Colossians 4
HOMÉLIE X.
FEMMES, SOYEZ SOUMISES A VOS MARIS, COMME IL EST BIEN RAISONNABLE, EN CE QUI EST SELON LE SEIGNEUR. MARIS, AIMEZ VOS FEMMES ET NE LES TRAITEZ POINT AVEC RIGUEUR. ENFANTS, OBÉISSEZ EN TOUT A VOS PÈRES ET A VOS MÈRES ; CAR CELA EST AGRÉABLE AU SEIGNEUR. PÈRES, N’IRRITEZ POINT VOS ENFANTS, DE PEUR QU’ILS NE TOMBENT DANS L’ABATTEMENT. SERVITEURS, OBÉISSEZ EN TOUT A CEUX QUI SONT VOS MAÎTRES SELON LA CHAIR, NE LES SERVANT PAS SEULEMENT LORSQU’ILS ONT L’ŒIL SUR VOUS, COMME SI VOUS NE PENSIEZ QU’A PLAIRE AUX HOMMES ; MAIS AVEC SIMPLICITÉ DE CŒUR ET CRAINTE DE DIEU. FAITES DE BON CŒUR TOUT CE QUE VOUS FEREZ, COMME LE FAISANT POUR DIEU ET NON POUR LES HOMMES. SACHEZ QUE C’EST DU SEIGNEUR QUE VOUS RECEVREZ L’HÉRITAGE DU CIEL POUR RÉCOMPENSE ; C’EST LE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST QUE VOUS DEVEZ SERVIR. MAIS CELUI QUI AGIT INJUSTEMENT RECEVRA LE SALAIRE DE SON INJUSTICE, ET DIEU NE FAIT POINT ACCEPTION DE PERSONNE. VOUS, MAÎTRES, RENDEZ A VOS SERVITEURS CE QUE L’ÉQUITÉ ET LA JUSTICE DEMANDENT DE VOUS, SACHANT QUE VOUS AVEZ AUSSI BIEN QU’EUX UN MAÎTRE QUI EST DANS LE CIEL. (III, 18 ; IV, 1-4)
Analyse.
- 1. Devoirs réciproques des maris et des femmes, des parents et des enfants, des maîtres et des serviteurs.
- 2. Suite des devoirs réciproques. – Comment il faut prier.
- 3. Prière d’un saint.
- 4. La prison de Socrate et celle de Paul. – Paul est bien supérieur à Socrate. – Les parures mondaines sont des chaînes ; les chaînes de Paul sont une parure. – La plus belle parure, c’est la vertu. – Influence de l’éducation et de l’exemple.
1. Pourquoi l’apôtre ne fait-il point partout et dans toutes ses épîtres les recommandations qu’il fait ici ? Pourquoi ne trouvons-nous ces préceptes de saint Paul que dans cette épître, dans l’épître aux Éphésiens, dans les épîtres à Timothée et à Tite ? C’est que, dans les villes d’Éphèse et de Colosses, probablement les familles étaient divisées ; c’est que le mal était surtout chez elles dans ces discordes auxquelles il fallait remédier au moyen de la parole. Peut-être encore ce sont là des préceptes généraux. Cette épître offre du reste, et surtout dans ce passage, de grands points de ressemblance avec l’épître aux Éphésiens. Il n’en est pas de même des autres épîtres ; soit que, dans ces autres épîtres, il s’adresse à des villes pacifiques et à des hommes qui avaient besoin d’entendre de plus hautes leçons, soit que ces hommes, ayant déjà été consolés dans leurs tentations, n’aient plus besoin de ces préceptes domestiques. Cela me fait conjecturer que, dans ces villes, l’Église était solidement établie, et que saint Paul a gardé ces préceptes pour la fin. « Femmes, soyez soumises à vos maris, comme c’est raisonnable, en ce qui est selon Dieu ». C’est-à-dire, soyez soumises à vos maris, pour obéir à Dieu ; car cette soumission est votre parure. Il ne s’agit point en effet ici de cette soumission que l’on doit à un maître. Il ne s’agit pas seulement d’une soumission commandée par la nature, mais d’une soumission agréable à Dieu. « Maris, aimez vos femmes, et ne les traitez point avec rigueur ». Voyez comme les devoirs réciproques sont ici bien marqués. Il place de part et d’autre l’amour à côté de la crainte ; car celui qui aime pourrait, malgré cela, se montrer acerbe. Voici donc ce qu’il veut dire : Qu’il ne s’élève point de contestations entre vous ; car il n’y a rien de plus amer que ces contestations qui ont lieu entre mari et femme. Il n’y a rien de plus aigre que ces disputes qui surgissent entre personnes qui s’aiment. Car cette révolte du corps contre ses propres membres est la preuve d’une grande animosité. Aimer est le devoir de l’homme ; obéir est celui de la femme. Si chacun met du sien, l’union entre les deux époux est ferme et stable. La tendresse du mari fait naître dans le cœur de la femme la sympathie et l’amour ; la soumission de la femme fait de l’homme un mari doux et clément. Et remarquez que la nature aussi a fait l’homme pour la tendresse, la femme pour la soumission. Quand l’être qui commande aime l’être qui obéit, tout va bien. Et le sentiment de la tendresse est plus impérieusement exigé de celui qui commande que de celui qui obéit. Car, à ce dernier, ce que l’on demande surtout, c’est la soumission. Cette beauté qui est l’apanage de la femme, ces désirs naturels à l’homme ne montrent qu’une chose ; c’est que tout cela est arrangé pour inspirer à l’homme l’attachement. N’abusez donc pas, ô maris, de la soumission de vos femmes pour vous montrer insolents ; et vous, femmes, ne vous montrez pas vaines de l’amour de vos maris. Que la tendresse de l’homme ne soit point pour la femme un sujet d’orgueil ; que la soumission de la femme ne soit point pour l’homme un motif de vanité. Si Dieu veut que la femme vous soit soumise, ô homme, c’est pour que vous l’aimiez davantage ; si Dieu veut que l’homme vous aime, ô femme, c’est pour alléger votre joug. Ce joug, ne le craignez pas ; être soumis à celui qui vous aime est une situation qui n’a rien de pénible. Et vous, homme, ne craignez pas d’aimer ; votre femme vous est soumise. La nature vous a donné une autorité nécessaire ; joignez-y le lien de la tendresse qui fait pardonner aux faibles. « Enfants, obéissez en tout à vos pères et à vos mères ; car cela est agréable au Seigneur ». – « Cela est agréable au Seigneur », dit-il encore ici ; pour insister sur cette loi de l’obéissance, pour rendre les enfants respectueux et soumis. « Car cela est agréable au Seigneur ». Voyons comment saint Paul nous recommande de suivre toujours non seulement l’ordre de la nature, mais les préceptes de Dieu, si nous voulons être récompensés. « Pères, n’irritez point vos enfants, de peur qu’ils ne tombent dans l’abattement ». Voilà encore ici la soumission et la tendresse. L’apôtre n’a pas dit : « Aimez vos enfants » ; la recommandation serait inutile ; car la nature nous y force. Mais il rectifie le sentiment de l’amour paternel, en indiquant qu’il doit être d’autant plus vit que la soumission de l’enfant est plus grande. Nulle part il n’emploie, quand il s’agit de tendresse, l’exemple des maris et des femmes comme terme de comparaison. Quoi d’étonnant ? Écoutez ces paroles du Prophète : Comme un père qui a eu pitié de ses enfants, le Seigneur a eu pitié de ceux qui le craignent. (Psa 14,13) Et Jésus-Christ dit aussi : « Quel est celui d’entre vous qui donnerait une pierre à son fils, quand son fils lui demande du pain ? Quel est celui a d’entre vous qui lui donnerait un serpent, quand il lui demande du poisson ? » (Mat 7,9) – « Pères, n’irritez point vos enfants, de peur qu’ils ne tombent dans l’abattement ». Il s’est exprimé de la manière la plus propre à faire impression sur eux ; c’est un ordre aimable où il ne fait pas intervenir Dieu pour les émouvoir, il en appelle à leur affection : « N’irritez point vos enfants », c’est-à-dire, ne les aigrissez pas ; il y a des cas où vous devez leur faire des concessions. Il passe ensuite à un troisième commandement : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair ». Il y a aussi place pour l’affection entre le serviteur et le maître. Mais ce n’est plus l’affection qui résulte des liens naturels ; c’est une affection qui résulte des bons rapports entre celui qui commande et celui qui sert. Mais, comme dans une pareille situation c’est l’obéissance qui a la plus large part, c’est aussi sur l’obéissance qu’il insiste et qu’il appuie pour en faire jaillir ce sentiment que la nature fait éclore dans la famille. Aussi n’est-ce pas seulement la cause des maîtres, c’est celle des serviteurs eux-mêmes qu’il plaide auprès des serviteurs. Il veut qu’ils se rendent agréables à leurs maîtres ; mais il ne le dit pas explicitement, pour ne pas les humilier. « Obéissez », leur dit-il, « à vos maîtres selon la chair ». 2. Voyez comme il a soin de faire ressortir ces titres d’épouse, de fils, de serviteur, parce que ces titres leur marquent les devoirs qu’ils ont à remplir et leur commandent la soumission. Mais, pour ne pas humilier les esclaves il ajoute : « A vos maîtres selon la chair ». Ce qu’il y a de meilleur en vous, leur dit-il, votre âme, est libre ; votre esclavage n’aura qu’un temps. Soumettez donc votre corps à vos maîtres ; vous sentirez moins votre chaîne. « Ne les servant pas seulement lorsqu’ils ont l’œil sur vous, comme si vous ne pensiez qu’à plaire aux hommes ». Faites en sorte, dit-il, que cet esclavage qui vous est imposé parla loi, vous soit imposé parla crainte du Christ. Car si, loin des yeux du maître, vous remplissez envers lui tous vos devoirs, c’est l’œil vigilant de Dieu qui vous y oblige. « Ne les servant pas seulement lorsqu’ils ont l’œil sur vous, comme si vous ne pensiez qu’à plaire aux hommes » ; car cette pensée est une pensée pernicieuse. Écoutez le Prophète : « Dieu a dispersé les os de ceux qui songent à plaire aux hommes ». (Psa 53,6) Voyez comme il les ménage, tout en leur donnant des règles de conduite. « Mais avec simplicité de cœur et crainte de Dieu ». Une conduite toute contraire n’est plus simplicité de cour ; ce n’est qu’hypocrisie et dissimulation ; le serviteur alors pense tout autrement qu’il n’agit ; quand son maître n’est plus là, le serviteur n’est plus le même. Et saint Paul ne dit pas seulement « avec simplicité de cœur », il ajoute « et crainte de Dieu ». Car la crainte de Dieu consiste à ne rien faire de mal, lors même que personne ne nous voit. Voyez-vous la règle de conduite qu’il leur donne ? « Quoi que vous fassiez », dit-il, « faites-le de bon cœur, faites-le pour Dieu et non pour les hommes ». C’est qu’il veut les mettre en garde non seulement contre l’hypocrisie, mais contre la paresse et la fainéantise. D’esclaves, il les rend libres, puisqu’ils n’ont pas besoin de la présence du maître. C’est ce que veulent d’ire ces mots « de bon cœur » ; ils signifient « avec bienveillance », non parce que l’esclavage vous y oblige, mais agissant en vertu de votre libre arbitre et de plein gré. Et quelle sera leur récompense ? « Sachez », leur dit-il, « que c’est du Seigneur que vous recevrez l’héritage du ciel pour récompense ; c’est le Seigneur Jésus-Christ que vous devez servir ». C’est lui qui vous donnera votre salaire. Et voici la preuve que c’est Dieu que vous servez : « Celui qui agit injustement recevra la peine de son injustice ». Il confirme là ce qu’il a dit plus haut : Pour que ses paroles n’aient pas un faux air de flatterie, il recevra la peine de son injustice, dit-il ; c’est-à-dire, il sera châtié ; « car Dieu ne fait point acception de personne ». Qu’importe que vous soyez esclave ? Vous n’êtes point, pour cela, déshonoré devant Dieu. C’est aux maîtres que l’apôtre devait adresser ce langage, comme dans l’épître aux Éphésiens ; mais dans cette épître-là on dirait qu’il parle pour les maîtres qui étaient gentils. Qu’importe, en effet, que vous soyez chrétien, tandis que votre maître est païen ? Ce n’est pas ici une question de personne ; c’est une question de conduite. C’est donc avec bienveillance et de bon cœur que le serviteur doit faire son service. « Vous, maîtres, rendez à vos serviteurs ce que l’équité et la justice demandent de vous ». Or, qu’est-ce que demandent la justice et l’équité ? Elles demandent que vous ne laissiez manquer de rien vos serviteurs ; elles demandent que vous ne les forciez point à avoir recours aux autres et que vous les récompensiez selon leurs travaux. On a dit qu’ils recevraient leur récompense de Dieu ; mais ce n’est pas une raison pour que leur maître les prive de leur salaire. Dans un autre endroit, saint Paul dit : « Ne les traitant point avec menaces ». (Eph 6,9) Il voulait rendre les Éphésiens plus doux ; car, sous d’autres rapports, il n’y avait rien à dire contre eux. Ces mots : « Dieu ne fait point acception de personne », ont été dits pour les esclaves ; mais, en les leur adressant, il veut aussi que les maîtres les prennent pour eux. Quand nous disons, en effet, à une personne quelque chose qui s’appliquerait bien à une autre, c’est sur cette dernière personne principalement que tombe la réprimande. Vous êtes comme eux, dit-il aux maîtres. Vous avez, comme eux, un maître : « Sachez que vous avez aussi bien qu’eux un maître qui est dans le ciel ». « Persévérez et veillez dans la prière, en « l’accompagnant d’actions de grâces ». Comme la persévérance dans la prière engendre parfois la lassitude, il leur recommande de veiller, c’est-à-dire, d’être attentifs à eux-mêmes et de ne pas se permettre les distractions et les divagations ; car le démon sait bien quels sont les fruits de la prière : il se tient donc là toujours aux aguets, et saint Paul sait, du reste, quelle froideur et quelle nonchalance on apporte souvent dans la prière. « Persévérez dans l’oraison », comme si l’oraison était un travail. « Veillez dans la prière, en l’accompagnant d’actions de grâces ». Regardez, dit-il, comme votre tâche et votre devoir de rendre grâces à Dieu par la prière, pour ses bienfaits évidents et cachés, pour ceux qu’il vous a prodigués sur votre demande et malgré vous, pour obtenir le royaume des cieux, pour éviter la géhenne, quand il vous afflige et quand il vous soulage. C’est ainsi que prient les saints ; c’est ainsi qu’ils rendent grâces à Dieu pour les bienfaits dont il comble tous les hommes. 3. Je me rappelle la prière d’un saint. Voici cette prière : Nous vous rendons grâces, Seigneur, pour tous les bienfaits dont vous n’avez cessé de nous combler, nous vos serviteurs indignes ; nous vous rendons grâces pour ces bienfaits, pour ceux que nous connaissons et pour ceux que nous ignorons, pour vos bienfaits visibles ou invisibles, pour le bien que vous nous avez fait par votre coopération ou par votre parole, pour celui que vous nous avez fait même malgré nous, pour celui que vous nous avez fait quoique nous en fussions indignes, pour les maux dont vous nous avez affligés, pour les consolations que vous nous avez données, pour les périls dont vous nous avez frappés, pour le royaume des cieux, notre héritage. Nous vous prions de nous conserver la pureté du cœur, la paix de la conscience, et de nous donner une fin digne de votre clémence. Vous, qui nous avez aimés au point de nous sacrifier votre Fils unique, daignez nous rendre dignes de votre amour, mettez la sagesse dans notre bouche ; remplissez-nous de votre force et de la crainte de Dieu ; vous qui avez sacrifié pour nous votre Fils : unique ; et qui avez envoyé votre Saint-Esprit pour la rémission de nos péchés, pardonnez-nous nos fautes volontaires ou involontaires, souvenez-vous de tous ceux qui invoquent votre nom avec la parole de la vérité, souvenez-vous de ceux qui nous veulent du bien ou du mal, car nous sommes tous des hommes. Puis, après avoir adressé à Dieu la prière des fidèles, peur couronner l’œuvre, et afin de prier pour tout le monde, il s’arrêtait. Car Dieu nous a fait beaucoup de bien, même malgré nous ; il nous en a fait davantage encore, à notre insu. Car, lorsqu’il fait tout le contraire de ce que nous lui demandons, c’est évidemment parce qu’il nous fait du bien à notre insu. « Priez aussi pour nous ». Quelle humilité ! il les fait passer avant lui. « Afin que Dieu nous ouvre une entrée pour aborder le mystère du Christ ». Une entrée, c’est-à-dire la liberté de parler. Ah ! le courageux athlète ne leur demandait pas de prier Dieu pour qu’il fût délivré de ses liens ; mais, quand il était chargé de liens, il demandait aux autres de prier Dieu de lui accorder une faveur précieuse, la liberté de parler et de parler un sujet bien grand, à raison de la personne et de la matière, la liberté de parler « sur le mystère du Christ ». C’est là le plus cher de tous ses vœux. « Ce mystère pour lequel je suis dans les liens ». « Et afin que je le découvre aux hommes en la a manière que je dois lé découvrir ». En toute assurance, en toute liberté et sans réticence, veut-il dire. Eh quoi ! Paul, tu es dans les liens et tu t’ériges en consolateur ? – Oui sans doute ; mes liens même rendent ma parole plus libre. Mais je demande à Dieu son secours. N’ai-je pas entendu dire au Christ : « Quand on vous livrera entre leurs mains, ne vous inquiétez pas de savoir comment vous leur parlerez et ce que vous leur direz ». (Mat 10,19) Et remarquez cette image : « Une entrée pour aborder le mystère ». Voyez ce style sans faste et l’humilité du captif. Il voudrait amollir les âmes, mais il ne le dit pas, il demande seulement la liberté de parler en toute assurance. Ce qu’il en dit est pure modestie, c’est de l’humilité. Car cette liberté, il l’avait ; mais il veut la tenir de Dieu une seconde fois. Il montre dans cette épître, pourquoi le Christ n’était pas venu plus tôt, en appelant une ombre tout, ce qui l’avait précédé, ombre de la vérité dont le Christ est le corps. (Col 2,17) Les hommes devaient d’abord s’accoutumer à l’ombre. Il leur donne en même temps une preuve éclatante de sa tendresse pour eux. C’est pour vous faire écouter la parole de Jésus-Christ que je suis chargé de liens, dit-il. Le voilà encore qui parle de ses liens, et c’est ce qui me fait aimer Paul, c’est ce qui éveille en sa faveur toutes mes sympathies. Ah ! que j’aurais voulu le voir ce saint captif, lorsque dans sa prison il écrivait, il prêchait, il baptisait, il catéchisait. Quelle que fût l’affaire qui s’agitât au sein de l’Église, c’était à Paul, dans les liens, qu’on en référait ; dans les liens, il possédait au plus haut degré le pouvoir d’édifier tout le monde. C’était alors qu’il était plus libre que jamais. « Afin qu’un plus grand nombre de mes frères, s’appuyant sur mes liens, osent prêcher hardiment et dans l’effusion de leurs cœurs la parole de Dieu ». (Phi 1,14) Il proclame cette même vérité en ces termes : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort ». (2Co 12,10) Voilà pourquoi il disait encore : « Maison n’enchaîne pas la parole de Dieu ». (2Ti 2,9) Il était chargé de chaînes avec des malfaiteurs, des scélérats, des homicides, ce docteur universel. Celui qui est monté au troisième ciel, celui qui a entendu retentir à son oreille des paroles mystérieuses et ineffables était chargé de liens. Mais alors même sa course était plus rapide. Mais celui qui était chargé de liens était libre, et celui qui était libre était le prisonnier. Le premier faisait ce qu’il voulait ; le second ne pouvait ni lui faire obstacle, ni accomplir ses desseins. Que fais-tu, stupide geôlier ? C’est à un athlète spirituel que tuas affaire. La carrière où il dispute le prix n’est pas de ce monde. Il est au ciel, et l’athlète qui court dans la lice du ciel ne peut être ni enchaîné ni retenu par les liens terrestres. Ne vois-tu pas ce soleil ? Tâche d’enchaîner ses rayons et de l’arrêter dans sa course ; tes efforts seront inutiles. Comment donc pourrais-tu arrêter Paul ? C’est un ministre de la providence divine bien plus grand que le soleil ; car il apporte cette vraie lumière qui n’a rien de matériel. Où sont-ils ceux qui ne veulent rien souffrir pour le Christ ? Que dis-je, souffrir ! Ils ne veulent même pas sacrifier pour lui une obole. Paul aussi autrefois enchaînait les fidèles et les jetait en prison. Mais, depuis qu’il est serviteur du Christ, il ne se glorifie pas de ses actes, il se glorifie de ses souffrances. Et voilà ce que cette prédication a de merveilleux : c’est à la souffrance, ce n’est pas au péché qu’elle doit ses triomphes et ses progrès. A-t-on jamais vu de semblables luttes ? Dans cette lutte céleste, c’est la victime qui triomphe ; c’est le bourreau qui est le vaincu. C’est la victime qui est illustre, et c’est du cachot que la prédication s’élance pour soumettre le monde. Non, je ne rougis pas, dit Paul, je me glorifie au contraire de prêcher la parole du crucifié. Conclusion : L’univers entier abandonne ceux qui sont libres pour s’attacher aux captifs ; il se détourne des bourreaux pour honorer ceux qui sont chargés de chaînes ; il adore le crucifié et n’a, pour ceux qui l’ont mis en croix, que des sentiments de haine. 4. Ce qu’il y a d’admirable, c’est que le don de la prédication est accordé à des pécheurs, à des hommes simples, c’est en outre que tous les obstacles naturels, au lieu d’être des obstacles pour ces hommes, ne font que doubler leurs forces. Oui, loin d’être pour eux un écueil, leur simplicité ne fait que rendre plus éclatante la vérité de la parole qu’ils prêchent. Écoutez-le dire : « Et l’on s’étonnait de trouver en eux des hommes simples et sans instruction ». (Act 4,13) Leurs chaînes, loin de les gêner, leur donnaient plus d’assurance. Les disciples étaient encore plus audacieux quand Paul était captif que lorsqu’il était libre. « Afin », dit-il, « qu’ils aient plus de courage pour prêcher la parole de Dieu ». Où sont-ils ceux qui prétendent que ce n’est pas là une prédication divine ? La simplicité et l’ignorance des apôtres ne suffisaient-elles pas pour donner un démenti à cette assertion ? Ces hommes simples d’ailleurs n’auraient-ils pas dû être intimidés ? Car vous savez qu’il y a deux choses qui retiennent le commun des hommes : la fausse gloire et la crainte. Or, si leur simplicité et leur ignorance les préservaient de la honte, ils auraient dû au moins trembler devant le péril qui les menaçait. Mais, dira-t-on, ils faisaient des miracles. Vous croyez donc aux miracles des apôtres. Si vous me dites au contraire qu’ils n’en faisaient pas, je vous répondrai que, de la part de ces hommes, le plus grand de tous les miracles, c’était de ramener les âmes, sans recourir aux miracles. Socrate aussi, chez les Grecs, fut chargé de chaîne. Eh bien ! les disciples ne s’enfuirent-ils pas aussitôt à Mégare ? Sans doute ; car ils ne crurent pas à ce qu’il leur disait de l’immortalité de l’âme. Mais voyez ce qui se passe ici. Dès que Paul est jeté en prison, les disciples redoublent de courage et ils ont raison ; car ils voient que ses liens ne sont pas pour la prédication des entraves. Pouvez-vous enchaîner la langue en effet ? La persécution ne fait que la rendre plus libre. Pour arrêter un coureur, il faut lui lier les pieds ; pour arrêter l’évangéliste, il faudrait lui lier la langue. Entourez de chaînes les reins du coureur, il n’en est que plus ardent à la course ; enchaînez l’évangéliste, ses liens lui donnent encore plus d’assurance et de courage pour prêcher la parole de Dieu. Le captif a peur, quand il n’est qu’un captif ; mais le captif qui est en même temps un homme de cœur et qui méprise la mort, comment ferez-vous pour l’enchaîner ? Les persécuteurs de Paul n’enchaînaient, pour ainsi dire, que le fantôme de Paul ; c’était comme s’ils voulaient fermer la bouche à une ombre. Car c’était contre une ombre qu’ils combattaient. Paul, dans les fers, n’en était que plus regrettable pour ses amis, n’en était que plus respectable pour ses ennemis. Ses liens étaient pour lui le prix qui attestait sa grandeur d’âme et son courage. La couronne, loin d’amener la rougeur sur le front couronné, est pour ce front un ornement et un titre de gloire. Eh bien ! les persécuteurs de Paul lui tressaient une couronne avec ses chaînes. Car, dites-moi, pouvait-il redouter les fers, l’homme qui osait briser les portes de la mort, ces portes d’airain ? Parlons, mes amis, parlons de ces chaînes que nous devons ambitionner, dont nous devons être jaloux. O femmes qui vous couvrez de colliers d’or, soyez jalouses des chaînes de Paul. La splendeur que votre collier jette autour de votre cou, les chaînes de Paul la répandait sur son âme. Mais si vous ambitionnez ces ornements, détestez les ornements mondains. Qu’y a-t-il de commun entre la lâcheté et le courage, entre l’éclat matériel et la sagesse ? les liens de Paul, les anges les respectent ; ces colliers sont un objet de risée pour le ciel. Les chaînes de Paul nous élèvent de la terre au ciel ; les ornements mondains nous font descendre du ciel sur la terre. Oui, ce sont ces ornements qui méritent le nom de chaînes ; les chaînes de Paul, au contraire, sont des ornements véritables. Ces colliers courbent l’âme et le corps à la terre, tandis que les chaînes de Paul sont une parure pour l’âme et pour le corps à la fois. En voulez-vous la preuve ? Dites-moi : de vous ou de Paul, quel est celui qui attirera le plus de regards ? Mais que dis-je ? L’impératrice elle-même, toute resplendissante d’or, ne serait pas un spectacle plus attrayant que Paul. Que Paul, chargé de fers et que l’impératrice entrent en même temps dans une église, tous les yeux se détourneront de l’impératrice, pour se fixer sur Paul, et ce sera justice. N’est-il pas plus curieux en effet de voir un homme supérieur à la nature humaine, un homme qui n’a rien d’humain et qui est un ange sur la terre, que de voir une femme parée ? Une femme parée ! Mais cela se voit partout, au spectacle, aux bains, à la procession. Un homme chargé de chaînes, au contraire, qui, en même temps, loin de se courber sous le poids de ses fers, y trouve son plus bel ornement, voilà un spectacle qui n’a rien de terrestre et qui est digne du ciel ! L’âme de cette créature entourée d’ornements terrestres fait attention à ceux qui la regardent ou qui ne la regardent pas : elle est pleine d’orgueil, elle est en proie aux inquiétudes et aux soucis, elle a pour liens des passions sans nombre. Mais, grâce à ses chaînes, Paul se trouve exempt d’orgueil et rempli d’allégresse ; libre de toute inquiétude, il lève vers le ciel des regards joyeux. Si l’on me donnait le choix, qu’est-ce que je préférerais, de Paul apparaissant et parlant du haut des cieux, ou de Paul apparaissant et parlant dans sa prison ? J’aimerais mieux voir Paul m’apparaître du fond de sa prison ; car c’est dans sa prison que les anges viennent le visiter. Les chaînes de Paul suspendent ses auditeurs à ses lèvres et servent en même temps de base à sa prédication. Tâchons donc d’en obtenir de semblables. 5. Pour cela, que faut-il faire ? Il faut briser et broyer ces colliers, ces ornements mondains. Ce sont des liens inutiles et même pernicieux, qui seront là-haut les marques de notre servitude. Ce sont les chaînes de Paul qui nous délivreront des chaînes du monde. La femme qui est chargée de ces chaînes mondaines, sera un jour condamnée à une prison éternelle et jetée dans un cachot, pieds et poings liés. Celle qui aura été chargée des liens de Paul, les portera autour d’elle comme une parure. Délivrez donc votre corps de ses liens, et le pauvre de la faim. Pourquoi river les fers dont le péché vous entoure ? Comment donc, direz-vous, puis-je river ces fers ? Eh ! quoi ! Porter de l’or, quand votre semblable meurt de faim, vous charger d’or pour satisfaire votre vanité, quand votre semblable n’a pas de quoi manger, n’est-ce pas river les chaînes dont vous charge le péché ? Revêtez-vous du Christ et non de cet or ; le Christ n’est pas où est le mammon d’iniquité, le mammon d’iniquité ne peut être où est le Christ. Ne voulez-vous donc pas vous revêtir du Roi de l’univers ? Si l’on vous donnait la pourpre et le diadème, n’aimeriez-vous pas mieux un tel présent que de l’or ? Et moi, ce ne sont pas les insignes de la royauté, c’est le roi en personne que je vous donne pour ornement. Comment donc, dites-vous, peut-on se revêtir du Christ ? Écoutez cette parole de Paul : « Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ ». (Gal 3,27) Écoutez ce conseil de l’apôtre : « Ne cherchez point à contenter votre sensualité, en satisfaisant à ses désirs ». (Rom 13,14) On peut donc se revêtir du Christ, en ne cherchant point à contenter sa sensualité. Et quand on sera revêtu du Christ, on fera reculer le démon. Mais si l’on se revêt d’or, on deviendra un objet de risée même pour les hommes auxquels on imposerait le respect, en se revêtant du Christ. Voulez-vous paraître belle et séduisante ? Contentez-vous de la parure naturelle que vous a donnée le Créateur. A quoi bon cet or et ces ornements qui affichent la prétention de corriger ce que Dieu a fait ? Voulez-vous paraître belle ? Revêtez-vous de charité, de bonté, de modestie, de pudeur, et dépouillez le faste. Les ornements que je vous indique sont plus précieux que l’or ; ils ajoutent à la beauté et changent en beauté la laideur même. Quand on voit la beauté jointe à la bonté, on est prévenu en sa faveur ; mais une méchante femme perd toute sa beauté ; car sa méchanceté choque les yeux de l’âme qui ne la voient plus telle qu’elle est physiquement. L’Égyptienne, femme de Putiphar, était parée, ainsi que Joseph ; lequel des deux était le plus beau ? Et notez bien que je ne parle pas ici de cette femme assise dans son palais, quand Joseph était plongé dans un cachot. Joseph, lors même qu’il était nu, avait pour vêtements sa continence et sa pudeur ; mais elle, avec toute sa parure, était encore plus laide que si elle s’était montrée toute nue ; car c’était une femme sans pudeur. Oui, avec tous vos vêtements dispendieux, ô femme, vous voilà plus laide que si vous étiez nue ; car vous avez dépouillé la pudeur. Eve aussi était nue, et, quand elle se revêtit d’ornements, elle devint laide. Tant qu’elle resta nue, elle eut pour ornement la gloire de Dieu ; mais une fois revêtue de la livrée du péché, elle devint laide. Et vous aussi, vos ornements mondains vous enlaidissent. Votre luxe ruineux et excessif ne suffit pas pour mettre en relief votre beauté, et une femme parée peut sembler moins belle que si elle n’avait pas d’ornements ; je vais vous le prouver. Vous êtes-vous avisée parfois de vous habiller en joueuse de flûte, et n’était-ce pas là un costume déshonnête et indécent ? Pourtant c’était de l’orque vous portiez ; mais c’était justement tout cet or qui faisait votre honte. Tout ce luxe dispendieux, en effet, convient aux histrions, aux danseurs, aux acteurs tragiques, aux baladins, aux bestiaires ; mais une vraie chrétienne a une autre parure qu’elle a reçue de Dieu : cette parure, c’est le Fils unique de Dieu lui-même. « Vous tous, qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous êtes revêtus du Christ ». (Gal 3,27) Dites-moi, je vous prie, si l’on vous donnait des vêtements royaux, et si vous échangiez cette parure contre la livrée abjecte d’un mercenaire, ne trouveriez-vous pas déjà votre châtiment dans votre bassesse ? Quoi ! vous voilà revêtue du Maître souverain des anges et du ciel, et vous restez attachée à la terre ! J’ai pour but ici de démontrer que cet amour excessif de la parure, est à lui seul, un grand mal, quand même il n’entraînerait avec lui aucune suite fâcheuse, quand même il serait innocent ; car, à lui seul, il nous dispose à la vanité et au faste. Mais ce soin exagéré de notre parure produit en abondance les plus mauvais fruits : il engendre les soupçons, les dépenses inutiles, les médisances, la cupidité. Pourquoi ces ornements, je vous le demande ? Est-ce pour plaire à votre mari ? Parez-vous donc, quand vous restez chez vous. Mais c’est le contraire que vous faites. Si c’est à votre mari que vous voulez plaire, ne cherchez donc pas à plaire aux autres ; car en voulant plaire aux autres, vous ne pouvez plaire à votre mari. Vous devriez donc quitter votre parure, quand vous allez au marché, quand : vous allez à l’église. En d’autres termes, pour plaire à votre mari, vous – devriez recourir aux séductions des honnêtes femmes et non pas à celles des courtisanes. Car, je vous le demande, qu’est-ce qui distingue la courtisane de la femme légitime ? C’est que la première a pour unique affaire de charmer ses amants par sa beauté, tandis que la seconde dirige sa maison et partage avec son mari la vie commune et les soins de la famille. Peut-être – avez-vous une fille ? Eh bien ! servez-lui de sauvegarde ; les mœurs dépendent de l’éducation, et les filles imitent leur mère. Donnez à votre fille l’exemple de la modestie et de la pudeur ; que ce soit là votre parure ; méprisez tout autre ornement. Mais j’en ai dit assez. Que ce Dieu qui a fait le monde, chef-d’œuvre de beauté ; que ce Dieu qui nous a donné la parure de l’âme, nous serve aussi de parure et d’ornement ; qu’il nous donne pour vêtement sa propre gloire, afin que tout resplendissants de l’éclat de nos bonnes œuvres et vivant pour la gloire de Dieu, nous rendions gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. HOMÉLIE XI.
CONDUISEZ-VOUS AVEC SAGESSE ENVERS CEUX QUI SONT HORS DE L’ÉGLISE, EN RACHETANT LE TEMPS ; QUE VOTRE ENTRETIEN, TOUJOURS ACCOMPAGNÉ D’UNE DOUCEUR ÉDIFIANTE, SOIT ASSAISONNÉ DU SEL DE LA DISCRÉTION, EN SORTE QUE VOUS SACHIEZ COMMENT VOUS DEVEZ RÉPONDRE A CHAQUE PERSONNE. (IV, 5-11) Analyse.
- 1. Il faut être circonspect dans sa conduite et dans son langage ; il faut rendre à chacun ce qui lui appartient. – Affection de Paul pour ses frères.
- 2. Paul recommande ses amis aux Colossiens.
- 3. Humilité de Paul. – Il faut se réjouir – avec ceux qui se réjouissent, et pleurer avec ceux qui pleurent. – Il faut applaudir aux succès de ses frères, pour les partager.
- 4. L’envie doit être foulée aux pieds.
1. Les conseils que le Christ donnait à ses disciples, Paul les donne ici. Que disait le Christ ? « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Ayez donc la prudence du serpent et la simplicité de la colombe ». (Mat 10,16) C’est-à-dire, prenez vos précautions, ne donnez jamais prise sur vous. S’il ajoute : « Avec ceux qui sont hors de l’Église », c’est que nous avons moins de précautions à prendre avec ceux qui sont nos membres qu’avec les étrangers. Entre frères, on se passe bien des choses, parce qu’on s’aime ; pourtant, même entre frères, il faut se tenir sur ses gardes ; mais il faut y être surtout avec les étrangers. Car autre chose est de se trouver au milieu de ses ennemis, autre chose est de vivre parmi ses amis. Après les avoir intimidés, voyez comme Paul les rassure. « En rachetant le temps », dit-il ; car le moment présent est court. S’il leur tenait ce langage, ce n’était point pour en faire des caméléons et des hypocrites, car l’hypocrisie est folie plutôt que sagesse. Mais il veut dire : Dans les choses indifférentes, ne donnez pas prise sur vous. C’est ce qu’il dit aux Romains : « Rendez à chacun ce qui lui est dû ; le tribut, à qui vous devez le tribut ; les impôts, à qui vous devez les impôts ; hommage à qui vous devez hommage ». (Rom 13,7) Ne combattez que pour la parole de Dieu ; c’est cette parole seule qui doit vous donner le signal de la guerre. Car si, pour d’autres motifs, nous levions l’étendard de la guerre contre les étrangers, ce serait là une guerre sans profit pour nous, qui les rendrait pires qu’ils ne sont, et qui leur donnerait, en apparence, le droit de nous accuser ; par exemple, si nous ne voulions pas payer l’impôt et rendre hommage à qui de droit, si nous n’étions pas humbles. Voyez-vous comme Paul s’abaisse, quand il ne s’agit pas de la parole de Dieu ? Écoutez ce qu’il dit à Agrippa : « Je m’estime heureux d’avoir à plaider ma cause devant vous, parce que vous connaissez à fond les coutumes des Juifs et les questions qui s’agitent entre eux ». (Act 26,2-3) S’il avait cru devoir humilier le souverain, tout aurait été perdu pour lui. Écoutez encore saint Pierre qui répond aux Juifs avec douceur : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». (Act 5,29) Et pourtant ces hommes, qui avaient fait le sacrifice de leur vie, auraient pu se répandre en outrages et tout oser. Mais s’ils avaient fait le sacrifice de leur vie, ce n’était pas pour courir après une vaine gloire ; car alors leurs insultes n’auraient été que de la jactance. Mais leur unique but était de publier la parole de Dieu et de parler en toute liberté et en toute assurance. Courir après la vaine gloire aurait été, de leur part, un acte d’impudence. « Que votre entretien, étant toujours accompagné d’une douceur édifiante, soit toujours assaisonné du sel de la discrétion ». Cela veut dire que cette douceur et cette grâce de style ne doivent pas être employées indifféremment. On peut, en effet, parler avec urbanité et avec grâce, sans oublier pour cela la dignité du langage et les convenances. « En sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne ». Il ne faut donc point parler à tous nos auditeurs le même langage ; il faut savoir faire la différence des gentils et de nos frères. Parler autrement serait le comble de la folie. « Tychique, mon très cher frère, ce fidèle ministre du Seigneur que nous servons tous deux, vous apprendra tout ce qui me regarde ». Ah ! que saint Paul est sage ! Dans ses lettres, il ne met rien qui ne soit nécessaire et urgent. C’est qu’avant tout il ne veut pas être prolixe. Puis il veut faire respecter son envoyé, il veut que cet envoyé ait quelque chose à dire. Il montre aussi l’affection qu’il a pour lui ; car autrement il n’en aurait pas fait son mandataire. Enfin, il y avait certains détails qu’il ne pouvait exprimer par lettres. « Mon très cher frère », dit-il. C’était donc pour lui un confident auquel il ne cachait rien. « Ce fidèle ministre du Seigneur que nous servons tous deux ». S’il est fidèle, il est incapable d’en imposer. S’il sert Dieu avec Paul, c’est qu’il a partagé ses épreuves. Il groupe ici tous les motifs qui peuvent l’accréditer auprès des Colossiens. « Et je vous l’ai envoyé, afin qu’il apprenne l’état où vous êtes vous-mêmes (8) ». Il leur donne par là une preuve de sa vive affection pour eux ; cette preuve, c’est le motif même du voyage de Tychique. C’est ainsi qu’il écrivait aux Thessaloniciens : « Ne pouvant y tenir plus longtemps, j’ai voulu rester seul à Athènes, et je vous ai envoyé mon frère Timothée ». (1Th 3,1, 2) Il l’envoie aussi, pour la même cause, chez les Éphésiens : « Pour qu’il s’informe de ce qui vous concerne et qu’il vous console ». (Eph 6,22) Voyez ce qu’il leur dit : Je ne tiens pas à vous faire connaître ma situation, mais je veux connaître la vôtre c’est ainsi qu’il abdique toujours sa personnalité. Il fait allusion aussi à leurs épreuves en ces termes : « Afin qu’il vous console ». – « J’envoie aussi Onésime, mon cher et fidèle frère, qui est de votre pays. Vous saurez par eux tout ce qui se passe ici (9) ». C’est ce même Onésime, à propos duquel il écrivait à Philémon : « J’avais voulu le garder auprès de moi, afin qu’il me rendît quelque service, en votre place, dans les chaînes que je porte pour l’Évangile ; mais je n’ai voulu rien faire sans votre avis ». (Phm 1,13) Puis vient un mot flatteur pour leur cité : « Il est de votre pays. Vous saurez par eux tout ce qui se passe ici. Aristarque, qui est prisonnier avec moi, vous salue (10) ». 2. Il fait là le plus bel éloge de cet Aristarque, qui avait été amené avec lui de Jérusalem. Le langage de Paul surpasse celui des prophètes. Les prophètes s’appellent des hôtes, des étrangers, des voyageurs ; Paul s’honore du nom de captif. Car c’était comme captif qu’il était promené çà et là et qu’il se voyait exposé à tous les outrages ; il était même plus maltraité que les prophètes. Les prophètes une fois pris par les ennemis recevaient du moins les soins que l’on donne à des esclaves que l’on regarde comme sa propriété ; mais lui, tout le monde le traitait en ennemi, on le frappait à coups de fouets et à coups de verges ; on l’accablait d’insultes, on le calomniait. C’était là une consolation pour ses auditeurs ; car lorsque le maître est persécuté comme eux, c’est un sujet, de consolation pour les disciples. – « Aussi bien que Marc cousin de Barnabé ». Cette parenté est, pour Marc une recommandation ; car c’était un grand homme que Barnabé. « Au sujet duquel on vous a écrit : s’il vient chez vous, recevez-le bien ». Ils l’auraient certainement bien reçu, sans cette recommandation. Mais Paul veut dire qu’il faut l’accueillir avec un zèle empressé, comme on accueille un homme supérieur. Qui avait écrit ? il ne le dit pas. – « Jésus aussi, appelé le juste, vous salue ». Ce Jésus était peut-être de Corinthe. Puis il enveloppe dans un commun éloge tous ces hommes dont il a déjà fait l’éloge en particulier. « Ils sont du nombre des fidèles circoncis. Ce sont les seuls qui travaillent maintenant avec moi, pour avancer le royaume de Dieu, et qui ont été ma consolation ». Il a, tout à l’heure, parlé d’un « compagnon de captivité ». Mais, pour ne pas abattre ses auditeurs, voyez comme il relève leur courage, en disant : « Ils travaillent avec moi pour le royaume de Dieu » ; c’est-à-dire, ils ont partagé mes épreuves, ils partagent mon œuvre glorieuse. « Ils ont été ma consolation ». Ils sont bien grands, puisqu’ils ont été les consolateurs de saint Paul. Mais remarquons la prudence de Paul : « Conduisez-vous avec sagesse envers ceux qui sont au-dehors, en rachetant le temps » ; c’est-à-dire, le temps d’aujourd’hui, c’est leur temps à eux ; le vôtre n’est pas encore venu : ne vous arrogez donc pas la souveraineté et l’autorité ; mais rachetez le temps. Il n’a pas dit : « Achetez », mais « rachetez le temps ». Soyez dans ces dispositions, et, par là, faites en sorte que ce temps soit aussi le vôtre. Ce serait, en effet, de notre part le comble de la démence d’imaginer des prétextes de guerres et de discordes. Outre les périls inutiles et sans profit que nous aurions à braver, nous aurions le malheur d’éloigner de nous les gentils. Au milieu de nos frères, nous marchons avec assurance ; il n’en est pas de même, quand nous nous trouvons avec les gentils. Voilà pourquoi Paul écrivait à Timothée : « Il faut que ceux du dehors portent aussi sur vous un bon témoignage ». (1Ti 3,7) Et il dit encore : « Il ne m’importe pas de juger ceux qui sont au-dehors ». (1Co 5,12) « Conduisez-vous », dit-il, « avec sagesse envers ceux qui sont au-dehors ». Les gentils, en effet, tout en habitant le même monde que nous, sont en dehors de l’Église ; ils sont en dehors du royaume et de la maison de notre Père. Il console en même temps ses auditeurs, en donnant aux gentils le nom d’étrangers. N’a-t-il pas dit plus haut : « Votre vie, à vous, est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ? » Quand il paraîtra, cherchez la gloire, les honneurs et tous les biens. Mais ne cherchez rien de tout cela, pour le moment ; laissez tout cela aux gentils. Puis, pour qu’on n’aille point penser que saint Paul veut leur parler de la richesse, il ajoute : « Que votre entretien, toujours accompagné d’une grâce édifiante, soit assaisonné du sel de la discrétion, en sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne ». Il ne veut pas dire par là que vos paroles doivent être pleines d’hypocrisie, car l’hypocrisie n’est pas de l’aménité ; elle ne peut pas non plus servir d’assaisonnement à un entretien. Mais ne vous refusez pas à rendre hommage à qui de droit, si cet hommage est sans péril. Si les circonstances vous permettent de parler avec douceur, ne prenez pas cette douceur de langage pour de la flatterie. Rendez aux princes du monde tous les hommages possibles, pourvu que la religion n’en souffre pas. Ne voyez-vous pas Daniel honorer un impie ? Ne voyez-vous pas la sage conduite de ces trois jeunes hommes qui se présentent au roi, en déployant une franchise et un courage qui n’ont cependant rien d’âpre ni de téméraire ? Car l’âpreté et la témérité n’ont rien de commun avec la franchise, avec une noble assurance ; ce n’est que vanité. « Afin que vous sachiez », dit l’apôtre, « comment vous devez répondre à chacun ». C’est qu’il ne faut pas parler à un prince comme à un sujet, à un riche comme à un pauvre. Pourquoi ? Parce que les princes et les riches, nageant dans la prospérité, ont l’âme faible et gonflée d’orgueil, ce qui nous oblige à nous incliner devant eux et à nous plier à leurs caprices. Les pauvres, au contraire, et ceux qui sont soumis à une puissance quelconque, sont plus forts et plus sages, ce qui fait qu’on peut leur parler avec plus de franchise, en ne s’attachant qu’à une chose, à rendre sa parole édifiante. Ce n’est point parce que l’un est riche et l’autre pauvre que vous rendez plus d’honneurs à l’un qu’à l’autre ; c’est à cause de sa faiblesse, que l’un se trouve élevé plus que l’autre… N’allez donc pas, sans motif, traiter un gentil d’homme abominable et l’aborder, l’insulte à la bouche. Mais, si l’on vous demande votre avis sur ses croyances, dites,'que vous les trouvez abominables et impies. Si l’on ne vous interroge pas, si l’on ne vous force pas à parler, ne vous faites pas à la légère un ennemi. A quoi bon, en effet, soulever, sans aucun profit, des haines contre soi ? Cherchez-vous à instruire un auditeur sur la religion ? dites ce que le sujet vous force à dire, et rien autre chose. Si votre parole est assaisonnée du sel de la discrétion, en tombant dans une âme énervée, elle la guérira de sa mollesse ; en tombant dans une âme rebelle, elle en adoucira les aspérités. Ne choquez pas les oreilles de vos auditeurs, soyez agréable, sans mollesse ; joignez le charme du langage à la gravité. Soyez agréable, sans être importun ; point de fadeur, mais un style grave et charmant tout à la fois. Un langage trop austère fait plus de mal que de bien ; un langage trop plein d’agréments cause plus d’ennui que de plaisir. Il faut de la mesure en tout. Ne vous montrez pas triste et farouche ; c’est le moyen de déplaire. Ne soyez pas diffus et mou ; c’est le moyen d’encourir le mépris. Prenez ce qu’il y a de bon dans chaque genre, en évitant les excès ; faites comme l’abeille qui, en butinant les fleurs, puise dans ce calice des sucs doux, et dans cet autre des sucs sévères. Le médecin n’emploie pas indifféremment toutes sortes de matières ; il en est de même à plus forte raison du maître ; que dis-je ? les remèdes dangereux sont moins nuisibles au corps, que certaines paroles ne le sont à l’âme. Un gentil vient à vous, par exemple, et il devient votre ami. Ne lui parlez de religion que lorsqu’il est devenu votre ami intime et, même alors, n’entamez ce chapitre que peu à peu. 3. Voyez comme Paul parle aux Athéniens, quand il vient à Athènes ! Il ne leur dit pas O hommes criminels et abominables ! Il leur dit : « Athéniens, vous êtes, je le vois, religieux à l’excès ». (Act 17,22) Mais, quand il faut prendre un ton sévère, il sait élever la voix et dit avec véhémence à Elyme : « Homme rempli d’astuce et de fausseté, fils du démon, ennemi de toute justice ». (Id 13) Il y aurait eu de la démence à prendre ce ton-là avec les Athéniens ; il y, aurait eu de la pusillanimité à ménager Elyme. Quand, pour quelque affaire, vous comparaissez devant les magistrats, rendez-leur les honneurs qui leur sont dus. « Vous saurez par eux », dit-il, « tout ce qui se passe ici ». Il s’excuse de ne pas être venu en personne. Mais que veulent dire ces mots : « Tout ce qui se passe ici ? » Il fait allusion à ses chaînes et à tout ce qui le retient. C’est comme s’il disait : Si je vous envoie des messagers, moi qui voudrais tant vous voir, c’est que de puissants obstacles me retiennent loin de vous ; autrement, je n’aurais pas tardé un seul instant à venir moi-même. C’est ainsi qu’il prévient tout reproche. Apprendre aux Colossiens les épreuves qu’il subissait et le courage avec lequel il les supportait, c’était prouver qu’il méritait leur confiance, et c’était en même temps les encourager. « J’envoie aussi Onésime, mon cher et fidèle frère ». Paul donne à un esclave le nom de frère, et avec raison, puisqu’il s’appelle lui-même l’esclave des fidèles. Rabaissons tous notre orgueil, foulons aux pieds l’arrogance. Il se donne le nom d’esclave, ce Paul qui est aussi grand que l’univers, et dont l’âme est toute céleste, et vous, vous êtes plein de hauteur ! Lui qui remuait un monde, qui tenait dans le ciel le premier rang, qui a mérité une couronne, qui est monté au troisième ciel, il donne à des esclaves le nom de frères, il les appelle ses compagnons de chaînes. Que dire de votre folie ? Que dire de votre arrogance ? Il fallait qu’Onésime fût bien digne de foi, pour que Paul le chargeât de son message ; aussi bien que Marc, « cousin de Barnabé, au sujet duquel on vous a écrit. S’il vient chez vous, recevez-le bien ». Peut-être avaient-ils reçu de Barnabé quelque mandat. « Ils sont du nombre des fidèles circoncis ». Il rabat ici l’orgueil des juifs et relève les esprits de ses auditeurs ; car il s’était fait moins de conversions chez les juifs que chez les gentils. « Et qui ont été ma consolation » ; ce qui montre que Paul avait été en proie à de cruelles épreuves. Quand on console une âme pieuse par sa présence et par ses entretiens assidus, c’est beaucoup de partager son affliction. Avec les prisonniers, pleurons comme si nous étions prisonniers. (Heb 13,3) Si nous nous intéressons à leurs souffrances, nous partagerons leurs couronnes. Vous n’êtes pas descendu vous-même dans la lice, c’est un autre qui entre dans l’arène, c’est un autre qui lutte. Mais si vous voulez, vous pouvez partager sa couronne. Frottez d’huile cet athlète qui va combattre, soyez son ami, encouragez-le de la voix. Voilà ce qu’on peut toujours faire. C’était dans le seul but d’encourager ses auditeurs, que Paul leur parlait. Et vous aussi, en toute circonstance, fermez la bouche aux médisants, entourez l’athlète de sympathies, accueillez-le avec empressement quand il sort de la lice ; c’est ainsi que vous partagerez ses couronnes et sa gloire. Sans avoir combattu vous – même, par cela seul que vous avez applaudi à ses travaux, vous vous y êtes associé en grande partie, car vous l’avez soutenu de vos sympathies ; et le plus grand de tous les avantages, c’est de se sentir soutenu. En effet, si ceux qui pleurent avec nous semblent partager notre chagrin et contribuent à l’adoucir, à plus forte raison ceux qui se réjouissent de notre succès augmentent le plaisir qu’il nous cause. C’est un grand malheur de ne trouver personne qui compatisse à nos souffrances. Écoutez cette parole du Prophète : « J’attendais quelqu’un qui s’attristât avec moi, et je n’ai trouvé personne ». (Psa 69,21) C’est pour cela que Paul ici nous dit « de nous réjouir avec ceux qui se réjouissent, et de pleurer avec ceux qui pleurent ». (Rom 12,18) Ajoutez à la joie de vos frères. Voyez-vous votre frère jouir de l’estime publique ? ne dites pas : S’il est estimé, tant mieux pour lui ! Pourquoi m’en réjouirais-je moi ? Ce n’est pas là le langage d’un frère, c’est le langage d’un ennemi. Si vous voulez, les avantages que possède votre frère, deviendront les vôtres ; vous n’avez qu’à ajouter à cette bonne renommée de votre frère ; au lieu de vous en affliger, vous n’avez qu’à y applaudir : C’est là une vérité évidemment prouvée parce qui suit. Les envieux, en effet, portent envie tout à la fois à ceux qui jouissent de l’estime publique et à leurs amis qui sont heureux de les voir estimés. Ils savent que ces amis sont estimés eux-mêmes à cause de cette généreuse sympathie, et que ce sont eux qui se glorifient le plus de la gloire de leurs amis. Ceux-ci, en effet, rougissent des pompeux éloges qu’on leur donne, tandis que ceux-là en sont tout heureux et tout fiers. Voyez les athlètes ! A l’un la couronne, à l’autre la défaite. Quant à la douleur et à la joie, elle est pour leurs partisans et pour leurs ennemis qui bondissent et qui trépignent. Voyez comme il est beau de ne pas être jaloux ! La fatigue est pour un autre, et le plaisir est pour vous. Un autre a la couronne, mais c’est vous qui bondissez, qui trépignez de joie. Car, dites-moi, je vous prie, pourquoi ces transports de joie, quand c’est un autre que vous qui remporte la victoire ? Ah ! c’est qu’il y a, vous le savez bien, communauté de succès entre vous. Aussi n’est-ce pas à l’athlète que s’adressent les envieux ; ils cherchent seulement à rabaisser sa victoire, et c’est à vous qu’ils viennent dire : Vous voilà renversé ! vous voilà terrassé ! Un autre a donc combattu, et c’est vous qui avez la gloire. Si donc, quand il s’agit d’un avantage extérieur, il est si utile d’être exempt d’envie, pour s’approprier ainsi le succès d’autrui, que sera-ce quand il s’agira d’un triomphe spirituel, remporté sur le démon ? C’est alors que le démon est furieux contre nous, parce que c’est nous surtout qui applaudissons à sa défaite. Son âme, quelque noire qu’elle soit, connaît toute l’étendue de la joie que nous éprouvons. Voulez-vous attrister le démon ? réjouissez-vous, applaudissez-vous des succès de vos frères. Attristez-vous-en, si vous voulez faire plaisir à l’esprit du mal. La douleur que lui cause la victoire de votre frère est moins grande, quand vous en gémissez aussi. Vous passez de son côté, en vous séparant de votre frère, et vous êtes plus coupable encore que le démon. Ce n’est pas la même chose en effet d’agir en ennemi quand on est l’ennemi de quelqu’un, et de tenir envers quelqu’un une conduite hostile quand on est son ami. Dans ce dernier cas, on est plus son, ennemi, on est plus coupable qu’un ennemi déclaré. Votre frère s’est-il fait une réputation par sa parole ou par ses actes ? associez-vous à sa gloire, en montrant qu’il est de votre famille. 4. Comment faire, direz-vous ? Moi, je n’ai point acquis une pareille renommée. Ne parlez pas ainsi, taisez-vous. Si vous étiez près de moi, vous qui tenez ce langage, je vous aurais mis la main sur la bouche, pour empêcher l’ennemi de vous entendre. Souvent,.en effet, il s’élève entre nous des haines particulières que nous cachons à nos ennemis communs ; et vous, vous dévoilez au démon votre âme haineuse. Ah ! ne parlez pas, ne pensez pas, comme vous le faites ; dites au contraire : Cet homme illustre est un membre de moi-même sa gloire rejaillit sur le corps dont il fait partie. Mais pourquoi, dites-vous, les étrangers, ceux qui sont hors de l’Église, ne partagent-ils pas ces sentiments ? Pourquoi ? c’est que vous leur donnez le mauvais exemple. Ils vous voient rester étrangers au bonheur d’autrui, et ils y restent étrangers eux-mêmes. S’ils vous voyaient vous associer à sa gloire, ils n’oseraient se conduire comme ils le font ; et vous aussi, vous seriez illustre. Vous ne vous êtes pas fait un nom par votre éloquence, mais en félicitant votre frère, qui s’est acquis de la célébrité par sa parole ; vous avez obtenu plus de gloire que lui. Car si la charité est une chose si importante, si elle est la source de tous les biens, la couronne dont elle dispose vous est décernée. Votre frère remportera le prix de l’éloquence, et vous, vous remporterez celui de la charité. S’il montre la puissance de sa parole, de votre côté vous triomphez de la haine, et vous foulez aux pieds l’envie. Vous méritez donc mieux que lui la couronne ; vos travaux ont plus d’éclat que les siens ; vous ne vous êtes pas borné à triompher, de l’envie, vous avez été plus loin. Votre frère n’a remporté qu’une couronne ; vous en avez remporté deux qui sont plus brillantes que la sienne. Ces couronnes, quelles sont-elles ? Celle-ci, vous l’avez obtenue en triomphant de l’envie ; cette autre vous a été décernée par la charité. Car cette joie que vous cause le succès de votre frère prouve tout à la fois que vous n’avez point de jalousie dans le cœur, et que la charité a jeté dans votre âme de profondes racines. Le triomphateur a souvent ses ennuis qui proviennent de quelque trouble intérieur, de la vanité par exemple ; mais vous êtes affranchi, vous, de tous ces troubles ; la vanité ne vous tourmente pas, et si vous vous réjouissez, c’est du bonheur d’autrui. Votre frère, dites-moi, a-t-il rehaussé l’éclat de l’Église, a-t-il fait des prosélytes ? S’il en est ainsi, faites encore son éloge, vous aurez deux couronnes, l’une pour avoir terrassé l’envie, l’autre pour avoir entendu la voix de la charité. Ah ! je vous en prie, je vous en conjure, écoutez-moi. Voulez-vous que je vous parle d’une troisième couronne que vous allez mériter ? Tandis qu’ici-bas les hommes applaudissent aux succès de vos frères, vous vous attirez là-haut les applaudissements des anges. Ce n’est pas la même chose, en effet, d’avoir une diction élégante et belle, et de triompher de ses passions. La gloire de la parole passe ; la gloire que l’on acquiert en domptant ses passions, est éternelle. La première vient des hommes ; la seconde vient de Dieu. Ici-bas, c’est devant tout le monde que le triomphateur reçoit sa couronne ; mais vous, c’est en secret que vous recevez votre couronne des mains de votre Père qui vous voit. Si l’on pouvait ouvrir la poitrine des hommes, pour lire dans leur âme, je vous montrerais l’âme de l’homme exempt d’envie, plus resplendissante que l’âme du triomphateur. Foulons donc aux pieds les aiguillons de l’envie ; veillons nous-mêmes à nos intérêts, ô mes chers frères, et nous nous couronnerons de nos propres mains. L’envieux s’attaque à Dieu et non pas à l’homme qui est l’objet de son envie. Car, lorsqu’il voit que celui-ci est en faveur, lorsqu’à cette vue il se chagrine et s’irrite jusqu’à vouloir détruire l’Église, c’est contre Dieu qu’il combat. Dites-moi, en effet, voilà un homme qui est occupé à parer la fille d’un roi, et cette occupation lui vaut l’estime publique. Survient un envieux qui fait des vœux pour que la fille du roi compromette sa réputation, et pour que celui gui s’occupe de rehausser son éclat ne puisse plus travailler pour elle. A qui cet envieux tendra-t-il ses pièges ? Ne sera-ce pas au roi et à sa fille ? Il en est ainsi de vous qui portez envie à votre frère en Jésus-Christ ; c’est contre l’Église, c’est contre Dieu que vous combattez. N’y a-t-il pas, entre la gloire de votre frère et l’intérêt de l’Église, une connexion intime, et la chute de l’un n’entraîne-t-elle pas nécessairement celle de l’autre ? C’est donc une œuvre de démon que vous faites, puisque c’est au corps même du Christ que vous vous attaquez. Votre dépit et votre ressentiment s’allument contre un homme qui ne vous a rien fait, et contre le Christ en particulier. Qu’est-ce qu’il vous a donc fait, le Christ, pour que sa gloire et celle de sa jeune épouse vous offusque ? Mais voyez donc quel supplice vous vous infligez. Vos ennemis, vous les comblez de joie, et celui-là même dont vous voulez empoisonner les succès, vous le faites rire à vos dépens, puisque votre jalousie fait encore ressortir sa gloire et sa réputation. S’il ne la méritait pas, en effet, vous ne seriez pas jaloux de lui ; vous montrez chaque jour davantage à quel point le dépit vous dévore. J’ai honte de vous exhorter à ce sujet ; mais, puisque nous sommes encore si faibles, après les leçons que nous avons reçues, délivrons-nous donc du fléau de l’envie. Les éloges et l’estime que l’on accorde à votre frère vous aigrissent ! Pourquoi donc ajoutez-vous à sa gloire ? Vous voulez le tourmenter ! Pourquoi donc faire éclater votre dépit ? Pourquoi vous punir vous-même, avant de punir celui à la gloire duquel vous vous opposez ? Il y a là pour lui un double plaisir, un double triomphe, et pour vous un double tourment ; d’abord, vous le faites valoir, et c’est un plaisir bien amer pour vous que vous lui procurez ; puis, cette envie, qui fait votre tourment, fait sa joie. Voyez quel mal nous nous faisons à nous-mêmes, sans le savoir. Cet homme est notre ennemi, mais pourquoi ? Quel mal nous a-t-il fait ? Ne faut-il pas songer après tout que par notre jalousie nous lui donnons plus de lustre et que nous nous punissons nous-mêmes ? Ce qui est encore un supplice pour nous, c’est de croire qu’il s’est aperçu de nos sentiments. Peut-être notre jalousie n’entre-t-elle pour rien dans la joie qu’il éprouve ; mais nous croyons qu’elle y est pour quelque chose, et nous en gémissons. Bannissez donc l’envie, car à quoi, bon ces blessures que vous vous faites à vous-même ? Songeons, ô mes chers frères, à cette double couronne qui attend l’homme exempt d’envie. Éloges de la part des hommes, éloges dé la part de Dieu, voilà ce qui lui est réservé. Réfléchissons aussi à tous les maux dont l’envie est la mère. C’est ainsi que nous parviendrons à étouffer ce monstre, à obtenir les éloges de notre Dieu, à obtenir l’estime des hommes, comme les autres. Si nous ne parvenons pas à nous faire une réputation, c’est que cette réputation ne serait pas pour nous un avantage. Mais, après tout, si notre vie a été employée pour la gloire de Dieu, il nous sera permis d’obtenir les biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. HOMÉLIE XII.
EPAPHRAS, QUI EST DE VOTRE VILLE, VOUS SALUE. C’EST UN SERVITEUR DE JÉSUS-CHRIST QUI COMBAT SANS CESSE POUR VOUS, DANS SES PRIÈRES, AFIN QUE VOUS DEMEURIEZ FERMES ET PARFAITS, ET QUE VOUS ACCOMPLISSIEZ PLEINEMENT CE QUE DIEU DEMANDE DE VOUS. CAR JE PUIS BIEN LUI RENDRE CE TÉMOIGNAGE QU’IL A UN GRAND ZÈLE POUR VOUS, ET POUR CEUX DE LAODICÉE ET D’HIÉRAPOLIS. (IV. 12, 13 JUSQU’A LA FIN) Analyse.
- 1. Tendresse de Paul pour ses frères.
- 2. Paul se glorifie de ses liens. – Ses liens nous servent de leçon.
- 3. Bienheureux ceux qui pleurent !
- 4. Les larmes doivent être l’accompagnement des prières et des admonestations.
- 5. Le sacrement de mariage est le plus important de tous. – Jésus-Christ et l’Église y sont représentés. – Les courtisans et les baladins ne doivent point être admis à la célébration d’un mariage.
- 6. C’est Jésus-Christ accompagné des anges qu’il faut inviter à la célébration des noces.
- 7. Il faut donner à une jeune fille un mari probe et honorable plutôt que riche.
1. Au début même de cette épître, il recommande Epaphras, au nom de la charité. Car il a dit en commençant : « Epaphras, de qui nous avons appris aussi votre charité toute spirituelle ». (Col 1,8) Il fait ressortir aussi la charité d’Epaphras, et lui concilie la bienveillance des auditeurs, quand il le leur montre priant pour eux. Il le recommande, en rapportant tout d’abord ce qu’il demande à Dieu ; car le respect qu’on a pour le maître est utile aux disciples. Il le recommande par ces mots : « C’est un d’entre vous ». Leur cité doit être fière de produire de tels enfants. « Il a prie sans cesse pour vous avec sollicitude ». Il ne se borne pas à prier, « il prie avec sollicitude », l’inquiétude et la crainte dans le cœur. « Je lui rends ce témoignage qu’il est plein de zèle pour vous ». Et Paul est un témoin digne de foi. « Il est plein de zèle pour vous », c’est-à-dire, il a pour vous beaucoup de tendresse et une ardente charité. – « Et pour ceux de Laodicée et d’Hiérapolis » ; il le leur recommande aussi. Il est vraisemblable qué les habitants de ces deux villes avaient déjà entendu parler du zèle qu’Epaphras avait pour eux ; mais cette lettre le leur apprenait encore. « Ayez soin », dit Paul, « que cette lettre soit lue aussi dans l’Église de Laodicée. Afin que vous demeuriez fermes et parfaits » (Col 4,16), dit-il. Ces mots renferment une sorte de réprimande, un avis et un reproche sans amertume. Un homme peut être parfait, sans demeurer ferme dans la perfection ; il peut, par exemple, être parfaitement instruit, mais vacillant dans ses croyances. On peut aussi, tout à la fois, manquer de perfection et de fermeté, si, par exemple, on n’a qu’une science incomplète et une croyance mal assise. Voilà pourquoi Epaphras demande à Dieu pour les Colossiens la perfection et la fermeté. Voyez comme il leur rappelle indirectement ce qu’il a dit des anges et de la vie chrétienne ! « Afin que vous accomplissiez pleinement tout ce que Dieu demande de vous ». C’est qu’il ne suffit pas de faire la volonté de Dieu. Quand une âme est bien convaincue de la nécessité d’obéir à Dieu, toute autre volonté que celle de Dieu perd sur elle son empire ; autrement l’âme n’est pas pleinement convaincue. « Je lui rends ce témoignage qu’il est plein de zèle pour vous ». Il a du zèle, il en est plein. Il insiste sur le zèle d’Epaphras et sur l’ardeur de ce zèle. C’est ainsi que dans sa seconde épître aux Corinthiens, il dit : « J’ai pour vous un amour de jalousie, et d’une jalousie de Dieu ». (2Co 11,2) « Luc le médecin, notre très cher frère, vous salue (14) ». C’est saint Luc, l’évangéliste. Ce n’est pas pour le rabaisser, qu’il le met ici le dernier ; c’est pour exalter Epaphras. Il y avait probablement d’autres personnes qui s’appelaient Luc. « Et Démas ». Après avoir dit : Luc, le médecin, il ajoute, « mon très cher frère ». C’est un bien beau titre que celui de très cher frère de saint Paul. « Saluez nos frères de Laodicée, et Nymphas, et l’église qui est dans sa maison ». – Voyez comme il les encadre dans un même souvenir, non seulement en les saluant tous ensemble, mais en envoyant cette épître qui doit leur être lue. Puis il accorde à Nymphas un souvenir spécial et flatteur, et il a ses raisons pour cela, il veut inspirer à ses auditeurs le désir de l’imiter. C’est un grand honneur qu’il lui fait de ne pas le confondre avec les autres. Pour voir que c’était quelqu’un de considérable que ce Nymphas, jetez les yeux sur sa maison, sur cette maison qui est une église. « Et lorsque cette lettre aura été lue parmi vous, ayez soin qu’elle soit lue aussi dans l’Église de Laodicée (16) ». Je crois que la lettre de saint Paul aux Colossiens contient des détails qui devaient intéresser les Laodicéens. Et ces derniers n’en retiraient que plus dé fruits. Les avis donnés par saint Paul à leurs frères de Colosse leur faisaient faire un retour sur eux-mêmes. « Et qu’on vous lise aussi la lettre des Laodicéens ». Quelques interprètes voient dans cette autre lettre, non pas une épître de saint Paul aux Laodicéens, mais une épître des Laodicéens à saint Paul, puisque l’apôtre ne dit pas : Ma lettre aux Laodicéens, mais, la lettre des Laodicéens. « Dites à Archippe : Prenez garde au ministère que vous avez reçu du Seigneur, afin que vous en « remplissiez tous les devoirs (17) ». Pourquoi ne s’adresse-t-il pas directement à Archippe ? Peut-être n’était-ce pas nécessaire, et suffisait-il de ce simple avis, pour ranimer son zèle. « Voici la salutation que j’ajoute ici, moi Paul, de ma propre main ». C’est là une preuve de tendresse sincère et du plaisir que devait causer aux Colossiens cette salutation écrite de la main de Paul. « Souvenez-vous de mes liens ». O liens consolateurs qui suffisent pour les exhorter en tout et pour les rendre plus forts ! Que dis-je ? En les rendant plus forts, ces liens les attachaient davantage à l’apôtre. « La grâce soit avec vous ! Ainsi soit-il ». 2. C’est un grand éloge, c’est l’éloge le plus magnifique de dire, en parlant d’Epaphras « C’est un des vôtres ; c’est un serviteur du Christ ». Saint Paul le représente comme un ministre de Dieu qui combat pour eux ; c’est ainsi qu’il se représente lui-même comme un ministre de l’Église, comme dans ce passage où il dit : « Je lui ai prêté mon ministère, moi Paul ». (Col 1, 25) Il appelle Epaphras au partage de cet honneur. C’est son compagnon dans le service de Dieu, a-t-il dit plus haut. C’est un serviteur du Christ, nous dit-il encore dans ce passage. « C’est un des vôtres ». Il semble s’adresser à la cité qui est sa mère ; il semble dire à cette cité C’est là fruit de tes entrailles. Mais un panégyrique aussi explicite aurait déchaîné l’envie. Voilà pourquoi, afin de le recommander aux Colossiens, il s’appuie sur ce qui les intéresse personnellement. C’est le moyen de conjurer l’envie. « Il ne cesse, d’avoir pour vous », leur dit-il, « une tendre sollicitude ». Et cela, non pas seulement quand il se trouve avec nous ou avec vous ; car il n’y a pas chez lui d’ostentation. Il caractérise d’un mot le zèle et l’ardeur d’Epaphras. « C’est une tendre sollicitude ». Puis, pour que son langage ne soit pas suspect de flatterie, il ajoute : « Il a un grand zèle pour vous et pour ceux dé Laodicée et d’Hiérapolis ». – « Afin que vous demeuriez fermes et parfaits ». Ce n’est pas là de la flatterie ; c’est le signalement d’un maître respectable. Il faut que vous demeuriez fermes et parfaits, dit-il. En leur accordant l’une de ces deux qualités, il leur refuse l’autre. Il ne dit pas : Afin que vous soyez préservés de toute chute ; mais : « Afin que vous restiez fermes ». Ces salutations font le bonheur de ces hommes qui, salués par leurs amis, se voient rappelés en même temps au souvenir de la cité. « Dites à Archippe de considérer le ministère qu’il a reçu de Dieu ». Il les met par là sous la dépendance absolue d’Archippe. Ils n’ont plus le droit de le critiquer, lorsqu’il les reprend, puisqu’ils lui donnent eux-mêmes plein pouvoir. Il est leur maître, et il n’est pas rationnel que les disciples se permettent de critiquer le maître. C’est donc pour leur fermer la bouche parla suitequ’il leur écrit. « Dites à Archippe : Prenez garde à votre ministère ». C’est le ton de la menace. Il dit de même : « Gardez-vous des chiens ». (Phi 111, 2) « Prenez garde qu’on ne vous égare prenez garde que cette liberté dont vous jouissez ne soit une occasion de chute pour les faibles ». (Col 2,8 ; 1Co 8,9) Voilà comme il parle toujours, quand il veut inspirer une crainte salutaire. « Prenez garde », dit-il, « au ministère que vous avez reçu de Dieu afin que vous le remplissiez dignement ». Il ne le laisse pas ; maître de ses actions. Il disait de même dans son épître aux Corinthiens : « Si je prêche l’Évangile de bon cœur, j’en aurai la récompense ; mais si je ne le fais qu’à regret, je dispense ce qui m’a été confié ». (1Co 9,47) – « Afin que vous accomplissiez pleinement, toujours avec zèle, tout ce que Dieu demande de vous ». Votre ministère, ce n’est pas de nous, c’est de Dieu même que vous le tenez. Et il les soumet au ministre de Dieu, en disant que c’est de Dieu même qu’il tient son ministère. « Souvenez-vous de mes liens. La grâce soit avec vous ! « Ainsi soit-il ». Il les affranchit de toute crainte. Leur maître a beau être chargé de fers ; la grâce vient l’en délivrer. Et c’est encore un effet de la grâce que cet aveu de Paul qui proclame sa captivité. Écoutez cette parole de saint Luc : « Les apôtres sortaient du conseil, pleins de joie ; ils avaient été jugés dignes de souffrir cet outrage pour le nom de Jésus ». C’est qu’il est vraiment honorable d’être, pour le nom de Jésus, abreuvé d’outrages et chargé de fers. N’est-ce pas un bonheur de souffrir pour celui qu’on aime et surtout pour Jésus-Christ ? Cela étant, ne supportons pas avec peine les afflictions pour le Christ, mais souvenons-nous des liens de Paul, et qu’ils nous servent de leçon. Prêchez-vous par exemple la charité au nom du Christ, rappelez-vous les liens de Paul, et déclarez que, vous et vos auditeurs, vous seriez des misérables de refuser du pain aux pauvres, quand Paul s’est laissé charger de liens pour l’amour du Christ. Vous êtes fier de vos bonnes œuvres : souvenez-vous des liens de Paul, et vous verrez combien il est injuste que Paul soit chargé de liens, quand vous nagez dans les délices. Vous soupirez après les plaisirs songez à la prison de Paul : vous êtes son disciple, vous êtes son compagnon d’armes. Est-il rationnel que votre compagnon d’armes soit dans les fers, tandis que vous nageriez dans les plaisirs ? Vous êtes dans l’affliction, vous vous croyez abandonné : écoutez les paroles de Paul, et vous verrez que l’affliction n’est pas un signe d’abandon. Vous voulez avoir des robes de soie : souvenez-vous des liens de Paul, et vos robes de soie auront moins de prix à vos yeux que des haillons. Vous voulez que l’or brille sur vos vêtements souvenez-vous des liens de Paul, et cet or vous fera l’effet d’un brin de jonc desséché. Vous voulez orner votre chevelure et paraître belle pensez au dénuement de Paul dans sa prison, et vous serez éblouie par l’éclat des vertus des apôtres, et tous ces ornements mondains vous sembleront hideux, et vous gémirez profondément, et vous envierez à Paul ses liens. Vous prend-il fantaisie de mettre du fard, et de recourir à de semblables moyens pour peindre votre visage ? pensez aux larmes de Paul ; il a passé trois ans à pleurer, nuit et jour, dans sa prison. Que de pareilles larmes vous servent d’ornement ; elles donneront à votre visage un pur éclat. Je ne vous dis pas de pleurer sur les autres, je voudrais qu’il en fût ainsi, mais cette charité est au-dessus de vous. Tout ce que je vous demande, c’est de pleurer sur vos péchés. Vous avez donné l’ordre que votre enfant fût enfermé et vous êtes irritée : souvenez-vous de la prison de Paul, et votre colère s’arrêtera. Souvenez-vous que vous êtes du nombre des victimes, et non des bourreaux ; du nombre de ceux dont le cœur est brisé, et non pas de ceux qui brisent le cœur des autres. Votre joie se répand au-dehors, et vous poussez de grands éclats de rire : souvenez-vous des larmes de Paul, et vous gémirez ; ces larmes-là vous rendront bien plus belle. Vous avez vu ces hommes qui se livrent au plaisir et qui dansent : souvenez-vous des larmes de Paul. Est-il une source d’où l’eau jaillisse avec autant d’abondance que les larmes de ses yeux ? Il dit, ailleurs : « Souvenez-vous de mes larmes » (Act 20,31), comme il dit ici : « Souvenez-vous de mes liens ». Et il avait raison de parler ainsi à ces prêtres qu’il faisait venir d’Éphèse à Milet ; car il parlait à des maîtres qu’il voulait rassembler autour de lui. Ici, au contraire, tout ce qu’il demande à ses auditeurs, c’est de savoir traverser les, épreuves. 3. Quelle source féconde pourrait être comparée aux larmes de Paul ? Serait-ce celle qui venait du paradis et qui arrosait toute la terre ? Mais ses larmes, à la différence de cette source, n’arrosaient pas la terre, elles arrosaient les âmes. Qu’on nous montre Paul pleurant et gémissant, ce spectacle sera bien préférable au spectacle de tous ces chants de théâtre, malgré leur élégance et leurs couronnes de fleurs. Je ne parle point ici de vous ; mais que l’on prenne sur la scène ou au théâtre un de ces débauchés qui ne ressentent d’ardeur que pour la beauté – physique, qu’on lui montre une vierge à la fleur de l’âge, plus belle et plus jolie que toutes ses compagnes, avec ses yeux doux et veloutés, avec des yeux souriants où la pudeur se mêle à la grâce, une vierge aux paupières soyeuses et frangées de cils d’ébène, une vierge au front pur et aux regards parlants, aux joues vermeilles comme le carmin et lisses comme le marbre ; puisque l’on me montre, à moi, Paul versant des larmes, je laisserai l’habitué du théâtre regarder la vierge, et je m’empresserai d’aller contempler Paul. Car c’est des yeux de Paul que jaillissent les rayons de la beauté immatérielle. La beauté matérielle transporte, brûle et enflamme le cœur de la jeunesse ; la beauté spirituelle apaise les sens. Quand on voit ces yeux qui pleurent, les yeux de l’âme deviennent plus beaux, on met un frein à Sa sensualité, on se sent rempli de sagesse et de commisération, un cœur de bronze est capable de s’amollir. Ces larmes de Paul arrosent le sol de l’Église et engendrent des âmes. Ces larmes peuvent éteindre le feu qui dévore le corps et les sens ces larmes éteignent les traits enflammés de l’esprit malin. Songeons donc à ces larmes et nous nous rirons de tous les biens de la vie présente. C’étaient ces larmes que le Christ appelait des larmes bienheureuses, quand il disait : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’un jour ils seront dans la joie ». (Mat 5,5) Voilà les larmes que versaient Isaïe et Jérémie. Isaïe disait : « Laissez-moi partir ; laissez-moi répandre des larmes amères ». (Isa 22,4) Jérémie disait. « Qui changera mes yeux en deux sources de larmes » (Jer 9,1), comme si la source naturelle de ces larmes ne lui suffisait pas. Rien de plus doux que de pareilles larmes ; elles sont plus douces que le rire de la gaîté. Ils savent bien, ceux qui pleurent, quelle consolation on éprouve à pleurer. Ne demandons pas à Dieu d’éloigner de nous les larmes ; demandons-lui plutôt de pouvoir pleurer. Souvenons-nous de ces larmes et de ces liens pour avoir le cœur content, en pensant aux pécheurs. Les larmes de Paul coulaient donc sur ses liens ; mais la mort de ses bourreaux l’empêchait de goûter le charme de ces mêmes liens. Il pleurait sur ces bourreaux, en vrai disciple de Celui qui pleurait sur le sort des prêtres juifs, non pas parce qu’ils devaient le faire mettre en croix, mais parce qu’ils devaient périr. Non content d’agir ainsi, le maître exhorte ses disciples à l’imiter, en disant : « Ne pleurez pas sur moi, filles de Jérusalem ». (Luc 23,28) Oui, les yeux de Paul ont contemplé le paradis, ils ont contemplé le troisième ciel ; mais, selon moi, ils sont moins heureux encore d’avoir eu ce privilège que d’avoir versé les larmes, à travers lesquelles ils ont vu le Christ. Voilà ce qui a fait leur véritable bonheur ; car Paul lui-même se vante d’avoir joui de ce spectacle, en ces termes : « N’ai-je pas vu Jésus-Christ Notre-Seigneur ? » (1Co 9,1) Mais c’est un plus grand bonheur encore de pleurer, comme Paul pleurait. Beaucoup ont été admis à voir le Christ, et ceux qui n’y ont pas été admis sont aussi proclamés heureux par le Christ, qui s’écrie : « Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » (Jn 20,29) Mais peu de gens ont obtenu ce privilège. Si, en effet, pour travailler au salut de ses frères, mieux vaut rester sur cette terre que de trouver dans la mort un moyen de se réunir au Christ, il est encore plus nécessaire de gémir pour sauver ses frères que de voir le Christ. S’il est plus désirable d’être dans la géhenne pour ses frères que d’être avec le Christ, il est plus désirable aussi d’être séparé du Christ pour l’amour de ses frères que d’être avec lui. C’est ce que disait saint Paul « Pour mes frères, je voudrais être anathème et séparé du Christ ». (Rom 9,3) À plus forte raison doit-on désirer d’être condamné aux larmes pour ses frères. Je n’ai pas cessé, dit l’apôtre, d’avertir chacun de vous, en pleurant. (Act 20,31) Pourquoi ? Ce n’était point par crainte des périls. Mais, semblable à un ami qui, assis au chevet d’un malade, ignore comment tout cela finira, et qui pleure, parce qu’il tremble pour les jours de son ami, saint Paul pleurait sur les âmes faibles que ses avis ne pouvaient ramener. C’est ce que faisait le Christ, qui voulait voir si ses larmes seraient respectées. Rencontrait-il un pécheur, il l’avertissait. Le pécheur s’éloignait, en lui crachant au visage ; alors le Christ pleurait, pour le ramener à lui. 4. Souvenons-nous de ces larmes. C’est ainsi que nous devons élever nos fils et nos filles. Pleurons sur eux, quand nous les voyons en proie à la maladie du péché. O femmes, qui voulez être aimées, souvenez-vous des larmes de Paul, et gémissez ; ô femmes si heureuses aux yeux du monde, vous qui goûtez les douceurs de l’hymen et qui vivez au sein des plaisirs, souvenez-vous de ces larmes ; vous tous qui êtes dans le deuil, échangez vos larmes contre celles de l’apôtre. Ce n’était pas sur les morts qu’il pleurait ; c’était sur les vivants qui couraient à leur perte. Dois-je citer d’autres exemples ? Il pleurait aussi, Timothée, le disciple de l’apôtre, et voilà pourquoi saint Paul lui écrit : « Je me souviens de tes larmes, quand je veux goûter une joie sans mélange ». (2Ti 1,25) Bien souvent aussi, c’est la joie qui fait couler les larmes. Alors c’est un plaisir, c’est un grand plaisir de pleurer. De pareilles larmes ne sont ni, brûlantes ni amères ; elles ne prennent point leur source dans une douleur mondaine ; de pareilles larmes sont autrement précieuses que les larmes arrachées par les plaisirs terrestres. Écoutez cette parole du Prophète : « Le Seigneur a entendu mes pleurs ». (Psa 6,9) Les larmes sont-elles jamais inutiles ? N’ont-elles pas leur utilité dans les prières, dans les avis ? Nous les blâmons, nous autres, parce que nous ne savons pas nous en servir. Consolons-nous un frère d’une faute qu’il a commise ? pleurons et gémissons. Perdons-nous notre temps à conseiller un sourd qui court à sa perte ? pleurons encore. Ces larmes-là sont celles de la sagesse. Mais que la pauvreté, la maladie et la mort ne fassent pas couler nos larmes ; car elles ne les méritent pas. Nous blâmons le rire hors de saison ; nous blâmons les larmes répandues mal a propos. La vertu ne se montre dans tout son lustre que lorsqu’elle est bien employée. Le vin a été donné à l’homme pour l’égayer et non pour l’enivrer ; le pain a été donné à l’homme pour le nourrir ; l’union des sexes a été donnée à l’homme pour propager son espèce. L’abus de tous ces dons est blâmable ; l’abus des larmes est blâmable. Posons, en principe, que les larmes ne doivent être employées que dans les prières et dans les admonestations ; dans ces deux cas, il faut appeler les larmes. Rien ne lave mieux les souillures du péché. De plus, elles rehaussent la beauté, en inspirant la compassion ; elles donnent à la physionomie une teinte grave et honnête. Rien de plus sympathique que des yeux en pleurs. L’œil est le plus noble et le plus beau des organes ; c’est l’organe de l’âme. A travers ces yeux en larmes, c’est l’âme que nous voyons pleurer et c’est ce qui cause notre émotion. J’ai un but, en vous tenant ce langage c’est de vous éloigner de ces noces, de ces danses, de ces chœurs où règne une licence qui est l’œuvre du démon. Voyez, en effet, ce que l’esprit du mal a imaginé. La nature elle-même écarte les femmes du théâtre et de ses peintures déshonnêtes ; voilà pourquoi le démon a introduit dans le gynécée des hommes efféminés et des courtisanes. Cet abus a été amené par je ne sais quelle loi nuptiale ; mais pourquoi parler de loi nuptiale ? Il a été amené par notre mollesse. O homme ! pourquoi agir ainsi ? Vous ne savez ce que vous faites. Vous vous mariez parce que vous voulez mener une vie honorable et avoir des enfants. Pourquoi donc ces courtisanes ? Pour égayer les noces, dites-vous. Mais n’est-ce pas une folie ? N’est-ce pas une insulte que vous faites à votre épouse et aux femmes que vous invitez ? Et si elles trouvent du plaisir à cela, c’est un plaisir honteux. Mais, si la vue de ces courtisanes éhontées et sans pudeur est un spectacle si magnifique, pourquoi n’en faites-vous pas jouir votre épouse, pourquoi l’en éloigner ? Ah ! quelle infamie d’introduire chez vous des danseurs efféminés et toutes les pompes de Satan ! « Souvenez-vous des liens de Paul ». Le mariage aussi est un lien, un lien d’institution divine, tandis que la courtisane est le type de la dissolution. Il est d’autres moyens d’égayer les noces. On fait bonne chère, on fait toilette ; je ne le défends pas, pour ne point avoir l’air d’un sauvage. Pourtant Rébecca, ce jour-là, parut avec ses vêtements de travail. Mais enfin je vous permets ces extra. Mettez vos habits de fête ; livrez-vous à la joie en bonne compagnie. Mais à quoi bon de monstrueux plaisirs ? Quels propos entendez-vous sortir de la bouche de ces bouffons ? Vous rougiriez de les répéter. Quoi ! vous en rougissez et vous les provoquez ? Si vous admirez ces baladins, pourquoi ne faites-vous pas comme eux ? S’ils vous font rougir, pourquoi les forcer à parler comme ils parlent ? Il faut observer en tout les lois de la tempérance, de la modestie, de la dignité et de la décence, et, dans vos têtes, que voit-on ? Des baladins qui sautent comme des chameaux et des mulets. La jeune mariée ne doit connaître que le lit nuptial. Mais elle est pauvre, dites-vous. Eh bien, c’est pour elle une raison d’être modeste et honnête. La vertu doit lui tenir lieu de richesse. Mais elle ne peut apporter de dot. Pourquoi donc voulez-vous la pervertir et la rendre tout à la fois pauvre et méprisable ? Qu’elle ait auprès d’elle d’autres jeunes filles, ses compagnes ; qu’elle ait auprès d’elle de jeunes mariées dont elle va grossir le nombre, à la bonne heure ! et voilà qui est convenable. Il y a là, en effet, deux troupes ; la troupe des jeunes filles, la troupe des jeunes mariées. La première remet la fiancée entre les mains de la seconde. La fiancée est là, entre ces deux troupes : elle n’est plus jeune fille, elle n’est pas encore femme. Elle est en train de passer d’une classe dans une autre. Mais pourquoi ces courtisanes ? Elles devraient, quand il y à un mariage, se cacher sous terre ; car leur métier est l’abus dégradant de l’union des sexes, et malgré cela, nous les admettons à nos noces ! Quoi que vous fassiez, vous vous gardez bien de prononcer même une parole qui pourrait être en contradiction avec ce que vous faites. Quand vous semez, quand vous mettez la vendange sous le pressoir, vous êtes sourd à toute parole qui peut faire une allusion quelconque à l’ivraie et au vin tourné. Et dans un moment où il faut du sérieux et de la modestie, vous amenez chez vous la lie de la société ! Êtes-vous occupé à composer un parfum ; vous éloignez de vous toute odeur malsaine. Eh bien ! le mariage est un parfum ; pourquoi cette boue nauséabonde que vous laissez entrer chez vous lorsqu’il se prépare ? Eh quoi ! cette jeune mariée danse, sans rougir, pour cette autre jeune fille qui lui fait vis-à-vis. Elle devrait cependant être encore plus sérieuse et plus modeste qu’elle, puisqu’elle sort des bras de sa mère et non d’une école de danse. Je dis même qu’une jeune fille ne devrait jamais figurer à un bal de noce. 5. Dans le palais d’un roi, les personnages de distinction se tiennent à l’intérieur et entourent la personne du souverain ; les autres se tiennent en dehors. Restez donc chez vous auprès de votre femme. Et vous, jeune femme, restez aussi maintenant chez vous, ne faites point parade de votre virginité. Il y a près de vous deux troupes ; l’une qui montre dans quel état elle vous remet entre les mains de l’autre, l’autre chargée de veiller sur vous. Pourquoi cette tache que vous imprimez à votre virginité ? Si votre extérieur est si peu décent, votre époux vous jugera sur votre extérieur. Car c’est toujours une honte d’avoir de mauvaises manières, fût-on la fille d’un roi. Qui vous empêche d’être digne ? Est-ce votre pauvreté ? Est-ce votre humble condition ? Mais une jeune fille, quand même elle serait esclave, doit avoir de la réserve. « Car, en Jésus-Christ, il n’y a ni esclave, ni homme libre ». (Gal 3,28) Est-ce que le mariage serait un théâtre ? Non, c’est un mystère qui représente une grande chose. Si vous ne respectez pas le mariage, respectez au moins ce qu’il représente. « Ce sacrement est grand en Jésus-Christ et en l’Église », dit l’apôtre. (Eph 5,32) C’est Jésus-Christ et l’Église qu’il représente, et vous amenez des courtisanes à la célébration de ce mystère ! Mais, dites-vous, si les jeunes filles, si les jeunes mariées ne dansent pas, qui donc dansera ? Personne. La danse n’est pas chose si nécessaire. Chez les gentils, la danse entrait dans la célébration des mystères ; mais nos mystères à nous demandent le silence, la décence et le sérieux, la réserve et la modestie. Un grand mystère est en train de s’accomplir ; hors d’ici les courtisanes ! Hors d’ici les profanes ! Mais quel est ce mystère ? Ce sont deux créatures humaines qui s’unissent pour n’en former qu’une seule. Pourquoi, à l’arrivée des deux époux, n’y a-t-il ni danses, ni bruit de cymbales ? Pourquoi ce silence profond ? Et quand ils s’approchent l’un de l’autre, en représentant non pas une froide image terrestre, mais l’image même de Dieu, pourquoi ce désordre qui jette le trouble dans l’assemblée et qui souille les âmes ? Voilà deux êtres qui viennent s’unir, pour ne faire qu’un seul être ! C’est un mystère de charité qui commence ! Tant qu’ils ne seront pas unis, tant qu’ils continueront à former deux êtres séparés, ils ne pourront donner la vie à une foule d’autres êtres ; leur union seule produira cet effet. Nous voyons, par là, combien l’union est puissante. Dès l’origine du inonde, le grand Ouvrier a fait deux créatures de la seule créature humaine qui existât. Et, pour montrer que cette séparation ne les empêche pas de ne faire qu’un, il n’a pas voulu que chacun des deux, en particulier et à lui seul, pût travailler à l’œuvre de la génération. Car l’un de ces deux êtres, quand il n’est pas joint à l’autre, n’est pas entier ; il ne forme que la moitié d’un tout. Et voilà pourquoi il est inhabile à procréer. Avez-vous fait attention au mystère du mariage ? Dieu s’est servi d’une créature humaine, pour en faire une autre, puis il a réuni ces deux créatures et n’en a fait qu’une. Voilà pourquoi on peut dire que c’est un seul être qui en produit un autre. Car le mari et la femme ne sont pas deux êtres distincts ; ils ne sont qu’une chair, et à l’appui de cette vérité, on peut citer bien des preuves. On peut citer. on peut citer Marie, la mère du Christ ; on peut citer cette parole : « Dieu les a faits mâle et femelle ». (Gen 1,27) Si l’un est la tête et l’autre le corps, comment formeraient-ils deux êtres séparés ? La femme, c’est l’écolière ; le mari, c’est le maître. Le mari, c’est le chef ; la femme, c’est l’être qui obéit. La manière dont elle a été créée vous fera voir qu’elle ne fait qu’un avec son époux ; elle a été tirée d’une côte de l’homme, et tous deux sont, pour ainsi dire, les deux moitiés d’un tout. Voilà pourquoi l’homme la regarde comme son aide. Voilà pourquoi la femme quitte père et mère pour s’attacher de préférence à l’homme auquel elle va s’unir, avec lequel elle va vivre. Et un père lui-même se plaît à établir son fils et sa fille, à serrer les nœuds de ce mariage qui va rendre à un être une partie de lui-même. Que de dépenses ! Quelle perte d’argent pour ce père, avant d’en venir là ! Mais qu’est-ce que cela fait ? Ce père serait inconsolable, s’il n’établissait pas ses enfants. Chacun d’eux, en effet, quand il reste isolé, est comme une chair séparée de sa chair ; c’est un être incomplet qui ne peut procréer ; c’est un être incomplet qui n’a pas encore organisé sa vie. De là ce mot du Prophète : « C’est le reste de ton âme ». (Mal 2,15) Mais comment ne font-ils qu’une chair ? C’est comme si vous détachiez d’un lingot d’or ses parcelles, les plus pures pour les mêler à un autre lingot. De même ici, c’est la partie la plus onctueuse du sang de l’homme que le plaisir verse dans le sein de la femme où elle se trouve développée, en se mêlant aux germes que la femme fournit. Et l’enfant joue, entre le mari et la femme, le rôle de trait d’union. Voilà donc trois êtres qui ne font qu’une chair, et dont l’un sert de lien entre les deux autres. C’est comme si deux cités, divisées par un fleuve, étaient réunies en une seule par un pont. Dans la circonstance qui nous occupe, l’union est la même, que dis-je ? elle est plus intime. Car le trait d’union est de la même nature que les deux objets unis. Les deux êtres ne font donc qu’un seul être, comme le tronc accompagné des membres ne fait qu’un même corps avec la tête. C’est le cou seul qui les sépare ; encore les unit-il autant qu’il les divise, en se trouvant au milieu d’eux. C’est comme si un chœur, après s’être séparé en deux moitiés, se recomposait avec ses membres pris à droite et à gauche. Aussi ce mot : Ils ne feront qu’une chair, est-il exact. C’est leur enfant qui produit cette union intime. Mais que dis-je ? Quand même ils n’auraient pas d’enfant, ils ne formeraient pas encore deux êtres distincts. Et le motif en est clair. C’est la cohabitation qui confond ces deux individualités en une seule ; c’est le parfum qu’on jette dans l’huile et qui s’y incorpore, de manière à ne faire qu’un avec elle. 6. Bien des gens, je le sais, sont choqués de mes paroles. Mais ce qui m’a fait aborder ce sujet, ce sont les abus introduits par la débauche et par l’impudeur. Oui, la manière dont se font les noces, ces habitudes dépravées et corrompues dégradent le mariage. « Car les noces en elles-mêmes sont honorables, et le lit nuptial est immaculé ». (Heb 13,4) Pourquoi donc avoir honte de ce qui est honorable ? Pourquoi rougir de ce qui est immaculé ? C’est aux hérétiques de rougir ; c’est à ceux qui amènent des courtisanes. Je veux purifier le mariage pour lui rendre sa noblesse, pour fermer la bouche à l’hérésie. On a déshonoré une institution qui est un présent divin,-qui est la source du genre humain ; on y a jeté du limon et de la boue. Purifions cette source, en appelant la raison à notre aide. Un peu de courage ! Quand on ne craint pas la boue, on ne doit pas en craindre l’odeur. Je veux vous montrer que ce n’est pas le mariage, mais l’abus que vous y introduisez qui doit vous faire rougir. Vous n’avez qu’une mauvaise honte et vous condamnez Dieu qui a institué le mariage. Je vais vous dire ce que c’est que ce sacrement de l’Église. C’est le Christ qui vient trouver l’Église, l’Église née de lui et à laquelle il s’est uni par des liens spirituels. « Car je vous ai fiancés », dit l’apôtre, « à cet unique époux qui est le Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure ». (2Co 11,2) Voyez comme il déclare que nous appartenons au Christ, que nous sommes les membres de ses membres, et la chair de sa chair. Livrons-nous à ces réflexions et respectons ce mystère sublime. Eh quoi ! le mariage vous représente Jésus-Christ, et vous vous enivrez ! Dites-moi, si vous aviez devant vous l’image du souverain, ne la respecteriez-vous pas ? Ah ! sans doute, vous la respecteriez. On semble n’attacher aucune importance à la manière dont on se comporte quand on assiste à un mariage, et pourtant cette indifférence à des suites désastreuses. Ce ne sont qu’habitudes impies. « Point de paroles déshonnêtes », dit saint Paul, « point de paroles insensées ou bouffonnes ». (Eph 5,4) Et pourtant, quand on assiste à une noce, on n’entend que propos déshonnêtes, insensés ou bouffons. Cette habitude est devenue un art qui fait honneur à celui qui l’exerce : oui, le vice est devenu un art. Et cet art, nous ne le pratiquons pas à la légère ; nous déployons, en l’exerçant, notre application et notre science. Et d’ailleurs, c’est le démon en personne qui commande et qui dirige ces troupes de bouffons. Car la débauche loge à la même enseigne que l’ivresse : là où circulent les propos obscènes, le démon prend toutes ses aises. A ces repas de noces, avez-vous bien le cœur, je vous le demande, d’invoquer le démon, en célébrant les mystères du Christ ? Vous me trouvez peut-être fâcheux et importun, car c’est encore l’effet de votre perversité extrême de tourner en ridicule l’austérité de vos censeurs. Eh ! n’entendez-vous pas saint Paul qui vous dit : « Quoi que vous fassiez, que vous mangiez ou que vous buviez, agissez toujours pour la gloire de Dieu ? » Vous, au contraire, vous vous occupez à dire de mauvais propos et des infamies. N’entendez-vous pas cette parole du Prophète : « Servez le Seigneur avec une crainte respectueuse et avec une allégresse mêlée de terreur ? ». (Psa 2,11) Vous, au contraire, vous vous plongez dans la mollesse. Ne pouvez-vous donc pas vous livrer à des plaisirs sans danger ? Voulez-vous entendre de mélodieux accords ? Certes vous n’en auriez pas besoin ; mais je me plie à votre faiblesse, si vous voulez ; au lieu des concerts de Satan, écoutez les concerts des anges. Voulez-vous voir des danses ? Contemplez celles des anges. Et comment faire pour les voir ? me direz-vous. Pour cela vous n’avez qu’à chasser tous ces musiciens, tous ces danseurs profanes. Alors le Christ viendra à vos noces ; or le Christ est toujours accompagné du chœur des anges. Il opérera, si vous voulez, des miracles, comme autrefois ; il changera encore l’eau en vin et fera d’autres prodiges. Cette joie dissolue, ces désirs qui bientôt vous laissent froids, se changeront bientôt en joie spirituelle. Voilà ce qui s’appelle changer l’eau en vin. Là où sont vos joueurs de flûte le Christ ne paraît pas ; mais entre-t-il dans la salle, il les chasse et opère des miracles. Quoi de plus choquant que ces pompes de Satan, où il n’y a que confusion, où, s’il n’y a pas confusion, il n’y a que honte et amertume ? 7. Rien de plus doux que la vertu ; rien de plus suave que la tempérance ; rien de plus désirable que l’honneur. Que les noces soient telles que je le demande, et l’on verra quel plaisir on y trouve. Faites bien attention aux conditions que je pose : pour une jeune fille, il faut, avant tout, chercher un mari qui puisse être à la fois son époux, son protecteur et son tuteur. Il y a là un corps sur lequel il faut mettre une tête. Ce n’est pas une esclave que vous donnez à un maître ; c’est votre fille à laquelle vous allez donner un époux. Ne cherchez ni la richesse, ni la splendeur de la naissance, ni l’éclat du berceau ; tout cela est superflu ; mais demandez chez l’époux de votre fille, la piété, la douceur, la véritable sagesse, la crainte de Dieu, si vous voulez que votre fille soit heureuse. En courant après la richesse, loin de faire le bonheur de votre fille, vous ferez son malheur ; car, de libre qu’elle était vous la rendrez esclave. L’or n’est point aussi doux que la servitude est amère. Ne cherchez donc pas tous ces vains avantages ; donnez à votre fille un mari de sa condition. Si la chose est impossible, cherchez un mari plutôt pauvre que riche, si vous ne voulez pas pour votre fille un maître, mais un époux. Quand vous l’aurez bien choisi, quand vous serez décidé à lui donner votre fille, priez le Christ d’honorer cette union de sa présence ; il ne s’y refusera pas ; car c’est lui qui doit être présent dans ce mystère. Et priez-le de vous donner, pour votre fille, l’époux que vous demandez. Ne restez pas au-dessous de l’esclave d’Abraham qui, parti pour un si long voyage, sut deviner à qui il devait avoir recours et vit son entreprise couronnée d’un plein succès. Si vous flottez dans l’incertitude, si vous n’êtes pas encore fixé, ayez recours à la prière et dites à Dieu : Que votre volonté et votre prévoyance me viennent en aide. Reposez-vous sur lui de toute cette affaire. De cette manière, vous l’honorerez et il vous récompensera. Il y a ici deux chose à faire : il faut confier à Dieu les intérêts de votre fille ; il faut lui chercher un mari selon Dieu, c’est-à-dire un homme probe et honorable. Au moment de la célébration, n’allez pas de maison en maison emprunter des miroirs et des objets de toilette. Le mariage n’est pas une affaire d’ostentation ; vous ne menez pas votre fille à la parade. Contentez-vous des ressources que vous trouvez chez vous, invitez vos voisins, vos amis et vos parents ; invitez tous les gens de bien, tous les gens honnêtes que vous connaissez, et priez-les de se contenter de ce que vous leur offrez. Point de danseurs de profession : c’est une dépense superflue et peu honorable. Avant tout, invitez le Christ à ces noces, vous savez quels sont ses représentants ici-bas. Le bien que vous ferez, dit-il, au plus humble d’entre vous, c’est à moi que vous le ferez. (Mat 25,45) Ce n’est pas, gardez-vous de le croire, un ennui et une corvée d’inviter les pauvres pour l’amour du Christ ; mais c’est une corvée bien lourde d’inviter des courtisanes. Inviter les pauvres est un moyen de s’enrichir ; inviter les courtisanes est un moyen de se ruiner et de se perdre. Donnez à la jeune mariée, pour parure, non pas des robes enrichies d’or, mais des vêtements ordinaires dont la pudeur et la bonté rehaussent l’éclat. Au lieu de vêtements brodés d’or, qu’elle revête la pudeur et la décence, sans rechercher les parures mondaines. Point de bruit, point de désordre. Qu’on appelle le fiancé et qu’on remette entre ses mains la jeune fille. Que la sobriété, que la pure allégresse de l’âme règnent au festin. De telles noces seront la source d’une foule d’avantages et ne compromettront pas votre existence. Mais les noces, pour ne pas dire les parades matrimoniales d’aujourd’hui, de combien de maux ne sont-elles pas la source ? Le festin est terminé et, tout aussitôt, on s’inquiète, on a peur que quelque pièce d’argenterie prêtée ne se retrouve pas, et voilà la gaieté qui fait place à une insupportable inquiétude. Mais cette inquiétude et ce chagrin, direz-vous, sont pour la personne chargée de l’ordonnance du repas. Ah ! la nouvelle mariée elle-même n’en est pas exempte. Que dis-je ? tous les désagréments qui surviennent ensuite, deviennent son partage. Cette ruine complète, quel sujet de tristesse ! Cette demeure livrée à l’abandon, quel sujet de chagrin l d’un côté le Christ, de l’autre le démon ; d’un côté l’allégresse, de l’autre l’inquiétude ; d’un côté le plaisir, de l’autre la douleur ; d’un côté la dépense, de l’autre rien qui y ressemble ; d’un côté l’opprobre et la honte, de l’autre la modération ; d’un côté l’envie, de l’autre absence complète de jalousie ; d’un côté l’ivresse, de l’autre la sobriété, le salut, la sagesse. Réfléchissons à tous ces détails et arrêtons-nous dans cette mauvaise voie où nous sommes soyons agréables à Dieu et montrons-nous dignes d’obtenir les biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. Traduit par M. BAISSEY.