Colossians 3
HOMÉLIE VII.
QUE PERSONNE DONC NE VOUS CONDAMNE POUR LE MANGER ET POUR LE BOIRE, AU SUJET DES JOURS DE FÊTE OBSERVÉS EN PARTIE, DES NOUVELLES LUNES ET DES JOURS DE SABBAT, PUISQUE CES CHOSES SONT L’OMBRE DE CELLES QUI DEVAIENT ARRIVER, ET QUE JÉSUS-CHRIST EN EST LE CORPsa. QUE NUL NE VOUS RAVISSE LE PRIX DE VOTRE COURSE, EN AFFECTANT DE PARAÎTRE HUMBLE PAR UN CULTE SUPERSTITIEUX DES ANGES, EN PARLANT DE CE QU’IL N’A POINT VU, ÉTANT ENFLÉ PAR LES VAINES IMAGINATIONS D’UN ESPRIT CHARNEL, ET NE DEMEURANT PAS ATTACHÉ A CETTE TÊTE D’OU DÉPEND LE CORPS ENTIER, QUI RECEVANT SON INFLUENCE PAR LES VAISSEAUX QUI EN JOIGNENT ET EN LIENT TOUTES LES PARTIES, S’ENTRETIENT ET S’AUGMENTE PAR L’ACCROISSEMENT QUE DIEU LUI DONNE. (CH. 2,16-19 JUSQU’À III, 4)
Analyse.
- 1. Ne pas se préoccuper des minuties. – Une nouvelle espèce d’hypocrites.
- 2. Notre vie n’est pas de ce monde ; elle est cachée en Dieu. – Nous paraîtrons avec le Christ, dans la gloire.
- 3-5. Portrait du nouvel homme. – Nouvelle vie que les chrétiens reçoivent dans le baptême. – De la fragilité de l’homme dans tous les états de la vie. – Contre le luxe effroyable des riches. – Le saint menace de les retrancher de l’Église.
1. Saint Paul avait dit vaguement : « Prenez garde que personne ne vous surprenne, selon une doctrine toute humaine ». Et plus haut encore il avait dit : « Je vous parle ainsi, pour « que personne ne vous trompe par des discours subtils ». Après s’être emparé de son auditoire, et réveillé les esprits, après avoir exposé les bienfaits du Christ et développé ce sujet par amplification, il exprime en ces termes une réprimande : « Que personne donc ne vous condamne pour le manger et pour le boire, pour des fêtes observées en partie, au sujet des nouvelles lunes et des jours de sabbat ». Vous voyez comme il rabaisse ces pratiques. Si vous êtes parvenus, dit-il, à faire ce qu’il y a d’essentiel, pourquoi vous astreindre à des minuties ? « Pour des fêtes observées en partie ». Expression de mépris ; car toutes les anciennes traditions n’étaient plus observées. « Au sujet des nouvelles lunes et des jours de sabbat ». Il n’a pas dit : Ne les observez pas ; mais : « Que personne ne vous condamne ». Il montre par là qu’ils avaient failli à cet égard ; mais ce n’est pas à eux qu’il s’en prend. Ne baissez pas la tête, dit-il, sous de pareilles condamnations. Mais ce n’est même pas là ce qu’il leur dit. Il s’entretient avec eux sans leur fermer la bouche, sans leur dire : Vous ne devez pas condamner ; car ce n’est pas à eux qu’il adresse directement sa réprimande. Il n’a pas dit : Au sujet de ce qui est pur ou immonde, au sujet de la fête des tabernacles, des azymes et de la Pentecôte ; mais : « Au sujet des fêtes observées en partie ». Ils n’osaient pas en effet observer entièrement ces jours, ou s’ils les observaient, ce n’était pas comme des jours de fête. « En partie », c’est-à-dire en grande partie tout au plus ; car le jour du sabbat lui-même n’était pas exactement et strictement observé. « Puisque tout cela n’était que l’ombre de ce qui devait arriver », c’est-à-dire du Nouveau Testament, « et que Jésus-Christ en est le corps ». D’autres ponctuent ainsi : το δὲ ςῶμα Χριστου, Jésus-Christ en est le corps, c’est-à-dire la réalité. D’autres lisent ainsi la fin de ce verset : « Que personne, en usant de supercherie, ne vous dérobe le prix de la course, qui est le corps du Christ ». Le mot καταβραβευθῆναι, en effet, employé ici, à ce qu’on prétend, et employé ailleurs par saint Paul, se dit d’un prix mérité par un athlète, et décerné à un autre par supercherie et par surprise. Dans votre lutte contre le démon et le péché, vous avez le dessus. Pourquoi donner encore au péché le pouvoir de vous terrasser ? Voilà pourquoi saint Paul disait dans son épître aux Galates : « Tout homme qui se fera circoncire est obligé de garder toute la loi » ; et dans un autre passage : « Jésus-Christ a-t-il donc jamais été un ministre de péché ? » (Gal 5,3, et 2, 17) Lors donc qu’il a excité leur courage par ces mots : « Que nul ne vous ravisse le prix de votre course », il reprend ainsi : « En affectant de paraître humble par un culte superstitieux des anges, en parlant des choses qu’il n’a point vues », étant enflé par les vaines « imaginations d’un esprit charnel ». Ces expressions, « en affectant de paraître humble, étant enflé », font voir que toutes ces démonstrations sont de la vaine gloire. Mais quel est au total l’esprit de ce passage ? C’est qu’il y avait des gens qui disaient que ce n’était pas le Christ qui devait nous amener à Dieu, mais les anges, parce que la faveur d’être ramené par le Christ est trop au-dessus de nous, pour que nous puissions l’obtenir. Voilà pourquoi l’apôtre s’arrête si souvent sur les bienfaits du Christ, et retourne cette vérité en tous sens : « C’est par le sang du Christ versé sur la croix que nous avons été réconciliés ». (Col 1, 20) « Parce qu’il a souffert pour nous, parce qu’il nous a aimés ». (Eph 2,4) Et leur attention était encore fixée sur cette vérité. Il n’a pas dit : En affectant d’être ramenés par les anges ; mais il a dit : En affectant le culte des anges. « En parlant de ce qu’il n’a point vu ». Car il n’a pas vu les anges, mais il affecte l’émotion d’un homme qui les aurait vus. Aussi saint Paul ajoute-t-il, « étant enflé par les vaines imaginations d’un esprit charnel ». Cet imposteur prend le masque de l’humilité, c’est-à-dire qu’il a un esprit purement charnel, et qu’il n’a que des vues mondaines. « Et ne demeurant pas attaché à celui qui est la tête », il a tout ce qu’il faut pour vivre et pour bien vivre. Pourquoi donc négliger la tête pour s’attacher aux membres ? Une pareille négligence, c’est la mort. « La tête d’où dépend le corps entier ». Qui que vous soyez, c’est là que vous pouvez puiser la vie, c’est là que vous pouvez vous rattacher. Tant qu’elle possède cette tête, l’Église tout entière s’entretient et s’augmente. Là, point d’arrogance ni de vaine gloire, point d’invention humaine. « D’où dépend le corps entier ». – « D’où » désigne le Fils de Dieu, « qui, recevant son influence par les vaisseaux qui en joignent et lient toutes les parties, s’entretient et s’augmente par l’accroissement que Dieu lui donne ». Accroissement selon Dieu, progrès résultant d’un bon plan de vie. Si donc vous êtes morts avec Jésus-Christ ; voilà le moyen terme de son raisonnement, et ce moyen terme est doublement fort. « Si vous êtes morts avec le Christ aux premières instructions du monde, pourquoi jugez-vous comme si vous viviez dans le monde ? » La conséquence n’est pas rigoureuse. Il aurait dû dire : Pourquoi vous soumettez-vous à ces instructions, comme si vous viviez dans le monde ? Mais que dit-il ensuite ? « Ne touchez pas à telle chose ; ne goûtez point à ceci ; ne prenez pas cela, parce que l’usage que vous feriez de toutes ces choses vous serait pernicieux ; ils vous parlent ainsi selon des maximes et des doctrines humaines ». 2. Vous n’êtes pas dans le monde, dit-il, comment se fait-il que vous vous soumettiez aux principes du monde, aux observations des hommes ? Et voyez comme il se joue d’eux. Ne touchez pas à telle chose, dit-il, ne goûtez pas de ceci, ne prenez pas cela, comme si c’étaient là de grandes privations, « parce que l’usage que vous feriez de toutes ces choses vous serait pernicieux ». Il rabaisse ici l’orgueil d’un grand nombre de docteurs, et il ajoute : « Selon les ordonnances et les maximes humaines ». Oui : quand même il s’agirait de la Loi cette loi, ancienne, depuis le temps, n’est plus qu’une doctrine humaine. Peut-être aussi tient-il ce langage parce qu’ils altéraient et interprétaient à tort et à travers cette loi. Peut-être encore fait-il allusion aux gentils. Tout cela, dit-il, n’est que croyance et doctrine humaine. – « Qui ont néanmoins quelque apparence de sagesse dans une superstition et une humilité affectée, dans un rigoureux traitement qu’on fait au corps, et dans le peu de soin qu’on prend de rassasier la chair (23) ». Ce n’est qu’une apparence de sagesse sans effet ; ce n’est donc pas la réalité. C’est pourquoi, bien que ce soit une apparence de sagesse, nous n’avons pour elle que de l’aversion. Nous voyons des hommes qui semblent pieux et modestes, qui semblent mépriser le corps ; mais ce sont là de faux-semblants. « Dans le peu d’honneur qu’on fait à la chair, et dans le peu de soin qu’on prend de la rassasier ». Dieu, en effet, a honoré la chair ; mais eux, ils en ont fait un usage peu honorable. Quand on en use suivant ses préceptes, c’est lui faire honneur, aux yeux de Dieu. Mais ils déshonorent la chair, dit saint Paul, en la privant, en lui ôtant tous ses ressorts, au lieu de laisser à la raison seule le soin de dominer la volonté charnelle. « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut ». (Chap 3,1) Il les réunit au Christ, après avoir démontré plus haut que le Christ était mort. Voilà pourquoi il dit : « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en-haut ». Point d’observations à faire sur ce texte. « Recherchez les choses du ciel où le Christ est a assis à la droite de Dieu ». Ah ! comme il sait élever nos âmes ! De quels nobles sentiments il anime ses auditeurs ! non seulement il leur ouvre le ciel, le ciel où est le Christ, mais il le leur montre assis à la droite du Père. Il leur fait perdre ensuite la terre de vue. « N’ayez de goût que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre ; car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Mais quand paraîtra le Christ qui est votre vie, vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire (2-4) ». Ce n’est point ici-bas, dit-il, que vous vivez ; il y a pour vous une autre vie. Il les force à se transporter dans les cieux ; il a à cœur de leur montrer qu’ils sont assis là-haut, qu’ils sont morts ici-bas, et de ce double état qui est le leur, il conclut qu’ils ne doivent pas rechercher les choses d’ici-bas. Non, vous ne devez pas les rechercher, si vous êtes morts ici-bas ; non, vous ne devez pas les rechercher, si vous êtes assis là-haut. Le Christ ne paraît pas, donc votre vie ne commence pas encore : votre vie est en Dieu ; elle est là-haut. Quand donc vivrons-nous ? Quand paraîtra le Christ qui est votre vie ; gloire, existence, délices, recherchez alors tout cela. Voilà comment il leur fraie le chemin du ciel, pour les détourner du relâchement et des plaisirs du monde. C’est une méthode qui lui est familière ; tout en s’appliquant à prouver, à établir une vérité, il passe à autre chose. À propos de ces fidèles qui prenaient part à la scène avant les autres, il s’élève à la contemplation des mystères. Il emploie un mode de réprimande qui fait un grand effet, parce que ses paroles ne font pas soupçonner la réprimande. « Votre vie vous est cachée », dit-il. C’est avec Jésus-Christ que vous paraîtrez. Voilà pourquoi vous êtes éclipsés maintenant. Voyez comme il les transporte dans les cieux ! Car, je le répète, il s’attache toujours à leur montrer qu’ils ont les mêmes avantages que le Christ. Dans toutes ses épîtres, il s’arrange de manière à leur prouver qu’en toutes choses, ils sont ses associés, qu’ils sont avec lui en communauté pleine et entière. Si donc nous devons paraître un jour avec lui, ne nous affligeons pas de ne pas être encore honorés. Si la vie d’ici-bas n’est pas la nôtre, si notre vie est encore cachée, nous devons vivre ici-bas, comme si nous étions morts, « Un jour », dit saint Paul, « vous paraîtrez avec lui dans la gloire ». Oui, « dans la gloire » ; le mot est à sa place, le mot est juste. La perle aussi est cachée, tant qu’elle est renfermée dans le coquillage. Si donc nous sommes humiliés, si nous souffrons, ne nous affligeons pas. Notre vie n’est pas de ce monde ; nous sommes, sur cette terre, des hôtes et des étrangers. « Vous êtes morts », dit-il. Qui donc ferait la folie d’acheter des esclaves, de bâtir des maisons, de payer des vêtements précieux pour un cadavre enseveli ? Personne. N’agissons donc pas ainsi. Si notre unique but est de ne pas être dépouillés des biens du ciel, que notre unique but ici-bas soit d’être dépouillés des biens de la terre. Le vieil homme, en nous, a été enseveli ; il a été enseveli, non pas dans la terre, mais dans l’eau ; ce n’est pas la mort qui l’a détruit, c’est le destructeur de la mort qui l’a enseveli ; il n’a pas accompli la loi de la nature ; il a accompli l’ordre d’un Maître plus fort que la nature. On peut défaire l’ouvrage de la nature, on ne peut défaire l’œuvre accomplie par l’ordre de ce Maître. Heureuse sépulture qui réjouit tous les cœurs, qui réjouit les anges, les hommes et le Maître des anges ! Sépulture où il ne faut ni linceul, ni sépulcre, ni rien de semblable. Voulez-vous en voir le symbole ? Voyez cette piscine où un homme meurt, où un autre homme ressuscite ; voyez la Mer Rouge qui engloutit les Égyptiens pour livrer passage aux Israélites. Ce qui, pour les uns, est un sépulcre, devient, pour les autres, un berceau. 3. Ne vous étonnez pas si le baptême renferme à la fois la vie et la mort. Dites-moi la dissolution et la réunion ne constituent-elles pas deux phénomènes contraires ? C’est là une vérité évidente pour tout le monde. Eh bien ! le feu opère ces deux phénomènes ; il liquéfie et fait disparaître la cire ; il réunit les minéraux pour en faire de l’or. Ici donc encore le feu, après avoir détruit une statue de cire, produit de l’or ; car, avant le baptême nous étions d’argile ; après le baptême, l’argile s’est changée en or. Qu’est-ce qui le prouve ? Écoutez l’Apôtre lui-même : « Le premier homme vient de la terre, c’est une créature terrestre ; le nouvel homme vient du ciel, c’est une créature céleste ». (1Co 15,47) Il y a, je le répète, une grande différence entre la boue et l’or ; mais entre les choses du ciel et les choses de la terre, la différence est bien plus grande encore. Nous étions de cire et de boue ; car nous fondions à la flamme des passions plus rapidement que la cire au contact du feu, et la tentation avait, pour nous briser, plus de pouvoir que n’en a le caillou pour briser l’argile. Représentons-nous, si vous voulez, la vie de l’homme, sous l’ancienne Loi, pour voir si tout n’était pas alors terre et eau, si les choses humaines n’étaient pas sujettes au flux et au reflux comme l’Euripe, si tout, dans cet ancien monde, ne tombait pas et ne se dissipait pas comme la poussière. Et, si vous voulez, jetons les yeux non sur ce qui se passait autrefois, mais sur ce qui se passe aujourd’hui. Est-ce que nous ne voyons pas que tout s’évanouit comme l’onde et la poussière ? Parlerons-nous des dignités ? Rien, au premier coup d’œil, ne semble plus digne d’envie. Et pourtant tout cela est plus fugitif que la poussière, aujourd’hui surtout. Ces magistrats, ces grands dignitaires dépendent de leurs courtisans, des eunuques, de ces hommes qui ne voient que l’argent, des colères du peuple, de l’indignation des grands. Cet homme qui, hier encore majestueusement assis sur son tribunal, était entouré de hérauts élevant la voix, cet homme que précédait sur la place publique un magnifique et nombreux cortège, cet homme-là est aujourd’hui dédaigné ; ce n’est plus qu’un être vil et abject que tout le monde abandonne. Le voilà dénué d’amis ; sa grandeur a été jetée au vent comme la poussière, elle a passé comme l’onde. Comme nos pieds soulèvent la poussière, ce sont les hommes d’argent, ces pieds de notre société, pour ainsi dire, qui portent les magistrats au pinacle. La poussière, quand elle s’élève, occupe dans les airs beaucoup de place, sans être elle-même beaucoup de choses ; il en est de même des dignitaires, et, comme la poussière, le tourbillon de la grandeur nous aveugle. Et maintenant, voulez-vous approfondir ce qui fait ici-bas l’objet de nos désirs les plus vifs, la richesse ? Examinons-la dans tous ses détails. Elle apporte avec elle les plaisirs, les honneurs, la puissance. Examinons d’abord les plaisirs ; sont-ils autre chose que poussière ; ne sont-ils même pas plus fugitifs encore ? C’est là une volupté qui ne dépasse point le palais et qui n’arrive même plus jusqu’au palais, une fois que le ventre est plein. Mais les honneurs, dira-t-on, sont toujours agréables et flatteurs. Et qu’y a-t-il de plus amer que ces honneurs, fruits de la richesse ? Ces honneurs, qui ne sont le résultat ni du libre choix ni de la sympathie, ne sont pas pour vous ; on les décerne à votre fortune. C’est ce qui fait que le riche est l’homme du monde le moins honoré. Dites-moi, en effet, si on vous honorait parce que vous avez un ami, en déclarant que vous n’avez aucune valeur personnelle, mais qu’on est obligé de vous honorer à cause de votre ami, ne serait-ce pas vous faire le dernier des outrages ? Eh bien ! la richesse ne nous rapporte qu’ignominie, puisqu’elle est honorée plutôt que son possesseur et puisqu’elle est un signe de faiblesse plutôt que de puissance. N’est-il pas bizarre que, tout en nous regardant comme indignes de posséder cet amas de terre et de cendre qu’on appelle de l’or, on nous honore parce que nous le possédons. C’est là sans doute une bizarrerie. Et l’homme qui méprise les richesses n’a pas ces sentiments vulgaires ; mieux vaut, en effet, ne pas être honoré que de l’être ainsi. Dites-moi, je vous prie : si l’on venait vous dire : Vous ne méritez pas qu’on vous fasse honneur, mais je vous honore à cause de vos nombreux domestiques, ce langage ne serait-il pas tout ce qu’il y a de plus insultant ? Or, si c’est une honte de n’être honoré qu’à cause de ces serviteurs qui ont une âme comme nous, qui sont faits comme nous, n’est-ce pas à plus forte raison un déshonneur de devoir sa considération à un entourage encore plus vil, à des murailles, à des galeries, à de la vaisselle d’or, à des vêtements ? Voilà qui est vraiment ridicule et honteux. Mieux vaut la mort que de pareils honneurs. Je vous le demande : si, au milieu de tout ce faste, vous couriez quelque danger, et si quelque être vil et méprisable s’offrait à vous pour vous en délivrer, votre situation ne serait-elle pas affreuse ? Que vous disiez-vous les uns aux autres à propos d’une certaine cité ? Je veux vous le rappeler. Notre ville offensa un jour son souverain, et le souverain ordonna qu’elle fût anéantie avec ses habitants, ses enfants et ses maisons. Car telle est la colère des rois ; ils usent, comme ils veulent, de leur pouvoir, tant il est vrai que le pouvoir est un grand malheur ! Notre ville était donc dans un péril extrême. Une ville maritime de notre voisinage intercéda pour nous auprès de l’empereur. Mais les habitants de notre cité disaient qu’une pareille intercession était pire que la ruine. Tant il est vrai qu’un pareil honneur est pire que l’ignominie ! Voyez, en effet, sur quoi repose souvent l’honneur humain. C’est l’œuvre de nos cuisiniers, et c’est à eux que nous devons en savoir gré ; c’est aussi l’œuvre de cet éleveur de porcs qui fournit au luxe de notre table ; c’est l’œuvre des tisserands, des cotonnadiers, de ceux qui travaillent les métaux ; c’est l’œuvre des pâtissiers et des gens de service. 4. Ne vaut-il donc pas mieux être privé de tous ces honneurs, que d’avoir des obligations à de pareils gens ? Mais, outre cela, je vais essayer de prouver qu’on s’avilit en s’enrichissant. Oui, la richesse donne au riche une vilaine âme : quoi de plus honteux ? Je vais vous faire une question. Je suppose qu’un homme ait le don de la beauté et qu’il soit doué d’une beauté supérieure. La fortune veut bien le visiter, mais à condition qu’elle remplacera, chez cet homme, la beauté par la laideur, la santé par la maladie, la juste proportion des membres par l’enflure et l’inflammation. Et, grâce à la fortune, voilà le nouveau riche qui est hydropique de tous ses membres ! Voilà son visage qui se gonfle et qui se boursouffle ! Voilà ses pieds qui atteignent à la grosseur de deux poutres ! Voilà son ventre qui est plus gros qu’un tonneau ! La fortune, en outre, abusant de son pouvoir, lui déclare qu’elle ne laissera pas aux médecins de bonne volonté, liberté pleine et entière de le soigner. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de les laisser approcher du malade, à condition qu’elle les punira. Qu’y aurait-il de plus déplorable, je vous le demande, qu’une pareille condition ? Voilà pourtant ce que la richesse fait de notre âme. Comment donc serait-elle un bien ? Mais le pouvoir excessif que donne la richesse est encore pire que le mal. Car, ne pas même écouter les ordonnances des médecins, c’est encore pis que d’être malade. Eh bien ! tel est l’effet de la richesse : quand elle a produit l’hydropisie complète et l’inflammation de l’âme, elle éloigne les médecins. Ne disons donc pas qu’ils sont heureux ces hommes revêtus d’un pouvoir excessif, et plaignons-les plutôt. Cet hydropique gisant sur son lit, que personne n’empêche de se gorger de boissons et de viandes malfaisantes, dirons-nous qu’il est heureux, parce qu’il peut prendre tout ce qu’il lui plaît ? Car le pouvoir de tout faire n’est pas toujours un bien, pas plus que les honneurs. Tout cela remplit l’âme d’orgueil et d’arrogance. Vous ne voudriez pas avoir en partage les maladies du corps en même temps que la richesse ; pourquoi donc faire si bon marché de votre âme pour laquelle non seulement la maladie, mais un autre châtiment encore est la suite de la richesse ? L’âme du riche, en effet, est attaquée de tous côtés par la fièvre et par l’inflammation ; et cette fièvre, personne ne peut l’éteindre. La richesse le défend, la richesse qui persuade au malade que ce qui fait son malheur doit le rendre heureux, la richesse qui lui souffle à l’oreille de ne supporter aucun avis et de n’écouter que ses fantaisies. Il n’y a que l’âme du riche, en effet, pour être en proie à mille fantaisies monstrueuses. Quelles idées puériles n’ont-ils pas ? Ils en ont plus que ces fous qui se forgent des monstres et des chimères, qui n’ont devant les yeux que Scyllas et que fantômes aux pieds de serpents. En comparaison d’un de leurs caprices bizarres, les Scyllas, les chimères, les hippocentaures ne sont rien ; un seul de leurs caprices est tout ce qu’il y a au monde de plus monstrueux. On croira peut-être que j’ai dû être bien riche moi-même, quand on me verra faire des riches une peinture si fidèle. On dit, car je veux d’abord prouver ma thèse par des exemples puisés chez les gentils, on dit, je le répète, qu’un de leurs princes efféminés poussa les raffinements du luxe jusqu’à ordonner à un sculpteur de lui faire un platane d’or, avec un ciel d’or au-dessus ; c’était sous ce platane qu’il s’asseyait, et cela, quand il faisait la guerre à une nation belliqueuse. Cette fantaisie ne vaut-elle pas les hippocentaures et les Scyllas ? Un autre faisait enfermer des hommes dans un taureau de bois. N’est-ce pas là encore la fable de Scylla ? Il y a encore un roi guerrier de l’antiquité auquel les richesses ont fait perdre sa qualité d’homme, pour le transformer en femme. Quand je dis « en femme », je devrais dire en brute et même en quelque chose de pis. Car les bêtes, si elles vivent dans les forêts, mènent du moins une existence conforme à leur nature, tandis que ce roi menait une vie bien plus abrutissante que les brutes. Quoi donc de plus insensé que les riches ? Voilà l’effet de leurs passions effrénées ! Mais ne trouvent-ils pas de nombreux admirateurs ? Eh bien ! ces admirateurs deviennent aussi ridicules qu’eux. Les exemples ci-dessus, en effet, ne prouvent pas l’opulence, mais la démence. Ce fameux platane d’or est loin de valoir et d’égaler un platane naturel. Car ce qui est conforme à la nature a toujours plus de charme que ce qui est contre nature. Que voulais-tu faire avec ton ciel d’or, monarque insensé ? Voyez-vous combien la richesse nous égare ? Voyez vous comme elle gonfle l’âme d’orgueil, comme ; elle lui donne la fièvre ? On dirait que le riche ne sait pas ce que c’est que la mer et qu’il voudrait y marcher. Ne sont-ce pas là de pures chimères ? Eh bien ! il y a maintenant des riches qui ressemblent à ceux de l’antiquité et qui sont même beaucoup plus insensés. Ces amphores et ces marmites d’or, en effet, n’annoncent-elles pas la folie aussi bien que le platane d’or ? Que dire de ces femmes (j’ai honte de citer ce fait, mais j’y suis forcé), que dire de ces femmes qui ont des vases immondes en argent ? Ah ! vous devriez rougir de votre conduite. Le Christ a faim, et vous vous livrez ainsi à votre sensualité. Mais vous êtes fou et vous paierez cher votre folie. Puis vous demandez pourquoi il y a tant de voleurs, tant de parricides et tant de fléaux, quand vous êtes agités de toutes les fureurs du démon ! Avoir des tablettes d’argent n’est pas de la sagesse ; c’est du luxe. Mais faire faire eu argent des vases destinés aux plus vils usages, c’est du luxe, ou plutôt de la folie, ou plutôt de la fureur ; c’est même quelque chose de pis. 5. Bien des gens, je le sais, rient de mes paroles ; mais peu m’importe, si mes paroles portent leurs fruits. Oui, la démence et la fureur sont filles de la richesse. Si ces riches le pouvaient, ils feraient faire une terre d’or, des murailles d’or, peut-être même un ciel d’or et une atmosphère d’or. Quelle fureur ! quelle injustice ! quelle fièvre ! Voilà une créature faite à l’image de Dieu qui meurt de froid, et voilà les couvres qui vous occupent ! O quel faste ! et que pourrait faire de plus un insensé ? Trouvez-vous donc vos excréments assez précieux pour employer l’argent à les recueillir ? Je sais qu’en entendant ces paroles vous êtes frappés de stupeur. Mais les personnes qui devraient être frappées de stupeur sont celles qui commettent de pareils actes, et qui se rendent esclaves de pareilles manies ;, car il y a là de l’indécence, de la cruauté, de l’inhumanité, de la férocité et de la mollesse. Quel monstre, quel reptile, quel mauvais génie, quel démon peut être capable d’agir de la sorte ? A quoi sert le Christ ? A quoi sert la foi, si l’on suit l’exemple des païens ou plutôt du démon ? Si l’on ne doit point parer sa tête d’or et de perles, celui qui emploie l’argent au plus vil de tous les usages est-il excusable ? Ne vous suffit-il pas d’avoir déjà tant de meubles en argent, d’avoir des sièges et des escabeaux en argent, luxe déjà intolérable et insensé ? Mais partout aujourd’hui règne un faste inutile, partout la vanité ; la raison n’est plus de mode ; on n’aime que le superflu. Ah ! j’ai bien peur qu’en donnant de plus en plus dans toutes ces folies, les femmes ne deviennent de véritables monstres ; aujourd’hui probablement elles voudraient avoir des cheveux d’or. Avouez donc que mes paroles n’ont pu ni émouvoir ni réveiller vos âmes ; avouez que vous êtes plongés dans la concupiscence et que, si la honte ne vous retenait, vous tomberiez dans tous les excès. D’après ce qu’on ose déjà faire, je puis croire que les femmes voudront bientôt avoir des cheveux d’or, des lèvres, des sourcils de même métal, et qu’elles se doreront de la tête aux pieds. Peut-être ne me croyez-vous pas ; vous croyez peut-être que je veux rire ; eh bien ! je vais vous raconter ce que j’ai appris, ce qui a lieu encore de nos jours. Le roi de Perse porte une barbe d’or ; des artistes habiles ont soin de garnir de lames d’or sa barbe naturelle, et c’est dans cet accoutrement qu’il se fait voir comme un phénomène. Gloire à toi, Jésus-Christ ! De combien de faveurs ne nous as-tu pas comblés pour guérir nos âmes ! De combien de folies monstrueuses ne nous as-tu pas délivrés ! Aujourd’hui donc j’élève la voix, non pour vous donner des avis, mais pour vous donner des ordres. M’entende qui voudra, et qu’on me désobéisse, si l’on veut. Mais je vous déclare que, si vous persistez dans votre conduite, je ne la supporterai plus, je ne vous accueillerai plus, je ne vous laisserai plus passer le seuil de ce temple. Qu’ai-je besoin, en effet, de cette multitude de malades que je cherche en vain à guérir de leurs manies ? Paul ne défendait-il pas aussi l’or et les perles ? Eh bien ! nous autres nous servons de risée aux gentils, et nous sommes la fable des païens. C’est aussi pour les hommes que je parle : voulez-vous venir à l’école du Christ, pour y apprendre la science de l’âme ? Déposez d’abord votre faste. C’est aux hommes et aux femmes que je m’adresse, et je ne souffrirai plus qu’on me désobéisse. Jésus-Christ n’avait que douze disciples. Écoutez ce qu’il leur dit : « Et vous, ne voulez-vous point aussi me quitter ? » (Jn 6,68) Car, si nous ne cessons de vous flatter, quand vous soulagerons-nous ? Quel progrès ferons-nous ? Mais il y a, dites-vous, d’autres sectes que l’on peut embrasser, en changeant de croyance. Une pareille objection ne me touche pas. « Mieux vaut un seul fidèle faisant la volonté de Dieu, que mille impies ». (Sir 16,3) Car, je vous le demande, aimeriez-vous mieux avoir une foule d’esclaves fugitifs et voleurs qu’un seul esclave affectionné ? Oui, je vous le conseille et je vous l’ordonne : défaites-vous de ces ornements, de ces vases, donnez-en le prix aux pauvres et corrigez-vous de votre folie. Qu’on se révolte, si l’on veut ; qu’on m’accuse et qu’on me critique, si l’on veut : je n’excuse plus personne. Quand je comparaîtrai devant le tribunal du Christ, vous ne serez pas là pour me défendre, et vous ne pourrez pas me secourir, lorsque je rendrai mes comptes. C’est vouloir me corrompre que de me dire : Cet homme vous abandonnera, il passera à l’ennemi et embrassera une autre secte. C’est une âme faible ; descendez jusqu’à lui et pliez-vous un peu à sa faiblesse. Et jusques à quand faut-il user de condescendance ? C’est bon pour une fois, pour deux ou trois fois tout au plus ; mais ça ne peut pas toujours durer. Je vous le déclare donc de nouveau et je vous le proteste avec saint Paul : Si vous y revenez, je ne vous épargnerai plus (2Co 13,2). Quand vous vous serez corrigés, vous verrez tout ce que vous aurez gagné à écouter mes paroles. Je vous prie donc, je vous conjure de vous corriger ; je suis prêt, s’il le faut, à embrasser vos genoux et à me répandre en supplications. Que signifient cette faiblesse, cette sensualité, cette conduite qui outrage Dieu ? Car votre conduite n’est pas pour vous le bonheur ; c’est un outrage envers Dieu. Quelle est cette démence ? quelle est cette folie ? Quoi ! il y a tant de pauvres autour de l’Église, et l’Église qui possède dans son sein tant de riches enfants ne peut venir au secours du pauvre ! L’un meurt de faim, tandis que l’autre est ivre ! L’un emploie l’argent aux plus vils usages, tandis que l’autre n’a pas de pain ! Quelle est cette folie ? Quelle est cette férocité ? A Dieu ne plaise que nous soyons réduits, dans notre indignation, à punir votre désobéissance ! Puissiez-vous au contraire remplir tous vos devoirs avec résignation, avec plaisir, afin que nous vivions pour honorer Dieu, afin que nous évitions les peines de l’autre vie et que nous obtenions le bonheur promis à ceux qui aiment Dieu, par sa grâce et par sa bonté ! HOMÉLIE VIII.
FAITES DONC MOURIR LES MEMBRES TERRESTRES QUI SONT EN VOUS, LA FORNICATION, L’IMPURETÉ, LES ABOMINATIONS, LES MAUVAIS DÉSIRS ET L’AVARICE QUI EST UNE IDOLÂTRIE. TOUT CELA ATTIRE LA COLÈRE DE DIEU SUR SES FILS INCRÉDULES, ET VOUS AVEZ COMMIS QUELQUEFOIS CES CRIMES, QUAND VOUS VIVIEZ AU MILIEU DE CES DÉSORDRES. (III, 5-7 JUSQU’A 15) Analyse.
- 1. Il faut déposer le fardeau des mauvais penchants.
- 2. Jésus-Christ doit être tout pour nous. – La charité est la première des vertus. – Sans la charité les autres vertus sont inutiles.
- 3. La paix de Dieu est la seule qui soit vraiment solide ; il faut mortifier ses membres, en travaillant pour le ciel.
- 4. Le mot « membres », dans saint Paul, veut souvent dire « passions ».
- 5. Quand il faut rendre grâces à Dieu. – Pratiques superstitieuses.
- 6. L’écriture sainte nous offre une foule d’exemples qui doivent nous exhorter à la résignation.
1. Mon dernier discours, je le sais, a heurté bien des susceptibilités. Mais que faire ? Vous connaissez les préceptes du Seigneur. Ce n’est pas ma faute. Que faire encore une fois ? Ne voyez-vous pas les créanciers jeter dans les fers leurs débiteurs récalcitrants ? Vous venez d’entendre saint Paul s’écrier : « Faites mourir les membres de l’homme terrestre qui est en vous, la fornication, l’impureté, les abominations, les mauvais désirs et l’avarice qui est une idolâtrie ». Qu’y a-t-il de pire que le genre d’avarice qui vous possède ? Mais que dis-je, c’est plus grave encore que de l’avarice ; c’est un usage insensé de l’argent. « L’avarice qui est une idolâtrie ». Voyez-vous où mène cette passion ? Ne vous irritez point de mes paroles. Car je ne voudrais pas me faire gratuitement et de gaîté de cœur des ennemis parmi vous. Mais je voudrais vous rendre vertueux ; je voudrais que vous vous fissiez, par votre vertu, une bonne réputation. Mon langage n’est pas celui d’un maître impérieux ; c’est l’expression de la tristesse et de la douleur. Pardonnez-moi, pardonnez-moi : je ne cherche pas le scandale ; mais je suis forcé de m’expliquer avec vous. Je ne vous parle plus du malheur des pauvres ; je vous parle de votre salut : Malheur, oui malheur à ceux qui auront refusé des aliments au Christ ! Qu’importe même que vous donniez des aliments à un pauvre, si vous vous plongez si avant dans le luxe et dans les délices ? La question n’est pas de savoir si vous donnez beaucoup, mais si vous donnez en proportion de ce que vous avez. La charité qui n’est pas à la hauteur de vos moyens n’est qu’une charité illusoire. « Faites donc mourir », dit saint Paul, « les membres de l’homme terrestre qui est en vous ». Mais que signifient ces paroles ? N’avez-vous pas dit, ô apôtre, que nous étions ensevelis, circoncis, que nous nous étions dépouillés du corps des péchés que produit la chair ? (Rom 6,4 ; Col 2,11 et 3, 9) Que signifient donc maintenant ces paroles : « Faites mourir les membres de l’homme terrestre ? » Parlez donc sérieusement. Avons-nous maintenant des membres terrestres ? Non, il n’y a point contradiction entre les deux textes. Qu’après avoir nettoyé ou plutôt refondu une statue, qu’après lui avoir rendu son éclat primitif, un statuaire dise qu’elle a été dérouillée, il est vrai, mais qu’il faut se livrer à un nouveau travail, pour la dérouiller encore, il n’y aura pas contradiction dans son langage. Ce n’est pas la rouille déjà enlevée, c’est la rouille qui est survenue plus tard qu’il conseille d’enlever. Ainsi l’apôtre ne parle pas de la mortification première, ni des anciennes fornications, mais de celles qui surviennent plus tard. Mais, disent les hérétiques, voilà Paul qui calomnie la création ! N’a-t-il pas dit plus haut : « Pensez aux choses du ciel et non à celles de la terre ? » Et maintenant il vient nous dire : « Faites mourir les membres terrestres qui sont en vous ! » Je réponds que ces mots « les membres terrestres » signifient le péché et ne calomnient en rien la création. Oui, il donne aux péchés le nom de choses terrestres, soit parce qu’ils sont le fruit des pensées terrestres et qu’ils se commettent sur la terre, soit parce qu’ils montrent l’homme terrestre dans le pécheur. « La fornication, l’impureté », dit-il. Il passe sous silence les habitudes qu’il serait honteux de nommer ; le mot impureté dit tout. « Les abominations, les mauvais désirs », tout est compris dans ces termes généraux ; il y a là toutes les mauvaises passions : la haine, la colère, la sombre envie, et l’avarice qui est une idolâtrie. « Puisque ce sont ces crimes qui attirent la colère de Dieu sur ses enfants incrédules ». Il a recours à bien des raisonnements pour les détourner du péché. Il leur expose les bienfaits qu’ils ont reçus, les maux de la vie future dont nous avons été délivrés, ce que nous étions alors, ce que nous sommes devenus, comment et pourquoi nous avons été délivrés. Tout cela devrait suffire pour ramener les pécheurs. Mais voici la raison la plus forte, raison terrible à entendre, mais qui est loin d’être inutile à dire : « Ce sont ces crimes qui attirent la colère de Dieu sur ses enfants incrédules ». Il n’a pas dit : « Sur vous » ; il a dit : « Sur ses enfants incrédules ». – « Et vous avez commis vous-mêmes ces actions criminelles, quand vous viviez dans ces désordres ». Éloge implicite ; il veut dire qu’ils n’y vivent plus. Ce langage s’applique au passé. « Maintenant déposez aussi vous-mêmes le fardeau de tous ces péchés ». Il commence, selon son habitude, par un terme général, tous ces péchés ; puis il les détaille : ce sont les mauvaises passions de l’âme. « La colère, l’aigreur, la malice, la médisance ; que les paroles déshonnêtes soient bannies de votre bouche. N’usez point de mensonge les uns envers les autres ». Que les paroles déshonnêtes soient bannies de votre bouche, ajoute-t-il énergiquement, car de telles paroles sont des souillures. « Dépouillez le vieil homme et ses œuvres. Revêtez-vous du nouveau qui se renouvelle en avançant dans la connaissance « de Dieu, étant formé à la ressemblance de Celui qui l’a créé ». Il est bon de rechercher ici pourquoi il désigne sous le nom de membres, d’homme et de corps, la corruption humaine, et pourquoi il désigne encore sous les mêmes noms la vie vertueuse. Si le péché c’est l’homme, pourquoi faire suivre le mot « homme » de ce mot : « Avec ses actes ? » Car il a déjà parlé du vieil homme, en montrant qu’il désigne par là non toutes les œuvres de l’homme, mais le péché. Le libre arbitre en effet est plus important que la substance, et c’est ce libre arbitre plutôt que la substance qui constitue l’homme. Ce n’est pas la substance de l’homme en effet qui précipite l’homme dans la géhenne ou qui le transporte dans le royaume des cieux, c’est le libre arbitre, et ce que nous aimons dans l’homme ce n’est pas l’homme, c’est telle ou telle qualité. Si donc le corps est la substance, et si la substance est irresponsable pour le bien comme pour le mal, comment le corps serait-il le mal ? 2. Mais qu’entend saint Paul par ces mots « Avec ses actes ? » C’est le libre arbitre avec ses œuvres. Il dit a le vieil homme », pour montrer sa laideur, sa difformité, sa faiblesse. Et quand il parle du nouvel homme, il a l’air de nous dire : N’attendez pas qu’il se conduise comme l’autre ; il se conduira tout autrement. L’homme marche, non pas à la vieillesse, mais à une jeunesse plus brillante que la première. Car plus il apprend, plus il profite, plus il croît en vigueur et en force, non seulement à cause de sa jeunesse, mais à cause du modèle sur lequel il se forme. La perfection est une création du Christ. A l’image du Christ, tel est le sens de ces mots : « A l’image de Celui qui l’a créé » ; car le Christ n’est pas mort vieux, et il était d’une beauté indicible. Dans cette création nouvelle, « il n’y a ni homme, ni femme, ni circoncis, ni incirconcis, ni barbare, ni scythe, ni homme libre ni esclave ; mais Jésus-Christ est tout en tous ». C’est un troisième éloge adressé ici par saint Paul à ce nouvel homme. Il n’y a pour lui ni distinction de race, ni grade, ni distinction d’ancêtres. Rien n’est donné chez lui à l’extérieur ; il n’a pas besoin d’un relief étranger, et tous ces avantages sont des avantages extérieurs. La qualité de circoncis ou d’incirconcis, d’esclave, d’homme libre, de gentil, de juif, tout cela est une affaire de prosélytisme ou de naissance. Si ce sont là vos seuls avantages, vous ne possédez que ce que d’autres possèdent. « Mais Jésus-Christ », dit-il, « est tout en tous ». C’est-à-dire que Jésus-Christ nous tiendra lieu de tout, de dignité et de naissance, c’est-à-dire qu’il sera en nous tous. Peut-être aussi veut-il dire : Vous formez tous le Christ, puisque vous êtes son corps. « Revêtez-vous donc, comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés ». Il montre que la vertu est facile, pour qu’ils la conservent toujours et pour qu’elle fasse leur plus bel ornement. Il y a là tout à la fois un conseil et un éloge, et l’éloge donne au conseil beaucoup de force. Ils étaient saints, mais ils n’étaient pas des élus de Dieu ; maintenant ils sont saints, élus et chéris de Dieu. – « D’entrailles de miséricorde ». Il n’a pas dit : « De miséricorde », mais il s’est exprimé avec plus d’énergie en employant deux mots, au lieu d’un. Il n’a pas dit : Soyez entre vous comme des frères ; mais, ayez les uns pour les autres une tendresse paternelle. Ne me parlez plus des torts de votre prochain. Telle est la portée de ce mot « des entrailles de miséricorde ». Ces expressions remplacent le mot « pitié », qui, étant isolé, aurait eu quelque chose d’humiliant. « Revêtez-vous de bonté, d’humilité, de modestie, de patience. Vous supportant les uns les autres, vous remettant les uns aux autres les sujets de plainte que vous pouvez avoir entre vous, et vous pardonnant comme le Christ vous a pardonné ». Ici encore il spécialise : car la bonté est la source de l’humilité, et l’humilité est la source de la patience. « Vous supportant », dit-il, « les uns les autres » ; c’est-à-dire vous soutenant et vous remettant vos fautes les uns aux autres. Et voyez comme il atténue l’offense : « Les sujets de plainte que vous pouvez avoir. Et il ajoute : « Comme le Christ vous a pardonné ». C’est là un grand exemple qu’il leur offre toujours ; il cite le Christ pour les exhorter. L’offense dont il parle est peu de chose ; mais l’exemple qu’il cite nous engage à pardonner les offenses les plus graves. Voilà ce que signifient ces mots : « Comme le Christ ». Et cela veut dire non seulement qu’il faut pardonner, mais qu’il faut pardonner de tout son cœur, mais qu’il faut aimer l’auteur de l’offense. L’exemple du Christ amené ici amène toutes ces conséquences. Quand l’offense serait grande, quand il n’y aurait pas eu provocation de notre part, quand nous serions de grands personnages, quand l’auteur de l’offense serait un homme infime, quand il devrait nous offenser encore, peu importe. Nous devons même être prêts à mourir pour lui. Ces mots « comme le Christ » nous le commandent, nous devons persister dans ces sentiments jusqu’à la mort et même au delà, s’il est possible. « Mais surtout ayez la charité qui est le lien de la perfection ». Vous voyez ce qu’il dit là. Il pourrait se faire que l’on pardonnât une offense sans pour cela en chérir l’auteur. Eh bien ! dit l’apôtre, il faut l’aimer. Et l’apôtre nous montre même ici comment on arrive à pardonner. C’est en étant bon, doux, humble, patient, aimant. Aussi a-t-il dit en commençant : « Les entrailles de miséricorde » ; ce qui comprend la charité et la pitié. « Surtout ayez la charité, qui est le lien de la perfection ». Ces paroles veulent dire : Tout cela ne sert de rien ; car tout peut se rompre, sans le lien de la charité. C’est elle qui réunit tout. Les meilleures choses, sans elle, ne sont rien ou ne durent pas. Dans un navire, les meilleurs agrès, s’ils ne sont pas bien assujettis, demeurent inutiles ; il faut dans une maison, que toutes les parties de la charpente soient bien unies ; dans le corps humain, la charpente osseuse a beau être vigoureuse, sa vigueur, sans les articulations, ne sert de rien. Quelles que soient vas bonnes œuvres, quelque soit le mérite de vos actions, tout cela, sans la charité, est en pure perte. Il n’a pas dit : La charité est le « faîte » de la vertu ; il a dit plus : La charité est un lien, chose plus nécessaire. Le faîte n’est qu’un degré de perfection ; le lien est ce qui embrasse et comprend les éléments de la perfection ; elle en est la racine. « Que la paix de Dieu, à laquelle vous avez été appelés dans l’unité d’un même corps, règne dans vos cœurs, et soyez reconnaissants ». 3. La paix de Dieu est une paix ferrite et stable. La paix humaine n’est pas durable ; elle ne ressemble pas à la paix de Dieu. Il a parlé de la charité en général ; maintenant il particularise. Car il y a une sorte de charité exagérée qui porte aux accusations téméraires, aux querelles, aux antipathies. Non, dit l’apôtre, non : ce n’est pas cette charité que je veux. Faites entre vous la paix, comme Jésus-Christ l’a faite avec vous. Comment vous l’a-t-il offerte cette paix ? De lui-même, sans rien recevoir de vous en échange. Mais que veulent dire ces mots : « Que la paix de Dieu règne en vos cœurs ? » Si deux pensées se combattent dans votre cœur, ne donnez pas à la colère la palme et le prix du combat ; que la paix remporte le prix. Si par exemple un homme est injustement outragé, l’outrage fait naître en son âme deux pensées, l’idée de la vengeance et celle du pardon qui luttent ensemble. Si la paix de Dieu est là pour décerner le prix de la lutte, elle couronne l’esprit de pardon et humilie l’esprit de vengeance. Comment cela ? En nous persuadant que Dieu est un Dieu de paix et qu’il a fait la paix avec nous. Ce n’est pas sans raison qu’il nous montre cette lutte entre l’esprit de pardon et l’esprit de vengeance, lutte dont notre cœur est le théâtre. Non, ce n’est pas la colère, ce n’est pas la discorde, ce n’est pas la paix humaine qui doit ici décerner le prix. La paix humaine est une paix vindicative et intolérante. Ce n’est point cette paix qu’il nous faut, dit l’apôtre, c’est la paix que le Christ nous a laissée. Il a tracé dans notre âme une arène où deux idées se combattent, et c’est la paix du Christ qui est chargée de décerner la palme. Puis vient cette exhortation : « A laquelle vous avez été appelés ». – « À laquelle », c’est-à-dire, « pour laquelle ». Il nous rappelle ainsi tous les biens dont la paix est la source. C’est pour elle qu’il vous a appelés, c’est à cause d’elle qu’il vous a appelés, afin que vous obteniez le prix dû à votre foi. Car pourquoi n’a-t-il fait de nous qu’un seul corps ? N’est-ce pas pour faire régner la paix ? N’est-ce pas pour nous fournir les moyens de vivre en paix tous ensemble ? Pourquoi ne faisons-nous tous qu’un seul corps ? Qu’est-ce qui fait que nous formons un seul corps ? C’est la paix et réciproquement, c’est parce que nous ne faisons qu’un seul corps que nous sommes en paix les uns avec les autres. Mais pourquoi, au lieu de dire : Que la paix de Dieu triomphe, a-t-il dit : Que la paix règne ou décerne le prix ? C’est pour accréditer la paix, c’est pour ne pas permettre aux mauvaises pensées d’entrer en lutte avec elle, c’est pour qu’elles aient toujours le dessous. En outre, le mot de prix éveille l’auditeur. Car, si le prix est toujours décerné à la bonne pensée, l’effronterie de l’esprit du mal sera désormais inutile. L’esprit du mal sachant que, malgré tous ses efforts, malgré son impétuosité et sa violence, il n’obtiendra pas le prix, finira par renoncer à ses vaines attaques. Il a eu raison d’ajouter : « Et soyez reconnaissants » ; car la reconnaissance et l’honneur consistent à être pour nos compagnons d’esclavage ce que Dieu a été pour nous, à céder, à obéir à notre maître, à toujours rendre grâces à Dieu, soit qu’on nous outrage, soit qu’on nous frappe. Celui qui rend grâces à Dieu de ses souffrances, ne se vengera pas de l’homme qui lui aura fait du mal ; se venger, en effet, ce n’est pas rendre grâces. Ah ! ne soyons pas comme le créancier impitoyable qui réclamait impérieusement ses cent deniers. Ne nous exposons pas à être traité « d’esclave méchant ». (Mat 18,32) L’ingratitude est le plus affreux de tous les vices, et ceux qui se vengent sont des ingrats. Mais pourquoi parle-t-il d’abord de la fornication ? Car aussitôt qu’il a dit : « Mortifiez vos membres qui sont sur la terre », il ajoute : « La fornication » ; et c’est presque toujours l’ordre qu’il suit. C’est que la fornication est de tous les vices le plus tyrannique. Il l’a mis aussi en première ligne, dans son épître aux Thessaloniciens. Quoi d’étonnant, puisqu’il dit aussi à Timothée : « Conservez votre pureté » (1Ti 5,22) ; et ailleurs : « Étudiez-vous à être en paix avec tout le monde, et vivez dans la sainteté sans laquelle nul ne verra Dieu ». (Heb 12,14) – « Mortifiez vos membres », dit-il. Ce qui est mort, vous le savez, n’est plus qu’un objet d’horreur, d’abomination, de corruption. Si vous tuez les membres du péché, il ne reste bientôt plus rien de ce cadavre qui se corrompt et s’anéantit. Éteignez les ardeurs du péché, et ce n’est bientôt plus qu’un cadavre dont il ne reste rien. Il montre l’homme faisant ce que fait le Christ dans la piscine. Voilà pourquoi il appelle les péchés des membres, et il nous montre dans un style énergique l’homme fort qui les mortifie. Il a eu raison de dire : « Qui sont sur la terre ». Car c’est là qu’ils sont ; c’est là qu’ils se corrompent et qu’ils meurent bien plus complètement que les membres corporels. Notre corps n’est pas aussi terrestre que le péché ; car le corps humain est parfois revêtu d’un certain éclat ; mais le péché, jamais. Tous ces membres qui restent sur la terre, qui sont comme cloués à la terre, sont le siège des mauvais désirs. Que l’oreille, la main, l’œil ou un membre quelconque reste attaché à la terre, le ciel n’est plus rien pour lui. L’œil ne voit plus que le corps, la beauté physique, la figure, ce qui appartient à la terre ; en un mot, cela seul a du charme pour lui. L’oreille se délecte à de doux concerts, aux accents de la lyre et de la flûte ; elle se prête complaisamment à de honteux propos. Plaisirs terrestres que tout cela ! Quand saint Paul a transporté ses auditeurs auprès du trône de Dieu, il leur dit : « (148) Mortifiez vos membres qui sont sur la terre ». On ne peut rester avec de pareils membres, dans la région céleste ; ils n’y ont que faire. Cette boue-là est pire que l’homme physique qui est aussi de la boue. Cette boue, en effet, devient de l’or. « Cette chair corruptible doit revêtir l’incorruptibilité ». (1Co 15,53) Mais la boue du péché, on ne peut pas la refondre pour forger de l’or. Voilà pourquoi il n’a pas dit : Qui appartiennent à la terre ; voilà pourquoi il a dit : « Qui sont sur la terre » ; car il peut arriver que nos membres n’appartiennent pas à la terre. Ceux qui s’attachent à la terre sont nécessairement sur la terre ; les autres, non. L’oreille qui n’entend pas les bruits de la terre et qui n’écoute que les bruits du ciel, l’œil qui perd le monde de vue, pour regarder en haut, ne sont point sur la terre. Elle n’est point sur la terre cette bouche dont les paroles n’ont rien de terrestre. Elle n’est point sur la terre cette main qui ne fait rien de terrestre, qui ne fait point le mal et qui ne travaille que pour le ciel. 4. Le Christ dit : « Si votre œil droit vous scandalise » par ses regards impudiques, « arrachez-le », c’est-à-dire déracinez toute mauvaise pensée. Tous ces mots, impureté, abominations, mauvais désirs, ont le même sens, le sens de fornication. 11 veut nous détourner de ce vice par toutes les expressions qu’il emploie. C’est qu’un pareil vice est une maladie de l’âme fort sérieuse ; c’est la fièvre, c’est la plaie de l’âme. Il ne dit pas « réprimez », il dit « mortifiez », anéantissez cette passion ; portez-lui des coups dont elle ne puisse pas se relever. Ce qui est mort nous l’enlevons ; un durillon est une partie morte, nous l’enlevons. Si nous tranchons dans le vif, nous souffrons ; mais si nous retranchons un membre mort, nous ne le sentons même pas. C’est ainsi que nous devons agir dans les affections et les maladies de l’âme qui rendent impure et font souffrir cette âme immortelle. Pourquoi l’apôtre appelle-t-il l’avarice une idolâtrie, nous l’avons dit souvent. Les passions les plus tyranniques sont l’avarice, l’intempérance et l’incontinence. « Elles attirent la colère de Dieu sur ses fils désobéissants ». Il parle ici de désobéissance, en les déclarant par là indignes de pardon, en montrant que c’est leur désobéissance qui les plonge dans l’abîme. « Et vous avez vous-mêmes commis ces actions criminelles, quand vous viviez dans ces désordres et quand vous vous laissiez persuader par les impies ». Il montre qu’ils ont encore un pied dans le vice ; mais il leur adresse un mot d’éloge, en leur disant : « Mais maintenant quittez aussi vous-mêmes tous ces péchés : la colère, l’aigreur, la malice, la médisance : plus de paroles déshonnêtes ». Pour ne pas les blesser, ce n’est pas sur eux, c’est sur d’autres qu’il fait porter ses reproches. Les médisances sont les mots blessants, les injures, de même que la malice est encore de la colère. Ailleurs, pour faire rougir ses auditeurs de leurs procédés, il leur dit : « Soyez les membres l’un de l’autre ». (Eph 4,25) Il les représente comme devant former un seul homme ayant les mêmes sympathies et les mêmes répulsions. Dans le passage ci-dessus il se sert du mot « membres ». Dans cette épître il dit : « Tous les péchés », désignant ainsi tous les membres du vieil homme, le cœur par la colère, la bouche par la médisance, les yeux par la fornication, les mains et les pieds par l’avarice et par le mensonge, la pensée elle-même et le vieil esprit. Quant à la forme du nouvel homme, c’est une forme royale, c’est la forme du Christ. Saint Paul semble ici faire allusion surtout aux gentils, pour montrer que tous les membres de la société, les grands, comme les petits, sont les membres d’un même corps qui a une forme royale. La terre n’est que du sable ; mais elle perd sa première forme et devient or. La laine, quelle qu’elle soit, prend une nouvelle forme qui déguise la première. Il en est de même du fidèle. « Vous supportant les uns les autres », dit-il. C’est justice : supporte ton prochain et que ton prochain te supporte. C’est ce qu’il dit encore dans son épître aux Galates : Supportez le fardeau les uns des autres. (Gal 6,2) « Et soyez reconnaissants », ajouta-t-il. (Col 3,15) Partout il s’applique à recommander la reconnaissance, qui est la première des vertus. 5. Il faut donc, en toute circonstance et quoi qu’il arrive, rendre grâces à Dieu. Voilà la véritable reconnaissance. Lui rendre grâces dans la prospérité n’a rien de bien méritoire ; car c’est chose toute naturelle. Mais lui rendre grâces, quand nous sommes dans la détresse, voilà ce qu’il y a d’admirable. Lui rendre grâces de ce qui pousse les autres au blasphème, de ce qui les jette dans l’impatience, voilà la philosophie ! Agir ainsi c’est réjouir le cœur de Dieu, c’est humilier le démon, c’est déclarer que le malheur n’est rien. C’est à la fois rendre grâces à Dieu, emprunter la main de Dieu pour extirper le mal et terrasser le démon. Si vous vous montrez impatient, le démon, parvenu au comble de ses vœux, est là ; Dieu, blessé de vos blasphèmes et de vos outrages vous abandonne, en étendant, en augmentant votre plaie. Mais si vous rendez grâces à Dieu, le démon, voyant qu’il n’a rien à faire là, se retire, et Dieu, que vous honorez, vous honore davantage. L’homme qui rend grâces à Dieu de ses maux ne peut plus les ressentir. L’âme est heureuse de sa vertu ; la conscience est heureuse parce qu’elle chante ses propres louanges et sa victoire ; or la conscience, étant heureuse, ne peut être affligée. L’homme qui murmure sent peser sur lui le double fardeau de son malheur qui l’accable et de sa conscience qui le flagelle ; l’homme qui rend grâces à Dieu est couronné par sa conscience qui proclame son triomphe. Qu’elle est sainte la bouche du juste qui rend grâces à Dieu, dans le malheur ! Le juste est alors un martyr. Comme un martyr, il est couronné. Car il a, lui aussi, à ses côtés un licteur qui lui ordonne de renier Dieu en blasphémant. Le démon le presse en tourmentant son âme et en jetant sur elle un sombre voile. Si, dans cette situation, le juste supporte la douleur, il reçoit la palme du martyre. Voilà par exemple un petit enfant qui est malade. Si sa mère rend grâces à Dieu, la palme du martyre lui appartient. Quel tourment pourrait égaler son chagrin ? Eh bien ! son chagrin ne peut lui arracher une parole amère. L’enfant se meurt ; elle rend de nouveau grâces à Dieu. Elle est devenue une vraie fille d’Abraham. Car, si elle n’a pas tué son enfant de sa propre main, elle s’est du moins réjouie de sa mort, ce qui est la même chose ; elle ne s’est pas irritée de se voir ravir celui que Dieu lui avait donné ; elle n’a pas eu recours à ces nœuds mystérieux, dont la superstition enseigne le secret. C’est le martyre qu’elle a souffert ; car elle a sacrifié son fils en pensée. – Mais quoi ? me dira-t-on, quel mérite a-t-elle eu à ne pas employer de pratiques superstitieuses, si ces pratiques sont inutiles, si elles ne sont que tromperie et enfantillage ? Mais il y avait des gens qui lui disaient que ces pratiques étaient efficaces, et elle a mieux aimé voir mourir son enfant que de sacrifier à l’idolâtrie. Ainsi cette femme a le mérite du martyre, qu’il s’agisse de ses propres souffrances ou qu’il s’agisse de voir souffrir un fils, un mari, ou un être quelconque qui lui est cher : la femme superstitieuse au contraire adore des idoles. Elle aurait, cela est évident, sacrifié aux faux dieux, si elle avait pu. Que dis-je ? Ce sacrifice a eu lieu. Elle a eu recours à des pratiques superstitieuses, à des nœuds mystérieux. Vous avez beau raisonner, vous qui employez aussi de semblables pratiques, vous avez beau dire : Nous invoquons Dieu, voilà tout ! et autres choses semblables. Vous avez beau dire que cette femme est une femme respectable, une bonne chrétienne : je vous réponds, moi, que vos pratiques superstitieuses sont de l’idolâtrie. Êtes-vous une vraie chrétienne ? Faites le signe de la croix et dites : Le signe de la croix, voilà mes seules armes, voilà le remède que j’emploie ; je ne connais pas d’autres moyens. Dites-moi : si vous envoyez chercher un médecin et que ce médecin remplace les ressources de la médecine par des enchantements, lui donnerez-vous le nom de médecin ? Nullement ; car vous ne voyez pas autour de lui l’attirail de la médecine. Eh bien ! nous autres nous ne voyons pas dans ces pratiques l’attirail du christianisme. Il y a encore des femmes qui forment des nœuds figurant certains noms de fleuves, et qui osent se livrer à d’autres pratiques innombrables. Eh bien ! je vous le dis, je vous le déclare d’avance à vous tous : si je vous y prends encore, si quelqu’un retombe dans la superstition, qu’il s’agisse de nœuds, d’enchantements ou de tout autre sortilège, je ne l’épargnerai pas. Il faut donc laisser mourir cet enfant, me direz-vous ? Si c’est garde semblables moyens que vous lui sauvez la vie, vous le faites mourir ; s’il meurt, parce que vous négligez de recourir à la superstition, vous le faites vivre. Quand vous voyez votre fils fréquenter des courtisanes, vous voudriez le voir enterrer et vous dites : de quoi sert qu’il vive ? Et quand vous voyez l’âme de votre enfant en péril, vous voulez lui sauver la vie, au prix de son salut ! Ne vous rappelez-vous pas ces paroles du Christ : Celui qui perdra sa vie pour l’amour de moi, la retrouvera, et celui qui voudra sauver sa vie, la perdra ? (Mat 16,25) En croyez-vous le Christ, ou ces paroles ne sont-elles pour vous qu’une fable ? Si l’on vous disait : Conduisez votre enfant dans le temple des idoles et il vivra supporteriez-vous un pareil langage ? Non sans doute, et pourquoi ? C’est qu’on voudrait vous forcer à adorer des idoles, tandis qu’ici, dites-vous, il s’agit non pas d’idolâtrie, mais d’enchantements. Eh bien ! c’est là une invention de Satan, un piège du démon pour cacher ses fraudes et pour vous faire avaler le poison avec le miel ; sachant qu’il ne pourrait vous persuader sans prendre de détours, il a recours à des amulettes et à des contes de bonne femme. La croix n’est plus en crédit ; les caractères cabalistiques sont en grand honneur. On chasse le Christ pour faire entrer quelque vieille sorcière qui a le délire et qui est ivre. On foule aux pieds nos mystères, et le démon triomphe. Pourquoi, dites-vous, Dieu ne blâme-t-il pas formellement de semblables pratiques ? Mais que de fois n’a-t-il point blâmé chez vous l’emploi de pareils moyens, sans pouvoir vous persuader ? Maintenant il vous laisse à votre erreur. « Dieu », dit l’apôtre, « les a livrés à leur sens dépravé ». (Rom 1,28) Un païen même, s’il est quelque peu sage, né supporterait pas ce genre de superstition. A Athènes, dit-on, un orateur populaire usa un jour de ces sortilèges ; un philosophe, son maître, l’ayant vu, le réprimanda, se répandit en plaintes, le critiqua amèrement et le tourna en ridicule. Et nous autres, nous sommes assez mal inspirés pour croire à ces bagatelles ! Pourquoi, me direz-vous, n’y a-t-il plus aujourd’hui personne pour ressusciter les morts et pour opérer des guérisons miraculeuses ? Pourquoi, je ne vous le dis pas encore. Mais je vous demanderai à mon tour pourquoi il n’y a plus aujourd’hui personne qui méprise la vie présente, pourquoi nous n’offrons à Dieu que des hommages intéressés ? Quand l’humanité était plus faible, quand il s’agissait de planter sur la terre l’arbre de la foi, il y avait beaucoup d’hommes qui opéraient des miracles. Mais aujourd’hui Dieu veut que nous soyons préparés à la mort, sans nous mettre sous la dépendance des signes. Pourquoi donc cet attachement à la vie présente ? Pourquoi ce mépris pour la vie future ? Dans l’intérêt de la vie présente, vous avez le courage d’encenser des idoles ; dans l’intérêt de la vie future, vous ne pouvez supporter la plus légère contrariété. Pourquoi cette différence ? Si les hommes ne sont plus ce qu’ils étaient autrefois, c’est que nous avons pris l’autre vie en dégoût, puisque nous ne faisons rien pour elle, tandis que, pour conserver la vie présente, nous acceptons toutes les souffrances. Que signifient encore ces momeries, ces opérations magiques par la cendre, par la suie, par le sel, et cette vieille magicienne qui arrive encore ? Voilà qui est honteux et ridicule ! Votre enfant, diton, a été fasciné. 6. Jusques à quand vous livrerez-vous à ces pratiques, à ces œuvres de Satan ? Les gentils ne se moqueront-ils pas de nous, quand nous leur vanterons les vertus de la croix ? Comment persuader ces hommes qui nous voient recourir à ce qui fait l’objet de leur risée ? Est-ce pour cela que Dieu nous a donné ses médecins et ses remèdes ? Mais quoi, dites-vous, si ces médecins ne le sauvent pas ? Si l’enfant s’en va ? Mais où va-t-il donc, je vous le demande, malheureux que vous êtes ? Tombe-t-il entre les mains des démons et de notre tyran ? Ne retourne-t-il pas au ciel vers son maître ? Pourquoi cette douleur ? pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces larmes ? Pourquoi préférer votre enfant au Seigneur ? N’est-ce pas le Seigneur qui vous l’a donné ? Pourquoi êtes-vous assez ingrat pour préférer le don au donateur ? Mais je suis faible, dites-vous, et je n’ai point assez la crainte de Dieu. Car si, lorsqu’il s’agit des maux physiques, le plus grave empêche de ressentir le plus léger ; lorsqu’il s’agit de l’âme à plus forte raison, la crainte chasse la crainte, et la douleur la douleur. Votre enfant était beau, mais quel qu’il fût, il n’était pas plus beau qu’Isaac, et Isaac aussi était fils unique. C’était l’enfant de votre vieillesse. Le père d’Isaac l’avait eu aussi dans ses vieux jours. Mais il était si gracieux, si distingué ! Il ne l’était pas plus que Moïse qui charma les yeux d’une femme barbare, et cela, clans un âge où la grâce et la distinction n’ont pas encore eu le temps de percer. Pourtant cet enfant chéri fut jeté par ses parents dans un fleuve. Vous, du moins, vous l’avez devant vos yeux, vous le livrez à la sépulture et vous pouvez visiter son tombeau ; mais les parents de Moïse ignoraient s’il n’allait pas servir de pâture aux poissons, aux chiens ou à quelque monstre marin, et ils ne savaient pas encore ce que c’est que le royaume des cieux, ce que c’est que la résurrection. Mais ce n’est pas le seul enfant que vous ayez perdu ; plusieurs de vos enfants l’avaient précédé dans la tombe. Ah ! vos malheurs n’ont pas été si soudains, si répétés, si déplorables que ceux de Job. Vous n’aviez pas appris déjà, étant à table, la ruine de votre maison et une longue suite de désastres. Mais c’était votre enfant chéri. Vous ne l’aimiez pas plus que Jacob n’aimait son fils, lorsqu’il apprit qu’il avait été dévoré par les bêtes féroces. Et pourtant il supporta son malheur, et les nouveaux malheurs qui vinrent encore le frapper. Le père pleura, mais il ne se conduisit pas en impie. Il se lamenta, mais il ne perdit pas sa résignation et se borna à dire : « Joseph n’est plus, Siméon n’est plus, Benjamin n’est plus ; tous les malheurs sont venus fondre sur moi ». (Gen 42,36) Voyez-vous comme la voix impérieuse du besoin le força à exposer ses fils, tandis que la crainte de Dieu n’a pas sur vous autant d’empire que la faim ? Pleurez, je vous le permets, pleurez ; mais pas de blasphèmes. Votre fils, quel qu’il fût, ne pouvait être comparé à Abel, et pourtant Adam n’a rien dit qui ressemblât à un blasphème. Quoi de plus grave en effet qu’un fratricide ? Mais ce fratricide m’en rappelle d’autres. Ainsi Absalon ne tua-t-il pas Ammon son frère aîné ? (2Sa 13) Le roi David aimait son enfant, et le souverain était là étendu sur la cendre. Mais il ne fit venir ni devin ni enchanteur. II y en avait cependant alors, et l’exemple de Saül nous le fait bien voir. Mais David se bornait à supplier Dieu. Imitez-le ; imitez ce juste ; dites, comme lui, quand votre enfant est mort : Il ne viendra pas à moi, mais j’irai à lui ; voilà de la sagesse ! Voilà de l’attachement ! Vous avez beau aimer votre enfant, vous ne l’aimez pas autant que David aimait son fils, quoique ce fils fût le fruit de l’adultère. Mais David pensait à la mère de ce fils, et vous le savez, l’affection que l’on a pour les parents, rejaillit sur les enfants. Or David avait tant d’affection pour ce fils, qu’il tenait à lui, bien qu’il fût pour lui un reproche vivant. Eh bien ! tout cela n’empêcha point David de rendre grâces à Dieu. 2Sa 13) Le roi David aimait son enfant, et le souverain était là étendu sur la cendre. Mais il ne fit venir ni devin ni enchanteur. II y en avait cependant alors, et l’exemple de Saül nous le fait bien voir. Mais David se bornait à supplier Dieu. Imitez-le ; imitez ce juste ; dites, comme lui, quand votre enfant est mort : Il ne viendra pas à moi, mais j’irai à lui ; voilà de la sagesse ! Voilà de l’attachement ! Vous avez beau aimer votre enfant, vous ne l’aimez pas autant que David aimait son fils, quoique ce fils fût le fruit de l’adultère. Mais David pensait à la mère de ce fils, et vous le savez, l’affection que l’on a pour les parents, rejaillit sur les enfants. Or David avait tant d’affection pour ce fils, qu’il tenait à lui, bien qu’il fût pour lui un reproche vivant. Eh bien ! tout cela n’empêcha point David de rendre grâces à Dieu. Quelle ne fut pas, croyez-vous, la douleur de Rébecca, lorsqu’elle vit Jacob menacé par son frère ? Pourtant elle ne voulut pas faire de chagrin à son mari, et fit partir son fils. Quand voles avez une affliction, songez à des afflictions plus grandes et vous serez consolé. Dites-vous à vous-même : Et si mon fils était mort sur le champ de bataille ? Et s’il avait péri dans un incendie ? Songeons à des malheurs plus graves que les nôtres, et nous serons consolés. Quels que soient nos malheurs, jetons nos regards sur ceux qui sont plus malheureux que nous. C’est ainsi que Paul exhorte ses auditeurs, quand il leur dit : « Dans vos luttes contre le péché, vous n’avez pas encore combattu jusqu’au sang ». (Heb 12,4) Et ailleurs : « Vous n’avez encore eu que des tentations humaines ». Ayons donc les yeux fixés sur les infortunes qui surpassent les nôtres : nous en trouverons toujours, et de cette manière nous serons reconnaissants. Avant tout et en toutes choses, rendons grâces à Dieu ! C’est le moyen de nous calmer, c’est le moyen de vivre pour honorer Dieu et d’obtenir les biens qui nous sont promis. Puissions-nous les acquérir par la grâce et la bonté, etc. HOMÉLIE IX.
QUE LA PAROLE DU CHRIST HABITE EN VOUS ET REMPLISSE VOS ÂMES INSTRUISEZ-VOUS EN TOUTE SAGESSE ET EXHORTEZ-VOUS PAR DES PSAUMES, PAR DES HYMNES, PAR DES CANTIQUES SPIRITUELS, CHANTANT DE CŒUR AVEC ÉDIFICATION LES LOUANGES DU SEIGNEUR. QUOI QUE VOUS FASSIEZ, EN PARLANT OU EN AGISSANT, FAITES TOUT AU NOM DE JÉSUS-CHRIST, NOTRE SEIGNEUR, RENDANT GRÂCES PAR LUI A DIEU LE PÈRE ! (CH. 3,16, 17) Analyse.
- 1. Comment faut-il témoigner à Dieu sa reconnaissance ? Il faut lire les saintes
- 2. Les psaumes sont un beau livre de morale.
- 3. Toujours parler, toujours agir au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Écritures, et se résigner dans le malheur.
1. Après leur avoir persuadé qu’ils devaient se montrer reconnaissants envers Dieu, il leur montre le moyen qu’ils doivent employer pour cela. Quel est ce moyen ? C’est celui dont nous nous sommes d’abord entretenus. Et que dit l’apôtre ? « Que la parole du Christ demeure en vous et remplisse vos âmes ». Il est encore un autre moyen de témoigner à Dieu notre reconnaissance ; j’en ai déjà parlé. Ce moyen consiste, quand on est malheureux, à passer en revue, à regarder autour de soi ceux qui ont encore plus souffert que nous, et à rendre grâces à Dieu qui ne nous a pas éprouvés comme eux. – « Que la parole du Christ demeure en vous et remplisse vos âmes ». Cette parole du Christ, ce sont ses dogmes, ce sont ses avis, c’est sa doctrine où il nous montre le néant de la vie présente et de ses biens. Si cette vérité devient évidente pour nous, nous ne reculerons devant aucune difficulté. « Qu’elle habite en vous », dit-il, « et qu’elle remplisse vos âmes ». Il ne s’est pas contenté de dire : « Qu’elle habite en vous », il a ajouté : « Qu’elle remplisse vos âmes ». Écoutez tous tant que vous êtes, hommes du monde, vous qui avez une femme, qui avez des enfants. Voyez comme il vous recommande de lire les saintes Écritures et d’apporter à cette lecture non pas un esprit distrait et léger, mais une grande attention, une grande ardeur. Le riche peut supporter l’amende et bien des condamnations ; de même celui qui possède les dogmes de la sagesse peut supporter facilement non seulement la pauvreté, mais les autres malheurs ; il les supportera même plus facilement que le riche ne supportera l’amende. Car le riche, en payant l’amende, éprouve un dommage qui, multiplié, finirait par épuiser ses finances ; mais il n’en est pas ainsi de celui qui est riche en sagesse ; la raison et la droiture ne s’épuisent pas en faisant face aux événements ; elles subsistent toujours. Et voyez l’intelligence du saint apôtre. Il ne s’est pas borné à dire : Que la parole du Christ soit en vous. Qu’a-t il dit ? Il a dit : « Que la parole du Christ habite en vous et qu’elle remplisse vos âmes. Instruisez-vous en toute sagesse et exhortez-vous les uns les autres ». Pour lui, la vertu c’est la sagesse, et avec raison. La sagesse, en effet, c’est l’humilité, c’est l’aumône avec ses sœurs ; les vices au contraire ne sont que folie. C’est une folie que la dureté du cœur. Aussi, en mille endroits, l’Écriture donne-t-elle au péché le nom de folie. « L’insensé a dit dans son cœur, il n’y a pas de Dieu » ; et ailleurs : « J’ai vu, dans ma folie, mes cicatrices se pourrir et se corrompre ». (Psa 14,1 ; 37,6) Quoi de plus insensé en effet que cet homme bien vêtu qui voit avec indifférence la nudité de ses frères, qui nourrit une meute de chien et qui, dans son mépris, abandonne aux tourments de la faim un être fait à l’image de Dieu ; qui tout en étant persuadé du néant des choses humaines, y demeure attaché, comme si elles devaient durer toujours ? Si c’est là le comble de la folie, la droiture en revanche est le comble de la sagesse. Voyez en effet comment se comporte le sage : il est charitable, compatissant et bon, il reconnaît que nous sommes tous frères, il connaît le peu de cas que l’on doit faire de la fortune, il sait qu’il faut être plus économe de sa personne que de son argent. Tout homme qui méprise la gloire est donc philosophe, parce qu’il connaît les choses humaines ; car la science des choses divines et humaines, c’est la philosophie. Le philosophe sait donc faire la différence des choses divines et humaines. Il s’abstient de celles-ci, il s’occupe de celles-là ; il sait en toutes choses rendre grâces à Dieu ; il connaît le néant de la vie présente ; voilà pourquoi il ne se laisse ni enivrer par la prospérité, ni abattre par tes revers. Qu’avez-vous besoin de maîtres ? Vous avez la parole de Dieu. Où trouver un meilleur enseignement ? Souvent, par vaine gloire ou par jalousie, un maître vulgaire ne vous transmet qu’une partie de sa science. Écoutez bien, vous tous qui vous préoccupez des choses de cette vie, et faites provision de ces livres qui contiennent les remèdes de l’âme. Si vous ne voulez pas en avoir beaucoup, procurez-vous du moins le Nouveau Testament, les Actes des apôtres, les Évangiles. Vous y trouverez des leçons bonnes en tout temps. S’il vous arrive un chagrin, ouvrez cette officine, vous y trouverez quelque remède qui adoucira votre douleur. Venez-vous à éprouver une perte d’argent, la mort est-elle à votre porte, perdez-vous quelqu’un des vôtres ? Jetez les yeux sur ces divins formulaires, pénétrez-vous en, retenez-les bien. La source de tous les maux, c’est l’ignorance des saintes Écritures. Les ignorer, c’est marcher sans armes au combat. Comment donc vous défendrez-vous ? Nous devons nous trouver heureux, si ces armes nous sauvent ; si nous ne les avons pas, comment donc pouvons-nous être sauvés ? Ne jetez pas sur nous tout le fardeau. Vous êtes nos brebis ; mais vous êtes des brebis douées de raison. Vous aussi vous avez à remplir bien des devoirs que saint Paul vous impose. Les disciples ne sont pas toujours disciples ; car apprendre toujours, c’est ne savoir jamais. Ne venez pas à nous, comme si vous deviez toujours apprendre ; autrement vous ne saurez jamais. Venez à nous en disciples qui cesseront un jour d’apprendre pour devenir des maîtres à leur tour. Dans toute espèce de science, dans toute espèce d’art, je vous le demande, est-ce que tous ceux qui étudient n’attendent pas un terme à leurs études ? Oui, tous nous nous fixons ce terme. Toujours apprendre prouve qu’on n’a rien appris. 2. Voilà le reproche que Dieu faisait aux Juifs. « Ces hommes qui, depuis leur plus tendre enfance jusqu’à la vieillesse, sont toujours à l’école ». Si vous n’aviez pas toujours attendu la leçon d’un maître, vous n’auriez pas toujours marché à reculons dans la voie du progrès. Si, en trouvant parmi vous des auditeurs ayant encore besoin d’apprendre, nous en avions trouvé d’autres complètement instruits, nos efforts au moins vous auraient profité. Vous auriez un jour cédé la place à d’autres disciples et vous nous auriez secondés. Je vous le demande : si des écoliers en étaient toujours aux éléments, ne donneraient-ils pas beaucoup de mal à leur maître ? Jusques à quand passerons-nous notre temps à disserter sur la vie humaine ? Il n’en était pas ainsi chez les apôtres. Ils passaient d’une contrée à une autre, laissant à de nouveaux disciples leurs disciples anciens pour maîtres. C’est ainsi qu’ils ont pu parcourir l’univers entier ; ils n’étaient pas attachés à un lieu. Dans votre opinion, que de frères n’avons-nous pas dans les campagnes qui, aussi bien que leurs maîtres, ont encore besoin d’être instruits ? Mais vous me tenez cloué près de vous. Car, avant que la tête soit bien guérie, il est superflu de s’occuper du reste du corps. Vous vous reposez de tout sur moi. Tandis que nous nous chargeons de vous instruire, vous devriez à votre tour vous charger d’instruire vos femmes et vos enfants ; mais vous nous laissez toute la besogne. Aussi nous avons beaucoup de peine. « Vous instruisant », dit-il, « et vous exhortant les uns les autres par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels ». Voyez comme Paul rend la sagesse abordable et facile. La lecture de l’Écriture sainte est un travail très pénible et très sérieux. Ce n’est donc pas l’histoire qu’il leur donne à lire ; mais il leur donne des psaumes à chanter, pour qu’ils trouvent en chantant de quoi se distraire et tromper leur ennui. « Par des hymnes », dit-il, « et par des cantiques spirituels ». Aujourd’hui ce sont les chants du démon, c’est la danse que vos enfants affectionnent : c’est un goût qui leur est commun avec les cuisiniers, les pourvoyeurs et les saltimbanques. Il n’est plus question de psaumes ; on rougit de les chanter, on les trouve ridicules et l’on s’en moque. De là toutes sortes de maux. Tel terrain, tel fruit, en effet ; un terrain sablonneux et chargé de matières salines produira des fruits de la même nature que lui, et il en sera de même d’un terrain doux et gras. C’est ainsi que tout ce que l’on apprend est une source de bien ou de mal. Apprenez à l’enfant à chanter ces psaumes si remplis de sagesse. Ils lui parleront tout d’abord de la modération et de la tempérance, ou plutôt ils lui diront avant tout, dès le commencement du livre, qu’il ne faut pas fréquenter les méchants. C’est par là que commence le Prophète, quand il dit : « Heureux l’homme qui s’éloigne des impies ! » (Psa 1,1) Et il dit ailleurs : « Je n’ai pas pris place dans cette assemblée de la vanité ». – « Le méchant, en sa présence, a été comme s’il n’était pas ; ceux qui craignent le Seigneur sont glorifiés ». (Psa 26,4 ; 14,4) Les psaumes renferment en outre une foule de préceptes sur la nécessité de fréquenter les gens de bien et de commander à sa sensualité, sur le désintéressement, contre l’avarice, sur le néant de la richesse et de la gloire, et autres semblables matières. Lorsque, dès son plus jeune âge, l’enfant aura été nourri de ces leçons, il recevra peu à peu un plus haut enseignement. Les psaumes renferment tout ; mais les hymnes n’ont rien de mortel. Lorsque l’enfant aura fait son apprentissage en chantent les psaumes, il apprendra les hymnes qui se rapprochent encore plus du ciel. Ce sont les hymnes, en effet, que chantent les puissances célestes. « Les hymnes n’ont rien de beau », dit l’Ecclésiastique, « en passant par la bouche du pécheur ». (Sir 15,9) – « Mes yeux sont fixés sur les fidèles qui habitent la terre, afin qu’ils soient un jour assis avec moi dans le ciel ». – « Celui qui sacrifie à l’orgueil n’habite pas dans ma maison ». – « Il me servait en marchant dans la voie de la sainteté ». (Psa 101,6 ; 7,2) Tant il est vrai que vous devez veiller à ce que vos enfants ne se corrompent pas en fréquentant vos amis ou vos esclaves ; car nos enfants courent des dangers innombrables, quand nous les confions à des esclaves corrompus. Si, en effet, l’amour et la sagesse d’un père suffisent à peine pour les sauver, que sera-ce, si nous les confions à des esclaves n’ayant ni foi ni loi. Ces esclaves les traitent en ennemis et se figurent qu’ils trouveront en eux des maîtres complaisants, quand ils auront fait d’eux des insensés, des méchants et des vauriens. Occupons-nous donc, avant tout, de ces points importants, et occupons-nous-en avec soin. « J’ai aimé, dit le Seigneur, « ceux qui aiment ma loi ». Montrons-nous donc jaloux d’observer cette loi, et aimons ceux qui l’observent. Les enfants veulent-ils apprendre la tempérance et la modération, qu’ils écoutent ces paroles du Prophète : « Mes reins se sont remplis d’illusions » ; et celles-ci : « Tu chasseras de ta présence et tu perdras ceux qui se livrent à la fornication ». (Psa 38,8 ; 72,27) Pour leur apprendre combien il est nécessaire de commander à sa sensualité, le psalmiste leur dira : « Et il a fait périr plusieurs d’entre eux qui avaient encore la bouche pleine ». (Psa 78, 30-31) Il leur dira qu’il ne faut pas se laisser corrompre par les présents, en ces termes : « Quand la richesse affluerait entre vos mains, ne lui donnez pas votre cœur ». (Psa 62,11) Pour apprendre qu’il faut savoir maîtriser son orgueil, ils trouveront ce passage : « L’orgueil ne descendra pas avec lui sur ses pas ». (Psa 49,18) Ils verront qu’il ne faut pas imiter les méchants : « Gardez-vous de prendre « les méchants pour modèles » (Psa 37,1) ; qu’il faut mépriser les dignités : « J’ai été témoin de l’élévation de l’impie. Il était haut comme les cèdres du Liban ; je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus » (Psa 36,36) ; qu’il faut mépriser les biens de la terre : « Ils appelaient heureux le peuple qui possédait ces biens ; mais il n’y a d’heureux que le peuple qui a pour soutien le Seigneur notre Dieu ». (Psa 144,15) « Ils verront que l’on ne pèche pas impunément, et que le pécheur reçoit son salaire. Tu rétribueras chacun selon ses œuvres ». Pourquoi la rétribution n’est-elle pas immédiate ? « C’est que Dieu, ce juge intègre, est à la fois fort et patient ». L’humilité est une vertu. « Seigneur, l’orgueil n’a pas enflé mon cœur ». (Psa 131,1) L’orgueil est un vice. « Ils ont été jusqu’à la fin esclaves de leur vanité ». (Psa 73,16) « Dieu résiste au superbe ». (Pro 3,31) « Leur iniquité sortira de leur cœur gonflé d’orgueil ». (Psa 73,7) Il est bon de faire l’aumône : « Il a dépensé ses biens, il les a donnés aux pauvres, sa justice est éternelle ». (Psa 3,19) La pitié est chose louable : « Heureux l’homme qui a de la pitié et qui fait du bien ! » (Id. 5) On trouvera dans tes psaumes bien d’autres préceptes de morale. Il ne faut pas médire : « Je poursuivais ce détracteur qui médisait en cachette de son prochain ». (Psa 101,5) Quant à cet hymne céleste que répètent là-haut les chérubins, il est connu des fidèles. Et les anges placés au-dessous des chérubins, que disent-ils ? Gloire à Dieu, au plus haut des cieux ! (Luc 1,14) Donc après les psaumes viendront les hymnes qui offrent quelque chose de plus parfait. « Par des psaumes », dit l’apôtre, « par des hymnes, par des cantiques spirituels, chantant de cœur avec édification les louanges du Seigneur ». Cela veut dire que Dieu nous a dicté ces chants pour notre édification, ou que ces chants sont des cantiques d’actions de grâces, ou que nous devons nous avertir et nous instruire dans la grâce, ou que ces chants sont des dons de la grâce, ou enfin, autre explication, qu’ils ont été inspirés par la grâce de l’Esprit-Saint : « Chantant de cœur les louanges de Dieu ». Il ne faut pas se borner à chanter avec les lèvres ; il faut chanter avec le cœur. 3. C’est là ce qui s’appelle chanter pour Dieu ; autrement on chante pour lé vent qui emporte nos paroles. Ce n’est pas là, nous dit l’apôtre, une affaire d’ostentation. Même sur la place publique, vous pouvez vous tourner vers Dieu et chanter ses louanges sans qu’on vous entende. C’est ainsi que priait Moïse, et Dieu pourtant l’entendit, car voici les paroles de Dieu : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » Pourtant Moïse ne proférait pas un seul mot ; la contrition dans le cœur, il faisait une oraison mentale ; aussi était-ce Dieu seul qui l’entendait. Rien ne nous empêche en effet de prier de cœur, en nous promenant, et d’élever notre esprit vers Dieu. « Quoi que vous lassiez », continue saint Paul, « en priant ou en agissant, faites tout au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, rendant grâces par lui à Dieu le Père ». De cette manière, en invoquant le Christ, nous ne ferons, nous ne dirons rien de contraire à la vertu et à la pureté. Que vous mangiez, que vous buviez, que vous contractiez mariage, que vous voyagiez, faites tout au nom de Dieu, c’est-à-dire en invoquant son appui. Quoi que vous fassiez, adressez-lui d’abord votre prière. Quoi que vous disiez, que ce soit là votre préambule. Voilà pourquoi le nom du Seigneur se trouve en tête de toutes nos épîtres. Ce nom-là porte toujours bonheur. Si des noms de consuls suffisent pour donner à un acte sa sanction, il en est de même à plus forte raison du nom du Christ. Peut-être aussi l’apôtre veut-il dire Agissez et parlez toujours au nom du Seigneur ; ne faites pas intervenir les anges avant et après vos repas, rendez grâces à Dieu. Avant (le dormir, à votre réveil, rendez grâces à Dieu. Allez-vous à vos affaires ? faites de même. Qu’il n’y ait dans votre conduite rien de mondain, rien pour la vie terrestre. Faites tout au nom du Seigneur, et tout vous réussira. Partout et toujours ce nom-là porte bonheur. S’il chasse les démons, s’il chasse les maladies, il porte bonheur à plus forte raison en tout le reste. Que veut dire : « Quoi que vous fassiez, en parlant ou en agissant ? » C’est-à-dire en priant, en faisant un acte quelconque. Écoutez Abraham, donnant, au nom du Seigneur notre Dieu, message à son serviteur ; voyez David tuant Goliath au nom du Seigneur ! C’est que ce nom est merveilleux et grand. Et. en laissant partir ses fils, ne leur dit-il pas : « Que mon Dieu vous donne sa grâce, quand vous serez devant cet homme ? » (Gen 43,14) En agissant ainsi, on s’assure l’appui de ce Dieu, sans lequel on n’ose rien entreprendre. Ce Dieu, que vous avez honoré, que vous avez invoqué, vous honore à votre tour, en faisant prospérer vos entreprises. Invoquez le Fils, et rendez grâces au Père. Invoquer le Fils, c’est invoquer aussi le Père ; rendre grâces au Père c’est rendre grâces au Fils. Ne nous bornons pas à retenir ce précepte ; mettons-le en pratique. Rien ne peut être mis en parallèle avec ce nom ; il produit toujours de merveilleux effets. « Votre nom est un parfum exquis ». (Can 1,2) Celui qui a adressé ces paroles à Dieu a été aussitôt en bonne odeur devant Dieu. « Nul ne peut confesser que Jésus est le Seigneur, sinon par le Saint-Esprit ». (1Co 12,3) Tant ce nom opère de miracles ! Ces mots, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, prononcés avec foi, produisent les plus puissants effets. En les prononçant, on crée un homme nouveau, on obtient toutes les grâces du baptême. Ce nom du Seigneur, ce nom qui commande aux maladies, devient une arme terrible. Voilà pourquoi le démon, jaloux du privilège que Dieu accorde à l’homme, a introduit le culte des anges. Oui, ce sont là des sortilèges du démon. Ne vous y prêtez point, qu’il s’agisse d’un ange, d’un archange, ou d’un chérubin ; car ces puissances, loin d’accueillir vos prières, les rejetteront, en voyant que vous humiliez Dieu. Je vous ai honoré, dit Dieu, et je vous ai dit : Invoquez-moi, et vous outragez Dieu. Ces paroles magiques prononcées avec foi, mettront en fuite les maladies et – les démons, et, si la maladie ne disparaît pas, ce n’est pas la faute du moyen que volis employez, c’est que ce n’est pas votre avantage. La gloire de votre nom est proportionnée à votre grandeur, dit l’Écriture. Par le nom du Seigneur, l’univers a été converti, le joug de la tyrannie a été brisé, le démon a été foulé aux pieds, les cieux ont été ouverts. Que dis je ? les cieux ! C’est par ce nom que nous avons été régénérés. Ce nom nous revêt de splendeur ; il fait les confesseurs et les martyrs. Regardons-le comme un magnifique présent, pour vivre dans la gloire, pour plaire à Dieu et nous rendre dignes des biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et la bonté, etc.