Acts 7
HOMÉLIE XV.
MAIS ÉTIENNE, PLEIN DE GRACE ET DE FORCE, FAISAIT DES PRODIGES ET DES MIRACLES ÉCLATANTS PARMI LE PEUPLE (VERS. 8, JUSQU’AU VERS. 5 DU CHAP. VII)
ANALYSE.
- 1. Saint Étienne devant le conseil.
- 2 et 3. Les premiers mots du discours de saint Étienne sapent le judaïsme par sa base.
- 4 et 5. –, La vie présente est une lutte, un temps d’épreuve. – Agissons toujours de sorte que le Seigneur soit de notre côté. – Avantages de la tribulation. – Qu’il faut réprimer la colère.
1. Voyez comme il y en a un parmi les sept qui se distingue et tient le premier rang. Bien que tous aient reçu l’ordination, il a néanmoins attiré sur lui une plus grande grâce. Il ne faisait pas de miracles avant sa manifestation ; afin que nous apprenions que pour faire descendre le Saint-Esprit, la grâce ne suffit pas, mais qu’il faut encore l’ordination. Que si auparavant ils étaient remplis de l’Esprit, c’était de celui du baptême. « Quelques-uns de la synagogue se levèrent ». Il emploie encore cette expression « se levèrent », pour marquer leur exaspération et leur colère. Voyez ici leur grand nombre et aussi une nouvelle accusation. Car Gamaliel ayant écarté leur premier sujet d’accusation, ils en produisent Uni autre. « Alors se levèrent quelques-uns de la synagogue dite des Affranchis, de celle des Cyrénéens et des Alexandrins, et de ceux qui étaient de Cilicie et d’Asie, pour disputer avec Étienne ; et ils ne pouvaient résister à sa sagesse et à l’Esprit qui parlait. Alors ils subornèrent des hommes pour dire qu’ils l’avaient entendu proférer des paroles de blasphème contre Dieu et contre Moïse ». Pour établir l’accusation, ils disent : Il parle contre Dieu et contre Moïse. Voilà pourquoi ils disputaient avec lui, afin de le forcer à dire quelque chose. Mais lui s’énonçait avec clarté, et peut-être parlait-il de l’expiration de la loi ; ou, s’il n’en parlait pas ouvertement, tout au moins l’insinuait-il : car, s’il en eût parlé explicitement, il n’y aurait pas eu besoin de suborner de faux témoins. Les synagogues des Affranchis et des Cyrénéens étaient différentes. Les habitants de Cyrène, ville au-delà d’Alexandrie, avaient des synagogues là et parmi les nations, et peut-être demeuraient-ils là pour ne pas être obligés de voyager continuellement. On appelait « libertini », les esclaves affranchis par les Romains. Comme beaucoup d’étrangers habitaient à Jérusalem, ils y avaient des synagogues où l’on devait lire la loi et prier. Examinez un peu avec moi comment Étienne est forcé ici d’enseigner, et comment ses adversaires, à la vue des miracles, ne sont pas seulement excités à la jalousie, mais subornent de faux témoins, parce qu’il les confond par ses discours et qu’ils ne peuvent plus le supporter. Ils ne voulaient point le tuer sans motif, mais après condamnation, afin de compromettre la réputation des apôtres ; puis, laissant les apôtres, ils viennent aux diacres, toujours pour épouvanter les premiers. Ils ne disent pas : Il parle ; mais : « il ne cesse de parler », aggravant ainsi la calomnie. « Ils soulevèrent les anciens et les scribes, et, accourant ensemble, l’entraînèrent et l’amenèrent au conseil ; et ils produisirent de faux témoins qui dirent : Cet homme ne cesse de parler contre ce lieu saint et contre la loi. Il ne cesse », disent-ils, comme pour montrer le but de ses efforts. « Nous l’avons entendu dire : que Jésus de Nazareth détruira ce lieu et changera les traditions que Moïse nous a données ». Ils accusaient déjà ainsi le Christ, quand ils disaient : « Toi, qui détruis le temple de Dieu ». Ils professaient un grand respect pour le temple, parce qu’ils voulaient s’y établir, et aussi pour le nom de Moïse. Vous voyez que l’accusation est double : « Il détruira ce lieu et changera les coutumes ». Elle n’est pas seulement double, mais amère et grosse de périls. « Et tous ceux qui étaient assis au conseil, jetant les yeux sur lui, virent que son visage était comme le visage d’un ange ». Ainsi peuvent briller même ceux qui sont dans un degré inférieur. Mais de grâce, qu’avait-il de moins que les apôtres ? N’avait-il pas fait des miracles ? N’avait-il pas parlé avec une grande liberté ? ce : Ils virent que son visage était comme le visage d’un ange ». C’était la grâce, c’était la gloire de Moïse. Il me semble que Dieu l’avait revêtu de cet éclat, peut-être parce qu’il avait quelque chose à dire, et pour les frapper d’épouvante par son seul aspect. Car il est possible, très-possible, que des figures remplies de la grâce céleste soient aimables aux yeux des amis et respectables et terribles aux yeux des ennemis. Ou peut-être veut-on donner la raison pour laquelle on l’a laissé parler. Mais que dit le prince des prêtres ? « Les choses sont-elles ainsi ? » Voyez-vous comme la question est pleine de douceur et n’a rien de désagréable Aussi Étienne commence-t-il son discours de la façon la plus bienveillante : « Hommes, mes frères et mes pères, écoutez : le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham quand il était en Mésopotamie, avant qu’il habitât à Charan ». Dès le début il détruit leur opinion et prononce, sans qu’on s’en doute, que le temple n’est rien, non plus que la coutume, qu’ils n’empêcheront pas la prédication, et que toujours Dieu part de l’impossible pour préparer et exécuter ses desseins. C’est là le tissu de son discours par lequel il leur démontre qu’ayant toujours été l’objet de la bonté de Dieu, ils n’ont payé ses bienfaits que d’ingratitude et qu’ils tentent l’impossible. « Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham et lui dit : Sors de ton pays et viens dans la terre que je te montrerai ». 2. Il n’y avait pas de temple encore, pas de sacrifices, et pourtant Abraham était honoré de la vue de Dieu, lui dont les ancêtres étaient de l’Orient et qui habitait une terre étrangère. Et pourquoi tout d’abord appelaient-ils Dieu le Dieu de gloire ? Parce que Dieu a glorifié ceux qui étaient méprisés ; et pour nous montrer que, s’il a glorifié ceux-là, à plus forte raison, glorifiera-t-il ceux-ci. Voyez-vous comme il les entraîne loin des choses matérielles, et d’abord loin du lieu, puisqu’il s’agissait de lieu ? « Le Dieu de gloire ». Si Dieu est le Dieu de gloire, il est évident qu’il n’a pas besoin de la nôtre, ni de celle du temple, puisqu’il est lui-même la source de la gloire. Ne pensez donc pas que vous le glorifierez par là. Et pourquoi, direz-vous, l’Écriture ne rapporte-t-elle ici que ce seul trait de la vie d’Abraham ? Parce qu’elle omet ce qui n’est pas absolument nécessaire. Elle ne nous a appris que ce qu’il nous était utile de connaître ; à savoir qu’ayant vu le Fils, il a émigré vers lui ▼▼Allusion à ce passage de l’Évangile : Abrabam a désiré voir mon jour, il l’a vu, il s’en est réjoui.
. Elle a passé le reste sous silence, parce qu’Abraham est mort peu de temps après s’être établi à Charan. « Sors de ta parenté ». Ici il leur fait voir qu’ils ne sont pas fils d’Abraham. Comment cela ? Parce qu’Abraham a obéi et qu’ils n’obéissent point. De plus apprenons, par ce qu’Abraham a fait sur l’ordre de Dieu, que c’est lui qui a eu la peine et que ce sont eux qui recueillent les fruits, et que tous leurs pères ont été dans les tribulations. « Et sortant de la terre des Chaldéens, il habita à Charan ; et après la mort de son père Dieu le transporta dans la terre où vous habitez maintenant, mais il ne lui donna là ni héritage, ni seulement où poser le pied ». Voyez comme il les détache de la terre ! Il ne dit pas : Il donnera, mais : « il n’a pas donné » ; pour faire voir que tout vient de lui, et que rien ne vient d’eux. Abraham sortit, en laissant sa parenté et sa patrie. Pourquoi Dieu ne lui a-t-il pas donné cette terre ? Parce que c’était la figure d’une autre terre et qu’il avait promis de la lui donner. Vous voyez que ce n’est pas sans raison qu’il reprend son discours : « Il ne l’a pas donnée », dit-il. « Et il promit de la donner à sa race après lui, quoiqu’il n’eût point de fils ». Par là il montre la puissance de Dieu, qui fait des choses qui semblent impossibles. Dieu, en effet, promet de rendre maître de la Palestine un homme qui en est à une si grande distance, puisqu’il habite en Perse. Mais reprenons ce quia été dit plus haut « Fixant les yeux sur lui, ils virent que son visage était comme celui d’un ange ». D’où venait cette grâce qui brillait dans Étienne ? N’était-ce pas de la foi ? Évidemment : car on lui a rendu plus haut le témoignage qu’il était plein de foi. Il y a donc une grâce qui n’est pas celle des guérisons ; c’est pourquoi l’apôtre dit : « A l’un est donné la grâce des guérisons, à l’autre le langage de la sagesse ». Ici, il me semble qu’on insinue qu’il était plein de grâce quand on dit : « Ils virent que son visage était comme celui d’un ange » : ce qui a été dit aussi de Barnabé. Nous apprenons par là que les hommes simples et innocents sont surtout admirés, et que la grâce brille particulièrement en eux : « Alors ils subornèrent des hommes pour dire : nous l’avons entendu proférer des paroles de blasphème ». Ils accusaient les apôtres de prêcher la résurrection et d’attirer à eux une grande foule ; ici ils accusent parce que des guérisons s’opèrent. O stupidité ! ils blâment ce qui devrait exciter leur reconnaissance ; comme autrefois avec le Christ, ils espèrent vaincre en paroles ceux qui triomphent par les œuvres, et ils se jettent dans des discours sans fin. Ils n’osaient les enlever sans motif, n’ayant aucun sujet d’accusation. Et voyez comme les juges eux-mêmes ne rendent aucun témoignage ! car ils auraient été réfutés mais ils en subornent d’autres, afin de ne pas avoir l’air de commettre une injustice. Il en avait été de même avec le Christ. Voyez-vous la force de la prédication ? Comment elle subsiste chez ceux qui ont été flagellés et même lapidés, traînés devant les tribunaux et même repoussés de tous côtés ? Aussi, nonobstant les faux témoignages, non seulement ils n’ont pu vaincre les apôtres, mais ils n’ont pas même pu leur résister, malgré leur extrême impudence. Ainsi Étienne les a vaincus par force, quoiqu’ils se conduisissent indignement (comme ils l’avaient fait avec le Christ), eux qui ne négligeaient rien pour le faire mourir : afin qu’il fût évident pour tous que ce n’était pas un homme, mais Dieu qui combattait contre les hommes. Et voyez ce que disent les faux témoins subornés par ceux qui l’avaient entraîné au conseil dans une intention homicide : « Nous l’avons entendu proférer des paroles de blasphème contre Moïse et contre Dieu ». O impudents ! vous faites des choses blasphématoires contre Dieu et vous n’en avez souci, et vous avez l’air de vous inquiéter de Moïse ! Moïse n’est là que parce qu’ils ne s’inquiètent guère du service de Dieu ; c’est toujours Moïse qu’ils mettent en avant : « Moïse », disent-ils, « qui nous a sauvés », afin d’irriter un peuple prompt à s’enflammer. Et pourtant comment un blasphémateur remporterait-il de tels triomphes ? comment un blasphémateur aurait-il fait de tels prodiges au milieu du peuple ? Mais voilà ce que c’est que la jalousie : elle égare tellement ceux qu’elle saisit, qu’ils n’ont pas même la conscience de ce qu’ils disent. « Nous l’avons entendu proférer des paroles de blasphème contre Moïse et contre Dieu » ; Et encore : « Cet homme ne cesse de parler contre le lieu saint et la loi » ; et ils ajoutent : « Que nous a donné Moïse » ; il n’est plus question de Dieu. 3. Voyez-vous comme ils l’accusent d’avoir renversé le gouvernement et d’être impie ? Il était évident pour tous qu’il était incapable d’un langage si audacieux, tant il y avait de douceur dans ses traits ! L’Écriture ne dit pas cela de lui, quand on ne le calomniait pas ; maintenant que tout est calomnie, Dieu a raison de la confondre par le seul aspect de son visage : On ne calomniait pas les apôtres, mais on les empêchait d’agir ; Étienne était calomnié, voilà pourquoi l’aspect de sa figure doit d’abord le justifier. Peut-être le prêtre en rougit-il. En disant : « Il promit », Étienne fait voir que la promesse a été faite avant que le lieu en fût fixé, avant la circoncision, avant le sacrifice, avant le temple ; qu’ils n’ont point reçu la circoncision ni la loi à raison de leurs mérites, mais que la terre seule a été la récompense de l’obéissance. Avant même que la circoncision soit donnée, la promesse est remplie. Il insinue que, quitter par l’ordre de Dieu, sa patrie et sa parenté (la patrie est là où Dieu conduit) et n’y avoir point d’héritage, ce sont des figures ; et encore que les Juifs sont chaldéens, si on y regarde de près ; ensuite qu’il faut obéir à la parole de Dieu, même sans miracles et quelque inconvénient qu’il en doive résulter ; puisque le patriarche abandonna tout, même le tombeau de son père, pour obéir à Dieu ; que si son père ne l’accompagna pas en Palestine, parce qu’il ne croyait pas, à bien plus forte raison les fils seront-ils exclus, quoique bien avancés dans le chemin, puisqu’ils n’ont pas imité la foi de leur père. « Mais il promit de la lui donner et à sa postérité après lui ». On voit ici la bonté de. Dieu et la foi d’Abraham. Car obéir « lorsqu’il n’avait point encore de fils », montre sa docilité et sa foi, surtout quand les faits semblaient démentir la promesse ; par exemple de n’avoir pas même où poser le pied quand il serait arrivé, de n’avoir pas de fils : ce qui n’était pas propre à affermir sa foi. Réfléchissons-y, nous aussi, et croyons aux promesses divines, même quand les événements semblent les contredire ; bien que chez nous, loin de les contredire, ils leur soient parfaitement conformes. Car là où il y a des promesses dans le monde, si les faits leur sont opposés, ils le sont réellement ; mais chez nous il en est tout autrement : Dieu a dit ici l’affliction, là le repos. Pourquoi confondre les temps ? Pourquoi tout renverser sens dessus dessous ? Vous vous affligez parce que vous vivez dans la pauvreté ? Et cela vous trouble ? Que cela ne vous trouble pas. Vous auriez raison de vous troubler, si vous deviez être affligé là-bas, mais la tribulation en ce monde est une source de repos. « Cette maladie », lisons-nous, « ne va pas à là mort ». Cette tribulation est une punition ; elle est une leçon et un amendement. Le présent est un temps de combat ; il faut donc lutter ; car c’est la guerre, c’est la lutte. Dans le combat, personne ne cherche le repos, personne ne cherche le plaisir, ni ne s’inquiète de ses biens, ni n’est en souci pour sa femme : on n’a qu’une chose en vue, vaincre l’ennemi. Faisons-en autant ; et si nous triomphons, si nous revenons avec les palmes, Dieu nous donnera tout. N’ayons qu’un seul souci : vaincre le démon ; ou plutôt ce n’est point là le résultat de nos efforts, mais uniquement l’effet de la grâce de Dieu. Que notre seule occupation soit donc de nous attirer la grâce, de nous procurer ce secours. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » N’ayons qu’un souci, c’est qu’il ne soit point notre ennemi, qu’il ne se détourne pas de nous. 4. Ce n’est point l’affliction, mais le péché qui est un mal. Le péché, voilà la véritable affliction, quand même nous vivrions dans le plaisir ; je ne parle pas seulement de l’avenir, mais du présent. Quels ne sont pas les remords de notre conscience ? Et est-il un tourment pire que celui-là ? Je voudrais interroger ceux qui vivent dans les vices, leur demander si le souvenir de leurs péchés ne leur revient jamais ? s’ils ne tremblent pas ? s’ils ne craignent pas ? s’ils ne souffrent pas ? s’ils n’appellent pas heureux ceux qui vivent au sein des montagnes, dans la pratique du jeûne et de la sagesse ? Voulez-vous goûter un jour le repos ? souffrez ici-bas pour le Christ, rien n’égale cette satisfaction. Les apôtres se réjouissaient d’avoir été flagellés. Paul nous y exhorte quand il dit : « Réjouissez-vous dans le Seigneur ». Et comment, direz-vous, se réjouir dans les fers, dans les tourments, devant les tribunaux ? On peut y goûter une très-grande volupté. Apprenez comment cela se fait : celui à qui sa conscience ne reproche rien, sera dans l’abondance de la joie ; en sorte que plus son affliction sera grande, plus son bonheur augmentera. Dites-moi, je vous prie : Un soldat, couvert de blessures, n’est-il pas très-heureux de revenir et de pouvoir montrer ces signes de courage, d’illustration et de gloire ? Et vous, si vous pouviez vous écrier comme Paul : « Je porte les stigmates de Jésus », vous pourriez aussi être grand, illustre et glorieux. Mais, dites-vous, il n’y à plus de persécution ? Alors combattez contre la vaine gloire ; et si quelqu’un dit du mal de vous, supportez-le pour l’amour du Christ. Combattez coutre la tyrannie de l’orgueil, contre la colère, contre les tentations de la concupiscence. Voilà des stigmates, voilà des épreuves. Dites-moi : qu’y a-t-il de plus terrible que des épreuves ? L’âme ne souffre-t-elle pas ? ne brûle-t-elle pas ? Là le corps seul est déchiré ; ici, l’âme souffre seule. Seule elle souffre quand elle se fâche, quand elle est envieuse, quand elle fait quelque chose de ce genre, ou pour mieux dire quand elle le souffre. Car ce n’est pas agir, mais souffrir, que de se mettre en colère, d’être jaloux ; aussi cela s’appelle maladies, blessures, plaies de l’âme. En effet, c’est maladie et pire que maladie. Vous, qui vous livrez à la colère, songez que vous vous rendez malades. Donc, celui qui ne se fâche pas, ne souffre pas. Vous voyez que ce n’est pas celui qui reçoit l’injure qui souffre, mais celui qui la fait, comme je le disais plus haut. Il est évident qu’il souffre, puisque cela s’appelle passion. Et il souffre même dans le corps ; car la perte de la vue, la stupidité et beaucoup d’autres maux sont les effets de la colère. Mais, direz-vous, il n’injurie que son fils ou son serviteur. Ne pensez pas que ce soit faiblesse, si vous n’en faites pas autant. Dites-moi, est-ce bien faire ? Je ne pense pas que vous le disiez. Ne faites donc pas ce qu’il n’est pas bon de faire. Je sais à quelles colères de tels hommes sont sujets. Que sera-ce, direz-vous, s’il se contente de mépriser ? de répéter ce qu’il a dit ? Reprenez alors, menacez, suppliez : la douceur brise la colère ; approchez-vous et reprenez. Cela ne doit pas se faire quand il s’agit de nous ; mais cela est nécessaire quand il s’agit des autres. Ne regardez point comme fait à vous-même l’outrage fait à votre fils ; si vous en souffrez, que ce ne soit pas comme d’une injure personnelle : car si votre fils est maltraité, ce n’est point sur vous, mais sur l’auteur, que retombe l’injure. Émoussez la pointe du glaive ; qu’il rentre dans le fourreau. S’il en est tiré, souvent, dans un mouvement de colère, on peut s’en servir mal à propos ; s’il y reste, même quand on a l’occasion de s’en servir, la colère s’éteindra. Le Christ ne veut pas que nous nous fâchions pour lui ; écoutez en effet ce qu’il dit à Pierre : « Remettez votre épée au fourreau ». Et vous vous fâcheriez pour votre fils ! Apprenez à votre fils à être sage. Racontez-lui les souffrances du Maître : imitez le Maître vous-même. Quand ses apôtres devaient être livrés aux outrages, il ne leur a pas dit : Je vous vengerai : Que leur a-t-il dit ? « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ». Souffrez donc avec courage : vous n’êtes pas meilleurs que moi. Dites cela à votre fils, à votre serviteur : Tu n’es pas meilleur que ton maître. Mais ces paroles de la sagesse ont l’air de contes de vieille. Hélas ! pourquoi ne peut-on exprimer en paroles ce que l’expérience démontre si bien ? Pour vous convaincre, supposez que vous êtes au milieu de deux partis en lutte, du côté des innocents et non des coupables ; ne remporterez-vous pas vous-même la victoire ? ne cueillerez-vous pas des palmes magnifiques ? Voyez comme Dieu est injurié, et avec quelle douceur et quel calme il parle : « Où est ton frère Abel ? » Et que répond Caïn ? « Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? » Quoi de plus arrogant ? Qui aurait supporté cela, même de la part d’un fils ? Et même de la part d’un frère, n’eût-on pas pris cela pour un affront ? Mais Dieu reprend avec la même douceur : « La voix du sang de ton frère crie vers moi ». Mais, direz-vous, Dieu est au-dessus des atteintes de la colère. C’est pour cela que le Fils de Dieu est descendu, pour vous faire dieu autant qu’un homme peut l’être. Je ne puis être Dieu, direz-vous, puisque je suis un homme. Eh bien ! amenons ici des hommes. Et n’allez pas croire que je parlerai de Paul et de Pierre ; non, j’en prendrai qui leur sont bien inférieurs. Le serviteur d’Élie injurie Anne, en disant : « Allez cuver votre vin ». (1Sa 3,14) Que peut-on dire de plus injurieux ? Mais que répond-elle ? « Je suis une femme qui ai l’amertume au cœur ». En vérité, rien n’égale l’affliction : elle est la mère de la sagesse. Et cette même Anne ayant une rivale, ne l’injurie pas ; que fait-elle donc ? Elle recourt à Dieu, elle prie, elle oublie sa rivale, et ne dit pas Elle m’a accablée d’ignominie, vengez-moi ; tant cette femme avait l’habitude de la sagesse ! Hommes, rougissons ; car vous savez que rien n’est comparable à la jalousie. 5. Le publicain, injurié par le pharisien, ne rend pas injure pour injure, bien qu’il l’eût pu s’il l’eût voulu ; mais il supporte tout avec sagesse, et dit : « Ayez pitié de moi qui suis un pécheur ! » Memphibaal ▼▼Memphiboseth dans la Vulgate.
accusé, calomnié par un serviteur, ne dit rien, ne fait rien contre lui, pas même auprès du roi. Voulez-vous connaître la sagesse même d’une femme publique ? Entendez le Christ dire, quand elle lui essuyait les pieds de ses cheveux : « Les publicains et les femmes de mauvaise vie vous précéderont dans le royaume ». (Mat 21,31) La voyez-vous debout, versant des larmes et expiant des péchés ? Le pharisien l’accable d’outrages, elle ne s’en fâche point. S’il savait, disait-il, que cette femme est une pécheresse, il ne la laisserait point approcher. Elle ne lui répond pas : Quoi ! êtes-vous donc exempt de péché ? Mais elle souffre davantage, elle gémit davantage et verse des larmes plus brûlantes. Que si les femmes, les publicains, les prostituées pratiquent la sagesse, même avant la grâce, quel pardon pouvons-nous espérer, nous qui, après une si grande grâce, sommes plus querelleurs, plus mordants, plus récalcitrants que les bêtes sauvages ? Rien de plus honteux que la colère, rien de plus vil, rien de plus terrible, rien de plus désagréable, rien de plus nuisible. Et je dis cela, non seulement pour vous engager à être doux envers les hommes, mais aussi pour vous exhorter à supporter votre femme, si elle est babillarde ; qu’elle soit pour vous une matière de lutte et d’exercice. Quoi de plus absurde que d’établir des gymnases où nous n’avons rien à gagner, où nous affligeons notre corps ; et de ne pas nous créer des gymnases domestiques, où nous puissions gagner des couronnes, même avant le combat ! Votre femme vous injurie ? Ne devenez pas femme vous-même ; car dire des injures est le propre de la femme ; c’est une maladie de l’âme ; c’est un défaut. N’estimez pas qu’il soit indigne de vous d’être injurié par une femme ; ce qui serait indigne de vous, ce serait de dire des injures, quand une femme est sage. C’est alors que vous vous déshonorez, que vous vous faites tort à vous-même ; mais si vous supportez l’injure, vous donnez une grande preuve de force. Je ne dis pas ceci pour engager les femmes à dire des injures, tant s’en faut ; mais pour vous encourager à être plus patients, quand cela arrive par l’instigation de Satan. C’est le propre des hommes forts de supporter les faiblesses. Si votre serviteur vous contredit, soyez sage ; ne le traitez point comme il le mérite, mais ne dites et ne faites que ce qu’il convient. Ne faites jamais d’injure à une jeune fille, en proférant un mot déshonnête ; ne traitez jamais un serviteur de scélérat : ce n’est pas lui qui recevrait l’injure, mais vous. Il n’est pas possible que l’homme en colère reste en lui-même, pas plus qu’une mer en fureur ; et la source ne peut rester pure, si elle reçoit de la boue ; alors tout se mêle ; disons plus, tout est sens dessus dessous. Quand vous frapperiez votre serviteur ; quand vous déchireriez sa tunique, c’est encore vous qui souffririez le plus : il ne souffre que dans son corps ou dans son vêtement, et vous, vous souffrez dans votre âme. C’est elle que vous avez déchirée, que vous avez blessée ; vous avez renversé le cocher, et l’avez fait fouler et traîner par les chevaux ; absolument comme si un cocher se fâchait contre un autre et se laissait traîner. Que vous grondiez, que vous avertissiez, que vous fassiez toute autre chose, faites-le sans emportement et sans colère. Car si celui qui reprend est le médecin du coupable, comment le guérira-t-il s’il se nuit à lui-même et ne se guérit pas ? Si par exemple un médecin venait pour guérir quelqu’un, et commençait par se blesser la main ou par se rendre aveugle, dites-moi, guérirait-il son malade ? Non, répondez-vous. Donc, soit que vous grondiez, soit que vous avertissiez, gardez vos yeux purs. Ne remuez pas la vase de votre âme, autrement comment la guérison serait-elle possible ? L’homme calme et l’homme irrité ne sauraient jouir de la même tranquillité. Pourquoi renverser le maître de son siège et lui parler quand il est à terre ? Ne voyez-vous pas que les juges, quand ils doivent exercer leur fonction, s’asseyent sur leurs sièges et dans un vêtement convenable ? Faites de même : revêtez votre âme de la toge (qui n’est autre que la modération) et asseyez-vous sur le trône, en qualité de juge. Mais le coupable ne craindra pas, dites-vous. Il craindra bien davantage. Quand vous êtes irrité, dissiez-vous les choses les plus justes, votre serviteur les attribue à la colère ; mais si vous lui parlez avec modération, il se condamnera lui-même. Mais, ce qui est le point principal : Dieu vous accueillera, et vous pourrez obtenir ainsi les biens éternels, par la grâce, la compassion et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ! HOMÉLIE XVI.
TOUTEFOIS DIEU LUI PARLA ET LUI DIT QUE SA POSTÉRITÉ HABITERAIT EN UNE TERRE ÉTRANGÈRE OU ELLE SERAIT RÉDUITE EN SERVITUDE ET MALTRAITÉE PENDANT QUATRE CENTS ANS. MAIS LA NATION QUI L’AURA TENUE EN ESCLAVAGE : C’EST MOI QUI LA JUGERAI, DIT LE SEIGNEUR, ET APRÈS CELA ELLE SORTIRA ET ME SERVIRA EN CE LIEU-CI. (CHAP. 6, 7, JUSQU’AU VERS. 34) ANALYSE.
- 1 et 2. Suite du discours de saint Étienne. – La résurrection figurée dans l’ancienne Loi. – Providence de Dieu.
- 3 et 4. Avantages des afflictions. – Preuve par des exemples. – La joie dans le Seigneur, la seule solide, naît des tribulations. Comparaison de l’homme orgueilleux et de l’humble. – Comparaison de l’homme luxurieux et de l’homme sobre et tempérant. – Portrait repoussant du premier. – Le travail seul peut nous donner la santé. – Exhortation à la sobriété.
1. Vous voyez l’ancienneté et le mode de la promesse ; et il n’y a nulle part de sacrifice ni de circoncision. Ici il fait voir que Dieu a permis l’affliction des Juifs, mais qu’elle ne restera pas impunie. « Mais la nation qui l’aura « tenue en esclavage, c’est moi qui la, jugerai, « dit le Seigneur ». Vous le voyez, celui qui a promis et donné la terre, a d’abord permis l’affliction ; ainsi maintenant il promet le royaume, mais il permet auparavant l’épreuve des tentations. Si alors la liberté est venue après quatre cents ans, quoi d’étonnant à ce qu’il en soit de même pour le royaume des cieux ? C’est cependant ce que Dieu a fait, et le temps n’a point démenti sa parole, bien que l’oppression des Juifs ait été grande. Mais il ne s’est pas contenté de punir les oppresseurs : il a aussi promis des biens aux opprimés. Étienne me semble ici rappeler aux Juifs les bienfaits qu’ils ont reçus. « Et il lui donna l’alliance de la circoncision ; et ainsi il engendra Isaac ». Ici il baisse un peu le ton. « Et il le circoncit le huitième jour ; et Isaac, Jacob ; et les douze patriarches. Et les patriarches jaloux vendirent Joseph pour « l’Égypte ». C’est aussi ce qui est arrivé pour le Christ, dont Joseph était la figure ; c’est ce qu’il insinue et dont il forme tout le tissu de son histoire. Car ils l’ont maltraité sans avoir rien à lui reprocher, et quand il venait leur apporter de la nourriture ils l’ont mal accueilli. Voyez encore ici la longue attente de l’exécution de la promesse, laquelle cependant a un terme. « Et Dieu était avec lui », et cela à cause d’eux. « Et il l’a délivré de toutes ses « tribulations ». Ici il fait voir qu’ils ont contribué sans le savoir à l’accomplissement de la prophétie, qu’ils étaient eux-mêmes les auteurs du mal, que le mal est retombé sur leur tête. « Et il lui donna grâce et sagesse devant Pharaon, roi d’Égypte ». Il donna grâce devant un roi barbare, à un esclave, à un captif, que ses frères avaient vendu et que ce prince honora. « Or il vint une famine, dans toute la terre d’Égypte et en Chanaan, et une grande tribulation, et nos pères ne trouvaient pas de nourriture. Mais Jacob ayant appris qu’il y avait du blé en Égypte, il y envoya nos pères une première fois. Et la seconde fois, Joseph fut reconnu de ses frères ». Ils descendirent pour acheter, et ils eurent besoin de lui. Et lui, que fit-il ? Il ne se contenta pas de montrer sa bonté, mais il instruisit Pharaon de leur présence et les lui présenta. « Et l’origine de Joseph fut connue de Pharaon. Or Joseph envoya chercher Jacob son père, et toute sa parenté, au nombre de soixante-quinze personnes. Et Jacob descendit en Égypte et il y mourut, lui et nos pères. Et ils furent transportés à Sichem et déposés dans le sépulcre qu’Abraham avait acheté à prix d’argent du fils d’Hémor, fils de Sichem. Mais comme approchait le temps de la promesse que Dieu avait jurée à Abraham, le peuple crût et se multiplia en Égypte, jusqu’à ce qu’il s’éleva un autre roi qui ne connaissait pas Joseph ». Nouveaux motifs de désespoir : d’abord la famine ; ensuite ils sont tombés aux mains de leur frère ; en troisième lieu, le roi prononce contre eux un arrêt de mort ; et pourtant ils ont été sauvés de tous ces dangers. Ensuite, pour montrer la sagesse de Dieu, il dit : « En ce temps-là naquit Moïse qui fut agréable au Seigneur ». S’il est étonnant que Joseph ait été vendu par ses frères, il l’est bien plus qu’un roi, destiné à périr, ait élevé celui même qui devait le renverser du trône. Voyez-vous presque partout la figure de la résurrection ? Que quelque chose se fasse par la volonté de Dieu ou par celle de l’homme, c’est bien différent. Mais rien, de ceci n’était l’effet de la volonté humaine. « Et il était puissant en paroles et en œuvres ». Il dit cela pour montrer que Moïse fut un sauveur, et que l’on se montra ingrat envers lui. De même que Joseph, Moïse sauva ceux qui l’avaient maltraité. Sans doute on ne le fit pas réellement mourir, mais, comme Joseph, il fut tué en parole. Joseph fut vendu pour passer de sa patrie dans une terre étrangère ; Moïse fut chassé d’une terre étrangère à une terre étrangère. L’un procura de la nourriture, l’autre donna des conseils pour apprendre à être avec Dieu. De tout cela, ressort la vérité proclamée par Gamaliel : « Si cette œuvre est de Dieu, vous ne pourrez la détruire ». Mais vous, qui voyez comment ceux dont on a cherché la perte deviennent les sauveurs de ceux qui voulaient les perdre, admirez la sagesse et les ressources de Dieu ! car, si ceux-ci n’eussent pas formé leurs coupables projets, ils n’eussent pas été sauvés. Il vint une famine, et elle ne les fit pas mourir. Bien plus : ils furent sauvés par celui qu’ils croyaient perdu. Le roi donne un ordre, et il ne les détruit pas ; au contraire, le peuple croissait quand celui qui les connaissait mourut. Ils voulaient faire périr leur sauveur, et ils n’en purent venir à bout. 2. Vous voyez comment Dieu fait tourner à l’accomplissement de sa promesse les efforts mêmes que le démon fait pour la détruire. Ils étaient donc autorisés à dire : Dieu est fécond en ressources et il peut nous tirer d’ici. Car, c’était là une preuve de la sagesse de Dieu que le peuple se multipliât au sein de l’adversité, au milieu de la servitude, des mauvais traitements, des meurtres. Telle était la grandeur de la promesse. Qu’ils se fussent multipliés dans leur propre pays, t’eût été moins étonnant. Et ils ne sont pas restés peu de temps sur la terre étrangère, mais quatre cents ans. Cela nous apprend qu’ils ont montré une grande sagesse : car on ne se conduisait point envers eux comme des maîtres à l’égard de leurs serviteurs, mais comme des ennemis et des tyrans. Voilà pourquoi Dieu prédit qu’ils seront un jour dans une grande liberté : car c’est le sens de ces paroles : « Ils me serviront et reviendront ici », non sans être vengés. Et voyez comme il semble attribuer ici quelque chose à la circoncision, bien qu’il ne lui accorde réellement rien : car la promesse avait précédé la circoncision qui n’est venue qu’après. « Et les patriarches jaloux ». Ici, il ne les blesse pas ; il cherche à leur faire plaisir. Il appelle leurs ancêtres patriarches, parce qu’ils en étaient fiers. D’autre part, il fait voir que les saints n’ont pas été exempts de tribulations ; mais que c’est au sein même des tribulations qu’ils ont été secourus. Et non seulement ils ne s’en dégageaient pas, mais quand ils auraient dû y mettre un terme, ils aidaient à leurs oppresseurs. Comme les frères de Joseph, en le vendant, l’avaient rendu plus illustre, ainsi fit le roi pour Moïse, en ordonnant de tuer les enfants : car, sans cet ordre, rien ne serait arrivé. Voyez la providence de Dieu ! Le roi met Moïse en fuite, et Dieu ne s’y oppose pas, parce qu’il ménage l’avenir et veut le rendre digne de la vision céleste sur la terre étrangère. Ainsi, celui qui a été vendu comme esclave, il le fait roi là même où on le croit esclave. Et comme Joseph règne là où on l’a vendu, ainsi le Christ déploie sa puissance dans la mort. Ce n’était pas seulement une question d’honneur, mais aussi confiance en sa propre vertu. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut. « Et il l’établit intendant sur l’Égypte et sur toute sa maison ». Voyez quels événements Dieu prépare par la famine. « Jacob descendit en Égypte avec soixante-quinze personnes. Et il y mourut, lui et nos pères. « Et ils furent transportés à Sichem et déposés dans le sépulcre qu’Abraham avait acheté à prix d’argent du fils d’Hémor, fils de Sichem ». Preuve qu’ils n’avaient pas même la propriété d’un tombeau. « Mais comme approchait le temps de la promesse que Dieu avait jurée à Abraham, le peuple crût et se multiplia en Égypte, jusqu’à ce qu’il s’éleva un autre roi qui ne connaissait pas Joseph ». Vous voyez que Dieu ne les avait pas multipliés pendant tant d’années, mais seulement quand la fin approcha ; et pourtant ils avaient passé plus de quatre cents ans en Égypte. Voilà le prodige. « Celui-ci, circonvenant notre nation, affligea nos pères, jusqu’à leur faire exposer leurs enfants pour en empêcher la propagation ». – « Circonvenant » ; par ce mot il indique le meurtre secret : car Pharaon ne voulait pas les tuer publiquement ; et pour cela il ajoute : « Jusqu’à leur faire exposer leurs enfants. En ce même temps naquit Moïse qui fut agréable à Dieu ». L’étonnant est que le futur chef ne naît ni avant ni après, mais au milieu même de ces mesures de fureur. « Et il fut nourri trois mois dans la maison de son père ». C’est quand tout est humainement désespéré, quand ses parents l’ont rejeté, que l’action de la Providence se montre avec éclat. « Exposé ensuite, la fille de Pharaon le prit et le nourrit comme son fils ». Quand de si grands événements se passaient, il n’y avait encore ni temple, ni sacrifice. Et il fut nourri dans une maison étrangère. « Et Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens, et il était puissant en paroles et en œuvres ». Je m’étonne qu’il eût vécu là quarante ans et que la circoncision ne l’ait pas trahi ; et encore plus que lui et Joseph, au sein d’une vie tranquille, aient ainsi négligé leurs propres intérêts pour sauver les autres. « Mais lorsque s’accomplissait sa quarantième année, il lui vint dans l’esprit de visiter ses frères, les enfants d’Israël. Et ayant vu l’un d’eux injustement traité, il défendit et vengea celui qui souffrait l’injure, en frappant l’Égyptien. Or, il pensait que ses frères comprendraient, que Dieu les sauverait par sa main ; mais ils ne le comprirent pas ». Voyez comme Étienne ne paraît point encore importun, quand il rappelle de si grands événements, et comment on supporte de l’entendre : tant la beauté de son visage les charmait ! « Il pensait que ses frères comprendraient ». Et pourtant il prouvait sa mission par ses œuvres, et il n’y avait pas besoin d’un effort d’intelligence ; néanmoins, ils ne comprirent pas. Voyez avec quelle modération il parle, et comment, après avoir montré Moïse irrité dans cette circonstance, il nous le présente plein de douceur dans une autre. « Le jour suivant il en vit qui se querellaient, et il s’efforçait de les remettre en paix, en disant : « Hommes, vous êtes frères ; pourquoi vous faites-vous tort l’un à l’autre ? Mais celui qui faisait injure à l’autre le repoussa en disant : Qui t’a établi chef et juge sur nous ? Veux-tu me tuer comme tu as tué hier l’Égyptien ? » C’était dans les mêmes sentiments, paraît-il, et dans le même langage qu’ils disaient au Christ : « Nous n’avons pas d’autre roi que César ». Ainsi les Juifs avaient-ils coutume de traiter leurs bienfaiteurs. Voyez-vous la folie ? Ils accusent celui qui doit les sauver, en disant : « Comme tu as tué hier l’Égyptien. Sur cette parole, Moïse s’enfuit, et il demeura comme étranger sur la terre de Madian, où il engendra deux fils ». Il fuit, mais la fuite, pas plus que là mort, ne détruisit l’œuvre providentielle. « Et après quarante ans, l’ange du Seigneur lui apparut dans le désert du mont Sina, au milieu d’un buisson enflammé ». 3. Voyez-vous comme le temps ne saurait nuire aux vues de la Providence ? C’est quand il est en fuite, quand il est proscrit, quand il a passé un long temps sur la terre étrangère et qu’il y a eu deux fils, quand il n’y a plus d’espoir de retour, c’est alors que l’ange lui apparaît. Il donne le nom d’ange au Fils de Dieu, comme à un homme. Et où a lieu l’apparition ? Dans le désert, non dans le temple. Vous le voyez : combien de prodiges ! Et il n’y a point de temple, point de sacrifice. Et ce n’est pas seulement dans le désert, mais dans un buisson. « Ce que Moïse apercevant, il admira la vision, et comme il s’approchait pour examiner, la voix du Seigneur se fit entendre ». Voilà que Dieu lui fait l’honneur de lui parler. « Je suis le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ». Ici, on voit non seulement que l’ange qui lui apparaît est l’ange du grand conseil, mais encore on découvre la bonté que Dieu montre dans cette vision. « Mais Moïse, devenu tout tremblant, n’osait plus regarder. Et le Seigneur lui dit : Ôte la chaussure de tes pieds ; car le lieu où tu es est une terre sainte ». Il n’y a pas de temple, et le lieu est devenu saint par l’apparition et l’opération du Christ. C’est bien plus merveilleux que le Saint des saints, où Dieu n’a jamais apparu de cette manière, où jamais Moïse n’a ainsi tremblé. Vous avez vu la bonté de Dieu, voyez aussi sa sollicitude. « J’ai vu parfaitement l’affliction de mon peuple qui est en Égypte, j’ai entendu son gémissement, et je suis descendu pour le délivrer. Maintenant, viens, je t’enverrai en Égypte ». Ici, il fait voir que Dieu les conduisait par des bienfaits, par les châtiments et par les prodiges ; mais eux restaient les mêmes. Ceci nous apprend aussi que Dieu est partout. Convaincus de cette vérité, recourons à lui dans les afflictions. « J’ai entendu son gémissement ». – Il ne dit pas simplement : « J’ai entendu » ; mais : à cause des malheurs. Et si quelqu’un demande Pourquoi a-t-il permis qu’ils fussent ainsi affligés ? qu’il apprenne que les afflictions sont pour tous les justes des sources de récompenses ; ou encore il a permis qu’ils – fussent affligés pour faire éclater sa puissance et leur apprendre à être sages en tout. Et voyez que dans le désert non seulement « ils s’engraissèrent, ils s’épaissirent, ils s’élargirent », mais encore ils abandonnèrent Dieu. Car partout, mon cher auditeur, le relâchement de l’âme est un mal. Voilà pourquoi Dieu dit à Adam dès le commencement : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ». Il a permis qu’ils fussent affligés, de peur que, passant à un repos parfait du sein d’une grande tribulation, ils n’en conçussent de l’arrogance, car l’affliction est un grand bien. Écoutez là-dessus le roi David : « C’est pour mon bien que vous m’avez humilié ! » L’affliction est une grande chose pour les grands hommes, objets de notre admiration, à plus forte raison pour nous. Si vous voulez, examinons-la en elle-même. Supposons un homme nageant dans la joie, livré au plaisir et à la volupté : quoi de plus honteux ? quoi de plus insensé ? Supposons au contraire quelqu’un accablé de douleur et de chagrin, quoi de plus sage ? Aussi le Sage nous dit-il : « Il vaut mieux entrer dans une maison de deuil que dans une maison de joie ». (Sir 7,3) Peut-être vous moquez-vous de ce que je dis ? Eh bien ! voyons ce qu’Adam fut dans le paradis et ce qu’il fut après ; ce que Caïn fut d’abord et ce qu’il fut ensuite. L’âme ne reste point fixe en elle-même ; mais, comme le souffle du vent, le plaisir l’emporte, elle devient légère, elle n’a plus rien de solide. En effet, elle est prompte à promettre, prompte à engager sa parole, et ballottée par une multitude de raisonnements. De là des rires déplacés, de la gaîté sans raison, un flux de paroles niaises et inutiles. Mais pourquoi parler de la foule ? Prenons quelque saint, par exemple, et voyons ce qu’il a été dans la joie et ce qu’il a été dans la tristesse. Voulez-vous que nous choisissions David ? Quand il était dans le plaisir et dans le bonheur à raison de ses nombreux trophées, de ses victoires, de ses couronnes, de ses délices, de sa sécurité, voyez ce qu’il a dit et ce qu’il a fait : « Pour moi j’ai dit au sein de mon abondance : Je ne serai plus jamais ébranlé ». (Psa 29) Mais écoutez ce qu’il disait quand il était dans l’affliction : « Et s’il me dit : Je ne veux plus de toi ; me voici : qu’il fasse ce qui sera agréable à ses yeux ». (Psa 29) Mais écoutez ce qu’il disait quand il était dans l’affliction : « Et s’il me dit : Je ne veux plus de toi ; me voici : qu’il fasse ce qui sera agréable à ses yeux ». (2Sa 15,26) Quoi de plus sage que ces paroles : que tout ce qui plaît à Dieu s’accomplisse ? Et encore ce qu’il disait à Saül : « Si le Seigneur vous excite contre moi, que votre sacrifice soit de bonne odeur ». (1Sa 24,19) Quand il était dans l’affliction, il épargnait même ses ennemis ; mais dans la suite il n’épargna ni ses amis, ni ceux qui ne lui avaient fait aucun mal. Jacob disait aussi dans sa tristesse : « Si Dieu me donne du pain à manger et un vêtement pour me couvrir ». (Gen 27,30) Jusque-là le fils de Noé n’avait rien fait de coupable ; mais dès qu’il fut assuré d’être sauvé, vous savez comme il devint insolent. Et quand Ezéchias était dans l’affliction, voyez ce qu’il a fait pour son salut : il revêtit un sac et s’assit à terre ; mais quand il était dans la joie, il tomba par enflure de cœur. Aussi Moïse donne-t-il cet avis : « Quand tu auras mangé et bu et que tu seras rassasié, souviens-toi de ton Dieu ». (Deu 6,12) Un lieu de délices est dangereux et produit l’oubli de Dieu. Quand les Israélites étaient dans l’affliction, ils étaient beaucoup plus nombreux ; dans les temps prospères ils périssaient tous. Mais pourquoi chercher des exemples chez les anciens ? Voyons, si vous le voulez, ce qui se passe chez nous. La plupart s’enflent quand ils sont dans la prospérité ; ils sont odieux à tout le monde, ils sont colères tant qu’ils jouissent du pouvoir : quand ils l’ont perdu, ils deviennent humbles, doux, et sont ramenés à l’étude, de leur propre nature. C’est ce que David nous enseigne, quand il dit : « L’orgueil les a dominés jusqu’à la fin ; leur iniquité est comme le résultat de leur embonpoint ». J’ai dit tout cela afin que nous ne cherchions pas la joie à tout prix. Mais, demandez-vous, pourquoi Paul dit-il : « Réjouissez-vous toujours ? » Il n’a pas dit simplement : « Réjouissez-vous » ; mais il a ajouté : « Dans le Seigneur ». 4. Et voilà la plus grande joie, celle que goûtaient les apôtres, la joie profitable, qui a son principe, sa racine, sa matière dans les prisons, dans la flagellation, dans les persécutions, ce qui lui donne un résultat avantageux. Toute autre est la joie du monde : elle commence par le plaisir, elle finit par la tristesse. Je ne défends pas de se réjouir dans le Seigneur ; j’y exhorte beaucoup au contraire. Les apôtres étaient flagellés, et ils se réjouissaient ; ils étaient chargés de chaînes, et ils rendaient grâces ; ils étaient lapidés, et ils prêchaient. Voilà la joie que je veux ; celle qui ne procède point de la chair, mais de l’esprit. On ne peut se réjouir à la fois selon le monde et selon Dieu ; car quiconque se réjouit selon le monde se réjouit de la richesse, de la volupté, de la gloire, de la puissance, du faste ; mais celui qui se réjouit selon Dieu, se réjouit d’être méprisé pour lui, de la pauvreté, du délaissement, du jeûne, de l’humilité. Ce sont, vous le voyez, des motifs tout opposés. Ici tous ceux qui sont sans joie sont sans chagrin, et ceux qui sont sans chagrin sont sans joie. Et en réalité voilà ce qui fait le véritable bonheur ; car, du côté du monde, il n’y en a que le nom de bonheur, puisque tout est dans la tristesse. Quelle n’est pas la tristesse de l’orgueilleux ? Combien son arrogance ne lui coûte-t-elle pas ! Il s’attire mille injures, une grande haine, beaucoup d’inimitié, de jalousie, d’envie. S’il est injurié par de plus puissants que lui, il s’en afflige ; s’il ne tient pas tête à tout le monde, il est déchiré. Mais l’homme humble, au contraire, jouit d’une grande félicité ; il n’attend d’honneurs d’aucun côté ; s’il en reçoit, il s’en réjouit ; s’il n’en reçoit point, il ne s’attriste pas, il se félicite plutôt. Ainsi il y a une grande volupté à recevoir des honneurs sans les rechercher. L’homme du monde, au contraire, cherche à être honoré et ne l’est pas. Mais l’honneur ne procure pas le même plaisir à celui qui le recherche et à celui qui ne le recherche pas. Le premier ne croit jamais en avoir assez, tant qu’il en puisse avoir ; si peu que le second en reçoive, il est aussi content que s’il avait tout. De plus l’homme qui vit dans les délices a mille affaires, bien que ses revenus arrivent facilement et coulent comme de source ; il craint les maux qui naissent de la volupté, et les incertitudes de l’avenir ; l’autre est toujours tranquille, toujours joyeux, parce qu’il est habitué au régime de la médiocrité. Il ne se croit pas malheureux parce qu’il n’a pas une table splendide, mais il jouit de n’avoir point à redouter un avenir incertain. Quant aux maux qui naissent d’une vie de délices, chacun les connaît, mais il est nécessaire d’en dire un mot. Il y a deux guerres, celle du corps et celle de l’âme ; il y a deux tempêtes, deux maladies, et de plus, ces maladies sont incurables et entraînent de grandes calamités. Il n’en est pas de même de la frugalité ; elle procure une double santé, des avantages doubles. « Un sommeil sain », dit le Sage, « est le partage de l’estomac sobre ». (Sir 31,24) En toute chose la médiocrité est désirable, et le défaut de modération a des inconvénients. Et voyez jetez sur un petit charbon une grande quantité de bois, vous n’aurez pas une flamme brillante, mais une fumée extrêmement désagréable. Chargez un homme grand et fort d’un fardeau qui dépasse ses forces, vous le verrez tomber à terre avec sa charge. Mettez sur un navire une cargaison trop lourde, vous ferez un misérable naufrage. Il en est ainsi d’une vie de délices ; car de même que dans les vaisseaux surchargés il y a un grand tumulte, quand les matelots, le pilote, le timonier, les passagers, jettent à la mer ce qui est sur le pont et ce qui est, à fond de cale ; ainsi le voluptueux rejette tout, se corrompt lui-même et périt ▼▼Il serait difficile de rendre littéralement cette phrase et la suivante, sans blesser la délicatesse de notre langue.
. Et ce qu’il y a de plus honteux, c’est que le rôle des organes est interverti, que la bouche est assimilée aux parties les moins nobles et se trouve plus, déshonorée qu’elles ; que si la bouche est ainsi dégradée, que sera-ce de l’âme ? Là tout est obscurité, tempête, ténèbres, confusion de pensées pressées, étreintes, l’âme elle-même proclamant sa détresse. Aussi ceux qui sont les esclaves de leur ventre s’accusent les uns les autres, ne se supportent pas mutuellement et rejettent avec empressement toute l’ordure de leur cœur. Et quand elle est rejetée, ils n’ont pas le calme pour autant ; mais il leur reste les maladies et les fièvres. Oui, dira-t-on, ils sont malades, et leur conduite est honteuse ; il est inutile de nous raconter tout cela, de nous énumérer leurs maladies ; mais moi, qui n’ai pas de quoi manger, je suis malade aussi, je suis déchiré, je me conduis honteusement ; et ceux qui vivent dans les délices on les voit en bon état, gras, joyeux, montés sur des chevaux. Hélas ! quel langage déplorable ! Et ceux qui souffrent de la goutte, qui ne vont qu’en voiture, qui sont liés et bandés dans tous les membres, dites-moi un peu d’où viennent-ils ? Je les nommerais par leurs noms, si je ne craignais qu’ils ne s’en offensassent comme d’une injure. Mais, dirait-on, il y en a qui se portent bien, sans doute, mais parce qu’ils s’adonnent au travail et non pas seulement au plaisir. Mais montrez-moi un homme toujours s’engraissant, toujours oisif et inerte, inoccupé et malgré cela bien portant, vous ne le pouvez pas. Quand tous les médecins seraient là, ils ne pourraient guérir de ses maladies l’homme toujours adonné à son ventre : la nature des choses ne le permet pas. Je vais vous donner l’opinion même des médecins : Tout ce qu’on introduit dans l’estomac ne devient pas aliment ; car la nourriture elle-même ne contient pas uniquement des éléments nutritifs ; il est des parties destinées aux sécrétions, d’autres à l’alimentation. Si donc vous usez de modération, tout se passe en règle, chaque chose prend sa place propre ce qui est sain et utile va où il doit aller, l’inutile et le superflu se sépare et est rejeté. Mais si vous ne gardez pas de mesure, même ce qui est nutritif devient nuisible. Un exemple rendra ceci plus sensible : Dans le blé il y a la fleur de farine, là farine et le son. Si la meule rencontre la quantité qu’elle peut moudre, elle sépare elle-même les parties ; si on lui en jette trop à la fois, tout est confondu. Il en est de même du vin : si on le traite d’une manière convenable et dans le temps voulu, il se fait d’abord un mélange, puis une partie descend et forme la lie, l’autre monte en écume, et le reste est à l’usage de ceux qui veulent en user : c’est la partie utile qui ne subit pas volontiers de changements ; mais jusque-là ce n’est ni du vin ni de la lie, car tout est mêlé. Ainsi en est-il encore de la mer dans une grande tempête. De même donc que nous voyons alors surnager les poissons morts qui n’ont pu descendre au fond à raison du froid ; ainsi quand la voracité fond sur nous comme un torrent, elle met tout en mouvement et fait surnager comme mortes nos pensées jusque-là saines et tranquilles. Eh bien ! puisque tant d’exemples nous font voir de si grands inconvénients, cessons d’appeler heureux ceux qu’il faudrait appeler malheureux, et de plaindre ceux qu’il faudrait appeler heureux, et aimons la sobriété. N’entendez-vous pas les médecins dire que la pauvreté est la mère de la santé ? Et moi je dis qu’elle n’est pas seulement la mère de la santé du corps, mais aussi de celle de l’âme. C’est ce que Paul, ce vrai médecin, nous crie : « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en ». Suivons son avis, afin d’être sains et de faire ce qu’il faut faire dans Jésus-Christ Notre-Seigneur, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XVII.
CE MOÏSE, QU’ILS AVAIENT RENIÉ, DISANT : QUI L’A ÉTABLI CHEF ET JUGE SUR NOUS ? FUT CELUI-LÀ MÊME QUE DIEU ENVOYA COMME CHEF ET LIBÉRATEUR PAR LA MAIN DE L’ANGE QUI LUI APPARUT DANS LE BUISSON. (CHAP. 7,35, JUSQU’AU VERS. 53) ANALYSE.
- 1 et 2. Suite du discours de saint Étienne. – Que la législation mosaïque et le temple n’étaient que des institutions transitoires.
- 3 et 4. Parlons et agissons en toute occasion avec le calme et la confiance de saint Étienne. – La colère dégrade l’homme ; il n’est pas d’action dans la vie qu’elle ne trouble, pas de dessein qu’elle ne fasse échouer. – On l’a bien définie un mouvement déraisonnable. – Loin de nous cette colère funeste ; mais ayons celle qui brûle d’opérer le salut de notre prochain. – Trop souvent nous sommes mous et sans vigueur lorsqu’il s’agit de corriger le prochain, et violent quand il faudrait montrer de la mansuétude.
1. Voici qui convient parfaitement au but qu’on se propose. « Ce Moïse », quel est-il ? Celui qui a failli périr, celui qu’ils ont méprisé, qu’ils ont renié en disant : « Qui t’a établi chef ? » Tout comme ils disaient au Christ : « Nous n’avons de roi que César. Ce fut celui-là que Dieu envoya comme chef et « libérateur par la main de l’ange qui lui avait dit : Je suis le Dieu d’Abraham ». Il montre ici que les miracles qui furent opérés, le furent par le Christ. « Celui-là », c’est-à-dire, Moïse (et voyez comme il le fait briller), « les a tirés de la terre d’Égypte, y opérant des prodiges et des miracles, aussi bien que dans la mer Rouge et dans le désert pendant quarante ans. C’est ce Moise qui a dit aux enfants d’Israël : Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi », c’est-à-dire, méprisé, exposé aux embûches. En effet, Hérode a voulu tuer le Christ, qui a été sauvé en Égypte, comme Moïse encore enfant avait été mis en danger de périr. « C’est lui qui se trouva dans l’assemblée du peuple au désert, avec l’ange qui lui parlait sur le mont Sina, et avec nos pères, lui qui reçut les paroles de vie pour nous les donner ». Encore une fois, point de temple, point de sacrifice. « Avec l’ange, il reçut les paroles de vie pour nous les donner ». Ici il indique que Moïse n’a pas seulement fait des prodiges, mais aussi donné une loi comme le Christ. Et comme Moïse a fait des miracles avant de donner une loi, ainsi a fait le Christ. Mais habitués à désobéir, ils ne l’écoutèrent point, même après les prodiges, même après les miracles opérés pendant quarante ans. non seulement ils n’obéirent point, mais ils firent tout le contraire. D’où il ajoute : « Et nos pères ne voulurent point lui obéir, mais ils le repoussèrent, retournant de cœur en Égypte, et disant à Aaron : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous ; car ce Moïse, qui nous a tirés de la terre d’Égypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé. Et ils firent un veau en ces jours-là, et ils offrirent une victime à l’idole, et ils se réjouissaient dans l’œuvre de leurs mains. Mais Dieu se détourna et les laissa servir la milice du ciel, comme il est écrit au livre des prophètes : « Maison d’Israël, m’avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans dans le désert ? Vous avez porté le tabernacle de Moloch et l’astre de votre dieu Remphan, figures que vous avez faites pour les adorer. Aussi je vous transporterai au-delà de Babylone. Il les laissa », c’est-à-dire, il permit. « Et le tabernacle du témoignage a été avec nos pères dans le désert comme Dieu le leur avait ordonné, parlant à Moïse afin qu’il le fît selon le modèle qu’il avait vu ». Bien qu’il y eût un tabernacle, il n’y avait pas de sacrifices. Et la preuve en est dans ces paroles du prophète : « M’avez-vous offert des victimes et des sacrifices ? » Le tabernacle du témoignage existait, et il leur était inutile, car ils périssaient. Avant cela les miracles n’avaient servi à rien ; ils ne servirent pas davantage après. « Et l’ayant reçu, nos pères l’emportèrent ». Voyez-vous que tout lieu est sanctifié par la présence de Dieu ? Aussi dit-il : « Dans le désert », pour comparer lieu à lieu. Ensuite vient le bienfait. « Et l’ayant reçu, nos pères l’emportèrent sous Jésus dans le pays des nations que Dieu chassa devant nos pères jusqu’aux jours de David, qui trouva grâce devant Dieu et demanda de trouver une demeure pour le Dieu de Jacob ». David demanda de bâtir, et cela ne lui fut point accordé, quoiqu’il fût grand et admirable. C’est Salomon, ce prince rejeté, qui bâtit. Aussi ajoute-t-il : « Ce fut Salomon qui lui bâtit un temple. Mais le Très-Haut n’habite pas dans les temples faits de main d’homme ». Ce qui précède l’avait déjà prouvé, mais la parole du prophète le déclare encore ; écoutez comment : « Selon ce que dit le prophète : Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds. Quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, ou quel est le lieu de mon repos ? N’est-ce pas ma main qui a fait toutes ces choses ? » Ne vous étonnez pas, leur dit-il, si le Christ fait du bien même à ceux qui le rejettent comme roi, puisqu’il en a été ainsi du temps de Moïse. Et il ne les a pas seulement sauvés, mais sauvés pendant qu’ils étaient dans le désert. Ne voyez-vous pas que tous ces miracles ont été faits pour eux ? Ainsi celui qui s’était entretenu avec Dieu, qui avait été sauvé contre toute attente, qui avait fait tant de prodiges et était doué d’une si grande puissance, montre que la prophétie devait être entièrement accomplie, et n’est point en contradiction avec lui-même. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : « C’est ce Moïse qui a dit : Dieu vous suscitera un prophète comme moi ». C’est à cela, je pense, que le Christ faisait allusion, quand il disait : « Le salut vient des Juifs » (Jn 4,22), se désignant lui-même : « C’est lui qui se trouva au désert avec l’ange qui lui parlait ». Il montre une seconde fois que c’est le Christ qui a donné la loi, puisqu’il était avec Moïse dans l’assemblée, dans le désert. Il rappelle ici le grand prodige qui s’est opéré sur la montagne. « Qui a reçu les paroles de vie pour nous les donner ». Moïse fut partout admirable, mais surtout au moment où il fallait donner la loi. Que signifient ces mots : « Paroles de vie ? » Ils désignent ou ce que ses discours avaient en vue, ou les prophéties. Puis vient le reproche aux patriarches, qui, après tant de signes et de prodiges, après avoir reçu les paroles de vie, « ne voulurent point lui « obéir ». Il les appelle avec raison « paroles de vie », pour montrer qu’il y en a d’autres qui ne sont point telles, ainsi que le dit Ézéchiel : « Je vous ai donné des commandements qui ne sont pas bons ». (Eze 20,25) C’est pour cela qu’il dit : « Paroles de vie. Mais ils le repoussèrent, retournant de cœur en Égypte », où, ils gémissaient, où ils criaient, où ils invoquaient Dieu. « Et ils dirent à Aaron : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous ». 2. O folie ! « Fais », disent-ils, « afin qu’ils marchent devant nous ». Où ? Vers l’Égypte. Voyez-vous comme ils renonçaient difficilement aux mœurs des Égyptiens ? Que dites-vous ? Vous n’attendez pas celui qui vous a délivrés, vous rejetez le bienfait, vous fuyez votre bienfaiteur ? Et voyez comme ils l’outragent ! « C’est ce Moïse qui nous a tirés de la terre d’Égypte ». Le nom de Dieu n’est prononcé nulle part ; tout est attribué à Moïse. Quand il faudrait rendre grâces, on met en avant le nom de Moïse ; mais quand il faut obéir à la loi, on n’en parle plus. Il leur avait dit qu’il montait pour recevoir la loi ; ils me l’attendirent pas même quarante jours. « Fais-nous des dieux ». Ils ne disent pas : un dieu, mais « des dieux », tant ils étaient égarés, au point de ne savoir ce qu’ils disaient. « Et ils firent un veau en ces jours-là, et ils offrirent des sacrifices à l’idole ». Voyez-vous l’excès de leur folie ? Pendant que Dieu se manifeste à Moïse, ils font un veau et lui immolent des victimes. « Et ils se réjouissaient dans l’œuvre de leurs mains ». Ils se réjouissaient quand il eut fallu rougir. Et quoi d’étonnant si vous méconnaissez le Christ, quand vous méconnaissez Moïse et Dieu qui s’est manifesté par tant de miracles ? Mais les Juifs ne se contentent pas de méconnaître, ils outragent en faisant des idoles. « Mais Dieu se détourna et les laissa servir la milice du ciel ». Voilà l’origine de ces coutumes, de ces sacrifices ; ils ont d’abord immolé aux idoles. C’est ce que David rappelle quand il dit : « Et ils firent un veau à Horeb et ils adorèrent l’ouvrage du ciseau ». (Psa 105) En effet, avant cela on ne parlait pas même de sacrifices, mais de préceptes de vie, de paroles de vie ; point d’initiations, mais des prodiges et des signes. « Comme il est écrit au livre des prophètes ». Ce n’est pas sans raison qu’il produit ce témoignage, mais pour prouver qu’il n’y a pas besoin de sacrifices. Et voyez ce qu’il dit : « M’avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans dans le désert ? Au contraire, vous avez porté le tabernacle de Moloch et l’astre de votre dieu Remphan, figures que vous avez faites pour les adorer ». Ce langage est emphatique ; il signifie : Vous ne pouvez dire que vous avez sacrifié aux dieux parce que vous me sacrifiiez d’abord à moi-même. Et cela dans le désert, où il avait surtout pris leur direction. « Et vous avez porté le tabernacle de Moloch ». Voilà la cause des sacrifices. « Aussi je vous transporterai au-delà de Babylone ». Ainsi la captivité accuse leur malice. Mais, direz-vous, pourquoi y avait-il un « tabernacle du témoignage ? » Afin qu’ils eussent Dieu pour témoin ; c’était là son seul but. « Selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne ». Ainsi la description en avait été faite sur la montagne ; on le portait de tous côtés dans le désert, et il ne se fixait nulle part. Il l’appelle « tabernacle du témoignage » uniquement à cause des prodiges et des préceptes. Cependant ni le tabernacle ni eux n’avaient de temple. L’ange en avait donc donné la figure. « Jusqu’aux jours de David ». Ainsi jusque-là il n’y eut pas de temple, et pourtant les nations avaient été repoussées, celles dont il est dit : « Que Dieu chassa devant nos pères ». Il a dit cela pour montrer encore une fois qu’il n’y avait pas de temple. Quoi donc ? Tant de miracles et point de temple ? Oui ; le tabernacle d’abord, et point de temple. Et il demanda de trouver grâce devant le Seigneur. Il demanda et ne bâtit pas ; le temple n’était donc pas une bien grande chose, bien que, pour l’avoir bâti, Salomon soit réputé grand par quelques-uns et même préféré à son père. Mais la preuve qu’il n’était pas meilleur que son père, qu’il ne l’égalait même pas (sauf l’opinion d’un petit nombre), est dans le passage suivant : « Le Très-Haut n’habite pas dans des temples bâtis de main d’homme, selon la parole du prophète : Le ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds ». Et encore ces choses ne sont-elles pas dignes de Dieu ; puisqu’elles sont créées, puisqu’elles sont l’œuvre de ses mains ? Voyez comme il élève peu à peu leur pensée ! Il fait voir par le prophète que ce langage même n’est pas digne de Dieu. Et pourquoi, dira-t-on, parle-t-il ici avec tant de vivacité ? L’approche de la mort lui donnait une grande liberté : car je pense qu’il la connaissait par révélation. « Hommes à tête dure et incirconcis du cœur et des oreilles » ; ceci est encore prophétique et ne lui est pas propre. « Vous résistez toujours à l’Esprit-Saint. Il en est de vous comme de vos pères ». Quand il ne voulait pas qu’il y eût de sacrifices, vous en faisiez ; quand il en veut, vous n’en faites plus ; quand il ne voulait pas vous donner de préceptes, vous en demandiez ; quand vous les aviez reçus, vous les avez méprisés ; quand le temple était debout, vous adoriez des idoles ; quand il veut être adoré dans le temple, vous faites tout le contraire. Remarquez qu’il ne dit pas : Vous résistez à Dieu, mais et à l’Esprit » ; ainsi il n’y voyait aucune différence. Il va plus loin : « Il en est de vous comme de vos pères ». Le Christ leur faisait le même reproche, voyant qu’ils se glorifiaient toujours de leurs pères « Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté ? Ils ont mis à mort ceux qui prédisaient la venue du Juste ». Pour les contenir, il leur parle encore « du Juste : que vous avez naguère trahi et mis à mort ». Il leur fait deux reproches : de l’avoir méconnu, et de l’avoir fait mourir. « Vous qui avez reçu la loi par le ministère, des anges et ne l’avez pas gardée » 3. Qu’est-ce que cela ? Quelques-uns pensent que les anges auraient réglé la loi. Mais il n’en est pas ainsi. Où a-t-on jamais vu que les anges aient réglé une loi ? Il veut dire que la loi a été donnée à Moïse par le ministère de l’ange qui lui a apparu dans le buisson. En effet, n’était-il pas homme ? Rien donc d’étonnant que ceux qui avaient fait l’un, aient encore fait l’autre ; si vous avez tué ceux qui annonçaient, à plus forte raison deviez-vous tuer celui qui était annoncé. Il démontre ainsi qu’ils ont désobéi à Dieu, aux anges, aux prophètes, à l’Esprit, à tous, comme le dit ailleurs l’Écriture : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes et renversé vos autels ». (1Ro 19,10) Ils ne respectaient donc la loi qu’en apparence, quand ils disaient : « Il blasphème contre Moïse ». Mais lui leur démontre qu’ils blasphèment non seulement contre Moïse, mais aussi contre Dieu ; qu’ils ont déjà fait cela autrefois, qu’ils ont détruit les traditions et qu’ils n’en ont plus besoin ; que tout en lui reprochant d’être en opposition avec Moïse, ils résistent eux-mêmes à l’Esprit, non d’une manière ordinaire, mais avec homicide, et que depuis longtemps ils nourrissent leur inimitié. Voyez-vous comme il leur prouve qu’ils sont en opposition avec Moïse, avec tous, et qu’ils n’observent pas la loi ? En effet, Moïse avait dit : « Le Seigneur vous suscitera un prophète » ; d’autres avaient prédit qu’il viendrait ; un prophète même avait dit : « Quelle maison me bâtirez-vous ? » Et encore : « M’avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans ? » C’était là la liberté d’un homme portant sa croix. Imitons-la, bien que nous ne soyons pas en guerre ; la liberté est de tous les temps. « Je parlais », dit-il, « de votre loi en présence des rois et je n’étais point confondu ». (Psa 118) Si nous sommes aux prises avec des gentils, fermons-leur ainsi la bouche, sans colère, sans rudesse. Car si nous agissons avec colère, ce n’est plus de la liberté, mais de la passion ; si nous procédons avec douceur, c’est de la vraie liberté. Il n’est pas possible que la même chose sait en même temps vertu et vice. La liberté est une vertu, la colère est un vice. Si nous voulons parler librement, nous devons donc être exempts de colère, de peur qu’on n’attribue notre langage à cette passion. Quelque justes que soient vos paroles, de quelque liberté que vous usiez, quelques avertissements que vous donniez, quoi que vous fassiez enfin ; si vous agissez avec colère, tout est perdu. Voyez qu’Étienne parle sans colère ; il ne les injurie pas, mais il se contente de leur rappeler les paroles des prophètes. Et la preuve qu’il était sans colère, c’est qu’il a prié pour ceux qui le maltraitaient, disant : « Ne leur imputez pas ce péché ». Paroles qui ne respirent point la colère, mais la douleur et la tristesse qu’il ressent à leur occasion. Aussi est-il dit de son visage : « Ils virent son visage comme le visage d’un ange », afin de les attirer. Soyons donc exempts de colère. Là où elle se – trouve, l’Esprit-Saint n’habite pas maudit l’homme qui s’y livre ! Il n’y a rien de sain à attendre d’une telle source. Car comme dans la tempête il se fait un grand tumulte, de grands cris, et que ce n’est pas le moment de philosopher ; ainsi en est-il dans la colère. Si on veut donner ou recevoir des leçons de philosophie, il faut attendre à être dans le port. Ne voyez-vous pas que, quand nous voulons parler de choses sérieuses, nous cherchons des endroits tranquilles, où règne le calme et la paix, afin de n’être point dérangés ? Que si le tumulte du dehors nous gêne, à plus forte raison le trouble du dedans. Si quelqu’un prie, sa prière est inutile, s’il la fait avec emportement et colère ; s’il parle, il est ridicule ; s’il se tait, il ne l’est pas moins ; s’il mange, il en souffre ; de même s’il boit ou ne boit pas ; s’il est assis ou debout ; s’il marche ou s’il dort : car la colère peut s’imaginer dans les rêves. Y a-t-il rien qui ne soit déplacé dans l’homme en colère ? Son regard est déplaisant, sa bouche tordue, ses membres tremblants et enflés, sa langue n’a plus de frein et ne ménage rien, son esprit est hors de lui-même ; sa tenue est inconvenante ; tout est désagréable en lui. Quelle différence y a-t-il entre les yeux des possédés du démon et ceux de l’homme qui est ivre ou en colère ? N’est-ce pas la même fureur ? Cela ne dure qu’un temps, dira-t-on, mais le furieux n’est enchaîné non plus que temporairement : et quoi de plus misérable ? Et on ne rougit pas de s’excuser en disant : Je ne savais ce que je disais l Et pourquoi ne le saviez-vous pas, vous homme raisonnable, vous qui avez la raison à votre disposition ? Pourquoi vous conduisez-vous comme les animaux brutes, comme le cheval furieux et emporté ? Cette apologie même est coupable. Plût au ciel que vous eussiez su ce que vous disiez ! C’était la colère qui parlait, dites-vous, et non pas moi. Comment était-ce la colère, puisqu’elle n’a pas d’autre puissance que celle que vous lui prêtez ? C’est comme si l’on disait : Ce n’est pas moi, mais ma main qui a porté ces blessures. Qu’est-ce qui a surtout besoin de colère ? n’est-ce pas la guerre ? n’est-ce pas le combat ? Et pourtant, là encore, la colère gâte tout, perd tout. Car c’est surtout dans le combat qu’il faut se tenir en garde contre la colère ; surtout encore quand on veut proférer une injure. Et comment combattre ? direz-vous. Par la raison, par la douceur. Combattre, c’est être d’un côté opposé. Ne voyez-vous pas que les guerres mêmes ont des lois, un ordre, des temps fixes ? La colère n’est autre chose qu’un élan déraisonnable ; or, un être sans raison ne peut rien faire de raisonnable. 4. Ainsi donc Étienne disait tout cela et ne se fâchait point. C’était aussi sans colère qu’Élie disait : « Jusqu’à quand boiterez-vous des deux côtés ? » (1Ro 18,21) Phinéés porta le coup mortel et ne se fâcha pas. Car la colère ne laisse pas voir ; enchaînant tout comme dans un combat de nuit, elle égare à son gré les yeux et les oreilles. Débarrassons-nous donc de ce démon, arrêtons-le dès le début, mettons en guise de frein un sceau sur notre cœur. La colère est un chien impudent ; qu’elle apprenne à se soumettre à la loi. Si le chien chargé de la garde du troupeau est tellement féroce, qu’il n’obéisse pas à l’ordre du berger et ne reconnaisse pas sa voix, tout est détruit, tout est perdu. Il paît avec les brebis ; mais s’il les dévore, il devient inutile et on le tue. S’il sait vous obéir, nourrissez-le ; il est utile en aboyant contre les loups, contre les voleurs, contre le chef des voleurs, mais non contre les brebis ou les gens de la maison. S’il n’est pas docile, il perd tout ; s’il méprise lavoir du maître, il détruit tout. Loin d’altérer la douceur qui est en vous ; que la colère la protège, et la fasse fleurir ; or, elle la protégera et la fera prospérer en toute sécurité, si elle consume les pensées impures et mauvaises, si elle poursuit le démon à outrance. Et le moyen de conserver la douceur, c’est de ne jamais penser de mal du prochain : nous nous rendrons respectables en apprenant à né jamais agir avec insolence. Rien ne rend impudent comme une mauvaise conscience. Pourquoi les prostituées sont-elles impudentes ? Pourquoi les vierges sont-elles pudiques ? N’est-ce pas le péché qui en ; est cause chez celles-là, et la chasteté chez celles-ci ? Car rien ne rend impudent comme le péché.. C’est tout le contraire, dites-vous ; il inspire la honte. Qui, chez celui qui se condamne lui-même ; mais il rend les autres plus insolents, plus, hardis, car l’homme qui désespère de lui-même devient audacieux. Il est écrit, : « Quand l’impie est arrivé au fond de l’abîme du péché, il méprise ». (Pro 18,3) Tout homme qui ne sait plus rougir est insolent, et tout insolent est audacieux. Voulez-vous savoir où se perd la douceur ? Quand les mauvaises pensées l’absorbent. Mais quand cela serait, et quand le chien n’aurait pas poussé de grands aboiements, il ne faudrait pas encore désespérer. Car nous avons une fronde et une pierre (vous savez ce que je veux dire).: nous avons une lance, une étable, un enclos, où nous pouvons abriter nos pensées contre le péril. Traiter doucement les brebis, se montrer vigilant et féroce contre les étrangers, voilà le mérite du chien ; puis ne pas toucher aux brebis, quand il a faim, et quand il est rassasié, ne pas épargner les loups. Qu’il en soit ainsi de la colère ; même quand elle mord, qu’elle ne s’écarte point des lois de la modération ; quand elle est en repos, qu’elle s’anime contre les mauvaises pensées. Elle ne doit point négliger, mais garder ce qui est à nous, fût-il blessant d’ailleurs ; elle doit détruire ce qui est étranger, quelque flatteur qu’il paraisse. Souvent le démon flatte comme un chien ; mais que chacun sache qu’il est étranger. Ainsi, accueillons la vertu, même quand elle attriste : repoussons le vice, même quand il réjouit. Ne soyons pas au-dessous des chiens, à qui le fouet et les chaînes ne font pas lâcher prise. Mais si l’étranger les nourrit, ne seront-ils pas encore plus nuisibles ? Il est des cas où la colère est utile : c’est quand elle aboie contre les étrangers. Que signifient ces mots : « Celui qui se met sans raison en colère contre son frère ? » (Mat 5,22) C’est-à-dire, ne vous vengez pas, ne réclamez pas en justice ; mais si vous voyez quelqu’un en danger de périr, tendez-lui la main. Dès que vous êtes dégagé de toute affection personnelle, ce n’est plus de la colère. David surprit Saül ; il ne se fâcha pas, il ne le perça pas de sa lance, il ne s’empara point de son ennemi, mais il repoussa l’assaut du démon. Moise tua l’étranger qui commettait une injustice ; mais il n’en agit point de même avec un homme de son peuple ; il réconciliait ses frères et repoussait les étrangers. Aussi, l’Écriture lui rend-elle ce témoignage : qu’il était le plus doux des hommes ; et pourtant il était vigilant. Il n’en est pas, ainsi de nous Quand nous devrions montrer de la douceur, nous sommes plus féroces que les bêtes sauvages ; et quand il faudrait montrer de l’ardeur, rien de plus lâche et de plus endormi. Ainsi donc, parce que nous ne savons pas user des ressources qui sont en nous, notre vie se consume dans l’inutilité. C’est comme en fait de meubles, si nous prenons l’un pour l’autre, nous perdons tout. Par exemple : un homme a une épée, et au lieu de l’employer où il faudrait, il se sert de sa main ; évidemment, il ne saurait réussir ; et si, quand il faudrait se servir de sa main, il emploie son épée, il perd tout. Ainsi, un médecin qui ne coupe pas où il faudrait, et coupe où il ne faudrait pas, gâte tout. Je vous prie donc d’agir ici à propos. Tant qu’il ne s’agit que de nos propres intérêts, ce n’est pas le cas de nous mettre en colère ; mais quand il faut corriger les autres, usons de ce moyen pour les sauver. En nous tenant ainsi toujours en garde contre cette passion, nous serons semblables à Dieu, et nous obtiendrons les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !