Ephesians 4:11-14
HOMÉLIE X.
SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT COMME VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS À UNE SEULE ESPÉRANCE DANS VOTRE VOCATION. (IV, 4) Analyse.
- 1. Sur l’unité de l’Église.
- 2 et 3. Tableau pathétique de ses maux actuels : exhortation à la pénitence.
1. Lorsque le bienheureux Paul arrive à une exhortation d’importance majeure, cet homme si sage, si favorisé des dons de l’Esprit, prend son point de départ dans les cieux, fidèle en cela aux leçons données par le Seigneur. C’est ainsi qu’il dit dans un autre endroit : « Marchez dans l’amour comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous » (Eph 5,2) ; et ailleurs encore : « Ayez en vous les sentiments qu’avait en lui le Christ Jésus, qui, étant dans la forme de Dieu, n’a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu ». (Phi 2,5-6) Il fait la même chose ici. Devant les grands exemples exposés à sa vue, son zèle, son ardeur redoublent. Que dit-il, pour nous exhorter à l’unité ? « Soyez un seul corps et un seul esprit, comme vous avez été appelés à une seule espérance dans votre vocation. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Qu’est-ce que ce corps unique ? Les fidèles du monde entier, ceux qui le sont devenus, ceux qui le deviendront. De même pour ceux qui ont été agréés, même avait la venue du Christ. Comment cela ? parce qu’ils connaissaient, eux aussi, le Christ. En voici la preuve : « Abraham, votre père, a tressailli pour voir mon jour ; il a vu et il s’est réjoui ». (Jn 8,56) Et encore : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez sans doute à moi aussi, parce que c’est de moi qu’il a écrit » (Id 5,39) ; et les prophètes pareillement. Ils n’auraient pas écrit de lui, sans savoir ce qu’ils disaient : ils le connaissaient, partout ils l’adoraient. Ceux-ci donc aussi forment un seul corps. Le corps n’est point séparé de l’esprit, sans quoi ce ne serait pas un corps. Pareillement, nous avons coutume de dire en parlant des choses qui forment une unité, un enchaînement parfait : C’est un seul corps. C’est ainsi que dans l’union nous ne formons qu’un corps pour une tête. S’il n’y a qu’un corps, qu’une tête, le corps est composé de membres nobles et d’autres qui ne le sont pas. Ce n’est pas à dire que le meilleur essaie d’opprimer le moindre, ni que le moindre porte envie au meilleur. D’ailleurs tout ne contribue point pour une part égale, mais seulement à proportion de la nécessité. Et parce que tout est nécessaire et sert à divers usages, tout est égal en dignité. Néanmoins l’importance varie : ainsi la tête domine tout le corps, attendu qu’en elle est le siège de toutes les sensations et du gouvernement de l’âme : sans tête on ne peut vivre : au contraire bien des hommes ont vécu longtemps après qu’on leur avait coupé les pieds. Ce n’est donc pas seulement par sa position que la tête est supérieure, c’est encore par ses fonctions et son rôle. Où veux-je en venir ? Il y a dans l’Église bon nombre d’hommes qui s’élèvent en haut comme la tête, et contemplent les choses célestes comme les yeux de la tête, qu’un vaste intervalle sépare de la terre, qui n’ont rien de commun avec elle : d’autres jouent le rôle des pieds, de pieds saints toutefois, et foulent le sol. Ce qui est honteux pour les pieds, ce n’est pas de fouler la terre, mais bien de courir au vice : « Ses pieds courent vers le vice » (Isa 59,7), est-il écrit. C’est-à-dire : que les yeux ne dédaignent point les pieds, que les pieds ne soient pas jaloux des yeux. Autrement chacun compromettrait la beauté qui lui est propre, et mettrait obstacle à l’accomplissement de sa fonction particulière ; et ce serait à bon droit : car vouloir nuire au prochain, c’est vouloir se nuire à soi-même. Si donc les pieds ne voulaient point porter la tête à l’endroit où elle doit se rendre, ils se nuiraient à eux-mêmes par leur paresse et leur fainéantise ; et si la tête refusait de s’occuper des pieds, elle serait la première atteinte. Mais ces organes, dira-t-on, ne se font pas mutuellement la guerre pour une bonne raison : la nature le veut ainsi. Maintenant, comment est-il possible qu’un homme ne fasse pas la guerre à un homme ? Cela ne se voit pas d’hommes à anges, ni d’anges à archanges : les brutes, d’autre part, sont incapables de me traiter avec dédain. Mais la où la nature met des prérogatives égales, où le privilège est unique, et la répartition parfaite, comment n’y aurait-il pas de discorde ? C’est justement pour cela que vous ne devez pas faire la guerre au prochain. Si tout est commun, si l’égalité est parfaite, d’où viendrait l’orgueil ? Nous participons de la même nature, corps et âme tout à la fois, nous respirons le même air, nous mangeons les mêmes aliments. Pourquoi nous ferions-nous la guerre ? Peut-être la pensée que nous pouvons, par la vertu, triompher des puissances incorporelles, est-elle propre à nous inspirer de l’orgueil ? Non, ce n’est pas là de l’orgueil. Quant à moi, je brave, comme de juste, le démon, je le brave et le méprise. Considérez à quel point Paul méprisait le démon. Quand le démon parlait de lui en termes magnifiques, il lui ferma la bouche, incapable de tolérer même ses flatteries. La jeune fille qui avait un esprit de python, disait : « Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut, qui vous annoncent la voie du salut ». Paul, par une réprimande sévère, ferme cette bouche impudente. (Act 16,17) Ailleurs encore il écrit : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement ». La différence de nature y lit-elle quelque chose ? 2. Voyez-vous bien que la différence de nature est sans effet, que la volonté seule est efficace ? Or, par la volonté, les démons sont inférieurs à tout. Mais un ange ? dira-t-on, je ne saurais lui tenir tête : trop grande est la distance qui nous sépare. Eh bien ! vous ne devez pas plus tenir tête à un homme qu’à un ange. Ce qui distingue l’ange de vous, c’est sa nature, laquelle ne saurait créer ni un mérite, ni un sujet de reproche : entre homme et homme au contraire, il n’y a pas de différence de nature ; toute différence vient de la volonté. Par conséquent, si vous ne vous révoltez pas contre les anges, à plus forte raison ne devez-vous pas vous révolter contre les hommes qui sont devenus anges en dépit de leur nature. Supposez, en effet, qu’il y ait un homme aussi vertueux que sont les anges, il sera à une plus grande distance au-dessus de vous que l’ange lui-même. Pour quelle raison ? Parce que ce qui chez l’un est un simple don de la nature est chez l’autre une conquête du libre arbitre. De plus, l’ange est séparé de vous par les cieux, il habite le ciel ; tandis que l’autre vit avec vous et vous donne un sujet d’émulation. Mais que dis-je ? un tel homme est placé plus loin de vous que les anges eux-mêmes. Il est écrit en effet : « Notre séjour est dans les cieux ». (Phi 3,20) Maintenant, pour vous convaincre que la distance est plus grande, écoutez où le chef est assis : Sur le trône royal, dit l’Évangile. Donc un tel homme est séparé de nous par toute la distance qui nous sépare du trône royal. Mais la dignité à laquelle je le vois élevé n’est propre, direz-vous, qu’à exciter ma jalousie. Voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a enfanté mille troubles, non seulement dans le monde, mais encore dans l’Église. Et comme des vents furieux déchaînés contre un port tranquille, y causent plus de désastres que tous les écueils et tous les passages difficiles : ainsi l’amour de la gloire n’a qu’à pénétrer quelque part pour tout confondre et tout bouleverser. Vous avez vu plus d’une fois l’incendie dévorer de grands édifices : vous avez vu la fumée monter au ciel, et le feu tout embraser, tandis que chacun ne songe qu’à soi, au lieu de courir éteindre les flammes : souvent le désastre a pour spectatrice la ville tout entière, une foule de curieux qui ne s’inquiètent point de prêter main-forte, et n’ont d’autre occupation que de montrer du doigt à tous ceux qui surviennent le théâtre du fléau, les flammes qui s’échappent par les fenêtres, les poutres qui tombent, l’enceinte tout entière arrachée de ses fondations et s’écroulant sur le sol. Un bon nombre, plus hardis, plus téméraires que les autres, ne craignent pas de s’approcher des bâtiments qui brûlent, non pour tendre la main aux habitants ou pour éteindre le feu, mais pour jouir du spectacle mieux à leur aise, pour être à portée de ne rien perdre des incidents qui échappent souvent aux curieux du dehors. Si par hasard il s’agit d’une maison grande et magnifique, on voit là un spectacle attendrissant, et qui arrache des larmes. Et c’est en effet un spectacle attendrissant que ces chapiteaux réduits en cendres, que ces colonnes brisées, les unes par l’action du feu, les autres par les mains de ceux qui les ont élevées, pour que l’incendie n’étende pas plus loin ses ravages. On voit alors ces statues qui naguère se dressaient avec tant de majesté, découvertes par la chute des lambris qui les protégeaient, et tristement exposées aux injures de l’air. Que dire des trésors renfermés dans la maison, des étoffes brochées d’or, des vases d’argent ? Les appartements où le maître pénétrait seul avec sa femme, le dépôt où était mis en réserve étoffes et, parfums, les écrins de pierres précieuses ; tant de serviteurs chargés d’offices différents ; tout ce que cette demeure contenait de richesses et d’habitants n’est plus qu’eau, feu, boue, poussière et poutres à demi brûlées. Pourquoi me suis-je étendu sur ce tableau ? Ce n’est pas que j’aie voulu perdre mon temps à vous décrire un incendie : à quoi bon ? Mais j’ai tâché de vous mettre sous les yeux, autant qu’il est en moi, les malheurs de l’Église. Pareils à un incendie véritable, ou à un carreau de foudre, ils atteignent le faîte même de l’Église, sans réveiller personne. La maison de nos pères est en feu : et nous dormons d’un sommeil profond, et nous ne nous apercevons de rien. Qui, en effet, n’a pas été atteint par ce feu ? Quelle image est restée debout dans l’Église ? Car l’Église n’est pas autre chose qu’un palais bâti avec nos âmes. Mais ce palais n’est point également précieux dans toutes ses parties : parmi les pierres qui le constituent, il en est de belles et de brillantes, il en est de moins éclatantes et de moins précieuses, bien que supérieures encore à toute autre. Les uns, en bon nombre, jouent le rôle de l’or qui décore les lambris ; d’autres figurent les statues qui embellissent l’enceinte ; d’autres sont comparables à des colonnes. On peut, en effet, appeler de ce nom ces hommes dont le mérite ne gît pas seulement dans la constance, mais encore dans l’éclat que projette, pour ainsi dire, l’or de leurs chapiteaux. La foule enfin, est ce qui constitue toute cette vaste enceinte : elle est comme les pierres dont les murs sont formés. 3. Mais il vaut mieux passer à une image plus belle. Notre Église n’est pas faite de pierres ordinaires, mais d’or, d’argent, de pierres précieuses : et l’or y est disséminé partout. Mais (ô larmes amères !) la tyrannie de la vanité a consumé tout cela, comme une flamme dévorante, et rien n’a pu résister au fléau : nous restons là à regarder l’incendie, et nous ne sommes plus capables de l’éteindre. Et quand bien même nous l’éteignons pour un instant, au bout de deux ou trois jours, une étincelle sortie de la cendre ruine tout, sans excepter ce qui avait été épargné jusque-là. La même chose se retrouve dans l’exemple que nous avons choisi : car ces accidents sont fréquents dans les incendies. L’origine du mal c’est que les colonnes mêmes de l’Église ont manqué par leurs fondements : ainsi ceux qui soutenaient le toit, et avaient assuré jusque-là la solidité de tout l’édifice, sont devenus la proie des flammes. Dès lors le feu a pu étendre rapidement ses ravages sur le reste des parois.l Dans les incendies de maisons, la flamme une fois maîtresse des poutres, est plus forte contre les pierres ; et une fois les piliers abattus, jetés par terre, ce n’est plus une affaire que d’avoir raison de tout l’édifice… Quand les appuis, les soutiens des parties supérieures succombent, le reste les suit aussitôt et spontanément. Il en est de même aujourd’hui pour l’Église : le feu est partout. Nous recherchons les distinctions humaines, nous brûlons pour la gloire, et nous n’entendons pas Job qui nous dit : « Si, quand j’ai péché même involontairement, j’ai craint la multitude ». (Job 31,34) Voyez-vous cette âme vertueuse ? Je n’ai pas rougi, nous dit Job, de déclarer devant la multitude mes péchés involontaires. Que s’il n’en rougissait pas, à plus forte raison devrions-nous faire comme lui. Car il est écrit : « Dis le premier tes iniquités, afin que tu sois justifié ». (Isa 43,26) Terrible est désormais la violence du fléau, tout est bouleversé, anéanti. Nous avons abandonné le service de Dieu pour celui de la gloire ; nous ne pouvons plus réprimander nos subordonnés, atteints que nous sommes de la même maladie : nous-mêmes, nous avons besoin de remèdes, nous que Dieu a chargés de guérir les autres. Quel espoir de salut reste-t-il encore, quand les médecins eux-mêmes ont besoin des soins d’autrui ? Ce ne sont pas ici de vaines plaintes, ni des paroles en l’air : mon but est que nous tous, hommes, femmes, enfants, nous répandions de la cendre sur nos têtes, revêtions le cilice, jeûnions sans relâche, et que nous priions Dieu de nous tendre la main et d’éteindre l’incendie. Car nous en avons bien besoin de cette main puissante, de cette main miraculeuse. De notre côté, il faut que notre pénitence surpasse celle des Ninivites… « Encore trois jours et Ninive sera détruite ». (Jon 3,4) Terrible annonce, formidable menace ! Quelle attente que de se voir ensevelis au bout de trois jours sous les ruines de sa patrie, et enveloppés tous dans le même châtiment. Si la mort de deux enfants arrivant à la fois dans une maison paraît un malheur intolérable, si de tous les maux de Job aucun ne lui parut plus insupportable que cette chute d’un toit qui lui ravit d’un même coup tous ses enfants : que devait-ce être de se représenter, non pas une famille ni deux enfants, mais un peuple de cent vingt mille âmes écrasé sous les ruines de sa ville ? Vous comprenez l’horreur d’un tel désastre : il n’y a pas si longtemps que nous avons entendu, non les menaces d’un prophète (nous ne sommes pas dignes d’entendre une voix si sainte), mais d’autres menaces qui nous venaient du ciel avec un bruit plus retentissant que le son de la trompette. « Encore trois jours et Ninive sera détruite ». Épouvantable menace ! Mais rien de pareil aujourd’hui. Il n’est plus question de trois jours, ni de la prochaine destruction de Ninive voilà bien des jours que l’Église universelle est abattue et gît sur le sol : tous sont également en proie au mal, et les chefs mêmes n’en sont pas exempts ; et cette infirmité des membres les plus indispensables est ce qui redouble l’intensité du mal. Ne vous étonnez donc point, si je vous demande de faire plus que n’ont fait les Ninivites : ou plutôt, ce n’est pas seulement le jeûne que je vous prescris, je vous indique encore le remède qui a relevé cette ville au moment où elle succombait. Quel est ce remède ? « Le Seigneur vit que chacun s’était détourné de ses voies d’iniquité, et il se repentit au sujet du mal qu’il avait menacé de leur faire ». Suivons cet exemple les uns et les autres ; détournons-nous de l’avarice, de l’ambition, en priant Dieu de nous tendre la main et de redresser les membres qui ont défailli. Le sujet de crainte n’est plus le même aujourd’hui. Alors c’étaient des pierres, des poutres qui allaient tomber, des corps qui allaient périr : il ne s’agit plus de cela, mais des âmes menacées du feu vengeur de l’enfer. Prions, confessons-nous, remercions Dieu pour les choses passées, prions-le pour l’avenir, afin que, délivrés du monstre terrible déchaîné parmi nous, il nous soit donné d’offrir nos actions de grâces au Dieu de bonté, au Dieu Père, avec qui gloire, puissance, honneur au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XI.
SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT, COMME VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS A UNE SEULE ESPÉRANCE DANS VOTRE VOCATION. IL Y A UN SEUL SEIGNEUR, UNE SEULE FOI, UN SEUL BAPTÊME, UN SEUL DIEU ET PÈRE DE TOUS, QUI EST AU-DESSUS DE TOUS, ET AU MILIEU DE TOUTES CHOSES, ET EN NOUS TOUS. OR, A CHACUN DE NOUS A ÉTÉ DONNÉE LA GRACE, SELON LA MESURE DU DON DE JÉSUS-CHRIST. (IV, 4-7, JUSQU’À 16) Analyse.
- 1-3. Grâces communes à tous et grâces spéciales.
- 4-6. De l’humilité et de l’unité. – Tableau d’un schisme. – Que le schisme est aussi abominable que l’hérésie. – Renseignements précieux pour l’histoire de l’Église et la biographie de saint Jean Chrysostome.
1. La charité que Paul exige de nous n’est point une charité vulgaire, mais une charité capable de nous unir, de nous attacher indissolublement les uns aux autres, et de mettre entre nous une harmonie comparable à celle qui existe entre les membres d’un même corps. Voilà quelle est cette charité féconde en grandes choses. De là cette expression : Un seul corps, pour marquer la sympathie, l’absence de toute jalousie mutuelle, la part prise par chacun au bonheur d’autrui. Après avoir indiqué par là toutes ces choses à la fois, il ajoute fort à propos : « Et un seul esprit », marquant que de ce corps unique résultera un seul esprit, ou bien que le corps peut être un sans que l’esprit le soit : ce qui arrive par exemple, pour les amis des hérétiques. Ou encore il part de là pour ramener par la honte les fidèles à la concorde ; c’est à peu près comme s’il disait : Vous qui avez reçu un seul esprit, qui avez été abreuvés à la même source, vous ne devez point être en dissension. Ou bien enfin par esprit, il entend ici le zèle. Il ajoute : « Comme vous avez été appelés à une seule espérance dans votre vocation ». En d’autres termes Dieu vous a appelés tous aux mêmes conditions ; il n’a donné à l’un aucun avantage sur l’autre ; à tous il a octroyé l’immortalité, à tous la vie éternelle, à tous une gloire impérissable, à tous la fraternité, à tous l’héritage. Il est devenu notre chef commun, il nous a tous ressuscités et fait asseoir avec lui. Vous donc qui participez si également aux biens spirituels, d’où vous vient votre orgueil ? A l’un, de sa fortune, à l’autre de sa puissance ? Quelle dérision ! Dites-moi, si l’empereur faisant choix de dix personnes, les revêtait toutes de la pourpre, les faisait asseoir sur son trône, et leur décernait à toutes les mêmes honneurs, qui d’entre elles oserait reprocher à telle autre l’infériorité de sa fortune ou de son nom ? Aucune assurément. Et je n’ai pas tout dit : car la distance n’est pas si grande. Ainsi donc, égaux dans les cieux, nous serons distingués ici-bas ? « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Voilà l’espérance de la vocation. « Un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et au milieu de toutes choses et en nous tous ». Est-ce que vous invoquez un plus grand Dieu, tel autre un Dieu plus petit ? Est-ce que vous êtes sauvé par la foi, et cet autre par les œuvres ? Est-ce que le baptême vous a purifié, et lui a laissé sa souillure ? Qu’osé-je dire ! « Il y a un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et au milieu de toutes choses, et en vous tous ». – « Au-dessus de toutes closes », c’est-à-dire, supérieur à tout. « Au milieu de toutes choses » pour les diriger, les gouverner. « En vous tous » : Il habite chez tous. On a dit pourtant que ceci était propre au Fils ; si c’était l’effet d’un abaissement, Paul ne dirait point la même chose du Père. – « Or, à chacun de nous a été donnée la grâce ». Comment se fait-il donc, dira-t-on, que les grâces soient diverses ? Cette pensée ne cessait d’inspirer aux Éphésiens, comme aux Corinthiens et à beaucoup d’autres, soit l’orgueil, soit le découragement et l’envie. Voilà pourquoi il recourt partout à cet exemple du corps et ici même, sur le point de faire mention de la diversité des grâces. Il insiste en plus grand détail sur cette question dans son épître aux Corinthiens, parce que la maladie faisait chez eux plus de ravages que partout ailleurs. Ici il se borne à une allusion, et considérez comment il s’exprime. Il ne dit pas : Selon la foi de chacun : ç’eût été jeter dans le désespoir ceux à qui les grandes prérogatives avaient été refusées. Il dit : « Selon la mesure du don de Jésus-Christ ». Les choses les plus importantes, veut-il dire, sont communes à tous : le baptême, le salut par la foi, le titre de fils par rapport à Dieu, la participation à l’Esprit. Si tel ou tel est mieux partagé que toi en quelque chose, ne te plains pas : car sa tâche aussi est plus grande. Celui qui avait reçu cinq talents, eut à rendre compte de cinq ; celui qui en avait reçu deux, en rapporta deux seulement ; et ne fut pas moins bien rétribué que l’autre. Aussi en cet endroit emploie-t-il justement cette raison pour consoler son auditeur. « Pour la perfection des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ ». De là encore cette parole du même : « Malheur à moi, si je n’évangélise pas ! » (1Co 9,16) Par exemple, quelqu’un a reçu le don d’apostolat. C’est donc à lui qu’il faut crier : Malheur à lui qui a reçu cette grâce : pour vous, vous êtes hors de danger. « Selon la mesure ». Qu’est-ce à dire : « Selon la mesure ? » Entendez, non pas en proportion de notre mérite : autrement personne n’aurait obtenu ce qui lui a été donné. Nous ne possédons rien que par un don. 2. Mais pourquoi l’un a-t-il plus, l’autre moins ? Cela n’y fait rien, répond Paul ; la chose est indifférente – car chacun contribue à l’édification. — Paul fait voir par là que ce n’est point en vertu de son mérite que l’un a eu plus, l’autre moins ; mais en considération des autres, et selon la répartition faite par Dieu même ; car le même Paul dit dans un autre passage : « Dieu a placé dans le corps chacun des membres comme il l’a voulu ». (1Co 12,18) Il ne donne point d’autre raison pour ne pas abattre la confiance de ses auditeurs. C’est pourquoi l’Écriture dit : « Montant au ciel, il a conduit une captivité captive ; il a donné des dons aux hommes (8)… » C’est comme s’il disait : Pourquoi t’enorgueillir ? Tout te vient de Dieu. Le Prophète dit dans un psaume : « Tu as reçu des dons parmi les hommes ».(Psa 68,19) Paul dit : « Il a donné des dons aux hommes ». C’est la même chose. Interprétez pareillement ceci : « Mais qu’est-ce : Il est monté, sinon qu’il est descendu auparavant dans les parties inférieures de la terre ? Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu’il remplît toutes choses (9, 10) » En entendant cela, ne vous figurez point un déplacement. Il établit ici le même point que dans son épître aux Philippiens. Dans cette épître, il cite le Christ à l’appui d’une exhortation concernant l’humilité : il procède ici de la même manière, en disant : « Il est descendu dans les parties inférieures de la terre ». Autrement, c’est en vain qu’il dirait : « Ayant été obéissant jusqu’à la mort ». (Phi 2,7-8) L’ascension suppose la descente. Par les parties inférieures de la terre, il faut entendre la mort : C’est une expression appropriée à l’opinion commune, et qui rappelle celle de Jacob : « Vous ferez descendre ma vieillesse avec douleur aux enfers ». (Gen 44,29) De même on lit dans un psaume : « Je serai rendu semblable à ceux qui descendent dans la fosse » (Psa 143, 7), c’est-à-dire aux morts. Pourquoi Paul traite-t-il ici ce sujet ? et quelle captivité a-t-il en vue ? Celle du diable. Jésus-Christ a fait prisonnier le tyran, je veux dire le diable, et avec lui la mort, la malédiction, le péché. Voyez-vous ce butin, ces dépouilles ? « Mais qu’est-ce : il est monté, sinon qu’il est descendu auparavant ? » Ceci est pour les sectateurs de Paul de Samosate. « Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu’il remplît toutes choses ». Il est descendu dans les parties inférieures de la terre, dans celles au-dessous desquelles il n’y a rien ; et il est monté au-dessus de tout, à un degré après lequel il n’y a rien. Ceci regarde sa puissance et sa domination : car depuis longtemps tout était accompli. « Et c’est lui qui a fait les uns apôtres, les autres prophètes, d’autres évangélistes, d’autres pasteurs et docteurs pour la perfection des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ (11, 12) ». Il dit ailleurs : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté ». C’est la même chose ici : « Celui qui est descendu est le même qui est monté ». Être descendu dans les parties inférieures de la terre, cela ne l’a pas empêché de monter au-dessus des cieux. Ainsi, plus on a été abaissé, plus on est élevé. Plus on fait descendre l’eau, plus elle s’élève ; plus on est éloigné pour lancer un trait, plus on est sûr de son coup : il en est de même pour l’humilité. Mais quand nous parlons d’ascension divine, nous songeons nécessairement à une descente : quand il s’agit d’un homme, cela n’est plus nécessaire… Paul fait voir ensuite la providence et la sagesse de Dieu en disant : « Celui qui a opéré de telles choses, qui a manifesté un si grand pouvoir, celui qui n’a pas refusé de descendre à cause de nous jusque dans les parties inférieures de la terre, celui-là ne peut avoir distribué les grâces à la légère ». Ailleurs il attribue cet acte à l’Esprit : « Sur lequel l’Esprit-Saint vous a établis évêques pour gouverner l’Église du Seigneur ». Ici il nomme le Fils, ailleurs Dieu. Il dit encore : « C’est lui qui a donné à l’Église les uns pour apôtres, les autres pour prophètes ». Dans l’épître aux Corinthiens il dit : « J’ai planté, Apollo a arrosé : mais Dieu a donné la croissance (3, 6) ». Et encore : « Celui qui plante et celui qui arrose sont une seule chose : mais chacun recevra son propre salaire selon son propre travail ». De même ici… Qu’importe que vous donniez moins, si vous avez moins reçu ? D’abord, « Les apôtres ». Rien ne leur manquait, à eux. Secondement, « Les prophètes » quelques-uns étaient en effet prophètes, sans être apôtres, comme Agabus. Troisièmement, « Les évangélistes ». Ceux qui évangélisaient sans voyager partout, comme Priscille et Aquila. Enfin, « Les pasteurs et les docteurs », ceux à qui tout le peuple est confié. Qu’est-ce à dire : Les pasteurs et les docteurs sont au-dessous des autres ? Oui, ceux qui voyagent et qui évangélisent, sont supérieurs à ceux qui sont sédentaires et occupés dans un seul endroit, comme Timothée et Tite… D’ailleurs, les éléments de cette hiérarchie ne se trouvent pas ici, mais dans une autre épître. « C’est lui qui les a donnés ». Ainsi, point d’objections. Ou bien encore Paul entend par évangélistes, ceux qui ont écrit l’Évangile. « Pour la perfection des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ ». 3. Voyez-vous notre dignité ? Chacun édifie, chacun perfectionne, chacun sert. « Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’un homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ (13) ». Par âge il entend ici la connaissance parfaite. Il en est des fidèles comme de l’homme fait, dont l’esprit a de la consistance, tandis que celui des enfants voltige au hasard. « Dans l’unité de la foi ». En d’autres termes, jusqu’à ce que nous paraissions tous animés d’une seule foi. En cela consiste en effet l’unité de foi, que nous ne formions qu’un corps à nous tous, que nous nous reconnaissions tous comme unis ensemble. Jusque-là il faut travailler, si vous avez reçu le don d’édifier les autres. Prenez garde de vous jeter à bas vous-mêmes, en portant envie à autrui. Dieu vous a honoré du privilège, il vous a confié la charge de perfectionner autrui. Tel était aussi l’objet de l’apôtre, celui du prophète lorsqu’il prédisait l’avenir et prêchait, celui de l’évangéliste lorsqu’il évangélisait, celui du pasteur, celui du docteur : tous étaient investis de la même tâche. Ne venez pas m’alléguer la diversité des dons : tous n’avaient qu’une fonction. Car l’unité règne quand nous croyons tous la même chose : Il est clair que tel est le sens, de ces mots : « L’état d’un homme parfait ». Ailleurs il nous appelle petits enfants et parle d u temps où nous serons hommes faits : mais le sens est différent. En nous appelant petits enfants, il songe à la connaissance future en effet, après avoir dit : « Nous connaissons partiellement », il ajoute : « Par énigmes » et le reste (1Co 13,9, 12) Ici il songe à autre chose, à la facilité des chutes : de même qu’il dit ailleurs : « La nourriture solide des hommes faits ». (Heb 5,14) Voyez-vous en quel sens, dans ce passage encore, il nous traite d’hommes faits. Voyez maintenant quelle signification il attache à ce terme dans notre passage, au moyen de ce qui suit : « Afin que nous ne soyons plus petits enfants (14) ». Voilà cette petite mesure que nous avons reçue : conservons-la avec grand soin, avec une persévérance inébranlable. « Plus » : ce mot marque que nous sommes depuis longtemps dans cet état. « Il se met lui-même au nombre de ceux qui ont besoin de la correction, il s’y soumet ». Il dit donc : S’il y a tant d’ouvriers, c’est pour que l’édifice ne soit pas ébranlé, ne vacille pas, pour que les pierres demeurent bien jointes : car c’est à elles que conviennent ces expressions qui marquent un ébranlement. « Afin que nous ne soyons plus comme de petits enfants qui chancellent et vacillent à tout vent de doctrine, par la méchanceté des hommes, par l’astuce qui entraîne dans le piège de l’erreur ». – « Qui vacillent à tout vent de doctrine », est une métaphore continuée qui montre bien à quel danger sont exposées les âmes désunies et séparées. Il désigne la méchanceté par une expression qui signifie action de jouer aux dés. Ainsi se comportent en effet les pervers à l’égard des simples : ils brouillent et bouleversent tout. Maintenant il passe à la conduite : « Mais afin que, pratiquant la vérité dans la charité, nous croissions en toutes choses dans celui qui est le chef, le Christ, en vertu duquel tout le corps uni et lié par toutes les jointures qui se prêtent un mutuel secours, d’après une opération proportionnée à chaque membre, reçoit son accroissement, pour être édifié dans la charité (15, 46) ». Son langage est très obscur, parce qu’il a voulu tout dire à la fois. En voici le sens. Le Christ ressemble à l’esprit qui, descendant du cerveau, ne communique pas à tous les nerfs une pareille aptitude à sentir, mais seulement une aptitude appropriée à la fonction de chaque membre, plus grande chez celui qui comporte un plus haut degré de sensibilité, moins grande chez celui qui en comporte un moindre : mais le principe, c’est toujours l’esprit. Les âmes sont comme les membres qui dépendent du Christ : sa providence dispense les grâces, et mesure l’accroissement de chaque membre proportionnellement à son rôle. Qu’est-ce à dire : « Par toutes les jointures qui se prêtent un mutuel secours. » C’est de la sensibilité qu’il s’agit ici. Cet esprit qui se répand de la tête dans tous les membres, opère ainsi dans chaque membre qu’il parcourt. C’est comme si l’on disait : Le corps qui reçoit ce secours croît à proportion de ses membres ; ou encore : Les membres participent à ce secours proportionnellement, et croissent dans cette mesure ; ou encore : L’esprit libéralement répandu d’en haut, et communiqué à tous les membres à proportion de leur capacité, croît dans cette même proportion. Mais pourquoi avoir ajouté « en charité ? » C’est que autrement l’esprit dont il est question ne saurait descendre. Supposons une main détachée du corps : l’esprit qui vient du cerveau trouvant la route interceptée ne quitte point pour cela le corps afin de rejoindre la main : s’il ne la trouve pas à portée, il ne se communique point à elle… La même chose arrive pour nous, quand la charité ne nous unit point. 4. Dans tout ce qui précède, Paul a eu en vue l’humilité. Qu’importe-t-il que tel ou tel ait reçu davantage ? Il a reçu le même esprit qui vient de la tête, esprit qui agit également, se communique également. « Uni et lié » : en d’autres termes, objet d’une vive sollicitude. Pour que le corps subsiste, il faut que la liaison entre les membres soit très étroite : car la moindre déviation l’empêche de subsister. Il ne suffit donc pas d’être uni au corps, il faut encore demeurer à sa place : sans quoi l’union n’existe pas, et l’esprit n’arrive plus. Dans les luxations que causent certains accidents, le dérangement d’un seul os qui empiète sur le domaine d’un autre suffit pour endolorir tout le corps et quelquefois pour le tuer : d’autres fois, on juge cet os indigne d’être conservé ; on l’enlève, on laisse vide la place qu’il occupait. Car l’usurpation est partout un mal. De même pour les éléments qu’ils viennent à rompre leur harmonie pour empiéter les uns sur les autres, tout l’univers en souffre. Voilà ce que signifie « Uni et lié ». Songez donc combien il importe que chacun reste dans son domaine et s’abstienne d’entreprendre sur le terrain d’autrui. Vous arrangez les membres : un autre de là-haut leur fournit ce dont ils ont besoin. Il en est de l’esprit comme du corps : il a également des organes susceptibles de recevoir ce qui lui vient de là-haut. Le cœur, par exemple, est le réceptacle de l’air ; le foie, du sang ; la rate, de la bile, et ainsi de suite : néanmoins toutes ces choses ont leur principe dans le cerveau. Dieu a fait de même, voulant honorer l’homme et veiller sur lui sans cesse : il a rattaché le principe à lui-même, mais il s’est donné des collaborateurs, entre lesquels il a réparti les fonctions. Par exemple, dans ce corps le vaisseau par excellence est l’apôtre qui reçoit tout de ses mains. De cette façon, comme par des artères et des veines (c’est la parole que j’ai en vue) il fait circuler en tous la vie éternelle. Le prophète prédit l’avenir, et Dieu le prépare. Le prophète assemble les os : Dieu y infuse la vie, « pour la perfection des saints, pour l’œuvre du ministère ». La charité édifie, et fait que toutes les parties s’assemblent, se joignent, s’unissent. Ainsi donc, si nous voulons jouir de l’esprit qui vient de la tête, attachons-nous les uns aux autres. Il y a deux manières de se séparer du corps de l’Église : l’une consiste dans le refroidissement de la charité ; l’autre dans une conduite qui nous rend indignes de faire partie de ce corps : des deux façons nous rompons avec l’assemblée des fidèles. S’il nous est prescrit même d’édifier les autres, qu’adviendra-t-il de ceux qui, au lieu d’édifier, donnent l’exemple de la désunion. Rien ne divise l’Église comme l’amour de la domination ; rien n’irrite Dieu comme la division de l’Église. Aurions-nous pratiqué les œuvres les plus parfaites, si nous déchirons l’unité, nous serons punis comme si nous avions déchiré le corps du Seigneur. Ce dernier meurtre a été commis au profit de l’univers, bien que cette intention fût étrangère à ses auteurs : l’autre ne saurait produire que des désastres. Je parle, non seulement à ceux qui sont constitués en dignité, mais encore à ceux qui sont placés sous leur direction. Un saint homme a dit un mot qui semble très hardi, savoir : Que le martyre même n’efface pas un tel péché : quoi qu’il en soit, il l’a dit. Dis moi, en effet : Pourquoi souffres-tu le martyre ? N’est-ce pas pour la gloire de Jésus-Christ ? tu livres ta vie pour Jésus-Christ, et tu ravages l’Église, pour laquelle Jésus-Christ est mort. Écoutez plutôt ces mots de Paul : « Je ne suis pas digne d’être nommé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu » (1Co 15,9), parce que je la ravageais. Les attaques de nos ennemis nous font bien moins de mal que ces déchirements intestins : les unes ajoutent à la gloire de l’Église ; les autres l’exposent aux moqueries de ses ennemis mêmes, heureux de la voir attaquée par ses propres enfants. Car à leurs yeux, c’est un signe manifeste de la fausseté de nos doctrines que les enfants, les nourrissons de l’Église, ceux qu’elle a pleinement initiés à ses mystères, changent tout à coup au point de prendre à son égard les sentiments de ses ennemis. 5. Voilà pour ceux qui se livrent sans discernement aux fauteurs de nos divisions. Si leurs doctrines sont opposées aux nôtres, c’est une raison de ne pas les fréquenter ; s’ils pensent comme nous, raison de plus. Pourquoi ? Parce que l’ambition est alors la cause du fléau. Ignorez-vous le supplice infligé à Coré, Dathon et Abiron, et non seulement à eux, mais encore à leurs complices ? Que dites-vous ? leur foi est la nôtre, ils sont orthodoxes. Eh bien ! pourquoi alors ne sont-ils pas avec nous ? « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Si le bon droit est avec eux, nous sommes en tort ; si nous avons raison, ils sont en faute. « De petits enfants qui chancellent et vacillent à tout vent ». Pensez-vous qu’il suffise de dire : « Ils sont orthodoxes ? » Et l’élection, pour quoi la comptez-vous ? Quel est le fruit de tout le reste, si l’on n’est pas fidèle sur ce point ? On doit défendre l’élection aussi bien que la foi. En effet, s’il est permis à chacun de remplir ses mains, comme disaient les anciens, et de se faire prêtres, que tous accourent : c’est en vain qu’a été érigé cet autel, en vain qu’a été formée l’Église, en vain que le nombre des prêtres a été fixé : détruisons, abolissons tout. A Dieu ne plaise ! dira-t-on. Cette conduite est la vôtre, et vous venez dire : A Dieu ne plaise ! La chose est faite, il n’est plus temps. Je vous le dis et vous le répète, non dans mon intérêt, mais dans celui de votre salut : s’il y a des indifférents, que leur conscience les juge ; s’il y a quelqu’un que cela n’intéresse pas, nous y sommes intéressés, nous : « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais c’est Dieu qui a donné l’accroissement ». (1Co 3,6), De quel front endurerons-nous les sarcasmes des païens ? S’ils nous cherchent querelle au sujet des hérésies, que ne diront-ils pas de ces autres divisions ? S’ils ont les mêmes dogmes, s’ils croient les mêmes mystères, pourquoi un pasteur envahit-il l’Église de l’autre ? Tout est donc vaine gloire dans le christianisme ; on y trouve partout l’ambition, la fraude, l’astuce. Ôtez aux chrétiens leur nombre qui est la cause de la corruption, et ils ne sont plus rien. Voulez-vous savoir ce que les païens disent de notre cité ? comment ils diffament notre complaisance ? Le premier venu, disent-ils, n’a qu’à vouloir pour se faire écouter, et les partisans ne lui manquent jamais. O dérision ! ô ignominie ! Mais voici un autre sujet de risée et d’opprobre. Quelqu’un, par une faute grave, a-t-il mérité d’être puni, aussitôt grande rumeur, grandes alarmes : Prenez garde, il va vous quitter et passer à vos rivaux. Eh ! qu’il y passe, qu’il se donne à eux. Fût-il sans reproche, dès qu’il médite la défection, qu’il l’exécute ; sans doute, je le regrette je le déplore, j’en souffre, comme si l’on m’arrachait un de mes membres ; mais cette douleur ne va pas jusqu’à m’inspirer, pour la fuir, des choses indignes. Nous ne dominons pas sur votre foi, mes bien-aimés ; nous ne commandons pas en maîtres. Chargés de la mission de vous instruire, nous ne pesons pas sur vous avec l’autorité des magistrats. Nous donnons des conseils, nous ne contraignons personne, et chacun reste libre de faire ou de ne pas faire ce qu’on lui dit. Nous ne serions coupables qu’en taisant ce qu’il nous est ordonné d’enseigner. Or, je ne veux pas qu’au jour du jugement vous puissiez dire : Personne ne nous a rien dit, rien expliqué ; nous étions dans l’ignorance, nous ne croyions pas commettre un péché. Je dis donc et je répète que faire schisme dans l’Église, c’est un aussi grand péché que d’embrasser l’hérésie. Dites-moi, si le sujet d’un roi s’abstenait à la vérité, de se donner à un autre roi, mais prenait la pourpre de son maître entre ses mains, la fendait jusqu’en bas à partir de l’agrafe, et la déchirait en mille lambeaux, serait-il puni moins sévèrement que s’il était transfuge ? Et s’il osait en outre égorger le roi lui-même, et mettre tout son corps en pièces, quel châtiment serait à la hauteur d’un pareil attentat ? Le roi, dont le meurtre lui aurait valu le plus terrible supplice, ne serait pourtant que son compagnon d’esclavage. Quel enfer ne serait donc pas trop doux pour celui qui égorge le Christ et dépèce son corps ? Celui dont nous sommes menacés suffira-t-il ? Non, sans doute, à beaucoup près. Apprenez cela, vous toutes qui êtes ici présentes, et rapportez-le à celles qui ne sont pas ici : car le mal vient en grande partie des femmes. Si quelqu’un de ces déserteurs croit se venger en agissant ainsi, il se trompe beaucoup. Si tu veux assouvir ta vengeance, voici un moyen que je t’offre : moyen je ne dis pas sans dommage pour toi (il n’en est pas de tel), mais moins pernicieux : donne-moi des soufflets, crache-moi au visage devant tout le monde, accable-moi de coups. 6. Quoi ! tu frémis à ces mots, et tu déchires le Seigneur sans frémir ! Tu mets en pièces le corps de ton maître, et tu n’es pas saisi d’horreur ! L’Église est notre maison paternelle ; nous n’y sommes qu’un corps et qu’une âme. Si c’est à moi que tu en veux, que ta colère s’arrête à moi. Pourquoi t’en prendre à Jésus-Christ ? Ou plutôt, pourquoi te meurtrir à regimber contre l’aiguillon ? Il n’est jamais bon de se venger. Mais punir en quelqu’un les fautes d’autrui, c’est un bien autre crime. Est-ce nous qui t’avons offensé ? Pourquoi sévir contre un innocent ? C’est le comble de la frénésie. Je ne parle ni à la légère ni par ironie ; j’exprime ce que je sens. Je voudrais que tous ceux qui ont contre moi de la rancune, et qui, par ressentiment, se font tort à eux-mêmes et passent dans l’autre camp, je voudrais qu’ils vinssent me frapper au visage, et, après m’avoir mis à nu, me déchirer à coups de fouet : que leurs reproches soient justes ou iniques, j’aimerais mieux les voir ainsi décharger sur moi leur colère, que persister dans leurs attentats. Qu’importe qu’un homme de rien subisse quelques outrages ? Sous le poids de l’humiliation, je prierais Dieu pour vous, et il vous ferait grâce. Non que j’aie confiance en moi, mais parce que je suis persuadé que Dieu accueille favorablement celui qui, étant offensé, prie pour ceux qui l’ont offensé. « Si quelqu’un a péché contre un homme, est-il écrit, on priera pour lui ». (1Sa 2,25) Si mes prières étaient trop faibles, je m’adresserais à d’autres saints, et ils fléchiraient le Seigneur. Mais quand c’est à Dieu lui-même que remonte votre affront, à qui aurons-nous recours ? Voyez quel choquant contraste ! Parmi les membres de cette Église, il en est qui n’approchent jamais des autels, ou une fois seulement par an, et encore est-ce étourdiment et sans préparation : d’autres sont, à la vérité, plus assidus, mais leur légèreté est lu même, ils ne font que causer et s’occuper de bagatelles : et ceux qui se montrent sérieux sont justement les auteurs du fléau. Si c’est de ce côté que votre zèle se porte, il vaut mieux que vous preniez place parmi les indifférents ; ou plutôt il vaut mieux, et que ceux-ci se corrigent, et que vous vous corrigiez vous-mêmes je ne parle point pour ceux qui sont ici, mais pour les transfuges. C’est un véritable adultère. Si vous ne souffrez pas que je parle ainsi de ces hommes, ne souffrez pas non plus qu’on parle ainsi de moi. L’illégalité est d’un côté ou de l’autre. Si vous pensez qu’elle est du nôtre, nous sommes prêts à céder le pouvoir à qui vous voudrez, pourvu que l’unité de l’Église soit assurée. Si nous avons été légitimement institués, persuadez de quitter leurs sièges à ceux qui les ont occupés contrairement à la loi. Je parle ainsi, non pour imposer un commandement, mais pour vous prémunir par de bons avis. Chacun de vous a l’âge de raison, et sera jugé sur ses œuvres. Ne pensez pas qu’il vous suffise de rejeter sur nous le fardeau pour être déchargés vous-mêmes de toute responsabilité : ce serait vous tromper cruellement. Sans doute nous avons à rendre compte pour vos âmes, mais tout autant que nous aurons négligé d’avertir, de supplier, de protester. Ce devoir accompli, souffrez que je le dise ; moi aussi : « Je suis pur du sang de tous, Dieu sauvera mon âme ». (Act 20,26 et 2Ti 4,18) Dites ce que vous voudrez, dites le vrai motif pour lequel vous rompez avec nous, et je vous répondrai. Mais vous ne le direz pas. Vous donc qui êtes fidèles, je vous en conjure, faites tous vos efforts désormais et pour vous affermir vous-mêmes, et pour ramener les transfuges, afin que, réunis et unanimes, nous rendions grâces à Dieu, à qui gloire dans les siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XII.
JE VOUS DIS DONC ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR, DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L’INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES. (IV, 17)