, si nous ne rendons pas témoignage, nous serons cause de leur erreur. Si, dans un tribunal où se traitent les affaires terrestres, on ne recevrait pas un témoin chargé de mille crimes, bien moins encore en ce cas où de si grandes choses sont l’objet de l’enquête. Nous disons, nous, que nous avons reçu renseignement du Christ, et que nous croyons à ce qu’il a enseigné ; ils nous disent, eux : Montrez-nous cela par vos actes. Votre vie, en effet, nous témoigne tout lé contraire, c’est-à-dire, que vous ne croyez pas.

Voulez-vous que nous examinions les avares, les voleurs, les gens qui amassent des richesses ; ceux qui pleurent, qui gémissent, qui bâtissent, qui s’occupent de toutes sortes d’affaires, comme s’ils ne devaient pas mourir ? Si vous ne croyez pas que vous deviez mourir, quoique la chose soit tellement certaine et évidente, comment croirons-nous à votre témoignage ? Il y a, en effet, beaucoup d’hommes qui vivent de telle sorte, qu’ils semblent ne pas croire qu’ils doivent mourir. Lorsque, dans une vieillesse avancée, ils commencent à bâtir, à cultiver leurs terres, quand donc penseront-ils à la mort ? Notre punition sera grave, si, appelés en témoignage, nous ne pouvons attester ce que nous voyons. Nous avons vu de nos yeux les anges, et plus clairement que ceux qui les ont vu de leurs yeux. Rendons donc témoignage au Christ, car les apôtres ne sont pas seuls ses témoins, mais nous le sommes aussi. Les apôtres ont été appelés témoins (martyrs) parce que, sommés d’abjurer, ils souffrirent tout pour, dire la vérité ; et nous, lorsque nos passions nous somment d’abjurer nos devoirs, ne succombons pas. L’or dit : Dis que le Christ n’est pas le Christ : Ne l’écoutez pas comme un Dieu, mais méprisez ses insinuations. Les convoitises mauvaises disent la même chose : mais vous, ne vous laissez pas persuader, tenez bon pour qu’on ne dise pas de nous : « Ils confessent de « bouche qu’ils connaissent Dieu, et le nient par leurs actes ». (Tit 1,16) Ce n’est pas là l’œuvre de témoins, c’est tout le contraire. Que les autres nient Dieu, il n’y a rien là d’étonnant ; mais que nous, appelés à être ses témoins, devenions des renégats, cela est pénible et accablant, cela surtout nuit à la religion. « Il viendra en témoignage pour eux » (Luc 21,1.3) ; mais si nous ne bronchons pas et sommes stables dans la foi. Si nous voulions tous rendre témoignage au Christ, bientôt nous aurions persuadé beaucoup, de gentils.

La vie est une grande chose, mes bien-aimés. Un homme, quelque sauvage qu’il soit, pourra condamner nos principes, mais il les admettra en secret, il les trouvera louables et les admirera. Et par quel moyen rendra-t-on sa vie la meilleure possible ? direz-vous. Par nul autre moyen qu’en agissant suivant l’impulsion de Dieu : Mais, quoi ! n’y a-t-il pas des gentils qui sont aussi vertueux ? Ces gentils, quand ils sont tels, le sont ou par nature ou par vaine gloire. Voulez-vous savoir quelle est la splendeur d’une bonne vie, et quelle force de persuasion elle possède ? Si beaucoup d’hérétiques ont eu des succès malgré la corruption de leurs dogmes, ils ne les ont obtenus que parce que beaucoup de personnes ; par respect pour la pureté de leur vie, n’examinèrent même pas leur doctrine ; d’autres, qui les désapprouvaient dans leur doctrine, les respectaient à cause de leur bonne vie. Ce n’était pas juste, sans doute ; mais cependant c’est ce qui est arrivé. C’est là ce qui a diminué la vénération pour notre foi ; tout est détruit et renversé, si l’on n’a pas une vie réglée ; la foi elle-même est pervertie par là. Nous disons que le Christ est Dieu, nous proférons mille autres choses, celle-ci entre autres, qu’il a ordonné à tous de bien vivre ; mais on ne voit la pratique de ce précepte que chez un petit nombre. Le dérèglement de la vie affaiblit le dogme de la résurrection, de l’immortalité de l’âme et du jugement, et il entraîne après lui beaucoup d’autres maux, tels que la croyance au destin, à la fatalité, et la négation de la Providence. L’âme, plongée dans des maux sans nombre, cherche à se consoler de cette façon pour ne pas s’attrister de la pensée qu’il doit y avoir un jugement, et que les principes de la vertu et de la malice sont en nous.

Une telle vie est la source de mille maux ; elle rend les hommes semblables à des bêtes sauvages, et même plus déraisonnables qu’elles ; car ce qui se trouve dans toutes les natures des bêtes sauvages, souvent se rencontre dans un seul homme, et détruit tout en lui : C’est pour cela que le démon a inventé l’erreur de la fatalité ; c’est pour cela qu’il a dit qu’aucune providence ne gouvernait le monde ; pour cela qu’il a imaginé de dire qu’il y avait de bonnes et de mauvaises natures, qu’il suppose le mal sans commencement et matériel ; c’est pour cela enfin qu’il fait tout pour corrompre notre vie. En effet, il n’est pas possible que celui qui mène une telle vie ne soit pas entraîné par les dogmes corrompus, et persévère dans la saine croyance ; ruais de toute nécessité il devra embrasser la mauvaise doctrine. Je ne pense pas, en effet, que l’on puisse parfaitement trouver, parmi ceux qui ne mènent pas une vie droite, quelqu’un qui ne médite mille choses sataniques ; par exemple, que tout marche au hasard et pêle-mêle dans le monde. Ayons soin de bien régler notre vie, je vous en conjure, pour ne point nous laisser aller aux mauvaises doctrines. Caïn eut pour châtiment de gémir et de trembler. Tels sont les méchants : ils ont tellement conscience de leurs maux sans l’ombre que souvent ils se réveillent en sursaut ; leurs pensées sont troublées, leurs yeux égarés ; tout fait naître en eux le soupçon, le doute est partout, leur âme est remplie d’une terreur mêlée d’une attente accablante, elle est bouleversée et rendue par la frayeur incapable d’agir. Rien de plus dissolu que cette âme, rien de plus insensé qu’elle. De même que les fous ne s’arrêtent à rien, de même elle est mobile dans ses pensées ; comment s’apercevrait-elle de son aveuglement, elle qui ne peut qu’à grand-peine, au sein de la paix et de la sérénité, découvrir sa propre noblesse originelle ? Lorsque tout est pour elle objet de trouble et de crainte, songes, paroles, figures, soupçons téméraires,-comment pourrait-elle se contempler elle-même, troublée et agitée ainsi ? Délivrons cette âme de ses craintes, brisons ses chaînes, quand bien même il n’y aurait pas de châtiment futur ; quel châtiment plus dur y aurait-il, que de vivre toujours dans la crainte, de n’avoir jamais confiance en qui que ce soit, et de n’être jamais en repos ? Sachant pleinement toutes ces choses, conservons-nous dans la tranquillité, cultivons la vertu, et nous pourrons obtenir les biens promis à ceux qui aiment, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, louange, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLVIII.

ÉTANT REVENU A JÉRUSALEM, PENDANT QUE JE PRIAIS DANS LE TEMPLE, IL ARRIVA QUE J’EUS UNE EXTASE, ET JE VIS JÉSUS QUI ME DISAIT : « HÂTE-TOI, SORS PROMPTEMENT DE JÉRUSALEM, CAR ILS NE RECEVRONT PAS TON TÉMOIGNAGE SUR MOI », ET JE DIS : « SEIGNEUR, ILS SAVENT EUX-MÊMES QUE C’ÉTAIT MOI QUI METTAIS EN PRISON ET QUI FAISAIS FOUETTER DANS LES SYNAGOGUES CEUX QUI CROYAIENT EN VOUS, ET QUE, LORSQU’ON RÉPANDAIT LE SANG D’ÉTIENNE, VOTRE TÉMOIN, J’ÉTAIS PRÉSENT, ET QUE J’ÉTAIS CONSENTANT A SA MORT, ET QUE JE GARDAIS LES VÊTEMENTS DE CEUX QUI LE METTAIENT A MORT. » (CHAP. 22,17-20)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Suite du discours de saint Paul aux Juifs. – Commentaire. – Injustice du tribun. – Paul dit : Je suis citoyen romain. – Fermeté de saint Paul. – Saint Paul devant le Sanhédrin. – Conduite du grand-prêtre. – Respect de saint Paul pour la Loi.
  • 3. Exhortation. – Qu’il faut discerner avec soin : les vices et les vertus. – La magnanimité, l’économie, la prodigalité, l’avarice. – La mansuétude et la mollesse ; ta liberté de parole et l’audace.

1. Voyez comme il se précipite dans le danger ; car il dit ensuite : « Lorsque je revins à Jérusalem » ; c’est-à-dire, après la vision de la route de Damas, je vins de nouveau à Jérusalem. « Pendant que je priais dans le temple, il arriva que j’eus une extase, et je vis Jésus qui me disait : Hâte-toi, sors promptement, car ils ne recevront pas ton témoignage sur moi ». Cela encore n’est point sans témoignage, le témoignage se lire de l’événement. Le Christ avait dit : « Ils ne recevront pas ton témoignage », et ils ne, le reçurent pas. Et certes, par le raisonnement,.on pouvait supposer qu’ils recevraient le témoignage de Paul. « Car c’était moi qui emprisonnais et qui faisais fouetter », dit-il. Donc ils devaient recevoir son témoignage, mais cependant ils ne le reçurent pas. C’est pour cela qu’il apprend dans l’extase que son témoignage ne sera pas admis. Paul prouve deux choses en cet endroit : d’abord que les Juifs n’étaient pas excusables, puisqu’ils le persécutaient contre toute raison et toute vraisemblance ; en second lieu, il démontre que le Christ est Dieu, lui qui prédit ce qui est contraire à toute attente, et qui voit ; non seulement ce qui se faisait alors,.mais qui prévoit ce qui doit arriver. Comment donc le Christ dit-il : « Il portera mon nom devant les nations, les rois et les fils d’Israël. « Il portera », dit-il, et non pas il persuadera. D’ailleurs, dans d’autres endroits, les Juifs étaient persuadés, mais non à Jérusalem. C’était là surtout qu’ils auraient dû croire, puisque tous avaient connu l’ancien zèle de l’apôtre ; et, au contraire, c’est là surtout qu’ils sont incrédules. « Et lorsque l’on versait le sang d’Étienne votre témoin, j’étais présent, et consentais à sa, mort ». Voyez où le discours aboutit de nouveau, et quelle puissante preuve Paul fournit. Il montre qu’il était persécuteur, et non seulement persécuteur, mais qu’il frappait Étienne par mille mains. Il leur rappelle ce grand meurtre. Ils ne purent souffrir qu’il les confondît ainsi ; et la prophétie du Christ était accomplie. Le zèle de Paul était grand, son accusation était terrible ; et les témoins de la vérité du Christ parlaient librement. Les Juifs ne voulurent pas entendre le reste du discours, mais, enflammés de fureur, ils poussèrent des clameurs. « Et il me dit : Va, parce que je t’enverrai vers les nations éloignées. Les Juifs l’écoutaient jusque-là, et ils élevèrent, la voix en disant. : Ôtez de la terre un tel homme, car il ne se peut qu’il vive. Comme ils poussaient des clameurs, jetaient leurs vêtements, et lançaient de la poussière en, l’air, le tribun ordonna de le conduire dans le camp, disant de lui donner la question par les fouets, afin d’apprendre pour quelle cause ils criaient ainsi contre lui (21-24) ». Lorsque le tribun eût dû examiner si les choses étaient ainsi, et interroger les accusateurs, il ne fait rien de tout cela, il ordonne de le flageller. « En effet », dit l’auteur, « le tribun ordonna de le conduire dans le camp et de, le flageller, afin de connaître la cause pour laquelle ils criaient ainsi contre lui ». Il fallait apprendre cette cause de ceux qui criaient, et leur demander s’ils avaient à lui reprocher quelque chose pour ses paroles ; mais le tribun usé témérairement de son pouvoir, et agit de façon à leur faire plaisir ; il ne s’inquiétait pas d’agir avec justice, mais d’apaiser leur injuste fureur. « Comme on le conduisait aux lanières, Paul dit au centurion qui était présent : Vous est-il permis de flageller un citoyen romain et qui, n’est pas condamné ? »

Paul ne mentit pas, loin de là, en disant qu’il était Romain ; il était en effet Romain ; aussi le tribun, en l’apprenant, eut peur. Et pourquoi craignit-il, dira-t-on ? Il craignait d’être lui-même saisi et de se voir infliger un grand châtiment. Remarquez que, Paul ne, parle pas au hasard ; mais il dit : « Vous est-il permis?. » C’est en effet une double accusation : accusation, de punir sans cause, et de punir un citoyen romain. Ceux qui étaient honorés de ce titre avaient de grands privilèges, et ce privilège n’appartenait pas à tout le, monde. En effet, depuis Adrien seulement, dit-on ; tous furent appelés Romains ; mais anciennement, il n’en était pas ainsi. C’est pour s’exempter du supplice qu’il fait valoir son titre de Romain, car s’il eût été flagellé, il eût été par là rendu méprisable ; mais, parce seul mot, il les remplissait d’une grande frayeur. S’ils l’eussent flagellé, ils eussent bouleversé tout, ou bien ils l’auraient mis à mort ; mais il n’en arriva pas ainsi. Voyez comme Dieu permet, dans ce cas et dans d’autres, que les choses arrivent humainement. Le tribun répondit : « J’ai acquis ce droit de cité avec beaucoup d’argent ». Il voulait dire par là qu’il soupçonnait Paul ; disant qu’il était Romain, d’user d’une feinte, et sans doute cette pensée lui vint de la mince apparence de Paul.

« Le centurion, après l’avoir entendu, alla dire au tribun : Voyez ce que vous allez faire, à cet homme est citoyen romain. Alors le tribun, venant vers Paul, lui dit : Dites-moi, êtes-vous Romain ? Paul lui dit : Certainement : Le tribun répondit : J’ai acquis ce droit de cité avec beaucoup d’argent. Paul lui dit : Moi, je suis né Romain. Aussitôt, ceux qui devaient le torturer, le laissèrent. »

Et le tribun fut effrayé lorsqu’il sut qu’il était Romain, et qu’il l’avait lié. « Moi je suis né Romain », dit Paul. Donc il était fils d’un père romain. Qu’arriva-t-il ensuite ? Le tribun le délia, et le conduisit vers les Juifs. Il ne mentait pas en disant qu’il était Romain ; il y gagna d’être délivré de ses liens. Écoutez comment : « Le lendemain, le tribun voulant connaître d’une manière certaine de quoi les Juifs l’accusaient, le délia, et ordonna de réunir les princes des prêtres et le Sanhédrin ; et ayant amené Paul ; il le plaça au milieu d’eux (25-30). Paul regardant le conseil, leur dit ». Il ne parla plus au tribun, mais à la foule et au peuple entier. Et que dit-il ? Mes frères, jusqu’à cette heure je me suis conduit devant Dieu avec toute, la droiture d’une bonne conscience » ; ce qui veut dire : Je n’ai pas conscience d’avoir fait quoi que ce soit d’injuste envers vous, qui me rende digne d’être enchaîné ainsi : Que dit donc le grand prêtre ? Il eût dû regretter de ce que Paul, à cause d’eux, avait été enchaîné injustement. Mais, au contraire, il ajoute à l’offense, et ordonne de le frapper, ce qui se voit dans la parole suivante de l’auteur : « Le grand prêtre Ananie ordonna à ceux qui étaient présents de le frapper à la bouche ». Certes, voilà qui est bien : il est doux, le grand prêtre. « Alors Paul lui dit : Dieu te frappera, muraille blanchie. Tu es assis pour me juger suivant la loi, et tu ordonnes, malgré la loi, de me frapper. Ceux qui étaient présents lui dirent : Tu insultes le grand prêtre ; mais Paul leur dit : Je ne savais as, mes frères, qu’il fût le grand prêtre ; il est écrit, en effet : Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple ». (Chap 13,1-5).

2. Quelques-uns disent qu’il parla avec connaissance de cause et par ironie ; il me semble que Paul ne savait nullement que ce fût le grand prêtre, autrement il l’eût respecté ; c’est pour cela qu’il s’excuse, lorsqu’il s’entend accuser, et qu’il ajoute : « Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple ». Mais quoi, direz-vous, si ce n’était pas le prince du peuplé, fallait-il en injurier un autre ? En aucune façon ; il valait mieux supporter d’être insulté. On demande avec raison comment celui qui dit ailleurs

« Bénissez, lorsqu’on vous dit des injures ; « supportez qu’on vous persécute » (1Co 4,2), fait ici tout le contraire, et non seulement dit des injures, mais même profère des malédictions ? Loin de nous cette pensée, Paul n’a fait ni l’un ni l’autre ; mais, pour quelqu’un qui vent y faire attention, il est clair que ce sont là plutôt les paroles d’un homme qui parle avec liberté, que des paroles de colère ; d’ailleurs il ne voulait pas paraître méprisable aux yeux du tribun. Si celui-ci s’était abstenu de flageller Paul pour le livrer aux Juifs, il fût devenu plus hardi en le voyant frapper par des valets ; c’est pour cela que Paul attaque ainsi, non le serviteur, mais bien celui qui a commandé au serviteur. Ce mot : « Muraille blanchie, tu sièges pour me, juger suivant la loi », signifie la même chose que si Paul disait : Vous qui êtes coupable, et digne de mille châtiments. Remarquez combien le peuple fut frappé de sa hardiesse ; il fallait se repentir, mais ils préfèrent lui dire des injures. Mais Paul cite ta loi, parce qu’il veut montrer que s’il dit cet paroles, ce n’est ni par crainte, ni parce que celui qui les a entendues ne les méritait pas, mais bien parce qu’il obéit même alors à la loi. Je suis tout à fait convaincu que Paul ne savait pas qu’Ananie fût le grand prêtre, parce qu’il revenait après une longue absente, qu’il avait été rarement avec les Juifs, et que d’ailleurs il le voyait au milieu de beaucoup de monde. Le grand prêtre n’avait rien qui le désignât au milieu d’une foule de gens de toute espèce. Il me semble aussi qu’il leur adresse à tous ces paroles, pour leur montrer qu’il obéit à la loi ; et voilà pourquoi il s’excuse.

Reprenons : « Pendant que je priais dans le temple, dit Paul, il m’arriva d’avoir une extase ». Pour montrer que ce ne fut pas une simple imagination, il dit auparavant : « Pendant que je priais. Hâte-toi, et sors promptement, car ils ne recevront pas ton témoignage ». Il montre ici qu’il ne s’est pas enfui par crainte de dangers de leur part, mais bien parce qu’ils n’admettraient pas son témoignage. Pourquoi dit-il donc : « Eux-mêmes savent que j’enchaînais ? » Ce n’est pas pour contredire le Christ, loin de là, mais pour apprendre l’œuvre admirable à laquelle il est destiné. « Va », dit le Christ, « parce que je t’enverrai chez les nations lointaines ». Voyez : le Christ ne l’instruisit pas de ce qu’il devait faire, mais il lui dit seulement de partir, et il obéit, tant il était docile : « Et ils élevèrent la voix, en disant : Ôtez-le, car il ne lui est pas permis de vivre ». O impudence ! certainement – il ne convient pas que vous viviez, vous, mais il n’en est pas de même de cet homme qui obéit en tout à Dieu. O scélérats et homicides ! « Et jetant leurs vêtements ; ils lançaient de la poussière. ». Ils agissent ainsi pour exciter une sédition plus sérieuse et épouvanter le chef. Mais remarquez qu’ils ne disent aucune raison, puisqu’ils n’en avaient aucune ; mais ils pensent épouvanter parleurs cris ; cependant il convenait que les accusateurs instruisissent le juge. « Et le tribun fut effrayé », dit l’auteur, « lorsqu’il eut appris que Paul était romain ». Ce n’était donc pas un mensonge que faisait Paul en disant qu’il était romain. « Et il le délivra de ses chaînes ; et l’ayant emmené, il le plaça devant le conseil ». C’est ce qu’il fallait faire au commencement, et non pas le lier et vouloir le fustiger ; il convenait de laisser libre l’homme qui n’avait rien fait pour mériter d’être enchaîné. « Et il le délivra, et l’emmenant, il le plaça au milieu d’eux ». Les Juifs étaient par là fort embarrassés. « Paul ; portant ses regards sur le conseil, leur dit : Mes frères ». Il leur fait voir par là sa hardiesse et son intrépidité. Mais voyez leur violence, car l’auteur ajoute : « Le grand prêtre Ananie ordonna de le frapper à la bouche ». Pourquoi le frappez-vous ? Qu’a-t-il dit d’insolent ? O impudence ! ô audace ! « Alors Paul lui dit : Dieu doit te frapper, muraille blanchie ». Oh ! quelle liberté de parole ! Il le traîne dans la boue à cause de son hypocrisie et de son injustice. Ananie, hésitant, n’ose même pas répondre ; mais ce sont ceux qui l’entourent qui ne peuvent supporter la hardiesse de Paul. Ainsi ils voyaient un homme qui n’avait pas peur de la mort, et ils ne purent le supporter. « Je ne savais pas », dit Paul, « que ce fût le grand prêtre ». Donc, s’il dit cette sévère parole, ce fut par ignorance ; s’il n’en eût pas été ainsi, le tribun l’ayant pris serait parti, ne se serait pas tu, et il l’aurait livré aux Juifs.

3. Paul fait voir ici qu’il souffre volontiers ce qu’il souffre, Et il se disculpe ainsi devant les Juifs ; en montrant qu’il le fait par respect pour la loi. Il les condamnait d’ailleurs tout à fait. Il se disculpe donc à cause de la loi et non à cause du peuple.-Et il avait raison ; car il était injuste de mettre à mort un homme innocent et qui ne leur faisait aucun mal. Ce que Paul a dit n’est donc point une injure, à moins que l’on ne dise aussi que le Christ proférait dès injures lorsqu’il disait : « Malheur à vous, scribes et pharisiens, parce que vous êtes semblables à des murailles blanchies ». (Mat 23,27) Certainement, direz-vous, s’il eût parlé ainsi avant d’être frappé, ce n’eût pas été de la colère, mais de la franchise. J’ai dit la raison qui le fit parler : il ne voulait pas être traité avec mépris. Le Christ, injurié par les Juifs, leur a souvent dit des paroles qui ressemblaient à des injures. Lorsqu’il leur dit : « Ne croyez pas que je vous accuse » (Jn 5,45), ce n’est pas là une injure, loin de là. Voyez avec quelle douceur Paul leur parle : « Je ne savais pas », dit-il, « qu’il fût le grand prêtre de Dieu ». Il dit cela, et ajouta ; pour montrer qu’il ne parlait pas par ironie : « Vous ne maudirez pas le prince de votre peuple ». Ne voyez-vous pas qu’il le reconnaît comme le prince du peuple. Apprenons, noua aussi, la mansuétude, pour devenir parfaits en toute chose. On a besoin de beaucoup d’attention pour connaître ce qu’est ceci, ce qu’est cela. Il faut beaucoup d’attention parce que les vices sont voisins des vertus. L’audace n’est pas éloignée de la liberté de parole, la mollesse de la mansuétude. Il faut donc voir de près si, à la place d’une vertu qu’on croit avoir, on ne donne pas dans le vice voisin ; c’est comme si, croyant épouser la maîtresse, on épousait la servante. Qu’est-ce donc que la mansuétude ? qu’est-ce donc aussi que la mollesse ? Lorsque nous voyons les autres lésés, et que nous nous taisons, c’est de la mollesse ; lorsque nous-mêmes nous supportons l’injustice, c’est de la mansuétude. Qu’est-ce que la liberté de parole ? Elle consiste à défendre les autres. Qu’est-ce que l’audace ? C’est de vouloir nous venger nous-mêmes. De même que se lient ensemble la grandeur d’âme et la liberté de parole ; de même s’unissent l’audace et la mollesse. En effet, celui qui ne s’attriste pas pour soi-même, difficilement s’attristera pour les autres ; de même aussi celui qui ne se défend pas soi-même, difficilement ne défendra pas les autres. Lorsque nos mœurs sont pures de toute passion, elles admettent la vertu. De même qu’un corps libre de la fièvre prend de la force ; de même l’âme, libre des passions, prend de la force, aussi. La mansuétude ne saurait exister que dans une âme noble, virile et élevée. Croyez-vous que ce soit peu de chose de souffrir ; et de ne pas s’exaspérer ? Et on ne se trompe pas en disant que le soin des intérêts du prochain est la marque du courage ; en effet, celui qui a assez de force pour triompher d’une si grande passion, saura certainement en vaincre une autre. Par exemple, la crainte et la colère sont deux passions : si vous domptez la colère, certainement vous surmonterez la crainte. Si vous êtes doux, vous dompterez la colère ; si vous triomphez de la crainte, vous serez courageux. D’un autre côté, si vous ne domptez la colère, vous serez audacieux ; si vous ne pouvez triompher de ce vice, vous ne surmonterez pas non plus la crainte ; ainsi donc vous serez craintif. On voit alors se produire les mêmes, effets que dans un corps faible et mal organisé qui rie peut supporter la moindre fatigue : il est bien vite saisi et détérioré par le froid et le chaud. Ce qui est mal constitué périt ; ce qui est bien constitué se soutient toujours. De même la grandeur d’âme est une vertu, la prodigalité lui est voisine ; l’économie est une vertu qui a pour voisines l’avarice et la sordide épargne. Permettez-moi de faire d’autres rapprochements des diverses vertus.

Le prodigue n’est pas magnanime. En effet, comment celui qui est le jouet de mille passions pourrait-il avoir l’âme grande ? La prodigalité n’est pas le mépris des richesses, mais la sujétion à d’autres passions. Comme celui qui est forcé d’obéir à des voleurs n’est pas libre, ainsi la profusion ne naît pas du mépris des richesses, mais de l’ignorance où l’on est de l’art de bien régler sa dépense. En effet, si le prodigue pouvait garder sa fortune et en jouir, certainement il le voudrait faire. Celui qui emploie ses biens convenablement, celui-là est magnanime ; cette âme est vraiment grande, en effet,qui n’est point asservie à la passion, et compte pour rien les richesses. – De même l’économie est bonne ; et le meilleur économe est celui qui dépense utilement sa, fortune et ne la répand pas au hasard. La parcimonie n’est pas cela. L’économe dépense toujours convenablement ; l’avare, au contraire, même en cas d’urgente nécessité, ne donne pas son argent. L’économe serait donc frère de l’homme magnanime. Nous placerons donc ensemble le magnanime et l’économe, ainsi que le prodigue avec l’avare : tous les deux, en effet, souffrent de la pusillanimité, comme les deux premiers participent à la grandeur d’âme. N’appelons donc pas magnanime celui qui dépense au hasard, mais bien celui qui dépense à propos ; ni économe l’homme avare et sordide ; mais bien celui qui épargne à-propos son argent. Combien le riche vêtu de pourpre et d’or ne dépensait-il pas d’argent ? Cependant il n’était pas magnanime, car son âme était retenue captive parla dureté du cœur et mille voluptés. Comment une telle âme serait-elle grande ? Abraham était magnanime, lui qui dépensait pour donner l’hospitalité aux étrangers, tuait le veau ; et qui, quand il était besoin, n’épargnait ni son argent, ni sa vie elle-même. Lors donc que nous voyons quelqu’un dresser une table abondante, avoir des courtisanes et des parasites, né l’appelons pas un homme magnanime, mais plutôt disons que c’est un petit esprit. Voyez, en effet, de combien de passions il est le serviteur et l’esclave : la gourmandise, l’absurde volupté, l’adulation ; retenu qu’il est par de telles passions, réduit qu’il est par elles à l’impossibilité de fuir, comment l’appellerait-on une grande âme ? Aussi l’appellerons-nous plutôt un homme pusillanime ; en effet, plus il dépense sa fortune, plus la tyrannie qu’exercent sur lui les, passions est manifeste ; car si elles ne lui commandaient pas si impérieusement, il ne ferait pas tant de dépenses.

Enfin, si nous considérons un homme qui ne dépense rien ; pour aucune de ces choses, mais qui nourrisse les pauvres, secoure ceux qui sont dans le, besoin, et dresse pour soi-même urge table frugale, nous l’appellerons un homme tout à fait magnanime. Il est, en effet, d’une grande âme, tout en négligeant son propre repos, de s’occuper de celui des autres. Dites-moi, en effet, si vous voyiez quelqu’un gui, au mépris de tous lés tyrans, et ne tenant aucun compte de leurs ordres ; arrachât de leurs mains ceux qu’ils oppriment et qu’ils font souffrir, ne penseriez-vous pas que cette conduite a de la, noblesse et de la grandeur ? Pensez donc de même en ce cas présent. Les passions sont un tyran ; si nous les méprisons, nous serons grands ; si nous en retirons les autres ; nous serons beaucoup plus grands encore, et cela à bon droit. En effet, ceux qui suffisent, non seulement à eux-mêmes, mais encore aux autres, sont plus grands que ceux qui ne font ni l’un ni l’autre. Si au contraire quelqu’un, sur l’ordre d’un tyran, frappe l’un des inférieurs, en déchire un autre, en accable un autre d’affronts, dirons-nous que ce soit là de la grandeur d’âme ? Non certes, nous le dirons d’autant moins qu’il sera plus haut placé. Ainsi en est-il de nous. Voici que nous avons en nous une âme noble et libre, le prodigue a ordonné de frapper cette âme par les mauvaises passions ; dirons-nous que celui qui la frappe ainsi soit un grand cœur ? Nullement. Apprenons donc ce que c’est que la magnanimité et la prodigalité, l’économie et la sordide avarice, la mansuétude et la mollesse, la liberté de parole et l’audace ; afin que, les discernant entre elles, nous puissions passer la vie présente d’une manière agréable au Seigneur ; et acquérir les biens à venir, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père, au Fils et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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