‏ Acts 28

HOMÉLIE LIV.

ET LES BARBARES NOUS TRAITÈRENT AVEC BEAUCOUP DE BONTÉ, CAR ILS NOUS REÇURENT TOUS CHEZ EUX ET ILS ALLUMÈRENT UN GRAND FEU A CAUSÉ DE LA PLUIE ET DU FROID QU’IL FAISAIT, ALORS PAUL AYANT RAMASSÉ QUELQUES SARMENTS, ET LES AYANT MIS AU FEU, UNE VIPÈRE, QUE LA CHALEUR EN FIT SORTIR, LE PRIT A LA MAIN. (CHAP. 28, VERS. 1-3, JUSQU’AU VERS. 16)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Paul dans l’île de Malte, son arrivée à Rome. – 3. Les tentations procurent de grands avantages. – Utilité ces adversités.

1. Le texte nous explique de quelle manière les barbares leur témoignèrent leur humanité. « Ils nous reçurent tous chez eux », dit-il, « et allumèrent un grand feu ». Comme il était inutile qu’ils cherchassent à se sauver par un tel froid qui les aurait fait périr, ils allumèrent un grand feu. Paul ensuite jette dans le feu les sarments qu’il a ramassés. Voyez-le toujours agissant, et ne cherchant jamais à faire des miracles sans raison et sans but, mais seulement par nécessité. Et au moment même où la tempête s’élevait, ce n’était pas sans avoir des raisons qu’il prophétisait. Ici donc il se contente d’alimenter le feu, sans chercher par cela à se donner la moindre importance, mais uniquement pour que ses compagnons de voyage puissent se réchauffer et se remettre par ce moyen. Et en ce moment même une vipère que la chaleur avait fait sortir, le prit à la main. « Et quand les barbares virent cette bête qui pendait à sa main, ils s’entre-disaient : Cet homme, c’est sans doute quelque meurtrier, puisque, après avoir été sauvé de la mer ; la vengeance divine le poursuit encore et ne veut pas le laisser vivre (4) ». Et ce n’est pas sans raison que la Providence permet qu’ils soient témoins de cet – accident, et qu’ils en parlent en ces termes, afin que, lorsque le miracle sera arrivé, ils ne refusent pas d’y croire.. Et voyez comme le sens commun et la raison naturelle se montrent, dans toute leur rectitude, même chez les barbares ; voyez tout ce qu’il y a d’honnêteté dans leurs sentiments, et de réserve dans leurs jugements. Et ceux-ci sont les premiers à voir, afin qu’ils en admirent davantage ce qui va arriver. « Mais Paul ayant secoué la vipère dans le feu, n’en reçut aucun mal. Les barbares s’attendaient à ce que sa main s’enflerait, ou qu’il tomberait mort tout d’un coup : mais après avoir attendu longtemps, lorsqu’ils virent qu’il ne lui en arrivait aucun mal, ils changèrent de sentiment, et dirent que c’était un Dieu (5-6) ». Ceux qui s’attendaient à le voir tomber mort, voyant qu’il n’éprouvait aucun mal, disent maintenant : c’est un Dieu. Et voilà que de nouveau il est comblé d’honneurs par ces hommes, comme il le fut par cette multitude de la Lycaonie. « Or, il y avait en cet endroit un nommé Publius, le premier de cette île, qui nous reçut, et exerça, avec une grande bonté, l’hospitalité envers nous pendant trois jours (7) » Voilà un nouveau Publius, hospitalier comme le premier, vivant dans l’opulence. Celui-ci, qui ne savait rien de la religion du Christ, mais que le seul spectacle de leurs malheurs disposait à la pitié, les reçut et leur prodigua ses soins. « Or, il se rencontra que le père de Publius était malade de fièvre et de dysenterie ; Paul l’alla voir, et ayant fait sa prière, il lui imposa les mains et le guérit (8) ». Il méritait bien d’obtenir de Paul ce service, et celui-ci, par un échange de bons procédés, guérit son père. « Après ce miracle, tous ceux de l’île qui étaient malades, vinrent à lui, et ils furent guéris. Ils nous rendirent ainsi de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui était nécessaire pour notre voyage (9-10) ». C’est-à-dire, tout ce qui était nécessaire ; soit à nous, soit aux autres qui étaient avec nous : considérez qu’à cause de Paul, après avoir échappé à la tempête, ils ne restent pas privés de soins, et sont même entourés de tous les égards d’une généreuse hospitalité ; car ils furent nourris en cet endroit pendant trois mois. Écoutez de quelle manière la suite du texte établit qu’ils sont demeurés là pendant tout ce temps.

« Au bout de trois mois, nous nous embarquâmes sur un vaisseau d’Alexandrie, qui avait passé l’hiver dans l’île, et qui portait pour enseigne : Castor et Pollux. Nous abordâmes à Syracuse où nous restâmes trois jours. De là, en côtoyant la Sicile, nous vînmes à Rhégium, et un jour après, le vent du midi s’étant levé, nous arrivâmes en deux jours à Pouzzoles, où nous trouvâmes des frères qui nous prièrent de demeurer sept jours auprès d’eux, et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères de Rome eurent appris des nouvelles de notre arrivée, ils vinrent au-devant de nous jusqu’au lieu appelé le marché d’Appius et les Trois Hôtelleries. Et Paul les ayant vus, rendit grâces à Dieu, et fut rempli d’une nouvelle confiance (11-15) ». Voyez comme tout cela arrive à cause de Paul, et pour amener à la foi les prisonniers, les soldats, le centenier. Car alors même qu’ils eussent été dé pierre, ils ne pouvaient manquer de se faire une haute idée de lui, par les conseils qu’il leur avait donnés, par les prophéties qu’il avait fait entendre, par les miracles qu’il avait opérés, et enfin par ses bienfaits : car c’était à lui qu’ils devaient d’avoir été nourris si longtemps. Remarquez de quelle manière, quand le jugement est droit, et qu’aucune passion ne le trouble, il accueille les pensées droites et sages. La prédication chrétienne avait déjà pénétré en Sicile, elle était arrivée jusqu’à Pouzzoles, puisqu’ils y trouvent un certain nombre de frères auprès desquels ils demeurent. Là, d’autres que la renommée avait attirés, vinrent au-devant d’eux ; l’affection qui unissait entre eux tous ces frères était si vive, qu’ils ne furent pas troublés dans leur résolution par cette pensée que Paul était dans les fers, mais se hâtèrent de venir au-devant de lui. – Avez-vous remarqué en même temps comme l’âme, de Paul, en cette circonstance, s’ouvre à des sentiments tout humains. Les ayant vus, dit notre texte, il fut rempli d’une nouvelle confiance. Bien qu’il eût déjà opéré tant de prodiges, il n’en puisa pas moins, dans cette vue de ses frères, de nouvelles forces, un nouveau Courage. Et cela nous apprend que, comme celle des autres hommes, son âme s’abandonnait tantôt au découragement, tantôt à l’espérance. « Quand nous fûmes arrivés à Rome, il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait avec un soldat qui le gardait (16) ». C’est une bien forte preuve qu’il était l’objet de l’admiration publique : déjà on ne le mettait plus sur le même rang, que les autres prisonniers. « Or il arriva que trois jours après, Paul pria les principaux d’entre les Juifs de le venir trouver ». Trois jours après, c’est-à-dire, avant qu’on eût eu le temps de semer des préventions dans leurs esprits. Qu’y avait-il de commun entré eux et lui ? Ce n’étaient pas ces Juifs qui devaient l’accuser. – Mais Paul néglige cette circonstance : il veut leur enseigner sa doctrine dès ce moment.

2. Les Juifs donc qui avaient été témoins de tant de prodiges, le persécutaient, le chassaient ; et les barbares, qui n’avaient rien vu, étaient touchés de compassion au seul spectacle de ses malheurs. « Cet homme », disent-ils, « est sans aucun doute quelque meurtrier ». ils ne disent pas simplement : « C’est un meurtrier » ; mais : « sans aucun doute », c’est-à-dire, qu’à leurs yeux la chose est certaine. « Et la vengeance divine », ajoutent-ils, « le Poursuit « encore et ne veut pas le laisser vivre ». En parlant ainsi, ils montraient qu’ils tenaient grand compte de la Providence, de sorte que les barbares étaient beaucoup plus philosophes que les philosophes mêmes. Ceux-ci, en effet, croient devoir retrancher ce monde sublunaire de l’ensemble des êtres auxquels s’étend l’action de la Providence ; ceux-là, au contraire, croient que Dieu est présent partout, et que l’on a beau se soustraire à son action, on finit toujours par se retrouver sous sa main puissante. Et voyez que non seulement ils ne se permettent absolument rien contre Paul, mais encore qu’ils le respectent, touchés de ses malheurs. Et on ne lée voit pas publier partout ce qu’ils pensent sur son compte ; c’est en se parlant entre eux qu’ils disent : « Cet homme est sans doute quelque meurtrier », et les chaînes dont ils le voyaient chargé, ainsi que ses compagnons, éveillaient naturellement ce soupçon dans leur esprit. Qu’ils rougissent ceux qui disent : Ne faites pas du bien à ceux qui sont en prison. —. Que cette conduite des barbares les fasse rougir : ces barbares ne savaient pas qui étaient ces hommes, mais il leur a suffi d’apprendre, au seul spectacle de leurs infortunes, qu’ils étaient des hommes, et à l’instant même ils les ont accueillis avec humanité : « Après avoir attendu longtemps », c’est-à-dire, que pendant longtemps ils s’attendaient à ce que Paul mourrait. Mais lui secoua la vipère dans le feu, et leur montra sa main qui n’avait reçu aucun mal. A cette vue, ils furent comme frappés de stupeur et d’étonnement. Et ce prodige ne fut pas opéré à leurs yeux d’une manière soudaine ; ils attendirent quelque temps avant de l’apercevoir, de manière que l’imagination n’était ici pour rien, et qu’il n’y avait ni supercherie, ni surprise. « Il y avait en cet endroit des terres qui appartenaient à un nommé Publius, le premier de cette île, qui nous reçut fort humainement, et exerça envers nous l’hospitalité ». Expressions bien justes, car il n’appartient qu’à un homme bon et généreux de donner l’hospitalité à deux cent soixante et dix personnes. Mais considérez les grands profits que donne l’hospitalité ! Ce n’est pas par nécessité, ce n’est pas malgré lui, mais parce qu’il pense y trouver quelque avantage, qu’il leur donne l’hospitalité pendant trois jours : c’est donc à bon droit qu’il reçoit la récompense de tant de générosité, récompense qui passe de beaucoup tout ce qu’il a fait. En effet, Paul commence par guérir son père de la dysenterie à laquelle il était sur le point de succomber, et non seulement son père, mais encore beaucoup d’autres malades qui le dédommagent de ses soins, en lui prodiguant les témoignages de respect et les provisions au moment de son départ. « Ils nous rendirent de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui nous était nécessaire pour notre voyage ». Ce n’est pas que Paul reçoive tout cela comme un salaire loin de nous cette idée ! Mais ainsi s’accomplissent ces paroles de l’Écriture : « L’ouvrier mérite de recevoir sa nourriture ». (Mat 10,10) Or, il est manifeste que ceux qui l’accueillirent ainsi durent recevoir de lui la parole de l’Évangile ; il ne se serait pas écoulé trois mois dans ces entretiens, s’ils n’avaient cru et produit de dignes fruits de leur foi. Et l’on peut induire de là que le nombre de ceux qui crurent fut considérable.

Et nous nous embarquâmes », dit le texte, « sur un vaisseau d’Alexandrie, qui avait passé l’hiver dans l’île, et qui portait pou enseigne : Castor et Pollux ». L’image de ces dieux était probablement peinte sur ce navire, et ainsi on peut croire que ceux qui le montaient étaient idolâtres. Voyez d’abord les lenteurs de leur voyage, puis comme ils se hâtent d’arriver. « Mais il fut permis à Paul de demeurer où, il voudrait ». Paul était désormais si respectable à leurs yeux, qu’il lui était permis dé demeurer à part ; et cela n’a rien d’étrange car si, précédemment, ils l’ont déjà accueilli avec bonté, à plus forte raison maintenant. « Et le vent du midi s’étant levé, nous arrivâmes en deux fours à Pouzzoles, où nous trouvâmes des frères qui nous prièrent d’y demeurer sept jours ; et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères de Rome eurent appris des nouvelles de notre arrivée, ils vinrent au-devant de nous, jusqu’au lieu appelé le Marché d’Appius, et aux Trois Hôtelleries ». Qu’ils soient sortis de Rome pour cette rencontre ; parce qu’ils craignaient le danger qu’elle pouvait avoir pour eux dans Rome même, ce qui s’est passé jusqu’ici nous autorise à leur supposer ces sentiments. Remarquez que, dans le cours d’une aussi longue navigation, ils n’ont jamais débarqué dans aucune ville, ruais dans une île ; et que l’hiver tout entier s’écoule dans cette navigation, tout se coordonnant et se concernant pour que ceux qui naviguent ensemble soient amenés à la vraie foi. « Il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait, avec un soldat qui le gardait ». Précaution bien opportune, pour que personne ne pût lui tendre des embûches en cet endroit ; quant aux factions, il ne pouvait pas s’en fermer ici. Ainsi, ce soldat ne gardait pas Paul précisément, mais veillait à ce qu’il ne lui arrivât rien de désagréable. En effet, au sein d’une si grande cité, résidence de l’empereur, de l’empereur à qui Paul en avait appelé, il ne pouvait se passer rien qui fût contraire à l’ordre. C’est ainsi que c’est toujours au moyen de ce qui semble être contre nous, qu’arrive tout ce qui est pour nous. – Ayant appelé auprès de lui les premiers d’entre les Juifs, il s’entretient avec eux, et ceux qui ne pouvant, s’accorder ni avec lui, ni entre eux, se retirent, s’attirent de sa part de sévères paroles auxquelles ils n’ont rien à répondre, car déjà il ne leur était plus permis de rien tenter contre lui. Ce quia lieu d’étonner, c’est que tout ce qui nous arrive d’heureux ne se réalise pas à l’aide d’événements qui paraissent concourir à notre sécurité, mais à l’aide d’événements tout contraires.

Pour bien voir cela, remontons plus haut, Pharaon ordonna que les enfants fussent jetés dans le. Nil. Si ces enfants n’y avaient pas été jetés, si Pharaon n’avait pas donné cet ordre, Moïse n’eût pas été sauvé et élevé dans le palais des rois. Au moment où on le sauvait des eaux, il n’était pas élevé en honneur ; il l’a été au moment où il à été exposé. Et Dieu agissait ainsi pour montrer les ressources infinies de sa sagesse et de sa puissance. Un Juif le menaça, en lui disant : « Est-ce que tu voudrais me tuer ? » (Exo 2,14) Et cela lui fut utile. Ce fut aussi par une permission spéciale, de la Providence, qu’il eut cette vision dans le désert, qu’il philosopha dans ce même désert, et y vécut en sûreté jusqu’au temps marqué par elle. Et il en est ainsi de tous les pièges qui lui sont tendus parles Juifs. De chacune de ces épreuves, il reçoit un nouvel éclat, et c’est aussi ce qui arrive à Aaron ; ils se lèvent contre lui, et ils ne font qu’ajouter par là à sa gloire, car c’est après cet événement, que sa robe sacerdotale se pare de broderies, qu’une tiare couvre sa tête, que tout l’ensemble de son costume devient plus riche et plus orné, et que, par la suite, les lames d’airain de son pectoral excitent l’admiration, comme si c’était à partir de ce moment que le caractère divin de son élévation est au-dessus de toute contestation. Vous connaissez parfaitement tous les détails de cette histoire : je puis donc passer rapidement. Mais si vous voulez, remontons encore plus haut sur le même sujet. Caïn tua son frère : mais par là on peut dire qu’il contribua, à sa glorification. Écoutez ce que dit l’Écriture : « La voix, du sang de ton frère crie et s’élève devant moi ». (Gen 4,10) Et ailleurs : « Sang qui parle plus avantageusement pour nous que celui d’Abel ». (Heb 12,24) Caïn a délivré des incertitudes de l’avenir ; il a augmenté l’éclat de la récompense qui lui était destinée : nous avons tous vu dans l’Écriture la tendresse que Dieu avait pour lui. Quel tort lui a été fait, parce que sa, vie a fini un peu plus tôt ? Aucun. Que gagnent, dites-moi, ceux pour lesquels elle se prolonge un peu plus ? Rien. Car le bonheur ne consiste pas à passer dans ce monde un peu plus ou un peu moins d’années, mais à bien user du temps que nous y passons. – Les trois enfants furent jetés dans la fournaise, et par la ils ont acquis une gloire immortelle. Daniel fut jeté dans la fosse aux lions, et-il en est sorti glorieux et triomphant.

3. Vous voyez que partout de grands biens sont sortis des épreuves, dans l’histoire de l’ancienne alliance. A combien plus forte raison doit-il en être ainsi dans la nouvelle ! La malice des hommes ne fait que rendre la vertu plus éclatante, à peu près comme il arrive à celui qui, à l’aide d’un simple roseau, veut se battre contre le feu : on dirait qu’il le bat, mais en réalité le feu n’en devient que plus flamboyant, et le roseau se réduit en cendres. Ainsi la vertu se nourrit et se fortifie au milieu des pièges que lui tend la malice des hommes, et n’en devient que plus éclatante. Dieu se sert au besoin, pour nous grandir, des injustices mêmes qui nous sont faites. De même, le démon, lorsqu’il intervient dans quelque affaire semblable, ne fait qu’ajouter à la gloire de ceux qui supportent vaillamment ses attaques. Comment se fait-il, dites-vous, que les choses ne se soient pas pissées ainsi à l’égard d’Adam, et que, tout au contraire, il ait été déchu de sa dignité première ? Je réponds qu’à son égard aussi ; Dieu s’est servi, comme il le fallait, de l’épreuve, et que c’est lui-même qui s’est causé tout Je dommage qu’il a pu éprouver. Ce qui nous vient d’autrui ; est pour nous la cause de grands biens : il n’en est pas de même de ce qui vient de nous-mêmes. Comme le tort que nous font les autres nous cause du chagrin, et que nous n’en ressentons pas pour le tort que nous nous faisons à nous-mêmes, Dieu se plaît à faire voir que celui qui est injustement traité par autrui, est glorifié, et qu’au contraire, celui qui se fait du tort à lui-même en éprouve du dommage, afin que nous supportions avec courage l’un de ces torts, et que nous nous abstenions de tout ce qui pourrait constituer l’autre. Au reste, ces deux genres de torts se réunissent en la personne d’Adam. – Pourquoi as-tu ajouté une foi aveugle aux paroles de ta femme ? Pourquoi ne l’as-tu pas repoussée, lorsqu’elle te conseillait des choses funestes ? Tu as été la cause de tout : car si c’était le démon, il faudrait que ceux qu’il tente pareillement, succombent et périssent tous ; s’ils ne périssent pas tous, c’est donc à l’homme qu’il faut remonter pour trouver la cause première du, péché.

Mais, direz-vous, si la cause du mal est en nous, faudra-t-il admettre que l’on se perd même sans l’intervention du démon ? – Eh bien ! c’est ce qui arrive : plusieurs se perdent en – dehors de toute action du démon. Oui, celui-ci ne fait pas tout le mal ; notre lâcheté seule est la cause de beaucoup de choses : ou, si c’est à l’action du démon qu’elles peuvent être attribuées, c’est nous-mêmes qui lui avons fourni l’occasion d’agir : Dites-moi ; à quel moment le démon eut-il tout pouvoir sur Judas ? – Lorsque Satan ; me direz-vous, entra en lui. – Mais écoutez pour quel motif il y entra parce que c’était un voleur, et qu’il dérobait l’argent des aumônes. – Judas lui-même a donc ouvert à Satan une large entrée. Ainsi, ce n’est pas le démon, qui prend l’initiative : c’est nous qui l’appelons et le recevons n nous. – Mais ; direz-vous, sans lui, le mal que nous commettons ne serait pas si grand. – Oui, mais dans ce cas, nous devrions nous attendre à d’affreux supplices : maintenant, mes chers amis, et dans l’état actuel des choses ; une certaine douceur tempère les châtiments infligés à nos fautes. Si c’était de nous-mêmes, et de nous seuls qu’elles procédaient, ces châtiments seraient intolérables. Dites-moi, la faute commise par Adam, s’il l’eût commise en dehors de tout conseil et de toute suggestion, qui eût pu ensuite le soustraire aux dangers auxquels cette première faute l’exposait ? Dans ce cas, il n’eût pas commis de faute, direz-vous. – D’où le savez-vous ? En effet, celui que fut assez simple, assez sot, pour admettre un tel conseil, eût, à bien plus forte raison, agi par lui-même comme il l’a fait. Quel démon a soufflé dans l’âme des frères dé Joseph le feu de la jalousie ? – Veillons sans cesse sur nous-mêmes ; mes chers amis, et les pièges mêmes du démon tourneront à notre gloire. Quel mal lit-il à Jota en déployant contre lui tous ses artifices ? – Ne nous parlez pas ainsi, direz-vous : un infirme est nécessairement exposé à éprouver quelque dommage. – Oui, mais cet infirme éprouvera ce dommage, alors même que le démon n’existerait pas. – Me direz-vous que ce dommage sera bien plus grand, si, à celle cause première de mal pour lui, s’ajoute l’opération même du démon ? – Je vous réponds qu’il est moins puni, si c’est avec cette coopération qu’il pèche : car tous les péchés ne sont pas suivis des mêmes châtiments. Ne nous trompons pas nous-mêmes : si nous veillons sur nous, le démon ne sera pas en nous l’auteur du mal : celui-ci sert bien plutôt à nous secouer dans notre sommeil, à nous réveiller. En effet, supposez un moment avec, moi qu’il n’y a pas de bêtes féroces, qu’il n’y a pas d’intempéries de l’air, qu’il n’y a pas de maladies, de douleurs, de chagrins, ni aucun autre mal physique de ce genre : dites-moi, dans ce cas, que serait l’homme ? A mon avis, il ressemblerait plus au plus vil des animaux qu’à un homme, plongé qu’il serait dans toutes les voluptés, sans que rien ne vînt jamais le troubler dans ses grossières jouissances. Actuellement, les soucis, les inquiétudes dont il est assailli, ont pour lui comme un apprentissage, comme une école de philosophie, un excellent instrument d’éducation et de perfectionnement moral. Faites une autre supposition : figurez-vous l’homme élevé dans un palais, exempt de toute douleur, de tout souci, de toute préoccupation d’esprit, sans aucune occasion de se mettre en colère ou d’éprouver quelque déception, pouvant faire tout ce qu’il veut ; obtenant tout ce qu’il désire, et trouvant toujours ses semblables disposés à lui obéir est-ce qu’un tel homme, au point de vue rationnel, ne serait pas au-dessous de quelque animal que ce puisse être ?

Dans ce monde donc, les malheurs, les souffrances sont pour l’âme comme fa pierre à aiguiser : aussi les pauvres, ballottés, éprouvés qu’ils sont par tant de tempêtes, sont-ils, en général, plus intelligents que les riches. Un corps paresseux et toujours en repos est sujet aux maladies, et perd même, dans cette inertie, quelque chose de sa beauté naturelle : il en est tout autrement d’un corps qui trouve dans le travail l’occasion d’exercer ses forces. L’âme éprouve quelque chose de semblable. Le fer se rouille, si on ne s’en sert pas ; il brille, au contraire, si on l’emploie, à quelque usage. Il en est ainsi de l’âme : il lui faut le mouvement ; or, le mouvement, elle le trouve dans les épreuves et dans les soucis qui l’assiègent. Si l’âme est privée de mouvement, les arts eux-mêmes périssent ; or, le mouvement pour elle naît des difficultés qu’elle rencontre, des contrariétés qu’elle éprouve. Sans les contrariétés, il n’y aurait rien pour la mettre en mouvement, de même que l’art lui-même ne trouverait pas de matière à s’exercer, si la perfection existait partout clans les œuvres de, la nature. L’âme aurait une certaine laideur si, sans effort de sa part, elle était comme portée partout. Ne voyez-vous pas que nous prescrivons aux nourrices de ne pas porter toujours les enfants dans leurs tafias, de peur que cétane tourne pour eux en habitude, et qu’ils né deviennent faibles et maladifs. Ceux qui sont nourris sous les yeux mêmes ale bons parents sont souvent plus chétifs que les autres, par suite des ménagements excessifs dont ils sont l’objet et qui altèrent leur santé-: Urne douleur modérée, des inquiétudes modérées ; et même une certaine pauvreté, sont bonnes à l’âme : car les bonnes choses, et leurs contraires, mais à un degré modéré, nous rendent également forts ; c’est leur excès seul qui nous perd : l’excès des unes nous amollit, l’excès des autres nous brise. N’avez-vous pas remarqué que c’est ainsi que le Christ a élevé ses disciples ? Si ceux-ci avaient besoin de passer par les épreuves, à combien plus forte raison nous sont-elles nécessaires ? Si elles nous sont nécessaires, ne nous fâchons pas, mais, tout au contraire, réjouissons-nous dans les tribulations : car tels sont tes remèdes qu’il convient. d’appliquer à nos blessures : les uns sont amers, les autres sont doux : employé séparément, chacun de ces deux genres de remèdes serait tout à fait inefficace. Rendons donc grâces à Dieu pour toutes ces choses prises ensemble ; car ce n’est pas sans raison qu’il permet qu’elles nous arrivent toutes indistinctement, mais parée que cela convient au plus grand bien de nos âmes. Élevant donc vers lui nos cœurs reconnaissants, rendons-lui grâces, glorifions-le, luttons courageusement, en songeant que nos épreuves – ne durent qu’un temps, et en tournant toutes nos pensées vers les biens de l’éternité, afin que, après avoir supporté avec résignation, soutenus par ces pensées, le poids de nos misères présentes, nous méritions d’obtenir de Dieu les biens à venir, par la grâce et la bonté de son Fils unique, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LV.

TROIS JOURS APRÈS, PAUL PRIA LES PRINCIPAUX D’ENTRE LES JUIFS DE LE VENIR TROUVER ; ET QUAND ILS FURENT VENUS, IL LEUR DIT : « MES FRÈRES, QUOIQUE JE N’EUSSE RIEN COMMIS CONTRE LE PEUPLE, NI CONTRE LES COUTUMES DE NOS PÈRES, J’AI ÉTÉ FAIT PRISONNIER A JÉRUSALEM, ET MIS ENTRE LES MAINS DES ROMAINS QUI, M’AYANT EXAMINÉ, ME VOULAIENT METTRE EN LIBERTÉ, PARCE QU’ILS NE ME TROUVAIENT COUPABLE D’AUCUN CRIME QUI MÉRITÂT LA MORT. MAIS LES JUIFS S’Y OPPOSANT. J’AI ÉTÉ CONTRAINT D’APPELER A CÉSAR, SANS QUE J’AIE DESSEIN NÉANMOINS D’ACCUSER EN AUCUNE CHOSE CEUX DE MA NATION. C’EST POUR CE SUJET QUE JE VOUS AI PRIÉS DE VENIR ICI, AFIN DE VOUS VOIR ET DE VOUS PARLER ; CAR C’EST POUR L’ESPÉRANCE D’ISRAËL QUE JE SUIS LIÉ DE CETTE CHAÎNE ». (CHAP. 28, VERS. 17-20 ; JUSQU’A LA FIN DU LIVRE DES ACTES)

ANALYSE.

  • 1 et 2. Paul s’entretient avec les Juifs de Rome. – Il leur démontre la vérité du Christianisme par les prophéties.
  • 3. Éloge de saint Paul. – Comparaison de l’éloquence de l’apôtre avec la mer.

1. C’est bien à propos qu’il convie ainsi les principaux d’entre les Juifs à avoir un entretien avec lui. Il désirait à la fois se justifier lui-même et justifier les autres : lui-même, de peur qu’ils ne l’accusassent et que cela ne leur fît du tort ; les autres, de peur qu’il ne semblât que c’était d’eux que dépendait l’issue de toute cette affaire, Car il est vraisemblable que le bruit s’était répandu, qu’il avait été livré par les Juifs ; or, cette circonstance suffisait pour, frapper l’esprit des Juifs de Rome. Il va donc au plus tôt au-devant de cette difficulté, et voyez avec quelle douceur il entame sa propre défense : « Mes frères, quoique je n’eusse rien commis contre le peuple ni contre les coutumes de nos pères, j’ai été fait prisonnier à Jérusalem, et mis entre les mains des Romains ». Après ces paroles, comme il était vraisemblable que quelques-uns de ceux qui l’entendaient allaient dire : « Mais comment croire qu’il ait été livré par eux sans raison ? » il ajoute : « Qui, m’ayant examiné, me voulaient mettre en liberté » ; comme s’il disait : Ils attestent mon innocence, les magistrats des Romains, lesquels m’ont jugé et voulaient me mettre en liberté. – Mais pourquoi donc ne t’ont-ils pas mis réellement eu liberté ? – « Les Juifs s’y opposant », ajoute-t-il. Voyez-vous comme il atténue leurs fautes ? Car s’il eût voulu les aggraver, il n’avait qu’à prendre, à leur sujet, un ton plus vif et plus véhément. Il se contente d’ajouter : « J’ai été contraint d’en appeler à César ». Ainsi tout tourne à l’indulgence et art pardon. Ensuite, de peur que l’on ne dise : « Mais quoi ! est-ce donc pour avoir un prétexte de les accuser, que tu en as appelé ? » Il prévient tout malentendu, en ajoutant : « Sans que j’aie dessein néanmoins d’accuser en aucune chose ceux de ma nation ». C’est-à-dire, j’en ai appelé à César, non pour avoir occasion de les accuser ; criais pour échapper au danger qui me menaçait moi-même. Car c’est à cause de vous que je suis chargé de ces chaînes.

Tant s’en faut que je sois animé de sentiments de haine à votre égard, qu’au contraire c’est pour vous que je suis chargé de chaînes. Et eux, que disent-ils ? Ils sont tellement gagnés par ce discours, qu’ils parlent comme s’ils cherchaient à se justifier eux-mêmes vis-à-vis de lui, et non seulement eux-mêmes, mais encore leurs compatriotes. « Ils lui répondirent : Nous n’avons point reçu de lettres de Judée sur votre sujet, et il n’est venu aucun de nos frères de ce pays-là qui nous ait dit du mal de vous. Mais nous voudrions bien que vous nous dissiez vous-même vos sentiments ; car ce que nous savons de cette secte, c’est qu’on la combat partout (21-22 ». Comme s’ils disaient : Ni par lettres, ni verbalement, ils ne nous ouf ##Rem dit aucun mal de vous : toutefois nous voulons vous entendre vous-même à ce sujet. Et ils prennent, les devant quant à la manifestation de leurs propres sentiments, en ajoutant : Ce que nous savons de cette secte, c’est qu’on la combat partout ». Ils ne disent pas : « Nous la combattons », mais « on la combat », se justifiant ainsi de tout reproche d’opposition. « Ayant donc pris jour avec lui, ils vinrent en grand nombre le trouver dans sa demeure, et il leur prêchait le royaume de Dieu, leur confirmant ce qu’il leur disait par plusieurs témoignages ; et depuis le matin jusqu’au soir, il tâchait de leur persuader la foi de Jésus par la loi de Moïse et par les prophètes. « Les uns croyaient ce qu’il disait, et les autres ne le croyaient pas ». Avez-vous remarqué qu’il ne leur répond pas immédiatement, mais qu’il leur fixe un jour pour venir l’entendre ? Et quand ils sont venus, c’est la loi de Moïse, ce, sont les prophètes, qui sont le point de départ et le fondement de ses discours : « Et les uns croyaient, les autres ne croyaient pas. Et ne pouvant s’accorder entre eux, ils se retiraient. Ce qui donna sujet à Paul de leur dire cette parole : C’est avec grande raison que le Saint-Esprit, qui a parlé à nos pères par le prophète Isaïe a dit : Allez vers ce peuple, et lui dites : Vous écouterez, et en écoutant, vous n’entendrez pas ; vous verrez, et en voyant, vous ne verrez point. Car le cœur de ce peuple s’est appesanti, et leurs oreilles sont devenues sourdes ; et ils ont bouché leurs yeux de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, « que leur cœur ne comprenne, et que, s’étant convertis, je ne les guérisse (23-27) ». Pendant qu’ils se retiraient en disputant les uns contre les autres, il leur cite Isaïe, non pour injurier ceux qui ne croient pas, mais pour confirmer dans leur foi ceux qui croient. Que dit Isaïe ? Vous écouterez, et en écoutant, « vous n’entendrez point ». Voyez-vous comme implicitement il montre qu’ils sont indignes de tout pardon, puisque ; ayant un prophète qui, d’avance, il y a tant de siècles, leur a avancé tout cela, ils ne se sont pas convertis ? Par ces mots : « C’est avec grande raison », il fait voir que c’est bien justement qu’ils ont été exclus du pardon ; de sorte qu’il n’a été donné qu’aux gentils de connaître ce mystère. Et quant à la résistance et à l’endurcissement des Juifs, ils n’ont rien qui doive nous surprendre : Ils avaient été prédits, il y a bien longtemps. Cherchant toutefois à faire naître en eux une sainte jalousie à la pensée de la conversion des gentils, il ajoute : « Sachez donc que ce salut de Dieu est envoyé aux gentils, et qu’ils le recevront. Lorsqu’il leur eût dit ces choses, les Juifs s’en allèrent, ayant de nouveau de grandes conversations entre eux. Paul ensuite demeura deux ans entiers dans une maison qu’il avait louée, et où il recevait tous ceux qui le venaient voir, prêchant le royaume de Dieu, et enseignant ce qui regarde le Seigneur Jésus-Christ avec toute liberté, sans que personne l’en empêchât. Ainsi soit-il (28, 31) ». Ainsi éclate au grand joule la liberté dont il jouit, lui qu’on avait empêché de prêcher en Judée, prêche à Rome sans aucun obstacle, puisqu’il y demeure deux ans s’y livrant sans relâche à la prédication.

2. Mais reprenons. « C’est pour ce sujet, dit-il, que je vous ai priés de venir ici, afin de vous voir », c’est-à-dire, j’ai désiré vous voir, afin d’empêcher que le premier vend ne m’accusât devant vous, en vous disant ce qui lui passerait par l’esprit sur les vrais motifs qui m’ont amené ici. Croyez bien que je n’y suis pas venu pour faire du mal aux autres, en évitant moi-même d’en recevoir. Eux lui répondirent : « Nous voudrions bien que vous nous dissiez vous-même vos sentiments ». Voyez comme ils lui parlent ici avec plus de douceur. « Nous voudrions bien », disent-ils ; et ils sont disposés à rendre compte eux-mêmes de leurs propres sentiments sur ces mêmes choses, et c’est pour cela qu’ils sont venus au jour marqué. Mais c’est là une preuve qu’ils se condamnent formellement eux-mêmes, qu’ils n’ont eu eux-mêmes aucune confiance. S’ils avaient eu cette confiance ; ils se seraient concertés entre eux pour s’emparer de lui ; mais comme cette ; assurance leur manque, ils mettent une certaine lenteur à se rendre auprès de lui. Et ce qui prouve bien que le cœur leur manquait, c’est qu’ils furent obligés de s’y prendre, à cet égard, à plusieurs reprises. « Et les uns croyaient ce qu’il disait, et les autres ne le croyaient pas, et ne pouvant s’accorder entre a eux, ils se retiraient » ; c’est-à-dire, que ceux qui refusaient de croire s’en allaient. Remarquez qu’en ce moment ils n’ourdissent pas de complots pour leur tendre des embûches, comme ils l’avaient fait en Judée où ils étaient soumis au joug de la tyrannie. Pourquoi donc Dieu avait-il arrêté dans ses desseins qu’il se rendrait ici, pourquoi lui avait-il crié : « Hâte-toi, sors promptement de Jérusalem ? » Pour faire éclater leur méchanceté et la vérité de la prophétie du Christ qui avait annoncé qu’ils ne voudraient pas recevoir ses envoyés ; pour que tout le monde sût que Paul était prêt à souffrir ; et enfin pour que la manière dont il était traité à Rome en ce moment, servît de consolation aux frères qu’il avait laissés en Judée où il avait souffert tant de maux. Et s’il a été exposé à tous ces maux en développant certains points de la doctrine judaïque, comment auraient-ils toléré qu’il leur prêchât tout ce qui concerne la gloire du Christ ?

On ne le supportait pas, quand il se soumettait aux purifications légales.: comment l’eût-on supporté, s’il eût annoncé l’Évangile du Christ ? – Il s’est contenté de se montrer, et cette vue seule les a exaspérés. C’est donc à bon droit que le salut a été procuré aux gentils ; c’est à bon droit que l’apôtre a été envoyé dans les pays lointains pour que les gentils reçussent sa parole. Examinez ce qui se passe : il appelle d’abord à lui les Juifs, et ce n’est qu’après qu’il leur a fait connaître sa mission, qu’il se rend chez les gentils. Ces expressions dont il se sert : « Le Saint-Esprit a dit », n’ont rien qui doive nous surprendre ; car les paroles mêmes du Seigneur sont souvent mises dans la bouche d’un ange : « C’est avec grande raison que l’Esprit-Saint à dit ». Cette expression est permise ici ; elle ne l’est pas quand il s’agit d’un ange. Lorsque nous exposons les paroles qui ont été prononcées par un ange, nous ne disons pas : « C’est avec grande raison que l’ange a dit », mais : « C’est avec grande raison que le Seigneur a dit ». – Ici nous lisons : « C’est avec grande raison que l’Esprit-Saint a dit » ; comme s’il voulait dire : Ce n’est pas à moi que vous refusez de croire, mais à l’Esprit, et c’est ce que, depuis longtemps, Dieu avait prédit. « M’ayant examiné, dit-il, ils voulaient me mettre en liberté » ; c’est-à-dire qu’ils voulaient me renvoyer absous, n’ayant rien trouvé en moi qui fût digne de condamnation. Et alors qu’il aurait fallu qu’ils l’arrachassent des nains des Romains, tout au contraire ils le leur livrent. Il lui restait encore tant de liberté, qu’ils n’ont pas eu le pouvoir de le condamner, et qu’ils se contentent de le livrer encore tout chargé de chaînes.

« J’ai été contraint d’en appeler à César, sans que j’aie dessein néanmoins d’accuser en aucune chose ceux de ma nation ». C’est-à-dire : ce n’est pas pour attirer de mauvais traitements sur la tête des autres, mais pour m’en délivrer moi-même que j’ai agi ainsi, et cela, non de mon propre gré, mais contraint et forcé. Voyez quelle familiarité respire dans ses paroles : loin de s’aliéner leurs cœurs, il les attire au contraire à lui par ce mot : « de ma nation ». Par là il se ménage un accès dans leur esprit pour la propagation de sa doctrine. Et il ne leur dit pas : Je n’accuse pas, mais « sans que j’aie dessein d’accuser », bien qu’il eût tant souffert de leur part en Judée. Voilà pourquoi il ne s’explique pas ouvertement, mais se contente de quelques allusions, et passe outre ; car, en ce moment, tout ce qu’il s’attachait à montrer, c’est que les Juifs de Judée l’avaient livré enchaîné aux Romains. Et maintenant c’était à eux (aux Juifs de Rome) à condamner cette conduite ; c’était à eux, du moins, à l’accuser, et bien plutôt ils les défendent ; mais par les choses mêmes qu’ils mettent en avant pour cette défense, en réalité ils les accusent. « Ce que nous savons, disent-ils, de cette secte, c’est qu’on la combat partout ». – Mais bien que les choses se passent ainsi, vous n’en croyez pas moins partout ». – « Auxquels il exposait le royaume de Dieu…… par la loi et par les prophètes ». Remarquez qu’ici encore ce n’est pas par des miracles, mais par la loi et les prophètes, qu’il leur ferme la bouche, et que c’est ainsi qu’il fait partout, bien qu’il pût faire des miracles ; mais ils n’eussent plus été un objet de foi, et c’était un bien grand miracle que de leur prouver sa doctrine parla loi et les prophètes. Ensuite, pour que vous ne considériez pas comme étrange que les Juifs persistent dans 1eur incrédulité, remarquez qu’il leur cite cette prophétie : « Vous écouterez, et en écoutant vous n’entendrez point ; vous verrez, et en voyant vous ne verrez point ». – Et ces deux choses, semble-t-il leur dire, sont l’une et l’autre encore plus vraies qu’elles ne l’étaient alors. – Ces paroles s’adressent à ceux qui refusaient de croire, et elles n’avaient rien d’injurieux elles se bornaient à prévenir le scandale. « Sachez donc que ce salut de Dieu est envoyé aux gentils, et qu’ils le recevront ». Pourquoi donc avez-vous voulu nous parler ? Est-ce que vous ne saviez pas cela d’avance ? – Oui, sans doute, mais je vous rends compte de tout, pour essayer de vous convaincre et pour ôter tout prétexte de m’attaquer moi-même. « Et Paul demeura deux ans entiers…… enseignant avec toute liberté, sans que personne l’en empêchât ». Ce n’est pas sans raison que ces derniers mots sont ajoutés, car la prédication à parfois lieu librement, bien qu’avec certaines gênes. Rien donc ici ne fait obstacle à la liberté de Paul : il parlait sans aucune espèce d’empêchement. « Et Paul demeura deux ans entiers dans la maison qu’il avait louée », tant il était appliqué et assidu dans l’accomplissement de sa mission, ou, pour mieux dire, tant il avait à cœur d’imiter son Maître en toutes choses, pourvoyant à son logement à l’aide de soir travail, et non par le travail d’autrui ; car c’est là ce que signifient ces mots : « dans la maison qu’il avait louée ». Et que notre divin Maître n’ait pas eu de maison lui appartenant, c’est ce qui ressort de ces paroles qu’il adresse à celui qui lui a dit (sans trop savoir ce qu’il disait) : Je vous suivrai partout où vous irez : « Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ». (Mat 8,20) Et c’est ainsi qu’il a enseigné par son propre exemple à venir posséder, et à ne pas attacher son cœur aux biens de ce monde. « Et il y recevait tous ceux qui le venaient voir, prêchant le royaume de Dieu ». – Remarquez qu’il ne dit mien des choses présentes, et ne parle que du royaume de Dieu. Avez-vous fait attention à la marche que suit ici la divine providence ? L’historien arrête ici son récit, et laissé son lecteur tourmenté, pour ainsi dire, par la soif, et obligé de chercher en lui-même ce qu’il veut savoir. C’est ainsi qu’agissent aussi les auteurs profanes ; car, lorsqu’on sait tout, l’esprit se laisse aller à une sorte de mollesse et de somnolence. C’est donc ainsi que procède l’historien sacré : il ne raconte rien des choses qui out suivi, jugeant cela inutile à ceux qui liront les auteurs qui en ont parlé, et qui y trouveront. Le moyen de suppléer à ce qui manque ici. Car ce qui a suivi devait être en parfait accord avec ce qui a précédé. Écoutez Paul lui-même écrivant quelque temps après aux Romains : « Lorsque je ferai le voyage d’Espagne, j’irai vers vous ». (Rom 10,24)

3. Voyez-vous comme elle sait tout prévoir cette âme sainte, et, pour ainsi dire, divine de Paul, qui, transporté par la sublimité de son génie, au-delà même des cieux, est capable d’embrasser en même temps toutes choses, de ce Paul dont le nom seul, pour ceux qui le connaissent, suffit pour exciter l’âme à la vigilance, pour la réveiller du plus profond assoupissement ? Rome l’a reçu chargé de chaînes, au moment où il vient de traverser les mers ; sauvé du naufrage, il vient pour la délivrer, d’un autre naufrage, celui de l’erreur. Car c’est, pour ainsi dire, comme un roi victorieux à la suite d’un combat sur mer, qu’il a fait son entrée dans cette splendide et royale cité : C’est de cela qu’il voulait parler, quand il écrivait : « Je viendrai, et nous jouirons d’une consolation mutuelle dans la plénitude de la consolation de l’Évangile ». (Rom 15,29) Et, encore : « Je m’en vais, à Jérusalem pour remplir mon ministère envers les saints ». (Id 5,25) C’est-à-dire, comme il l’a dit dans notre texte : « Je suis venu pour faire des aumônes à ma nation » : (Act 22,17) Mais déjà approchait le moment où il devait recevoir la couronne promise : Rome l’a reçu chargé de chaînes : elle le verra couronné, elle entendra son nom proclamé avec honneur. « Là, dit-il, nous jouirons d’une consolation rituelle » (Rom 15,32) ; en ce moment je pars pour remplir à Jérusalem mon ministère. Tel est le point de départ de la nouvelle carrière qu’il va parcourir glorieusement, et où, invincible par la foi, il élèvera trophées sur trophées. Corinthe le retint deux ans, l’Asie trois ans, et deux ans à Rome, où il était venu pour la seconde fois, quand il y termina sa vie mortelle. « La première fois, dit-il, que j’ai défendu ma cause, nul ne m’a assisté ». (2Ti 4,16) Nous venons devoir comment il échappa à ses ennemis : ce ne fut qu’après qu’il eût rempli l’univers entier de la parole évangélique, qu’il vint y finir sa vie.

Que voulez-vous apprendre touchant les choses qui ont suivi ? Elles ne sont pas différentes de celles qui précèdent : des chaînes, des tortures, des combats, des prisons, des embûches, des délations, les bourreaux faisant, chaque jour, de nouvelles victimes. N’avez-vous pas aperçu déjà une petite partie de ce tableau ? Représentez-vous tout le reste d’après cela.

Si vous attachez vos regards sur une partie déterminée du ciel, en quelque lieu que vous alliez ensuite, vous apercevrez la même chose. De même, si vous ne voyiez qu’en partie les rayons du soleil, vous pourriez, d’après cette impression, vous représenter l’image de cet astre. Ainsi en est-il de Paul. Vous avez vu une partie de ses actes : tous les autres leur ressemblent ; c’est-à-dire qu’en tous vous ne, trouvez qu’angoisses et périls. Paul était comme un autre ciel, bien supérieur au nôtre, puisqu’il était tout illuminé par le soleil de justice qu’il portait en lui, et non par ce soleil vulgaire. Croyez-vous donc que ce soit là peu de chose ? Pour moi, je ne le crois pas. Lorsqu’on parle de l’apôtre, immédiatement tout le monde songe à Paul ; lorsqu’on parle de « Baptiste », tout le monde songe à Jean. À quoi pourrait-on comparer son éloquence ? À la mer, à l’océan ? Mais il n’y a aucune parité. Les flots de sa parole sont bien plus pressés, ils sont bien plus limpides, et en même temps bien plus profonds que ceux de la mer. Pour donner une idée de l’âme de Paul, il faudrait la comparer à la fois au ciel et à ; la mer, à l’un pour sa pureté, à l’autre pour sa profondeur. Cette mer ne sert pas à porter les navigateurs d’une ville dans une autre ; elle les porte de la terre au ciel ; et celui qui se confie à ses flots sera sûr de naviguer avec un vent favorable. Sur cette mer les vents ne se déchaînent pas ; à leur place, c’est le souffle divin du Saint-Esprit qui enfle les voiles et conduit les âmes au port. Il n’y a ici ni soulèvement des vagues, ni écueils, ni monstres marins : le calme le plus profond y règne. Cette mort est plus tranquille et plus sûre que quelque port qu’on puisse imaginer ; les flots qu’elle roule ont l’éclat et la transparence même du soleil : cette mer ne renferme, dans ses abîmes, ni des pierres précieuses, ni le mollusque, non moins précieux, dont on extrait la pourpre ; elle renferme des trésors bien plus riches. Celui qui veut descendre au fond de cette mer, n’a pas besoin de plongeur ; ni de quelque autre artifice que ce puisse être : il n’a besoin que d’une grande philosophie : il y trouvera tous les biens que renferme le royaume des cieux. Que dis-je ? Il pourra lui-même devenir roi, étendre sa domination surie monde entier, et monter au faîte des plus grands honneurs. Sur cette mer, le navigateur n’éprouvera aucun naufrage, parce qu’il saura tout, et dans la perfection.

Mais il arrive, sur cette mer comme sur l’autre, que ceux qui s’y risquent sans aucune expérience, y trouvent la mort ; c’est en effet le sort qui attend, les hérétiques qui tentent ce qui est au-dessus de leurs forces. Il faut connaître la profondeur de cette mer avant de rien tenter. Avant donc de nous y embarquer, ceignons nos reins avec le plus grand soin. « Je n’ai pu, dit-il ; vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles ». (1Co 3,1) Que celui qui manque de patience, n’entreprenne pas cette navigation. Ayons soin de nous pourvoir d’avance de tout ce qui est nécessaire, je veux dire : du zèle, de la ferveur, des prières ; ce n’est que par ces moyens que nous pourrons tranquillement traverser les eaux vives de cette mer. Celui qui tient en main, pour sa défense, un glaive d’acier fortement trempé, est, pour ainsi dire, inexpugnable ; il en est ainsi de celui qui connaît Paul : son âme est si fortement trempée, qu’elle résiste à toutes les attaques. Mais ce n’est qu’à l’aide d’une vie pure que l’on peut comprendre les pensées de Paul. Voilà pourquoi il a dit lui-même : « Vous êtes comme des personnes à qui on ne devrait donner que du lait, parce que vous êtes devenus faibles et lents pour entendre ». (Heb 5,11-12) Il existe, en effet, pour l’entendement une sorte d’infirmité. De même que l’estomac, quand il est malade, ne saurait recevoir les aliments, quelque sains qu’ils soient, s’ils sont de difficile digestion, de même l’âme enflée par l’orgueil, énervée, frappée de stérilité, devient incapable de recevoir la parole spirituelle. Vous vous rappelez que les disciples disaient à Notre-Seigneur : « Ce discours est dur ; qui donc pourra l’entendre ? » (Jn 6,61) Mais si l’âme était forte, si elle était dans un état sain, tout lui deviendrait léger, tout lui deviendrait facile ; ses facultés s’exalteraient ; elle s’élèverait jusqu’à d’incommensurables hauteurs. Convaincus de cette vérité, donnons à notre âme cette belle santé : qu’une sainte émulation nous anime à imiter Paul, cette âme vaillante ; cette âme de diamant ; afin que, marchant sur ses traces, nous puissions traverser cet océan de la vie présente, aborder à ce port dont rien ne trouble la tranquillité, et obtenir ainsi les biens promis à ceux qui vivent d’une manière digne du Christ, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Ces six dernières Homélies ont été traduites par M. RICARD.

FIN DES HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APÔTRES.

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