Ephesians 3
« C’est pour cela que moi, Paul, je suis le prisonnier du Christ Jésus, pour vous, gentils. (3, 1) » Il a dit l’infinie sollicitude du Christ : il passe maintenant à la science, petite sans doute, nulle en comparaison de la première, mais suffisante elle-même à gagner les âmes. Voilà pourquoi moi-même, dit-il, je suis enchaîné. Car si mon Maître a été crucifié pour vous, à bien plus forte raison suis-je enchaîné. non seulement il a été lié, mais il permet encore que ses serviteurs le soient pour vous, les gentils. Voilà qui donne à penser : non seulement nous ne vous détestons point, mais nous sommes enchaînés à cause de vous, et moi j’ai obtenu cette grâce inestimable. « Car vous avez appris sans doute que Dieu m’a confié la dispensation de sa grâce en votre faveur (2) ». Il fait allusion à la prédiction que Dieu avait faite à Damas touchant lui-même à Ananie : « Va, car cet homme m’est un vase d’élection pour porter mon nom devant les gentils et les rois ». Par « Dispensation de sa grâce », il entend la révélation. C’est comme s’il disait : Ce ne sont pas les hommes qui m’ont instruit, Dieu a daigné me faire une révélation particulière à cause de vous. « Il m’a dit : Va, parce que je t’enverrai loin chez les gentils ». (Act 22,21) C’est justement qu’il emploie ce mot de « Dispensation ». En effet, c’était une grande marque de providence que d’appeler d’en haut celui que rien ne pouvait convaincre, de lui dire : « Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? » et de l’aveugler de cette lumière ineffable. « Car vous avez appris sans doute que Dieu m’a confié la dispensation de sa grâce en votre faveur, puisque, par révélation, il m’a fait connaître ce mystère, comme je vous l’ai écrit plus haut en peu de mots (3) ». Sans doute il les en avait informés par quelques personnes, ou il leur avait écrit peu de temps auparavant. Il montre ici que tout vient de Dieu, que nous n’avons contribué pour rien. En effet, dites-moi, ce grand, cet admirable Paul, qui avait étudié la loi, qui avait reçu une instruction si parfaite aux pieds de Gamaliel, n’est-ce point la grâce qui le sauva ? C’est à bon droit qu’il nomme cela mystère : c’est bien un mystère que d’avoir élevé subitement les gentils à une noblesse supérieure à celle des Juifs. – « Comme je, vous l’ai écrit plus haut en peu de mots ». – « De sorte que, lisant, vous pouvez comprendre (4) ». Ah ! ainsi il n’écrivait pas tout, ni tout ce qu’il fallait écrire. Mais ici c’était la nature de la chose qui le voulait : ailleurs, c’était la perversité, comme chez les Hébreux, comme chez les Corinthiens. « De sorte que, lisant, vous pouvez comprendre l’intelligence que j’ai du mystère du Christ… ». En d’autres termes, comment j’ai compris ou que Jésus est assis à droite, ou de semblables paroles de Dieu. Ensuite, il fait valoir leur privilège ; comment « Dieu n’a pas fait ainsi à toute nation » ; et il poursuit en montrant, quel est ce peuple à qui Dieu a fait ainsi. « Mystère qui, dans les autres générations, n’a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé par l’Esprit à ses saints apôtres et aux prophètes (5) ». Qu’est-ce donc, dites-moi, que les prophètes ne savaient pas ? Comment donc le Christ peut-il dire que Moïse et les prophètes avaient voulu parler de lui ; et encore : « Si vous aviez cru en Moïse, vous auriez cru en moi » ; et ailleurs : « Scrutez les Écritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle, car ce sont elles qui rendent témoignage de moi ». (Jn 5,46, 39) Il veut dire, ou que tous les hommes n’ont pas reçu cette révélation ; car il ajoute : « Mystère qui, dans les autres générations, n’a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé » ; ou que la chose n’a pas été révélée aussi clairement par les faits, quelle est maintenant révélée à ses saints apôtres et aux prophètes par l’Esprit. Voyez en effet : Pierre, s’il n’avait pas été averti par l’Esprit, ne serait point allé chez les gentils. Écoutez en effet ses paroles : « Ainsi Dieu leur a donné l’Esprit-Saint comme à nous », S’il dit : « Par l’Esprit », c’est que Dieu a voulu qu’ils reçussent la grâce par l’Esprit. Les prophètes parlaient, mais ils ne se rendaient point de ces merveilles un compte précis ; puisque les apôtres eux-mêmes ne les comprenaient pas parfaitement après en avoir été instruits : car cela dépassait de beaucoup la raison humaine et la commune espérance. « Que les gentils sont cohéritiers, membres d’un même corps et participant avec eux de la promesse (6) ». 3. Qu’est-ce à dire : « Cohéritiers, participant avec eux de la promesse, et membres d’un même corps ? » Voilà la grande chose, cette réunion en un seul corps, ce complet rapprochement. On savait que les gentils seraient appelés ; mais que ce devait être à ces conditions, on l’ignorait. De là cette expression : « Mystère de promesse ». Les Israélites avaient part, les gentils avaient part également à la promesse de Dieu. « Dans le Christ par l’Évangile ». En d’autres termes, par son envoi vers eux, et par leur conversion : car il ne dit pas seulement : « Dans le Christ », mais ajoute : « Par l’Évangile ». Mais c’est peu : Paul nous révèle quelque chose de plus grand ; à savoir que cela était ignoré non seulement des hommes, mais des anges, des archanges eux-mêmes, de toute puissance créée : c’était un mystère, et personne n’en avait eu la révélation. « Comprendre l’intelligence que j’ai ». Sans doute il fait allusion à ce qu’il leur a dit dans les actes, que s’il invite les gentils eux-mêmes, c’est en lui l’effet d’une certaine intelligence. Il veut parler de l’intelligence du mystère dont il a parlé, à savoir que Jésus créera en lui-même et formera un seul homme nouveau. Il a appris par révélation, ainsi que Pierre, qu’il ne faut pas avoir les gentils en abomination, et saint Pierre le déclare lorsqu’il se justifie d’avoir été chez les gentils. « Dont j’ai été fait le ministre en vertu du don de la grâce de Dieu, qui m’a été donnée par l’opération de sa vertu (7) ». Il a dit qu’il est prisonnier, ce qui ne l’empêche pas ici de faire honneur de tout au Seigneur, en disant : « En, vertu du don de la grâce de Dieu » ; car c’est par la vertu de ce don que cet honneur lui a été fait. Mais le don ne suffisait pas, si la force ne lui avait été communiquée en même temps. Car c’était vraiment le fait d’une grande force ; et un zèle humain n’aurait pu y suffire. Paul apporta trois choses à la prédication : un zèle bouillant et intrépide, une âme prête à tout supporter, et enfin l’intelligence et la sagesse ; car ce n’eût pas été assez du courage, d’une vie irréprochable, s’il n’avait reçu en outre la vertu de l’esprit. Voyez-en la preuve chez lui-même d’abord, ou plutôt, écoutez ce qu’il écrit : « Afin que notre ministère ne soit pas censuré » (2Co 6,3) ; et encore : « En effet, notre prédication a été exempte d’erreur, d’impureté, de paroles de flatterie, de prétexte d’avarice ». (1Th 2,3,5) Voyez-vous qu’elle était irréprochable. Et ailleurs : « Ayant soin de faire le bien, non seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes ». (Rom 12,17) Ensuite : « Chaque jour je meurs, oui, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ Notre-Seigneur ». (1Co 15,31) Et encore : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, la détresse ou la persécution ? » (Rom 8,35) Et ailleurs : « Par une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons ». (2Co 6,4-5) Puis sa conduite pleine de sagesse : « Je me suis fait Juif avec les Juifs, avec ceux qui sont sous la loi comme si j’eusse été sous la loi ». (1Co 9,20-21) Il se rase et se soumet à mille pratiques. Mais ce qui passe avant tout, c’est qu’il agissait par la vertu de l’Esprit-Saint. « Car je n’oserai parler d’aucune des choses que le Christ n’a pas faites par moi ». (Rom 15,18) Car en quoi avez-vous été inférieurs aux autres Églises ? enfin : « Car je n’ai été inférieur en rien aux plus éminents apôtres, quoique je ne sois rien. ». (2Co 12,13,11) Sans cela la chose eût été impossible. Ce n’est point par des miracles qu’il convertit : les miracles n’y faisaient rien : Ce n’est pas, de cela qu’il croyait devoir se prévaloir, mais d’autres choses. Il faut être irrépréhensible, sage, hardi, persuasif. C’est par là qu’il réussit en général : et dès qu’il avait cela, les miracles devenaient superflus. Nous voyons du moins que, même avant d’avoir opéré aucun miracle, il avait fait mille choses de ce genre. Et nous, sans avoir rien de tout cela, nous voulons réussir en tout. Or, ôtez l’une de ces choses, le reste devient inutile. Car à quoi bon être hardi, si l’on est sujet aux reproches dans sa conduite ? « Si la lumière qui est en toi est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes, que seront-elles ? » Et que sert d’avoir une vie irréprochable, si l’on est paresseux et nonchalant ? « Si quelqu’un ne porte pas sa croix, et ne marche pas à ma suite, il n’est pas digne de moi ». Et encore : « Si quelqu’un ne donne pas sa vie pour les brebis », et la suite. Et que sert de réunir ces deux conditions, si l’on manque d’adresse pour répondre à chacun comme il convient ? Or, si les signes ne dépendent pas de nous, ces deux choses sont en notre pouvoir. Paul, tout en s’attribuant toutes ces qualités, en reportait néanmoins tout l’honneur à la grâce. C’est le fait d’un serviteur reconnaissant. Et nous ne connaîtrions pas même ses grandes actions, s’il n’eût été forcé de nous en instruire. Est-ce que nous sommes dignes, même de nous souvenir de Paul ? Bien qu’il eût la grâce avec lui, il ne se tenait pas néanmoins pour content, et affrontait pour sa part mille dangers. Et nous, qui n’avons point le même crédit, sur quoi compter, dites-moi, ou pour garder ceux qui nous sont confiés, ou pour gagner ceux qui se tiennent encore à l’écart, nous, hommes adonnés à la mollesse, avides de repos à tout prix, incapables de résister, même en songe, à un péril, ou plutôt, incapables de le vouloir, nous, aussi éloignés de la sagesse de Paul que le ciel est éloigné de la terre ? Si ceux qui sont sous notre direction restent si loin des hommes d’alors, c’est que les disciples d’alors valaient mieux que les docteurs d’aujourd’hui : ils étaient circonvenus de tous côtés par les peuples et les tyrans ; la guerre les assiégeait de toutes parts : et rien ne pouvait les abattre ni les fléchir. 4. Écoutez du moins ce que dit Paul aux Philippiens : « Puisqu’il vous a été donné touchant le Christ, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui ». Aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus imitateurs des Églises de Dieu qui sont en Judée ». Aux Hébreux : « Vous avez supporté avec joie l’enlèvement de vos biens ». Aux Colossiens : « Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus en Dieu » : et il témoigne en même temps de beaucoup de périls courus par le même peuple. Aux Galates : « Vous avez souffert tant de maux sans motifs, si toutefois c’est sans motif ». Et vous les voyez tous appliqués à faire le bien. Voilà pourquoi la grâce agissait alors, pourquoi ils vivaient dans les bonnes œuvres. Écoutez encore ce qu’il écrit aux Corinthiens, auxquels il adresse mille reproches : ne leur rend-il pas également témoignage en disant : « Mais votre zèle, mais votre désir ? » (2Co 7,11) Tous les témoignages qu’il leur rend à ce sujet, on ne trouverait plus aujourd’hui lieu de les appliquer, même aux maîtres : de sorte que tout a fui, tout est perdu. La raison en est dans le refroidissement de la charité, dans ce que les pécheurs ne sont plus châtiés (« Reprends les pécheurs devant tous », écrit Paul à Timothée), dans la corruption des chefs : car, dès que la tête n’est point saine, comment le reste du corps demeurerait-il en bonne santé ? Voyez l’étrange renversement ! Ceux à qui une vie pure pourrait donner plus de confiance, ont gagné le sommet des montagnes ; ils se sont éloignés de la ville comme d’un pays ennemi, ils se sont arrachés à leur propre corps comme s’il leur était étranger. Au contraire, des hommes pervers, souillés de tous les vices, se sont jetés sur les Églises : les dignités sont devenues vénales. De là, des maux infinis. Personne ne réprime les abus, personne ne punit les coupables, mais on a mis un certain ordre dans le désir. Quelqu’un a-t-il péché, est-il accusé, il ne cherche pas à établir son innocence, mais à trouver des complices de son crime. Et pourtant il y a un enfer ! Croyez-moi, si Dieu n’avait réservé ses vengeances à la vie future, vous verriez tous les jours au milieu de nous des châtiments plus tragiques que toutes les calamités qui ont écrasé la nation juive. Que personne ne se fâche, je ne désigne personne. Si quelqu’un avait reçu le don de lire clairement dans la vie des autres, et qu’entré dans l’église, il eût à se prononcer sur ceux qui la remplissent en ce moment avec vous ; que dis-je, en ce moment ? sur tous ceux qui, le jour de Pâques, reçoivent le baptême, il y trouverait des crimes plus grands que ceux des Juifs ; des gens qui croient aux augures, aux charmes, aux sortilèges, qui emploient les maléfices, des fornicateurs, des adultères, des ivrognes, des médisants. Je passe sous silence les spoliateurs, de peur de blesser quelqu’un ici. Si l’homme dont je parle scrutait les cœurs de tous ceux qui approchent de nos autels dans le monde entier, quelles horreurs ne verrait-il pas ? Et, pour ne parler que des chefs, il les trouverait avides de gain, trafiquant des charges publiques, jaloux ; vaniteux, fourbes, esclaves de leur ventre ou de l’argent. L’impiété étant si grande, quels châtiments n’avons-nous pas à redouter ? Pour vous faire une idée de la terrible punition encourue par ces pécheurs, rappelez-vous l’Ancien Testament : un soldat vola une propriété sacrée, et tous périrent ; vous savez l’histoire ? Je parle de ce Charmi qui déroba l’anathème. Alors, dit le prophète : Leur pays fut rempli d’augures, comme celui des étrangers. (Isa 2,6) Maintenant les maux abondent, et nul ne s’en effraie. Tremblons : car Dieu confond les justes mêmes dans le châtiment des impies, comme il est arrivé pour Daniel, pour les trois enfants, pour des milliers d’autres, comme il arrive encore dans les guerres présentes. Car les uns se déchargent par là de tous leurs péchés, les autres en demeurent chargés. Pour tous ces motifs, veillons sur nous-mêmes. Ne voyez-vous pas la guerre multiplier ses ravages ? N’entendez-vous pas le cri des malheurs publics ? N’est-ce pas assez pour vous instruire ? Des cités, des nations entières disparaissent du monde ; des milliers d’hommes libres sont esclaves chez les barbares. Si ce n’est la crainte de l’enfer, que ces cruels fléaux, du moins, nous avertissent et nous corrigent. Sont-ce de pures menaces ? ne sont-ce pas des faits réels ? D’autres ont été gravement punis ; nous le serons plus qu’eux, nous à qui leurs malheurs n’ont pas servi de leçon… Ce langage est importun, je le sais : mais il est utile, si l’on sait y faire attention… Nos discours ne sont pas faits pour plaire, mais pour faire rentrer l’âme en elle-même, et lui inspirer la sagesse. Car c’est ainsi qu’on obtient les biens éternels : auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire, l’empire, l’honneur appartiennent au Père et en même temps au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE VII.
À MOI, LE MOINDRE DES SAINTS, A ÉTÉ DONNÉE CETTE GRACE D’ANNONCER PARMI LES GENTILS LES RICHESSES INCOMPRÉHENSIBLES DU CHRIST, ET D’ÉCLAIRER TOUS LES HOMMES TOUCHANT LA DISPENSATION DU MYSTÈRE CACHÉ, DÈS L’ORIGINE DES SIÈCLES, EN DIEU QUI A CRÉÉ TOUTES CHOSES PAR JÉSUS-CHRIST ; AFIN QUE LES PRINCIPAUTÉS ET LES PUISSANCES, QUI SONT DANS LES CIEUX CONNUSSENT PAR L’ÉGLISE LA SAGESSE MULTIFORME DE DIEU, SELON LE DÉCRET ÉTERNEL QU’IL A ACCOMPLI DANS LE CHRIST JÉSUS NOTRE-SEIGNEUR. (III, 8-11 JUSQU’À LA FIN DU CHAP) Analyse
- 1 et 2. De la charité.
- 3 et 4. Du précepte : Aimez vos ennemis.
1. Quand on entre chez un médecin, ce n’est pas sans but, c’est pour apprendre à se soigner et à employer les remèdes… Et nous, de même, parvenus à cet endroit, il ne faut pas perdre notre temps, mais étudier l’admirable humilité de Paul. Écoutez en effet de quelles paroles il se sert pour montrer la grandeur de la grâce divine : « À moi, le moindre des saints, a été donnée cette grâce ». C’était déjà de l’humilité, que de gémir sur ses péchés précédents, bien qu’effacés, d’en faire mention, de se montrer modeste, comme lorsqu’il s’appelle blasphémateur, persécuteur, téméraire ; mais rien n’égale ceci. Voilà ce que j’étais d’abord, dit-il, et il s’appelle avorton. Mais, après tant de bonnes œuvres, rester encore fidèle à la modestie, se proclamer inférieur à tous, c’est le fait d’une rare et extrême humilité. « A moi, le moindre des saints ». Il ne dit pas : Des apôtres ; donc, « Saint » est une expression qui dit moins. Car il dit ailleurs : « Je ne suis pas digne d’être nommé apôtre ». (1Co 15,9), Ici c’est à tous les saints qu’il se déclare inférieur : « A moi, le moindre des saints, a été donnée cette grâce ». Laquelle ? Celle d’annoncer parmi les gentils les richesses incompréhensibles du Christ, et d’éclairer tous les hommes touchant la dispensation du mystère caché, dès l’origine des siècles en Dieu, qui a créé toutes choses par Jésus-Christ, afin que les principautés et les puissances qui sont dans les cieux, connussent par l’Église, la sagesse multiforme de Dieu. Soit ; cela n’a pas été révélé aux hommes ; mais tu éclaires aussi les anges et les archanges, les principautés et les puissances ? Oui, répond-il, car cela était caché en Dieu, dans le Dieu qui a tout créé par Jésus. Et tu oses tenir ce langage ? Oui, dit-il. – Mais par où la chose est-elle devenue manifeste pour les anges ? Par l’Église. Et il ne dit pas seulement : La sagesse fertile de Dieu, mais : « La sagesse multiforme ». Qu’est-ce à dire ? Les anges n’étaient pas instruits ? Nullement : si les principautés ne l’étaient pas, à bien plus forte raison les anges. Quoi donc ? Les archanges eux-mêmes étaient dans l’ignorance ? Oui, eux-mêmes ; qu’est-ce qui aurait pu les instruire ? Qui aurait été le révélateur ? C’est quand nous avons été instruits, qu’eux-mêmes ils l’ont été. Écoutez les paroles de l’ange à Joseph : « Tu appelleras son nom Jésus : car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». (Mat 1,21) Il fut envoyé, lui, chez les gentils ; et les autres, aux hommes de la circoncision. De sorte que la tâche la plus admirable et la plus merveilleuse, elle a été donnée à moi, dit-il, qui suis le moindre. Et c’était encore un effet de la grâce, que cette grande mission confiée à un petit, je veux dire le soin d’évangéliser les gentils. En effet, celui à qui revint la plus grande tâche dans la prédication de l’Évangile, celui-là est grand par ce côté. – « D’annoncer parmi les gentils les richesses incompréhensibles du Christ ». Si ces richesses sont incompréhensibles, même après sa venue, à plus forte raison son essence. Si c’est encore un mystère, à bien plus forte raison en était-ce un avant la révélation. S’il emploie ce mot « Mystère », c’est que les anges mêmes étaient dans l’ignorance, et que personne ne connaissait le secret. « Et d’éclairer tous les hommes touchant la dispensation du mystère caché, dès l’origine des siècles, en Dieu qui a créé toutes choses par Jésus-Christ ». Les anges savaient seulement « Que son peuple était devenu la portion du Seigneur ». (Deu 32,9) Un ange dit encore : « Le chef des Perses m’a résisté ». (Dan 10,13) Ainsi, rien d’étonnant que cela leur fût inconnu également. S’ils ignoraient le retour de la captivité, à plus forte raison ces choses, qui sont l’Évangile même. Il est écrit : « Celui qui sauvera son peuple, Israël ». Rien des gentils ; mais ce qui concerne ceux-ci, c’est l’Esprit qui le révèle. Ils savaient que les gentils avaient été appelés ; mais que c’était au même partage, et pour s’asseoir sur le trône de Dieu ; qui aurait pu s’y attendre ? qui aurait pu y ajouter foi ? – « Caché en Dieu ». Il explique plus clairement ce conseil de la Providence dans l’épître aux Romains. « En Dieu qui a créé toutes choses par Jésus-Christ ». C’est à propos qu’il dit, en parlant de la création : « Par Jésus-Christ ». Celui qui a tout créé par lui, révèle par lui ce mystère : car, il n’a rien fait sans lui. « Sans lui », est-il écrit, « rien n’est arrivé ». En nommant les principautés et les puissances, il a nommé, les supérieurs et les inférieurs. « Selon le décret éternel ». C’est maintenant qu’il est accompli ; mais il ne date pas d’aujourd’hui : il était rendu à l’avance. « Selon le décret éternel qu’il a accompli dans « le Christ Jésus Notre-Seigneur », c’est-à-dire, selon sa prescience des siècles, sa connaissance de l’avenir ; il savait les événements futurs, et il les régla ainsi : « Selon le décret éternel », le décret concernant les choses qu’il a accomplies en Jésus-Christ, puisque tout se fait par Jésus-Christ. « En qui nous avons le crédit et l’accès, avec confiance par la foi en lui (12) ». Ce n’est pas comme des prisonniers, veut-il dire, que nous avons été amenés, ni comme des graciés, ni comme des pécheurs. « Nous avons le crédit avec confiance », ou assurance. D’où vient cela ? De la foi en lui. – « Aussi je vous demande de ne point vous laisser abattre à cause de mes tribulations pour vous, car c’est votre gloire (13) ». Comment, pour eux ? Comment, leur gloire ? Parce que Dieu les a chéris au point de donner pour eux jusqu’à son Fils, et de faire souffrir ses serviteurs. C’est pour leur procurer tant de biens, que Paul était dans les fers. C’est donc une grande preuve de l’amour de Dieu pour eux. Dieu dit pareillement des prophètes : « Je les tuais avec une parole de ma bouche ». (Ose 6,5) Mais comment les tribulations d’autrui pouvaient-elles les abattre ? C’est qu’ils étaient émus, troublés. Paul écrit la même chose aux Thessaloniciens : « Afin que personne ne fût ébranlé dans ces tribulations ». (1Th 3,3) Car il ne suffit pas de ne point se plaindre ; il faut encore se réjouir. En effet, si cette prédiction doit vous consoler, nous vous prédisons que nous devons être en butte aux tribulations ici-bas. Pourquoi cela ? Parce que le Maître l’a ordonné ainsi. – C’est pour cela « que je fléchis les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui toute tribu tire son nom au ciel et sur la terre (14) ». Il montre la ferveur de la prière qu’il adresse pour eux. Il ne se borne pas à dire : « Je prie » ; il indique encore la componction qui a inspiré sa prière, par cette expression : « Fléchir les genoux » – « De qui toute paternité… (15) ». Je ne parle plus, dit l’apôtre, seulement des anges, ni du peuple d’Israël, mais de toutes les tribus créées, soit célestes, soit terrestres. – « Afin qu’il vous accorde, selon les richesses de sa gloire, que vous soyez puissamment fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur ; que le Christ habite par la foi dans vos cœurs (16, 17) ». Voyez avec quel zèle insatiable il leur souhaite toutes sortes de biens, afin qu’ils ne s’égarent pas. Et comment ce vœu peut-il être réalisé ? « Par le Saint-Esprit, dans l’homme intérieur, afin que le Christ habite par la foi dans vos cœurs ». Comment ? « Afin qu’enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, et connaître aussi la charité du Christ qui surpasse toute science (18-19) ». 2. La prière qu’il a faite en commençant, il la répète en cet endroit. Que disait-il au commencement ? « Afin que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne l’esprit de sagesse et de révélation « pour le connaître ; qu’il éclaire les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle est l’espérance à laquelle il vous a appelés, quelles sont les richesses de gloire de l’héritage destiné aux saints ; et quelle est la grandeur suréminente de sa vertu en nous, qui croyons, selon l’opération de la puissance de sa vertu ». Ici, il dit la même chose : « Afin que vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur » ; c’est-à-dire, être instruits exactement du mystère accompli en notre faveur ; voilà ce qu’il appelle largeur et longueur, hauteur et profondeur : en d’autres termes, connaître la grandeur de la charité divine, et comment elle s’étend dans tous les sens : il emploie pour cela des images matérielles et appropriées à l’humanité ; il embrasse le haut, le bas, les côtés. C’est comme s’il disait : J’ai parlé, mais il n’appartient pas à ma langue, il n’appartient qu’à l’Esprit-Saint d’enseigner ces choses. « Puissamment fortifiés » ; à savoir contre les tentations, contre les égarements : de sorte qu’il n’y a pas d’autre moyen d’être fortifié que l’Esprit et les tentations. Si vous voulez savoir maintenant comment le Christ habite dans les cœurs, écoutez ses propres paroles : « Nous viendrons, moi et mon Père, et nous ferons séjour chez lui ». (Jn 14,23) Ce n’est point dans tous les cœurs qu’il habite, mais dans les cœurs fidèles, ceux qui sont enracinés dans son amour, et non égarés. « Pour que vous puissiez ». Donc beaucoup de forcé est nécessaire. Pour quel usage, c’est ce qu’il nous fait voir en ajoutant : « Comprendre avec tous les saints quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, et connaître aussi la charité du Christ, qui surpasse toute science, afin que nous soyons remplis de toute la plénitude de Dieu ». Voici le sens de ces paroles : Quoique la charité du Christ soit au-dessus de toute connaissance humaine, cependant vous connaîtrez, si vous avez le Christ en vous ; et non seulement vous gagnerez à cela cette connaissance, mais encore vous serez remplis de toute la plénitude de Dieu. Ou bien par plénitude de Dieu, il entend connaître que Dieu est adoré dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou bien il les exhorte à s’efforcer d’être remplis de toutes les vertus qui sont toutes réunies en Dieu. « Mais à celui qui est puissant pour tout faire, bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons, selon la vertu qui opère en nous (20) ». – « Selon la vertu » est dit ici fort à propos ; car c’est grâce à elle que nous pouvons obtenir ce que nous n’avions jamais espéré. Quant à ceci, que Dieu fait bien au-delà de ce que nous demandons et concevons, cela résulte clairement des propres paroles de Paul. Moi, je prie, dit-il ; mais de lui-même, et indépendamment de ma prière il fera plus que nous ne pouvons demander, et non seulement plus, ni au-delà, mais « Bien au-delà » ; ce mot indique la grandeur du présent. Et qu’est-ce qui prouve cela ? La vertu qui opère en nous. Jamais nous n’avons demandé ces choses, jamais nous ne les avons espérées. – « A lui la gloire dans l’Église et dans le Christ Jésus, dans toutes les générations du siècle des siècles (21). Ainsi soit-il. » C’est bien à propos qu’il conclut ainsi son discours par une prière et une glorification. Car il fallait glorifier et bénir celui qui a tant fait pour nous. C’est donc encore une sorte d’hommage, que de glorifier Dieu à cause de ce qu’il a fait pour nous par Jésus-Christ. « A lui la gloire dans l’Église ». Ceci est encore très bien dit ; car l’Église seule demeure éternellement. Considérant donc cette perpétuité, il veut que nous glorifiions Dieu jusqu’à la consommation ; car c’est ce qu’il indique en disant : « Dans toutes les générations du siècle ». Qu’est-ce que les tribus ? Il est nécessaire de le dire. Ici-bas, on entend par tribus les familles, mais comment dire la même chose au ciel, où il n’y a pas de génération ? Ou bien veut-il parler des associations célestes. De même on trouve dans l’Écriture une certaine tribu « Amattarei », d’où vient le nom de pères. Mais Paul ne demande pas tout à Dieu : il demande aussi aux fidèles la foi et la charité, et non seulement la charité, mais une charité enracinée et fondée, de sorte que ni les vents ne puissent l’ébranler, ni aucune autre chose l’abattre. 3. Paul vient de dire que les afflictions sont un sujet de gloire, les siennes ; et à plus forte raison celles de ceux à qui il s’adresse. Les tribulations ne sont donc pas une marque de délaissement : autrement, celui qui nous a comblés de ses bienfaits nous les aurait épargnés. Mais si, pour connaître la charité de Dieu, Paul a besoin de prière et du séjour intérieur de l’Esprit, qui pourra connaître par des raisonnements l’essence du Christ ? Eh quoi ! est-il si difficile de se convaincre que Dieu nous aime ? Très difficile, mon cher frère. Il y a des gens qui l’ignorent, et partent de là pour expliquer l’origine de maux innombrables déchaînés sur le monde ; d’autres méconnaissent le degré de cet amour. Paul ne s’inquiète pas de déterminer ce degré : comment le pourrait-il ? Il se borne à dire qu’il est grand et sublime de le connaître, et se fait fort de le prouver au moyen de la connaissance même dont nous avons été jugés dignes. Mais qu’y a-t-il au-dessus de ceci : être fortifiés ? C’est d’être fortifiés puissamment ; de même qu’avoir le Christ est moins qu’avoir le Christ en soi. Je sollicite de grands bienfaits, dit Paul. Néanmoins Dieu saura bien dépasser mes vœux ; non seulement il nous inspirera l’amour, mais encore un amour brûlant. Appliquons-nous donc, mes chers frères, à apprendre l’amour de Dieu. C’est une grande chose, rien ne nous est aussi utile, rien ne nous inspire autant de componction : la crainte de l’enfer est moins propre à subjuguer nos âmes. Mais qu’est-ce qui nous donnera cette connaissance ? Les paroles de l’Écriture, et aussi les événements de chaque jour. Pourquoi ces choses sont-elles arrivées ? Dieu en avait-il besoin ? Nullement. Partout c’est à la charité que l’Écriture recourt pour tout expliquer. Et la charité n’éclate nulle part aussi visiblement que dans le bienfait aux hommes sans qu’ils l’aient mérité. Imitons Dieu, nous aussi : faisons du bien à nos ennemis, à ceux qui nous haïssent, allons à ceux qui se détournent de nous. Voilà ce qui nous rend semblables à Dieu. Vous aimez vos amis, dites-vous : quel avantage vous en revient-il ? Les païens en font autant. Qu’est-ce qui prouve la charité ? C’est d’aimer qui nous hait. Je veux vous donner un exemple : pardonnez-moi, si, n’en trouvant point dans les choses spirituelles, je le tire des choses mondaines. Voyez ceux qu’on appelle amants : tout ce que peuvent leur faire endurer les objets de leur amour, d’outrages, de perfidies, de dommages, ne les empêche pas de leur rester attachés, de brûler d’ardeur pour eux, de les aimer plus que leur âme, de passer les nuits devant leur porte. Si je recours à cet exemple, ce n’est pas pour vous inspirer l’amour de pareilles créatures, je veux dire des courtisanes, c’est afin que vous aimiez vos ennemis. Dites-moi, est-ce que ces femmes ne traitent pas ceux qui les aiment plus insolemment que ne feraient des ennemis ? ne dissipent-elles pas leur fortune ? ne défigurent-elles point leur visage ? ne les traitent-elles point avec plus de dureté que des esclaves ? Mais ils ne peuvent s’en détacher. Et pourtant, il n’est pas d’ennemi plus cruel qu’une courtisane n’est pour son amant. Elle se joue de lui, elle l’outrage, elle ne cesse d’abuser de lui ; et ses dédains sont proportionnés à l’amour qu’elle inspire. Quoi de plus féroce qu’une âme ainsi faite ? Et pourtant on persiste à aimer. Mais peut-être trouverons-nous aussi chez les hommes spirituels des exemples d’une pareille tendresse : non parmi ceux d’aujourd’hui, car la ferveur s’est refroidie ; mais parmi les grands et admirables personnages d’autrefois. 4. Le bienheureux Moïse surpassa ceux mêmes que l’amour possède. Comment et de quelle façon ? D’abord il quitta le palais du roi, le luxe qui y régnait, les égards, les hommages qui lui étaient prodigués pour aller vivre avec les Israélites. Tout autre non seulement n’en eût pas fait autant, mais eût encore rougi, si quelqu’un l’eût convaincu d’appartenir à la même race que des esclaves, et des esclaves réputés impurs. Loin de rougir de cette parenté, Moïse se voua de tout cœur à la défense des Israélites, et se mit en péril pour eux. Comment cela ? Voyant un homme maltraiter un d’entre eux, dit l’Écriture, il prit la défense de celui-ci, et tua l’agresseur. Mais en cela il n’agissait pas encore dans l’intérêt de ses ennemis. Cette action est belle sans doute, mais ce qui suit la surpasse. Le lendemain, il vit la même chose se répéter : l’agresseur était celui dont il avait pris la défense : il l’engagea à cesser ses violences. L’autre lui répondit, sans rougir d’une telle ingratitude : « Qui t’a établi chef et juge sur nous ? » Qui n’eût été enflammé de courroux à cette réponse ? Si dans la première occasion il n’avait fait que céder à la colère, à la fureur, cette fois encore, il eût frappé et tué le coupable. Car il n’eût pas été dénoncé par celui dont il prenait la défense. S’il parlait ainsi, c’était par respect pour les liens du sang. Cet homme, quand on le provoquait, ne disait point : « Qui t’a établi chef et juge sur nous ? » ni rien de pareil. Et pourquoi n’avoir point tenu ce langage hier ? C’est ton injustice et ton inhumanité qui m’a fait ton juge et ton chef. Mais considérez maintenant qu’il ne manque pas de gens pour tenir ce langage à Dieu même. Sont-ils offensés, ils souhaitent qu’il se montre sévère, ils l’accusent d’un excès de patience : sont-ils offenseurs, c’est autre chose. Quoi de plus amer qu’un tel langage ? Et pourtant, cela n’a point empêché Moïse de remplir sa mission auprès de ces ingrats, de ces oublieux. Et même alors, après des signes si manifestes, après les prodiges opérés par lui, ils essayèrent à plusieurs reprises de le lapider, et il fallut qu’il s’échappât de leurs mains ; ils ne cessaient de murmurer, et néanmoins il les chérissait si tendrement, qu’il disait à Dieu, à la suite de leur horrible péché : « Si vous leur remettez leur péché, remettez : sinon, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit ». J’aime mieux périr avec eux, disait-il, que d’être sauvé sans eux. Passion véritable, véritable excès d’amour. Que dis-tu ? tu dédaignes le ciel ? Oui, répondit, car j’aime les coupables. Tu demandes d’être effacé ? Et comment faire, répond-il ? J’aime. Et qu’arriva-t-il ensuite ? Écoutez ce que l’Écriture dit dans un autre endroit : « Et Moïse fut maltraité à cause d’eux ». Combien de fois ne l’avaient-ils pas outragé ? Combien de fois déposé, lui et son frère ? Combien de fois n’avaient-ils pas tenté de retourner en Égypte ? Et après tout cela il était encore tout passion, tout amour, tout prêt à souffrir pour eux. C’est ainsi qu’il faut aimer ses ennemis ; en dépit des coups, des mauvais traitements, des difficultés, du délaissement, il faut travailler à leur salut. Et Paul, dites-moi, est-ce qu’il n’a pas demandé l’enfer pour en racheter le peuple ? Mais c’est au Maître qu’il faut emprunter un exemple. En effet, il ne fait pas autrement lui-même en disant : « Il a fait lever son soleil sur les méchants et les bons ». (Mat 5,45) Il emprunte ses exemples au Père : c’est au Christ que nous devons emprunter les nôtres. Il vint vers les Juifs, j’entends selon l’Incarnation, il se fit serviteur pour eux, il s’abaissa, sortit de lui-même, prit la forme d’un esclave : et, descendu ici-bas, il ne voulut pas aller en personne visiter les gentils, et confia ce soin à ses disciples : non content de cela, il allait partout, guérissant toute maladie et toute infirmité. Eh bien ! tandis que tous les autres étaient saisis d’étonnement, d’admiration, et disaient : « D’où lui viennent donc toutes ces choses » (Mat 13,56), ceux qu’il comblait de biens disaient : Il a un démon ; il blasphème ; il est fou ; c’est un charlatan. Eh bien ! est-ce qu’il les repoussa ? Aucunement : il répondit à ces injures par des bienfaits plus grands ; il s’en alla vers ceux qui devaient le crucifier, dans le seul but de les sauver. Et après le crucifiement, que dit-il ? « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Maltraité par eux, sur le point de l’être encore, jusqu’au dernier soupir il s’occupait d’eux, il priait pour eux. Et encore après le crucifiement que ne fit-il pas en leur faveur ? N’envoya-t-il pas les apôtres ? Ne fit-il pas des prodiges ? N’employa-t-il pas tous les moyens ? C’est ainsi qu’il faut aimer ses ennemis, ainsi que nous devons imiter le Christ. Paul agit de la sorte : assailli de pierres, en butte à mille mauvais traitements, il ne cessait de s’occuper de ses persécuteurs. Écoutez-le plutôt : « Ma bonne volonté et ma prière ont pour objet leur salut » ; et encore : « Je leur rends ce témoignage, qu’ils ont du zèle pour Dieu » ; et ailleurs. « Si toi, qui n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été enté sur eux, à combien plus forte raison seront-ils entés sur leur propre olivier ». (Rom 10,1-2 ; 11, 17) Combien de charité, de tendresse dans ces paroles ! On ne saurait, non, on ne saurait le dire. C’est ainsi qu’il faut aimer ses ennemis : ainsi l’on aime Dieu qui nous a prescrit cet amour, qui nous en a fait une loi : l’imiter, c’est aimer son ennemi. Songez que ce n’est pas à votre ennemi, mais à vous-même que vous faites du bien ; songez que ce n’est pas là aimer votre ennemi, mais obéir à Dieu. Instruits de ces vérités, pratiquons la charité mutuelle, afin qu’après avoir exactement rempli ce devoir, nous obtenions les biens qui nous sont promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles de siècles. Ainsi soit-il.