Ephesians 1
INTRODUCTION AUX HOMÉLIES DE SAINT J. CHRYSOSTOME SUR L’ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX ÉPHÉSIENS
Parmi les plus distingués des écrits de notre Père qui concernent saint Paul, il faut compter les Homélies sur l’épître aux Éphésiens : tant à cause de l’abondance et de l’exactitude du commentaire qu’à cause de l’importance des matières qui y sont traitées. En tête, se trouve un préambule concernant la ville d’Éphèse, illustrée précédemment par le séjour de saint Jean l’évangéliste et par celui de Timothée. – Éphèse était renommée dans l’antiquité païenne pour le culte qu’elle rendait à Diane, et aussi pour ses écoles de philosophie, dont quelques-unes paraissent avoir subsisté encore au temps de saint Jean Chrysostome. Ces Homélies ont-elles été prononcées à Antioche ou à Constantinople ? Tillemont penche pour Antioche : en effet, dans sa onzième Homélie, le saint Orateur s’élève avec chaleur contre les auteurs d’un schisme qui divisait alors son église : or, cela ne peut s’appliquer à l’église de Constantinople. Sans doute il est question ici du schisme Eustathien, qui subsistait encore à Antioche : il sera bon d’en toucher, ici même, quelques mots. Eustathe, évêque d’Antioche, homme d’une conduite et d’une orthodoxie irréprochables, et par là même en horreur aux Ariens, fut exilé, par leur influence, vers l’an 330, et remplacé par un évêque arien, auquel succédèrent plusieurs hérétiques de la même secte : les Eustathiens, de leur côté, continuant à pratiquer le culte séparément. Enfin, les Ariens nommèrent évêque, Mélèce, qu’ils croyaient de leur secte. Bientôt ils reconnurent qu’ils s’étaient trompés. Ils exilèrent alors cet évêque, et le remplacèrent par un arien, Euzoïus. Il y eut alors trois partis dans Antioche : celui d’Eustathe, celui de Mélèce, et celui des Ariens. Bientôt, malgré les réclamations d’Athanase et d’autres évêques, Paulin, du parti d’Eustathe, fut ordonné évêque : de sorte qu’Antioche compta dans son sein jusqu’à trois évêques, Mélèce, Paulin et Euzoïus. Par la suite les Ariens s’affaiblissent ; Mélèce et Paulin conservent seuls le titre d’évêques ; mais le schisme n’en continua pas moins au milieu de divisions et de querelles sans nombre. Voilà les désordres auxquels saint Jean Chrysostome fait évidemment allusion : et l’on ne peut douter qu’il n’ait en vue l’église d’Antioche. Autre indice non moins significatif : il célèbre en plusieurs endroits les vertus des anachorètes retirés sur les montagnes. On ne trouve rien de pareil dans les Homélies prononcées à Constantinople. Loin de là, elles sont pleines de censures dirigées contre les vices des moines qui habitaient aux environs de Constantinople, et contre leur oubli des anciennes maximes : sans compter que saint Jean Chrysostome n’indique nulle part, sauf erreur, que ces moines aient habité les montagnes. Ici, au contraire, son langage est tout différent : il suffira de rappeler la vingt-et-unième Homélie, et l’éloge qu’il y fait d’un certain moine Julien, qualifié par lui d’admirable, et dont la sainteté paraît avoir été populaire dans la ville où parlait notre Orateur. De plus, nous retrouvons ici les mêmes censures que dans beaucoup d’Homélies prononcées à Antioche, concernant certains vestiges subsistants d’idolâtrie : comme enchantements, croyance à la fatalité, à la métempsycose, négation de la Providence ; anthropomorphisme ; foi aux augures et aux présages. Dans la vingtième Homélie, il s’élève avec force contre le faste et le luxe des habitants d’Antioche dont plusieurs misérables parvenus sortaient avec leurs femmes en grand équipage et entourés d’un imposant cortège. Il blâme aussi sévèrement ceux qui mêlent aux mariages des réjouissances indignes de chrétiens ; comme des danses ou des chansons obscènes. Les femmes ne sont pas davantage épargnées ; leur conduite envers leurs servantes est l’objet de vives censures. Enfin, à côté du luxe, l’avarice est aussi traitée comme elle mérite de l’être. Dans la huitième Homélie, qui est la plus longue de toutes, se trouve une mention intéressante du cachot et des chaînes de saint Paul, ainsi que des miracles opérés par les reliques de ce saint. Dans l’Homélie suivante il est question du martyre de saint Babylas, qui voulut être enseveli avec ses chaînes. Dans la dixième, on rencontre une allusion importante aux images qui se trouvaient alors dans les églises. Joignons à cela plusieurs discussions contre divers hérétiques, nommément, Marcion, Manès, Valentin, les Cathares, les Ariens ; et nous aurons indiqué les principaux renseignements contenus, dans ces Homélies touchant l’histoire de l’Église. Les sommaires feront connaître les points de doctrine qui y sont traités. EXPLICATION DE L’ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS.
PRÉAMBULE.
Éphèse est la métropole de l’Asie : elle était consacrée à Artémis, à qui ses habitants rendaient un culte particulier comme à une divinité du premier ordre. Les adorateurs de cette prétendue déesse poussaient la superstition à ce point que, son temple ayant été brûlé, ils tinrent secret le nom de l’incendiaire. Saint Jean l’Évangéliste passa dans ce pays la plus grande partie de sa vie ; c’est là qu’il fut relégué et qu’il mourut. Paul y laissa Timothée, témoin ces mots de son épître : « Selon que je t’ai recommandé de rester à Éphèse ». Beaucoup de philosophes, et les plus célèbres de ceux qui ont fleuri en Asie, étaient de cette contrée. On dit que Pythagore même en était : le fait est que Samos, sa patrie, était une île Ionienne. On pourrait citer encore d’autres philosophes de ce pays comme Parménide, Zénon, Démocrite, et d’autres qui vivent de nos jours. Ce qui précède n’est point inutile, mais a pour but de montrer que Paul avait besoin de réfléchir beaucoup, lorsqu’il écrivait aux Éphésiens. On dit aussi que s’il n’a pas craint de leur confier des idées profondes, c’est qu’ils étaient déjà catéchisés. Son épître est pleine de pensées et de dogmes sublimes. Il écrivait de Rome où il était prisonnier, comme il le dit lui-même : « Priez pour moi, afin que, lorsque j’ouvrirai ma bouche, des paroles me soient données pour annoncer avec assurance le mystère de l’Évangile, dont j’exerce la légation dans les chaînes ». (Eph 6,19) Elle est toute remplie de pensées élevées et sublimes. En effet, il dit ici des choses qu’il n’a pour ainsi dire jamais dites ailleurs, par exemple : « Afin que les principautés et les puissances qui sont dans les cieux connussent par l’Église la sagesse multiforme de Dieu », et encore : « Il nous a ressuscités avec lui et nous a fait asseoir dans les cieux en Jésus-Christ » ; et ailleurs : « Mystère qui, dans les autres générations, n’a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé par l’Esprit aux saints apôtres et aux prophètes, que les gentils sont cohéritiers, membres d’un même corps, et participants avec eux de son héritage dans le Christ ». (Eph 3,10 ; 2, 6 ; 3, 5-6) ▼▼Ce préambule renferme plusieurs inexactitudes qu’il serait assez inutile de relever, attendu que le texte est ici visiblement altéré et interpolé en plusieurs endroits, si l’ensemble est authentique : et nous sommes très porté, pour notre part, à croire qu’il ne l’est pas.
COMMENTAIRE SUR L’ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS.
HOMÉLIE I.
PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST PAR LA VOLONTÉ DE DIEU, AUX SAINTS QUI SONT A ÉPHÈSE ET AUX FIDÈLES EN JÉSUS-CHRIST. GRACE A VOUS ET PAIX PAR DIEU NOTRE PÈRE, PAR LE SEIGNEUR. ▼▼Pour la traduction des textes de cette difficile Épître nous avons suivi presque partout l’excellente traduction de M. l’abbé Glaire (Paris ; Jouby, 1861).
(CHAP. 1, VERS. 1-10) - 1 et 2. Que la grâce et les œuvres sont pareillement nécessaires pour le salut.
- 3 et 4. Que le Fils n’est point simplement le ministre du Père ▼
▼Saint Jean Chrysostome touche nécessairement à une foule de points dans ce commentaire continu : nous nous bornerons pour celles de ces homélies qui n’offrent pas une véritable unité, à faire connaître dans le sommaire les plus intéressants des points traités par l’orateur, ou ceux sur lesquels il insiste particulièrement.
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Analyse.
1. Voilà le mot « Par » employé en parlant du Père. Eh bien ! dirons-nous qu’il est inférieur ? Nullement. « Aux saints qui sont à Éphèse et aux fidèles en Jésus-Christ ». Voici qu’il appelle saints des hommes qui ont enfants, femmes, serviteurs. Qu’il leur applique, en effet, ce nom, c’est ce qui résulte de la fin de l’épître, par exemple quand il dit : « Femmes, soyez soumises à vos maris » ; et encore : « Enfants, obéissez à vos pères » ; et aussi : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres ». Considérons quel relâchement est le nôtre, combien la vertu est devenue chose rare de nos jours, et combien alors elle était commune, puisque les mondains mêmes étaient appelés saints et fidèles. « Grâce à vous et paix par Dieu notre père, et par le Seigneur Jésus-Christ ». Il a dit « Grâce » et il a nommé Dieu « Père » c’est, en effet, le gage de la grâce dont il parle. Comment cela ? Écoutez ce qu’il dit ailleurs « Parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, criant : Abba, Père ! » (Gal 4, 6) « Et par le Seigneur Jésus-Christ ». C’est pour nous que le Christ est né, pour nous qu’il s’est fait voir en chair. « Béni le Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ (3) ». Oui, Père de l’Incarné ; ou si vous ne le voulez pas, Père, au moins, du Dieu Verbe. « Qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle, des dons célestes dans le Christ ». Il fait allusion ici à la bénédiction judaïque, qui était bien une bénédiction, mais non une bénédiction spirituelle. Quels en étaient les termes, en effet ? « Que Dieu te bénisse ; il bénira les fruits de tes entrailles ; il bénira ton entrée et ta sortie ». (Nom. 6 ; Deu 7,13) Ici ce n’est pas la même chose : de quoi s’agit-il ? de toute bénédiction spirituelle. En effet, que vous manque-t-il encore ? Vous êtes désormais immortel, libre, fils, juste, frère, cohéritier ; vous avez part à la royauté et aux hommages ; tout vous a été octroyé. « Comment, avec lui », est-il écrit, « ne nous donnerait-il pas aussi toutes choses ? » (Rom 8,32) Vos prémices sont adorées par des anges, des chérubins, des séraphins. Que vous manque-t-il encore ? « De toute bénédiction spirituelle ». Rien de charnel ici. S’il nous a ôté les choses de ce genre par ces paroles. « Vous aurez tribulation dans le monde » (Jn 16,33), c’est parce qu’il nous a conviés à d’autres. Car ainsi que ceux qui possédaient les biens de la chair, étaient incapables d’entendre le langage de l’Esprit ; de même ceux qui possèdent les dons de l’Esprit, n’ont pu les recevoir avant de s’être détachés des choses charnelles. Qu’est-ce à dire : « Des dons célestes ? » Entendez qu’il ne s’agit pas de biens terrestres, comme chez les Juifs : « Vous mangerez les biens de la terre. Sur une terre où coulent le lait et le miel. Dieu bénira ta terre ». (Isa 1,19 ; Exo 33,3 ; Psa 85,13) Ici, rien de pareil : mais quoi donc ? « Celui qui m’aime gardera mes commandements, et moi et le Père nous viendrons vers lui, et nous ferons notre demeure en lui. (Jn 14,23) Celui qui entend les paroles que je dis, et les accomplit, sera assimilé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre ; et les vents ont soufflé, et les fleuves sont venus, et ils ont fondu sur cette maison ; et elle n’est pas tombée : car elle était fondée sur la pierre ». Qu’est-ce que cette pierre, sinon les choses célestes, qui sont supérieures à tous les changements ? « Celui qui m’aura confessé devant les hommes, moi aussi, je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux ; mais celui qui me reniera je le renierai » ; et encore : « Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu » ; et encore : « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient » ; et aussi : « Bienheureux vous êtes, vous qui avez été persécutés pour la justice, parce que votre salaire est grand dans les cieux ». Voyez-vous les cieux partout, la terre nulle part, pas plus que les choses terrestres ? Et ailleurs : « Pour nous, notre vie est dans les cieux : c’est de là aussi que nous attendons le Sauveur, notre Seigneur Jésus ». (Phi 3,20) Enfin : « Ne songeant pas aux choses de la terre, mais à celles du ciel ». « En Jésus-Christ ». C’est par Jésus-Christ et non par Moïse que s’est opérée cette bénédiction. Ce n’est pas seulement la nature de la bénédiction qui fait notre supériorité, c’est encore le médiateur qui nous l’a procurée. C’est ainsi qu’on lit dans l’épître aux Hébreux : « Moïse, à la vérité, a été fidèle dans toute la maison de Dieu comme serviteur, pour rendre témoignage de tout ce qu’il devait dire ; mais le Christ est comme fils dans sa maison ; et cette maison, c’est nous ». (Heb 3,5-6) « Comme il nous a élus en lui avant la fondation du monde, afin que nous fussions saints et sans tache en sa présence (4) ». Voici le sens de cette parole : « Il nous a élus par le médiateur, par lequel il nous a bénis ». C’est donc lui qui nous donnera toutes ces choses, lui qui est le juge, lui qui dira : « Venez, les bénis de mon père ; possédez le royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde ». (Mat 25,34) Et encore : « Là où je suis, je veux que ceux-ci soient également ». (Jn 17,24) 2. De même, dans presque toutes ses épîtres, il s’attache à montrer qu’il n’y a pas d’innovation en ce qui nous touche, que tout cela provient d’un antique dessein, et non d’un repentir, que la Providence en avait statué et décidé ainsi : et c’est la marque d’une grande sollicitude. Qu’est-ce à dire : « A élus en lui ? » Par sa foi en lui le Christ a opéré ce bienfait avant notre naissance ou plutôt avant la fondation du monde. Ce mot de fondation, qui suppose abaissement, est bien placé ici. En effet, la sublimité de Dieu est grande, ineffable, non par la distance, mais par la supériorité de nature ; et l’intervalle est immense entre la créature et le créateur. Rougissez, hérétiques ; en entendant ces mots. Mais pourquoi nous a-t-il élus ? « Afin que nous fussions saints et sans tache en sa présence ». Pour que ce mot « Élus » ne vous fasse pas croire que la foi suffit à elle seule, il ajoute à cela les œuvres : S’il nous a choisis, dit-il, c’est pour cela, c’est dans cette vue, que nous soyons saints et sans tache. Il a élu aussi les Juifs autrefois. Comment ? « Il a élu », est-il écrit, « ce peuple entre les nations ». (Deu 7,6, et 14, 2) Mais si les hommes, admis à choisir, choisissent ce qu’il y a de meilleur, à plus forte raison Dieu. Avoir été élus, c’est à la fois une marque de la bonté de Dieu et de leur mérite à eux : car certainement il ne les a choisis qu’après les avoir éprouvés. Il nous a fait saints, mais il faut rester saints. Saint est celui qui a part à la foi ; sans tache, celui dont la vie est irréprochable. Cependant la sainteté et l’innocence ne sont pas les seules choses requises : il faut encore se montrer saints et sans tache en sa présence. Il y a des hommes prétendus saints et sans tache, que les hommes jugent tels, ceux qui ressemblent à des sépulcres blanchis, ceux qui sont ; pour ainsi dire, couverts de peaux de brebis. Ce ne sont pas ceux-là que Dieu cherche, mais ceux que définit le prophète, en disant : « Et selon la pureté de mes mains ». – Quelle pureté ? Il s’agit de la sainteté qui est telle en présence de Dieu, de celle que l’œil de Dieu voit. Il a dit les bonnes œuvres ; il revient maintenant à la grâce, en ajoutant : « Dans la charité, nous ayant prédestinés ». En effet, ce n’est pas là un effet des bonnes œuvres ni de l’effort, mais de la charité ; et pas seulement de la charité, mais encore de notre vertu. Si c’était un simple effet de la charité, il faudrait que tous fussent sauvés : si c’était, au contraire, un effet de notre seule vertu, la venue du Christ et toutes les circonstances de l’incarnation seraient choses inutiles. Mais ce n’est ni l’effet de la charité seule, ni celui de notre vertu seule, c’est un effet de ces deux choses réunies. Il nous a élus : mais celui qui élit sait ce qu’il élit. « Dans la charité, nous ayant prédestinés (5) ». La vérité n’aurait sauvé personne, si la charité n’existait pas. Car, dites-moi, qu’est-ce que Paul aurait fait ou gagné, si Dieu ne l’avait appelé d’en haut, et attiré à lui par amour ? D’ailleurs, la magnificence des rétributions ne s’explique que par la charité et non par notre vertu, à nous. Avoir été vertueux, avoir cru, être venu à Dieu, cela vient de celui qui nous a appelés et aussi de nous : mais récompenser si magnifiquement ceux qui sont venus à lui, que l’ennemi devienne aussitôt fils adoptif, c’est vraiment la marque d’une ineffable charité. « Dans la charité, nous ayant prédestinés à l’adoption par Jésus-Christ en lui ». Voyez-vous comment rien sans le Christ, rien sans le Père ? L’un a prédestiné, l’autre a amené. Et il met cela pour exalter ce qui s’est passé, de même qu’il dit ailleurs : « Non-seulement cela, mais nous nous glorifions encore par Notre-Seigneur Jésus-Christ ». (Rom 5,11) Grands sont les présents, mais ce qui les rend plus grands encore, c’est qu’ils sont dus à la médiation du Christ : Dieu n’a pas envoyé à ses serviteurs un de ses serviteurs, mais son Fils unique lui-même. « Selon le dessein de sa volonté ». C’est-à-dire, à cause de sa volonté bien arrêtée. Voilà son désir, si l’on peut ainsi parler : car partout le dessein est la volonté primitive. Il y a, en effet, une autre volonté. La volonté première est que nous ne nous perdions pas en péchant ; la volonté seconde est que ceux qui sont devenus méchants périssent : car ce n’est pas une nécessité qui les châtie, mais une volonté. On peut retrouver la même chose chez Paul lui-même, lorsqu’il dit, par exemple : « Je désire que tous les hommes soient comme moi-même » ; et ailleurs : « Je désire que les jeunes se marient, aient des enfants ». Par « Dessein », il faut donc entendre la première volonté, la volonté forte, la volonté accompagnée de désirs, la persuasion : je n’hésite pas à me servir de cette expression vulgaire, afin de rendre la chose plus claire pour les simples ; puisque, quand nous voulons marquer une volonté forte, nous employons ce terme : « Persuasion ». Le sens du texte, le voici : il désire vivement, fortement notre salut. Pourquoi donc nous aime-t-il à ce point, et quelle est la raison de cette tendresse ? C’est sa bonté seule, car la grâce procède de la bonté. De là cette expression : « Nous ayant prédestinés à l’adoption » ; le voulant d’une volonté forte, afin de faire éclater la gloire de sa grâce. « Selon le dessein de sa volonté, pour la louange de la gloire de sa grâce dont il nous a gratifiés par son bien-aimé (6) » ; pour faire éclater la gloire de sa grâce, dont il nous a gratifiés par son bien-aimé. 3. Donc, si c’est pour cela qu’il nous a gratifiés, à savoir pour la louange de la gloire de sa grâce, et pour montrer sa grâce, restons dans la grâce. « Pour la louange de sa gloire ». Qu’est-ce à dire ? Pour qu’on le loue ? pour qu’on le glorifie ? nous, les anges, les archanges, toutes les créatures ? Et à quoi bon ? A rien, car rien ne manque à Dieu. Pourquoi donc veut-il être loué et glorifié par nous ? C’est afin que notre amour pour lui devienne plus ardent. Il ne désire rien de nous, si ce n’est notre salut ; ni service, ni gloire, ni quoi que ce soit ; en toutes choses, c’est notre salut seul qu’il a en vue. Celui qui loue et admire la grâce qui lui a été faite, celui-là deviendra plus fervent, plus zélé. « Dont il nous a gratifiés », et non pas : Qu’il nous a octroyée ; c’est-à-dire, que non seulement il nous a déchargés de nos péchés, mais qu’il nous a encore rendus aimables. Supposez que, trouvant un lépreux affaibli par la maladie, la vieillesse, la misère, la faim, on en fasse aussitôt un charmant jeune homme, qui éclipse tout le monde par sa beauté, dont les joues brillent d’un vif incarnat, dont les regards effacent l’éclat des rayons du soleil ; qu’on le ramène à la fleur de l’âge, qu’on le pare d’une robe de pourpre, d’un diadème et de tous les ornements royaux. Eh bien ! c’est ainsi que Dieu a embelli notre âme, qu’il l’a rendue charmante, séduisante, aimable. Elle est telle que les anges, les archanges, toutes les autres puissances aiment à la contempler, tant il nous a faits charmants et dignes de son amour. « Le roi », est-il écrit, « désirera ta beauté ». (Psa 45,12) Notre langage, autrefois funeste, est devenu plein de grâce. Nous n’admirons pas la richesse, les biens d’ici-bas, mais seulement les trésors d’en haut, les choses du ciel. N’appelons-nous pas gracieux le jeune homme qui, aux avantages du corps joint un grand charme de paroles ? Tels sont les fidèles. Voyez comment parlent les initiés. Quoi de plus gracieux qu’une bouche qui profère des paroles sublimes, qui prend part, dans la pureté du cœur et des lèvres, à cet admirable banquet mystique, avec gloire, avec confiance ? Quoi de plus gracieux que les paroles par lesquelles nous renonçons au diable, par lesquelles nous nous rangeons sous l’étendard du Christ ? que cette confession qui précède le baptême, que celle qui la suit ? Songeons combien nous sommes qui avons perdu la grâce du baptême, et gémissons afin de pouvoir la reconquérir. « Par son bien-aimé, en qui nous avons la rédemption par son sang (7) ». Comment cela ? Ce qu’il y a d’admirable, ce n’est pas seulement que Dieu ait donné son Fils, c’est encore qu’il l’ait donné de telle sorte que ce bien-aimé fût égorgé. Étrange excès : il donne le bien-aimé pour ceux qui étaient haïs. Voyez pour combien il nous compte. S’il a été jusqu’à nous donner son bien-aimé quand nous le haïssions et que nous étions ses ennemis, que ne fera-t-il pas, quand la grâce nous aura réconciliés avec lui ? « Et la rémission des péchés ». Il redescend du ciel sur la terre. Il a commencé par parler d’adoption, de sanctification, d’hommes sans tache, et voici qu’il arrive à nos infirmités ; ce n’est pas à dire qu’il s’abaisse, ni qu’il passe du grand au petit, il remonte au contraire du petit au grand. Car il n’est rien d’aussi grand que l’effusion du sang de Dieu pour nous ; l’adoption et les autres bienfaits n’égalent pas ce sacrifice de son propre fils. C’est une grande chose que d’être déchargé de ses péchés ; mais que cela s’opère par le sang du Seigneur, voilà ce qui est grand surtout. La preuve que ceci surpasse de beaucoup tout le reste, elle est dans ce que Paul proclame ici même : « Selon les richesses de sa grâce qui a surabondé en nous (8) ». II y a d’autres richesses, mais les plus véritables sont celles-ci : « Qui a surabondé en nous ». C’est une richesse, et elle a surabondé, c’est-à-dire a été prodiguée à un degré ineffable. On ne saurait exprimer par des paroles ces choses que l’expérience nous a fait connaître. C’est bien une richesse, une richesse qui surabonde, une richesse non des hommes, mais de Dieu, de sorte qu’on ne saurait l’exprimer par aucune parole. Puis montrant comment Dieu nous a fait ce don avec surabondance, il ajoute : « En toute sagesse et toute intelligence, pour nous faire connaître le mystère de sa volonté (9) », c’est-à-dire, pour nous rendre sages et intelligents de la vraie sagesse, de la vraie intelligence. 4. Quelle amitié ! il nous dit ses mystères. « De sa volonté », dit-il ; il nous révèle, pour ainsi dire, ce qui est dans son cœur. Voilà le grand mystère de sagesse et d’intelligence. Que pourriez-vous égaler à une pareille sagesse ? D’indignes créatures, il trouve moyen de les élever à la richesse. Quelle industrie pareille ? L’ennemi, celui qui était haï, le voilà tout à coup porté là-haut. Et ce n’est pas seulement cela, c’est le temps aussi, c’est l’instrument, à savoir la croix, qui marque la sagesse divine. Il serait trop long de montrer ici comment la sagesse éclate en cela, et par là nous fut inspirée. De là ce qui suit : « Selon le bienveillant dessein qu’il avait préconçu en lui-même ». En d’autres termes, ce qu’il désirait, ce dont il brûlait, c’était de pouvoir nous révéler le mystère. Quel mystère ? qu’il veut faire siéger l’homme là-haut. Or cela arriva : « Pour la dispensation de la plénitude des temps, pour restaurer dans le Christ tout ce qui est dans les cieux, et tout ce qui est sur la terre en lui-même (10) ». Les choses célestes étaient séparées des choses terrestres, elles n’avaient point le même chef. Au point de vue de la création il n’y avait qu’un seul Dieu : mais au point de vue du culte il n’en était pas encore de même, attendu la diffusion de l’erreur païenne, qui avait écarté les gentils de l’obéissance à Dieu. « Pour la dispensation et la plénitude des temps ». C’est ce qu’il veut faire entendre par « La plénitude des temps ». Remarquez la justesse des expressions : il a rapporté au Père l’origine, le projet, la volonté, le premier mouvement ; à la médiation du Fils, l’accomplissement, la réalisation, mais nulle part il n’appelle ministre le Fils. « Il nous a élus », dit-il, « en lui. Nous ayant prédestinés à l’adoption par Jésus-Christ pour lui et pour la louange et la gloire de sa grâce. En qui nous avons la rédemption par son sang. Laquelle il avait préconçue en lui pour la dispensation de la plénitude des temps, afin de restaurer tout dans le Christ ». Et nulle part il n’appelle le Fils ministre. Que si ces mots « Dans » et « Par » indiquent un ministre, voyez la conséquence. Tout au commencement de son épître, il nous dit : « Par la volonté du Père ». Le Père a voulu, le Fils a opéré. Mais il ne faut pas dire que parce que le Père a voulu, le Fils est exclu de l’opération ; ni que, parce que le Fils a opéré, la volonté a été retirée au Père : tout est commun entre le Père et le Fils : « Tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi ▼▼Cette discussion est dirigée contre les Ariens et autres hérétiques.
». (Jn 17,10) La plénitude des temps, c’était sa venue. Comme il avait tout fait au moyen des anges, des prophètes de la loi, et que cela n’avait servi de rien, et qu’il était à craindre que l’homme ne fût né, n’eût été produit en vain, ou plutôt, pour son malheur, dans cette ruine générale, plus épouvantable que celle du déluge, Dieu trouva cette dispensation au moyen de la grâce, pour que l’homme ne fût pas inutilement venu au monde. Voilà ce qu’il appelle « Plénitude des temps », et « Sagesse ». Comment ? Parce que c’est justement quand les hommes devaient périr, qu’ils furent sauvés. « Pour restaurer ». Qu’est-ce à dire, « Restaurer ? » Cela signifie réunir. Mais hâtons-nous d’approcher de la vérité même. Chez nous et dans l’usage, le mot employé par Paul signifie abréger, résumer de longs développements ▼▼Nous n’avons pas de mot équivalent en français au grec
άναχεφαλαιωσαθαι que nous avons rendu par un mot emprunté aux traductions les plus autorisées de l’Évangile.
. Ici, c’est la même chose : il a résumé, abrégé en lui tous les actes de sa Providence durant un long temps. Consommant la parole, et la résumant en justice, il a tout embrassé, et y a encore ajouté. Voilà le sens de cette expression : mais elle indique encore autre chose. Quoi donc ? C’est que Dieu a imposé un même chef ▼▼Κεφαλέ. – Même observation que plus haut.
à tous, anges et hommes, le Christ incarné : il a soumis anges et hommes au même Christ ; il lui a soumis ceux-là, parce qu’il est le Dieu Verbe, ceux-ci, parce qu’il est le Verbe incarné. Ainsi qu’on peut dire en parlant d’une maison en partie solide, en partie délabrée : un tel a réparé sa, maison, c’est-à-dire l’a rendue plus solide, l’a assise sur un fondement plus ferme : de même ici Dieu a tout soumis à un même chef. Ainsi donc, comblé de tant de dons, d’honneurs, de bontés, ne faisons point honte à notre bienfaiteur, ne rendons pas tant de grâces inutiles, montrons une vie, une vertu, une conduite digne des anges : oui, je vous en prie, je vous en conjure, afin que toutes ces choses ne deviennent point des griefs ni des motifs de condamnation contre nous, mais nous procurent la jouissance des biens auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE II.
EN QUI NOUS AUSSI NOUS AVONS ÉTÉ APPELÉS PAR LE SORT AYANT ÉTÉ PRÉDESTINÉS SELON LE DÉCRET DE CELUI QUI FAIT TOUTES CHOSES SUIVANT LE CONSEIL DE SA VOLONTÉ ; AFIN QUE NOUS SOYONS A LA LOUANGE DE SA GLOIRE, NOUS QUI LES PREMIERS AVONS ESPÉRÉ EN JÉSUS-CHRIST ; EN QUI VOUS AUSSI, APRÈS AVOIR ENTENDU LA PAROLE DE VÉRITÉ, L’ÉVANGILE DE VOTRE SALUT ; EN QUI, AYANT CRU, VOUS AVEZ ÉTÉ MARQUÉS DU SCEAU DE L’ESPRIT DE LA PROMESSE, QUI EST L’ESPRIT-SAINT, QUI EST LE GAGE DE NOTRE HÉRITAGE POUR LE RACHAT DE SON ACQUISITION, POUR LA LOUANGE DE SA GLOIRE. (I, 11-14) Analyse.
- 1 et 2. De la prédestination.
- 3 et 4. Que nous ne sommes jamais contraints de pécher.
1. Partout Paul s’est efforcé de montrer l’ineffable bonté de Dieu pour nous, autant qu’il lui a été possible. En effet, qu’il était impossible d’en tracer une parfaite image, c’est ce qu’il reconnaît lui-même en disant : « O profondeur du trésor et de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont impénétrables, et ses voies impossibles à suivre ! » Du moins il la fait éclater autant qu’il est possible. Que signifie donc ceci : « En qui nous aussi nous avons été appelés par le sort ». Il a dit plus haut : « Il nous a élus ». Il dit ici : Nous avons été appelés par le sort. Mais le sort est l’effet du hasard, non du choix ni du mérite : c’est chose aveugle et fortuite qui souvent laisse de côte les hommes vertueux pour mettre en lumière ceux qui ne valent rien. Aussi voyez comment il se reprend : « Ayant été prédestinés selon le décret de celui qui fait toutes choses ». C’est-à-dire : Ce n’est pas au hasard que nous avons été tirés au sort ni élus : car c’est Dieu qui nous a élus, et c’est Dieu qui nous a tirés au sort. Il y a eu un dessein. C’est ainsi qu’il dit encore dans l’épître aux Romains : « À ceux qui sont appelés selon le dessein ». Ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. Après avoir commencé par dire : « A ceux qui sont appelés selon le dessein », voulant montrer en même temps quelle est leur supériorité sur les autres, il parle de tirage au sort, afin de ne pas supprimer le libre arbitre. Il fait donc figurer ce qui caractérise plus particulièrement le bonheur. En effet, les faveurs du sort ne sont pas dues au mérite, mais, pour ainsi parler, à une simple rencontre. C’est comme s’il disait : Après un tirage au sort il nous a élus. En somme, après que nous avons été prédestinés par son libre arbitre, en d’autres termes, après qu’il nous eut élus pour lui-même, il nous a mis à part : par exemple, il nous voyait avant que le sort nous eût désignés. Car la prescience de Dieu est merveilleuse, et connaît toutes choses avant leur naissance. Mais vous, considérez comment partout il s’applique à montrer que ce n’est pas par suite d’un repentir, mais dès l’origine, que les choses avaient été disposées de la sorte, de façon que vous n’ayez en cela aucun désavantage à l’égard des Juifs, et par cette raison il fait tout pour cela. Comment donc le Christ lui-même dit-il : « Je n’ai pas été envoyé, sinon vers les brebis perdues de la maison d’Israël ? » (Mat 15,24) Et ailleurs il dit à ses disciples : « N’allez pas sur le chemin des nations, et n’entrez pas dans la ville des Samaritains ». (Mat 10,5) Et le même Paul dit encore : « Il était nécessaire que la parole de Dieu vous fût dite en premier lieu ; mais puisque vous l’avez repoussée et que vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les gentils ». (Act 3,46) Si l’Écriture s’exprime ainsi, c’est pour qu’on ne croie pas que cela n’était pas dans les desseins de Dieu. « Selon le décret de celui qui fait toutes choses suivant le conseil de sa volonté ». C’est-à-dire qu’il n’a rien fait postérieurement, qu’il avait tout disposé dès l’origine. C’est ainsi qu’il conduit les choses à terme suivant le dessein de sa volonté. De sorte que s’il a appelé les gentils, ce n’est point parce que les Juifs ne l’écoutaient pas ; c’est sans y être forcé, sans y être poussé par ce motif. « Afin que nous soyons à la louange de sa gloire, nous qui les premiers avons espéré dans le Christ : en qui, vous aussi, ayant entendu la parole de vérité, l’Évangile de votre salut ». – « En qui », c’est-à-dire, par qui. Observez que partout le Christ est auteur de toutes choses et ne reçoit jamais le nom de ministre ni celui de serviteur. De même ailleurs, dans l’épître aux Hébreux, il dit : « Celui qui autrefois avait parlé à vos pères dans les prophètes, aux derniers jours vous a parlé dans le Fils » c’est-à-dire, par le Fils. « Le discours de vérité », et non plus le discours d’image ou de figure. « L’Évangile de votre salut ». C’est avec raison qu’il emploie cette expression, faisant allusion d’une part à la loi, de l’autre à la punition future. Tel est en effet le caractère de la bonne nouvelle qui empêche la perte de ceux qui méritaient de périr. « En qui ayant cru ; vous avez été marqués du sceau dans l’Esprit de la promesse, qui est saint, qui est le gage de notre héritage ». Encore une marque d’infinie Providence que ce sceau : nous n’avons pas été seulement mis à part, désignés par le sort, mais encore scellés. Comme si quelqu’un lui avait révélé ceux qui devaient tomber au sort, Dieu les a mis à part pour la foi, les a scellés pour qu’ils fussent admis à l’héritage futur. 2. Voyez-vous comment, avec le progrès du temps, il les rend admirables ? Tant qu’ils étaient dans la prescience, ils n’étaient manifestes pour personne ; mais lorsqu’ils eurent été scellés, ils devinrent manifestes, non pas comme nous, toutefois : car ils seront manifestes, à part un petit nombre. Les Israélites aussi furent scellés, mais par la circoncision, comme les bêtes de somme et les brutes : nous aussi, nous avons été scellés, mais comme des fils, par l’Esprit. Qu’est-ce à dire : « l’Esprit de promesse ? » C’est-à-dire que nous l’avons reçu suivant une promesse. Car il y a deux promesses, l’une transmise par les prophètes, l’autre venant du Fils. L’une, ai-je dit, transmise par les prophètes. Écoutez Joël : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards, des songes ». Écoutez maintenant le Christ : « Et vous recevrez la vertu du Saint-Esprit venant vers vous, et vous serez témoins pour moi et dans Jérusalem, et dans toute la Judée et dans Samarie, et jusqu’aux confins de la terre ». (Act 1,8) Cependant il fallait, dira-t-on, qu’il fût cru comme Dieu. Mais il ne se fonde pas là-dessus, il parle comme s’il s’agissait d’un homme, ainsi que dans l’épître aux Hébreux : « Afin que par deux choses immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu trompe, nous ayons une forte consolation ». De même ici il allègue les dons faits précédemment à l’appui de la promesse. De là aussi cette expression, Gage (ou arrhes) : car les arrhes sont une partie de la somme totale. Il a acheté notre salut, et il a commencé par nous donner des arrhes. Et pourquoi ne nous avoir pas donné sur-le-champ toute la somme ? Parce que nous n’avions pas non plus livré le tout. Nous avons cru : c’est le commencement ; et lui, il nous a donné des arrhes : quand nous aurons manifesté notre foi par des œuvres, c’est alors qu’il complétera la somme. Ou plutôt il nous a donné une rétribution, son sang, et il nous en a promis encore une autre. De même que dans une guerre, les nations se donnent mutuellement des otages : ainsi Dieu a donné son Fils, comme un gage de trêve et de paix, et l’Esprit-Saint qui procède de lui car ceux qui participent véritablement à l’Esprit, savent qu’il est le gage de notre héritage. Tel était Paul, qui dès lors avait goûté au festin d’en haut. Aussi se hâtait-il, brûlait-il de quitter notre séjour, et gémissait-il : car il voyait avec d’autres yeux, ayant transporté là-haut toute sa pensée. Tu ne participes point aux choses : voilà pourquoi tu es exclu aussi des paroles. Si nous participions tous à l’Esprit, comme il le faudrait, nous verrions les cieux et l’état des choses de là-haut. Maintenant, gage de quoi ? De la rédemption, de l’acquisition : car c’est alors qu’il y a rédemption parfaite. Maintenant, nous errons au milieu du monde, les accidents humains fondent sur nous en foule, nous sommes avec des impies mais la rédemption parfaite, celle qui n’admet ni péchés, ni troubles humains, c’est alors que nous la trouverons. Maintenant nous tenons un gage : car, maintenant même, nous avons renoncé à ces choses ; notre vie n’est pas sur la terre ; maintenant même nous sommes en dehors des choses d’ici-bas ; maintenant même nous ne sommes ici que des étrangers. « A la louange de sa gloire ». Il répète souvent cela. Pourquoi ? Parce que cela suffit pour inspirer la foi aux auditeurs. S’il faisait cela à cause de nous, il y aurait doute ; mais s’il l’a fait pour lui-même et pour manifester sa bonté, c’est un motif dont Paul se sert comme d’un témoignage, pour prouver qu’il n’aurait pu advenir autrement. De même, quand il est question des Israélites, les expressions suivantes reviennent souvent « Faites-nous à cause de votre nom ». Dieu lui-même dit : « Je fais à cause de moi ». Et Moïse : « Faites-moi à cause de votre nom », sinon pour un autre motif. Cela convainc les auditeurs, et les met en repos, en leur enseignant que Dieu ne peut manquer, à raison de sa propre bonté, de tenir ses promesses. Mais que ces paroles ne nous inspirent point le relâchement. Quand bien-même il agit pour lui, cela n’empêche pas qu’il n’exige de nous l’accomplissement de notre devoir. « Je glorifierai », dit-il, « ceux qui me glorifient, et ceux qui me comptent pour rien seront comptés pour rien » : Apprenons par là qu’il exige de nous que nous fassions notre devoir. La louange de sa gloire, c’est de sauver ses ennemis, mais ceux-là qui, une fois réconciliés, restent ses amis : car s’ils reviennent à leur première hostilité, tout est perdu, il n’y a rien de fait. 3. En effet, il n’y a pas de second baptême, pas de seconde réconciliation ; il ne reste plus que la redoutable attente du jugement, que l’avidité du feu qui doit dévorer les ennemis. Si nous devions, tout en restant perpétuellement les ennemis de Dieu, obtenir son indulgence, nous ne cesserions pas de lui faire la guerre, de nous abandonner aux voluptés, de nous corrompre, de nous rendre incapable de voir le soleil de justice qui a lui. Voulez-vous recevoir le rayon qui dessillera vos yeux ? Rendez-les beaux, sains, perçants. Dieu vous a fait voir le soleil de vérité. Si vous vous en détournez pour courir vous replonger dans les ténèbres, quelle sera votre excuse, votre justification ? Vous n’en aurez point : car vous aurez fait preuve d’une haine indicible. Quand vous ne connaissiez pas Dieu, vous étiez jusqu’à un certain point excusable de le haïr ; mais lorsque vous avez goûté à sa bonté, à son miel, si vous laissiez tout cela pour retourner à votre vomissement, vous donneriez les signes les plus manifestes de mépris et de dédain. Non, dira-t-on, je ne ferais que céder à la contrainte de la nature : j’aime le Christ, mais la nature me fait violence. S’il y a violence et contrainte, vous aurez une excuse ; si la faute provient de négligence, vous n’en aurez pas. Examinons donc ce point, si les péchés sont causés par une contrainte, une violence, ou par un excès de négligence et de relâchement. « Tu ne tueras point », est-il écrit. Où est ici la contrainte, la violence ? La violence, c’est de tuer. Qui de nous, en effet, voudrait plonger le glaive dans la gorge du prochain, et ensanglanter sa droite ? Personne. Voyez-vous que c’est tout au contraire dans le péché que résident la contrainte et la violence ? Dieu a mis la tendresse dans notre nature, de façon que nous nous aimions les uns les autres. Il est écrit : « Tout animal aime son semblable, et tout homme son prochain ». Voyez-vous que nous devons à la nature les germes de la vertu ? C’est le vice qui est contre nature que s’il l’emporte en nous, c’est un signe d’extrême paresse de notre part. Prenons l’adultère : quelle est la contrainte qui y pousse ? La tyrannie du désir, répondra-t-on. Comment cela, dites-moi ? Est-ce qu’il n’est pas possible d’user de sa femme et de vaincre cette tyrannie ? Mais je suis épris d’amour pour la femme du prochain. – Ce n’est plus là de la contrainte : l’amour n’est pas du domaine de la contrainte. Ce n’est point par nécessité qu’on aime, mais par choix et par volonté. L’union des sexes, c’est peut-être une nécessité ; mais aimer celle-ci ou celle-là ce n’en est pas une. Ce n’est plus instinct sexuel, mais vanité, dérèglement, débauche. Où est la raison, dites-moi ? A posséder la femme qu’on a épousée, qu’on a prise pour en avoir des enfants, ou celle qu’on ne connaît pas ? Ne savez-vous pas que l’affection est fille de l’habitude ? De sorte que la nature n’est ici pour rien. N’accusez point le désir : le désir a été donné pour le mariage, inspiré pour la procréation des enfants, non pour l’adultère, ni pour la séduction. Les lois elles-mêmes pardonnent les fautes que la nécessité a fait commettre : ou plutôt il n’y a pas de fautes commises par nécessité, toutes viennent de la dépravation. Dieu n’a pas organisé la nature de telle sorte que le péché fût nécessaire : autrement, le châtiment n’existerait pas. Car nous-mêmes, nous ne demandons pas compte des actions forcées, à plus forte raison Dieu qui est si bon et si charitable. Voyons encore : voler, est-ce un fait de nécessité ? Oui, dira-t-on : car c’est la pauvreté qui y conduit. C’est plutôt à travailler que la pauvreté conduit, ce n’est pas à voler. La pauvreté a donc un effet tout contraire : car le vol est un fruit de la paresse : et la pauvreté ne rend point paresseux, mais laborieux… Ainsi donc, voilà encore un péché imputable à la négligence… Écoutez encore : lequel est le plus difficile, dites-moi, le plus désagréable, de passer les nuits à veiller et à courir, de percer des murs, de marcher dans l’obscurité, de tenir sa vie dans ses mains, d’être prêt au meurtre, de trembler, de mourir de peur, ou de s’appliquer durant le jour au travail, et de jouir du calme et de la sécurité ? Voilà ce qui est facile : et parce que c’est facile, un plus grand nombre de gens font ce métier, que l’autre. 4. Voyez-vous que la vertu est selon la nature, et le vice contre nature, tout comme la santé et la maladie ? Mais mentir et se parjurer, cela peut-il être une nécessité ? Aucunement : c’est volontairement et sans y être forcés que nous commettons ces fautes. – On se défie de nous, dira-t-on. – On se défie de nous, parce que nous le voulons bien ; car nous pourrions inspirer plus de confiance par notre caractère, que nous ne faisons par nos serments. En effet, pour quelle raison, dites-moi, ne croyons-nous pas à certaines personnes en dépit de leurs serments, tandis que nous croyons à d’autres sans qu’elles jurent ? Voyez-vous qu’il n’y a nul besoin de serments ? Si un tel parle, je le crois, même sans serments ; vous, vous avez beau jurer, je ne vous crois pas. Donc le serment est chose superflue et plutôt une marque de défiance que de foi. La facilité à jurer fait obstacle à la réputation de piété. Aussi celui qui jure souvent n’a nullement un besoin impérieux de jurer ; et celui qui n’use pas de serment en a tout le profit. Dira-t-on maintenant que le serment est utile pour se faire croire ? Aucunement : car nous voyons que ceux qui ne jurent pas sont justement ceux à qui l’on croit de préférence. Autre chose : être insolent, est-ce un effet de force majeure ? Oui, dira-t-on, car la colère nous jette hors de nous, nous enflamme, ne permet pas le repos à notre âme… L’insolence, mon cher auditeur, n’est pas un effet de la colère, mais un effet de la petitesse d’âme. Si elle venait de la colère, tous les hommes irrités ne cesseraient pas de se montrer insolents. La colère nous a été donnée, non pour insulter le prochain, mais pour convertir les pécheurs, pour que nous nous réveillions, pour que nous ne tombions pas dans l’indolence. La colère est en nous comme un aiguillon, afin que nous grincions des dents contre le diable, afin que nous soyons violents contre lui, et non pour que nous nous fassions mutuellement la guerre. Nous avons des armes, non pour nous attaquer nous-mêmes, mais pour nous défendre contre l’ennemi. Vous êtes emporté ? Montrez-vous tel contre vos péchés, frappez votre âme, flagellez votre conscience, soyez un juge irrité et impitoyable de vos propres péchés. Voilà l’avantage de la colère, voilà pourquoi Dieu nous l’a donnée. Et l’usurpation, est-ce un effet de la nécessité ? Nullement : quelle nécessité d’usurper, dites-moi ? Qu’est-ce qui vous y force ? La pauvreté, dira-t-on, et la crainte du besoin. C’est justement une raison pour ne pas usurper ; car une richesse acquise ainsi est mal assurée. – Mais vous ressemblez à un homme à qui l’on demanderait pourquoi il fonde sa maison sur le sable, et qui répondrait : C’est à cause du froid, à cause de la pluie. C’est justement pour cela qu’il ne fallait pas bâtir sur le sable, car la pluie et les vents ont bientôt renversé de pareilles fondations. Si donc vous voulez être riche, respectez le bien d’autrui. Si vous voulez laisser une fortune à vos enfants, faites fortune honnêtement, à supposer que cela soit possible ; voilà la richesse qui dure et subsiste inébranlable ; toute autre est vite perdue et dissipée. Vous voulez être riche, dites-moi, et vous prenez le bien des autres ? Cependant la richesse ne consiste pas en cela, mais à conserver ce qu’on a en propriété ; pour celui qui a le bien d’autrui, ce ne saurait être un riche ; autrement, ceux qui revendent de riches étoffes qu’ils ont achetées d’autrui, devraient être appelés les plus riches des hommes ; ces choses sont à eux pour un temps ; néanmoins nous ne les appelons pas riches. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont en main que le bien d’autrui. A supposer que les étoffes soient à eux, ils n’en ont pas le prix ; et quand bien même ils en auraient le prix, ce n’est pas là une richesse. Que si les choses qui s’échangent ne constituent pas une richesse, à cause de la promptitude avec laquelle nous nous en séparons, comment des biens usurpés feraient-ils un riche ? Mais tu désires t’enrichir à tout prix (tu désires, car la nécessité n’y est pour rien) ; quel bien veux-tu donc avoir en plus grande abondance ? Est-ce une vie plus longue ? Mais les hommes de cette espèce ne vivent pas longtemps. Souvent ils sont punis de leurs rapines et de leur convoitise par une fin prématurée qui les empêche de jouir longtemps de leurs acquisitions, et les conduit dans l’enfer, seul bien qu’ils aient gagné ; souvent encore le luxe, les fatigues, les inquiétudes, leur causent des maladies qui les emportent. Je voudrais savoir pourquoi la richesse excite l’ambition des hommes. Cependant si Dieu a prescrit des limites et des bornes à la nature, c’est pour que nous ne soyons nullement contraints de rechercher la richesse ; par exemple, il a voulu que nous eussions un vêtement ou deux pour nous couvrir ; en avoir plus ne sert de rien pour cet usage. A quoi bon tant d’habillements qui ne servent qu’à nourrir les teignes ? L’estomac de même n’a qu’une capacité bornée : le charger au-delà d’une certaine mesure est chose funeste à tout animal. À quoi bon tant de bétail, de bergeries, et tous ces massacres de viandes ? Nous n’avons besoin que d’un toit pour nous abriter. A quoi bon les péristyles et les constructions dispendieuses ? Pour loger les vautours et les corbeaux, vous dépouillez les pauvres. Quels tourments de l’enfer sont assez rigoureux pour une telle conduite ? Combien de gens font bâtir dans des endroits qu’ils n’ont pas même vus des édifices tout resplendissants de colonnes et de marbres précieux (que ne vont-ils pas imaginer !) Et ils n’en jouissent pas, ni eux, ni personne : car l’isolement les retient ; néanmoins ils continuent. Voyez-vous que l’amour du gain même n’est pour rien là dedans ? Tout cela a sa source dans la démence, la déraison, la vanité : fuyons ces vices, je vous en conjure, afin d’échapper aux autres maux, et d’obtenir les biens promis, à ceux qui l’aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur. HOMÉLIE III.
C’EST POURQUOI, MOI AUSSI, APPRENANT QUELLE EST VOTRE FOI DANS LE SEIGNEUR JÉSUS, ET VOTRE AMOUR POUR TOUS LES SAINTS, JE NE CESSE DE RENDRE GRÂCES POUR VOUS, FAISANT MÉMOIRE DE VOUS DANS MES PRIÈRES ; AFIN QUE LE DIEU DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, LE PÈRE DE LA GLOIRE, VOUS DONNE L’ESPRIT DE SAGESSE ET DE RÉVÉLATION, POUR LE CONNAÎTRE ; QU’IL ÉCLAIRE LES YEUX DE VOTRE CŒUR, POUR QUE VOUS SACHIEZ QUELLE EST L’ESPÉRANCE A LAQUELLE IL VOUS A APPELÉS, QUELLES SONT LES RICHESSES DE GLOIRE DE L’HÉRITAGE DESTINÉ AUX SAINTS ; ET QUELLE EST LA GRANDEUR SURÉMINENTE DE SA VERTU EN NOUS, QUI CROYONS, SELON L’OPÉRATION DE LA PUISSANCE DE SA VERTU, QU’IL A EXERCÉE DANS LE CHRIST, LE RESSUSCITANT D’ENTRE LES MORTS. – (I, 15, 20, JUSQU’À LA FIN DU CHAP) Analyse.
- 1 et 2. Le chef et le corps de l’Église. – Que l’assistance de l’Esprit-Saint nous est nécessaire pour croire les mystères.
- 3-5. De la sainte Communion. – Contre l’habitude de communier à jour fixe.
1. Il n’y a jamais rien eu de comparable au cœur des apôtres, rien de pareil à la charité, à la tendresse du bienheureux Paul qui priait pour des villes et des nations entières. C’est à tous qu’il s’adresse en disant : « Je rends grâces à Dieu pour vous, faisant mémoire de vous dans mes prières ». Songez combien de personnes il avait dans l’esprit, desquelles il était difficile même de se souvenir : de combien de personnes il faisait mention dans ses prières, rendant grâces pour toutes à Dieu, comme s’il était lui-même le principal obligé. « C’est pourquoi », dit-il : à savoir, à cause de l’avenir et des biens réservés à ceux qui ont la vraie foi et une bonne conduite. On doit sans doute remercier Dieu de tout ce qu’il a fait pour l’espèce humaine, et auparavant, et après ; mais on doit lui rendre grâces aussi pour la foi de ceux qui croient. « Apprenant quelle est votre foi par le Christ, et votre amour pour tous les saints ». Partout il associe et réunit la foi et la charité, couple merveilleux. Ce ne sont pas seulement les fidèles de la contrée qu’il a en vue, mais tous. « Je ne cesse de rendre grâces pour vous, faisant mémoire de vous dans mes prières ». Pourquoi pries-tu, que demandes-tu ? « Afin que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne l’esprit de sagesse et, de révélation ». Il prie pour qu’ils apprennent ce qu’ils doivent apprendre, pourquoi ils ont été appelés, et comment ils ont été affranchis de leur premier état. – Il compte trois choses auxquelles ils ont été appelés Pourquoi, trois ? La considération des choses futures nous le révélera. Les biens que Dieu nous réserve, nous feront connaître son ineffable et suprême richesse : en nous rappelant ce que nous étions et comment nous sommes arrivés à croire, nous nous convaincrons de la puissance du Dieu qui a pu convertir des hommes éloignés de lui depuis si longtemps : « Car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort « que les hommes ». (1Co 1, 25) Enfin par la même puissance avec laquelle il avait suscité le Christ, il nous a attirés à lui ; et ce pouvoir n’est point borné à la résurrection : il s’étend beaucoup plus loin. « Et il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux, au-dessus de toute principauté, de toute puissance, de toute vertu, de toute domination, et de tout nom qui est nommé. Et il a mis toutes choses sous ses pieds, et il l’a établi chef sur toute l’Église, qui est son corps, et le complément de celui qui se complète entièrement dans tous ses membres (21, 23) ». Voilà de grands mystères, de redoutables secrets auxquels nous sommes associés. Pour les connaître, il faut participer à l’Esprit-Saint, et jouir de grâces abondantes. Voilà pourquoi Saint Paul dit dans sa prière : « Le Père de la gloire » : c’est-à-dire, celui qui nous a donné de grands biens. Car partout il désigne Dieu par un nom approprié à la chose dont il parle, par exemple lorsqu’il dit : « Le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ». (2Co 1, 3) Le prophète dit de même : « Le Seigneur, ma force et mon appui ». (Psa 18,2-3) – « Le Père de la gloire ». Il ne peut représenter toutes ces choses par les noms qui leur conviennent, et partout il se sert du mot « Gloire », qui désigne chez nous toute espèce d’illustration. Voilà, dit-il, le Père de la gloire et le Dieu du Christ. Qu’est-ce à dire ? Le Fils est donc au-dessous de la gloire ? Personne, fût-il insensé, n’oserait le prétendre. « Qu’il vous donne », c’est-à-dire, qu’il élève votre pensée et lui donne des ailes. Car il n’y a pas d’autre moyen d’être instruit sur ce sujet. « L’homme animal ne reçoit pas les choses de l’esprit : car elles sont folie pour « lui ». (1Co 2,14) Il est donc besoin d’une sagesse spirituelle pour comprendre les choses spirituelles, pour voir les choses cachées : c’est l’Esprit qui révèle tout, qui peut divulguer les mystères de Dieu. L’Esprit seul possède la connaissance des mystères de Dieu, lui qui sonde ses plus profonds secrets ; ce n’est pas à un ange, à un archange, à aucune autre puissance créée, qu’il appartient de nous donner, de nous procurer cette grâce. Que si c’est le propre de la révélation, il est superflu de s’ingénier à trouver des raisonnements. Celui qui sait, qui connaît Dieu, n’aura plus de doute sur rien. Il ne dira pas : « telle chose est possible, et telle autre impossible ; ou encore : Comment cela s’est-il fait ? Si nous connaissons Dieu comme il faut le connaître ; si nous avons reçu la connaissance de celui qui peut nous la donner, de l’Esprit même, nous n’aurons plus de doutes sur aucun point. De là ces paroles : « Pour le connaître, qu’il éclaire les yeux de votre cœur ». Celui qui sait ce que c’est que Dieu n’aura plus de doute au sujet des promesses, plus d’incrédulité au sujet des choses accomplies. Paul prie que l’Esprit de sagesse et de révélation leur soit donné : d’ailleurs, il se sert autant qu’il est possible de la confirmation fournie par le raisonnement et par les faits accomplis. Ayant à parler et de choses passées et de choses à venir, il se sert des premières pour rendre croyables les autres. Par exemple : « Pour que vous sachiez », dit-il, « quelle est l’espérance à laquelle il vous a appelés ». C’est encore incertain, veut-il dire, mais non pour les fidèles. « Quelles sont les richesses de gloire de l’héritage destiné aux saints. » Ceci encore est, incertain. Mais qu’est-ce qui est donc certain ? Que nous avons cru qu’il a suscité le Christ par sa puissance : ressusciter un mort est moins étonnant que d’avoir mis cette persuasion dans les âmes. Et comment ? J’essaierai de vous le faire voir. Écoutez ! Le Christ dit au mort : Lazare, viens ici dehors ; et aussitôt il obéit. Pierre dit à Tabitha : Lève-toi, et elle ne résista pas. Dieu dira la même chose au jour suprême, et tous se réveilleront si précipitamment que les vivants ne devanceront pas les morts, que dans un instant, dans un clin d’œil, tout sera fait, tout sera réuni. 2. Mais pour ce qui est d’embrasser la foi, il n’en est pas de même. Que se passe-t-il donc ? Écoutez cette autre parole : « Combien de fois j’ai voulu réunir vos enfants, et vous ne l’avez pas voulu ! » (Luc 13,43) Voyez-vous que c’est plus difficile ? Il part donc de là pour établir le tout. C’est qu’il était bien plus difficile de persuader le libre arbitre par des raisons humaines, que de créer la nature. La raison, c’est qu’il veut lui-même que nous devenions bons ainsi et de notre plein gré. Paul dit justement : Quelle est la grandeur suréminente de sa vertu en nous, qui croyons. Lorsqu’eurent été employés en pure perte les prophètes, les anges et les archanges, toute la création, tant visible qu’invisible, la création visible exposée aux regards des hommes, sans avoir pu les gagner, la création invisible qui est si multiple, alors Dieu décida l’Incarnation, montrant par là que l’intervention divine était nécessaire. « Les richesses de gloire », c’est-à-dire, la gloire ineffable. Quel discours pourrait représenter la gloire à laquelle les saints participeront alors ? Personne. La grâce est vraiment nécessaire pour que l’intelligence la connaisse, ou en aperçoive du moins quelque rayon. Précédemment déjà, on en savait quelque chose ; mais Dieu voulait que cette connaissance fût plus complète et plus distincte. Voyez-vous tout ce qu’il a fait ? Il a ressuscité le Christ ; c’est peu. Voyez encore : Il l’a fait asseoir à sa droite. Quel discours peut représenter cela ? Celui qui était né de la terre, plus muet que le poisson ; qui avait été le jouet des démons, il l’élève aussitôt dans les cieux. En effet, la grandeur de sa puissance est suréminente. Et considérez où il l’a élevé ? Dans les cieux, au-dessus de toute nature créée, par-delà toute puissance et toute principauté. « Encore au-dessus de toute principauté ». Vraiment il est besoin de l’Esprit, il est besoin d’une pensée sage pour le connaître ; vraiment il est besoin d’une révélation. Songez quel intervalle il y a entre l’homme et la nature de Dieu : De cette bassesse il l’a fait monter à ces honneurs ; il ne s’est pas borné à lui faire franchir un, deux ou trois degrés. Mais quoi ! il ne dit pas seulement : « Au-dessus », mais : « Encore au-dessus ». Car Dieu est plus haut que les puissances d’en haut. C’est donc là qu’il a élevé celui qui sortait du milieu de nous. Du dernier degré, il l’a porté à la suprême puissance, après laquelle il n’y a plus de dignité. « De toute principauté », dit-il, non de telle ou telle, mais de toutes. « De toute principauté, de toute puissance, de toute vertu, de toute domination et de tout nom qui est nommé ». Tout ce qui est dans le ciel est au-dessous de lui. Ceci est dit de celui qui fut ressuscité d’entre les morts : ce qui doit exciter la surprise. Du Dieu Verbe, aucunement. Ce que sont les moucherons à l’égard des hommes, toute la création l’est à l’égard de Dieu. Et que dis-je, les moucherons ? Si tous les hommes seront comptés comme de la salive, s’ils ont été comptés comme le plus petit des poids qu’on met dans la balance, ce sont les puissances invisibles qu’il faut assimiler à des moucherons. Paul n’a donc pas parlé ainsi du Dieu Verbe, mais de celui qui est sorti d’entre nous : chose vraiment grande et merveilleuse. Il l’a pris au dernier étage de la terre pour l’élever. Si toutes les nations sont comme une goutte, quelle fraction de goutte sera donc un seul homme ? Néanmoins Dieu l’a élevé au-dessus de tous, non seulement dans ce siècle, mais encore dans le siècle futur. – Il y a donc des puissances qui portent des noms obscurs pour nous et inconnus. « Et il a mis toutes choses sous ses pieds ». Il ne l’a pas seulement mis plus haut, afin qu’il jouît de la prééminence ; il n’a pas procédé par comparaison, il a voulu qu’il les dominât comme le maître domine ses serviteurs. Ah ! Quelles choses redoutables ! Toute puissance créée est devenue servante de l’homme, à cause de l’incarnation du Dieu Verbe. On peut se figurer quelqu’un qui ait seulement des inférieurs, mais non des sujets. Ici il n’en est pas de même, tout a été mis sous ses pieds ; c’est-à-dire au plus bas degré au-dessous duquel il n’y a rien. « Sous ses pieds, et il l’a établi chef sur tout dans l’Église ». A quelle hauteur il porte maintenant l’Église ! Comme s’il la tirait au moyen d’une machine, il l’élève à la plus grande hauteur, et la fait asseoir sur ce trône sublime ; car où est le chef, là est aussi, le corps, puisque la tête et le corps sont immédiatement unis. « Sur tout ». Ou bien cela signifie que le Christ est au-dessus de toutes choses, visibles ou invisibles ; ou bien que par-dessus tous ses bienfaits il a donné son Fils pour chef. Ce n’est pas un ange, ce n’est pas un archange, ni une puissance plus élevée qu’il a envoyée ici-bas. – Et ce n’est pas seulement en élevant ce qui sortait d’entre nous qu’il nous a honorés ; c’est encore en faisant que toute l’espèce le suivît, s’attachât à lui, l’accompagnât : « Qui est son corps ». Afin qu’en entendant ce mot chef, vous ne songiez pas seulement à la primauté, mais encore à la solidité et à l’union ; afin que cette expression ne vous représente pas seulement un dominateur, mais encore la tête d’un corps, il parle ensuite du « Complément de celui qui se complète entièrement dans tous ses membres ». Comme si ce qui précède ne suffisait pas pour montrer le rapport et la parenté, que dit-il ? Que l’Église est le complément du Christ. En effet, le corps est le complément de la tête, et la tête le complément du corps. Voyez quel ordre exact suit Paul, et comment il n’épargne aucune parole pour exprimer la gloire de Dieu. « Complément », dit-il, complément pareil à celui que forme le corps par rapport à la tête. En effet, la réunion des membres forme le corps, et il n’en est pas qui ne lui soit nécessaire. Voyez comment il montre cette nécessité de tous les membres. Si nous n’étions pas nombreux, si l’un n’était pas la main, l’autre le pied, l’autre tel autre organe, le corps ne serait pas complet. Il faut donc que rien ne manque pour que son corps à lui, soit complet. La tête a son complément, le corps est parfait, lorsque nous sommes réunis et assemblés tous ensemble. 3. Voyez-vous les richesses de gloire de l’héritage ? Voyez-vous la grandeur suréminente de la vertu de Dieu envers ceux qui croient ? Voyez-vous l’espérance à laquelle vous êtes appelés ? Respectons notre chef, songeons de quel chef nous sommes le corps, chef auquel tout est soumis. D’après cela, il faut que nous soyons meilleurs que les anges, et plus grands que les archanges, puisque nous sommes plus élevés qu’eux tous en dignité. « Dieu n’a pas pris les anges, mais il a pris la race d’Abraham ». (Heb 2,16) Il n’a pris ni principauté, ni vertu, ni domination, ni aucune autre puissance : c’est notre nature qu’il a prise et qu’il a établie là-haut. Et que dis-je, établie ? Il en a fait son vêtement, et il ne s’en est pas tenu là, il a tout mis sous ses pieds. Combien voulez-vous mettre de morts ? Combien de vies ? mille, des milliers ? Vous n’arriverez pas au niveau. Il a fait les deux plus grandes choses qui se pussent faire ; il est descendu lui-même au dernier degré d’abaissement, et il a porté l’homme au comble de l’élévation. Paul a parlé en premier lieu de l’abaissement : il arrive maintenant à ce qui est plus sublime encore, au grand, au principal mystère. Cependant, quand bien même nous n’aurions rien reçu que le premier bienfait, il suffisait ; et si nous étions jugés dignes d’un tel honneur, du moins l’immolation n’était pas nécessaire. Quel langage, quelle hyperbole pourrait donc égaler ces deux bienfaits réunis ? C’est peu que la résurrection, quand je songe à cela. Ce n’est pas le Dieu Verbe qu’il a en vue lorsqu’il dit : Le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Respectons cette étroite parenté, craignons que quelqu’un ne vienne à être retranché de ce corps, que quelqu’un ne soit rejeté, que quelqu’un ne se montre indigne. Si l’on avait ceint notre front d’un diadème, d’une couronne d’or, est-ce que nous ne ferions pas tous nos efforts pour nous montrer dignes de notre vaine parure de pierres précieuses ? Mais ce n’est pas un diadème qui ceint aujourd’hui notre front : c’est Jésus qui est devenu notre tête, notre chef, ce qui est bien autre chose, et nous n’en tenons nul compte. Ce chef, les anges, les archanges et toutes les puissances d’en haut le vénèrent ; mais nous, qui sommes son corps, ni ce motif ni l’autre ne nous le font vénérer ? Et quel espoir de salut y aura-t-il pour nous ? Songez au trône royal, songez à cet excès d’honneur : il ne tient qu’à nous que cela ne soit pour nous un plus grand sujet d’effroi que l’enfer même. S’il n’y avait pas d’enfer, ne serait-ce pas un affreux supplice, un affreux châtiment, que d’être reconnus indignes par notre méchanceté de la glorieuse prérogative dont nous avons été honorés. Songe auprès de qui siège ton chef ; il n’en faut pas davantage : songe à la droite de qui il est assis. Eh quoi ! le chef plane au-dessus de toutes les principautés, les puissances et les vertus ; et le corps est foulé aux pieds par les démons ! À Dieu ne plaise ! Si cela arrivait, ce ne serait plus le corps désormais. Devant ton chef tremblent les serviteurs glorieux, et tu mets le corps sous les pieds de ceux qui ont offensé le maître ! Quel châtiment n’encours-tu point par là ? Si quelqu’un mettait des fers et des entraves aux pieds d’un roi, ne s’exposerait-il pas au dernier supplice ? Toi, tu jettes le corps tout entier aux bêtes féroces, et tu ne trembles pas ? Mais puisqu’il est question du corps du Seigneur, parlons aussi de celui qui fut mis en croix, cloué, de la victime du sacrifice. Si tu es corps du Christ, porte la croix, car il l’a portée ; supporte les crachats, supporte les soufflets, supporte les clous ! Tel était ce corps. Ce corps était sans péché. « Il ne fit pas de péché », est-il écrit, « et la ruse ne fut pas trouvée dans sa bouche ». (Isa 53,9) Ses mains faisaient tout pour obliger ceux qui avaient besoin ; sa bouche ne proféra jamais aucune parole déplacée. On lui dit : « Tu as un démon » (Jn 7,28) ; et il ne répondit rien. Puisque nous parlons du corps, nous qui participons au corps, nous qui goûtons à ce sang, songeons que nous participons, que nous goûtons à celui qui ne diffère en rien de celui-là, à celui qui siège là-haut, qui est adoré par les anges, qui est auprès de l’incorruptible Vertu. Hélas ! que de routes nous sont ouvertes pour le salut ! Il a fait de nous son corps, il nous a communiqué son corps, et rien de tout cela ne nous détourne du mal ! O ténèbres et abîme ! ô stupidité ! « Songez », est-il écrit, « aux choses du ciel, où est le Christ assis à la droite de Dieu ». (Col 3,1-2) Et après cela on trouve encore des hommes qui songent à l’argent, d’autres qui se laissent séduire par les passions ! 4. Ne voyez-vous pas que dans notre corps aussi, tout ce qui est inutile et hors de service est coupé, retranché ; avoir fait partie du corps, cela ne sert de rien au membre perclus, paralysé, gangrené, dont le mal peut se communiquer aux autres. Ne nous rassurons donc point par cette pensée que nous faisons partie du corps une fois pour toutes. Si un corps formé par la nature n’en est pas moins amputé, quelle terrible opération ne subira pas le corps formé par le libre arbitre, s’il ne reste pas en santé ? Le corps, ouvrage de la nature, est paralysé quand il ne participe plus à la nourriture matérielle, quand les pores en sont obstrués ; il est perclus, quand les vaisseaux ne font plus leur office. De même quand nous nous bouchons les oreilles, notre âme devient percluse ; quand nous cessons de participer à la nourriture spirituelle, quand certains vices attaquent notre tempérament à la manière d’humeurs corrompues, toutes ces causes engendrent la maladie funeste, une maladie qui produit la gangrène : désormais, le fer, le feu seront nécessaires, car le Christ ne consent pas à entrer dans la chambre nuptiale avec un corps pareil. Il a renvoyé, chassé celui qui était revêtu d’habits sordides, que ne fera-t-il pas a l’homme qui a souillé son corps ? Quel traitement ne lui infligera-t-il pas ? Je vois beaucoup de personnes, qui participent étourdiment et sans réflexion au corps du Christ, plutôt par habitude et pour obéir à la loi, que par raison et par réflexion. Voient-elles arriver le temps du saint Carême ou celui de l’Épiphanie, en quelque état qu’elles se trouvent, elles prennent part aux sacrements. Cependant ce n’est pas l’époque de l’année qui fait, en cela, l’opportunité ; car ni l’Épiphanie, ni le Carême ne rendent digne d’approcher des sacrements, mais seulement la pureté parfaite de l’âme. Quand vous l’avez, approchez-en toujours ; jamais, quand elle vous manque. Car il est écrit : « Toutes les fois que vous faites cela, vous annoncez la mort du Seigneur » (1Co 11,26) ; c’est-à-dire, vous faites une commémoration de votre salut, de mon bienfait. Songez à la prudence dont usaient ceux qui prenaient part à l’ancien sacrifice. Que ne faisaient-ils pas ? Ils ne manquaient jamais de se purifier. Mais vous, pour approcher du sacrifice devant lequel tremblent les anges mêmes, vous obéissez au cours du temps ? Et comment vous présenterez-vous au tribunal du Christ, vous qui avec des mains et des lèvres souillées, osez profaner son corps ? Vous n’oseriez pas embrasser un roi, si vous aviez la bouche puante ; et vous osez embrasser le roi du ciel avec une âme puante ! Quel excès d’insolence ! Dites-moi : Voudriez-vous approcher du sacrifice avec des mains sales ? Je ne le pense pas : vous aimeriez mieux vous abstenir que d’en approcher en cet état. Eh bien ! vous qui êtes circonspect à ce point dans les petites choses, vous en approchez, vous osez y toucher avec une âme souillée ? Cependant la victime ne séjourne qu’un moment entre vos mains, et elle se résout tout entière dans votre âme. Voyez-vous ces vases si bien lavés, si brillants ? eh bien ! il faut que nos âmes soient encore plus pures, encore plus immaculées et plus brillantes. Pourquoi ? Parce que c’est en vue de nous qu’on nettoie ainsi ces vases. Ils ne participent pas, eux, à leur contenu, ils ne le sentent pas ; nous, c’est autre chose. Or, vous ne voudriez pas vous servir d’un vase malpropre, et vous apportez vous-même une âme malpropre : je vois là une singulière disparate. Aux autres époques, même quand vous êtes purs, vous n’approchez pas des sacrements, et à Pâques, fussiez-vous chargés d’un crime, vous vous en approchez ? O habitude ! ô préjugé ! en vain le sacrifice est quotidien, en vain nous nous tenons auprès de l’autel, personne ne prend place au banquet. Si je parle ainsi, ce n’est pas pour que vous communiiez à la légère, mais pour que vous vous mettiez en état. Vous n’êtes pas digne du sacrifice de la communion ? Alors vous n’êtes pas digne non plus de la prière. Vous entendez le héraut qui se tient debout et dit : « Vous tous, qui êtes en pénitence, retirez-vous ». Tous ceux qui ne communient pas sont en pénitence. Si vous êtes au nombre de ceux qui sont en pénitence, vous ne devez pas communier : car celui qui ne communie pas est au nombre de ceux qui sont en pénitence. Pourquoi donc dit-il : « Retirez-vous, vous qui ne pouvez pas prier », et vous, restez-vous effrontément en place ? Mais vous n’êtes pas de ce nombre ; vous êtes de ceux qui peuvent communier, et vous ne vous en inquiétez pas ? Vous regardez cela comme rien ? 5. Songez-y, je vous en prie ; voilà un banquet royal : les anges le desservent, le monarque même y assiste, et vous restez là bouche béante ? Vos vêtements sont souillés, et vous ne vous en inquiétez pas ? – Mais non : ils sont propres ? Mettez-vous donc à table, et communiez. Il vient chaque jour visiter les convives, il parle à tous ; il dira donc à votre conscience : Amis, comment êtes-vous ici sans habit de noce ? Il ne dit pas : Pourquoi avez-vous pris place à la table ? C’est avant l’installation, avant l’entrée qu’il déclare qu’on est indigne. En effet, il ne dit pas : Pourquoi avez-vous pris place ? mais bien : Pourquoi êtes-vous entré ? Voilà ce qu’il dit maintenant même à nous tous qui nous tenons ici debout, sans pudeur et sans honte. En effet, quiconque ne participe pas aux sacrements, celui-là est un impudent, un effronté. Voilà, pourquoi on commence par exclure ceux qui sont en état de péché. Ainsi que, lorsque le maître prend place à table, il ne faut pas que les serviteurs qui l’ont offensé soient présents, et que l’on a soin de les écarter : de même ici, quand on offre le sacrifice, et que la victime est le Christ, l’Agneau du Seigneur, en entendant ces mots : « Prions tous en commun », en voyant les vestibules s’ouvrir, vous devez croire que le ciel s’ouvre, et que les anges descendent de là-haut. Si donc aucune des personnes étrangères à nos mystères ne doit rester dans l’assistance, il en est de même des initiés qui sont souillés. Dites-moi : supposez qu’une personne invitée à un festin se lave les mains, s’attable, soit toute prête à goûter aux mets, et que néanmoins elle n’y touche pas, ne sera-ce pas faire injure à celui qui l’a invitée ? ne vaudrait-il pas mieux n’être pas venu ? De même pour vous : vous êtes présent, vous avez chanté l’hymne : vous vous êtes mis au nombre de ceux qui sont dignes en ne vous retirant pas avec les indignes ; comment êtes-vous resté, si vous ne prenez point part au banquet ? Je suis indigne, dites-vous… Vous êtes donc indigne aussi de la communion des prières. En effet, ce n’est pas seulement le sacrifice, ce sont encore les cantiques qui font descendre de toutes parts le Saint-Esprit. Ne voyez-vous pas que nos serviteurs lavent la table avec une éponge, et nettoient la maison avant de mettre la table ? Cela se fait par les prières, par la voix du diacre. Nous lavons l’église comme avec une éponge, afin qu’elle soit pure pour l’offrande, qu’il n’y ait ni tache ni souillure… Les yeux mêmes des indignes, leurs oreilles sont ici de trop. « Si une bête touche la montagne, elle sera lapidée ». (Exo 19,13) Ainsi les Juifs n’étaient pas même dignes de monter sur la montagne : du reste, ils s’approuvèrent ensuite, et virent la place où avait été Dieu. Eh bien ! quand tout sera fini, vous pourrez vous approcher et regarder : mais tant que Dieu est là, retirez-vous : cela ne vous est pas plus permis qu’au catéchumène. Car il n’y a pas égalité entre celui qui n’a jamais touché aux sacrements, et celui qui, après les avoir reçus, les brave par des offenses, et se rend indigne de son privilège. Je pourrais ajouter d’autres considérations encore plus effrayantes : mais de crainte de charger votre mémoire, j’en reste là : ceux qui ne seront point corrigés par ce que j’ai dit, ne le seraient point par de plus longs développements. Si donc nous ne voulons pas rendre notre jugement plus rigoureux, je vous supplie, non de vous présenter, mais de vous rendre dignes du lieu où vous êtes et du sacrement. Dites-moi : si un roi vous donnait cet ordre impérieux : Si quelqu’un fait telle chose, qu’il ne paraisse pas à ma table ; est-ce que vous ne feriez pas tous vos efforts pour être admis ? Eh bien ! nous sommes conviés au ciel, à la table du grand, du sublime monarque, et nous hésitons, et nous tergiversons, et nous ne nous hâtons point d’accourir ? Et quel espoir de salut nous reste-t-il ? Nous ne pouvons alléguer notre faiblesse, nous ne pouvons mettre en cause la nature : la négligence, voilà le seul principe de notre indignité. Nous avons dit ce que nous avions à vous dire. Que celui qui produit la componction dans les cœurs, qui donne l’esprit de componction, produise un pareil effet dans vos âmes et y enfouisse profondément sa semence, afin que vous conceviez de sa crainte, que vous enfantiez un esprit de salut, et que vous approchiez avec confiance. « Tes fils », est-il écrit, « sont comme de jeunes pousses d’olivier autour de ta table ». (Psa 128,3) Ainsi donc, point de vieilles pensées ; rien de farouche, d’aigre, de sauvage. Car telles sont les jeunes pousses propres à donner du fruit, ce fruit merveilleux de l’olivier ; assez fortes pour que tous soient autour de la table, et ne se réunissent pas ici étourdiment ni à la légère, mais avec crainte et tremblement. Ainsi vous verrez là-haut le Christ lui-même avec confiance, et vous serez jugés dignes du royaume céleste, auquel puissions-nous tous parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.