Ephesians 6
HOMÉLIE XXI.
ENFANTS, OBÉISSEZ À VOS PARENTS DANS LE SEIGNEUR ; CAR CELA EST JUSTE. HONORE TON PÈRE ET TA MÈRE (C’EST LE PREMIER COMMANDEMENT FAIT AVEC UNE PROMESSE), AFIN QUE BIEN T’ARRIVE, ET QUE TU VIVES LONGTEMPS SUR LA TERRE. (VI, 1-3,4) Analyse.
- 1 et 2. De l’obéissance et du respect filial.
- 3. De l’éducation.— Danger des études profanes quand on n’y allie point celle des saintes Écritures.
- 4. Réfutation de l’objection tirée de ce que l’enfant est destiné à vivre dans le monde. – Exemples divers : le saint solitaire Julien. – Que les parents peuvent être responsables de l’indocilité de leurs enfants.
1. Celui qui façonne une statue, donne la première place à la tête ; puis vient le cou ; enfin les pieds. Saint Paul ne procède pas autrement dans ce discours. Il a parlé de l’homme, il a parlé de la femme, puissance subordonnée : il passe au troisième degré de la hiérarchie, les enfants. Car si la femme a pour maître le mari, les enfants sont soumis à la fois au mari et à la femme. Considérez donc ce que dit l’apôtre : « Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur. C’est le premier commandement fait avec une promesse ». Il ne parle plus ici du Christ ni des choses d’en haut : car il s’adresse à des esprits faibles encore ; par la même raison, il ne prolonge pas son exhortation : il sait que les enfants sont incapables de suivre un long discours. De même, il ne dit rien du royaume de Dieu : car, à cet âge, on n’est pas apte à entendre ce langage. Il se borne à la promesse la plus flatteuse pour une âme enfantine, celle d’une longue vie. En effet, si l’on venait à s’enquérir de la raison pour laquelle il a passé le royaume de Dieu sous silence, et s’est borné à répéter le précepte contenu dans la loi, nous répondrions que c’est à cause de l’âge de ceux à qui il s’adresse, et parce que, à supposer que le père et la mère soient dans des dispositions conformes à la loi qu’il leur donne, la soumission des enfants ne sera pas bien difficile à obtenir. Car, partout où la base est solide, le début heureux, le reste marche aisément et régulièrement. Le difficile, c’est de jeter les bases, de poser les fondements. « Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur », c’est-à-dire, selon le Seigneur ; ou encore : C’est Dieu qui vous l’ordonne. Mais s’ils ordonnent des actions criminelles ? D’abord il n’arrive jamais qu’un père, fût-il criminel lui-même, donne des ordres semblables ; de plus, Paul a prévenu cette objection en disant : « Dans le Seigneur », c’est-à-dire, dans les choses qui n’offensent pas Dieu ; en sorte que, si le père est païen ou hérétique, il ne faut plus lui obéir : car l’obéissance ne serait plus selon le Seigneur. Mais comment Paul peut-il dire : « C’est le premier commandement ». Le premier commandement, n’est-ce pas : Tu ne commettras point l’adultère, tu ne tueras point ? En disant : « Le premier », Paul ne pense point au rang de ce précepte, mais à la promesse qu’il renferme. Les précédents ne proposent aucune récompense, attendu qu’ils ne regardent que des fautes à éviter ; mais une récompense est attachée à celui-ci, comme prescrivant de bonnes œuvres. Et voyez quel merveilleux fondement assigné à la vertu, que le respect des parents ! Rien de plus naturel. Quand le législateur nous a détournés des mauvaises actions, il commence par nous acheminer aux bonnes, par ce précepte du respect filial, attendu qu’après Dieu c’est à nos parents que nous devons la vie. C’est donc à bon droit qu’ils recueilleront les prémices de nos vertus : les autres hommes ne doivent venir qu’après. Quiconque manque à ce premier devoir, ne saura jamais se bien conduire vis-à-vis des étrangers. Après avoir ainsi indiqué aux enfants leurs obligations, Paul arrive aux parents, et dit : « Et vous, pères, ne provoquez point vos enfants à la colère, mais élevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur (4) ». Il ne dit pas : Aimez-les : cette prescription serait superflue ; la nature parle assez haut, quelle que soit d’ailleurs la volonté. Que dit-il donc ? « Ne provoquez point vos enfants à la colère », comme font tant d’hommes qui déshéritent les leurs, les renient, les oppriment, les traitent enfin en esclaves, et non en hommes libres. De là ce précepte : « Ne provoquez point vos enfants à la colère ». Ensuite, ce qui est l’essentiel, il montre à quelles conditions ils seront obéissants, faisant tout dépendre de leurs chefs, de leurs maîtres. Tout à l’heure il montrait que la soumission de la femme est l’œuvre du mari ; et c’est même pour cela qu’il s’adresse surtout au mari, l’exhortant à se concilier sa femme par l’empire de la tendresse. De même ici il ramène tout encore au même principe, en disant : « Mais élevez-les dans la discipline et dans la correction du Seigneur ». Voyez-vous comme les biens charnels viennent s’ajouter aux biens spirituels une fois acquis ? Vous voulez rendre votre fils obéissant ? Commencez par l’élever dans la discipline et la correction du Seigneur : ne croyez pas inutile de lui faire entendre les saintes Écritures ; car voici tout d’abord l’enseignement qu’il en recevra : « Honore ton père et ta mère ». Vous ne ferez donc qu’agir dans votre intérêt. Ne dites pas : C’est bon pour des moines ; est-ce que j’en veux faire un moine ? Il n’est pas nécessaire qu’il devienne moine. Pourquoi craindre ce qui est si profitable ? Faites-en un chrétien. C’est surtout aux mondains qu’il importe de se pénétrer de ces leçons, surtout aux enfants : car l’étourderie est grande à cet âge, et cette étourderie est renforcée encore par l’influence des écrits profanes ; lorsqu’ils y voient ceux que les païens vénèrent comme des héros, esclaves de leurs passions ou tremblants devant la mort ; par exemple, un Achille repentant, mourant pour sa concubine ▼▼Ce qu’il y a d’obscur ou d’inexact dans ces allusions peut provenir d’une altération de texte, tout aussi bien que d’une ignorance réelle ou feinte.
; tel autre qui s’enivre ; que sais-je encore ? Ce n’est donc pas trop des remèdes dont je parle. 2. N’est-il pas absurde, quand nous avons soin d’envoyer nos enfants à l’école, de les mettre en apprentissage, quand nous ne négligeons rien pour cela, de ne pas les élever dans la discipline et la correction du Seigneur ? Aussi sommes-nous les premiers à recueillir les fruits de cette éducation, et nous avons des fils présomptueux, intempérants, indociles, grossiers. Croyez-moi, procédons autrement, et, suivant l’avis de l’apôtre, instruisons-les dans la science du Seigneur. Donnons-leur l’exemple, et que, dès l’âge le plus tendre, ils lisent, ils étudient les divines Écritures. Hélas ! à force de vous répéter cela, je vous parais radoter. N’importe, je ne cesserai d’accomplir mon œuvre. Pour quelle raison, dites-moi, n’imitez-vous pas les anciens ? Vous surtout, femmes, imitez les femmes admirables de ce temps. Vous avez mis au jour un enfant ? Suivez l’exemple d’Anne : Voyez ce qu’elle fit tout d’abord : elle le conduisit au temple. Qui de vous ne préférerait pas mille fois à une domination exercée sur le monde entier le bonheur d’avoir en son fils un second Samuel ? Et comment faire, dira-t-on, pour le rendre tel ? Pourquoi serait-ce impossible ? Le seul obstacle, c’est que vous ne le voulez pas, que vous ne le remettez pas en des mains capables d’en faire un autre Samuel. Et qui le pourrait ? direz-vous. Dieu : c’est à Dieu qu’Anne confia son fils. Car Héli lui-même n’était pas des plus aptes à cette éducation, puisqu’il ne put pas la donner à ses propres fils ; mais ce qu’il n’avait pu faire, la foi d’une femme, son zèle, l’opéra. C’était son premier, son unique enfant, elle ignorait si elle en aurait d’autres. Pourtant, elle ne dit pas : J’attendrai que mon fils ait grandi, afin qu’il voie le monde ; je le laisserai jouir des années de son enfance. Anne écarta toutes ces pensées, et ne songea qu’à une chose, à consacrer tout d’abord à Dieu cette offrande spirituelle. Hommes, rougissons de trouver chez une femme tant de sagesse : elle offre son fils à Dieu, et le laisse dans le temple. Si son mariage lui valut tant de gloire, c’est qu’elle avait commencé par chercher les biens spirituels, c’est qu’elle avait offert ses prémices : voilà pourquoi son sein devint fécond, et lui donna d’autres enfants encore : voilà pourquoi elle vit Samuel illustre dans le monde même. Car si les hommes reconnaissent les hommages qu’on leur rend, ne doit-il pas en être ainsi de Dieu, à plus forte raison, lui qui fait du bien même à ceux qui le négligent ? Jusques à quand serons-nous chair ? jusques à quand vivrons-nous penchés vers la terre ? Faisons tout passer après les soins que nous devons à nos enfants, après l’éducation qu’il faut leur donner dans la discipline et la correction du Seigneur. Si nous leur apprenons tout d’abord la vraie sagesse, ce sera pour eux une fortune, une gloire qui effaceront les plus brillantes. Vous leur rendrez un moindre service en leur enseignant un métier ou les sciences profanes, qui les mettront en état de s’enrichir, qu’en leur enseignant l’art de mépriser les richesses. Si vous voulez qu’ils soient riches, prenez-vous-y de cette manière. Car le riche n’est pas celui qui a beaucoup de besoins et beaucoup de ressources, mais celui qui n’a besoin de rien. Voilà ce que vous devez enseigner à votre fils : nul trésor n’égale celui-là. Ne visez pas à ce qu’il se signale dans les études profanes, mais occupez-vous de lui apprendre à mépriser la gloire du monde vous le rendrez ainsi capable de s’illustrer. Riche ou pauvre, tout le monde peut en faire autant : ce n’est pas affaire d’école ni de doctrine, mais œuvre de la divine parole. Ne visez pas à ce que votre fils vive longuement ici-bas, mais à ce que là-haut il vive éternellement. Assurez-lui les grands biens, sans vous inquiéter des petits. Écoutez Paul qui vous dit : « Élevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur ». Ne vous inquiétez pas d’en faire un orateur, mais faites-en un sage. On peut, sans inconvénient, n’être pas un orateur mais si l’on n’est pas un sage, à quoi bon toute la rhétorique du monde ? On a besoin de bonnes mœurs, et non de beau langage ; de vertu, non d’éloquence ; d’œuvres, non de paroles. Voilà ce qui procure le royaume, voilà ce qui assure la possession des biens véritables. Au lieu d’aiguiser votre langue, purifiez votre âme. Ce n’est pas que je proscrive absolument ce genre d’études, mais il ne faut pas qu’on s’y adonne exclusivement. Ne vous figurez pas que les moines seuls aient besoin des leçons des Écritures : il n’est rien qui soit plus nécessaire aux enfants qui vont entrer dans le monde. Si un vaisseau bien équipé, un bon pilote, des matelots sont utiles non à celui qui ne s’éloigne pas du port, mais à celui qui est toujours en mer : il en est de même à l’égard du moine et du mondain. L’un est, pour ainsi dire, dans un port tranquille ; il vit exempt des soucis de la vie, à l’abri de toutes les tempêtes. L’autre est constamment en mer, il passe son existence au milieu des flots, en lutte avec les vagues : il faut qu’il soit prémuni quand bien même il n’aurait pas besoin de défense, ne fût-ce que pour fermer la bouche à autrui. 3. Ainsi donc, plus on sera haut placé dans ce monde, plus on aura besoin de cette éducation. Né dans le palais des rois, on s’y verra entouré de païens, de philosophes, hommes enflés de gloire mondaine, comme dans un lieu rempli d’hydropiques. Tels sont les cours : on n’y trouve qu’orgueil et vanité ; qui n’a pas ces vices, s’efforce de les acquérir. Représentez-vous votre fils entrant dans ce séjour, muni, comme un excellent médecin, de tous les instruments propres à guérir la fièvre générale, s’approchant de chacun, s’entretenant avec lui, et guérissant sa maladie au moyen du contre-poison des Écritures, et du langage de la vraie sagesse. Car, en ce qui regarde le moine, à qui parlera-t-il ? Aux murs, aux toits ? au désert, aux forêts ? aux oiseaux, aux arbres ? Une telle éducation n’est donc pas absolument indispensable au solitaire : néanmoins il tâche de se la donner, non pour la communiquer aux autres, mais dans son propre intérêt. Ce sont donc les gens du monde qui en ont particulièrement besoin : en effet, ce sont eux qui sont le plus exposés au péché. De plus, si vous voulez le savoir, dans le monde même, une telle science sera très avantageuse à votre enfant. Car tous le respecteront après l’avoir entendu parler de la sorte, lorsqu’ils le verront traverser le feu sans se brûler, et rester insensible à l’ambition : alors cette autorité qu’il ne désire point viendra le trouver, et le roi aura une grande déférence pour lui. Un homme pareil ne peut échapper aux regards. Parmi des gens en santé, l’homme sain peut demeurer caché aux yeux ; mais qu’il soit entouré de malades, la renommée ne peut manquer de porter son nom jusqu’aux oreilles du roi, qui chargera cet homme rare d’un vaste gouvernement. Instruits de ces vérités, élevez vos enfants dans la discipline et la correction du Seigneur. Mais un tel est pauvre ? Eh bien ! qu’il reste pauvre : il ne sera pas inférieur pour cela aux habitants des palais : on l’admirera, sans qu’il soit le convive des rois, et bientôt il parviendra à cette dignité que le libre arbitre confère, et non l’élection. Si des hommes qui ne valent pas trois oboles, des cyniques, professant une philosophie qui ne vaut pas davantage (je parle de la philosophie des païens), ou plutôt en affichant le nom, font rentrer bien des gens en eux-mêmes, avec leur grossier manteau, et leur chevelure inculte, que sera-ce du philosophe véritable ? Si une vaine apparence, si une ombre de philosophie possède un tel pouvoir, qu’adviendra-t-il, du moment que nous aurons embrassé la vraie, la pure philosophie ? Ne serons-nous pas les objets du respect général ? Ne nous confiera-t-on pas avec pleine sécurité biens, femmes, enfants ? Mais il n’y a pas, non, il n’y a pas aujourd’hui de philosophe pareil : c’est donc en vain que nous chercherions quelque part un exemple. Il en est parmi les moines, il n’en est pas dans le monde. Qu’il y en a parmi les solitaires, j’en pourrais produire de nombreuses preuves : je me bornerai à vous en fournir une. Vous connaissez sans doute, ou de vue, ou, tout au moins, par ouï-dire, l’homme dont je veux parler : l’admirable Julien. C’était un paysan, de basse naissance, de basse condition ; absolument étranger aux études profanes, mais tout rempli de la philosophie véritable. Quand il entrait dans les villes, ce qui arrivait rarement, l’affluence était plus grande que s’il se fût agi d’un rhéteur, d’un sophiste, de quelque personnage que ce fût. Mais que dis-je ? son nom même n’est-il pas encore aujourd’hui plus glorieux que celui du plus illustre monarque ? Eh bien ! si l’on voit de pareilles choses dans ce monde, dans ce monde où le Seigneur ne nous a promis aucun bien, où il nous a proclamés étrangers, songeons quelles sont aux cieux les récompenses réservées à de pareils hommes. S’ils obtiennent tant d’honneurs dans un séjour qu’ils ne font que traverser, de quelle gloire ne jouiront-ils pas dans leur patrie ? S’ils rencontrent tant de vénération aux lieux où la tribulation leur est promise, quel repos ne goûteront-ils pas là où les vrais honneurs leur sont promis ? Vous voulez maintenant que je vous cite des mondains ? Mais, à l’heure qu’il est, les exemples nous font défaut : non qu’il manque absolument de mondains vivant honnêtement ; mais aucun n’a atteint le faîte de la sagesse. Je vous renverrai donc aux exemples donnés par les saints de l’ancien temps. Combien d’hommes ayant femmes et enfants ont égalé ceux que je vous cite ! Mais il n’en est plus ainsi « à cause de la détresse présente », comme dit notre saint. Qui voulez-vous donc que je vous nomme ? Noé, ou Abraham ? le fils du premier, ou celui du second ? ou encore Joseph ? Ou bien voulez-vous que je passe aux prophètes ? à Moïse ? à Isaïe ? 4. Si vous le trouvez bon, nous nous porterons du côté d’Abraham, que l’on nous cite toujours entre tous. N’avait-il pas une femme ? N’avait-il pas des enfants ? Je ne fais que vous renvoyer ce que vous nous dites à nous-mêmes, Il avait une femme, mais ce n’est pas en cela qu’il était admirable : il était riche, mais ce n’est pas pour cela qu’il plut à Dieu ; il eut des enfants, mais ce n’est pas comme père qu’il a mérité le nom de bienheureux ; il avait trois cent dix-huit esclaves, mais ce n’est pas pour cette raison qu’on l’admirait. Pour quelle raison, alors ? Pour son hospitalité, son dédain des richesses, sa modération. Quel est en effet, dites-moi, le propre d’un sage ? n’est-ce pas de mépriser l’argent et la gloire ? de s’élever au-dessus de l’envie, de toutes les passions ? Eh bien ! faisons comparaître Abraham au milieu de nous, examinons-le, et montrons quel philosophe c’était. D’abord il comptait pour rien sa patrie : « Sors de ton pays, et de ta famille », lui fut-il ordonné ; et aussitôt il s’en alla. Il n’était pas attaché à sa maison, ni par habitude, ni autrement : sans quoi il ne l’eût pas quittée. Plus que personne il faisait bon marché de la gloire et des richesses ; vainqueur dans une guerre, pressé de recueillir les dépouilles de l’ennemi, il dédaigna de le faire. Son fils, de même, ne dut pas sa gloire à ses richesses, mais à son hospitalité ; à ses enfants, mais à son obéissance ; à sa femme, mais à la stérilité de sa femme. Ils comptaient pour rien la vie présente, ne thésaurisaient point, dédaignaient tout. Dites-moi, quelles sont les plus précieuses des plantes ? ne sont-ce pas celles qui tirent leur force d’elles-mêmes, qui ne redoutent ni la pluie, ni la grêle, ni les vents, ni aucune intempérie de ce genre, et qui, debout, bravent tous ces assauts, sans avoir besoin de rempart ni d’échalas ? Voilà le sage, voilà la richesse dont je parle : le sage ne possède rien, et possède tout : il a tout, et n’a rien. Un mur est une chose extérieure, une haie n’est pas un rempart naturel, mais une défense d’emprunt. Mais, dites-moi, qu’est-ce qu’un corps vigoureux ? n’est-ce pas celui qui jouit d’une santé parfaite, qui peut résister et à la faim, et à la réplétion, et à la chaleur, et au froid ? ou bien celui qui est exposé à toutes ces influences, et a besoin de cuisiniers, de tisserands ; de chasseurs, de médecins, pour se maintenir en santé ? Le riche, le vrai sage, c’est l’homme qui sait se passer de toutes ces choses. Voilà pourquoi notre saint a dit : « Élevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur ». Ne vous environnez donc point de remparts : la gloire, la richesse, les voilà… Que l’échalas vienne à tomber, ce qui ne manque pas, la plante reste nue et sans défense ; et ces précautions passées, loin de lui rendre aucun service, lui ont été, au contraire, nuisibles. Car ce sont précisément ces remparts qui, en l’empêchant de s’accoutumer à braver les assauts des vents, sont cause qu’elle succombe maintenant. Ainsi donc la richesse nous est plus nuisible que profitable, en ce qu’elle nous empêche de nous exercer à braver les vicissitudes de la vie. Mettons donc nos enfants en état de résister à tout, de ne pas se laisser déconcerter par les accidents ; élevons-les dans la discipline et la correction du Seigneur : nous en serons amplement récompensés. Si l’on voit combler d’honneurs les hommes qui font la statue des rois ou peignent leur image : nous, qui parons en nous-mêmes l’image de Dieu, ne jouirons-nous pas de mille biens, si nous atteignons à la ressemblance ? Cette ressemblance, c’est la vertu, à laquelle nous parviendrons si nous enseignons à nos enfants à être hommes de bien, exempts de colère et de ressentiment ; comme Dieu lui-même, bienfaisants, charitables, indifférents aux biens du monde. Appliquons-nous de toutes nos forces à les façonner ainsi que nous-mêmes, à les régler sur le devoir : songeons, en effet, avec quelle assurance nous pourrons alors comparaître au tribunal du Christ. Si celui qui a des enfants indociles est indigne de l’épiscopat, à bien plus forte raison l’est-il du céleste royaume. Eh quoi ! dira-t-on : si notre femme, si nos enfants sont insoumis, nous aurons à en rendre compte ? Oui, si nous n’avons pas fait scrupuleusement tout ce qui était en nous ; car il ne suffit pas pour notre salut que nous ayons été vertueux nous-mêmes. Si celui qui n’avait pas placé l’unique talent fut puni par cela même, il est clair qu’il ne suffit pas pour notre salut que nous ayons été vertueux de notre côté. Occupons-nous donc de nos femmes, veillons avec le plus grand soin sur nos enfants, sur nos serviteurs, sur nous-mêmes, et dans nos efforts pour régler notre conduite et la leur, prions Dieu afin qu’il nous vienne en aide. S’il nous voit occupés, empressés à cette œuvre, il nous secondera : s’il nous trouve indifférents, il ne nous tendra pas la main. Car Dieu ne nous porte pas secours quand nous dormons : il ne nous assiste que lorsque nous faisons effort nous-mêmes. On n’aide pas une personne qui se repose. Mais c’est au bon Dieu qu’appartient le pouvoir d’assurer le succès de notre œuvre, afin que nous soyons tous jugés dignes d’obtenir les biens promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXII.
SERVITEURS, OBÉISSEZ A VOS MAÎTRES SELON LA CHAIR, AVEC CRAINTE ET TREMBLEMENT, DANS LA SIMPLICITÉ DE VOTRE CŒUR, COMME AU CHRIST MÊME, LES SERVANT NON A L’ŒIL, COMME POUR PLAIRE AUX HOMMES, MAIS COMME DES SERVITEURS DU CHRIST, ACCOMPLISSANT DE CŒUR LA VOLONTÉ DE DIEU ; FAISANT VOTRE SERVICE DE BON GRÉ, COMME POUR LE SEIGNEUR, ET NON POUR LES HOMMES, SACHANT QUE CHACUN RECEVRA DU SEIGNEUR LA RÉCOMPENSE DE TOUT LE BIEN QU’IL AURA FAIT, QU’IL SOIT ESCLAVE OU LIBRE. (VI, 5-8, JUSQU’A 13) ANALYSE.
- 1-3. De la servitude. – Devoirs des serviteurs. – Origine de la servitude.
- 4-5. De la lutte contre le diable.
1. Ainsi donc ce n’est pas seulement le mari, la femme, les enfants, ce sont encore les serviteurs dont les vertus importent à l’harmonie et à la bonne direction du ménage. Aussi le bienheureux Paul n’a-t-il eu garde de négliger cette partie : s’il n’y arrive qu’en dernier lieu, il ne fait que suivre l’ordre de la hiérarchie. Son discours aux serviteurs est long, et non plus sommaire, comme son exhortation aux enfants ; il est aussi d’un ordre beaucoup plus élevé : car ce n’est pas ici-bas, mais dans la vie future que Paul leur promet leur bonheur : « Sachant », dit-il, « que chacun recevra du Seigneur la récompense de tout le bien qu’il aura fait ». C’est la sagesse même qu’il enseigne à ces hommes inférieurs, à la vérité, aux enfants en ce qui regarde la condition, mais supérieurs en intelligence. « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair ». Tout d’abord il relève l’âme affligée, tout d’abord il la console. Ne gémis pas, dit-il, de te voir au-dessous de la femme et des enfants : ta servitude est purement nominale : la domination à laquelle tu es soumis est une domination selon la chair, éphémère, de courte durée, comme tout ce qui est charnel. « Avec crainte et tremblement ». Voyez-vous la différence entre la crainte qu’il requiert chez la femme, et celle qu’il exige des serviteurs ? Pour ce qui est des femmes, il se borne à dire : « Que la femme craigne son mari » ; mais ici il insiste : « Avec crainte et tremblement ». – « Dans la simplicité de votre cœur, comme au Christ-même ». Toujours la même expression. Qu’est-ce à dire, ô bienheureux Paul ? C’est notre frère, il a été comblé des mêmes biens, il fait partie du même corps que nous ; ou plutôt, il est le frère, non de son maître, mais du Fils même de Dieu ; il a sa part de tous les bienfaits et vous dites : « Obéissez à vos maîtres selon la chair avec crainte et tremblement ? » C’est justement pour cela que je le dis, répondra-t-il. Si je prescris aux hommes libres de se soumettre les uns aux autres en vue de la crainte de Dieu (« Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu », dit-il plus haut) ; si je prescris à la femme de craindre son mari, bien qu’elle soit son égale en dignité ; à plus forte raison dois-je imposer la même obligation au serviteur. Ce n’est pas là une humiliation, c’est au contraire la première des noblesses, celle qui consiste à savoir s’abaisser, à rester fidèle à la modération, à céder au prochain. On a vu même des hommes libres servir leurs égaux avec crainte et tremblement. « Dans la simplicité de votre cœur ». Fort bien : car on peut servir avec crainte et tremblement, non par bienveillance, mais pour se soumettre à la nécessité. Beaucoup, quand ils le peuvent sans se trahir, font du tort à leurs maîtres. C’est ce genre de fraude que Paul prévient en disant : « Dans la simplicité de votre cœur, comme au Seigneur ; les servant non à l’œil a comme pour plaire aux hommes, mais comme des serviteurs du Christ, accomplissant de cœur la volonté de Dieu, faisant votre service de bon gré, comme pour le Seigneur et non pour les hommes ». Voyez combien de mots il lui a fallu pour inspirer ces bons sentiments : « De bon gré, de cœur ». En ce qui regarde la crainte et le tremblement, on trouve bon nombre de serviteurs qui n’en manquent pas vis-à-vis de leurs maîtres : les menaces du maître suffisent pour amener ce résultat. Mais Paul dit en outre : Montre que tu sers en serviteur, non d’un homme, mais du Christ ; fais que le mérite soit le tien, et non celui de la nécessité. C’est ainsi qu’il est recommandé à celui qui est maltraité, de se conduire ensuite de manière que cette épreuve tourne à son profit et à l’honneur de sa volonté. En effet, comme celui qui donne un soufflet n’est pas incité à cela par la volonté de celui qu’il outrage, mais par sa propre méchanceté, il nous est conseillé de tendre l’autre joue, afin de montrer que nous n’avons pas reçu l’offense à contre-cœur. Car celui qui ajoute volontairement à son affront, s’approprie ce qui n’était pas d’abord son ouvrage, en tendant l’autre joue, non content d’endurer le premier soufflet. La patience pourra, à la rigueur, être attribuée à la crainte : mais ceci ne pourra l’être qu’à une admirable sagesse ; et par là on fera voir que c’est aussi par sagesse qu’on a patienté. En ce qui concerne les esclaves, eux aussi doivent faire voir que leur résignation à la servitude est volontaire et non inspirée par une pure complaisance. Un complaisant n’est pas serviteur du Christ ; un serviteur du Christ ne songe pas à plaire aux hommes. Quel serviteur de Dieu pourrait s’inquiéter de cela ? Qui, s’en inquiétant, pourrait être serviteur de Dieu ? « De cœur, servant de bon gré ». Remarquez ces paroles : car on peut servir même en simplicité de cœur, et ne pas manquer à ses devoirs, sans pour cela faire tout son possible : on peut se borner à remplir strictement ses obligations : voilà pourquoi Paul demande qu’on serve de bon cœur, non par nécessité, volontairement, et non parce qu’on y est contraint. Si vous servez ainsi de bon gré, avec zèle, de cœur, à cause du Christ, vous n’êtes plus en servitude : cette servitude-là n’est autre que celle de Paul, qui s’écrie quelque part, tout libre qu’il était : « Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ Notre-Seigneur ; nous déclarant nous-mêmes vos serviteurs par Jésus ». 2. Voyez comme il vous relève de l’humiliation attachée à la servitude. Celui à qui l’on prend ses biens, s’il ajoute encore par des présents à ce qu’on lui a pris, ne passe plus pour la victime d’un vol, mais pour un homme généreux ; on cesse de le plaindre pour l’admirer : et son bienfait fait plus de honte au voleur, que n’a pu lui en faire, à lui, le larcin dont il a été dupe. De même pour le serviteur : s’il prodigue son activité, il fera voir sa grandeur d’âme ; et en montrant qu’il n’a pas senti sa perte, il fera rentrer en lui-même le détenteur de son bien. Servons donc nos maîtres en vue du Christ. « Sachant que chacun recevra du Seigneur la récompense de tout le bien qu’il aura fait, qu’il soit esclave ou libre ». Comme il était vraisemblable que beaucoup de maîtres, en qualité d’infidèles, ne seraient point touchés ni reconnaissants de la soumission de leurs esclaves, voyez comme il console ceux-ci et les empêche de douter de la rémunération, de désespérer de la récompense. De même que les obligés qui ne rémunèrent point leurs bienfaiteurs, les rendent créanciers de Dieu : ainsi les maîtres ne récompensent jamais mieux vos services que s’ils les laissent sans récompense : car alors c’est Dieu qui devient débiteur. « Et vous, maîtres, faites de même envers eux (9) ». Qu’est-ce à dire : De même ? C’est-à-dire, servez-les avec zèle. Il est vrai qu’il n’emploie pas le mot, « Servir », mais par cette expression, « De même », il indique la même chose : le maître est lui-même un serviteur. Et que ce ne soit point par respect humain, mais avec crainte et tremblement, entendez, vis-à-vis de Dieu, redoutant qu’il ne vous reproche un jour votre dureté envers vos serviteurs. « Leur épargnant les menaces ». Ne soyez pas durs, veut-il dire, ni inhumains : « Sachant que le même Seigneur, le leur et le vôtre est dans le ciel ». Ah ! quelle idée cela suggère ! quelle crainte cela réveille ! En d’autres termes, il vous sera mesuré avec la mesure dont vous vous serez servi vous-même. Craignez de vous entendre dire : « Mauvais serviteur, je t’ai remis toute cette dette ». – « Et qu’il n’y a pas chez lui acception de personnes ». C’est comme s’il disait : N’allez pas croire qu’il vous pardonne ce que vous aurez fait à votre esclave, à cause de cette qualité d’esclave. Car si les lois du monde, si les lois humaines mettent une différence entre la classe des hommes libres et celle des esclaves, la loi du Maître commun ignore ces distinctions, bienfaisante qu’elle est pour tous également, et assurant à tous part égale. Que si l’on demande maintenant d’où vient la servitude, et comment elle s’est introduite dans la société humaine (questions fort goûtées de certaines personnes, et qui piquent vivement leur curiosité), je vous dirai : c’est l’avarice, la cupidité insatiable, ce sont les passions basses qui ont engendré la servitude. Noé n’avait pas de serviteur, ni Abel, ni Seth, ni les patriarches suivants. – L’origine de ce fait est un péché, l’irrévérence à l’égard des parents. Écoutez, enfants, comme quoi vous méritez de devenir esclaves, dès que vous êtes fils ingrats. Vous perdez alors tous tes privilèges de votre naissance : car on cesse d’être fils, du moment où l’on manque à son père. Mais si l’on cesse, dans ce cas, d’être fils, comment restera-t-il fils, celui qui offense notre Père véritable ? Il perd les droits de sa naissance, il est coupable envers la nature. Ensuite la guerre et les combats ont fait des prisonniers. Mais Abraham avait des serviteurs ? dira-t-on. Oui, mais il ne les traitait pas en serviteurs. Voyez comme Paul fait tout dépendre du chef : la femme, il faut qu’il l’aime ; les enfants, il faut qu’il les élève dans la discipline et la correction du Seigneur ; les serviteurs : « Sachant que le même Seigneur, le leur et le vôtre est dans le ciel ». Soyez donc bons et cléments, comme étant vous-mêmes des serviteurs. Maintenant, si vous le permettez, je vous répéterai au sujet des serviteurs, ce que j’ai dit précédemment des enfants : enseignez-leur la piété, et le reste ne manquera pas de venir à la suite. Mais aujourd’hui, si l’on va au théâtre ou au bain, on traîne après soi tous ses serviteurs ; si l’on va à l’Église, il n’en est pas de même ; on ne les force pas de venir ici, d’écouter la parole. Et comment l’esclave écouterait-il, quand le maître lui-même a l’esprit tourné ailleurs ? Vous venez d’acheter un esclave ? prescrivez-lui d’abord ce que Dieu même commande, la douceur envers ses compagnons de servitude, le zèle pour la vertu. Chaque maison est une cité : chacun est roi dans sa maison. Qu’il en est ainsi de la maison des riches qui ont domaines, intendants, gérants sur gérants, c’est chose manifeste : mais je prétends que la maison du pauvre est elle-même une cité. Là aussi, il y a plusieurs autorités : par exemple, le mari a pouvoir sur la femme, la femme sur les serviteurs, les serviteurs sur leurs femmes ; les femmes et les maris sur leurs enfants. Ne vous semble-t-il pas qu’il est comme un roi, cet homme qui compte toute une hiérarchie de magistrats sous ses ordres, et n’a-t-il pas plus besoin que personne de savoir administrer et gouverner ? Celui qui connaît à fond cet art, sait aussi choisir des magistrats capables, et il ne manquera pas de faire de bons choix. Or, il y a dans la maison, comme un autre roi sans diadème, la femme ; et celui qui saura choisir ce roi, n’aura pas de peine à bien gouverner tout le reste. « Du reste, mes frères, fortifiez-vous dans le Seigneur (10) ». Il parle toujours ainsi, quand son discours approche de la fin. 3. N’avais-je pas raison de vous dire tout d’abord que la maison de chacun est une armée au complet ? Voyez plutôt ; chaque officier mis à son rang, voici maintenant que Paul arme les troupes, et les mène au combat. Si personne n’empiète sur le commandement d’autrui, si chacun reste à sa place, tout sera pour le mieux. « Fortifiez-vous dans le Seigneur, et dans la puissance de sa vertu » ; c’est-à-dire dans l’espoir en lui, grâce à son assistance. Après toutes ces prescriptions : ne craignez point, ajoute Paul, mettez votre espérance dans le Seigneur, et il vous rendra tout aisé. « Et revêtez-vous de l’armure de Dieu, afin de pouvoir tenir contre les embûches du diable (11) ». Il ne dit pas : Contre les attaques, contre les assauts, mais : « Contre les embûches ». C’est que cet ennemi ne nous fait pas une guerre ouverte, mais une guerre de surprises. Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’il nous trompe, qu’il nous prend au piège, soit des paroles, soit des manœuvres, soit des feintes comme à la lutte. Par exemple, ce n’est jamais ouvertement qu’il nous propose de pécher : il ne prononce pas le nom d’idolâtrie, il déguise la chose autrement, la dore, la masque par de belles paroles. Ainsi Paul anime les soldats, leur inspire le sang-froid, en nous persuadant que nous avons affaire à un adversaire habile, à un ennemi qui ne procède point par guerre ouverte, mais par surprise. Et tout d’abord il rappelle à ses disciples la nature et le nombre de leurs ennemis, afin d’exciter leur courage. S’il décrit ces ruses, s’il inspire le sang-froid aux soldats placés sous ses ordres, ce n’est pas pour les décourager, mais au contraire pour les enflammer d’ardeur. S’il se bornait à faire ressortir la puissance de l’ennemi, il pourrait provoquer le découragement : mais comme il a soin, avant et après, de montrer la possibilité de la victoire, il ne fait par là qu’exciter davantage le zèle. Car plus nous rendrons sensible aux yeux des nôtres la puissance de l’ennemi, plus nous animerons leur courage. « Parce que nous n’avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice au sujet des biens célestes (12) ». Après nous avoir excités par la description du combat qui nous attend ; il nous enflamme par la peinture des récompenses promises à la victoire. En effet, après avoir dit que les ennemis sont redoutables, il ajoute qu’ils essaient de nous ravir un bien inestimable. Lequel ? C’est des récompenses célestes qu’il s’agit, non d’argent, ni de gloire : nos ennemis veulent nous asservir : de là une haine irréconciliable entre nous. Plus vive est l’ardeur guerrière, plus vive est la lutte, quand on combat pour de grands objets. En effet, par ces mots : « Au sujet des biens célestes », entendez : Pour les biens célestes ; non que nos adversaires se proposent de les conquérir, mais ils veulent nous en priver. C’est comme si l’on disait, en parlant d’un contrat : Contrat passé « au sujet » de telle chose. Voyez combien la puissance de l’adversaire nous anime, nous rend vigilants : nous savons qu’il s’agit pour nous d’un grand trésor que la victoire peut nous assurer : c’est du ciel que l’ennemi travaille à nous chasser. Quels sont maintenant ces princes, ces puissances, ces dominateurs de ce monde de ténèbres ? Quelles ténèbres ? celles de la nuit ? Nullement, mais celles du vice… Nous étions ténèbres autrefois, dit l’Écriture, pour désigner la perversité qui règne en ce monde : car là se borne son empire ; elle n’a point accès au ciel, ni dans la vie future. S’il appelle nos ennemis : « Maîtres du monde », ce n’est pas comme régnant sur le monde, mais comme auteurs du mal qui s’y commet. L’Écriture désigne habituellement par « Monde » les mauvaises actions par exemple le Christ dit : « Vous n’êtes pas de ce monde, comme moi je ne suis pas du monde ». Est-ce à dire qu’ils n’étaient pas du monde ? qu’ils n’étaient pas revêtus de chair ? qu’ils n’habitaient pas le monde ? Et ailleurs : « Le monde me hait, mais vous, il ne peut vous haïr ». (Jn 17,14, et 7,7) Ici encore il désigne les mauvaises actions. Ou bien, par monde, il entend ici les méchants, particulièrement soumis au pouvoir des démons… « Contre les princes et les puissances, contre les esprits de malice, au sujet des biens célestes ». Il dit : Princes et puissances, par analogie avec les trônes, les dominations, les princes, les puissances d’en haut. « A cause de cela, revêtez-vous de l’armure de Dieu, afin que vous puissiez, en jour mauvais, résister, et rester vainqueurs de tout (13) ». – « Jour mauvais », c’est-à-dire la vie présente ; il appelle ce temps mauvais, à cause du mal qui s’y fait. Il veut dire : Soyez toujours en armes. « Et rester vainqueurs de tout » ; c’est-à-dire, vainqueurs des passions, des appétits déréglés, de tout ce qui nous tourmente… Il ne dit pas seulement vaincre, mais : « Rester vainqueurs » : il ne suffit pas de triompher, il faut rester debout après le triomphe, et ne pas retomber comme il est arrivé souvent en pareil cas. « Rester vainqueurs de tout », et non d’une chose, sans l’être du reste : car après la victoire il faut encore tenir bon. Ce qu’on a abattu peut revivre, et se relever si nous ne restons pas fermes. L’ennemi est à terre, tant que nous sommes debout : tant que nous restons à notre poste, il ne se relève pas. « Revêtons l’armure de Dieu ». 4. Voyez-vous comme il nous rassure ? En effet, s’il est possible d’abattre l’adversaire et de tenir bon, pourquoi se dérober au combat ? Tiens bon après avoir renversé l’ennemi, et te voilà victorieux. Et ne vous étonnez pas de le voir s’étendre si longuement sur la puissance des ennemis : cette énumération n’est pas faite pour inspirer la crainte ou la pusillanimité, mais plutôt pour réveiller la nonchalance. « Afin que vous puissiez, en jour mauvais, résister ». C’est maintenant au temps qu’il a recours pour nous rassurer… C’est l’affaire d’un moment, dit-il : ainsi il faut tenir bon ; ne cédez pas à la fatigue après le carnage. Si la guerre est déclarée, si telles sont les phalanges ennemies, si ce sont des êtres incorporels que ces princes, ces maîtres du monde, ces esprits de malice, comment, dites-moi, vous abandonnez-vous à la mollesse, au relâchement ? comment, désarmés, pourrons-nous vaincre ? que chacun se répète cela chaque jour, dès que la colère ou la concupiscence le domineront, dès qu’il soupirera après les douceurs d’une existence frivole. Écoutez saint Paul : « Nous n’avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances… Guerre plus terrible, lutte plus acharnée que les combats visibles. Songez depuis combien de temps votre ennemi lutte, dans quel but il combat, et tenez-vous sur vos gardes plus que jamais. Oui, dira-t-on : mais il faudrait bien que le diable n’existât pas tout le monde serait sauvé. Ainsi parlent quelques âmes faibles en quête d’excuses. Vous devriez remercier Dieu, mon ami, d’être à même de triompher, si vous le voulez, d’un pareil adversaire : et loin de là, vous vous plaignez, vous parlez comme un soldat lâche et fainéant. Il ne tient qu’à vous de connaître les endroits faibles ; regardez partout, fortifiez-vous. Ce n’est pas seulement contre le diable, c’est encore contre ses puissances que vous avez à combattre. Et comment lutter contre les ténèbres ? dira-t-on. En devenant lumière. Comment résister aux esprits de malice ? En devenant bons. Car la bonté s’oppose à la malice, et la lumière chasse les ténèbres : si nous sommes ténèbres nous-mêmes, nous serons pris infailliblement. Comment donc assurerons-nous notre triomphe ? En devenant, par la force de notre libre arbitre, ce qu’ils sont naturellement, je veux dire exempts de sang et de chair : c’est ainsi que nous les vaincrons. Comme probablement ceux à qui il écrivait comptaient beaucoup de persécuteurs, il leur dit : N’allez pas croire que ce sont ces hommes qui vous font la guerre. Les démons qui opèrent en eux, voilà nos ennemis, voilà ceux que nous avons à combattre. Par là, il produit deux effets : d’abord de les rendre plus ardents au combat, puis d’exciter leur colère contre l’ennemi. Et pourquoi avons-nous à combattre des ennemis pareils ? Parce que nous avons de notre côté un auxiliaire invincible, la grâce de l’Esprit, et que nous avons été instruits dans l’art de combattre non les hommes, mais les démons. Mais si nous le voulons, nous n’aurons pas même besoin de lutter : il n’y a lutte que quand nous le voulons ; car telle est la vertu de celui qui habite en nous, qu’il a pu dire : « Je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi ». (Luc 10,19) II nous a donné toute liberté de lutter ou de ne pas lutter. Mais notre nonchalance est cause que nous avons à lutter. Car en ce qui concerne Paul, il n’avait pas à lutter, c’est lui-même qui nous l’apprend. « Qui nous séparera de l’amour de Jésus-Christ ? la tribulation, ou la détresse, ou la faim, ou la persécution, ou la nudité, ou le péril, ou le glaive ? » (Rom 8,35) Ailleurs il dit : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement ». (Rom 16,20) Il avait le diable sous ses ordres ; de là ces paroles : « Je te prescris au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de sortir d’elle ». (Act 16,18) Ce langage n’est pas celui d’un homme qui lutte. Car celui qui lutte n’est pas, encore vainqueur, celui qui est vainqueur ne lutte plus. Il l’a dompté, asservi. Pierre ne luttait pas non plus contre le diable : il faisait mieux que lutter. Des fidèles, des catéchumènes n’avaient pas de peine, non plus, à en triompher. Aussi saint Paul dit-il : « Car nous n’ignorons pas ses pensées ». (2Co 2,11) C’est pourquoi il lui fut si supérieur en puissance. Il dit encore : « Il n’est pas étonnant que ses ministres se transfigurent comme des ministres de justice ». (Id 11,15) Ainsi il connaissait tous ses stratagèmes ; rien ne pouvait le surprendre. « Déjà s’accomplit, dit-il encore, le mystère d’iniquité ». Mais c’est contre nous-mêmes qu’il faut lutter. En effet, écoutez ces autres paroles : « Je suis convaincu que ni anges, ni princes, ni puissances, ni vertus, ni choses présentes, ni choses futures, ne pourront nous séparer de l’amour du Christ ». Il ne dit pas simplement : « Du Christ », mais bien : « De l’amour du Christ ». Car bien des gens passent pour être unis au Christ, qui ne l’aiment point. non seulement, dit-il, tu ne me persuaderas pas, tu ne me persuaderas pas même de l’aimer moins. Mais si les puissances d’en haut n’avaient pas ce pouvoir, qui donc aurait pu l’ébranler ? Il ne dit pas qu’elles l’entreprennent, il parle par supposition : voilà pourquoi il lit : « Je suis convaincu ». Il ne luttait pas, néanmoins il redoutait les pièges du malin. Écoutez plutôt : « Je crains que, comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité qui est dans le Christ ». (2Co 11,3) Oui, dira-t-on : mais, de plus, il emploie le même langage en parlant de lui-même : « Je crains qu’après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé ». Comment donc êtes-vous convaincu que personne ne vous séparera ? 5. Voyez-vous que ce langage est celui de l’humilité, de la retenue ? Déjà, en effet, il habitait le ciel : « Ma conscience ne me reproche rien » (1Co 4,4), disait-il ; et encore : « J’ai terminé ma carrière ». (2Ti 4,7) Ce n’est donc pas en cela que le diable l’entravait, mais en ce qui regardait ses disciples. Pourquoi ? Parce que la domination du diable avait un complice dans leur propre libre arbitre. Sur ce terrain le diable était quelquefois vainqueur mais plutôt ce n’est pas de Paul qu’il était vainqueur, c’est de l’apathie des tièdes. En effet, si Paul n’avait pas fait son devoir, par nonchalance où par toute autre raison, c’est lui qui aurait été vaincu : mais s’il ne négligeait rien et que seulement ses disciples fussent indociles, alors le diable triomphait non de Paul, mais de l’indocilité de ses disciples : ce n’est pas du médecin que la maladie avait raison, mais de la désobéissance du malade. Car, dès que le médecin a pourvu à tout, si le malade bouleverse tous ses arrangements ; c’est lui qui est le vaincu, et non pas le médecin. Ainsi le diable n’a jamais triomphé de Paul. D’ailleurs nous devons nous tenir heureux même de pouvoir lutter. A la vérité, tel n’est pas le souhait qu’il forme pour les Romains : il leur dit : « Il écrasera Satan sous vos pieds promptement ». (Rom 16,20) Quant aux Éphésiens, c’est le vœu qu’il exprime en leur faveur : « A celui qui est puissant pour tout a faire bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons. ». (Eph 3,20) Celui qui lutte est encore en danger : d’ailleurs il doit se trouver heureux, s’il ne tombe pas. C’est quand nous aurons quitté ce monde, que nous jouirons du triomphe. Soit, par exemple, une passion mauvaise : la repousser loin de soi, l’éteindre, voilà qui est admirable mais si c’est une chose impossible, du moins luttons, résistons sans relâche : si nous sortons du monde, luttant encore, nous sommes vainqueurs. Car il n’en est pas de même ici que dans l’arène : là, si vous ne renversez pas votre adversaire, vous n’êtes pas vainqueur : ici, vous êtes vainqueur, si vous n’êtes pas renversé ; si vous n’êtes pas jeté à bas, vous avez terrassé l’ennemi. Cela se conçoit deux athlètes aux prises luttent également pour la victoire ; et si l’un est renversé, l’autre est couronné. Il n’en est pas de même ici : le diable n’a en vue que notre défaite. Si donc je déjoue son projet, je triomphe : il ne vise pas à me renverser, mais à m’entraîner dans sa chute. Il est déjà vaincu, lui : car il a reçu le coup, il est perdu. Quant à sa victoire, elle ne consiste pas à gagner une couronne, mais à causer ma perte : de sorte que pour être victorieux il me suffit de rester debout sans le jeter à bas. Maintenant, la victoire sera éclatante, si, comme Paul, je le foule aux pieds tout à mon aise, comptant pour rien les choses présentes. Imitons ce saint : appliquons-nous à triompher du diable, et à ne lui donner aucune prise. La richesse, l’argent, la vanité lui donnent prise : souvent elles le relèvent, souvent elles redoublent son impétuosité. Mais qu’est-il besoin de lutte et de combat ? Celui qui lutte est dans l’incertitude du résultat : il ignore s’il ne sera pas vaincu et pris lui-même ; mais celui qui foule aux pieds est assuré de la victoire. Foulons donc aux pieds la puissance du diable, foulons aux pieds les péchés, j’entends toutes les passions mondaines, colère, concupiscence, orgueil et le reste : afin que parvenus là-haut, nous ne soyons pas convaincus d’avoir laissé sans usage le pouvoir que Dieu nous a octroyé. Car c’est ainsi que nous obtiendrons les biens futurs. Mais si nous nous montrons indignes de cette prérogative, comment de plus grandes pourraient-elles nous être conférées ? Si nous n’avons pas su fouler aux pieds l’ange rebelle, le déshonoré, le méprisé, comment notre Père nous mettrait-il en possession du patrimoine ? Si nous n’avons pas su triompher d’un être placé si bas, quel titre aurons-nous à entrer dans la maison paternelle ? Dites-moi : Si vous aviez un fils, et que ce fils négligeât ceux de vos serviteurs qui font leur devoir, pour se lier avec ceux qui font votre tourment, qui sont exclus de la maison paternelle, qui ne songent qu’à jouer aux dés, et qu’il se conduisît ainsi jusqu’au bout, ne le déshériteriez-vous pas ? Vous le feriez sans nul doute. Eh bien ! nous aussi, si nous négligeons les anges agréables à Dieu et préposés à notre direction pour vivre avec le diable, nous ne pouvons manquer d’être déshérités. Puisse-t-il ne nous arriver rien de pareil ! Puissions-nous, après avoir engagé la lutte avec lui et être demeurés vainqueurs avec l’assistance d’en haut, hériter du royaume des cieux. Si quelqu’un de vous a un ennemi, si on lui a fait tort, s’il est emporté, qu’il ramasse toute cette colère, tout ce mécontentement pour le déverser sur la tête du diable. Voilà un noble courroux, une colère utile, un louable ressentiment ! Si la rancune est un mal quand elle provient d’une cause mondaine, ici elle est un mérite. Si donc vous avez des défauts et que vous ne puissiez vous en débarrasser autrement qu’avec vos membres, il faut les faire servir à cet usage. On vous a frappé ? Gardez-en rancune au diable, et ne vous réconciliez jamais avec lui. Mais il ne vous a pas frappé ? N’importe : gardez-lui rancune, parce qu’il a offensé votre Maître, parce qu’il l’a outragé, parce qu’il persécute vos frères et leur fait la guerre… Soyez toujours plein de haine, d’amertume, de fiel : par là vous le rendrez humble, facile à braver, facile à vaincre. – Si nous nous déchaînons contre lui, il nous ménagera ; si nous sommes indulgents, il sera féroce : n’allons pas le traiter comme nous devons traiter nos frères. C’est un adversaire, un ennemi acharné de notre vie, de notre salut et du sien. S’il ne s’aime pas lui-même, comment nous aimerait-il ? Tenez-lui donc tête, et harcelons-le, avec l’assistance toute puissante de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui saura bien nous garantir de ses pièges et nous admettre au partage des biens futur, desquels puissions-nous tous être investis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXIII.
SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ. (VI, 14) Analyse.
- 1. De la ceinture de vérité.
- 2 et 3. Réfutation de quelques erreurs manichéennes, marcionites, ariennes. – De la pâque, sous l’ancienne et la nouvelle Loi.
1. Quand Paul a ainsi rangé son armée et réveillé son zèle (car il fallait à la fois la mettre en bon ordre et l’enflammer de courroux), quand il l’a rassurée (ce qui n’était pas moins nécessaire), il s’occupe de l’armer. – C’eût été un soin superflu, si d’abord la discipline n’y avait régné, si l’âme du soldat n’avait été remplie d’une ardeur belliqueuse… Car il faut être armé intérieurement, avant de l’être au-dehors. S’il en est ainsi des soldats proprement dits, à plus forte raison doit-il en être de même des soldats spirituels : ou plutôt, les défenses extérieures sont inutiles à ceux-ci, l’armure intérieure leur suffit. Paul donc a réveillé, enflammé leur courage, leur a rendu l’assurance, les a mis en bon ordre : maintenant il les arme : mais voyez comme il s’y prend. « Soyez donc fermes », dit-il. C’est le premier principe de l’art militaire : beaucoup de choses en dépendent. Aussi revient-il souvent sur ce point. Il dit ailleurs : « Debout, veillez » ; et encore : « Tenez-vous fermes ainsi dans le Seigneur » (1Co 16,13) ; et encore : « Celui qui croit se bien tenir, qu’il prenne garde de ne pas tomber » (Phi 4,1) ; et enfin : « Pour que vous puissiez, étant venus à bout de toutes choses, rester debout ». (1Co 10,12) Il n’a donc pas en vue seulement une certaine attitude ; mais la fermeté dans cette attitude : quiconque est versé dans l’art de la guerre sait combien il est important de savoir se bien tenir. Si le maître qui instruit des athlètes leur recommande ce point avant tout autre, à plus forte raison est-ce une chose importante dans les combats et dans l’art militaire. Se tenir droit, c’est rester bien d’aplomb, sans s’appuyer sur personne ; c’est dans cette attitude qu’on discerne ce qui est réellement droit. Ceux qui sont vraiment droits se tiennent fermes : ceux qui ne se tiennent pas fermes, ne sauraient être droits : leur posture est nonchalante, abandonnée. Le voluptueux ne se tient pas droit ; il penche d’un côté, ainsi que le libertin, l’avare. Quiconque sait se tenir debout, est comme établi sur un fondement solide : et la lutte sera désormais sans difficultés pour lui. « Soyez donc fermes, ceignant vos reins de vérité ». Il ne parle pas ici d’une ceinture matérielle : tout, dans ce passage, se rapporte à l’ordre spirituel. Et considérez comment il procède. Il commence par mettre la ceinture au soldat. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il le voit abandonné au relâchement des passions, et ses pensées traînant à terre ; an moyen de la ceinture, il relève son vêtement, afin qu’il n’en soit pas embarrassé dans sa marche, et qu’il puisse courir sans être gêné. « Soyez donc fermes ; ceignant vos reins de vérité ». Il nomme ici les reins qui sont, pour ainsi dire, la base du corps, comme la carène est celle du vaisseau : c’est le fondement ; tout est bâti dessus, à ce que disent les médecins. C’est donc notre âme qu’il rend alerte, en ceignant nos reins : car ce mot est pris ici au sens figuré. Et si les reins sont à la fois la base de ce qui est au-dessous et de ce qui est au dessus, il faut dire la même chose de ces autres reins dont parle l’apôtre. Souvent, quand on est las, on pose ses mains à cette place comme sur un support solide, et l’on se soutient de la sorte ; et, à la guerre, la ceinture est destinée à maintenir, à consolider cette base de notre corps. Voilà pourquoi encore on se ceint pour courir : la ceinture consolide l’assiette sur laquelle nous reposons… Faisons donc ainsi pour notre âme, nous dit Paul : et quoi que nous fassions, nous serons fermes, ce qui est nécessaire aux soldats particulièrement. Oui, dira-t-on, mais on se ceint les reins avec une lanière de cuir. Quelle sera donc notre ceinture à nous ? Ce sera ce qui préside à nos pensées, je veux dire la vérité. « Ceignant nos reins de vérité ». Ainsi donc n’aimons aucun mensonge, conformons-nous dans toutes nos démarches à la vérité, ne nous trompons pas mutuellement : s’il s’agit de gloire, cherchons la vérité ; en fait de conduite, encore la vérité. Si nous savons nous entourer de ce rempart, nous ceindre de vérité, nous n’avons personne à craindre. Celui qui cherche la doctrine de vérité ne tombera pas à terre. Car ce qui n’est pas vrai procède de la terre : la preuve en est la servitude où vivent, à l’égard de leurs passions, tous les infidèles, qui se laissent conduire par leurs propres pensées. En conséquence, si nous sommes sages, nous ne désirerons point nous instruire dans les écrits des païens. Ne voyez-vous pas comme ces hommes sont lâches et indolents, incapables de comprendre au sujet de Dieu une idée un peu sévère, un peu relevée ? C’est qu’ils ne sont pas ceints de vérité. C’est pour cela qu’il n’y a pas de force dans leurs reins, ces réservoirs de la génération, ce fondement, solide des pensées. Aussi, rien de plus faible qu’eux. 2. Voyez-vous maintenant comment les Manichéens ne reculent devant aucune affirmation dans leur confiance en leurs propres lumières ? Dieu dit-on, n’aurait pu créer le monde sans matière. Qu’est-ce qui le prouve ? Des arguments puisés ici-bas, sur la terre, en nous-mêmes. En effet, dit-on, l’homme ne peut rien faire qu’à cette condition. Et Marcion, voyez-vous comment il parle : Dieu ne pouvait conserver sa pureté en se revêtant de chair. Qu’est ce qui le prouve ? C’est que les hommes ne le peuvent pas, répond-il : or, cela même est une fausseté. Valentin aussi rampe sur la terre, en parle le langage : de même Paul de Samosate et Arius. Que prétend celui-ci ? Que Dieu ne pouvait engendrer en restant impassible. Qu’est-ce qui t’autorise à tenir ce langage, ô Arius ? Ce qui se passe ici-bas. Voyez-vous comme les pensées de tous ces hommes sont basses, rampantes, inspirées de la terre ? Voilà pour les dogmes. En ce qui regarde la vie maintenant, les fornicateurs, les avares, les amants de la gloire, que sais-je encore ? portent également une robe qui traîne à terre : ils n’ont pas cette solidité de reins qui permet de se reposer quand on est las : dès qu’ils sont fatigués, au lieu d’appuyer les mains sur leurs reins pour se raffermir, ils succombent à la lassitude. C’est le contraire pour celui qui est ceint de vérité ; d’abord, il ne se lassera jamais : en second lieu, même s’il se lasse, il trouvera dans la vérité même un point d’appui pour se reposer. Dites-moi, en effet : est-ce la pauvreté qui le fatiguera ? nullement. Car il se repose sur la vraie richesse, et par la pauvreté il connaîtra la pauvreté véritable. La servitude le fatiguera-t-elle davantage ? Nullement : car il connaît la vraie servitude. Sera-ce la maladie ? Pus davantage : « Ceignez vos reins, dit le Christ, et ayez dans vos mains les lampes allumées » (Luc 12,35) ; de sorte qu’ils jouissent de la lumière inextinguible. Les Israélites reçurent le même ordre à la sortie d’Égypte, et ils étaient ceints en mangeant la pâque. Et pourquoi, dira-t-on, mangèrent-ils ainsi ? Voulez-vous en savoir la raison historique ou la raison anagogique ? Je vous les dirai l’une et l’autre : retenez-les : car je ne me propose pas seulement de vous expliquer l’énigme, je veux encore que mes paroles profitent à votre conduite. « Ils étaient ceints, dit l’Écriture, le bâton à la main, les chaussures aux pieds, et c’est ainsi qu’ils mangeaient la pâque ». (Exo 12,11) Mystère redoutable, profond, sublime. Que s’il était tel en figure, à plus forte raison l’est-il en vérité. Ils sortent d’Égypte : ils mangent la pâque. Voyez, leur costume est un habit de voyage, des chaussures, le bâton à la main, manger debout : tout cela n’a pas d’autre sens. Voulez-vous que je commence par l’histoire ou par l’anagogie ? Par l’histoire, cela vaut mieux. Que signifie donc l’histoire ? Les Juifs étaient ingrats, ils ne cessaient d’oublier les bienfaits de Dieu. Voulant donc leur rendre la mémoire en dépit d’eux-mêmes, il institue ce rite pour le banquet de la pâque. Pourquoi ? Afin qu’obligés chaque année d’observer cette loi, ils se souvinssent nécessairement du Dieu qui les avait délivrés. Ce n’est donc pas seulement par un anniversaire que Dieu a voulu perpétuer le souvenir de ses bienfaits, mais encore par le costume prescrit aux convives. Car s’ils sont chaussés et ceints pour manger, c’est afin qu’ils puissent répondre, si on les interroge : Nous étions prêts pour le départ ; nous allions quitter l’Égypte pour la Terre promise. Voilà l’histoire : voici maintenant la vérité. Nous aussi nous mangeons une pâque, laquelle est le Christ « Notre pâque, le Christ a été immolé » (1Co 5,7) Ainsi donc nous mangeons une pâque, nous aussi, et une pâque bien supérieure à celle dont parlait la Loi. Donc nous devons aussi être chaussés, et ceints pour manger. Pourquoi ? afin que nous soyons prêts, nous aussi pour le départ, pour la sortie d’ici-bas. Ce n’est pas à l’Égypte qu’il faut songer quand on mange cette pâque, c’est au ciel, à la Jérusalem d’en haut. Si vous êtes ceint et chaussé pour manger, c’est afin que vous sachiez qu’au moment où vous commencez à manger la pâque, vous êtes destiné à une émigration, à un voyage. Deux choses sont indiquées par là : la première, c’est qu’il faut sortir d’Égypte ; la seconde ; c’est que ceux qui restent, y sont désormais comme en pays étrangers : « Notre cité est dans les cieux, est-il écrit ». (Phi 3,20). C’est que nous devons toujours être préparés, de sorte que, si l’on nous appelle, nous ne cherchions pas à gagner du temps, et que nous disions : « Notre cœur est prêt ». (Psa 108,2) Mais si Paul pouvait dire cela, lui à qui sa conscience ne reprochait rien, moi qui ai besoin de bien du temps pour me repentir, je ne saurais le dire. Néanmoins, la preuve qu’il est d’une âme vigilante de rester ceinte, elle se trouve dans les paroles de Dieu à un juste fameux : « Non, mais ceins tes reins comme un homme : je t’interrogerai ; toi, réponds-moi ». (Job 38,3) Il dit la même chose à tous les saints, la même chose à Moïse : et lui-même se montre ceint dans Ézéchiel. Que dis-je ? les anges mêmes nous apparaissent ceints comme étant des soldats… Quand on est ceint, on se tient ferme ; et ceux qui sont fermes se ceignent. Ceignons-nous donc : car, nous aussi, nous devons faire un voyage, et la route est hérissée d’obstacles. – Quand nous traversons cette plaine, le diable accourt aussitôt ; il ne néglige aucun moyen, aucune ruse, pour surprendre, pour exterminer ceux qui sont sortis d’Égypte, ceux qui ont traversé la mer Rouge, ceux qui viennent d’échapper à la fois aux démons et au déchaînement de mille fléaux. Mais, si nous sommes sages, nous avons, nous aussi, une colombe de feu dans la grâce de l’Esprit le même foyer nous donne la lumière et l’ombre. Nous avons une manne, ou plutôt, quelque chose de bien plus précieux que la manne : ce n’est pas de l’eau, c’est une boisson spirituelle qui jaillit pour nous du rocher. Nous avons de même un camp, dans ce nouveau désert que nous habitons. Car c’est vraiment un désert que la terre ; l’absence de vertu en fait une solitude bien plus affreuse que l’autre. Pourquoi cette autre était-elle un objet de crainte ? n’est-ce point parce qu’elle renfermait des scorpions et des vipères ? « L’homme n’y avait point passé ». Mais plus stérile encore est la nature humaine. 3. Combien de scorpions, de vipères, de serpents dans notre désert ? Combien de reptiles venimeux dans cette foule que nous traversons ! Mais ne craignons rien : notre guide, dans cette sortie, ce n’est pas Moïse, mais Jésus. Comment donc échapperons-nous aux maux qui accablèrent les Juifs ? En agissant autrement. Ils murmuraient, ils étaient ingrats. Gardons-nous des mêmes écarts. D’où vint leur chute à tous ? Ils comptèrent pour rien la terre désirée. Comment, ils la comptèrent pour rien ? Ils l’appréciaient pourtant. Oui, mais ils faiblirent, ils ne voulurent pas souffrir ce qu’il fallait endurer pour l’obtenir. N’allons donc pas, nous, compter pour rien le ciel : car cela s’appelle compter pour rien. Nous aussi, nous avons reçu un échantillon des fruits du ciel, non pas une grappe de raisin portée par deux hommes, mais des arrhes de l’Esprit, cette discipline céleste que nous ont révélée Paul, tout le chœur des apôtres, tant de merveilleux laboureurs. Ce n’est pas Chaleb, fils de Jéphoné, ce n’est pas Jésus, fils de Navé, qui nous a apporté ces fruits : c’est Jésus, le fils du Père des miséricordes, le Fils du vrai Dieu, qui nous a apporté toutes les vertus et tous les fruits, j’entends toutes les hymnes, de là-haut. Car ce que disent les chérubins dans les cieux, il nous a prescrit de le dire ici-bas : « Saint, saint, saint ». Il a introduit parmi nous la vie angélique. Les anges ne se marient pas : il a pris ici-bas le même mérite. Ils ne sont pas épris des richesses ni d’aucune chose de ce genre : il a implanté parmi nous le même désintéressement. Ils ne meurent pas : il nous a octroyé la même faveur ; car la mort n’est plus une mort, mais un sommeil. Écoutez plutôt ce qu’il nous dit lui-même : « Notre ami Lazare est endormi ». (Jn 11,11) Voyez-vous les fruits de la Jérusalem d’en haut ? Et ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que la guerre n’est pas encore terminée, c’est que tout cela nous est donné avant que nous soyons dans la Terre promise. Les Israélites avaient encore à lutter jusque dans la Terre de promesse : ou plutôt, non ils ne luttaient pas, car il leur suffisait de vouloir obéir à Dieu, pour prendre toutes les villes sans siège et sans combat : c’est ainsi du moins qu’ils prirent Jéricho : on les aurait crus à une fête plutôt qu’à la guerre. Mais nous, une fois entrés dans la Terre promise, c’est-à-dire dans le ciel, nous n’avons plus de guerre à soutenir : nous ne combattons que dans le désert, entendez, dans la vie présente. « Car celui qui est entré dans son repos, lui aussi s’est reposé de ses œuvres, comme Dieu des siennes ». (Heb 4,10) « Ne nous lassons donc pas de faire le bien ». (Gal 6,9) Car nous moissonnerons, la saison venue, si nous ne nous fatiguons pas. Voyez-vous comment Dieu nous guide ainsi que les Juifs ? Au sujet de la manne du désert, il est écrit : « Celui qui eut beaucoup n’eut pas davantage ; et celui qui eut peu n’eut pas moins ». Et à nous aussi, il nous est recommandé de ne pas thésauriser sur la terre. Que si nous thésaurisons, ce n’est plus, comme au temps de la manne, le ver d’ici-bas que nous avons à redouter, mais lever éternel de l’éternel enfer. Faisons donc tout ce qu’il faut pour ne pas lui préparer d’aliment : car il est écrit : « Celui qui eut beaucoup n’eut pas davantage ». Cela se vérifie pour nous tous les jours. Notre estomac, à tous, n’a qu’une capacité déterminée ; passer cette mesure, c’est folie. Dès lors Dieu enseignait aux Juifs ce qu’il devait nous apprendre plus tard par ces paroles : « À chaque jour suffit son mal ». Préservons-nous donc de la cupidité, de l’ingratitude ; ne nous inquiétons point d’habiter des maisons superbes : car nous sommes des voyageurs, et non des habitants stationnaires. Si donc on est bien persuadé que la vie est un voyage, une expédition militaire, que nous vivons ici dans ce que les soldats appellent une tranchée, on se souciera peu de constructions magnifiques. Qui s’aviserait, dites-moi, quelle que puisse être son opulence, d’élever sur une tranchée de superbes bâtiments ? Personne : ce serait encourir la risée, bâtir pour l’ennemi, travailler à l’attirer : ainsi nous ne ferons rien de semblable, si nous sommes sages. Une campagne, une tranchée, voilà la vie actuelle. Je vous en conjure donc, ayons bien soin de ne pas thésauriser ici-bas : car si le voleur vient, notre fuite sera plus prompte. « Veillez, parce que vous ne savez pas à quelle heure vient le voleur » : le voleur, c’est-à-dire la mort. En conséquence, avant qu’il ne vienne, envoyons tout dans notre patrie. Et portons ici-bas une ceinture qui nous permette de triompher de nos ennemis : puissions-nous, vainqueurs, au jour des couronnes, être jugés dignes de la gloire immortelle, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXIV.
SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ, ET REVÊTANT LA CUIRASSE DE LA JUSTICE, ET CHAUSSANT VOS PIEDS POUR VOUS PRÉPARER À L’ÉVANGILE DE LA PAIX ; PRENANT SURTOUT LE BOUCLIER DE LA FOI, DANS LEQUEL VOUS PUISSIEZ ÉTEINDRE TOUS LES TRAITS ENFLAMMÉS DU MALIN. PRENEZ AUSSI LE CASQUE DU SALUT, ET LE GLAIVE DE L’ESPRIT, QUI EST LA PAROLE DE DIEU. (VI, 14-17, JUSQU’À LA FIN) ANALYSE.
- 1-3. De la lutte contre le démon. – De la prière.
- 4 et 5. Exemple d’Anne. – De la corruption de l’âme.
1. « Ceignant vos reins de la vérité ». Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie, nous l’avons dit dans notre précédent entretien, qu’il faut nous tenir dispos et en état de courir sans obstacle. « Et revêtant la cuirasse de la justice ». La justice est comme une cuirasse elle est invulnérable. Par justice, il faut entendre ici la vie vertueuse, en général. L’homme ainsi muni, nul ne pourra le terrasser : Si on le blesse souvent, le diable lui-même ne saurait le mettre en pièces. Cela revient à dire : La justice dans le cœur. C’est de ces hommes que parle le Christ, en disant : « Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la justice, parce qu’ils seront rassasiés ». (Mat 5,6) L’homme qui a la justice dans le cœur est fort comme une cuirasse. Il ne se laissera jamais aller à la colère. « Et chaussant vos pieds pour vous préparer à l’Évangile de paix ». Il y a ici quelque obscurité. Qu’est-ce que cela signifie ? Voilà une glorieuse chaussure, qui nous prépare à l’Évangile. Ou il veut dire qu’ils doivent être prêts pour l’Évangile, user de leurs pieds pour cela, lui préparer, lui frayer la voie : ou bien qu’il faut nous préparer à la sortie. Dès lors, la préparation à l’Évangile, n’est pas autre chose qu’une vie irréprochable. Comme dit le prophète : « Votre oreille a entendu la préparation de leur cœur ». (Psa 11,19) « À l’Évangile de paix », dit-il. En voici la raison. Il a parlé de guerre et de combats : il montre maintenant que c’est aux démons qu’il faut faire la guerre : car l’Évangile est un Évangile de paix. Cette guerre-là met fin à une autre guerre, la guerre contre Dieu : quand nous combattons le diable, nous sommes en paix avec Dieu. Ne craignez donc rien, mon cher auditeur ; voici l’Évangile : la victoire est assurée. « Prenant surtout le bouclier de la foi ». Par foi il entend ici, non la doctrine, car il ne l’aurait pas mise au second rang, mais la grâce, par laquelle se font les signes. Et c’est à bon droit qu’il nomme la foi un bouclier : car, si un bouclier forme une sorte de rempart autour du corps tout entier, la même chose est vraie de la foi ; tout lui cède : « Dans lequel vous puissiez éteindre tous les traits enflammés du malin ». En effet, rien ne peut briser ce bouclier. Écoutez ce que le Christ dit à ses disciples : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Passe d’ici là, et elle y passerait ». (Mat 17,19) Mais comment faire pour avoir la foi ? Il faut accomplir ces prescriptions. Par ces mots : Traits du malin, il entend les tentations, les passions déréglées. C’est à propos qu’il ajoute : « Enflammés ». Car telles sont les passions. Si la foi a pu commander aux démons, à plus forte raison peut-elle se faire obéir des passions. « Prenez aussi le casque du salut » : entendez : « Pour votre salut ». Il les revêt d’une armure, comme s’il les menait au combat. « Et le glaive de l’Esprit qui est la parole de Dieu ». Ceci doit être entendu soit de l’Esprit, soit du glaive de l’Esprit, glaive au moyen duquel on peut tout fendre, tout couper, et décapiter le dragon. « Priant en esprit en tout temps, par toute sorte de prières et de supplications, et dans le même esprit, veillant en toute instance et supplication pour tous les saints ; et pour moi, afin que, lorsque j’ouvrirai la bouche, des paroles me soient données pour annoncer avec assurance le mystère de l’Évangile, dont j’exerce la légation dans les chaînes, et qu’ainsi j’ose en parler comme je dois (18-20) ». Si là parole de Dieu peut tout, il en est de même de celui qui a le don de l’Esprit. « Car la parole de Dieu est vivante, efficace, et plus pénétrante que tout glaive à deux tranchants ». (Heb 4,12) Voyez la sagesse de ce saint. Il les a armés avec le plus grand soin ; maintenant il montre comment ils doivent invoquer le roi, pour qu’il leur tende la main : « Priant en esprit, en tout temps, par toutes sortes de prières et de supplications ». On peut, en effet, marmotter des prières, et ne pas prier en esprit. « Et dans le même esprit veillant ». C’est-à-dire, restant sages : tel doit être l’homme armé, l’homme debout auprès du roi : vigilant, de sang-froid. « En toute instance et supplication pour tous les saints, et pour moi, afin que, lorsque j’ouvrirai la bouche, des paroles me soient données ». Que dis-tu, ô bienheureux Paul ? tu as besoin des disciples ? Il a bien soin de dire : « Quand j’ouvrirai la bouche ». Il ne méditait donc pas ses paroles : Le Christ l’a dit : « Lorsque l’on vous livrera, ne pensez ni comment ni ce que vous devrez dire ; il vous sera donné en effet à l’heure même ce que vous devrez dire ». (Mat 10,19) Ainsi Paul faisait tout par foi, tout par grâce. « Pour annoncer avec assurance le mystère de l’Évangile ». En d’autres termes, afin que je plaide ma cause comme il faut. Tu es dans les fers, et tu as besoin d’autrui ? Oui, répond-il. Car Pierre aussi était chargé de chaînes ; et néanmoins on priait pour lui sans relâche. « Dont j’exerce la légation dans les chaînes, et qu’ainsi j’ose en parler comme je dois » : c’est-à-dire, afin que je réponde avec assurance, courage, intelligence. « Et pour que vous sachiez les circonstances où je me trouve, et ce que je fais, Tychique, notre frère et fidèle ministre du Seigneur, vous apprendra toutes choses (21) ». 2. Après avoir fait mention de sa captivité, il s’en remet à Tychique du soin d’en dire davantage de sa part. Pour ce qui était des dogmes et de l’exhortation, il s’expliquait dans son épître : mais il laissait au porteur de sa lettre tout ce qui était pur message. Voilà pourquoi il ajoute : « Pour que vous sachiez ce qui nous concerne ». Par là il fait voir et son affection pour eux, et leur affection pour lui. « Lequel j’ai envoyé vers vous exprès pour que vous sachiez ce qui nous concerne, qu’il console vos cœurs (22) ». Ceci est motivé par ce qui précède : « Vous étant revêtus et ceints », ce qui indique une prière continuelle et ininterrompue. Écoutez plutôt le prophète : « Qu’il soit pour lui comme un manteau dont il se revêt, comme une ceinture dont il est ceint perpétuellement ». (Psa 109,19) Et le prophète dit de Dieu même qu’il porte une cuirasse de justice, nous avertissant par là que c’est toujours et non pour un moment que nous devons être munis de la sorte : toujours il faut combattre. Et un autre dit ailleurs : « Le juste est confiant comme un lion ». (Pro 28,1) En effet, un homme ainsi cuirassé ne saurait avoir peur d’une armée ; il s’élance au milieu des ennemis. Isaïe dit aussi : « Beaux sont les pieds de ceux qui annoncent la paix ». (Isa 52,7) Qui n’accourrait, qui ne s’empresserait de contribuer à cette œuvre, d’annoncer aux hommes la paix, la paix de Dieu, une paix qui ne coûte aux hommes aucune peine, qui est l’œuvre de Dieu seul ? Ce que c’est maintenant que la préparation de l’Évangile, Jean va nous l’apprendre : « Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses chemins ». Mais en disant cela, il a en vue le baptême : or, après le baptême il faut encore une autre préparation c’est à celle-là que l’apôtre songe en disant « Pour vous préparer à l’Évangile de paix » ; conseil indirect d’éviter tout ce qui nous rendrait indigne de la paix. Les pieds étant pris souvent comme image de la vie, il répète souvent, pour ce motif, dans ses exhortations « Songez à bien marcher », c’est-à-dire à vous bien conduire. Sachons donc rendre notre vie digne de l’Évangile, et, durant toute notre existence, rester irréprochables dans notre conduite et nos actions. La paix a été annoncée, frayez la voie à cette bonne nouvelle ; car si vous redevenez ennemis, plus de préparation à la paix. Soyez prêts, ne différez pas le moment de la paix… Restez ce que vous êtes devenus : prêts à la paix et à la foi. La foi est un bouclier, qui arrête au passage les atteintes de l’ennemi, et préserve nos armes. Si donc la foi reste droite et la vie également, les armes demeurent intactes. En bien d’autres endroits, il revient sur ce sujet de la foi, mais principalement dans son épître aux Hébreux ; et aussi sur le sujet de l’espérance. Croyez, dit-il, aux biens futurs, et tout cela sera hors d’atteinte. Si dans les dangers, dans les épreuves, vous vous faites un rempart de l’espérance et de la foi, vos armes n’éprouveront aucun choc funeste. « Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il est, et qu’il récompensera ceux qui le cherchent ». La foi est un bouclier qui abrite ceux qui croient avec simplicité ; si au contraire, on y mêle des raisonnements, des discussions, de vaines recherches, ce n’est plus un bouclier, mais un embarras. La foi doit être telle qu’elle nous couvre, qu’elle nous protège entièrement… Qu’elle ne soit donc pas courte de manière à laisser sans défense ou les pieds ou quelque autre partie : le bouclier doit avoir les dimensions du corps. « Enflammés ». Nombreuses sont les pensées qui consument notre âme, nombreux les doutes, nombreuses les hésitations : mais la foi, en réalité, apaise tout cela. Le diable nous décoche bien des traits propres à enflammer notre âme, et à la jeter dans le doute, comme lorsque quelques-uns demandent : Y a-t-il une résurrection ? y a-t-il un jugement ? y a-t-il une rétribution ? Mais si vous avez le bouclier de la foi, vous éteindrez les traits du diable. Une passion déréglée a pénétré en vous, le feu des mauvaises pensées vous consume entièrement ? Couvrez-vous de la croyance aux biens futurs ; et rien ne paraîtra, tout sera anéanti. « Tous les traits » : non pas une partie seulement. Écoutez ce que nous dit Paul : « J’estime que les souffrances du temps présent ne sont pas proportionnées à la gloire qui doit être révélée en nous ». (Rom 8,18) Voyez-vous combien de traits ont éteints les justes d’autrefois ? Ou n’était-ce pas à vos yeux un trait enflammé que la douleur qui consuma le cœur du patriarche au moment d’offrir son fils… Et ce n’est pas le seul juste qui ait éteint tous les traits du diable. Si donc les mauvaises pensées nous font la guerre, couvrons-nous de ce bouclier ; armons-nous en contre les passions déréglées : dans la souffrance et la peine, servons-nous-en comme d’un appui. C’est un rempart pour notre armure toute entière : sans cela, elle serait bientôt percée. « En tout prenant le bouclier de la foi ». Qu’est-ce à dire, « En tout ? » c’est-à-dire, en vérité, en justice, en préparation de l’Évangile. En d’autres termes, toutes ces choses en ont besoin. C’est pourquoi il ajoute : « Prenez aussi le casque du salut » ; en d’autres termes, par là vous pourrez vivre désormais en sûreté, et échapper à tous les périls. De même que le casque qui enveloppe exactement la tête de tous côtés, la préserve de tout accident : de même la foi tient lieu de bouclier, de casque de salut. Si nous éteignons les traits du diable, bientôt nous recevrons en nous les pensées salutaires qui préserveront de toute atteinte notre faculté souveraine. Les pensées contraires une fois éteintes, bientôt les pensées salutaires, les pensées d’espérance naîtront en nous, et se fixeront dans notre raison comme un casque sur notre tête. 3. C’est peu : nous recevrons encore le glaive de l’Esprit, en sorte que non seulement nous serons à l’abri des traits lancés contre nous, mais que nous pourrons encore frapper le diable lui-même. Si l’âme ne désespère point d’elle-même, si elle ne reçoit pas les traits enflammés, elle résistera énergiquement à l’ennemi, elle brisera sa cuirasse avec ce même glaive au moyen duquel Paul la brisa et asservit les pensées de celui qui en était revêtu : On mutilera, on décapitera le dragon. « Qui est la parole de Dieu ». En disant : Parole de Dieu, il entend ses ordres ou ses préceptes. Quand les apôtres faisaient des miracles, ils s’autorisaient toujours du nom de Jésus-Christ. Et nous aussi, en toutes choses, songeons seulement à nous conformer aux ordres de Dieu si nous le faisons, nous tuerons, nous exterminerons par là le dragon, le serpent aux replis tortueux. Veuillez considérer ici la sagesse de Paul. Après avoir dit : « Vous pourrez éteindre les traits enflammés du diable », afin de ne pas enfler d’orgueil ceux à qui il s’adresse, il leur montre qu’ils ont, pour cela, le plus grand besoin du secours de Dieu. Que dit-il, en effet ? « Par toute sorte de prières et de supplications ». C’est comme s’il disait : Cela sera, et vous réussirez à tout en priant ; mais ne priez jamais pour vous seul, et ainsi vous aurez Dieu propice. « Par toute sorte de prières et de supplications, et dans le même esprit veillant en toute instance et supplication pour tous les saints ». Ne distinguez point entre les moments de la journée : écoutez ce qu’il vous prescrit : Priez « En tout temps », ou sans cesse. N’avez-vous pas entendu parler de cette veuve qui triompha à force d’assiduité ? N’avez-vous pas entendu parler de cet ami qui fléchit Dieu par sa persévérance nocturne ? N’avez-vous pas entendu parler de cette Syro-Phénicienne qui gagna Dieu par la fréquence de ses visites ? Tous réussirent par l’assiduité. « Priant en esprit en tout temps ». En d’autres termes : Cherchons ce qui est selon Dieu, rien de mondain, rien qui regarde cette vie. Il ne faut donc pas seulement que la prière soit assidue, il faut encore qu’elle soit vigilante : « Et dans le même esprit veillant ». Peut-être veut-il parler des veilles, peut-être de l’état d’une âme vigilante : j’accepte les deux interprétations. Elle veillait, cette Chananéenne, quand, repoussée par le Seigneur qui refusait de lui répondre et la traitait de chienne, elle lui dit : « Il est vrai, Seigneur ; mais les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » (Mat 15,20) ; et elle ne s’éloigna pas, avant d’être exaucée. Vous savez comment criait cette veuve, et comment elle persista, jusqu’à ce qu’elle eût fléchi un magistrat sans crainte de Dieu ni de l’opinion des hommes. Vous savez comment persévéra cet ami qui priait jusqu’à une heure avancée de la nuit, jusqu’à ce qu’il eût fléchi son ami par son assiduité et obtenu le réveil désiré. Voilà ce qui s’appelle veiller. Voulez-vous savoir en quoi consiste la vigilance de l’âme ? Approchez-vous d’Anne, écoutez ses paroles : « Adonaï, Eloï Sabaoth ». (1Sa 1,11) Ou plutôt écoutez ce qui précéda ses paroles. Tous, est-il écrit, se levèrent de table : mais elle, alors, ne songea point au sommeil ni au repos. Ainsi, même à table, elle restait légère, elle ne se chargeait point d’aliments : autrement, elle n’aurait pas versé tant de larmes. Si nous, même à jeûn, nous avons peine à prier aussi bien, ou plutôt, si nous ne prions jamais de la sorte, à plus forte raison n’aurait-elle pas prié ainsi en sortant de table, si même à table elle n’avait été comme une personne à jeun. Hommes, rougissons à la vue de cette femme ; rougissons, nous qui ne pouvons, sans bailler, prier pour obtenir le royaume, en la voyant pleurer tandis qu’elle prie pour avoir un enfant… « Et elle s’arrêta devant le Seigneur », ajoute l’Écriture : Et que dit-elle ? « Adonaï Seigneur, Eloï Sabaoth » ; ce qui se traduit par ces mots : Seigneur Dieu des armées. Ses larmes, précédaient ses paroles : c’est là-dessus qu’elle comptait pour fléchir Dieu. Où il y a des larmes, il y a nécessairement affliction : où il y a affliction, il y a sagesse et ferveur. « Si vous exaucez en l’entendant, dit-elle, la prière de votre servante, et que vous me donniez un fils, je le donnerai en offrande au Seigneur pour toujours ». Elle ne dit pas, une année ou deux, comme nous : elle ne dit pas : Si vous me donnez un enfant, je vous ferai une offrande d’argent. Elle dit : Ce don que vous m’aurez fait, je vous le rends tout entier : à vous, ce premier-né ; à vous, cet enfant de ma prière. Vraie fille d’Abraham ! Abraham donna ce qui lui avait été demandé : Anne prévient la demande, et donne. Et voyez en ceci encore paraître sa piété. « Sa voix n’était pas entendue, dit l’Écriture, et ses lèvres ne remuaient point ». Ainsi s’approche de Dieu celui qui veut être exaucé : on ne le voit point s’abandonner, bailler, s’endormir, se gratter, paraître ennuyé. Est-ce que Dieu ne pouvait pas donner sans cette prière ? Est-ce qu’il ne connaissait pas déjà auparavant le désir de cette femme ? Mais s’il avait prévenu la sollicitation d’Anne, le zèle de cette-ci n’aurait pas éclaté, sa vertu n’aurait point paru dans tout son jour, elle n’aurait pas été récompensée si magnifiquement. De sorte que ce délai n’est point une marque d’avarice ni de jalousie, mais de sollicitude. 4. Quand donc vous trouverez dans l’Écriture « Qu’il avait fermé son sein ; et que sa rivale la persécutait », songez que Dieu voulait par là montrer la sagesse d’Anne. Voyez plutôt, son mari lui était attaché, il lui disait : « Ne suis-je pas bon pour toi plus que dix enfants ? Et sa rivale la persécutait » ; elle l’injuriait, l’insultait. Et jamais Anne ne répondit aux mauvais procédés de cette femme, jamais elle ne proféra d’imprécation contre elle, jamais elle ne dit : Ma rivale m’outrage, venge-moi. Cette rivale avait des enfants mais elle avait, elle, pour compensation l’amour de son mari. C’est par là qu’il la consolait, disant : « Ne suis-je pas bon pour toi plus que dix enfants ? » Mais considérons encore la sagesse d’Anne. « Et Héli crut qu’elle était ivre ». Voyez maintenant sa réponse : « Ne croyez pas que votre servante soit comme une fille de Bélial ; car il n’y a que l’excès de ma douleur et de mon affliction qui m’ait fait parler jusqu’à cette heure ». Voilà qui marque véritablement un cœur contrit : ne pas s’irriter ou s’offenser des injures, se justifier seulement. Rien n’affermit un cœur dans la sagesse, comme l’affliction ; rien n’est doux comme la douleur selon Dieu. « Il n’y a que l’excès de ma douleur et de mon affliction qui m’ait fait parler jusqu’à cette heure ». Imitons-la, tous tant que nous sommes. Écoutez, vous toutes qui êtes stériles, vous toutes qui désirez des enfants, écoutez, hommes et femmes. Car souvent les hommes se joignent à ces supplications. Écoutez ce que dit l’Écriture : « Et Isaac priait au sujet de Rébecca, sa femme, parce qu’elle était stérile ». (Gen 25,21) Grand est le pouvoir de la prière. « En toute instance et supplication pour tous les saints, et pour moi ». Il se nomme en dernier lieu. Que fais-tu, bienheureux Paul ? Tu te places au dernier rang ? Oui, dit-il : « Afin que, lorsque j’ouvrirai la bouche, des paroles me soient données pour annoncer avec assurance le mystère de l’Évangile, dont j’exerce la légation dans les chaînes ». Auprès de qui exerces-tu cette légation ? Auprès des hommes. O bonté de Dieu ! Il a envoyé du ciel des ambassadeurs en son nom, au nom de la paix : et les hommes les ont pris et enchaînés, sans même observer cette loi du droit des gens ; que la personne d’un ambassadeur est inviolable : Néanmoins j’exerce ma légation dans les chaînes. La captivité m’empêche de parler librement : mais votre prière m’ouvrira la bouche, afin que je puisse dire avec assurance ce que je dois dire : en d’autres termes, afin que je dise tout ce que j’ai été chargé de dire. « Et pour que vous sachiez les circonstances où je me trouve, et ce que je fais, Tychique, notre frère, et fidèle ministre du Seigneur, vous apprendra toutes choses ». S’il est fidèle, il ne mentira pas, il ne dira que la vérité. « Lequel j’ai envoyé vers nous exprès pour que vous sachiez ce qui nous concerne, et qu’il console vos cœurs ». Ah ! quel amour ! Il veut dire : afin que ceux qui voudraient vous effrayer ne le puissent pas : les Éphésiens devaient être en effet dans les angoisses : cela résulte de ces mots : « Afin qu’il console vos cœurs » : Afin qu’il vous empêche de tomber dans le découragement. « Paix à nos frères et charité avec la foi, par Dieu le Père et par le Seigneur Jésus-Christ ». Il leur souhaite la paix et la charité avec la foi. Sage précaution : car il ne veut pas que leur charité soit sans discernement, qu’ils se mêlent aux infidèles. Voilà ce qu’il veut dire ou bien il s’exprime ainsi pour qu’ils aient foi, pour qu’ils aient bonne espérance au sujet des biens futurs. La paix vis-à-vis de Dieu est en même temps la charité. En effet, s’il y a paix, il y aura charité ; s’il y a charité, il y aura paix. « Avec la foi ». La charité n’est bonne à rien, sans la foi : ou plutôt, sans la foi, la charité est impossible. « Et que la grâce soit avec tous ceux qui aiment Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l’incorruptibilité. Ainsi soit-il ». Ici il distingue et met à part ces deux choses, la paix et la grâce. « Dans l’incorruptibilité. Ainsi soit-il ». Qu’est-ce à dire, « Dans l’incorruptibilité ? » Cela signifie ou avec sagesse, ou encore pour les choses incorruptibles : et non pour l’argent et la gloire. « Dans », c’est, par. « Par incorruptibilité », c’est-à-dire par vertu. Car tout péché est une corruption : et si l’on emploie ce mot en parlant d’une vierge séduite, on peut aussi l’appliquer à l’âme. C’est pour cela que Paul a dit : « Que vos pensées ne soient jamais corrompues », et ailleurs : « L’incorruptibilité dans la doctrine ». 5. Qu’est-ce, en effet, dites-moi, que la corruption du corps ? N’est-ce pas une dissolution générale qui en atteint jusqu’à la charpente ? La même chose arrive pour l’âme, une fois que le péché s’y est introduit. La beauté de l’âme, c’est la chasteté, la justice ; la santé de l’âme, c’est le courage, la sagesse. La laideur est le partage du débauché, de l’avare, de celui qui fait le mal : le pusillanime, le lâche, sont des infirmes, des malades. On voit donc clairement par là que les péchés engendrent la corruption, puisqu’ils nous rendent laids, infirmes, et ébranlent notre santé. Si nous employons justement le même mot en parlant d’une vierge séduite, ce n’est pas seulement en vue de l’atteinte qu’a reçue sa personne, c’est encore en vue de la faute commise : car il ne s’agit que d’une union charnelle : et si ce fait constituait une corruption, il faudrait voir une corruption dans le mariage. Ce n’est donc pas le rapprochement des sexes qui fait la corruption, mais bien le péché : car, en péchant, la fille s’est déshonorée. Considérons encore les choses par un autre côté : Pour une maison, la corruption, la perte, qu’est-ce autre chose que la ruine ? En toutes choses la corruption consiste dans le passage à un état pire qui se substitue à l’état précédent et n’en laisse subsister aucune trace. Écoutez plutôt ce que dit l’Écriture : « Toute chair a corrompu sa voie » (Gen 6,12) ; et ailleurs : « Dans une corruption insupportable » ; et encore : « Des hommes d’un esprit corrompu ». (2Ti 3,8) Notre corps est périssable, mais notre âme est immortelle de sa nature. N’allons donc pas la corrompre, elle aussi. La mort du corps est l’effet de l’ancien péché : mais les péchés commis après le baptême ont le pouvoir de gâter l’âme elle-même, et de la mettre à la merci du ver immortel, qui ne la toucherait point, si elle n’était tombée en corruption. Le ver ne s’attaque point au diamant : quand bien même il y toucherait, ce serait en pure perte. Gardez-vous donc de corrompre votre âme : car la corruption produit l’infection. Écoutez plutôt le prophète : « Mes plaies ont été remplies d’infection et de pourriture, à cause de ma folie ». (Psa 38,6) Or une de ces corruptions revêtira l’incorruptibilité, l’autre, non (car l’incorruptibilité ne sera que l’incorruptibilité d’une corruption). Il y a donc une corruption incorruptible, c’est-à-dire sans fin, il y a une mort immortelle ; ce qui serait le cas, si le corps demeurait immortel. Si donc, quand nous quittons la terre, nous portons en nous la corruption, cette corruption sera incorruptible et sans fin. En effet, brûler et n’être point consumé, être dévoré éternellement par un ver, c’est une corruption incorruptible. Une chose analogue arriva pour le bienheureux Job : il était en corruption et ne périssait pas : quand il se grattait, il sortait de la poussière avec du pus de son corps, et cela pendant longtemps. C’est un supplice analogue que l’âme endurera alors, assaillie et rongée par les vers, non pendant deux années, ni trois, ni dix, ni cent, ni dix mille, mais durant un temps infini. « Leur ver ne périra point, est-il écrit ». (Mrc 9,45) Craignons, redoutons ces paroles, je vous en conjure, afin de ne pas les voir se réaliser pour notre malheur. C’est une corruption que l’avarice, une corruption pire que toute autre, qui conduit à l’idolâtrie. Fuyons la corruption, visons à l’incorruptibilité. Vous avez fait tort à un tel ? Ce tort est passager, mais l’avarice demeure ; la corruption devient un principe d’incorruptibilité ; la jouissance passe, mais le péché reste incorruptible. C’est un terrible malheur que de ne pas se purifier complètement dans la vie présente : c’est une grande infortune que de partir pour l’autre vie tout chargé de péchés. « Dans l’enfer, qui vous confessera ? » (Psa 6,6) Au jour du jugement, il n’est plus temps de se repentir. Quels gémissements n’a point poussés le mauvais riche ? mais ce fut en vain. Que ne disent pas ceux qui n’ont pas nourri Jésus-Christ ? Néanmoins ils sont précipités dans le feu éternel. Que ne disent point alors ceux qui ont commis l’iniquité ? « Seigneur, n’avons-nous point prophétisé en votre nom ? n’avons-nous pas en votre nom chassé les démons ? » Néanmoins ils ne sont pas reconnus. Toutes ces choses sont alors inutiles, si l’on n’a point fait ici-bas ce qu’il fallait faire. Craignons donc d’avoir à dire alors : « Seigneur, quand vous avons-nous vu affamé, et ne vous avons-nous pas, nourri ? » Nourrissons-le maintenant, non pas un jour, ni deux, ni trois ; car il est écrit : « Que la miséricorde et la vérité ne vous abandonnent point ». L’Écriture ne dit pas : Agissez ainsi une fois ou deux car les vierges aussi : avaient eu de l’huile, mais elles ne surent pas la conserver. Ainsi donc nous avons besoin de beaucoup d’huile, et il faut que nous soyons comme un olivier fertile dans la maison de Dieu. Que chacun de nous songe aux péchés dont il est chargé, et les compense par des charités, ou plutôt fasse bien plus que les compenser, afin que non seulement nos péchés soient effacés, mais que de plus nos bonnes œuvres nous soient imputées à justification. Car si nos bonnes actions ne sont pas assez nombreuses pour nous décharger, d’une part, de nos fautes, et de l’autre, offrir un excédant qui nous soit compté à justification, personne ne nous préservera du supplice : auquel puissions-nous tous échapper par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduit par M. X… FIN DE L’ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS ▼▼Les difficultés que Savilius et les récents éditeurs d’Oxford ont rencontré dans la constitution du texte souvent si difficile et si défiguré de ce commentaire, nous les avons éprouvées, nous aussi, et à plus forte raison, en le traduisant. Nous ne nous flattons nullement d’avoir éclairci partout ce que l’état actuel du texte rend incompréhensible en plusieurs endroits, indépendamment de la difficulté de la matière : et nous sommes forcés, en finissant ce pénible travail, de répéter, pour notre compte, l’aveu de Savilius, dont les derniers éditeurs disent dans leur préface (page 3) :
Neque tamenposuit, ut ipse fatetur, in libro tam mendoso, quod voluit, praestore. (
Sancti Joannis Chrysostomi Interpretatio omnium Epistolarum Paulinarum, tom. IV ; Oxonii, apud J. H. Parker). La traduction latine d’Hervet à laquelle nous avons souvent recouru, est d’ailleurs très éloignée de la perfection : mais la perfection, en pareil cas, c’est l’impossible.
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