Genesis 1
ABRÉGÉ DE LA GENÈSE.
Création du monde et formation de l’homme. Adam reçoit un commandement ; la femme est formée d’une de ses côtes ; le serpent la trompe ; elle-même trompe l’homme, et, maudite avec lui, est chassée du Paradis avec lui. Le serpent est maudit ; il rampera sur le ventre. Caïn tue son frère parce que celui-ci est préféré, il reçoit le châtiment ; ensuite il engendre des enfants. Eve donne le jour à Seth. Liste des descendants d’Adam et de Seth jusqu’à Noé, et reproches qu’encourent les hommes pour leurs mariages criminels, eu même temps que pour leurs iniquités. Les fils de Dieu, tel est le nom de ceux qui tirent leur origine de Seth (Gen 6, 2), car voici ce qui est écrit : « J’ai dit : vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut. » (Psa 82, 6) Les filles des hommes sont celles qui descendent de Caïn. Dieu annonce à Noé la ruine du genre humain par le déluge, et lui ordonne de construire l’arche, longue de trois cents coudées, large de cinquante et haute de trente coudées. Lorsqu’il est entré dans l’arche, le déluge survient, pendant quarante jours et quarante nuits. L’eau demeure sur la terre pendant cent cinquante jours, et les sommets des montagnes apparaissent le premier jour. du dixième mois. Après quarante jours, Noé envoie le cor. eau (lui ne revient pas, et sept jours après il envoie la colombe qui revient portant un rameau d’olivier. Dieu ordonne à Noé de quitter l’arche ; lorsqu’il est sorti, il offre à Dieu un sacrifice et il est béni avec ses enfants. Il reçoit de Dieu la promesse que les hommes ne périront plus par un déluge. Ensuite, il bénit Seni et Japhet ; mais il maudit Chanaan, parce que Chain, dont il était le fils, avait révélé la nudité de son père. Cette malédiction fut accomplie sur les Gabaonites, et, à vrai dire, elle eut l’apparence d’une malédiction, mais en réalité ce fut une prophétie. Liste des descendants de Noé jusqu’à Phaleg, à qui ce nom fut donné parce que la terre fut divisée air temps où il vécut. Alors fut construite la tour dans le lieu qui fut appelé Babylone, c’est-à-dire confusion, parce que dans cet endroit eut lieu la confusion, des langues. Héber, père de Phaleg, ne consentit point, diton, à construire la tour avec les autres et pour cela, sa langue ne fut point changée ; mais il garda son idiome intact, et lui imposa même son nom. On l’appelait Héber, sa langue fut l’hébraïque, et ainsi est-il prouvé que l’idiome hébreu est la plus ancienne des langues. Cette langue était celle dont tous se servaient avant la confusion. Héber fut l’ancêtre d’Abraham. Généalogie des descendants de Seth jusqu’à Abraham. Tharé, père d’Abraham, prend avec lui ses fils Abraham et Nachor et Loth, son petit-fils, et vient au pays de Charran, ayant résolu d’habiter la terre de Chanaan. Tharé mort, Abraham reçoit de Dieu l’ordre de quitter le pays de Charran et il s’en va à Sichem, dans le pays de Chanaan. Dieu lui promet de donner cette terre à sa race. Abraham élève à Dieu un autel et fixe sa tente vers la mer. Une famine étant survenue, il se rend en Égypte, ordonnant à sa femme de dire qu’elle est sa sœur. Mais Pharaon l’enlève et, repris par Dieu, la rend à Abraham. Les conducteurs des troupeaux d’Abraham et de Loth se disputent, et ils cessent d’habiter l’un avec l’autre. Lotte séjourne dans là terre de Sodome et Abraham près du chêne de Mambré, où Dieu lui renouvelle ses promesses, affirmant qu’il multipliera sa race et lui donnera cette contrée pour héritage. Or, cinq rois de la terre de Sodome s’étant révoltés contre Chodorlahomor, à qui ils obéissaient auparavant, celui-ci prit avec lui trois autres rois et leur fit la guerre ; il les mit en fuite et emmena des prisonniers parmi lesquels était Loth. Cependant, Abraham l’ayant su, il poursuivit le vainqueur avec trois cent dix-huit des serviteurs nos dans sa maison et reprit le fils de sou frère avec les chevaux et les femmes. Il est béni par Melchisédech qui s’avance à sa rencontre avec le pain et le vin, et il lui donne la dîme. C’est pourquoi Paul a dit, dans l’épître aux Hebreux que « Lévi qui reçoit la dîme a payé lui-même la dîme. » (Heb 7, 9) Il n’acquiesce point à la demande du roi de Sodome, qui le priait de garder les chevaux pour sa part, « afin que vous ne puissiez dire, » dit-il : « J’ai enrichi Abraham. » (Gen 14, 23) Dieu ayant dit à Abraham : « Ta récompense sera grande (Gen 15, 1), » celui-ci se plaint de n’avoir point d’enfants. Dieu lui parle une seconde fois ; il lui apprend que celui qui sortira de lui possédera son héritage, et que sa race sera comme les astres du firmament. C’est en cet endroit qu’il est dit : « Abraham crut à la parole de Dieu et sa foi lui fut imputée à justice. » (Gen 15, 10) Il divise la chair des victimes et il apprend que sa race sera réduite en esclavage et qu’ensuite elle sera délivrée après qu’elle aura été humiliée pendant quatre cents ans. Sara, qui était stérile, donne Agar à Abraham afin qu’il ait des enfants d’elle. Celle-ci ayant conçu s’enorgueillit devant sa maîtresse et Abraham la livra à Sara pour châtier son insolence. Agar, maltraitée par Sara, s’enfuit de sa demeure : un ange lui ordonne de retourner près de sa maîtresse, lui promet que sa race sera nombreuse et, avant que l’enfant ne soit né, lui donne un nom, l’appelant Ismaël. Agar met au monde Ismaël, et Abraham âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans change de nom : il cesse d’être appelé Abram et s’appelle Abraham. Dieu lui ordonne de se circoncire et avec lui toute sa maison. Sara change aussi de nom et est appelée Sarra. La naissance d’Isaac est promise à Abraham. Le Fils de Dieu lui apparaît avec deux anges et lui dit : « Je reviendrai vers toi dans ce temps et à cette heure, et Sara ta femme aura un fils. » (Gen 18, 10) Abraham prie pour les habitants de Sodome. Deux anges vont trouver Loth. Les habitants de Sodome les poursuivent et sont frappés d’aveuglement. Les anges, emmenant Loth, sortent de la maison, et lui-même se réfugie à Ségor avec ses filles, tandis que sa femme est changée en une statue de sel parce qu’elle s’est retournée pour regarder derrière elle. Pendant que Sodome était en feu, Loth se retira vers la montagne, et ses deux tilles conçurent de lui ; la plus âgée donna naissance à Moab et la plus jeune à Ammon : elles avaient conçu après avoir enivré leur père, car elles pensaient que toute la race des hommes avait péri. Cependant, Abraham alla habiter le pays de Gérare, et le roi de cette contrée, Abimélech, enleva Sarra. Le roi ayant entendu les (526) menaces de Dieu se justifie en disant qu’il pensait que cette femme était sœur d’Abraham et qu’elle-même l’avait dit. Il la renvoie avec des présents. Elle met au monde Isaac. Elle chasse de sa demeure l’esclave et son fils Ismaël. Abimélech conclut avec Abraham une alliance, ils jurent de ne plus se nuire l’un à l’autre ; Abimélech reçoit sept jeunes brebis en témoignage devant le puits du jurement, afin que tous voient que ce puits appartient à Abraham. Celui-ci offre son fils en holocauste, d’après l’ordre qu’il en a reçu ; le bélier est immolé au lieu d’Isaac. Ce sont là les types qui devaient avoir leur réalité dans l’incarnation de Jésus-Christ, victime immolée pour nous. Sarra meurt. Abraham achète un tombeau de Héphron le Héthéen et ensevelit sa femme. Puis, il envoie son serviteur afin qu’il amène pour son fils Isaac une femme de la Mésopotamie, lui recommandant de ne pas le conduire dans ce pays si la femme refusait de venir avec lui. Lorsque le serviteur arriva dans la cité habitée par Nachor, il demanda à Dieu de lui faire reconnaître par un signe la jeune fille qu’il venait chercher, et ce signe était qu’elle lui donnerait de l’eau à boire pour lui et pour ses chameaux. Rébecca, fille de Bathuel, qui lui-même était fils de Nachor, se présenta. Or, Nachor était le frère d’Abraham. La jeune fille donna à boire au serviteur et aux chameaux ; elle dit de qui elle était fille, et elle conduisit l’homme et elle lui donna l’hospitalité. Celui-ci dit pourquoi il était venu et demanda la jeune fille ; mais ses parents lui laissèrent le soin de répondre. Elle consentit ; le serviteur l’emmena et elle fut la femme d’Isaac. Sarra étant morte, Abraham prit pour épouse Cétura, et les enfants qu’il en eut furent élevés à part. Il leur fit des présents ; mais il laissa Isaac pour héritier de ses biens, et il mourut. En cet endroit, sont indiqués les noms des fils d’Ismaël, qui habita depuis Evilat jusqu’à Sur. Rébecca était stérile et Isaac adressait à Dieu des prières, afin qu’elle pût concevoir, et elle conçut. Lorsqu’elle eut conçu dans son sein, Dieu lui dit : « Deux nations sont dans ton sein ; a un peuple dominera l’autre (Gen 25, 23), » voulant annoncer ce qui devait arriver aux Juifs et aux Chrétiens. Elle mit au monde les enfants, qui grandirent, et Esaü vendit à Jacob ses droits d’aînesse pour un plat de lentilles. Une famine survint ; mais lorsque Isaac songeait à se rendre en Égypte il en fut empêché par Dieu qui loi ordonna de demeurer dans le lieu où il était, promettant d’être avec lui, de bénir sa race et de la multiplier. Abimélech, roi de Gérare, sachant que Rébecca était femme d’Isaac (car il avait pensé d’abord qu’elle était sa sœur), menaça de mort quiconque lui ferait outrage. Isaac ensemença un champ et le grain rendit cent pour un. Lorsqu’il eut acquis de grandes richesses par suite de la bénédiction de Dieu, les Philistins lui portèrent envie et Abimélech le contraignit de s’éloigner. Il ne résista point, mais il s’en alla et creusa des puits ; cependant des querelles étaient faites pour ces puits. Isaac ne tenta pas de riposter ; il creusa d’autres puits jusqu’au temps où ils cessèrent de se quereller. Dieu le bénissait, et Isaac accueillit avec bonté Abimélech qui vint à lui ; il fui donna un repas, ne se souvenant plus des injures qu’on lui avait faites. Esaü prit peur femmes deux chananéennes qui, toujours, étaient en querelle avec Rébecca. Mais Isaac était devenu vieux. Il commanda à son fils Esaü d’aller chasser et de lui préparer à manger, afin qu’il le bénit. Jacob conseillé par sa mère, devança Esaü. Ayant fait cuire deux chevreaux, Rébecca se servit de leurs peaux pour déguiser Jacob, puis elle lui mit entre les mains la nourriture préparée par elle et l’envoya. Jacob s’approcha de son père et reçut ses bénédictions. Esaü revint ; il apprit ce qui s’était passé ; il se lamentait et poussait des gémissements, demandant lui aussi des bénédictions. Sa persévérance ne fut pas déçue ; il n’obtint pas tout ce qu’il espérait, il obtint néanmoins. Ayant reçu une moindre bénédiction, au lieu de la plus grande, il s’irritait contre son frère, et gardait du ressentiment en attendant la mort de son père pour assouvir alors en toute sûreté sa vengeance. La mère de Jacob l’en avertit et lui conseilla de chercher son salut dans la fuite. Elle dit à Isaac que la vie lui deviendra insupportable si Jacob prend aussi une femme parmi les Chananéens et dispose le père à l’envoyer en Mésopotamie vers Laban, son frère, afin qu’il prenne une de ses filles pour épouse. Lorsqu’il est parti, Esaü prend pour femme une fille d’Ismaël, qui lui-même était fils d’Abraham et d’Agar. Jacob voit l’échelle mystérieuse, il érige un monument et promet a Dieu de lui consacrer la dîme de ses biens s’il revient sain et sauf. Il parvient en Mésopotamie, il voit Rachel et l’embrasse ; celle-ci de retour l’annonce à Laban son père, qui vient, reconnaît Jacob et l’introduit chez lui. Jacob le sert ; voulant avoir une de ses filles pour récompense, il lui donne la plus âgée. Laban propose à Jacob indigné de cette supercherie sept autres années de services s’il veut obtenir la plus jeune, ce que Jacob accepte et il épouse la plus jeune. La première, Lia, avait des yeux malades ; la plus jeune était belle, on l’appelait Rachel. L’une et l’autre sont des types ou des figures : la plus âgée représente la synagogue des Juifs et la plus jeune l’Église de Jésus-Christ. Lia conçut et elle enfanta Ruben, Siméon, Lévi, Juda. Rachel qui n’avait point d’enfants, donna comme épouse du second rang à Jacob son esclave Bala et celle-ci mit au monde Dan et Nephtali. Lia lui donna pareillement Zelpha, qui était son esclave, et celle-ci enfanta Gad et Aser. Ensuite Lia donna le jour à Issachar et Zabulon. Rachel à son tour devint mère de Joseph. Quand Jacob eut résolu de rentrer dans son pays, Laban lui accorda la récompense que Jacob lui-même avait déterminée, tous les agneaux de couleur brune et toutes les chèvres de couleur blanche. Les uns et les autres étaient en grand nombre, car Jacob posait des baguettes dans les lieux où les brebis devaient boire et celles-ci mettaient bas des petits, les uns blancs, les autres variés et tachetés de couleur sombre. Le tout était l’œuvre de Dieu, ainsi que le dit Jacob. Les fils de Laban lui portaient envie, c’est pourquoi, ayant pris en secret ses épouses et tout ce qu’il possédait, il s’en alla. Laban le poursuivit, mais avant qu’il eût pu le rejoindre, Dieu lui fit entendre des menaces qui devaient s’accomplir s’il maltraitait Jacob. Ayant atteint Jacob, Laban l’accusait et lui demandait pour quelle cause il était parti en secret. Jacob répondit que c’était à cause de l’envie qu’on lui portait et parce qu’il craignait que Laban ne voulût retenir ses filles. Mais celui-ci cherchait ses dieux que Rachel avait pris, il ne les trouva point et il adressait à Jacob de violents reproches. Enfin, après qu’ils eurent mangé et bu, ils élevèrent un amas de pierres qu’ils appelèrent le monument du témoignage et ils s’en allèrent chacun de son côté. Des anges de Dieu apparaissent à Jacob. Jacob envoie vers Esaü pour lui annoncer son retour. Les envoyés reviennent et rapportent qu’Esaü s’avance avec quatre cents hommes. Saisi de crainte, Jacob prie Dieu de le délivrer du danger qu’il court et il fait porter des dons à Esaü. Il traverse le torrent, il est béni par l’ange, il change de nom. Il voit venir Esaü et partage sa troupe, il met d’abord les esclaves avec leurs enfants, ensuite Lia avec ses enfants, puis Rachel la dernière, avec Joseph. Pour lui, il marchait en avant. Esaü lui fit bon accueil, reçut ses présents et demanda à faire route avec lui, mais Jacob refusa cette offre et il se rendit à Salèm, ville des Sichémites, où-Sichem, le fils du roi Emmor, enflammé d’amour pour Dina fille de Jacob et lui ayant fait violence demandait à la prendre pour femme. Siméon et Lévi répondirent que ce mariage pourrait avoir lieu si lui et son peuple se faisaient circoncire. Lorsqu’ils furent circoncis, tandis qu’ils étaient encore dans les douleurs de la circoncision, Sin}éon et Lévi les mirent à mort. Jacob craignit ensuite que les Chananéens du voisinage ne vinssent à fondre sur lui, il se retira à Béthel, par l’ordre de Dieu. La nourrice de Rébecca mourut. Dieu bénit Jacob qui partit de Béthel pour aller habiter à la tour de Gader. Rachel eut un accouchement malheureux, elle mourut et fut inhumée sur le chemin d’Ephrata, c’est-à-dire à Bethléem. L’enfant nouveau-né était Benjamin. Ruben eut commerce avec Bala, la concubine de son père. Isaac mourut, ses fils Esaü et Jacob l’ensevelirent. Les descendants d’Esaü sont indiqués, et parmi eux Job, qui est appelé Jobab en cet endroit. Les frères de Joseph lui portaient envie à cause de ses songes et parce que son père l’aimait davantage. L’ayant saisi lorsqu’il était seul, ils voulurent le tuer. Ruben leur conseilla de le jeter dans une citerne, car il avait résolu de le sauver du trépas. On l’y jeta, puis on le vendit aux Madianites d’après le conseil de Juda. Ils montrèrent à leur père sa tunique trempée dans le sang, et lui, pensant qu’il avait été la proie d’une bête farouche, le pleurait amèrement. Les enfants de Juda furent Her, Onan et Sela. Herétant mort, Onan, son frère, prit avec lui Thamar femme de celui-ci, mais il ne voulait pas susciter d’enfant à son frère. Il mourut lui-même et Juda ne voulait pas donner Thamar pour femme à Sela, son troisième fils. Thamar s’étant parée s’assit le long du chemin comme une courtisane. Pensant qu’elle était vraiment une courtisane, car elle s’était caché le visage, Juda eut commerce avec elle et lui remit pour arrhes un collier, un anneau et son bâton. Quand il apprit dans la suite que Thamar était enceinte, Juda, qui était son beau-père, ordonna de la faire mourir sur un bûcher. Celle-ci envoya quelqu’un qui dit qu’elle avait conçu par l’eeuvre de l’homme à qui était cet anneau, et Juda s’écria : « Thamar a agi avec plus de justice que moi. » (Gen 38, 26) Lorsqu’elle mit au monde, Zara passa d’abord la main et la retira, puis Pharès vit le jour et Zara ensuite. Or, voici l’explication allégorique de ce fait. Les premiers hommes justes qui vécurent avant la loi passèrent la main, c’est-à-dire qu’ils montrèrent une vie ornée de vertus et digne des anges. Ensuite, ce fut le régime de la loi. Puis, de nouveau, la vie première des anciens justes reparut, portée par le Christ à un degré de perfection plus grande. Putiphar le maître d’hôtel de Pharaon, acheta Joseph et lui confia le soin de toutes les choses qui étaient dan : sa maison. Joseph ne consentit point au désir de sa maîtresse qu’voulait le faire pécher. Elle le calomnie, il est jeté dans la prison. Là aussi, il est élevé au-dessus des autres : il explique les songes du panetier et de l’échanson. Il arriva selon sa parole ; l’un fut mis à mort, l’autre rétabli dans sa première charge. Pharaon voit en songe les vaches et les épis, qui présageaient l’abondance et la famine. Joseph est tiré de prison pour interpréter le songe, parce due l’échanson l’avait signalé au roi. Il donna l’interprétation et aussi les conseils qui pourraient apporter un remède à la famine. Il est établi le premier après Pharaon ; il recueille une grande abondance de blé pendant les sept années d’abondance, et, quand la famine survient, il vend du blé à ceux qui en veulent. Ses frères viennent pour en acheter. Il ne voit point avec eux Benjamin et craint qu’ils ne l’aient tué. Il les accuse d’être des espions, et dit qu’il n’est pas d’autre moyen de se justifier de cette accusation que d’amener en Égypte Benjamin, leur plus jeune frère, et de le lui faire voir. Il prend Siméon comme otage et le retient prisonnier ; il renvoie les autres et leur donne du blé et de l’argent. Mais lorsqu’ils virent l’argent, en ouvrant les sacs, ils furent troubles par ce fait inattendu. Ils demandèrent Benjamin à leur père, lui racontant tout ce qui était arrivé. Jacob refusait de laisser partir l’enfant. La famine continuait de sévir. Juda insista pour prendre Benjamin, promettant de le ramener sain et sauf, et Jacob donna le double d’argent, recommandant encore d’emporter d’autres dons. Lorsqu’ils arrivèrent auprès de Joseph, ils furent accueillis par lui avec bienveillance ; il les interrogea au sujet de leur père et leur fit un grand festin. Quand ils repartirent, Joseph ordonna de mettre une coupe d’or dans le sac de Benjamin, à l’insu de tous. La coupe étant mise, ils s’en allèrent, emportant le tout : ruais Joseph dit à l’intendant de sa maison de poursuivre ces hommes, et. celui-ci les ayant atteints leur reprochait de récompenser les bienfaits par de mauvaises actions. Ils furent troubles et dirent que celui d’entre eux qui serait trouvé coupable du larcin, serait digne de, mort, et que les autres demeureraient esclaves. Or, la coupe fut trouvée dans le sac de Benjamin. Alors, Juda se présenta devant Joseph, lui parla longuement de leur père, de Joseph et de Benjamin, offrant d’être esclave à la place de ce dernier, et il excita tellement la pitié de Joseph que tout fut découvert. Ayant congédié tout le monde afin qu’il pût verser des larmes en toute liberté, Joseph se fit connaître à ses frères et les renvoya vers leur père avec des dons considérables et des chariots. Pharaon avait donné son consentement à tout ceci. Quand Jacob apprit tout ce qui concernait Joseph, il fut comblé de joie et, par l’ordre de Dieu, il se rendit. en Égypte. Joseph revit son père et l’annonça à Pharaon qui leur assigna Ramesès pour demeure. Cependant tout l’argent de la contrée était épuisé. Les habitants payèrent le blé avec leurs troupeaux, puis, quand ils n’en eurent plus et que la famine continuait, ils se livrèrent eux-mêmes avec leurs terres. Devenus esclaves de pharaon, ils ensemençaient la terre et lui portaient le cinquième de la récolte, conservant pour eux quatre autres parts. Sur le point de mourir, Jacob fit promettre à Joseph, par serment, qu’il ne l’ensevelirait point en Égypte, mais dans le tombeau de ses pères. Ephraïm et Manassé, fils de Joseph, furent mis par lui, non au rang de ses petits-fils, mais au rang de ses propres fils. La vue de Jacob s’était affaiblie. Il avait embrassé les fils de Joseph et il allait les bénir. Joseph avait placé Ephraïm à gauche de Jacob et Manassé à droite. Mais Jacob plaça sa main droite sur le plus jeune, qui était à sa gauche, et la main gauche sur celui qui était à sa droite, et il les bénit. Joseph pensant qu’il agissait par ignorance et voulant y remédier, Jacob ne le souffrit point et dit qu’il avait agi en connaissance de cause ; non par ignorance. Il donna à Joseph la ville de Sichem, qui n’entra point en partage, et qui avait été prise par Siméon et Lévi. Il bénit tous ses enfants et prophétisa touchant la venue du Christ. « Le prince ne sortira point de Juda, dit-il, le chef du peuple ne sortira point de sa race avant que vienne Celui qui est attendu. » (Gen 49, 10) Après la mort de Jacob, Joseph le pleura et, emportant ses ossements, il l’ensevelit dans la grotte d’Abraham. Ses frères se dirent alors entre eux : « Peut-être il se souviendra de l’injure que nous lui avons faite et nous rendra le mal commis à son égard (Gen 50, 15), » et ils l’imploraient en disant : « Voici que nous sommes vos esclaves. » (Id 50, 18) Joseph se mit à pleurer et leur répondit : « Ne craignez point, car c’est Dieu qui a tout fait. Vous avez formé des projets criminels, mais Dieu m’a favorisé de ses biens. Je vous nourrirai, vous et vos familles. » (Id 19-21) Joseph vécut cent ans, et il vit les enfants d’Ephraïm jusqu’à la troisième génération. Il parla de la sorte à ses frères : « Dieu vous visitera et il vous introduira dans la terre de promission qu’il a promis avec serment de donner à nos pères. Vous porterez alors avec vous mes ossements. » (Id 50, 24) Et étant mort, à l’âge de cent ans, il fut enseveli en Égypte. AVERTISSEMENT.
Tome Ve p. 3-440 Qu’il parle ou qu’il écrive, saint Jean Chrysostome ne fait guère que commenter la sainte Écriture. Il ne pense, il ne sent, il ne raisonne que d’après le Livre sacré. C’est son élément, et il s’y tient si constamment qu’il semble ne pas connaître autre chose. Il le parcourt dans tous les sens avec une aisance et une agilité merveilleuses ; sans cesse il vole de la Genèse à l’Évangile, de l’Évangile à la Genèse, de David et d’Isaïe à saint Paul et à saint Jean, de ceux-ci à ceux-là, comparant les textes, les complétant, les éclaircissant les uns par les autres, avec une éloquence toujours montée au ton de l’enthousiasme. Dans ce perpétuel commentaire des Livres saints qu’offrent les œuvres complètes du grand Docteur, on distingue néanmoins ce qu’on pourrait nommer les œuvres de circonstance, Traités, Homélies, Lettres : elles remplissent les quatre premiers volumes de cet ouvrage ; puis les commentaires suivis sur de grandes parties de l’Écriture, ce qu’on peut nommer les commentaires proprement dits. Il y en a sur la Genèse, sur les Psaumes, sur les Prophètes, sur saint Matthieu, sur saint Jean, sur toutes les épîtres de saint Paul. C’est cette seconde catégorie, de beaucoup la plus considérable et la plus importante, des œuvres de notre auteur, que nous abordons avec notre tome Ve : elle remplira tous les volumes suivants jusqu’au dernier, que Dieu nous fasse la grâce d’achever bientôt. Le P. Montfaucon, à son ordinaire, fait précéder le commentaire sur la Genèse d’une dissertation aussi longue qu’érudite sur le nombre des homélies, sur le lieu et sur l’époque où elles furent prononcées, sur le style qui leur est propre, sur l’édition des Septante suivie par saint Chrysostome, sur ce que l’Orateur entend par le centième dont il parle dans sa troisième homélie, sur la grande semaine, sur le jour dominical, et sur l’inégalité des heures chez les anciens. Voici les conclusions de cette dissertation : Le nombre des Homélies est de 67 : elles furent prêchées à Antioche pendant le carême, on ne sait de quelle, année. Selon Photius, le style de ces homélies est moins correct que celui des autres écrits de saint Chrysostome. Les parenthèses sont quelquefois si longues, que le saint Docteur perd totalement de vue son sujet. C’est qu’il parlait sans beaucoup de préparation et que souvent il se laissait entraîner par de nouvelles pensées qui le frappaient subitement. Cela n’empêche pas que l’on y remarque cette pureté de langage, cette clarté d’expression, cette abondance de similitudes, cette vivacité d’images qui caractérisent toujours saint Chrysostome. L’édition des Septante dont s’est servi saint Chrysostome diffère en quelques endroits de l’édition commune. Le centième dont il est fait mention à la troisième homélie exprime le taux ordinaire de l’usure chez les anciens, un pour cent par mois. Les habitants d’Antioche donnaient le nom de Grande semaine à la dernière semaine du carême. Le jour dominical ἡμέρα χυρία, dont parle saint Chrysostome, n’est autre que le jour de Pâques. Les anciens, divisant le jour et la nuit chacun en douze parties égales, avaient nécessairement des heures plus ou moins longues suivant les différentes saisons de l’année. J.-B. J. HOMÉLIES SUR LA GENÈSE.
PREMIÈRE HOMÉLIE.
ANALYSE.
1. L’annonce du carême doit être accueillie avec joie, parce qu’il est un remède aux maux de notre âme. – Le jeûne et l’abstinence produisent une infinité de biens, tandis que l’intempérance a introduit dans le monde le péché et la mort. – 2. Exemple d’Adam et d’Eve, des habitants de Sodome et des Israélites dans le désert. —3. Au contraire, par le jeune, Élie a été enlevé au ciel, Daniel enchaîna la férocité des lions, et les Ninivites obtinrent le pardon (le leurs iniquités. – Jésus-Christ lui-même a voulu jeûner quarante jours ; et c’est à son imitation que l’Église a adopté ce nombre dans le saint carême. – 4. Influence salutaire du jeûne, et suites funestes de l’intempérance. 1. Je surabonde de joie et d’allégresse en voyant aujourd’hui la foule des fidèles remplir l’église de Dieu, et je loue le pieux empressement qui vous y rassemble. Aussi, le riant épanouissement de vos traits – m’est-il un signe certain du contentement de vos âmes : car le Sage a dit que la joie du cceur brille sur le visage. (Pro 15,13) C’est pourquoi j’accours moi-même plein d’enthousiasme pour prendre part à la joie spirituelle de vous tous, et pour vous annoncer le retour de cette sainte quarantaine qui nous apporte la guérison des maux de l’âme. Et en effet, le Seigneur, comme un bon père, ne désire rien tant que de nous pardonner nos fautes anciennes ; et c’est pourquoi il nous en offre dans le saint carême la facile expiation. Que personne donc ne paraisse triste et chagrin, et que tous au contraire, pleins de joie et d’allégresse, célèbrent le divin médecin de nos âmes qui nous ouvre cette voie de salut, et accueillent avec transport l’annonce de ces jours bénis. Que les Gentils soient confondus, et que les Juifs rougissent en voyant quel zèle éclate parmi nous à l’approche du carême, et qu’ils connaissent par leur propre expérience l’immense intervalle qui les sépare de nous. Ils appellent fêtes et féries ces jours que probablement ils passeront dans les excès de la table, du vin et des plaisirs ; mais l’Église de Dieu pratique les vertus opposées à ces vices elle aime le jeûne et recherche les salutaires résultats de l’abstinence. Voilà ses fêtes. Et ne sont-ils pas en effet de véritables fêtes, ces jours où l’on s’occupe du salut de son âtre, et où la paix et la concorde règnent dans la cité ; alors on retranche presque toutes les préoccupations de la vie, le bruit du forum, le tumulte des marchés, l’empressement des cuisiniers et les sanglantes fonctions des bouchers. Mais comment dépeindre le repos et le calme, la charité et la joie, la paix et la douceur et tous les biens innombrables que nous promet le retour du carême ! Souffrez donc, mes chers frères, que je vous en dise quelques mots. Et d’abord je vous prie de recevoir ma parole avec bienveillance, afin que vous en rapportiez dans vos maisons d’heureux fruits. Car nous ne nous sommes point ici réunis comme au hasard, moi pour vous parler, vous pour m’applaudir, et ensuite nous retirer ; mais je suis venu pour vous adresser une parole utile à votre salut, en sorte que vous ne quittiez point ce temple sans avoir recueilli de ma bouche d’importantes et salutaires instructions. L’église est le trésor des remèdes de l’âme ; et ceux qui viennent ici ne doivent point se retirer qu’ils n’aient auparavant reçu les remèdes qui leur conviennent, et qu’ils ne les aient appliqués à leurs blessures. Et en effet, il sert peu d’écouter si l’on ne réduit en pratique ce que l’on entend. Aussi saint Paul nous dit-il que ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes aux yeux de Dieu ; mais que ce sont ceux qui la pratiquent qui seront justifiés. (Rom 2,13) Et le Sauveur lui-même nous parle ainsi dans son Évangile : Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas dans le royaume des cieux ; mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux. (Mat 7,21) C’est pourquoi, mes bien-aimés, puisque vous savez que l’audition de la parole sainte n’est vraiment utile qu’autant qu’elle se traduit en bonnes œuvres, ne vous bornez pas à l’écouter, mais faites-en la règle de votre conduite, afin que, voyant les fruits salutaires de nos discours, nous vous parlions avec une confiance nouvelle. Déployez donc toute la bienveillance de votre âme pour entendre ce que j’ai à vous dire touchant le jeûne. Le fiancé qui doit épouser une vierge chaste et pudique orne sa maison de riches ameublements, il y établit le bon ordre et la propreté, et il en chasse les servantes licencieuses et immodestes ; alors seulement il introduit son épouse dans la chambre nuptiale ; et de même je voudrais que, jaloux de purifier vos âmes, vous disiez adieu aux délices de la table et à l’intempérance des festins, et que vous réserviez au jeûne un bienveillant accueil, car il est pour nous la source et le principe de tous les biens, non moins que l’école de la chasteté et de toutes les vertus. Ce sera aussi le moyen de le commencer avec plus de joie et d’en retirer des fruits plus salutaires. Le médecin prescrit une diète sévère comme préparation à une énergique purgation ; il veut ainsi que la force du remède ne soit énervée par aucun obstacle et qu’il agisse avec une entière efficacité. Mais n’est-il pas plus nécessaire encore de purifier nos âmes par une exacte sobriété, afin que le jeûne produise en nous tous ses salutaires effets, et que l’intempérance ne nous en fasse point perdre les heureux fruits ? 2. Je ne doute pas que plusieurs ne taxent ce langage d’étrangeté ; mais je les prie de ne pas se rendre les esclaves de la coutume, et d’écouter paisiblement la voix de la raison. Ah ! quels avantages peut-il nous revenir de consumer cette journée dans les plaisirs de la table et les excès du vin ? Et que parlé-je d’avantages ! nous n’en saurions recueillir qu’une infinité de maux et d’inconvénients. Dès là que la raison se noie sous les flots du vin, nous tarissons dans leur source et dans leur principe les grâces du jeûne et de l’abstinence. Et puis quel spectacle plus hideux et plus repoussant que celui de ces hommes qui ont passé la nuit entière dans les orgies de l’ivresse, et qui au lever de l’aurore et aux premiers rayons du soleil, exhalent la puante odeur du vin dont ils se sont remplis ? Quiconque les rencontre ne les aborde qu’avec dégoût, leurs serviteurs les regardent d’un œil de mépris, et ils deviennent un objet de raillerie pour tous ceux qui conservent quelque décence : Mais ce qui est encore plus triste, c’est que par leurs excès et leur criminelle intempérance ils attirent sur eux la colère de Dieu ; car les ivrognes, dit l’Apôtre, ne posséderont point le royaume de Dieu. (1Co 7,10) Eh ! quel plus grand malheur que d’être exclu des parvis célestes pour un plaisir si court et si funeste ! A Dieu ne plaise qu’aucun de mes auditeurs soit adonné à cette honteuse passion ! je souhaite au contraire que tous passent cette journée dans une sage retenue, en sorte qu’à l’abri des orages et des tempêtes qu’excite l’ivresse, ils ouvrent au jeûne le port calme et paisible d’une âme sobre et tempérante. C’est ainsi qu’ils en recueilleront les fruits abondants. Et en effet, de même que l’excès des viandes et du vin entraîne pour l’homme une infinité de maux, le jeûne et l’abstinence lui produisent une infinité de biens. Aussi dès le commencement Dieu en fit-il un précepte au premier homme, car il savait que ce remède était nécessaire au salut de son âme. Tu peux manger, lui dit-il, de tous les fruits du jardin ; mais ne mange pas du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal. (Gen 2,16) Or, dire mangez ceci, et ne mangez pas cela, n’était-ce point figurer la loi du jeûne ? Hélas ! Adam qui aurait dû garder ce précepte, le transgressa, il fut vaincu par le vice de l’intempérance, et à cause de sa désobéissance condamné à la mort. Le démon, cet esprit méchant, et ennemi dé l’homme, n’avait pu voir sans envie que dans le paradis terrestre nos premiers parents menaient une vie heureuse, et que dans un corps mortel ils conservaient une innocence angélique. C’est pourquoi il tenta de le faire déchoir de cet heureux état, et en lui promettant des biens plus excellents encore, il le dépouilla de ceux qu’il possédait, tant il est dangereux de ne point se resserrer en des bornes légitimes, et d’aspirer toujours au-dessus de soi ! Le Sage lui-même nous en avertit quand il dit que par l’envie de Satan la mort est entrée dans le monde. (Sag 2,24) Vous voyez donc, mes chers frères, comment à l’origine des temps, l’intempérance a introduit la mort ; et maintenant j’appelle votre attention sur ces deux passages de la sainte Écriture, où elle condamne les plaisirs et la bonne chère. Le peuple s’assit pour manger et pour boire, et tous se levèrent pour danser. Le peuple bien-aimé but et mangea ; appesanti, rassasié, enivré, il a délaissé le Dieu son créateur. (Exo 32,6 ; Deu 32,15) Ce fut aussi par ces mêmes excès joints à leurs autres crimes que les habitants de Sodome attirèrent sur eux les vengeances du Seigneur. Car le Prophète dit expressément que l’iniquité de Sodome a été l’intempérance et les voluptés de la chair. (Eze 16,49) Ce vice est donc la source, et comme la racine de tous les maux. 3. Mais à ces suites funestes de (intempérance opposons les heureux résultats du jeûne. Après un jeûne de quarante jours, Moïse mérita de recevoir les tables de la loi. Mais comme il vit, en descendant de la montagne, les sacrilèges iniquités du peuple juif, il jeta à terre et brisa ces mêmes tables qui lui avaient coûté tant, d’efforts et de privations. Car il lui paraissait absurde qu’un peuple prévaricateur et voluptueux reçût une législation divine. Cet admirable prophète eut donc besoin de jeûner une fois encore, quarante jours, pour recevoir de nouveau et apporter ces mêmes tables qu’il avait brisées en punition des crimes du peuple. C’est par un jeûne semblable que le grand Élie obtint d’échapper à la tyrannie de la mort. Enlevé au ciel sur un char de feu, aujourd’hui encore il est vivant. Et Daniel, l’homme de désirs, vit ses longs jeûnes récompensés par d’admirables révélations ; et changea la férocité des lions en la douceur des agneaux. Sans doute il ne détruisit pas en eux l’instinct de la nature, mais il en suspendit la voracité. Enfin les Ninivites désarmèrent par un jeûne rigoureux les vengeances du Seigneur, ils y assujettirent les animaux aussi bien que les hommes, et chacun quittant ses voies mauvaises, ils éprouvèrent les effets de la miséricorde divine. Mais il est inutile de multiplier ici les exemples des serviteurs : et combien de traits ne me fourniraient pas l’Ancien et le Nouveau Testament ! il vaut mieux s’arrêter à la personne même de notre commun Maître. Or le divin Sauveur Jésus a voulu jeûner quarante jours afin de se préparer à la tentation, et de nous apprendre par son exemple qu’il faut comme lui, nous armer du jeûne, et y puiser les forces nécessaires pour lutter victorieusement contre le démon. Mais ici peut-être quelque bel esprit, ou quelque profond raisonneur me demandera pourquoi le Maître a jeûné exactement le même nombre de jours que les serviteurs, et pourquoi il n’a pas voulu dépasser ce nombre ? Je leur réponds que cette conduite, bien loin d’être inutile et téméraire, est pleine de sagesse et d’une ineffable miséricorde. Il a voulu jeûner pour montrer que son corps était véritable et non point fantastique ; et il a voulu se borner à quarante jours de jeûne pour prouver que `sa chair était semblable à la nôtre. C’est ainsi que par avance il réfutait l’insolence de ces esprits curieux et disputeurs. Et en effet si malgré cette disposition des choses et des faits, quelques-uns soulèvent de pareilles objections, que ne diraient-ils pas, si le Sauveur n’eût coupé court à tous les prétextes de leur incrédulité ? Oui, il a jeûné exactement le même nombre de jours que ses serviteurs, afin de nous convaincre qu’il s’est revêtu d’une chair toute semblable à la nôtre et qu’il n’était pas étranger à notre nature. 4. Et maintenant que je vous ai montré quelle est l’excellence et l’utilité du jeûne, et que je vous ai mis sous les yeux l’exemple du divin Maître et de ses serviteurs, je vous conjure, mes chers frères, de ne point négliger les grands avantages qui y sont attachés. N’accueillez donc point avec tristesse le retour de ces jours de salut, mais réjouissez-vous, et soyez pleins d’allégresse, parce que, selon la parole de l’Apôtre, plus l’homme extérieur est affaibli, plus l’homme intérieur se renouvelle. (2Co 4,16) Le jeûne est en effet comme la nourriture de l’âme ; et de même que les mets de nos tables entretiennent la santé du corps, le jeûne communique à l’âme une vigueur nouvelle. Il lui donne comme deux ailes légères qui l’élèvent, loin de l’horizon de la terre, jusqu’à la contemplation des plus sublimes mystères. Et c’est alors que cette âme plane au-dessus des plaisirs de cette vie, et de toutes les voluptés des sens. Nous voyons encore qu’un léger esquif sillonne aisément les flots, tandis qu’un vaisseau trop chargé périt par son propre poids. Ainsi le jeûne qui allège l’esprit, le rend plus agile pour traverser la mer de ce monde. Notre œil se tourne vers le ciel et les choses du ciel, et notre pensée méprise les biens de la terre qui ne nous paraissent qu’une ombre et qu’un songe. L’ivresse au contraire et l’intempérance appesantissent l’esprit en surchargeant le corps. Elles rendent l’âme captive des sens, la pressent de toutes parts, et lui enlèvent le libre exercice du jugement et de la raison. Aussi cette âme s’égare-t-elle çà et là à travers des précipices, et court infailliblement à sa perte. C’est pourquoi, mes chers frères, entrons avec une sainte ardeur dans la pratique salutaire du jeûne : et puisque nous n’ignorons point les maux que produit l’intempérance, fuyons-en les suites funestes. Sans doute l’Évangile, qui nous prescrit une morale plus épurée, qui nous propose une lutte plus difficile et des fatigues plus grandes, et qui nous promet une récompense plus belle et une couronne plus éclatante, nous interdit sévèrement les excès de la table. Mais la loi ancienne elle-même défendait également l’intempérance et cependant les Juifs ne voyaient encore toutes choses qu’en figures, et attendaient la véritable lumière. Ils étaient comme de jeunes enfants que l’on nourrit de lait. Peut-être m’accuserez-vous de parler ainsi au hasard, et sans preuve ; écoutez donc le prophète Amos : Malheur à vous qui êtes réservés pour le jour mauvais, qui dormez sur des lits d’Ivoire et vous étendez mollement sur votre couche, qui mangez les agneaux choisis et les génisses les plus grasses, qui buvez les vins les plus délicats, et vous parfumez des essences les plus exquises, et qui considérez ces plaisirs comme un bien stable et permanent, et non comme un songe fugitif ! (Amo 6,3-6) Voilà quel langage sévère le Prophète faisait entendre aux Juifs, peuple grossier, ingrat et adonné chaque jour aux plaisirs des sens. Il n’est pas inutile non plus de peser les expressions qu’il emploie, et d’observer qu’après leur avoir reproché leur penchant à l’ivrognerie et à la débauche, il ajoute qu’ils considéraient ces plaisirs comme un bien stable et permanent, et non comme un songe fugitif. N’est-ce pas nous avertir que ces voluptés s’arrêtent au gosier, et se bornent à flatter le palais ? Le plaisir est donc court et momentané, mais la douleur qu’il cause est longue et durable. Et cependant, dit le Prophète, malgré les leçons de l’expérience, les Juifs s’obstinaient à regarder le plaisir comme un bien stable et permanent, tandis qu’il n’est qu’une jouissance fugitive. Oui, le plaisir s’envole rapidement, et nous ne saurions le fixer même quelques instants. Car telle est la destinée des choses humaines et sensibles. A peine les possédons-nous qu’elles nous échappent. Telle est aussi la nature des délices, de la gloire du monde, de la puissance, des richesses et des prospérités de la vie. Elles ne nous offrent rien de solide ni d’assuré ; rien de ; fixe ni de permanent. Elles s’écoulent plus rapidement que l’eau des fleuves, et laissent vides, et indigents tous ceux qui les recherchent avec un si vif empressement. Mais au contraire les biens spirituels nous présentent un caractère tout différent. Ils sont fermes, assurés, constants et éternels. Ne serait-ce donc pas une étrange folie que d’échanger une jouissance passagère contre des biens immuables, des plaisirs momentanés contre un bonheur immortel, et des voluptés frivoles et rapides contre une félicité vraie et éternelle ? Enfin, les uns nous exposent aux supplices affreux de l’enfer, tandis que les autres nous rendront souverainement heureux dans le ciel. Ainsi donc, mes très-chers frères, que ces vérités sérieusement méditées nous fassent donner à notre salut toute notre attention, mépriser les plaisirs des sens, plaisirs vains et dangereux, et embrasser avec joie le jeûne et ses pratiques salutaires. Montrons par tout l’ensemble de notre conduite que nous sommes véritablement changés, et hâtons-nous de multiplier chaque jour nos bonnes œuvres. C’est ainsi qu’après avoir, durant le saint temps du carême, grossi nos richesses spirituelles, et augmenté le trésor de nos mérites, nous atteindrons heureusement le saint jour du Seigneur. Dans ce jour il nous sera donné de nous asseoir avec confiance à la table redoutable du banquet divin, d’y participer avec une conscience pure aux délices ineffables, et d’y recevoir les biens éternels et les grâces abondantes que le Seigneur nous a préparés. Puissions-nous obtenir cette grâce par les prières et l’intercession des saints qui ont plu eux-mêmes à Jésus-Christ notre divin Sauveur, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’empire et l’honneur, maintenant, et dans tous les siècles des siècles ! – Ainsi soit-il. DEUXIÈME HOMÉLIE.
Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. (Gen 1,1) ANALYSE.
- 1. Le carême avec ses pratiques de pénitence est un temps très-favorable pour la prédication. – C’est pourquoi l’orateur se propose de l’employer à l’explication du livre de la Genèse. – 2. Le Seigneur, qui parlait aux patriarches, a voulu révéler à Moïse la création du monde, et nous la faire connaître par lui. – Écoutons donc ses paroles comme un oracle divin. – 3. Ici une raison trop curieuse deviendrait téméraire, et elle doit se soumettre humblement à la parole du Seigneur. – 4. Ces mots : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre », réfutent par avance les erreurs de Marcion et de Valentin ; et s’ils ne veulent pas s’en rapporter à l’Écriture, il faut les éviter et les fuir. – Moïse dit encore que la terre était informe et toute nue, afin de nous montrer Dieu comme l’auteur des biens qu’elle nous prodigue. – 5. L’orateur termine par quelques réflexions morales, et exhorte ses auditeurs à faire de ses instructions le sujet de leurs entretiens.
1. La vue de vos visages aimables me comble aujourd’hui de joie. Le père le plus tendre se réjouit moins au sein d’une nombreuse famille qui l’entoure de gloire, d’hommages et de fêtes, que je ne le fais moi-même en voyant cette belle réunion de chrétiens si pieux et si bien disposés. Vous brûlez d’un tel désir d’entendre la parole divine, que vous abandonnez les plaisirs de la table pour accourir à ce festin spirituel ; et c’est ainsi que vous réalisez cette parole du Sauveur : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. (Mat 4,4) Imitons donc la conduite des laboureurs. Lorsqu’ils ont bien préparé un champ, et qu’ils en ont arraché les mauvaises herbes, ils y sèment le bon grain en abondance. Mais vos âmes ne sont-elles point un champ mystique, et la grâce divine ne les a-t-elle point épurées de toutes ces affections déréglées qui y entretenaient le trouble et le désordre ? aujourd’hui vous avez étouffé tout désir des plaisirs de la table, et vous avez calmé les orages et les tempêtes du cœur et de la pensée, en sorte que la sérénité et la paix règnent dans votre esprit. Vous méprisez donc les jouissances sensuelles pour ne songer qu’aux biens spirituels, et sur les ailes de la pénitence vous vous élevez jusqu’au ciel. C’est pourquoi tout nous engage à vous adresser la parole, et à vous développer le sens caché de quelques passages de nos saintes Écritures. Si nous n’abordions ce sujet aujourd’hui que le jeûne et l’abstinence maintiennent l’âme dans le calme des bonnes pensées, quand pourrions-nous le faire ? Serait-ce dans les jours de plaisirs, de bonne chère et de nonchalance ? Mais il y aurait alors imprudence de notre part ; et vous-mêmes ne retireriez aucun fruit de nos discours, parce que votre esprit serait comme submergé sous d’épaisses ténèbres. Quel temps au contraire plus favorable à nos instructions que ces jours où le corps ne s’insurge point contre l’âme qui est sa maîtresse, et où il se soumet facilement au joug ! Aujourd’hui il est plus docile et plus obéissant ; il modère les appétits déréglés des sens, et se contient dans les bornes légitimes du devoir. Et en effet le jeûne produit la paix de l’âme, honore la vieillesse, instruit la jeunesse, enseigne la continence, et pare tout âge et tout sexe comme d’un riche diadème. Aujourd’hui ont cessé le tumulte et les cris, l’empressement des bouchers et les courses des cuisiniers. Nous sommes délivrés de toutes ces importunités, et la cité ressemble à une vertueuse et honnête mère de famille. Quand je réfléchis donc sur un changement si subit, et quand je me rappelle le mouvement et le tracas qui, hier encore, régnaient dans la ville, j’admire et je proclame la force et la puissance du jeûne. Comment a-t-il pu pénétrer ainsi dans la conscience de nous tous, transformer nos pensées et purifier nos âmes ? tous reconnaissent ses lois, le magistrat et l’homme privé, le citoyen et l’esclave, l’homme' et la femme, le riche et le pauvre, le grec et le barbare. Mais pourquoi parler des magistrats et des citoyens lorsque l’empereur lui-même fléchit sous sa puissance non moins que le dernier de ses sujets ? Aujourd’hui il n’y a aucune différence entre la table du riche et celle du pauvre ; tous pratiquent également la frugalité, et bannissent le luxe et l’appareil des festins. Bien plus, on prend aujourd’hui un modeste repas avec plus de plaisir que l’on ne s’asseyait hier à une table chargée de mets exquis et de vins délicats. 2. Ces heureux préludes vous montrent, mes chers frères, quelle est là puissance du jeûne ; et moi-même je commence aujourd’hui ce cours d’instructions, plein d’une nouvelle et plus grande joie, parce que je sais que je répandrai la bonne semence dans un champ fertile et bien préparé, en sorte que cette semence produira au centuple. Examinons donc, s’il vous plaît, quel est le sens du passage de la Genèse qui vient d’être lu. Mais prêtez-moi, je vous en conjure, une bienveillante attention ; car ce ne seront ni mes pensées, ni ma parole, mais celles que l’Esprit-Saint m’inspirera pour votre utilité que vous entendrez. Au commencement, dit Moïse, Dieu créa le ciel et la terre. Ici on demande avec raison pourquoi ce saint prophète, qui n’a vécu que plusieurs siècles après la création du monde, nous en raconte l’histoire. Certes il ne le fait point au hasard et sans de graves motifs. Il est vrai que dans les premiers temps, le Seigneur, qui avait créé l’homme, parlait lui-même à l’homme en la manière que celui-ci pouvait l’entendre. C’est ainsi qu’il conversa avec Adam, qu’il reprit Caïn, qu’il donna ses ordres à Noé, et qu’il s’assit sous la tente hospitalière d’Abraham. Et même, lorsque le genre humain se fut précipité dans l’abîme de tous les vices, Dieu ne brisa pas toute relation avec lui, mais il traita dès lors les hommes avec moins de familiarité, parce qu’ils s’en étaient rendus indignes par leurs crimes ; et lorsqu’il daigna renouer avec eux des rapports de bienveillance, et comme faire une nouvelle alliance, il leur parla par lettres, ainsi que nous le faisons à un ami absent. Or Moïse est le porteur de ces lettres, et voici quelle en est la première ligne. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Mais considérez, mon cher frère, combien ce saint prophète est grand et admirable. Les autres prophètes n’ont prédit que des événements qui devaient se réaliser dans un temps fort éloigné, ou assez proche ; celui-ci au contraire qui n’a vécu que plusieurs siècles après la création du monde, a été inspiré d’en haut de nous raconter l’œuvre du Seigneur. C’est pourquoi il entre ainsi en matière : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Ne semble-t-il pas nous dire à haute et intelligible voix : Sont-ce les hommes qui m’ont appris ce que je vais vous révéler ? nullement, mais Celui-là seul qui a opéré ces merveilles, conduit et dirige ma langue pour vous les apprendre : je vous conjure donc d’imposer silence à tout raisonnement humain, et de ne point écouter ce récit comme s’il n’était que la parole de Moïse. Car c’est Dieu lui-même qui nous parle, et Moïse n’est que son interprète. Les raisonnements de l’homme, dit l’Écriture, sont timides, et ses pensées incertaines. (Sag 9, 14) Accueillons donc la parole divine avec une humble déférence, sans dépasser les bornes de notre intelligence, ni rechercher curieusement ce qu’elle ne saurait atteindre. Mais les ennemis de la vérité ne connaissent point ces règles, et ils veulent apprécier toutes les œuvres du Seigneur selon les seules lumières de la raison. Insensés ! ils oublient que l’esprit de l’homme est trop borné pour sonder ces mystères. Et pourquoi parler ici des œuvres de Dieu, quand nous ne pouvons même comprendre les secrets de la nature et des arts ? car dites-moi comment l’alchimie transforme les métaux en or, et comment le sable devient un cristal brillant. Vous ne sauriez me répondre ; et lorsque vous ne pouvez expliquer les merveilles que la bonté divine permet à l’homme d’opérer sous vos yeux, vous présumeriez, ô homme, de scruter curieusement les ouvrages du Seigneur ! Quelle serait votre défense, et quelle excuse alléguer, si vous vous flattiez follement de comprendre des choses qui surpassent toute intelligence humaine ? car soutenir que la matière a donné l’être à toutes les créatures, et nier qu’un Dieu créateur les a tirées du néant, ce serait le comble de la folie. Aussi le saint prophète, pour fermer la bouche de l’insensé, commence-t-il son livre par ces mots Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Dieu créa : arrêtez donc toute curieuse recherche, humiliez-vous, et ajoutez foi à celui qui vous parle. Or c’est Dieu qui a tout fait, qui prépare toutes choses et qui les dispose selon sa sagesse. Et voyez comme l’écrivain sacré se proportionne à votre faiblesse ; il omet la création des esprits invisibles, et il ne dit point : au commencement Dieu créa les anges et les archanges. Mais il n’agit ainsi que par prudence, et pour mieux nous disposer à recevoir sa doctrine. Et en effet il parlait au peuple juif qui ne s’attachait qu’aux biens présents et terrestres, et qui ne pouvait concevoir rien d’invisible et de spirituel. C’est pourquoi il le conduit par la vue des choses sensibles à la connaissance du Créateur, et lui apprend à contempler l’Ouvrier suprême dans ses œuvres, en sorte qu’il sache adorer le Créateur, et ne point se fixer, ni s’arrêter à la créature. Malgré cette condescendance, ce même peuple n’a point laissé de se faire des dieux mortels, et de rendre les honneurs divins aux plus vils animaux. Mais jusqu’où n’eût-il point porté sa folie, si le Seigneur ne l’eût prévenu de tant de bontés et de ménagements ? 3. Et ne vous étonnez point, mon cher frère, si Moïse en a usé de la sorte dès le principe, et dès les premiers mots, puisqu’il parlait à des juifs grossiers et sensuels. Car nous voyons saint Paul, sous l’ère nouvelle de la grâce, et alors même que l’Évangile avait fait de rapides progrès, adopter la même méthode dans son discours aux Athéniens, et les amener à la connaissance du vrai Dieu par le spectacle de la nature. Le Dieu, dit-il, qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans les temples bâtis par les hommes. (Act 17,24) Il suivait ici ce genre d’enseignement, parce qu’il s’adaptait au caractère de ses auditeurs ; et c’était par l’inspiration de l’Esprit-Saint qu’il leur proposait ainsi la doctrine céleste. Mais il savait également varier sa parole selon la diversité des personnes, et leur instruction plus ou moins avancée. Considérez-le en effet écrivant aux Colossiens : il n’observe plus la même marche, et son langage est tout différent… En le Verbe, dit-il, tout a été créé dans le ciel et sur la terre, les choses visibles et invisibles, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances ; tout a été créé par lui et pour lui. (Col 1,16) Jean, le fils du tonnerre, s’écrie : Tout a été fait par le Verbe, et sans lui rien n’a été fait. (Jn 1,3) Mais Moïse débute moins solennellement, et il a eu raison de le faire. Car il ne convenait point d’offrir des viandes solides à ceux qu’il fallait nourrir encore de lait. Les maîtres expliquent d’abord aux enfants qu’on leur confie, les premiers éléments des sciences ; et puis ils les conduisent progressivement à des connaissances plus élevées. C’est aussi cette méthode qu’ont suivie Moïse, le Docteur des nations, et Jean, fils du tonnerre. Moïse, qui dans l’ordre des temps, est le premier instituteur de l’humanité, ne lui a proposé que les premiers éléments de la doctrine ; Jean au contraire, et Paul qui lui ont succédé, ont pu développer à leurs disciples un enseignement plus parfait. Nous comprenons donc les motifs qui ont porté Moïse à condescendre à la faiblesse de son peuple. Sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, il parlait aux Juifs le langage qui leur convenait ; mais il ne laissa pas d’étouffer par ces mots : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, toutes les hérésies qui, comme un mauvais, grain, devaient pulluler dans l’Église. C’est pourquoi, quand un manichéen vous dit que la matière préexistait, et quand Marcion, Valentin ou un païen vous soutiennent la même, opinion, répondez-leur qu’au commencement Dieu créa le ciel et la terre ; mais s’ils récusent l’autorité de l’Écriture, traitez-les comme des extravagants et des insensés. Et, en effet, comment excuser celui qui refuse de croire le Créateur de l’univers et qui taxe de mensonge la Vérité suprême ? Il se cache sous de belles apparences et feint les dehors de la douceur ; mais il n’en est pas moins un loup sous une peau de brebis. Ne vous laissez donc point séduire ; et vous devez même d’autant plus le haïr qu’il affecte envers un homme une conduite pleine d’égards, et déclare la guerre au Dieu, souverain Maître de l’univers. Hélas ! il ne s’aperçoit pas qu’il expose le salut de son âme. Pour nous, attachons-nous à la pierre ferme, et revenons à notre sujet : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Et d’abord, observez comme l’Être divin se manifeste dans le mode même de la création ; car, à l’opposé de l’homme, il commence par le couronnement de l’édifice : il déroule premièrement, les cieux, et place ensuite la terre au-dessous ; il pose le haut du temple avant que d’en avoir établi les fondements. S’est-il jamais vu rien de pareil ? et qui a jamais entendu un semblable récit ? Mais Dieu commande, et tout cède à ses ordres. C’est pourquoi, loin de soumettre les œuvres du Seigneur à la critique de notre raison, laissons-nous conduire, par la vue de ses ouvrages, jusqu’à l’admiration de l’ouvrier ; car les perfections de Dieu sont devenues visibles, depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait. (Rom 1,20) 4. Mais, si les ennemis de la vérité persistent à soutenir que le néant ne peut rien produire, adressons-leur cette question : Le premier homme a-t-il été formé de la terre ou de toute autre matière ? – De la terre, répondront-ils unanimement. Qu’ils nous disent donc comment la chair de l’homme a pu se former de la terre ! Nous la pétrissons pour en façonner des briques,-des tuiles et des vases ; mais est-ce ainsi que l’homme a été formé ? Et comment, d’une seule et même matière, tirer tant de substances diverses : les os, les nerfs et les artères, la chair, la peau, les ongles et les cheveux ? Ici, ils ne sauraient donner aucune réponse raisonnable. Et si, du corps, je passe aux aliments qui le nourrissent, je leur demanderai comment le pain que nous mangeons chaque jour, et qui est une substance homogène, se convertit en sang et en chyle, en bile et en diverses humeurs ; car le pain conserve la blancheur de la farine, et le sang est rouge ou purpurin. Mais, si nos adversaires ne peuvent expliquer ces phénomènes qui chaque jour s’accomplissent sous leurs yeux, combien plus difficilement encore rendraient-ils raison des autres ouvrages du Seigneur ! C’est pourquoi, s’ils continuent à rejeter ces nombreuses démonstrations et s’ils persistent dans leur incrédulité, nous nous contenterons de leur opposer la même réponse et de redire : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Ce seul mot nous suffit pour renverser tous les retranchements de nos adversaires, et pour ruiner dans leur fondement tous leurs vains raisonnements. S’ils voulaient du moins cesser enfin cette opiniâtre résistance, ils pourraient rentrer dans la voie de la vérité. Or, la terre était invisible et informe. Pourquoi le Seigneur, je vous le demande, a-t-il créé le ciel lumineux et parfait, et la terre informe ? Certes, il n’a point agi sans raison, mais il a voulu nous révéler, par ce chef d’œuvre de la création, qu’il en a produit également les autres parties, et que ce n’est point impuissance de sa part si elles sont moins parfaites. Une autre raison de ce qu’il a créé la terre informe, c’est qu’elle est la mère et la nourrice du genre humain : nous naissons de son sein et nous vivons de ses productions ; elle est la patrie et la sépulture de tous les hommes, le centre qui nous réunit tous et la source qui nous enrichit de mille biens. Mais, de peur que le sentiment du besoin ne portât les hommes à lui rendre un culte idolâtrique, Moïse nous la montre informe et toute nue, afin que nous ne lui attribuions point sa fécondité, et que nous en rapportions la gloire à Celui qui l’a tirée du néant. Voilà pourquoi l’Écriture dit que la terre était invisible et informe: Mais peut-être vous ai-je fatigué, dès le commencement, par des raisonnements trop subtils ; c’est pourquoi je crois utile de terminer ici ce discours, et néanmoins je conjure votre charité de conserver le souvenir de mes paroles et de les méditer souvent. Un repas frugal vous attend au sortir de cette réunion ; eh bien ! associez la nourriture spirituelle de l’âme à la nourriture matérielle du corps ! Que le mari répète quelque chose de nos instructions ; que la femme écoute, que les enfants apprennent et que les serviteurs s’instruisent. Alors, chaque maison sera véritablement lin temple d’où s’éloignera le démon, cet esprit mauvais et ennemi de notre salut, et où reposeront, sur tous ceux qui l’habitent, la grâce de l’Esprit-Saint, la paix et l’union. Si je vois que vous n’oubliez point mes premières instructions et que vous en attendez impatiemment la suite, je serai moi-même plus empressé de vous communiquer largement tout ce que le Saint-Esprit m’inspirera. Je verrai en effet ma parole germer heureusement dans vos âmes ; et c’est ainsi que le laboureur, en voyant naître le grain qu’il a semé, contemple ses champs avec un nouveau plaisir et s’encourage lui-même à leur confier de nouvelles semences. 5. Voulez-vous donc augmenter en nous le zèle de la parole sainte, faites-nous connaître que vous en gardez un souvenir fidèle et que vous vous appliquez à régler vos mœurs sur votre croyance. Que votre lumière, dit Jésus-Christ, luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Mat 5, 16) Ainsi, notre vie doit s’accorder avec les dogmes de notre religion ; car la foi sans les œuvres est morte (Jac 2,26), et les œuvres sans la foi sont également mortes. Et, en effet, une saine doctrine ne nous servira de rien si nous ne sanctifions notre conduite ; et, de même, une vie régulière avec une croyance erronée ne nous sera point comptée pour le ciel. Il faut nécessairement joindre la bonne doctrine à une bonne vie, et l’homme prudent, dit le Sauveur, est celui qui écoute ma parole et la met en pratique. (Mat 7,24) Vous voyez comme il veut et que nous écoutions sa parole et que nous la suivions avec soumission et fidélité. Aussi, déclare-t-il sage et prudent celui qui se distingue par des mœurs conformes aux préceptes de l’Évangile ; celui, au contraire, qui se contente d’entendre la parole divine et qui n’en fait point la règle de sa conduite, est à juste titre appelé insensé. Et en effet, il bâtit sa maison sur un sable mouvant ; c’est pourquoi cette maison s’écroule sous le choc des vents. Telles sont ces âmes lâches qui ne s’appuient point sur la pierre ferme. Car ici il n’est question ni de maison, ni d’édifice matériel, mais de notre âme et des tentations qui l’ébranlent ; ce sont ces tentations que l’Évangile désigne, sous les noms de pluies, de vents et d’inondations. L’homme constant, sobre et vigilant les surmonte aisément, et plus les afflictions sont grandes, plus aussi s’augmentent sa force et son courage ; mais l’homme faible et indécis plie au moindre souffle de la tentation : il vacille, se trouble et succombe, bien moins par suite de la violence des attaques que par l’effet d’une volonté molle et chancelante. C’est pourquoi il importe que nous soyons sobres, vigilants et préparés à tout, modestes et retenus dans la prospérité, et soumis et prudents dans l’adversité ; en sorte que dans toute situation nous baisions amoureusement la main miséricordieuse du Seigneur. Ces dispositions attireront sur nous l’abondance des grâces divines, et celles-ci nous feront traverser heureusement le cours de l’existence et acquérir de grands trésors pour la vie éternelle. Je vous la souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire, l’empire et l’honneur, avec le Père et l’Esprit-Saint, maintenant, toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. DISCOURS SUR LA GENÈSE. (Année 386)
PREMIER DISCOURS.
Pourquoi Dieu a dit en parlant du soleil, et de lune, et du ciel, et des autres créatures : « Qu’il soit fait ; » et au contraire, en parlant de l’homme, « Faisons ; » et que signifie, « A notre image. ». (Gen 1,3, 6, 26) ANALYSE.
- 1. La saison du jeûne est le printemps des âmes. Puisque nous entrons dans cet heureux temps, entreprenons de pénétrer les endroits les plus difficiles de l’Écriture : philosophons sur la création. Rien n’est plus utile que de savoir ce qu’est la créature, ce qu’est le Créateur. Les erreurs des Manichéens et des Grecs ne proviennent que de leur ignorance touchant la nature des choses. – 2. Dieu autrefois parlait aux hommes par lui-même : Il emploie maintenant le moyen des lettres, comme font les hommes eux-mêmes lorsqu’ils correspondent avec des gens éloignés. Moïse a réfuté les Manichéens longtemps à l’avance, par ces simples mots : Au : commencement, Dieu créa le ciel et la terre. – 3. La raison des choses naturelles nous échappe, combien plus celle des choses divines ; donc, rapportons-nous-en à ce qui nous a été révélé d’en haut. – 4. Exhortation à l’aumône mêlée à l’éloge de l’évêque Flavien.
1. Plein de charmes est le printemps, pour les matelots ; plein de charmes aussi, pour les agriculteurs ; mais, ni matelots ni agriculteurs ne trouvent autant de charmes au printemps, qu’en a, pour ceux qui veulent être sages, le temps du jeûne, spirituel printemps des – âmes, où l’esprit qui médite jouit de la vraie tranquillité. Le printemps charme les agriculteurs, parce qu’ils voient alors les fleurs qui couronnent la terre, le vêtement aux mille couleurs dont la recouvrent de toutes parts les plantes qui grandissent. Le printemps charme les matelots, voguant sans crainte sur les mers, quand les flots sont calmes, et que les dauphins, dans leurs jeux tranquilles, sautent près des flancs du navire. Pour nous, le printemps du jeûne nous charme, parce qu’il apaise les flots, non pas des flots liquides, mais les flots des passions insensées ; parce qu’il nous fait, non des couronnes de fleurs, mais des couronnes de grâces spirituelles. Tu recevras, dit le Sage, une couronne de grâces pour ta tête. (Pro 1,6) L’apparition de l’hirondelle ne chasse pas les mauvais jours, comme l’apparition du jeûne chasse, loin de nos pensées, les passions mauvaises ; alors cesse la lutte de la chair contre l’âme, la révolte de la servante contre la maîtresse. Cette guerre du corps est terminée. Eh bien donc ! puisque nous avons la paix parfaite, la parfaite tranquillité, nous aussi, tirons au large le navire de la doctrine et, du port où nous sommes, lançons-le vers le port où l’appelle votre attention pleine de douceur. Allons, abordons sans crainte les pensées les plus subtiles de l’Écriture ; méditons sur le ciel, sur la terre, sur la mer, sur toute la création, car tel a été le sujet de la lecture d’aujourd’hui. Mais, me dira-t-on, que nous importe la création ? elle nous importe beaucoup, mes bien-aimés, car si la grandeur, si la beauté de la créature nous fait comprendre, par analogie, la nature du Créateur, plus nous nous attacherons à contempler la grandeur et la beauté de la créature, plus nous avancerons dans la connaissance du Créateur. C’est un grand bien que de savoir ce qu’est la créature, ce qu’est le Créateur ; quel est l’ouvrage, quel est l’ouvrier. Si les ennemis de la vérité avaient su distinguer exactement ces choses, ils n’auraient pas tout confondu, tout bouleversé ; voyez, il ne leur a pas suffi de rabaisser les étoiles et le ciel, et d’exalter la terre, ils ont encore précipité le roi du ciel de son trône royal, ils l’ont confondu avec la créature, et ils ont décerné à la créature les honneurs de la divinité. Si les manichéens avaient su distinguer la vérité, au sujet de la création, ils n’auraient pas décerné à ce qui a été fait de rien, à ce qui est corruptible, sans consistance, toujours changeant, les honneurs qui ne conviennent qu’à L’Être incréé. Si les Grecs avaient su distinguer la vérité au sujet de la création, ils ne se seraient pas égarés, ils n’auraient pas honoré, adoré la créature, au lieu du Créateur. Si le ciel est beau, c’est pour que vous vous incliniez devant Celui qui l’a fait ; si le soleil est brillant, c’est pour que vous offriez votre culte à Celui qui a produit le soleil ; mais si vous ne voyez pas plus loin que les merveilles de la créature, si la beauté de l’ouvrage absorbe vos regards, la lumière alors devient pour vous l’obscurité, ou plutôt vous tirez de la lumière l’obscurité. Voyez-vous le grand avantage de comprendre les raisons de la création ? Ne négligez donc pas ce profit ; soyez attentifs à nos paroles ; nous ne vous parlerons pas seulement du ciel, et de la terre, et de la mer, mais encore de notre origine ; d’où vient la mort, d’où viennent les fatigues, et les découragements, et les soucis. Car Dieu, pour se justifier, en ce qui concerne ces questions et un grand nombre d’autres, nous a envoyé son livre ; car Dieu ne dédaigne pas de se défendre, mais il nous crie par son Prophète : Venez et soutenez votre cause contre moi, dit le Seigneur. (Isa 1,18) Et non seulement il se défend et il plaide ; mais, de plus il nous enseigne à fuir notre condamnation. En effet, il ne dit pas seulement : Venez et soutenez votre cause contre moi. Il commence par nous apprendre ce qu’il faut dire, ce qu’il faut faire, ce n’est qu’ensuite qu’il nous traîne au tribunal. Écoutez donc la parole du Prophète, en reprenant le texte de plus haut : Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la malignité de vos pensées ; apprenez à faire le bien ; faites justice à l’orphelin ; défendez la veuve. (Id 16) Et c’est alors qu’il ajoute : Venez et soutenez votre cause contre moi, dit le Seigneur. Je ne veux pas, nous dit-il, vous prendre au dépourvu, sans moyen de défense ; je vous veux au contraire munis de raisonnements et d’excuses, quand je vous appelle à rendre vos comptes. Car, si je veux discuter avec vous, ce n’est pas pour vous condamner, mais pour vous faire grâce. Aussi, dit-il dans un autre passage : Dis le premier tes iniquités, afin que tu sois justifié. (Isa 43,26) Tu as en moi un accusateur amer et cruel ; empresse-toi de le prévenir, parle, ferme-lui sa bouche impudente. 2. Au commencement du monde, Dieu s’entretenait par lui-même avec les hommes, leur parlant autant qu’il est possible aux hommes de l’entendre. C’est ainsi qu’il vint trouver Adam, c’est ainsi qu’il réprimanda Caïn ; c’est ainsi qu’il conversa avec Noé ; c’est ainsi qu’il se fit l’hôte d’Abraham. Mais, quand notre nature se fut inclinée au mal, et comme condamnée à un lointain exil, dès lors Dieu, nous traitant comme des voyageurs qui vont au loin, nous envoya des lettres, comme s’il voulait, par cette correspondance, renouveler avec nous son ancienne amitié. Ce sont des lettres de ce genre, envoyées de Dieu, qu’apporta Moïse. Que nous disent-elles : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ? Pourquoi ne nous parle-t-il ici ni des anges ni des archanges ? Si, en effet, le Créateur se montre dans les créatures, les anges peuvent beaucoup plus nous le faire voir ; la beauté du ciel n’égale pas la beauté de l’ange ; la splendeur du soleil n’égale pas la splendeur de l’archange. Pourquoi donc, négligeant la route plus élevée, nous conduit-il par la plus basse ? C’est qu’il converse avec les Juifs, peu intelligents, attachés aux choses des sens, revenus depuis peu de l’Égypte, où ils avaient vu des crocodiles, des chiens, des singes, honorés par les hommes, et on ne pouvait pas prendre le chemin le plus élevé, pour les conduire au Créateur. Sans doute, l’autre chemin est plus élevé, mais plus rude, escarpé, ardu pour les faibles. Voilà pourquoi Moïse conduit les Juifs par la route qui est plus facile, par le ciel, la terre, la mer et toutes les créatures visibles. Et ce qui prouve que je vous ai donné la vraie cause, c’est que, quand les Juifs eurent fait quelques progrès, le Prophète leur parle ainsi des vertus d’en haut : Louez le Seigneur, dit-il, ô vous qui êtes dans les cieux ; louez-le dans les plus hauts lieux ; louez-le, vous tous qui êtes ses anges ; louez-le, vous tous qui composez ses armées ; car il a parlé et toutes choses ont été faites ; il a commandé, et elles ont été créées ! (Psa 148,1, 2, 5) Et qu’y a-t-il d’étonnant que l’Ancien Testament nous montre cette, manière d’enseignement puisque nous voyons dans le Nouveau Testament, à l’heure où la doctrine s’élève à une hauteur sublime, Paul, s’adressant aux Athéniens, suivre la même route que Moïse, instruisant les Juifs ? Et en effet, il ne leur parle ni d’anges, ni d’archanges ; c’est du ciel, et de la terre, et de la mer qu’il entretient le peuple assemblé : Dieu qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans les temples bâtis par les hommes. (Act 17,24) Mais, lorsque Paul s’adressait aux Philippiens, il ne les conduisait pas par la même route ; il leur donnait l’enseignement plus élevé, dans ces paroles : Car tout a été créé par lui, dans le ciel et sur la terre, soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit les puissances ; tout a été créé par lui et pour lui. (Col 1,16) C’est ainsi que Jean, qui avait des disciples plus avancés, a passé en revue toute la création. En effet, il ne dit pas : le ciel et la terre et la mer, mais : toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui (Jn 1,3) ; aussi bien, dit-il, ce qui est visible, que ce qui est invisible. On sait ce qui se passe chez les maîtres d’écoles : l’un reçoit un jeune enfant des bras de sa mère, et lui apprend les premiers éléments ; un autre maître, ensuite, élève l’écolier à un plus haut enseignement ; c’est ce qui est arrivé à Moïse, à Paul, à Jean. Moïse nous a pris ignorants de tout, sevrés de la veille, et nous a enseigné les premiers éléments de la connaissance de Dieu ; Jean et Paul, qui ont reçu les hommes comme sortant de l’école de Moïse, les conduisent à des enseignements plus élevés, leur résumant toutefois les premières leçons en peu de mots. Avez-vous bien compris l’affinité des deux Testaments ? Avez-vous bien compris l’harmonie des enseignements ? Vous rappelez-vous, dans l’Ancien Testament les paroles de David sur la création des choses sensibles et des choses spirituelles : Car il a parlé et les choses ont été faites. (Psa 33,9) C’est ainsi que dans le Nouveau Testament, après qu’il a été parlé des puissances invisibles, il est de plus fait mention des créatures sensibles. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ; brève parole assurément, parole bien simple, il n’y a là qu’un seul mot, mais capable de renverser toutes les tours de nos adversaires ; faites attention. Arrive un manichéen disant : La matière n’a pas été créée : répondez-lui : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ; et vous avez renversé toute son arrogance en un instant. Mais il ne croit pas, dit-il, à la parole de l’Écriture. Eh bien ! pour cette raison ; écartez-le comme on écarte un fou, détournez-vous de lui : car, celui qui ne croit pas à Dieu, se révélant en toute lumière, et qui accuse de mensonge la vérité, comment ne serait-ce pas un fou manifeste, dont l’incrédulité prouve la folie ? Mais comment, me dit-on, de rien quelque chose peut-il être fait ? Eh bien ! vous, répondez-moi. Comment, de ce qui existe, quelque chose pourrait-il être fait ? car, que la terre ait été faite de ce qui n’était pas, moi je le crois, tandis que vous en doutez ; mais que, de la terre l’homme ait été fait, c’est ce que nous reconnaissons également. Répondez-moi donc sur ce que nous reconnaissons vous et moi, répondez à la question la plus facile. Comment, avec de la terre, de la chair a-t-elle été faite ? Car, c’est de la terre que vient la boue, la brique, l’argile des vases, les coquilles ; mais de la chair sortant de la terre, c’est ce que nul ne saurait voir. Comment donc la chair a-t-elle été faite ? Comment les os ont-ils été formés ? Comment les nerfs ? comment les veines ? comment les artères ? comment les membranes, la graisse, la peau, les ongles, les cheveux ; et toute cette diversité de substances, provenant d’une seule et même substance, la terre ? Ici, vous n’avez rien à dire. N’est-il pas absurde, à qui ne sait rien de ce qui est plus clair et plus facile à comprendre, de se consumer en efforts superflus, pour expliquer ce qui est difficile, ce qui est inaccessible ? 3. Voulez-vous que je vous conduise à des sujets plus faciles, que je vous propose des problèmes de tous les jours, que pourtant vous ne pourrez pas m’expliquer ? Nous mangeons du pain, tous les jours ; comment, répondez-moi, le pain se change-t-il en sang, en pituite, en bile, en toutes les autres humeurs ; car le pain, c’est bien quelque chose de solide et de dur ; le sang au contraire est mou et fluide ; le bon pain est blanc de la couleur du froment, le sang est rouge et noir ; passez en revue lés autres différences, vous trouverez que le pain et le sang sont loin de se ressembler ; expliquez donc ce fait,.répondez-moi, rendez-moi compte ; impossible à vous. Comment vous, qui ne pouvez rendre compte de votre nourriture, qui se change tous les jours en d’autres substances, vous me demanderez de vous rendre compte de la création opérée pat Dieu ! Eh ! n’est-ce pas le comble de la démence ? Si Dieu nous ressemble, demandez-lui compte de ce qu’il fait ; je me trompe, je retire cette concession. Il y a certes un grand nombre d’ouvrages humains que nous ne pouvons expliquer ; par exemple : comment, avec du minerai, fait-on de l’or ? comment le sable se change-t-il en un verre transparent ? Des produits de l’industrie humaine, c’est de beaucoup le plus grand nombre que nous ne pouvons expliquer. Pourtant, non : si Dieu nous ressemble, je veux bien que vous lui demandiez compte ; mais maintenant, si un immense intervalle le sépare de nous, s’il est, d’une manière incomparable, au-dessus de nous, n’est-ce pas le comble de la démence, pour ceux qui reconnaissent sa sagesse et sa puissance infinie, ce qu’il a de divin, d’incompréhensible, d’aller, comme s’il s’agissait de quelque industrie humaine, lui demander compte, en détail, de chacun de ses ouvrages ? Eh bien donc, laissant de côté ces raisonnements, revenons à notre pierre, à notre roc inébranlable. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Tenez-vous sur ce fondement solide afin de résister aux flots des pensées humaines. Les pensées des mortels sont timides, et incertaines leurs inventions. (Sag 9,14) N’abandonnez donc pas ce qui est ferme, pour confier le salut de votre' âme à la faiblesse, à (erreur des raisonnements. Tenez-vous-en à ce que vous avez appris et que vous avez cru, et dites : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Si un Manichéen, si Marcion, si les malades que Valentin a faits, si tout autre se présente, jetez-lui à la face cette parole ; si vous le voyez rire, versez des larmes sur sa démence. Vous connaissez ces personnages au teint jaune, au sourcil abaissé ; ils ont des paroles modestes ; fuyez l’amorce, sachez découvrir, sous la peau de la brebis, le loup qui s’y cache ; détestez-le surtout parce qu’en même temps qu’il semble affable et doux envers vous, envers son compagnon, serviteur comme lui, il est, contre notre commun Maître, notre Seigneur à tous, plus furieux que le chien possédé par la rage. C’est une guerre implacable que fait au ciel cet irréconciliable ennemi, et il élève comme une puissance contraire qu’il oppose à Dieu. Fuyez le venin de l’iniquité, détestez les poisons mortels ; l’héritage que vous avez reçu de vos pères, gardez-le, conservez la foi, l’enseignement de la divine Écriture, avec une prudence que rien ne puisse surprendre. Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre. Qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord le ciel, ensuite la terre ? D’abord le toit, ensuite le sol ? Dieu n’est pas subordonné à la nécessité de la nature ; les règles de l’art ne le tiennent pas asservi. Nature, art, toutes choses, la seule volonté de Dieu fait tout, dispose tout. La terre était invisible et sans forme. Pourquoi a-t-il donné au ciel, en le créant, la perfection ? tandis que, pour la terre, il l’a faite à plusieurs reprises, selon ce que raconte Moïse ? C’est, afin qu’ayant vu sa puissance, dans ce qu’il y a de meilleur, vous eussiez la certitude qu’il pouvait également donner à la terre la même perfection qu’au ciel ; c’est parce qu’il pensait à vous, à votre salut, qu’il a procédé pour la terre autrement que pour le ciel. Comment, me direz-vous, c’est parce qu’il pensait à moi, à mon salut ? La terre est notre table commune, notre patrie, notre nourrice, notre mère commune à tous, notre cité, notre tombe également commune, car nos corps viennent d’elle ; d’elle vient aussi l’aliment de nos corps ; c’est elle que nous habitons ; c’est en elle que nous demeurons ; c’est en elle, après la mort, que cous devons retourner. Il – ne fallait pas que, préoccupés de la nécessité satisfaite à chaque instant par elle, vous eussiez pour elle unes admiration exagérée ; il ne fallait pas que l’abondance de ces bienfaits fût pour vous une cause d’impiété et de chute, et il déclare que cette terre était d’abord informe, sans beauté, afin que la considération de ce qui lui manque élevât votre admiration vers Celui qui l’a faite, qui lui a donné toutes ses vertus, et vous portât à célébrer Celui qui a produit de si grandes choses pour notre usage. Or, maintenant, ce qu’il faut pour glorifier Dieu, ce n’est pas seulement la rectitude des opinions, mais l’excellence de la conduite. Que votre lumière, dit le Seigneur, luise devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient voire Père qui est dans les cieux. (Mat 5,16) 4. Je voulais ajouter, à ce discours, des réflexions sur l’aumône, mais il me paraît superflu de vous l’enseigner par des paroles, quand vous avez, pour vous instruire, les actions et les exemples de celui qui est assis au milieu de nous ▼, de notre commun père et docteur ; on dirait qu’il n’a reçu, de ses frères, son patrimoine que pour le consacrer aux soins de l’hospitalité, à ceux qu’on chasse dé toutes parts parce qu’ils confessent la vérité ; il les accueille et toutes, ses ressources, il les emploie à les réconforter, de sorte que l’on ne saurait dire si sa maison lui appartient ou s’il faut l’appeler la maison des étrangers. Je me trompe, ne faut-il pas dire que c’est sa maison, précisément parce que c’est la maison des étrangers ? En effet, nous sommes les maîtres de nos biens, surtout quand ce n’est pas pour nous, mais pour les pauvres, que nous les possédons, que nous les dépensons. Je m’explique : l’argent que vous déposez dans la main du pauvre, n’a plus à craindre, ni le calomniateur, ni les regards de l’envie, ni le voleur, ni le brigand qui perce les murailles, ni l’esclave qui le ravit et prend la fuite : la main du pauvre est un asile. Enfouir l’argent chez vous, c’est l’exposer au voleur, au brigand qui perce les murailles, à l’envieux, au calomniateur, à l’esclave, à tout ce qui le perd ; il arrive souvent qu’à force de portes et de verrous on préserve son argent des pertes du dehors ; mais on ne le préserve pas contre ceux qui le gardent dans la maison, et ceux à qui on l’a confié s’en emparent et prennent la fuite. Vous voyez bien maintenant que la vraie manière, pour nous, de nous rendre les maîtres de nos biens, c’est de les déposer dans les mains des pauvres, et ce n’est pas là seulement la garde la plus sûre, c’est aussi le meilleur moyen d’augmenter le profit et le revenu ; qui prête à un homme, reçoit un centième ; qui prête à Dieu, par le moyen du pauvre, ne reçoit pas le centième, mais le centuple : Si vous ensemencez un champ fertile, si la moisson est abondante, elle vous rend dix fois lai semence ; si vous ensemencez le ciel, après avoir reçu le centuple vous posséderez encore la vie éternelle, la vie qui ne connaît ni la vieillesse ni la mort. Et il faut prendre beaucoup de peine pour cultiver un champ ; celui qui ensemence le ciel, n’a besoin, ni de charrue, ni de bœufs, ni de culture pénible, ni de tant d’autres travaux, ni de tant de fatigues, et la semence pullule, et, ni les chaleurs, ni les pluies, ni les chenilles, ni la grêle, ni les sauterelles, ni les fleuves débordés, ni tous les fléaux de ce genre n’épouvantent le semeur. Les semences que l’on fait là-haut ne se perdent jamais. Eh bien donc ! puisqu’il n’y a ni travail, ni danger, ni inquiétude, ni perte possible ; puisqu’une fois qu’on a jeté la semence, il en sort une moisson, qui rend ; tant et tant de, fois la semence, tant de biens, tant de richesses qui pullulent, biens que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a pas entendus, et que le cœur de l’homme n’a jamais conçus. (1Co 2,9) N’est-ce pas le comble de la négligence, de ne pas voir le bien le plus précieux et de poursuivre le moins considérable ; d’abandonner, le certain, pour aller à ce qui est incertain, plein de dangers, exposé aux malheurs sans nombre ? Quel droit pouvons-nous avoir au pardon ? Quelle peut être notre excuse ? Nous nous faisons un prétexte de la pauvreté ; mais nous ne sommes pas plus pauvres que cette veuve, qui, n’ayant que deux petites pièces de monnaie, les déposa dans le tronc des pauvres. (Luc 21,2) Soyons donc jaloux des richesses de cette femme ; imitons sa munificence pour obtenir les biens qui lui sont réservés et puissions-nous, tous, les conquérir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. DEUXIÈME DISCOURS.
Discours prononcé au commencement du carême sur ce verset : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Gen 1,1) ; sur le jeûne et sur l’aumône. ANALYSE.
1. La prière de l’Église dirige la langue du Docteur chrétien. Pourquoi Dieu, en créant l’homme, ne dit pas : que l’homme soit fait, mais, faisons l’homme. Cette seule parole faisons, prouve le Fils unique de Dieu. – 2. Contre les Anthropomorphites. 1. Vous souvenez-vous des questions qui vous ont été proposées hier ? C’est que vous avez si bien encouragé notre arrogance et notre audace, que maintenant nous ne craignons pas d’attaquer toutes les questions, ou plutôt, ce n’est ni de l’audace, ni de l’arrogance. Car notre assurance ne nous vient pas dé notre force particulière, nous la fondons sur les prières des pontifes qui nous dirigent ; ce sont vos prières aussi qui nous ont excité à entrer dans la carrière. Voilà la puissance de la prière de l’Église ; fussions-nous plus muets que la pierre, elle rend notre langue plus agile que l’aile des oiseaux. Quand la brise enfle la voile, le navire fend l’onde, plus rapide qu’une flèche ; ainsi la prière de l’Église, comme un souffle plus puissant que le zéphir, emporte au loin l’orateur. Voilà pourquoi, chaque jour, nous nous préparons à la lutte avec confiance. En effet, si, dans les joûtes qui plaisent au monde, dix ou vingt amis seulement, dans ta foule immense, suffisent pour déterminer un lutteur à descendre fièrement dans l’arène, à bien plus forte raison nous, qui n’avons pas dix ou vingt amis seulement, qui nous regardent, mais tout un peuple, composé de frères et de pères, descendons-nous dans l’arène avec confiance. Toutefois, dans les luttes profanes, l’athlète n’attend pas grand secours du spectateur, qui ne peut que crier, l’admirer dans l’occasion, et de la place supérieure où il est assis, disputer avec ceux qui ne jugent pas comme lui. quant à descendre dans le stade, tendre la main au lutteur qu’on aime ou tirer le pied de son adversaire, ou faire quelque autre action de ce genre, c’est ce qui n’est pas permis. Ceux qui ont établi ces luttes, ont pris soin de planter des pieux autour de l’arène, et d’étendre des cordes qui l’entourent, pour tenir à distance les transports insensés des spectateurs. Étonnez-vous qu’on ne leur permette pas de descendre dans l’arène, quand il est commandé, même au gymnasiarque, de rester assis hors du stade, à peu de distance, et de donner, à ceux qui luttent loin de lui, les, secours de sa science, mais sans pouvoir les approcher. Avec nous, au contraire, il n’en est pas de même permis, et au Maître, et aux spectateurs, de descendre et de s’approcher de nous ; de nous assister de leur affection, de nous affermir par leurs prières. Eh bien ! donc, engageons notre lutte, à la manière des athlètes. Quand ils se sont pris l’un l’autre par le milieu du corps, quand l’ardeur de la lutte, l’espace étant, pour eux, trop, étroit, les a jetés presque sur la foule, qui les entoure au-dehors, ils se dégagent l’un de l’autre et retournent à la place où ils ont commencé le combat. Quand ils le renouvellent, ils ne reprennent pas l’attitude droite de la première posture, mais ils s’entrelacent dans la position où ils étaient quand ils se sont séparés. Faisons de même, nous aussi, et puisque l’espace nous a manqué pour achever notre discours, reprenons la lutte à la même place, et trouvons le dénouement que nous cherchons, dans ce qui nous a été lu aujourd’hui ; voyons ce que nous présente la lecture de ce jour : Et Dieu dit, faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Notre première recherche doit être, pourquoi quand Dieu faisait le ciel, on ne voit pas Faisons, mais que le ciel soit fait, que la lumière soit faite, et de même pour les créatures particulières ; pourquoi, quand il s’agit de l’homme, voit-on alors seulement ce Faisons, cette expression d’un conseil, d’une délibération avec un autre, quel qu’il soit, à qui l’on fait l’honneur de communiquer sa pensée ? Quel est donc enfin cet être à créer, qui jouit d’un tel honneur ? c’est l’homme, cet animal d’une admirable grandeur, la créature la plus excellente auprès de Dieu, pour qui le ciel et la terre et la mer, et tout l’ensemble de la création a été fait. L’homme dont le salut a été si cher à Dieu, qu’il n’a pas même fait grâce, à cause de lui, à son Fils unique. Et en effet, il n’a rien épargné pour l’élever, l’exalter, le placer à sa droite. C’est ce que crie la voix de Paul : Il nous a ressuscités avec lui, et nous a fait asseoir dans le ciel en Jésus-Christ. (Eph 2,6) Voilà pourquoi la délibération, et le conseil, et la communication de la pensée divine ; ce n’est pas que Dieu ait besoin de conseil, loin de nous de le croire, mais la figure de l’Écriture nous montre l’honneur déféré à celui qui va naître. Mais comment, me dira-t-on, si l’homme est plus excellent que l’univers, est-il créé après l’univers ? C’est justement par la raison qu’il est plus excellent que l’univers. Quand l’Empereur doit faire son entrée dans une ville, généraux, préfets, satellites, serviteurs de toute espèce, vont devant, ornent le palais, préparent tout afin de faire toute espèce d’honneur à celui qu’on appelle l’Empereur ; il en est de même ici ; l’Empereur va faire, pour ainsi dire, son entrée ; le soleil l’a précédé, le ciel a couru devant, la lumière a paru d’abord, toutes choses ont été créées, tout a été préparé, orné ; alors seulement paraît l’homme à qui on fait tous les honneurs. Faisons l’homme à notre image. Écoutez, Juifs ; à qui Dieu dit-il, Faisons ? Ce sont les paroles écrites de Moïse. Ils prétendent croire en Moïse, ces menteurs ; ce qui prouve qu’ils mentent, et qu’ils ne croient pas en Moïse, c’est la parole du Christ qui les a convaincus de mensonge, écoutez : Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez aussi en moi. (Jn 5,46) Certes, ils ont des livres, nous avons, nous, un trésor de livres ; à eux la lettre, à nous, et la lettre et la pensée. À qui donc dit-il, Faisons l’homme ? C’est à un ange, me dit-on ; c’est tout simplement à un archange qu’il s’adresse. Quand des mauvais sujets, des esclaves, accusés par leur maître, sont à court de réponses, ils débitent tout ce qui leur vient à la bouche. C’est ainsi que vous faites, à un ange, n’est-ce pas ? à un archange ? Quel ange ? quel archange ? La fonction des anges n’est pas de créer, ni celle des archanges, d’opérer de telles choses. Ainsi, quand Dieu créait le ciel, il n’a rien dit, ni à un ange, ni à un archange. C’est par sa seule vertu qu’il fa produit ; et maintenant qu’il produit ce qui est plus excellent que le ciel, que le monde entier, l’être animé par excellence, l’homme, il fait venir ses serviteurs pour les associer à son œuvre créatrice ? 2. Non, mille fois non ; le propre des anges, c’est d’assister, non pas de créer ; le propre des archanges, c’est d’être ministres, et non des confidents et des conseillers. Écoutez la parole d’Isaïe sur les vertus des séraphins, lesquels sont supérieurs aux anges : Je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé, et les séraphins étaient autour du trône ; ils avaient chacun six ailes : deux dont ils voilaient leur face (Isa 6,1, 2), pour se garantir les yeux, voyez-vous, parce qu’ils ne pouvaient supporter la lumière éclatante, jaillissant du trône. Que dites-vous ? les séraphins sont là, saisis de tant d’admiration et de stupeur, et de crainte, et cela quand ils voient la clémence de Dieu ; et vous voulez que les anges soient associés à ses pensées, prennent part à ses conseils ? c’est ce qui n’est nullement conforme à la raison. Mais enfin, à qui donc adresse-t-il ces paroles : Faisons l’homme ? C’est à l’admirable confident de ses conseils, à Celui qui partage sa puissance, au Dieu fort, au prince de la paix, au Père du siècle à venir (Isa 9,6) ; c’est lui-même, c’est le Fils unique de Dieu ; c’est donc à lui qu’il adresse cette parole : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Il ne dit pas : à ma ressemblance et à la tienne ; ou à ma ressemblance et à la vôtre, mais à notre image, montrant que l’image est une, que la ressemblance est une. Or, de Dieu et des anges, ni l’image n’est une, ni la ressemblance n’est une. Et comment, en effet, du Maître et des serviteurs l’image serait-elle une, ainsi que la ressemblance ? Vous voyez bien que votre faux raisonnement est confondu de toutes parts ; l’image proposée ici, c’est l’image de la domination comme la suite du texte le fait voir. Car après avoir dit : A notre image et ressemblance, il ajoute : Et dominez sur les poissons de la mer. Or, la domination de Dieu et celle des anges ne peuvent être une seule et même domination. Comment se pourrait-il faire, s’il y a d’un côté, les serviteurs, de l’autre le Maître ; d’un côté les ministres, de l’autre celui qui commande ? Mais voici maintenant d’autres contradicteurs. Dieu a la même image que nous, disent-ils, parce qu’ils ne comprennent pas la parole. En effet, Dieu n’a pas entendu l’image de la substance, mais l’imagé de la domination, comme nous allons le montrer par la suite. Car ce qui fait voir que là forme humaine n’est pas la forme de la divinité, c’est ce que dit Paul : Pour ce qui est de l’homme, il ne doit point se couvrir la tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu, au lieu que la femme est la gloire de l’homme. (1Co 11,7) C’est pourquoi, dit-il, elle doit avoir un voile sur la tête. (Id 10) Il est évident que si, dans ce passage, Paul a exprimé, par le mot image, la parfaite et entière ressemblance de la forme humaine et de la forme de Dieu, s’il a dit que l’homme est l’image de Dieu, parce que Dieu a été représenté sous la forme humaine, selon les idées de ces juifs, il n’aurait pas dû dire, de l’homme seulement, qu’il avait été fait à l’image de Dieu ; il aurait dû le dire de la femme aussi. En effet, pour la femme et pour l’homme, la figure, la forme, la ressemblance est une. Pourquoi donc dit-il que l’homme est fait à l’image de Dieu ? Pourquoi n’en dit-il pas autant de la femme ? C’est qu’il n’entend pas l’image quant à la forme, mais quant 'à la domination, qui n’appartient qu’à l’homme seul, et non à la femme. L’homme, en effet, n’a pas de créature qui lui soit supérieure ; la femme est soumise à l’homme, selon la parole de Dieu : Vous vous tournerez vers votre mari et il vous dominera, (Gen 3,16) Voilà pourquoi l’homme est l’image de Dieu c’est qu’il n’y a personne au-dessus de lui, de même qu’il n’est aucun être au-dessus de Dieu. La domination appartient à l’homme, quant à la femme, elle est la gloire de l’homme, parce qu’elle est soumise à l’homme. Autre preuve, ailleurs : Nous ne devons pas croire que la Divinité ressemble à de l’or, ou à de l’argent, ou, ci une pierre, ou à toute forme sculptée par l’art ou conçue par la pensée de l’homme. (Act. 2) Ce qui revient à dire, que non seulement la Divinité surpasse toutes les formes visibles, mais que la pensée humaine ne peut concevoir aucune forme qui ressemble à Dieu. Comment donc peut-il se faire que Dieu ait la figure de l’homme, lorsque Paul déclare que la pensée même ne peut concevoir la forme de l’essence de Dieu ? Quanti notre figure, notre pensée peut facilement se la représenter. Je m’étais encore proposé de vous parler de l’aumône ; mais le temps ne nous le permet pas. Nous nous arrêterons donc ici. Mais auparavant, nous voulons vous exhorter à garder – soigneusement le souvenir de tout ce que vous avez entendu ; à bien vous attacher à la sagesse, à la parfaite rectitude de la conduite, afin qu’il ne soit pas dit que nos collectes sont inutiles ici, et sans fruit pour vous. Nous aurions beau conserver les opinions droites ; si nous n’y ajoutons pas la vertu des bonnes œuvres, nous serons absolument déchus de la vie éternelle. Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas tous dans le royaume des cieux ; mais celui-là seulement y entrera, qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. (Mat 7,21) Appliquons-nous donc ardemment à faire cette volonté de Dieu, ; afin que nous puissions entrer dans le ciel, et conquérir les biens préparés à ceux qui chérissent le Seigneur. Puissions-nous tous être admis à ce partage, par là grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. TROISIÈME DISCOURS.
Sur ces mots : « À notre ressemblance (Gen 1,26) ; » et pourquoi malgré ce que Dieu nous a dit d’exercer notre empire sur les animaux, nous n’avons pas cet empire, et qu’il y a là une preuve de la grande sollicitude de Dieu à notre égard. ANALYSE.
- 1. Ceux qui cherchent des perles descendent jusqu’au fond de la mer ; que les amateurs des perles spirituelles descendent donc aussi dans les profondeurs des saintes Écritures. – 2. Les Gentils nous objectent qu’il n’est pas vrai que l’homme domine sur les animaux. Mais nous répondons que l’homme exerce encore cette domination, et que d’ailleurs les choses ne sont plus aujourd’hui dans l’état où Dieu les avait mises au commencement.
1. De même que le semeur ne fait rien d’utile, s’il jette les semences à travers le chemin, de même celui qui parle, ne produira aucun fruit, si son discours n’arrive pas jusqu’à la pensée de l’auditeur ; le bruit de sa voix perdu dans l’air, ne sera, pour lui, d’aucune utilité. J’ai mes raisons de vous parler ainsi : je ne veux pas qu’il vous suffise de laisser vos oreilles ouvertes aux pensées faciles, mais je veux que vous attaquiez d’une manière active les pensées plus profondes. En effet, si nous ne nous empressons pas de descendre dans les profondeurs des Écritures, quand nos membres sont encore agiles pour la natation, quand notre vue est encore perçante, quand nous n’avons pas encore le vertige que cause le tourbillon des voluptés, quand le souffle de notre poitrine est assez puissant pour ne pas craindre de suffocation, quand donc y descendrons-nous ? est-ce quand nous serons alourdis par les plaisirs, la bonne chair, l’ivresse ; gorgés de nourriture ? mais alors, c’est tout au plus si nous pouvons nous mouvoir, tant le poids des voluptés est pour l’âme un pesant, fardeau. Ne voyez-vous pas que ceux qui sont jaloux de découvrir des pierres précieuses, ne s’amusent pas à rester assis sur le rivage, à compter les flots qui passent ? ils plongent dans les abîmes profonds, quelle que soit la fatigue d’une pareille recherche, quels qu’en soient les périls, et, quand on a trouvé ce qu’on voulait trouver, si mince que soit le profit. En effet, quelle grande utilité peut avoir, pour nous, cette découverte de pierres précieuses ? si encore ce n’était pas la cause de calamités sans nombre ! Rien, en effet, n’excite plus de bouleversement, plus de confusion, que la soif délirante des richesses ; mais enfin, ceux dont je parle, s’exposent, corps et âme, pour gagner leur vie de chaque jour, et se livrent courageusement aux flots. Ici, chez nous, il n’y a ni dangers ni grandes fatigues ; la fatigue est peu de chose, et on s’y soumet pour conserver précieusement ce qu’on a trouvé ; car ce qu’on trouve sans peine, semble au vulgaire avoir peu de valeur. Dans la mer de l’Écriture il n’y a pas de tempête ; il n’est pas de port qui soit plus calme que cette mer, et il n’est pas nécessaire de se précipiter dans les replis des abîmes obscurs, ni d’abandonner son salut à la violence des flots aveugles. Ici, au contraire, resplendit la pleine lumière, plus brillante, de beaucoup, que les rayons du soleil, la sérénité parfaite ; aucun orage à craindre, et tel est le prix de ce qu’on découvre, qu’aucune parole ne saurait l’exprimer. Donc, ne nous laissons pas abattre par la fatigue, et mettons-nous à notre recherche. Vous avez entendu que Dieu a créé l’homme à son image et nous vous avons dit que ces mots, à son image et ressemblance, n’exprimaient pas une comparaison de substances, mais la ressemblance de la domination. Allons plus loin maintenant : A notre ressemblance, cela veut dire : qu’il faut que l’homme ait la douceur et la mansuétude, qu’il se rende, par la vertu, dans la mesure de ses forces, semblable à Dieu, selon ce que dit le Christ : Soyez semblables à mon Père qui est dans les cieux. (Mat 5,45) En effet, de même que, sur la vaste étendue de notre terre, il y a des animaux, les uns plus dépourvus d’intelligence, les autres plus féroces ; ainsi, dans les plaines de notre âme, se trouvent certaines pensées, les unes plus dépourvues de raison, les autres plus féroces et plus cruelles ; donc, il faut les soumettre, les dompter, donner à la raison la mission de les dominer. Mais, me dira-t-on, soumettre une pensée sauvage et féroce, est-ce possible ? Que demandez-vous, ô homme ? Nous soumettons des lions, nous apprivoisons leurs âmes, et vous ne savez pas s’il est possible d’adoucir la férocité de vos pensées ? Voyez donc : la férocité est naturelle au lion, la douceur est une exception contraire à sa nature ; tandis que, chez vous, la bonté est naturelle, c’est la férocité qui est contraire à votre nature. Eh bien ! vous qui chassez, de l’âme d’une bête, ce qui lui est naturel, pour y insérer ce qui est contraire à votre nature, vous ne pourrez pas dans votre âme, à vous, conserver ce qui est conforme à votre nature ? Comment ne pas voir là une honteuse indifférence ? Car, en ce qui concerne l’âme du lion, outre la difficulté que je viens de dire, il en est une autre. En effet l’âme de la bête n’est pas capable de raisonnement, et cependant vous avez vu souvent des lions, plus doux que des brebis ; conduits sur les places publiques ; on en voit un grand nombre dans les boutiques, compter de l’argent à leur gardien comme pour le payer de l’adresse, de l’habileté avec laquelle il a su apprivoiser un être dépourvu de raison. Mais, dans votre âme, il y a, et la raison, et la crainte de Dieu, et mille ressources d’un grand secours. Cessez donc d’opposer des prétextes et des excuses ; vous pouvez, si vous voulez, devenir doux et bons. Faisons l’homme à notre image et ressemblance et qu’il domine sur les animaux. 2. Ici, les Gentils nous attaquent, et prétendent que nous sommes dans l’erreur ; que nous ne commandons pas aux animaux, que ce sont eux qui nous commandent par l’épouvante qu’ils nous inspirent ; rien n’est plus contraire à la vérité. Il suffit à l’homme de montrer sa face aux animaux, pour leur faire prendre la fuite, tant est grande la terreur que nous leur inspirons. S’il arrive que, pour se venger, ou encore parce que la faim les presse, ou encore parce que nous les réduisons à quelque extrémité, parce que nous leur faisons violence, ils se jettent sur nous, on ne peut pas dire, en vérité, pour ces raisons, qu’ils nous dominent. Supposez un homme qui s’arme à la vue des brigands fondant sur lui, un homme qui s’apprête à se défendre, on n’appellera pas cela de la domination, mais le soin de sa propre défense. Cependant je ne tiens pas à cette observation, j’en veux une autre qu’il vous sera utile d’entendre. Nous craignons les animaux, ils nous épouvantent, et nous sommes déchus de notre domination ; je n’en disconviens pas ; je m’empresse, au contraire, de le reconnaître, Ce fait pourtant ne prouve pas que la loi de Dieu soit trompeuse. Les choses, en effet, ne se passaient pas, ainsi, dans le principe. Alors les animaux craignaient l’homme ; et tremblaient devant lui, et se soumettaient à lui, comme à leur maître ; mais, parce que nous avons perdu la confiance que l’innocence nous donnait, parce que nous sommes déchus, il nous est arrivé qu’aujourd’hui, nous redoutons les animaux. La preuve ? Dieu amena les animaux devant Adam, pour voir comment il les appellerait. (Gen 2,19) Et Adam ne sauta pas en arrière comme effrayé, mais il donna, à tous les animaux, leur, nom, comme à des serviteurs rangés sous sa loi ; voilà la marque de la domination. C’est pourquoi Dieu, voulant manifester la dignité de l’homme, par cette prérogative, lui permit d’imposer les noms qu’il voudrait, et les noms imposés par Adam, leur sont restés depuis ces temps anciens. Et le nom qu’Adam donna à chacun des animaux est son nom véritable. Voilà donc une première preuve, qui montre qu’au commencement, l’homme ne craignait pas les animaux. En voici une seconde, plus claire encore que la première, l’entretien de la femme avec le serpent. Si les animaux eussent paru redoutables au premier homme, la femme, à la vue du serpent, ne serait pas restée près de lui ; elle aurait pris la fuite ; elle n’aurait pas écouté son conseil ; elle n’aurait pas conversé si tranquillement avec lui ; tout de suite, épouvantée à son aspect, elle aurait pris la fuite. Au contraire, elle converse avec lui, et elle ne le craint pas, parce qu’il n’inspirait pas encore l’épouvante. Mais, quand le péché fut entré dans le monde, notre privilège nous fut enlevé ; de même que, parmi les serviteurs, les plus honnêtes, les plus distingués, sont redoutés de leurs compagnons, tandis que ceux qui ont offensé leur maître, craignent ces compagnons de leur domesticité ; de même, tant que l’homme conserva intacte la vertu qui faisait sa confiance auprès de Dieu, il fut terrible aux animaux ; mais dès qu’il eut offensé Dieu, il commença à redouter même le dernier de ses compagnons d’esclavage. S’il n’en est pas ainsi, montrez-moi donc, avant le péché, les animaux redoutés par l’homme ; impossible à vous. Si la crainte est venue après le péché, c’est encore là une preuve de la sollicitude de Dieu pour nous ; car, si, après l’infraction à la loi de Dieu, l’homme eût conservé intact l’honneur que Dieu lui avait conféré, il ne lui aurait pas été facile de se relever de sa chute. Quand on voit la désobéissance et l’obéissance jouir des mêmes honneurs, la perversité s’accroît et l’on ne se corrige pas facilement de ses vices. Si les méchants, malgré leur terreur, les châtiments et les supplices imminents ; ne viennent pas à résipiscence, que serait-il, qu’arriverait-il s’ils n’avaient rien à souffrir pour leurs méfaits ? Ainsi, en nous enlevant notre domination, Dieu nous a montré, d’une manière particulière, sa sollicitude pour nous. Ce n’est pas tout. Voyez encore éclater ici son ineffable bonté ; Adam a violé tout à fait la défense, transgressé tout à fait la loi ; mais Dieu ne lui a pas enlevé tout à fait son privilège ; il ne lui a pas repris tout à fait son pouvoir ; il s’est contenté de supprimer son empire sur les animaux qui ne lui sont pas d’un grand secours pour les besoins de la vie. Quant à ceux qui nous sont nécessaires, utiles, qui nous rendent de grands services, Dieu a permis qu’ils nous fussent assujettis. Il nous a laissé les troupeaux de bœufs, pour tirer la charrue, pour creuser nos sillons, pour ensemencer la terre ; il nous a laissé ceux qu’on met sous le joug, pour porter avec nous nos fardeaux, et partager nos fatigues ; il nous a laissé les troupeaux de brebis, pour nous fournir nos vêtements à suffisance ; il nous a laissé d’autres espèces d’animaux, qui nous sont d’une grande utilité, pour différents besoins. Sans doute en punissant l’homme, Dieu avait dit : Vous mangerez votre pain à la sueur de votre front (Gen 3,19), mais Dieu n’a pas voulu que cette sueur, que la fatigue, que la peine fût insupportable ; et cette sueur importune, ce labeur pesant, il en adoucit le poids par la multitude des bêtes de somme qui travaillent avec nous, et partagent nos fatigues. Comme un maître clément et sage, après avoir flagellé son serviteur, prend soin d’adoucir la souffrance causée par les verges, ainsi, après que Dieu eut infligé à l’homme coupable son châtiment, il a voulu, par tous les moyens, rendre ce châtiment plus léger ; en nous condamnant pour toujours, à la sueur et au travail, il a pourvu à ce que notre travail fût soulagé par un grand nombre d’animaux. Pour toutes ces choses, bénissons le Seigneur. L’honneur qu’il nous a conféré, qu’il nous a enlevé plus tard, sans nous l’enlever tout entier, la frayeur qu’il nous a inspirée à l’égard des animaux, tout ce que Dieu a fait, révèle, à un esprit attentif, la grandeur de sa sagesse, la grandeur de sa sollicitude, la grandeur de sa clémente. Puissions-nous tous jouir éternellement, de cette clémence, pour la gloire du Dieu quia si bien fait toutes ces choses ! A lui la gloire, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.