Ephesians 2
HOMÉLIE IV.
ET VOUS, LORSQUE VOUS ÉTIEZ MORTS PAR VOS OFFENSES ET PAR VOS PÉCHÉS, DANS LESQUELS AUTREFOIS VOUS AVEZ MARCHÉ, SELON LA COUTUME DE CE MONDE, SELON LE PRINCE DES PUISSANCES DE L’AIR, DE L’ESPRIT QUI AGIT EFFICACEMENT A CETTE HEURE SUR LES FILS DE LA DÉFIANCE, PARMI LESQUELS NOUS TOUS AUSSI NOUS AVONS VÉCU, SELON NOS DÉSIRS CHARNELS, FAISANT LA VOLONTÉ DE LA CHAIR ET DE NOS PENSÉES ; ET NOUS ÉTIONS PAR NATURE ENFANTS DE COLÈRE COMME TOUS LES AUTRES. (II, 1-3 JUSQU’À 10) Analyse.
- 1. La foi et les œuvres.
- 2. Degrés dans les châtiments de l’autre vie.
- 3. Que l’idée de la bonté divine ne doit pas rassurer les pécheurs.
- 4. Que toute consolation sera bannie de l’enfer.
1. Il y a une mort corporelle : il y a aussi une mort de l’âme. La première ne nous met point en faute, ni en danger : car elle est le fait de la nature, non de la volonté. Elle résulte de la transgression du premier homme : après quoi elle a passé dans notre nature. D’ailleurs elle ne doit avoir qu’une courte durée. Quant à la mort spirituelle qui procède de la volonté, elle nous est imputable et n’aura point de fin. Considérez donc comment Paul qui a déjà établi cette vérité sublime, que ressusciter les morts est une moins grande tâche que de guérir la mort de l’âme, comment Paul, dis-je, y revient ici, comme sur une grande chose : « Et vous, lorsque vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels autrefois vous avez marché selon la coutume de ce monde, selon le prince des puissances de l’air, de l’Esprit qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance ». Voyez-vous la douceur de Paul, et comment partout il console son auditeur, et évite de l’accabler ? Après avoir dit : Vous êtes arrivé au dernier degré de perversité (car c’est ce que veut dire « Être morts ») : craignant de les trop accabler (car les hommes éprouvent de la honte à voir étaler leurs anciennes fautes, même effacées et sans danger désormais), il leur attribue un complice, afin que tout ne parût pas être leur ouvrage, et un puissant complice. Lequel donc ? le diable. Il se comporte de même encore dans l’épître aux Corinthiens. (1Co 6,9 et suiv) Car après avoir dit : « Ne vous laissez pas égarer : ni fornicateurs ni idolâtres », (et le reste), n’entreront dans le royaume des cieux, il ajoute : C’est environ ce que vous étiez. Il ne dit pas seulement : « Vous étiez », mais : « Vous étiez environ », c’est-à-dire, à peu près ▼▼Ce texte est généralement interprété d’une manière un peu différente.
. Ici les hérétiques nous pressent : ils prétendent qu’il est ici question de Dieu, et dans l’intempérance effrénée de leur langage, ils appliquent à Dieu des expressions qui ne désignent que le diable. Comment leur fermer la bouche ? Au moyen du texte même : Si Dieu est juste, comme vous le reconnaissez vous-même, et qu’il ait fait cela, ce n’est plus le fait d’un être juste, mais d’un être injuste et méchant : or Dieu ne saurait jamais être méchant. Pourquoi donc appeler le diable prince de ce siècle ? Parce que presque toute la nature humaine s’est donnée à lui, et que tous le servent librement et volontairement. Le Christ qui promet des biens innombrables n’obtient nulle attention. Le diable ne promet rien de pareil, il nous pousse en enfer : et tous lui cèdent. Son empire est sur ce siècle, il compte plus de sujets que Dieu, et bien plus dociles, sauf un petit nombre, par un effet de notre relâchement : « Selon la puissance de l’esprit de l’air ». C’est-à-dire qu’il habite sous le ciel quant aux esprits de l’air, ce sont les puissances incorporelles qui dépendent de lui. Maintenant, pour vous faire entendre que sa domination est une domination du siècle, c’est-à-dire bornée à la durée du siècle présent, voici ce que Paul dit à la fin de l’épître : « Nous n’avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce siècle de ténèbres ». (VI, 12) Pour que cette expression : « Dominateur du monde » ne vous fasse pas croire que le diable est incréé, il ajoute : « De ce siècle de ténèbres ». Et ailleurs par « Siècle mauvais » (Gal 2,4), il désigne un temps bouleversé, sans parler des créatures. Car il me paraît que devenu prince sous le ciel, il n’est pas déchu de son pouvoir même après la transgression. « Qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance ». Voyez-vous que le démon ne se sert point de la violence ni de la tyrannie, mais de la persuasion pour nous gagner. Ce mot « Défiance » est employé ici pour faire entendre que la séduction et la persuasion sont mises seules en usage. Et Paul ne console pas seulement les fidèles en leur donnant un complice, mais encore en se rangeant lui-même parmi eux : « Parmi lesquels nous tous aussi nous avons vécu ». – « Tous » : on ne peut dire que quelqu’un fût excepté. « Selon nos désirs charnels, faisant la volonté de la chair et de nos pensées ; et nous étions par nature enfants de colère comme tous les autres », c’est-à-dire : « N’ayant aucune pensée spirituelle ». Mais pour que l’on ne soupçonne pas, qu’il s’exprime ainsi pour attaquer la chair et qu’on ne voie là une grande faute,voyez comme il se met sur ses gardes : « Faisant la volonté de la chair et de nos pensées » : il désigne par là les affections de la volupté. Nous avons irrité Dieu, dit-il, nous l’avons mis en colère ; en d’autres termes Nous étions colère et rien autre chose. Car de même que l’enfant d’un homme est homme de sa nature, de même nous aussi ; nous étions enfants de colère comme les autres. C’est-à-dire : Personne n’était libre, nous nous conduisions tous de manière à mériter la colère. « Mais Dieu qui est riche en miséricorde (4) ». Il ne dit pas seulement : « Miséricordieux » mais : « Riche en miséricorde ». Comme il dit ailleurs : « Dans l’abondance de votre miséricorde », et encore : « Ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde ». (Psa 69,1.7, et 50, 1) – « Par le grand amour dont il nous a aimés ». Il montre l’origine de cet amour. Car ce n’est pas l’amour que nous méritions, mais la colère et le dernier châtiment… C’est donc l’effet d’une miséricorde infinie. « Et lorsque nous étions morts par les péchés, il nous a vivifiés dans le Christ (5) ». Encore la médiation du Christ, et la chose est digne de foi. En effet, si nos prémices vivent, nous vivons aussi : il a vivifié et lui et nous. 2. Voyez-vous que tout cela est dit de Jésus-Christ comme homme ? Voyez-vous la grandeur suréminente de sa vertu en nous qui croyons ? Les morts, les fils de colère, il les a vivifiés. Voyez-vous l’espérance à laquelle nous sommes appelés ? « Il nous a ressuscités et fait asseoir avec lui (6) ». Voyez-vous la gloire de l’héritage ? Oui, dira-t-on : « Il nous a ressuscités » c’est clair ; mais ceci : « Il nous a fait asseoir avec lui dans les cieux en Jésus-Christ », comment l’établir ? Comme : « Il nous a ressuscités ». Car personne n’est encore ressuscité, sinon que par la résurrection du chef, nous aussi sommes ressuscités : ainsi que Jacob ayant adoré, sa femme par là même aussi adora Joseph. C’est de la même manière que nous sommes assis : car le corps est assis lorsque la tête est assise. Voilà pourquoi Paul ajoute : En Jésus-Christ. Ou si ce n’est pas cela, s’il nous a ressuscités par le baptême, comment donc nous a-t-il fait asseoir ? C’est que « Si nous partageons les souffrances du Christ, nous partagerons aussi sa royauté ». (2Ti 2,12) Si nous mourons, nous partagerons la vie. Il est vraiment besoin de l’Esprit et de la révélation pour sonder la profondeur de ces mystères. Ensuite pour vous convaincre, il ajoute : « Pour manifester dans les siècles à venir les richesses abondantes de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus (7) ». Car après avoir dit ce qui concerne le Christ, comme on pouvait demander : En quoi cela nous concerne-t-il, que le Christ soit ressuscité ? il montre que cela nous concerne, en effet, puisque le Christ est uni à nous : outre qu’il fait voir ce qui nous touche en particulier, lorsqu’il dit : « Lorsque nous étions morts par nos offenses il nous a ressuscités et fait asseoir avec lui ». Ainsi donc, comme je le disais, ne conservez plus de doute, puisque vous avez pour preuves et les choses précédentes, et le chef, et la volonté que Dieu a eue de faire éclater sa bonté. En effet, comment la montrera-t-il, si cela ne se réalise point ? Et il fera voir dans les âges futurs, quoi ? que c’étaient de grands biens, et les plus sûrs de tous. Car maintenant les incrédules considèrent ce qu’on leur en dit comme des sottises : mais alors tous seront instruits. Voulez-vous savoir encore comment il nous a fait asseoir avec lui ? Écoutez le Christ qui dit à ses disciples : « Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël » ; et encore : « Mais d’être assis à ma droite et à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous l’accorder à vous, mais à ceux à qui mon Père l’a préparé ». (Mat 19,28 ; 20, 23) C’est donc préparé. Et Paul dit bien : « Par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus ». En effet, être assis à droite, est le signe d’une dignité qui surpasse toutes les autres, et au-dessus de laquelle il n’y a rien. Il dit donc que nous serons assis nous-mêmes. C’est vraiment une richesse suréminente, une suréminente grandeur de vertu, que de nous faire asseoir avec le Christ. Quand vous auriez des milliers de vies, ne les sacrifieriez-vous pas pour cela ? S’il fallait entrer dans le feu, ne devriez-vous pas y courir ? Jésus lui-même dit encore : « Je veux, partout où je serai, que mes serviteurs y soient également ». (Jn 12,26) Quand on devrait se frapper la poitrine chaque jour pour obtenir un pareil bonheur, ne faudrait-il, pas se hâter d’accepter ? Songez où il nous a fait asseoir : « Au-dessus de toute principauté et de toute puissance ». Et à côté de qui ? À côté du Maître. Qui es-tu donc ? Un mort, de sa nature enfant de colère. Et pour quelle bonne œuvre ? Aucune. En vérité, voici bien le moment de s’écrier : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! » (Rom 11,33) « Car c’est la grâce qui vous a sauvés (8) ». De peur que la grandeur des bienfaits ne vous enfle le cœur, voyez comme il vous rabaisse : « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi ». Ensuite, de peur de porter atteinte au libre arbitre, il fait mention de ce qui nous appartient. Mais aussitôt il revient sur ses pas et dit : « Et cela ne vient pas de vous ». Pas même la foi ne vient de nous : car si Dieu n’était pas venu, s’il ne nous avait pas appelés, comment aurions-nous pu croire ? « Comment croiront-ils, s’ils n’entendent pas ? » (Rom 10,14) De sorte que notre foi même ne vient pas de nous. « C’est un don de Dieu : ni des œuvres (9) ». Est-ce que la foi suffirait pour sauver ? – Afin de ne sauver ni les vaniteux, ni les nonchalants, Dieu a requis une foi agissante. Il dit que la foi sauve, mais par Dieu ; car si la foi a sauvé, c’est que Dieu a voulu. En effet, comment, dites-moi, la foi sauverait-elle sans les œuvres ? Cela même est un don de Dieu, « Afin que nul ne se glorifie », afin de nous inspirer de la reconnaissance au sujet de la grâce. Quoi donc ! dira-t-on, est-ce que Dieu a prohibé la justification par les œuvres ? Nullement : mais Paul dit : « Personne n’a été justifié par ses œuvres », afin de montrer la grâce et la bonté de Dieu. Dieu n’a pas repoussé ceux qui ont les œuvres ; mais il a sauvé par la grâce ceux qui étaient abandonnés des œuvres, afin que personne ne pût plus se glorifier. 3. Ensuite, de peur qu’en entendant dire que tout est l’effet de la foi et non des œuvres, vous ne vous abandonniez à la nonchalance, voyez ce qu’il ajoute : « Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions (10) ». Entendez bien ces paroles : il fait allusion ici à la régénération. En réalité, c’est une création nouvelle qui nous a fait passer du néant à l’être. Nous sommes morts à ce que nous étions autrefois, je veux dire au vieil homme : ce que nous n’étions pas, nous le sommes devenus. C’est donc une création, et une création plus précieuse que l’autre : car à la première, nous devons de vivre ; à la seconde, de bien vivre : « Pour les bonnes œuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions ». Non afin que nous commencions, mais afin que nous y marchions : car nous avons besoin d’une vertu constante et soutenue jusqu’à notre fin. S’il nous fallait suivre une route conduisant à une capitale, et si, après avoir fait la plus grande partie du chemin, nous nous arrêtions lassés, au moment de toucher au but, il ne nous servirait de rien de nous être mis en marche : de même l’espérance à laquelle nous sommes appelés resterait inutile à ceux qui la possèdent, si nous ne marchions pas comme l’exige la dignité de celui qui nous a appelés. Ainsi donc, appelés pour les bonnes œuvres, remplissons notre tâche avec persévérance. Car si nous avons été appelés, ce n’est pas pour en faire une, mais pour les faire toutes. De même qu’il y a en nous cinq sens, et que nous devons les employer tous à propos, nous devons agir de même à l’égard des vertus. Être chaste et sans charité, être charitable et injuste, s’abstenir du bien d’autrui, mais ne pas faire l’aumône avec le sien, tout cela est inutile. Il ne suffit pas d’une seule vertu pour nous faire comparaître avec confiance au tribunal du Christ : il en faut beaucoup et de toute espèce, il nous les faut toutes. Écoutez le Christ disant à ses disciples : « Allez et instruisez toutes les nations ; enseignez-leur à garder tous mes commandements » ; et encore : « Celui qui violera l’un de ces moindres commandements, sera appelé très petit dans le royaume des cieux » (Mat 28,19 et Mat 5, 19) ; c’est-à-dire, à la résurrection : Car cet homme-là n’entrera pas dans le royaume : l’Évangile appelle souvent royaume le temps même de la résurrection : «, Celui qui en violera un sera appelé très petit »… Nous sommes donc tenus de les observer tous. Et voyez comment, sans l’aumône, il est impossible d’entrer dans le royaume : Comment, ne nous manquât-il que ce seul titre, nous irons au feu : « Allez-vous-en, maudits », est-il écrit, « au feu éternel préparé pour le diable et ses anges ». Pourquoi, pour quelle raison ? Parce que j’ai eu faim, et que vous ne m’avez pas donné à manger : parce que j’ai eu soif et que vous ne m’avez pas donné à boire (Mat 25,41) Voyez-vous comment ce seul grief cause leur perte ? Pour cette seule raison les vierges furent chassées de la chambre nuptiale, quoiqu’elles possédassent la chasteté ; mais comme l’appui de l’aumône leur faisait défaut, elles n’entrèrent pas avec l’époux : « Recherchez la paix avec tous, et la sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur ». (Heb 12,14) Songez donc que si, sans la chasteté, il est impossible de voir le Seigneur, ce n’est pas à dire qu’avec la chasteté on doive nécessairement le voir : car souvent il y a un autre empêchement. Quand nous ferions toutes les autres bonnes œuvres, si nous n’aidons pas le prochain, nous n’entrerons pas pour cela dans le royaume. Qu’est-ce qui le prouve ? L’exemple des serviteurs auxquels avaient été confiés les talents. Un homme dont la vertu était sans reproche, à qui il ne manquait rien d’ailleurs, fut rejeté justement, parce qu’il avait montré de la mollesse à faire fructifier l’argent. Pour une simple injure on peut tomber dans l’enfer : Celui qui dit à son frère : « Fou » sera soumis à la géhenne du feu… Eût-on toutes les vertus, si l’on est porté à l’injure, on n’entrera pas dans le royaume. Et qu’on n’aille pas accuser Dieu de cruauté parce qu’il en exclut ceux qui sont tombés dans cette faute : Parmi les hommes mêmes, l’homme qui a commis la plus légère prévarication, enfreint une seule des lois, est banni des regards du monarque. Celui qui a porté une accusation calomnieuse, perd sa charge ; celui qui a été surpris en adultère, devient indigne ; il périt, quelles qu’aient pu être ses bonnes œuvres ; s’il a commis un meurtre et qu’il soit dénoncé, cela suffit pour le perdre. Que si les lois des hommes sont protégées avec tant de sollicitude, à combien plus forte raison celles de Dieu ! Mais il est bon, direz-vous. Jusques à quand proférerons-nous cet absurde propos ? Je dis absurde, non que Dieu ne soit pas bon, mais parce que nous croyons que sa bonté peut nous être en cela utile a quelque chose, malgré tout ce que nous avons pu dire à mille reprises sur ce sujet. Écoutez ces mots de l’Écriture : « Ne dites pas : Son infinie miséricorde pardonnera la multitude de mes péchés ». (Sir 5,6) Il ne nous est pas défendu de dire : « Sa miséricorde est infinie » : à Dieu ne plaise ! Ce n’est pas cela qui nous est recommandé, bien au contraire : nous devons le dire et le répéter sans cesse, et Paul fait tous ses efforts pour cela. L’Écriture a en vue ce qui sait : Ne vous confiez pas, dit-elle, à la bonté de Dieu pour pécher, et pour dire : « Sa miséricorde pardonnera la multitude de mes péchés ». 4. En effet, si nous vous entretenons si souvent nous-mêmes de la bonté divine, ce n’est pas pour que nous y comptions au point de tout nous permettre, car alors cette bonté deviendrait le fléau de notre salut, c’est pour que nous ne désespérions pas dans nos péchés, et que nous fassions pénitence. C’est au repentir que vous pousse la bonté de Dieu, et non à des fautes nouvelles. Si la bonté divine vous déprave, vous ne faites que la compromettre aux yeux des hommes : tant on rencontre de gens qui accusent la longanimité de Dieu. Vous serez donc punis, si vous en usez autrement qu’il ne faut. Dieu est bon ? Oui, mais il est équitable dans ses jugements. Il pardonne les péchés ? Oui, mais il rend à chacun selon ses œuvres. Il passe par-dessus les iniquités, il efface les fautes ? Oui, mais il les compte. Mais n’y a-t-il pas contradiction ? Non, seulement il s’agit de distinguer les temps. Dieu efface les iniquités ici-bas par le baptême et la pénitence, il pèse là-haut nos actions avec le feu et les tortures. Mais, dira-t-on, si peu de péchés, si un seul suffit pour me faire rejeter et exclure du royaume, pourquoi ne pas m’abandonner à tous les vices ? C’est le langage d’un serviteur ingrat : néanmoins nous ne le laisserons point sans réponse. Ne faites pas le mal, dans votre propre intérêt : car si nous devons être tous également exclus du royaume, nous ne serons pas tous également punis dans la géhenne ; il y aura des degrés dans le châtiment. Si vous et lui, vous avez bravé l’un et l’autre les commandements, vous serez exclus pareillement du royaume à quelque degré que vous vous soyez rendus coupables : mais si votre témérité n’a pas été égale, si elle a été plus grande chez l’un, moindre chez l’autre, cette différence se retrouvera dans les tourments de la géhenne. Pourquoi donc, dira-t-on, ceux qui ne font pas l’aumône sont-ils menacés de s’en aller dans le feu, et non seulement dans le feu, mais dans le feu préparé pour le diable et pour ses anges ? Pourquoi, pour quelle raison ? Parce que rien n’irrite Dieu, comme l’injustice commise envers des amis. En effet, s’il faut aimer ses ennemis, celui qui se détourne même de ceux qui l’aiment, et qui en cela se montre pire que les païens eux-mêmes, quel châtiment ne méritera-t-il point ? De sorte que c’est justement qu’un péché pareil envoie son auteur rejoindre le diable. Car il est écrit : Malheur à qui ne fait pas l’aumône ! S’il en était ainsi au temps de l’ancienne loi, à plus forte raison en est-il de même dans celui du Nouveau Testament. Si à une époque où il était permis de posséder de l’argent, d’en jouir, d’y veiller, la Providence tenait tellement à ce que les pauvres fussent assistés, à combien plus forte raison doit-il en être ainsi, depuis qu’il nous est ordonné de renoncer à tout ! Que ne faisait-on point alors ! On payait des dîmes, et de doubles dîmes : on venait en aide aux orphelins, aux veuves, aux étrangers… Et l’on vient me dire avec admiration : Un tel donne la dîme. N’est-ce pas un grand sujet de honte que ce qui n’excitait point d’admiration chez les Juifs, en cause, quand il s’agit de chrétiens ? S’il y avait danger alors à ne pas acquitter la dîme, songez quel doit être aujourd’hui le péril. L’ivrognerie également, est exclue du royaume. Mais quel est le langage de la multitude ? Eh bien ! dit-on, si un tel a le même sort que moi, ce ne sera pas pour moi une faible consolation. Que répondre à cela ? D’abord que votre châtiment ne sera pas le même, à tous deux et que d’ailleurs, il n’y a pas là de consolation. C’est une consolation que de souffrir en compagnie, quand les épreuves sont modérées : mais quand elles sont extrêmes et nous mettent hors de nous, la douleur ne nous permet plus de goûter cette consolation. Dites à celui qu’on torture et qu’on a fait monter sur le bûcher : Un tel endure le même supplice : cette consolation le trouvera insensible. Est-ce que tous les Israélites n’ont pas péri en même temps ? En quoi s’en trouvèrent-ils consolés ? et au contraire, ne fut-ce point pour eux un surcroît de douleur ? Aussi disaient-ils : Nous sommes perdus, exterminés, anéantis. Où voyez-vous une consolation ? C’est en vain que nous recourons pour nous consoler à ces suppositions. Il n’y a qu’une consolation : C’est de ne pas tomber au feu inextinguible : une fois qu’on y est, plus de consolation : partout les grincements de dents, les pleurs, le ver qui ne meurt point, le feu inextinguible. Sentirez-vous, je vous le demande, aucun soulagement, au milieu d’une telle détresse et de pareilles angoisses ? Ah ! vous aurez sans doute alors tout votre sang-froid ! Je vous en prie et vous en conjure, ne nous faisons point à nous-mêmes ces illusions, ne nous consolons point par de tels discours, mais faisons les choses qui peuvent nous sauver. Il vous est offert d’aller vous asseoir auprès du Christ, et voilà de quoi vous vous occupez ! Quand bien même vous n’auriez pas commis d’autre péché, à quel châtiment ne vous exposeriez-vous pas en proférant de telles paroles, en vous montrant nonchalants, insensés et négligents, au point de tenir ce langage quand une récompense pareille vous est proposée ? Oh ! quels ne seront pas vos gémissements, quand vous entendrez alors appeler au royaume et aux honneurs ceux qui auront fait le bien ! quand vous verrez d’anciens esclaves, des hommes de basse naissance, appelés à partager éternellement le trône royal, pour prix de quelques épreuves endurées ici-bas ! Ce spectacle ne sera-t-il pas pour vous pire que le supplice ? Si dans ce monde l’élévation de certains hommes vous semble plus douloureux que le plus cruel châtiment, bien que vous n’ayez rien à souffrir, si ce spectacle suffit pour vous torturer, vous arracher des gémissements et des larmes, et vous faire trouver mille morts douces en comparaison, quelle ne sera pas alors votre souffrance ? S’il n’y avait pas d’enfer, l’idée même du royaume ne serait-elle pas suffisante pour faire votre supplice ? Et qu’il en sera ainsi, c’est ce que l’expérience nous révèle assez. Cessons donc de nous abuser nous-mêmes avec de telles paroles, veillons, songeons à notre salut, pratiquons la vertu, et excitons-nous nous-mêmes aux bonnes œuvres, afin que nous soyons jugés dignes d’obtenir cette gloire incomparable en Jésus-Christ Notre-Seigneur. HOMÉLIE V.
C’EST POURQUOI SOUVENEZ-VOUS QU’AUTREFOIS, VOUS GENTILS SELON LA CHAIR, VOUS ÉTIEZ APPELÉS INCIRCONCISION, À CAUSE DE LA CIRCONCISION FAITE DE MAIN D’HOMME DANS LA CHAIR ; PARCE QUE VOUS ÉTIEZ EN CE TEMPS-LÀ SANS CHRIST, SÉPARÉS DE LA SOCIÉTÉ D’ISRAËL, ÉTRANGERS AUX ALLIANCES DE LA PROMESSE, N’AYANT PAS D’ESPÉRANCE, ET SANS DIEU EN CE MONDE. (II, 11, 12 JUSQU’À 16) Analyse.
- 1 et 2. De la vocation des gentils et de la constitution de l’Église.
- 3 et 4. Des rapports de l’âme et du corps.
1. Bien des choses montrent la bonté de Dieu à notre égard : la première, c’est de nous avoir sauvés par lui-même, et cela, de la manière qu’on sait ; la seconde c’est l’état où nous nous trouvions quand il nous a sauvés ; la troisième, c’est le degré auquel il nous a élevés. Toutes ces choses, par elles-mêmes, sont la meilleure preuve de sa bonté. Et Paul les aborde toutes dans l’épître que nous lisons. Il a dit que nous étions morts par nos fautes, enfants de colère quand Dieu nous sauva : il dit maintenant à quel niveau Dieu nous a portés. « C’est pourquoi, souvenez-vous », dit-il. C’est notre coutume à tous, lorsque nous avons été relevés d’un abaissement profond, ou promus encore plus haut, de perdre jusqu’au souvenir de notre état précédent, à mesure que nous nous habituons à notre gloire présente. De là ces mots : « C’est pourquoi souvenez-vous ». – « C’est pourquoi », entendez puisque nous avons été créés pour les bonnes œuvres. Il n’en faut pas davantage pour nous persuader de pratiquer la vertu. « Souvenez-vous ». C’est assez de ce souvenir pour nous inspirer de la reconnaissance à l’égard de notre bienfaiteur. « Qu’autrefois vous, gentils ». Voyez comment il rabaisse les avantages des Juifs, et relève les gentils de leur infériorité, laquelle n’était qu’apparente : c’est sur la conduite et les mœurs qu’il s’appuie pour convaincre les uns et les autres. « Vous étiez appelés incirconcision ». Le privilège était nominal, la supériorité charnelle : incirconcision, circoncision, peu importe. « A cause de la circoncision faite de main d’homme dans la chair ; parce que vous étiez dans ce temps-là sans Christ, séparés de la société d’Israël, étrangers aux alliances de la promesse, n’ayant pas d’espérance, et sans Dieu en ce monde ». C’est vous, dit-il, que les Juifs appellent ainsi. Mais pourquoi donc, voulant montrer le bienfait par lequel ils ont été réunis à Israël, au lieu de rabaisser la dignité d’Israël, l’exalte-t-il au contraire en cela ? Il l’exalte là où il est nécessaire, mais il la rabaisse dans les choses qui ne devinrent pas communes aux gentils. Car il dit plus loin : « Vous êtes concitoyens des saints, et de la maison de Dieu (19) ». – Considérez comment il ne la rabaisse pas là. Mais ici il dit : Ces choses sont indifférentes. Ne croyez pas qu’il y ait une différence, parce que vous n’avez pas reçu la circoncision. Ce qui était dur, c’était d’être sans Christ, d’être séparés de la société d’Israël (et cette séparation ne provenait point de l’incirconcision) ; c’était d’être étrangers aux alliances de la promesse, de ne pas avoir l’espérance, d’être sans Dieu en ce monde : ces avantages étaient particuliers an peuple juif. Il a parlé des choses du ciel : il parle aussi de celles de la terre, qui étaient un grand sujet de gloire pour les Juifs. De même le Christ, consolant ses disciples, après leur avoir dit : « Bienheureux ceux qui ont été persécutés à cause de la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient », ajoute cette considération d’un ordre inférieur : car c’est ainsi « qu’ils ont persécuté les prophètes qui ont existé avant vous ». (Mat 5,10, 12) À ne considérer que l’élévation, c’est moins important : mais si l’on regarde à la proximité de l’exemple et à la conviction, cet argument parait fort, persuasif et puissant. Ou sait donc ce qu’il faut entendre ici par « Société ». Paul ne dit pas : En dehors, mais : « Séparés de la société » ; il ne dit pas : Indifférents, mais : Non participants, « Étrangers ». Les expressions sont très fortes : elles indiquent une séparation complète. En effet, il y avait même des Israélites en dehors de la société d’Israël, mais à cause de leur négligence, comme exclus de l’alliance et non comme étrangers. Qu’étaient-ce maintenant que les alliances de la promesse ? On se rappelle la promesse divine. – « Je te donnerai cette terre à toi et à ta race », et le reste. « N’ayant pas l’espérance, et sans Dieu ». Ils adoraient bien des dieux, mais c’étaient des dieux sans réalité : une idole n’est rien. « Mais maintenant que vous êtes dans le Christ Jésus, vous qui étiez autrefois éloignés, vous avez été rapprochés par le sang de ce même Christ. Car c’est lui qui est notre paix, lui qui a des deux choses en a fait une seule détruisant dans sa chair le mur de séparation, leurs inimitiés (13,14) ». Voilà donc cette grande chose, dira-t-on ? C’est notre entrée dans la société des Juifs ? Que dis-tu ? Tout ce qui est au ciel et sur la terre a été restauré et tu viens maintenant nous parler des Israélites ? Oui, dit Paul, car les premières choses ont besoin de la foi pour être admises ; celles-ci se voient par les « faits eux-mêmes. Mais maintenant que vous êtes en Jésus-Christ, vous qui étiez autrefois éloignés, vous avez été rapprochés de la société ». – « Éloignés, rapprochés » : c’est le fait du seul libre arbitre. « Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses en a fait une seule ». 2. Qu’est-ce à dire : « Des deux choses une seule ? » Il ne veut pas dire qu’il nous ait conféré la même noblesse, mais bien qu’il nous a promus avec ceux qui en étaient revêtus déjà, à une noblesse plus haute… D’ailleurs, le bienfait a été plus grand en ce qui nous touche. Les Juifs avaient reçu des promesses, ils étaient tout près : nous, rien ne nous avait été promis, et nous étions plus éloignés. C’est pourquoi il dit : « Et les gentils, à glorifier Dieu pour sa miséricorde ». (Rom 15,19) Dieu avait promis aux Israélites, mais ils se montrèrent indignes : à nous, il n’avait rien promis, nous étions même étrangers ; nous n’avions rien de commun avec eux, et il nous a réunis, non pas en nous rapprochant des Juifs, mais en formant d’eux et de nous un seul corps. Je recourrai à un exemple : Supposons deux statues, l’une d’argent, l’autre de plomb ; on les fond toutes deux ; et deux statues d’or sortent du moule. C’est ainsi que Dieu a fait de deux choses une seule. Autre exemple : Soit un esclave et un fils adoptif, l’un et l’autre coupables d’offenses ; l’un proclamé enfant par le héraut, l’autre fugitif et ne connaissant pas même son père. Qu’après cela tous deux deviennent héritiers et enfants légitimes. Les voilà portés à la même dignité : ils sont devenus une même chose, l’un venant de plus loin, l’autre de plus près, et promu seulement à la qualité de légitime qui lui manquait avant l’offense. « Détruisant le mur de séparation ». Ce que c’est que ce mur de séparation, il l’explique en disant : « Leurs inimitiés dans sa chair ». – « Abolissant par sa doctrine la loi des préceptes (15) ». Selon quelques-uns, le mur de séparation, c’est la loi : alors Paul aurait appelé la loi ainsi parce qu’elle ne permettait pas aux Juifs d’avoir des rapports avec les païens… Quant à moi, je ne le pense pas : je pense qu’il appelle ainsi la haine qui est comme une cloison mitoyenne qui nous sépare de Dieu, ainsi que le prophète dit : « Est-ce que vos péchés ne s’élèvent pas entre vous et moi ? » Et c’est à bon droit ; car c’était bien une sorte de mur, en effet, que la haine qui séparait Dieu des Juifs et des païens. Tant que la loi subsista, cette haine, loin de diminuer, ne faisait que s’accroître. « La loi », est-il écrit, « produit la colère ». (Rom 4,15) Comme dans cet endroit, en disant : La loi produit la colère, il n’entend pas la loi absolument, mais la loi, quand nous la transgressons : de même ici il l’appelle mur de séparation, à cause de la haine produite par les infractions. La loi était une cloison ; mais une cloison de sûreté, comme un rempart. Écoutez encore ces paroles du prophète : « J’ai mis un rempart autour de lui ». (Isa 5,2) Et ailleurs : « Tu as détruit son rempart, et tous ceux qui passent sur la route la vendangent ». (Psa 80,13) C’est donc bien une cloison de sûreté. Ailleurs « Je renverserai son rempart, et il sera foulé aux pieds ». Et encore : « Il a donné la loi pour protection ». (Isa 5,5, et VIII, 20) Et enfin : « Faisant miséricorde et justice, le Seigneur a fait connaître ses jugements à Israël ». (Psa 103,6, 7) Mais ce mur de séparation, au lieu de rester une défense ; devint un obstacle qui les séparait de Dieu. Tel fut ce mur de séparation qui avait commencé par être un rempart. Comment fut détruit ce mur, Paul l’indique lorsqu’il ajoute : « La haine dans sa chair ». – « Abolissant la loi des préceptes ». Comment ? En y mettant son cachet, et en détruisant ainsi la haine. Mais ce n’est pas seulement par là qu’il fit cesser la haine, c’est encore par l’observation de la loi. – Eh quoi ! acquittés de notre précédente infraction, nous voilà donc obligés de nouveau à l’observation ? – C’eût été remettre les choses dans leur état ; mais la loi même, il l’abolit : « Abolissant par sa doctrine la loi des préceptes ». O charité ! il nous a donné une loi, afin que nous l’observions ; puis, comme nous ne l’avons pas observée, au lieu de nous punir, il a été jusqu’à abroger la loi : c’est comme si quelqu’un, après avoir confié un enfant à un gouverneur, le voyant refuser d’obéir, le délivrait de son gouverneur et l’emmenait. Quelle bonté dans ce bienfait ! Et que signifie : « Abolissant par sa doctrine ? » Il montre ici la grande différence qui sépare le précepte des doctrines. Ou c’est de la foi qu’il parle, en employant ce mot doctrine : car c’est par la foi seule que la doctrine peut nous sauver ; ou c’est du précepte évangélique ; par exemple, le Christ a dit : « Je vous le dis, ne vous irritez nullement ». Tout cela revient à dire : Si vous croyez que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, vous serez sauvés. Et encore : « Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur ». (Rom 10,8) 3. Ne dites pas : Qui montera dans le ciel, ou qui descendra dans l’abîme, ou qui l’a tiré du milieu des morts ? Pour vie il a introduit la foi. Car afin de ne pas nous sauver au hasard, d’une part, il s’est soumis de lui-même au supplice, et de l’autre, il a exigé la foi par la doctrine. « Pour former des deux en lui-même un seul homme nouveau ». Voyez-vous comment le païen n’est pas devenu Juif, mais comment l’un et l’autre ont passé à un troisième état ? Si Jésus a aboli la loi, ce n’a pas été pour rendre le païen Juif, mais pour créer de tous deux le nouvel homme. Et c’est justement que partout il emploie cette expression : « Créer », il ne dit pas transformer, afin de montrer la puissance déployée dans cette opération, et que, si la création est une chose visible, cette autre création n’est pas moindre pour cela, et que nous ne devons pas plus nous y dérober qu’aux sujétions de la nature. « Pour former en lui-même », c’est-à-dire par lui-même. – Il n’a pas confié ce soin à un autre : c’est lui-même qui ayant fondu ensemble, de lui-même, ces deux métaux, a mis au jour un nouveau métal miraculeux, auquel il avait commencé par s’identifier lui-même. Voilà ce que signifie : « En lui-même » ; c’est que lui-même, tout le premier, avait fourni le type et le modèle. D’un côté ayant pris le Juif, de l’autre le païen, et s’étant placé entre eux, il les a mêlés, en effaçant tout ce qui les distinguait, et les a refondus d’en haut, au moyen du feu et de l’eau, non plus de l’eau et de la terre, mais de l’eau et du feu. Il est devenu Juif circoncis, il est devenu anathème, il est devenu païen infidèle, et quelque chose de plus que les païens et les Juifs. « Dans un seul homme nouveau ». – « En faisant la paix », en les mettant en paix avec Dieu et les uns avec les autres. S’ils étaient restés Juifs et païens, ils ne se seraient pas réconciliés ; et si chacun d’eux n’avait pas dépouillé son état propre, comment auraient-ils passé à un état supérieur ? Le Juif ne s’unit au païen que du moment où il devient fidèle. Supposez en bas, deux appartements séparés, et en haut un seul grand et admirable ; les habitants des deux premiers ne commenceront à se voir, qu’une fois réunis dans le troisième. « Faisant la paix », surtout à l’égard de Dieu ; c’est ce qui résulte de la suite. Que dit-il, en effet ? « Et pour réconcilier à Dieu par la croix, les deux réunis en un seul corps (16) ». Il ne dit pas concilier, mais « Réconcilier », pour montrer qu’auparavant la nature humaine se prêtait facilement à la conciliation, comme au temps des saints et avant la loi. « En un seul corps » (le sien) « à Dieu ». Comment ? En subissant lui-même sur la croix le châtiment encouru. « Tuant en lui-même l’inimitié ». Rien de plus juste ni de plus solennel que ces expressions. Sa mort, veut dire Paul, a tué, meurtri, exterminé la haine ; cette mort qu’il n’a pas prescrite à un autre, dont il n’a pas été seulement l’auteur, mais encore la victime. Il ne dit pas : « Détruisant », ni « Supprimant », mais, ce qui est plus fort que tout : « Tuant », de sorte qu’elle ne pût se relever. Qu’est-ce donc qui la ressuscite ? L’excès de notre perversité. Tant que nous restons dans le corps du Christ, tant que nous demeurons unis, elle ne ressuscite pas, elle reste morte ; ou plutôt, celle-là ne ressuscite jamais. Mais si nous en enfantons une autre, ce n’est plus la faute de celui qui a tué et anéanti la première ; c’est vous qui donnez le jour à une autre haine. Car la pensée de la chair est inimitié contre Dieu. Si nous n’avons point de pensées charnelles, il n’y aura pas de nouvelle haine engendrée, et la paix subsistera. 4. Songez combien il est affreux, quand Dieu a fait tant de choses pour procurer notre réconciliation, et qu’il l’a opérée, de revenir à l’inimitié. Cette inimitié-là, ce n’est plus le baptême, mais l’enfer qui l’attend, ce n’est plus la rémission, mais le jugement. Pensée de la chair, délice, mollesse ; pensée de la chair, convoitise et tous les péchés. Pourquoi cette expression : Pensée de la chair ? Cependant sans l’âme la chair ne peut rien. Paul ne dit pas cela pour accuser la chair ; de même quand il dit : « L’homme animal », il ne parle pas ainsi pour accuser l’âme, il veut faire entendre que l’âme pas plus que le corps ne sont suffisants par eux-mêmes, en l’absence de la grâce d’en haut, à rien faire de grand ni de généreux. Voilà pourquoi il appelle animales les choses que l’âme produit par elle-même ; et charnels, les actes du corps livré à lui-même ; non parce que ces actes sont naturels, mais parce que, faute de l’appui divin, ils se pervertissent. C’est une excellente chose que les yeux ; mais, en l’absence de la lumière, ils causent des maux innombrables : il n’en faut accuser que leur faiblesse, et non la nature. Si ces maux provenaient de la nature, jamais les yeux ne nous seraient bons à rien. Il n’y a pas de maux naturels. Qu’est-ce donc que les pensées charnelles ? Les péchés. Quand la chair prend le dessus sur celui qui la mène, elle engendre des maux innombrables. Car le mérite de la chair, c’est de rester soumise à l’âme ; son vice, c’est de dominer l’âme. Un cheval beau et agile ne peut déployer ses qualités sans un écuyer ; de même la chair n’est bonne que lorsque nous savons réprimer ses élans désordonnés. – Mais un écuyer ne saurait pas davantage se signaler si l’art lui fait défaut ; dans ce cas il est plus nuisible qu’utile. De toute manière donc, il faut veiller. L’esprit, ce principe vigilant, rend l’écuyer plus vigoureux : il embellit et le corps et l’âme. De même que l’âme embellit le corps qu’elle anime, et ne peut le déserter, lui retirer son action intérieure, sans le rendre repoussant, à la manière d’un peintre qui confondrait toutes les couleurs ; car alors chaque partie tombe promptement en dissolution et en pourriture : de même quand l’esprit a abandonné à eux-mêmes le corps et l’âme, ils font voir une laideur encore plus affreuse. Ne vous déchaînez donc point contre le corps comme inférieur à l’âme. Et je ne veux pas non plus accuser l’âme en tant qu’impuissante sans le concours de l’esprit. Mais s’il faut le dire, l’âme mérite plus de sévérité. En effet, le corps est incapable sans l’âme, de faire aucun mal ; l’âme au contraire, en fait beaucoup sans le concours du corps ; elle en fait encore beaucoup dans un corps paralysé et réduit à l’immobilité, par exemple, par les sortilèges des magiciens, des envieux, des sorciers. D’ailleurs, les débauches du corps ne proviennent point des nécessités auxquelles il est soumis, mais de la négligence de l’âme le corps exige de la nourriture, et non des excès. Au moyen d’un frein solide, je peux arrêter la course d’un cheval ; mais le corps ne saurait réprimer l’âme dans ses écarts. Pourquoi donc parler des pensées de la chair ? Parce qu’alors la chair devient responsable. Elle pèche, quand elle prend le dessus, quand elle dépouille l’esprit, et ôte à l’âme le gouvernement. Le mérite du corps consiste donc à céder à l’âme ; car par lui-même il n’est ni bon ni mauvais. Que pourrait faire le corps livré à lui-même ? C’est donc par son union, par sa soumission que le corps est bon : par lui-même il n’est ni bon ni mauvais ; mais il est capable de se porter au bien ou au mal. Le corps a des appétits, mais ce n’est pas de fornication ni d’adultère, c’est de commerce sexuel : le corps a des appétits, non de débauche, mais de nourriture ; non d’ivresse, mais de boisson. Comment le corps n’aspire point à l’ivresse, vous allez vous en convaincre : dès que vous dépassez la mesure et ses forces, il cesse de résister. Tout le reste est le fait de l’âme, par exemple, lorsqu’elle se plonge dans les plaisirs charnels, lorsqu’elle s’appesantit. En effet, si le corps est beau, l’âme est plus belle encore… Or, ainsi que l’or est plus précieux que le plomb, et néanmoins exige du plomb pour la soudure ; de même l’âme a besoin du corps : ou si l’on veut, comme un enfant de bonne famille a besoin d’un gouverneur. Et ne vous étonnez pas des exemples que je cite. Quand nous parlons de choses puériles, ce n’est pas l’âge que nous blâmons, mais les choses qui en ont le caractère : de même pour le corps. Mais il est possible de quitter la chair, si nous le voulons, comme aussi la terre, pour les cieux et pour l’Esprit. Car être quelque part, cela s’entend moins du lieu que de la disposition d’âme. Souvent nous disons de personnes présentes en un lieu : Vous n’y étiez pas. Que dis-je ? Souvent nous disons : Vous n’êtes pas en vous-même, je ne suis pas en moi-même ; et cependant quoi de plus sensible que cette présence en soi-même ? Néanmoins nous employons ce terme : soyons donc en nous-mêmes, dans les cieux, dans l’Esprit. Restons dans la paix et dans la grâce de Dieu, afin que, débarrassés de toutes les choses charnelles, nous puissions obtenir les biens promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE VI.
ET, VENANT, IL A ANNONCÉ LA PAIX, ET A VOUS QUI ÉTIEZ LOIN, ET A CEUX QUI ÉTAIENT PRÉS ; PARCE QUE C’EST PAR LUI QUE NOUS AVONS INTRODUCTION LES UNS ET LES AUTRES, DANS UN SEUL ESPRIT, AUPRÈS DU PÈRE. VOUS N’ÊTES DONC PLUS DES HÔTES ET DES ÉTRANGERS, MAIS DES CONCITOYENS DE SAINTS, ET DE LA MAISON DE DIEU, BÂTIS SUR LE FONDEMENT DES APÔTRES ET DES PROPHÈTES, LE CHRIST JÉSUS ÉTANT LUI-MÊME PIERRE ANGULAIRE ; SUR LEQUEL TOUT L’ÉDIFICE CONSTRUIT S’ÉLÈVE COMME UN TEMPLE SACRÉ DANS LE SEIGNEUR ; SANS LEQUEL VOUS ÊTES BÂTIS VOUS-MÊMES POUR ÊTRE UNE DEMEURE DE DIEU PAR L’ESPRIT. (11, 17-22 JUSQU’A III, 8) Analyse.
- 1-3. Éloge de saint Paul. – Qualités requises pour l’apostolat.
- 4. Tableau des malheurs de l’Église et de l’empire au temps de saint Jean Chrysostome.
1. Il n’a pas eu recours, dit Paul, à l’intermédiaire d’un messager ni d’un interprète c’est lui-même qui nous a tout révélé par lui-même. Il ne nous a dépêché ni ange ni archange, attendu qu’il n’appartenait de guérir de si grands maux et d’annoncer ce qui était arrivé qu’à lui-même, descendant ici-bas. Le Maître a pris le rôle d’un ministre et presque d’un serviteur : il est venu, il a annoncé la paix : « À vous », dit-il, « qui étiez loin et à ceux qui étaient près ». – « Près », ceci est pour les Juifs considérés par rapport à nous. « Loin », par là il, fait allusion aux gentils, comme étrangers aux alliances. « Parce que c’est par lui que nous avons introduction les uns et les autres, dans un seul Esprit, auprès du Père ». Il parle de la paix avec Dieu, de notre réconciliation. D’ailleurs Jésus dit lui-même : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix » ; et encore : « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde » ; et aussi : « Tout ce que vous aurez demandé en mon nom, vous l’obtiendrez » ; et enfin : « Parce que le Père vous aime ». Voilà des signes de la paix conclue avec les uns et les autres. Avec les premiers, comment ? « Parce que c’est par lui que nous avons accès les uns et les autres dans un seul Esprit ». Non pas vous à un moindre degré, ni eux à un degré supérieur : la grâce a été uniforme. Il a détruit la colère par la mort, il nous a rendus aimables à Dieu par l’Esprit. Voilà encore le mot « Dans » pris dans le sens de « Par » c’est par lui et par l’Esprit qu’il nous a donné accès. « Vous n’êtes donc plus des hôtes et des étrangers, mais des concitoyens, des saints ». Voyez-vous ? ce n’est pas seulement dans la cité des Juifs, c’est dans celle de ces grands et saints personnages, les Abraham, les Moïse, les Élie que nous voilà enrôlés et publiquement admis ? Car ceux qui parlent de la sorte ; dit Paul, font voir qu’ils cherchent une patrie. « Vous n’êtes donc plus des hôtes et des étrangers ». Ceux qui ne doivent pas obtenir les biens célestes sont des étrangers : car le Fils est éternel. « Et de la maison de Dieu ». Ce que les Juifs avaient eu dès l’origine et gardé à travers tant d’épreuves, la grâce de Dieu vous l’a procuré. « Bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes ». Voilà l’espoir de la vocation. Voyez comment il mêle tout. Les païens, les Juifs, les apôtres, les prophètes, le Christ ; et tantôt il emploie l’image d’un corps, tantôt celle d’un édifice pour exprimer la cohésion. « Bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes ». En d’autres termes, le fondement, ce sont les apôtres et les prophètes. Et en première ligne il place les apôtres, venus les derniers : sans doute pour indiquer que le fondement est formé des uns et des autres, que le tout forme un édifice unique reposant sur une base unique. Représentez-vous les païens ayant pour base les patriarches. Ici l’expression est encore plus propre que celle de greffe qu’on trouve ailleurs, et qui est plus frappante. Ensuite il poursuit : « Le Christ Jésus étant pierre angulaire », montrant que c’est le Christ qui retient tout dans l’union. Car c’est la pierre angulaire qui retient assemblés et les murs et les fondations. « Sur lequel tout l’édifice construit s’élève ». Voyez comment le Christ relie le tout. Il montre Jésus tantôt rassemblant d’en haut et retenant dans l’union toutes les parties de l’ensemble, tantôt supportant d’en-bas tout l’édifice, et lui servant de base. Cette parole : « Il a créé en lui pour former un seul homme nouveau », fait voir aussi que la réunion des deux parois s’est opérée par son intermédiaire, et encore que la création a été faite en lui. « Premier-né de toute créature », est-il écrit (Col 1,15) ; c’est-à-dire, qu’à lui seul il soutient tout. « Sur lequel tout l’édifice construit s’élève ». Nommez le toit, les murs, tout ce que vous voudrez : c’est lui qui supporte tout. Ailleurs il est nommé fondement : « Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est posé, lequel est Jésus-Christ ». (1Co 3,11) « Sur lequel tout l’édifice construit »… Ici il indique et montre une vie irréprochable, comme la condition indispensable, à défaut de laquelle on ne peut être posé là. « S’élève comme un temple sacré dans lequel vous êtes bâtis vous-mêmes ». Il répète souvent cela : « Dans le temple sacré pour être une demeure de Dieu dans l’Esprit ». A quoi bon cette construction ? A ce que Dieu habite en ce temple. Car chacun de vous est un temple, et vous tous pris ensemble, et il habite comme dans le corps du Christ, et il habite comme en un temple spirituel. Voilà pourquoi il ne dit pas « Accès », mais « Introduction » : c’est que nous ne sommes pas venus de nous-mêmes : c’est lui qui nous a introduits ; car il est écrit : « Personne ne vient vers le Père, sinon par moi » ; et encore : « Je suis la voie, et la vérité et la vie ». – « Un temple sacré dans lequel vous êtes bâtis vous-mêmes ». 2. Il revient à son premier exemple, et il les joint aux saints, ne permettant jamais qu’ils soient détachés du Christ. Ce saint édifice durera donc jusqu’à son avènement, et c’est pour cela que Paul a dit : « Comme un habile architecte j’ai posé le fondement ». Et encore au même endroit : « Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est posé, lequel est le Christ ». (1Co 3,10-11) Voyez-vous qu’il faut prendre les exemples non dans le sens absolu, mais dans le sens relatif au sujet en question ? Il use d’exemples en cet endroit, comme lorsque le Christ dit que le Père est un laboureur, et que lui-même est une racine.