Genesis 17
TRENTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.
Quand Abraham eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut (Gen 17,1) ANALYSE.
- 1. Quand Dieu parle et promet, l’homme doit lui accorder tonte confiance. Nous ne devons point mesurer ses œuvres à notre faiblesse. – 2. Pourquoi Dieu, en temporisant, a-t-il éprouvé Abraham ? Comment doit s’entendre ce mot : apparut ? – 3. Étymologie des noms d’Abraham et de Noé. Les infidèles prophétisent. – 4. Raison de la circoncision. Que la circoncision ne confère aucun bien spirituel. – 5. Exhortation.
1. Vous avez vu, mes bien-aimés, qu’il n’y a rien d’inutile dans l’Écriture sainte, et que nous avons tiré hier un grand profit de l’histoire d’Agar fugitive. Nous, avons connu la grande douceur du patriarche, l’excès de sa continence, le respect qu’il montra à Sara, et l’estime qu’il faisait de la concorde au-dessus de tous les autres biens. Nous avons vu la bonté infinie de Dieu qui, par égard pour le patriarche, non seulement ramène Agar errant dans le désert où elle s’était enfuie par crainte de sa maîtresse, mais la rend mère d’Ismaël, afin de consoler le juste et de le récompenser de sa patience. Quand Ismaël fut venu au monde, l’Écriture sainte, voulant nous donner l’âge du Patriarche, et nous indiquer le nombre de ses années, nous dit : Quand Ismaël vint au monde, Abram avait quatre-vingt-six ans. (Gen 16) Voyons ici, comme nous le vérifierons par la suite, l’admirable patience du juste, et la bonté inouïe et infinie du Seigneur. Nous en serons convaincus, si nous pouvons calculer l’âge du juste ; nous reconnaîtrons que la bonté de Dieu dispose tout en sa faveur et le met à l’épreuve en toute occasion pour mieux faire éclater sa piété. Il prévoyait la reconnaissance de son serviteur, appréciait toute la beauté de son âme et la pureté de cette perle si précieuse, mais il voulait la faire briller maintenant même, devant nos yeux, pour que la vertu du juste laissât à la postérité un modèle à imiter pour notre émulation. Aussi nous dévoile-t-il peu à peu le trésor de vertu de ce juste, pour que nous apprenions nous-mêmes à ne jamais manquer de confiance dans les prédictions divines, à ne pas nous décourager dans l’attente, mais à mettre moins d’espoir dans les choses que l’on voit et que l’on touche, que dans les choses invisibles, dès que c’est Dieu qui les a promises. Nous comprenons ainsi que les prédictions divines ne peuvent jamais manquer de s’accomplir ; si pendant longtemps elles ne se réalisent pas, nous ne devons point nous en embarrasser l’esprit, mais penser à la puissance irrésistible et invincible de celui qui les a faites, et nous dire que tout ce qu’il voudra se fera, puisque tout lui cède et lui obéit. En effet, puisqu’il est le Maître et le Créateur de la nature, il peut aussi nous accorder des choses surnaturelles. N’allons point mesurer les œuvres de Dieu à notre faiblesse et nous, tourmenter des lois de la nature ; mais, en fidèles serviteurs, reconnaissons le pouvoir immense de Notre-Seigneur, croyons à ses promesses et mettonsn-ous au-dessus de notre faiblesse naturelle pour jouir des faveurs qui nous sont annoncées, mériter sa bienveillance et l’honorer de toutes nos forces. Car le plus grand honneur que nous puissions lui rendre, c’est de nous confier à sa puissance, quand même les yeux de notre chair nous feraient voir le contraire. Et comment s’étonner que le plus grand hommage rendu à Dieu soit de rejeter le doute ? Avec nos semblables, lorsqu’ils nous font des promesses sujettes au changement des choses périssables, si nous n’en doutons point, si nous y avons confiance, cette absence de doute, cette confiance sont regardées comme le plus grand honneur que nous puissions leur faire. S’il en est ainsi à l’égard des hommes si changeants et si impuissants, ne devons-nous pas croire bien mieux encore à ce qui nous est annoncé par Dieu, même quand ses promesses ne doivent se réaliser qu’après un long intervalle de temps ? Ce n’est pas sans raison que je vous parle ainsi, c’est afin de vous mettre à même, lorsque nous aborderons la lecture d’aujourd’hui, de comprendre comment le bon Dieu, voulant illustrer le patriarche, – exerce sa patience pendant tant d’années durant lesquelles celui-ci ne s’abandonnait point au chagrin, à l’indifférence, au désespoir, mais nourrissait toujours sa piété par son espérance. Or, pour apprécier toute la vertu du patriarche, il est bon de savoir combien il a vécu. C’est ce que nous dit clairement le bienheureux Moïse, inspiré du Saint-Esprit. Que dit-il donc ? Quand le juste eut obéi aux ordres de Dieu et quitté Charran pour aller dans la terre de Chanaan, il avait soixante-dix ans. Aussitôt qu’il fut venu dans cette terre, Dieu lui promit qu’il la donnerait tout entière à sa race, laquelle se multiplierait 'au point d’être innombrable comme le sable et les étoiles. Après cette promesse, il arriva au juste bien des aventures, sa descente en Égypte à cause de la famine, l’enlèvement de Sara, suivi aussitôt d’un effet de la divine providence, son retour d’Égypte, la nouvelle insulte que reçoit Sara du roi des Gérariens et le secours que Dieu leur donne encore. Eh bien ! le juste voyant que tant d’événements contraires succédaient à cette promesse, n’avait aucune inquiétude et ne se demandait point pourquoi toutes ces assurances ne le préservaient pas de mille contrariétés, et pourquoi il restait si longtemps sans enfants. Rempli de piété, il ne voulait pas soumettre les actions de Dieu à la raison humaine, mais il s’y résignait et acceptait avec plaisir tout ce qui plaisait à Dieu. 2. Dix ans après il regarda Ismaël comme l’enfant pour lequel la prédiction devait s’accomplir. Car le patriarche, à la naissance d’Ismaël, avait quatre-vingt-six ans. Mais le bon Dieu exerce encore sa patience pendant treize ans, jusqu’à l’accomplissement de sa promesse. Il savait, en effet, que, l’or se purifiant avec le temps dans la fournaise, la vertu du juste prenait aussi plus de gloire et d’éclat. Quand Abram eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut de nouveau. Et pourquoi cette longue attente ? Pour nous faire connaître, non seulement la vertu du juste et sa patience, mais aussi la grandeur de la puissance divine. Mais il faut entendre les paroles mêmes de Dieu. Quand il eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut et lui dit : Par ces mots lui apparut, n’entendez rien de matériel, et ne croyez pas que les yeux de la chair puissent voir la puissance divine et immuable, mais considérez tout religieusement. Dieu lui apparut, c’est-à-dire, daigna communiquer avec lui, et le jugea digne de sa providence, en s’abaissant jusqu’à lui parler : Je suis ton Dieu, cherche à me plaire et à être irréprochable ; je mettrai mon alliance entre toi et moi, et je te multiplierai abondamment. Et Abram tomba sur sa face. Quelle reconnaissance de la part du juste, quelle bonté de la part de Dieu ! Je suis ton Dieu. C’est comme s’il disait : c’est moi qui ai veillé sur toi jusqu’à présent ; c’est moi qui t’ai amené de ton pays jusqu’ici, qui t’ai soutenu dans tous les temps, et qui t’ai rendu vainqueur de tes ennemis : c’est moi qui ai fait cela ! Il ne dit pas je suis Dieu, mais je suis ton Dieu. Voyez quelle immense bonté ! comme par l’addition de ce mot, il exprime son amour pour le juste ! C’est le Dieu de toute la terre, l’ouvrier dont la main a tout fait, le Créateur du ciel et de la terre, c’est lui-même qui dit Je suis ton Dieu ! quel honneur pour le juste ! c’est ainsi qu’il parle aux prophètes. Sans douté, alors et maintenant, il est le Seigneur de tous, et néanmoins il daigne se désigner par le nom d’un serviteur, et nous l’entendrons dire encore : Je suis le Dieu d' Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. (Exo 3,6) Aussi les prophètes disent d’ordinaire : Dieu, mon Dieu, non pour restreindre dans les limites de leur propre personne, la domination de Dieu, mais pour montrer jusqu’où allait leur amour. Cela ne doit pas nous étonner de la part des hommes, mais de la part de Dieu lui-même cela peut nous paraître étrange et extraordinaire. N’en soyons pas surpris, mes bien-aimés, mais écoutons les paroles du Prophète : Mieux vaut, un seul homme qui observe la volonté du Seigneur, que mille qui la transgressent (Sir 16,3) ; écoutons, aussi les paroles de saint Paul : Ils portaient des peaux de brebis, de chèvres, ils étaient indigents, tourmentés, affligés, et le monde n’était pas digne de les posséder. (Heb 11,37-38) Ainsi le Prophète dit qu’un seul homme faisant la volonté de Dieu vaut mieux que mille qui s’en écartent, et saint Paul, le docteur de la terre, rappelant tous les hommes de bien dont il connaît les souffrances, dit encore : Le monde n’était pas digne de les posséder. D’un côté il met le monde entier, de l’autre ceux qui souffrent pour nous apprendre toute la puissance de la vertu. Aussi le Créateur dit au patriarche : Je suis ton Dieu ; cherche â me plaire et à être irréprochable. Je te tiendrai compte des efforts de ta vertu ; je ferai une alliance entre toi et moi, et je te multiplierai abondamment, non seulement je te multiplierai, mais, abondamment, ce qui indique une grande postérité : ce qu’il avait exprimé antérieurement par la comparaison du sable et des astres, il l’exprime maintenant par ce mot abondamment. Ce serviteur pieux et reconnaissant, voyant que Dieu s’abaissait jusqu’à prendre un soin pareil, fut ému en songeant à la faiblesse de sa nature, à la bonté de Dieu, et à sa puissance infinie. Il tomba sur sa face ; ce qui montrait bien toute sa reconnaissance. Une pareille faveur ne lui inspira pas d’arrogante ni d’orgueil, mais une nouvelle humilité Il tomba sur sa face. Telle est la véritable reconnaissance qui honore Dieu d’autant plus qu’elle en est plus favorisée. Il tomba sur sa face. Le juste n’osait plus jeter les yeux sur lui-même et sur la faiblesse de sa nature ; il n’osait se relever, mais son abaissement montrait son respect : voyez maintenant combien Dieu l’appréciait. Dieu lui parla, disant : J’ai fait une alliance avec toi et tu seras le père d’une multitude de nations : tu ne t’appelleras plus Abram, mais Abraham, parce que je t’ai établi pour être le père de plusieurs peuples, et je te ferai croître : je ferai sortir de toi des nations et même des rois. 3. Considérez, mes bien-aimés, la clarté de ces prédictions faites au juste ; voyez que pour les confirmer, il ajoute une lettre à son nom, et dit : Tu seras le père d’une multitude de nations : tu ne t’appelleras plus Abram, mais Abraham, parce que je t’ai établi pour être le père de plusieurs peuples. En effet, son premier nom indique ses voyages (car Abram signifie voyageur, comme le savent ceux qui connaissent l’hébreu) ; ses parents l’avaient appelé ainsi quand il partit pour la terre de Chanaan. On dira peut-être : ses parents étant infidèles, d’où leur venait cette prescience d’indiquer l’avenir parle nom qu’ils donnaient ? C’est là une ressource de la sagesse de Dieu, qui agit souvent par l’entremise des infidèles et nous en trouvons bien d’autres exemples. Le premier qui nous vient à l’esprit est le nom de Noé. Ce n’est pas sans raison, ni au hasard que ses parents lui avaient donné ce nom ; ils présageaient que, dans cinq cents ans, devait venir le déluge. Ce n’est pas que son père fût lui-même un juste parce qu’il a donné ce nom à son fils, car l’Écriture sainte nous apprend que dans cette génération, Noé seul fut un juste accompli. (Gen 6,9) Si son père Lamech lui avait offert le modèle des vertus, l’Écriture ne l’aurait point passé sous silence, et n’aurait pas dit : Noé seul était juste. Voulant donner un nom à son fils, il dit : Il s’appellera Noé ; il nous donnera le repos après nos travaux et la fatigue de nos mains, sur cette terre que le Seigneur Dieu a maudite. (Gen 5,29) D’où venait, dites-moi, cette prescience d’un avenir si éloigné ? Il s’appellera Noé ; il nous donnera le repos, Noé, en hébreu, signifie, repos. C’était lui, lorsque la terre serait envahie par le déluge, qui devait seul se sauver et renouveler la race humaine aussi est-il dit : il nous donnera le repos ; ce mot de repos signifiant ici le déluge. En effet, la terre était comme fatiguée par la perversité de ses habitants qu’elle supportait avec peine, lorsque le déluge, par la terrible invasion des eaux, mit fin à cette perversité, délivra la terre de la souillure de ses habitants et les punit en lui donnant le repos : Car la mort est le repos pour l’homme. (Job 3,23) Vous voyez donc que Dieu fait souvent prédire même par les infidèles. Quant au nom que les parents du patriarche lui avaient donné, on en sait la cause dès l’origine, lorsqu’il passa le fleuve pour aller dans une terre étrangère. Maintenant Dieu lui dit : tes parents t’ont donné ce nom pour présager que tu devais venir ici : j’y ajoute une lettre pour t’apprendre que tu seras père d’une multitude de nations. Voyez quelle précision dans ces paroles. Il ne dit pas de toutes les nations, mais : d’une multitude de nations. Comme d’autres peuples devaient être mis à l’écart, pour que la race du juste eût seule part à son héritage, Dieu dit : Je t’ai établi pour être père dune multitude de nations ; connaissant toute ta vertu je me servirai de toi pour instruire le monde : je te multiplierai de plus en plus et je ferai sortir de toi des peuples et même des rois. Arrêtons-nous sur ces paroles, mes bien-aimés. En songeant à l’âge du juste et à son extrême vieillesse, nous admirerons sa foi et la puissance de Dieu d’un homme déjà mort, pour ainsi dire, et impuissant en apparence, qui devait avoir toujours la mort devant les yeux, Dieu prédit qu’il sortira une race innombrable et plusieurs nations, même jusqu’à des rois. Voyez l’étendue de ces promesses : Je te multiplierai de plus en plus. Ce mot est répété pour indiquer l’immense multitude qui doit naître du juste. Ainsi l’addition d’une lettre est comme une colonne où Dieu inscrit sa promesse, et il dit de nouveau : Je ferai une alliance entre toi et moi, et avec ta postérité après toi dans toutes les générations ; comme une alliance éternelle, pour que je sois ton Dieu. non seulement je t’accorderai ma protection, mais aussi à ta race et après ta mort. Voyez comme il relève d’esprit du juste en lui promettant qu’il soutiendra toujours ses descendants. Et pourquoi cette alliance ? Pour que je sois ton Dieu, et celui de ta race après toi. Ce sera pour toi et ta race le comble de l’honneur. Je te donnerai à toi et à ta race la terre que tu habites, toute la terre de Chanaan, en possession perpétuelle, et je serai leur Dieu. Grâce à ta vertu, tes descendants jouiront de ma providence et je leur donnerai en possession perpétuelle cette terre de Chanaan, et je serai leur Dieu. Que veut dire, je serai leur Dieu ? Cela signifie : J’étendrai sur eux mes soins et ma protection et je combattrai toujours avec eux. Seulement tu garderas mon alliance, toi et ta postérité après toi dans toutes les générations. Je ne vous demande rien que l’obéissance et la reconnaissance, et j’accomplirai toutes mes promesses. 4. Voulant se faire un peuple à lui des fils du patriarche et les empêcher de se mêler, après qu’ils se seraient multipliés, aux nations dont ils devaient recueillir l’héritage ; voulant aussi éviter ce mélange en Égypte, où, d’après sa prédiction, ils devaient être asservis, il ordonne au juste la circoncision, comme signe de reconnaissance, et lui dit : Voici mon alliance que tu garderas entre moi et toi, ainsi que ta race pendant toutes les générations. Que chaque mâle soit circoncis. Vous circoncirez la chair de votre prépuce. Ensuite pour leur enseigner, ainsi qu’à nous tous, la raison de cet ordre, qui n’avait d’autre cause que de se faire un peuple réservé et mis à part, il dit : Ce sera la marque de l’alliance entre moi et vous. Après cela, il indique le temps où cela doit se faire : Circoncisez le garçon de huit jours, le serviteur né dans la maison, ou l’esclave acheté ; en un mot, tous ceux qui sont avec vous recevront cette marque. Celui qui n’aura pas été circoncis dans le temps prescrit périra, parce qu’il aura violé mon alliance. Voyez la sagesse du Seigneur ! comme il connaissait l’imperfection des hommes à venir, il leur impose comme un frein cette marque de la circoncision, pour dompter leurs mauvais penchants et les empêcher de se mêler aux autres nations. Il connaissait leur penchant au mal, et savait que, malgré une foule d’avertissements, leurs mauvaises passions ne seraient point enchaînées. Aussi, comme souvenir impérissable, il leur imposa ce signe de la circoncision, comme un lien qui les soumît à des lois infranchissables, pour rester fidèles à leur nation et ne jamais se mêler aux autres peuples, afin que la race du patriarche restât pure et reçût l’accomplissement des promesses divines. De même qu’un homme doux et sage qui a une servante portée à désobéir, lui donne l’ordre précis de ne point quitter la maison, et que quelquefois même il l’enchaîne pour contenir son instinct vagabond ; de même Dieu, dans sa bonté, leur imposa le signe de la circoncision comme une entrave, afin que cette marque particulière les empêchât d’aller rien chercher chez les autres. Mais les Juifs ingrats et insensés veulent garder encore la circoncision dont il n’est plus besoin, et montrent ainsi leur puérilité. En effet, pour quelle raison, dites-moi, veulent-ils maintenant être circoncis ? Alors ils avaient reçu ce précepte pour ne pas se mêler aux nations impies, mais maintenant que la grâce de Dieu les a toutes amenées à la lumière de la vérité, à quoi sert la circoncision ? Cet enlèvement d’un morceau de chair peut-il servir à délivrer notre âme ? N’ont-ils donc pas compris que si Dieu leur disait : ce sera le signe de l’alliance, il voulait dire que leur faiblesse réclamait une marque particulière ? C’est ce qui arrive d’ordinaire dans les choses humaines. Quand nous doutons de quelqu’un, nous réclamons une preuve qui nous assure de sa bonne foi. De même le Tout-Puissant, connaissant l’inconstance de leur esprit, exigea d’eux ce signe, non pour le conserver toujours, mais pour qu’il disparût quand la loi antique aurait pris fin et que ce signe serait devenu inutile. Ceux qui ont réclamé une preuve de bonne foi la laissent de côté quand l’affaire est terminée ; de même ici, cette marque avait été introduite parmi vous pour distinguer la postérité du patriarche ; mais après que ces nations dont vous étiez ainsi séparées ont été, les unes détruites, les autres appelées au grand jour de la vérité, cessez de porter la preuve de votre faiblesse et revenez à votre nature primitive. Songez en effet que cet homme admirable, c’est-à-dire le patriarche, avant d’avoir reçu l’ordre de la circoncision (il était alors âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans), avait été agréable à Dieu et avait été mille fois loué par le Seigneur. Maintenant que les promesses allaient s’accomplir, qu’Isaac allait venir au monde, que la race allait s’accroître et que le patriarche approchait de sa fin, il reçoit le précepte de, la circoncision, et lui-même s’y soumet à son âge, afin que son exemple devienne une règle pour ses descendants. 5. Les faits eux-mêmes vous montreront, mes bien-aimés, que cet usage ne sert en rien à l’âme. Que dit Dieu ? Le garçon de huit jours sera circoncis. Je crois qu’il a eu deux raisons de prescrire ce terme ; l’une parce que, dans un âge si tendre, l’opération est moins douloureuse ; l’autre, pour indiquer que ce n’est qu’une marque, sans utilité pour l’âme. L’enfant nouveau-né, qui ne connaît et ne comprend rien, quel avantage peut-il en recevoir ? Ce qui peut être bon pour l’âme lui arrive par son propre choix. Ce qui est bon pour l’âme, c’est de préférer la vertu au vice, c’est de ne désirer que le nécessaire, et de distribuer le superflu aux indigents ; ce qui est bon pour l’âme, c’est de ne pas s’attacher au présent et même de le mépriser, en pensant toujours à l’avenir. Quel bien peut-il y avoir dans un signe charnel ? Mais les Juifs ingrats et insensés, quand la vérité a passé, restent encore dans l’ombre ; tandis que le Soleil de la justice s’est levé et a répandu partout ses rayons, ils ne s’éclairent qu’à la lueur de leur lampe ; lorsqu’il est temps de goûter des aliments solides, ils se nourrissent encore de lait et ne veulent pas entendre la voix de saint Paul, qui leur dit d’une manière si puissante, au sujet de leur patriarche : Il reçut la marque de la circoncision comme le signe de la justice qu’il avait eue par la foi. (Rom 4,11) Voyez comme l’Apôtre nous montre que ce n’était qu’un signe, et que cette circoncision montrait que sa foi l’avait justifié. Qu’un juif n’ose pas nous dire : n’est-ce point la circoncision qui l’a justifié ? le même saint, élevé par Gamaliel (Act 22,3) et, connaissant si profondément la loi, lui dira : Ne croyez pas, juifs impudents, que la circoncision fasse quelque chose pour justifier, car, avant ce temps, Abraham crut à Dieu et sa foi lui fut réputée à justice. (Rom 4,3) C’est donc après avoir été justifié par sa foi qu’il reçut la circoncision. Dieu commence par ajouter une lettre à son nom, puis lui ordonne de se circoncire, ce qui montre que le Seigneur l’a adopté pour sa vertu, ainsi que sa postérité. De même que celui qui a acheté un esclave, change souvent son nom et son costume, pour constater qu’il en est le maître et qu’il peut lui commander ; de même le Seigneur de toutes choses, voulant distinguer le patriarche des autres hommes, ajoute une lettre à son nom pour faire voir qu’il sera père d’une multitude infinie, puis il le fait circoncire pour le séparer, ainsi que son peuple, des autres nations. Ceux dont l’aveuglement veut encore la conserver, n’écoutent pas ces autres paroles de saint Paul : Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. (Gal 5, 2) En effet, le Seigneur est venu pour supprimer cette pratique, et la loi étant accomplie, l’observation de la loi doit finir ; aussi saint Paul dit-il : Si vous vous justifiez par la loi, vous perdez la grâce. (Gal 5,4) Obéissons donc à ce saint, et ne pratiquons plus la circoncision, car il a dit : Vous avez été circoncis, non point dans la chair, mais par le retranchement des péchés de la chair ; c’est la circoncision du Christ. (Col 2, 11) Ce signe de la circoncision séparait les Juifs des autres nations, et montrait que Dieu les avait choisis en particulier ; de même notre circoncision parle baptême montre mieux la séparation des fidèles et des infidèles. Nous ne sommes point circoncis dans la chair, mais par le retranchement des péchés de la chair. Car ce que faisait la circoncision de la chair, le baptême le fait en supprimant nos péchés. Une fois que nous nous en sommes dépouillés et que nous avons revêtu la robe de pureté, persévérons, mes bien-aimés, dans cette pureté, et restons supérieurs aux affections de la chair, en embrassant la vertu. Et nous, qui sommes sous la grâce, prenons pour modèle celui qui a vécu sous la loi et même avant la loi. En dirigeant notre vie d’après la sienne, nous mériterons de nous retrouver dans son sein et de jouir des biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. NEUVIÈME DISCOURS.
De quelle manière il faut reprendre ses frères, et qu’il convient d’avoir soin de leur salut ; – et pourquoi Abram a été appelé Abraham. – Réflexions sur le nom de Noé : que les noms de ces hommes justes ne leur ont pas été donnés au hasard, mais par une disposition de la providence de Dieu. AVERTISSEMENT &ANALYSE.
Ce discours, quoique prononcé longtemps après les huit précédents, qui l’ont été en 386, a été placé ici à cause de la ressemblance des matières. Il fut fait la même année que les 32 premières homélies sur la Genèse, que les homélies sur le commencement des Actes et sur les changements de noms. Quelle est cette année ? c’est ce que nous n’avons pas encore pu découvrir ; nous savons seulement que cette année, quelle qu’elle soit, est postérieure à 387. Ce discours suivit immédiatement la seconde homélie sur les changements de noms. L’exorde, comme ceux des deux précédents, en ayant été très long, le peuple d’Antioche s’en plaignit, et ses plaintes furent l’occasion de l’homélie De ferendis reprehensionibus, qui figure parmi les homélies sur les changements de noms. - 1. L’orateur se croit obligé de résumer sa dernière instruction en faveur de ceux qui ne l’ont pas entendue ; si ceux qui l’ont entendue s’en plaignent, qu’ils sachent que le zèle doit être tempéré par la miséricorde. L’homme spirituel est celui qui porte secours à son prochain. – 2. La mutuelle charité est le signe distinctif des chrétiens. – 3. Résumé de la deuxième homélie sur les changements de noms. Abraham fut aussi parfait que les disciples de Jésus-Christ. – 4. La foi d’Abraham trouva sa récompense dans l’accomplissement des promesses de Dieu, plus sûres que les réalités de ce monde. – 5. L’orateur résume la doctrine qu’il a déduite de l’histoire d’Abraham. Les fils ne sont pas coupables de l’iniquité de leurs pères : devoirs des fils envers leurs parents lorsque ceux-ci sont infidèles. Le libre arbitre. Interprétation du nom de Noé.
1. Si vous pouviez savoir, ce que nous avons dit précédemment, ce que nous avons laissé de côté, où s’est arrêté notre discours d’hier, par où il convient de commencer le discours d’aujourd’hui, nous rattacherions sans préambule nos premières paroles à celles que nous avons prononcées hier, en terminant. Mais, comme un grand nombre de nos auditeurs d’hier sont absents aujourd’hui, que, parmi ceux qui sont aujourd’hui présents, un grand nombre ne nous ont pas entendu hier, la diversité de nos auditeurs nous force de reprendre ce que nous avons expliqué. Il en résultera que ceux qui nous ont déjà entendu, conserveront mieux le souvenir de nos paroles ; que ceux qui furent absents hier, n’auront pas fout perdu, grâce à l’exposition qui leur résumera l’enseignement déjà donné. Peut-être ceux qui ne manquent jamais à nos réunions, prétendront-ils que nous ne devrions pas, en considération des absents, reprendre ce que nous avons déjà dit ; qu’il serait bon au contraire de corriger ceux qui ont dédaigné de venir, en leur laissant subir une perte qui les rendrait à l’avenir plus diligents. Je vous félicite de vous montrer ainsi affligés de la négligence de vos frères, et j’admire votre zèle ; mais je veux que votre zèle soit tempéré par la charité. En effet ; un zèle qui ne pardonne pas, est plutôt de la colère que du zèle ; un avertissement sans douceur, est une espèce de haine. C’est pourquoi je vous prie de ne pas censurer avec amertume les péchés d’autrui ; car, de même que celui qui voit sans être ému de pitié, les blessures de ses frères, sera traité sans indulgence, quand il tombera lui-même dans le péché ; de même, l’homme miséricordieux que touche la pitié, quand le prochain succombe, trouvera lui-même, s’il vient à tomber, un grand nombre d’amis pour lui tendre la main. Et ce que je dis maintenant, ce n’est pas afin d’encourager la négligence de ceux qui se montrent rarement au milieu de nous ; mais c’est que je désire voir s’augmenter notre zèle pour eux, de telle sorte que notre sollicitude soit un tempérament de sagesse et d’affection. Je sais bien d’ailleurs, que nous aussi, ces jours passés, nous avons prononcé contre eux grand nombre de longs discours et nous avons dit qu’ils ne méritaient pas d’être appelés des hommes. Vous vous souvenez que nous avons suscité contre eux les prophètes, deux surtout, dont l’un dit ces paroles : Je suis venu, et il ne s’est point trouvé d’hommes ; j’ai appelé, et il ne s’est pas trouvé d’auditeur. (Isa 50,2) Un autre prophète s’écrie et dit : A qui adresserai-je ma parole et qui conjurerai-je de m’écouter ? Leurs oreilles sont incirconcises et ils ne peuvent entendre. (Jer 6,10) Par ces paroles, nous les avons assez sévèrement traités ; mais à présent, nous prenons un autre langage et nous leur adressons des prières ; car, c’est Paul qui nous en donne le conseil : Reprenez, dit-il, réprimandez, suppliez. (2Ti 4,2) Et en effet, il ne faut pas se borner toujours, soit à la réprimande soit à la prière qui supplie, mais il faut employer alternativement la réprimande et la prière, afin qu’il en résulte une plus grande utilité. Si nous ne faisions jamais que les réprimander, ils perdraient, de plus en plus, toute honte ; si nous ne faisions jamais que supplier, ils deviendraient de plus en plus relâchés. Les médecins le savent bien : ils ne se bornent pas à couper les chairs, mais ils pansent aussi les blessures ; ils ne prescrivent pas toujours des breuvages amers, mais parfois des potions agréables. Ces amers breuvages purifient lé sang ; les potions plus douces calment les douleurs, et voilà pourquoi, dans un autre endroit, Paul dit encore : Mes frères, si un homme est tombé par surprise en quelque péché, vous autres qui êtes spirituels, ayez soin de lé relever, dans un, esprit de douceur, chacun de vous faisant réflexion sur soi-même et craignant d’être tenté, aussi bien que lui. (Gal 6,1) Avertissement excellent ; conseil parfait, qui montre les entrailles d’un père ; digne de sa grande sollicitude pour nous ; Mes frères : voilà le vrai langage de Paul, voilà un titre suffisant pour conquérir la bienveillance de l’auditeur. C’est comme s’il disait : Vous êtes sortis des mêmes flancs, vous devez la vie aux mêmes douleurs, vous avez eu même nourriture, même père, qui vous a enfantés, par le spirituel enfantement ; montrez cette parenté, cette fraternité, même quand vous corrigez les péchés du prochain. Si un homme est tombé, par surprise. Il ne dit pas : Si un homme a péché, mais il s’empresse de montrer un genre de péché qui mérite particulièrement l’indulgence. Si un homme est tombé par surprise, c’est-à-dire, a succombé à une tentation forte, s’est égaré ; il n’entend pas celui qui a péché de propos délibéré, mais celui qui, voulant bien faire, a été renversé, vaincu par le pouvoir du démon. Un tel homme mérite moins d’être accusé, que d’obtenir son pardon. Si un homme est tombé par surprise, un homme ; autre raison d’excusé, la faiblesse de la nature, qu’il s’est empressé d’indiquer par le mot homme. Donc, de même que cet homme d’un si grand cœur, Job, voulant se concilier la clémence de Dieu, disait : Qu’est-ce qui l’homme pour mériter que vous le regardiez comme quelque chose, et que vous observiez ses péchés ? de même, nous, à notre tour, hâtons-nous de dire, quand un homme est en cause pour ses péchés : c’est un homme, et tempérons, par la considération de la nature, l’excès de l’indignation. Voilà pourquoi Paul s’empresse d’indiquer l’infirmité de la nature, en disant : Si un homme est tombé, par surprise dans quelque péché. Il ne dit pas les grands péchés, qui ne méritent ni indulgence, ni pardon, mais les petits, où se font les faux pas. Vous qui êtes spirituels. Celui qui pèche, c’est l’homme ; mais ceux qui font les bonnes œuvres, il les nomme spirituels ; pour le pécheur, il emploie le terme qui marque la nature ; il applique aux autres le nom qui désigne la vertu. Il y a une grande différence entre l’homme, et l’être spirituel. Vous qui êtes spirituels. Si tu es spirituel, montre-moi ta force, non pas en opérant ton salut, mais en opérant mon salut, mais en m’apportant ton secours, à moi qui suis tombé. C’est là, en effet, le propre de celui qui est spirituel ; il ne dédaigne pas ses membres en péril. Ayez soin de le relever. Faites, dit-il, qu’on ne puisse pas le prendre, qu’il ne se fatigue pas en combattant, que, dans sa lutte contre le démon, il ne succombe pas. Chacun de vous, faisant réflexion sur soi-même, et craignant d’être tenté, aussi bien que lui. 2. Voilà le conseil par excellence, l’avertissement le plus puissant pour forcer la volonté. Fussiez-vous de pierre, quand vous entendez cette parole, elle suffit pour vous inspirer la terreur, pour vous exciter à secourir celui qui est tombé. Vous ne voulez pas, dit-il, avoir pitié, à titre de frères, vous ne voulez pas pardonner à ceux qui sont des hommes ? Vous ne voulez pas, à titre d’êtres spirituels, tendre la main aux malheureux ? Considérez votre condition, et vous n’aurez pas besoin qu’on vous conseille ; de vous-mêmes, vous porterez secours à celui que vous voyez par terre, et vous irez le consoler. Comment ? et pourquoi ? Chacun de vous faisant réflexion sur soi-même, et craignant d’être tenté, aussi bien que lui. Il ne dit pas : Car, après tout, vous commettrez, vous aussi, des péchés ; cette parole eût été trop dure ; mais que dit-il ? Craignant d’être tenté, aussi bien que lui. Il peut se faire en effet que vous commettiez des péchés ; il peut se faire aussi, que vous ne péchiez pas ; et parce que l’avenir est incertain, préparez pour vous-mêmes la réserve de la miséricorde, par votre charité envers le prochain, et vous retrouverez, si vous venez à faillir, l’abondance de miséricorde misé par vous en réserve. Il ne dit pas : Craignant de pécher aussi soi-même, craignant de tomber aussi soi-même ; faites bien attention, considérez la mesure juste des expressions ; mais, craignant d’être tenté aussi bien que lui ; ce qui indique, et que nous avons un ennemi particulier qui nous tente, et que ce tentateur n’a pas un moment fixe et déterminé pour nous tendre ses pièges. En effet ; la plupart du temps, c’est quand nous dormons, quand nous né sommes pas sur nos gardes, qu’il nous attaque, et voilà pourquoi celui qui est tombé par surprise ; est digne de pardon, c’est qu’il a été pris par le tentateur. Le combat n’était pas ostensible ; le jour de la bataille n’avait pas été désigné ; l’attaque a eu lieu à l’improviste, et voilà pourquoi le démon a eu le dessus. Tels sont les sentiments des matelots qui voguent sur le grand espace des mers ; ils ont beau avoir pour eux les vents favorables ; ils ont beau jouir d’une parfaite sécurité ; cependant, s’ils voient, de loin, un naufrage, ils ne se bornent pas à considérer leur propre utilité, sans s’occuper du désastre qui tombe sur autrui ; ils arrêtent leur navire, jettent l’ancre, ferlent les voiles, jettent des câbles, lancent au loin des planches, afin que celui qui est submergé par les flots saisisse un de ces moyens de salut, et puisse ainsi échapper au naufrage. Imitez les matelots, vous qui portez le nom d’homme-, vous voguez vous aussi, sur une vaste mer, c’est la vie présente ; et cette mer renferme des monstres sans nombre, des pirates ; cette mer a des écueils, et des récifs ; cette mer est troublée par les flots et par les tempêtes ; et souvent dans cette mer s’engloutissent un grand nombre de naufragés. Quand donc il vous arrive de voir quelque passager, victime de la malice du démon, perdant la richesse du salut, emporté par le tourbillon, prêt à être submergé, arrêtez votre navire, n’ayez plus de pensées que pour le malheureux ; attachez-vous, avant toutes choses,.à son salut ; ne pensez plus à vous, car il ne peut pas attendre, il ne peut pas souffrir de délai, celui qui est sur le point de s’engloutir ; arrivez, arrivez vite, arrachez-le vivement du tourbillon ; saisissez-vous de tous les câbles, pour le retirer de l’abîme de la perdition ; eussiez-vous mille et mille affaires, vous entraînant ailleurs, que rien ne paraisse plus pressant pour vous, que le salut de celui qui est dans la détresse ; si peu que vous vouliez différer, vous le trahissez, vous l’abandonnez à la rage de la tempête. Dans de si grands périls ; il faut de la promptitude et du zèle. Voyez l’empressement de Paul à la vue d’un homme que l’abîme allait dévorer : Je vous prie, dit-il, dé lui donner des preuves effectives de votre charité, de peur, qu’il ne soit accablé par un excès de tristesse. (2Co 2,7-8) Il veut qu’aussitôt on lui tende la main, de peur, que pendant que nous différons, l’infortuné ne soit dévoré par l’abîme. Soyons donc pleins de soucis pour, les intérêts de ceux qui sont nos frères. Voilà ce qu’il y a de principal, de principal dans notre conduite : ne pas considérer uniquement ces intérêts, mais corriger, fortifier ceux de nos membres que nous voyons pervertis. Voilà, de notre foi, la marque la plus éclatante ; c’est en cela, dit l’Évangile, que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. (Jn 13,35) La charité sincère ne se déclare pas par la communion à la même table ; par une courte parole ; par les flatteries des mots ; ce qui la prouve, c’est le zèle qui considère l’intérêt du prochain, qui relève celui qui a fait une chute ; qui tend la main à celui qui est par terre, sans plus penser à son propre salut ; qui recherche, avant son propre bien, le bien d’autrui. Voilà la vraie charité : car celui qui a la charité, ne regarde pas son intérêt propre ; il considère d’abord l’intérêt du prochain, et, par l’intérêt d’autrui, il assure son propre intérêt. (1Co 13, 5) Et moi-même, maintenant, que fais-je ? Ce n’est pas pour moi que je prolonge ces longs discours, c’est pour vous. Donc vous, à votre tour, ne les écoutez pas seulement pour vous-mêmes, mais pour les autres, à qui vous devez de les instruire ; car c’est le bon agencement des membres qui entretient le corps de l’Église. De même qu’un membre qui retiendrait pour lui toute la nourriture, sans rien communiquer aux membres voisins, se ferait du tort à lui-même, et ruinerait le reste du corps : par exemple, si l’estomac tirait toute la nourriture à lui seul, le reste du corps se dessécherait par la faim, et l’estomac se ruinerait lui-même par le dérèglement de son appétit ; si au contraire, se contentant de la part qui lui suffit, il envoie aux autres membres ce qui doit leur revenir, il s’entretient lui-même en bonne santé, et avec lui tout le reste du corps : Eh bien ! de même pour vous maintenant ; si, après avoir écouté nos paroles, vos gardez tout pour vous, sans rien communiquer à un autre, vous faites du tort à cet autre, et vous vous ruinez vous-mêmes ; vous vous attirez les maladies les plus graves ; vous cultivez en vous la lâcheté et l’envie ; car, c’est ou par malice, ou par envie, ou par lâcheté, que nous ne partageons pas avec les autres ; de quelque nature que soit ce mal, il suffit pour perdre celui qui en est atteint. Si au contraire vous communiquez abondamment la nourriture aux autres, vous vous faites du bien à vous-mêmes et aux autres ; mais en voilà assez sur ce sujet. 3. Ce qu’il faut maintenant, c’est reprendre la suite de nos dernières réflexions. Quelles étaient donc ces réflexions ? Nous recherchions, au sujet des noms Saul et Paul, pourquoi on dit tantôt Saul et tantôt Paul, et delà nous, avons fait une longue digression sur certains noms propres.. Puisque nous voilà débarqués, il ne nous paraît pas convenable de négliger l’approvisionnement que nous pouvons faire en ce nouveau pays. Encore que ce soit le nom de Paul qui nous ait fourni l’occasion d’entreprendre cette étude, il ne manque pas d’autres noms que nous puissions explorer avec profit. Les marchands, qui traversent les mers, et s’en vont, pour quelques menues denrées, vers des parages lointains, arrivent parfois dans une petite ville, où ils voient en abondance des objets tout différents qui leur conviennent, et, outre les marchandises pour l’achat desquelles ils ont quitté leur pays, ils font des emplettes beaucoup plus considérables que celles qu’ils avaient projetées. Si on leur en faisait un reproche, ils diraient : nous avons fait un long voyage, essuyé mille tempêtes, affronté mille dangers, franchi les mers ; qui nous empêche de donner de l’extension à notre commerce ? Nous pouvons, certes, nous excuser à leur manière. – Nous faisions des recherches sur les noms de Paul et nous avons trouvé en même temps comme des magasins d’autres noms ; ainsi Pierre s’appelait d’abord Simon, et les fils de Zébédée, Jacques et Jean, se nommaient les fils du tonnerre. Nous avons trouvé, dans l’Ancien Testament, Abraham appelé auparavant Abram, et Jacob nommé Israël, et Sarra au lieu de Sara ; nous avons trouvé, en outre, d’autres personnages dont les noms sont demeurés tels qu’ils les reçurent dès le commencement ; ainsi Jean-Baptiste, Isaac et Adam. Donc, il serait absurde, et de la dernière négligence, quand nous avons dans les mains un si grand trésor, de le jeter. Car voilà la raison de ce long discours ; et, comme nous avons parlé dernièrement de ceux qui ont gardé leurs premiers noms, nous parlerons aujourd’hui de ceux qui ont eu deux noms, comme, par exemple, Abraham. Adam a toujours porté le même nom ; Isaac n’en a pas reçu d’autre ; depuis le commencement jusqu’à la fin, Isaac. Mais le père d’Isaac s’appelait d’abord Abram, plus tard seulement, Abraham. En effet, Dieu lui dit ; Vous ne vous appellerez plus Abram, mais Abraham. (Gen 17,5) Son premier nom, c’était Abram ; ce nom n’est pas grec, il n’appartient pas à notre langue ; c’est un nom hébreu. Que signifie-t-il donc ? Un passant. Aram, en syrien, signifie au-delà, outre, ce que savent bien, ceux qui connaissent cette langue. Il y a une grande affinité entre le Syrien et l’Hébreu, mais, dites-vous, pourquoi l’a-t-on appelé, passant ? La Judée, c’est-à-dire toute la Palestine, depuis l’Égypte jusqu’à l’Euphrate est en face de la Babylonie, d’où était Abraham ; le fleuve passe entre les deux pays dont il forme la commune limite. Et, comme Abraham n’était pas de la Palestine, mais venait de la rive opposée, c’est-à-dire de la Babylonie, pour cette raison et de fait, il a reçu le nom de passant, parce qu’il avait passé le fleuve. Or, pourquoi a-t-il passé le fleuve ? parce que Dieu le lui avait ordonné ; pourquoi Dieu le lui a-t-il ordonné ? Pour faire paraître l’obéissance du juste. Et comment parut l’obéissance du juste ? en ce que par l’ordre de Dieu, il abandonna son propre pays, pour passer sur une terre étrangère. Voyez-vous quelle chaîne d’événements dans le nom de l’homme juste ? Ce nom nous a ouvert un océan de faits ; apprenez donc son premier nom, afin qu’en le voyant habiter la Palestine, vous vous souveniez, rien qu’en entendant ce nom, de sa première patrie, de ta cause qui la lui fit quitter, et qu’ainsi vous vous trouviez conduits à imiter le zèle de sa foi. Voilà donc comment ce juste, avant la loi et sous l’empire de la loi, reçut la sagesse qui fut communiquée au temps de la grâce, et comment il accomplit, avant le temps de la grâce, ce que, plus tard, le Christ proposait à ses disciples : Quiconque aura quitté, pour mon nom, sa maison, ses frères, son père ou sa mère en recevra le centuple, et aura, pour héritage, la vie éternelle. (Mat 19,28-29) Ce n’est pas là seulement ce qui montre la sagesse de ce juste, mais la promesse de, Dieu sert encore à la manifester ; venez en la terre que je vous montrerai. (Gen 12,1) Sans doute la Chaldée et la Palestine étaient deux patries matérielles ; mais enfin, l’une était son pays, l’autre, une : patrie étrangère ; l’une, visible, l’autre invisible ; il avait l’une dans les mains, il n’avait l’autre qu’en espérance. Or, abandonnant le visible, le manifeste, ce qu’il avait dans la main, il s’empressa d’aller à l’inconnu, à l’invisible, dans un pays où il ne lui était pas permis de dominer. Conduite qui a pour but de nous apprendre, de nous convaincre, qu’il ne faut pas hésiter, lorsque Dieu nous commande, à laisser là ce qui est visible, à élever nos regards vers ce qui n’apparaît pas à nos yeux. Les biens que nous tenons dans nos mains ne sont pas aussi évidents que ceux qu’il faut espérer ; la vie présente n’est pas aussi manifeste que la vie à venir ; la première, nous la voyons des yeux du corps ; l’autre, nous la voyons des yeux de la foi ; la première, nous la voyons dans nos mains, celle-là, nous la voyons dans les promesses du Dieu qui nous la tient en réserve. 4. Or, les promesses de Dieu sont beaucoup plus puissantes que nos mains. Voulez-vous voir comment cette vie présente n’est tout entière qu’obscurité, tandis que cette vie à venir qui semble obscure a, plus que la vie présente, de solidité durable ? Recherchons, s’il vous plaît, ce qu’il y a d’éclatant dans la vie présente ; ce sont les richesses, c’est la gloire, la puissance, une grande considération auprès des hommes, et vous verrez que rien n’est plus confus que tout cela. En effet, quoi de plus infidèle que les richesses, qui souvent n’attendent pas le soir, pour nous quitter ; comme des ingrats, comme des transfuges, elles passent d’un maître à un autre maître, et, de celui-ci, à un troisième. Et de même pour la gloire : souvent qui avait un noble et illustre nom, se voit tout à coup sans considération et parfaitement inconnu. L’inverse a lieu aussi. Et, comme il est impossible de distinguer ; dans la roue, qui tourne toujours, la moindre partie de la circonférence, parce que la rapidité du mouvement porte, à chaque instant, en haut ce qui était en bas, en bas ce qui était en haut, de même l’impétuosité du mouvement qui nous emporte, qui change tout sans cesse, précipite au plus bas degré ce qui dominait sur le faîte ; vérité que rendent manifeste et l’inconstance des richesses, et l’inconstance du pouvoir, et de tout ce qui se pourrait nommer ; jamais de consistance, toujours l’instabilité ; ce sont des eaux courantes. Qu’y a-t-il donc de plus incertain que ce qui change si souvent de place, prend son vol loin de nous, avant de se montrer ; avant de nous approcher, s’échappe ? De là vient que le Prophète, parlant des voluptés, des richesses, de tout ce qui y ressemble, réprimande par ces paroles ceux qui s’y attachent comme à des biens durables : Ils ont regardé comme stable ce qui n’est que fugitif. (Amo 6,5) Il ne dit point, ce qui n’est que passager, mais, d’une manière beaucoup plus expressive, ce qui n’est que fugitif. En effet, ces biens-là ne se retirent pas peu à peu, mais avec une étonnante rapidité. Notre patriarche, au contraire, n’a pas tenu cette conduite ; mais, abandonnant tout cela, il n’a vu que les promesses de Dieu ; il nous a préparé la voie dans la foi aux choses à venir ; c’est afin que vous aussi, à qui Dieu a promis les choses à venir, qui ne se voient pas, vous vous gardiez de dire : ces choses-là sont invisibles, ne se montrent pas. En effet, ces choses invisibles sont plus manifestés que les choses visibles, pour peu que nous ayons les yeux de la foi. Sans doute nous ne les voyons pas, mais Dieu nous les a annoncées, nous les a promises ; quand c’est Dieu qui annonce, il n’y a aucune variation possible dans les choses promises ; rien n’est plus durable, n’en doutons jamais, que ce qui est dans la main de Dieu ; car, dit l’Évangéliste, Personne ne peut le ravir de la main de Dieu. (Jn 10,29) Le trésor que nul ne peut ravir de la main de Dieu, est donc ' éternellement assuré ; au contraire les choses présentes sont exposées à toute espèce de variations et de vicissitudes. Aussi, prenons-nous souvent beaucoup de peine, et le résultat frustre notre attente. Pour les biens qu’on espère, il n’en est pas de même : Celui qui a travaillé, obtient nécessairement couronnes et récompense, car l’espérance n’est point trompeuse(Rom 5,5), parce que, c’est la promesse de Dieu, et que les dons promis participent de la nature de celui qui les a promis. Abandonnez donc ce qui est obscur, pour – vous saisir de ce qui est manifeste. Or, ce qui est manifeste, ce n’est pas le présent, mais l’avenir. Maintenant, si quelques personnes ne considèrent que le présent et méprisent l’avenir, elles ne le méprisent pas parce qu’il est obscur et incertain, mais parce qu’il est élevé, trop au-dessus de leur propre faiblesse. Considérez donc combien fut grande la vertu de notre homme juste. Dieu lui avait promis des biens matériels, et lui cherchait, de lui-même, des biens spirituels. Comment, me direz-vous, Dieu lui avait promis les biens matériels, et il cherchait, de lui-même, des biens spirituels ? Sortez, dit Dieu, de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père, et venez en la terre que je vous montrerai. (Gen 12,1) La première contrée était chose matérielle, comme le pays qui lui était destiné ; eh bien ! qu’a-t-il fait ? Non, n’écoutons pas Abraham, mais écoutons Paul, qui nous parle de lui ; comprenons que, quoique Dieu lui eût promis cette terre, lui pourtant, laissant là les choses présentes, ne la regarda pas, mais s’empressa de se tourner vers les choses à venir. Quelles sont donc les paroles de Paul ? Tous ces saints sont morts dans la foi, ce qu’il dit d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de tous les justes, car non seulement Abraham, mais tous participaient à la même sagesse. Tous ces saints, morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant de loin. (Heb 11,13, 14, 15, 16) Que dites-vous ? Abraham n’a pas reçu les biens promis ? il n’est pas venu dans la Palestine ? les paroles ont donc été trompeuses ? nullement, il est venu, certes, dans la Palestine, mais ce n’est pas cette Pales tine qu’il regardait ; il en désirait une autre, la patrie qui est dans le ciel. Vérité que Paul atteste en ajoutant : Et confessant qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. C’est un voyageur, celui quia reçu une si grande patrie, une contrée si considérable ? Parlez, je vous en prie. Assurément, dit Paul, car ce n’est pas cette patrie qu’il a considérée, mais le ciel. Car ceux qui parlent de la sorte font bien voir qu’ils cherchent une autre patrie, qui a Dieu pour fondateur et architecte, cette patrie, vous dis-je, qui est la Jérusalem céleste, la patrie d’en haut. Comprenez-vous comment Dieu lui a promis une patrie matérielle, tandis que lui-même a cherché la Jérusalem céleste ? Car ceux qui parlent de la sorte, dit Paul, font bien voir qu’ils cherchent une autre patrie. S’ils avaient eu dans l’esprit celle dont ils étaient sortis, ils avaient assez de temps pour y retourner ; mais ils en désiraient une meilleure, qui est la patrie céleste. Donc, la chose promise est matérielle, mais le désir du juste est spirituel. Quant à nous, nous faisons juste le contraire. A lui Dieu avait promis la Palestine, mais il regardait le ciel ; à nous, Dieu a promis le ciel, mais nous regardons la terre. 5. Voilà donc ce que nous avons gagné à méditer le nom d’Abraham ; nous avons appris pourquoi il fut ainsi appelé, pourquoi on l’a nommé un passant ; il abandonna son pays pour passer sur la terre étrangère ; il quitta le visible pour l’invisible ; il rejeta ce qu’il avait dans la main, pour les biens que concevait son espérance ; il reçut des biens qui tombent sous les sens, et il ne voulut voir que les biens spirituels, et cela avant la grâce, avant la loi, avant l’enseignement des prophètes. Par où il est évident qu’il n’eut personne pour l’instruire, qu’il lui suffit du langage de sa conscience ; que c’est ainsi qu’il trouva Dieu, le Créateur de l’univers ; voilà pourquoi il fut appelé Abram ; voilà pourquoi ses parents lui donnèrent ce nom. Mais peut-être, me dira-t-on, mensonge que tout cela ! est-ce que les parents d’Abraham étaient des justes ? est-ce qu’ils étaient agréables à Dieu ? est-ce qu’ils connaissaient les choses futures ? est-ce qu’ils prévoyaient la promesse que devait faire le Seigneur ? n’étaient ce pas des impies, des idolâtres, plus que des barbares ? Je ne l’ignore pas, je le sais bien, et, si je loue cet homme juste, c’est qu’avant de tels parents, il est lui-même devenu tel que nous le voyons. Voilà en effet ce qui est étrange, merveilleux ; d’une racine sauvage un fruit si doux ! Il ne faut pas faire de la malice des parents un sujet d’accusation contre les enfants qui vivent dans la piété ; mais s’il est permis de dire quelque chose qui étonne, au contraire c’est une gloire de plus pour ceux qui n’ont pas reçu la piété, comme un héritage de leurs pères, pour ceux qui n’ont pas eu de guides, pour ceux qui ont été comme des voyageurs dans un désert où nul chemin n’est tracé, d’avoir pu trouver la roule qui conduit au ciel. Ce n’est donc pas un crime, un sujet d’accusation, d’avoir pour père un impie. Accusez celui qui reproduit l’impiété de son père ; accusons-nous surtout nous-mêmes ; non pas d’avoir des parents qui vivent dans l’abaissement, mais de ne pas prendre soin de nos parents, de ne pas faire tous nos efforts pour les retirer de leur impiété. Quand nous aurons, pour le salut de leur âme, fait tous les efforts dont nous sommes capables, s’ils persistent dans leur voie mauvaise, nous serons à l’abri de tout reproche, de toute accusation. Ces paroles, mon bien-aimé, c’est pour que vous ne vous troubliez pas, quand vous entendez dire, qu’Abrabam eut pour père un impie. Car Timothée lui-même eut pour père un impie. C’était le fils d’une femme : juive, fidèle, et d’un père gentil. (Act 16,1) Que son père soit resté impie et ne se soit pas converti, c’est – ce qui ressort du passage où Paul, célébrant la foi de Timothée s’exprime ainsi : Me représentant cette foi sincère qui est en vous, qu’a eue premièrement Loïde, votre aïeule, et Eunice votre mère, et que je suis très-persuadé que vous avez aussi. (2Ti 1,5) On ne trouve nulle part le nom de son père, et pourquoi ? C’est que persévérant dans l’impiété, cet homme ne méritait pas d’être nommé avec son fils. Que les apôtres aient eu aussi des parents égarés, c’est ce que le Christ a déclaré par ses paroles : Si c’est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils ? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. (Mat 12,27) Ne vous troublez pas, ne soyez pas scandalisés. Nous apprenons ici, que ce n’est pas la nature, que c’est la volonté qui constitue la vertu et le vice, En effet, s’il fallait s’en prendre à la nature, les méchants n’engendreraient jamais que des méchants, et les bons, que des bons. Mais, parce que c’est la volonté qui constitue, soit la vertu, soit le vice, il arrive souvent que des pères vicieux ont des enfants vertueux ; que des pères, solides dans la sagesse, ont eu pour fils des négligents, des lâches. Ce qui prouve que ce n’est pas la nature, mais toujours la volonté que nous devons accuser. Mais puisque les parents d’Abraham étaient, comme je l’ai dit, des impies, d’où vient qu’ils lui ont donné ce nom ? Ce fut l’œuvre de la divine sagesse ; elle se servit de la langue des incrédules, pour donner à un enfant un nom qui renfermait l’histoire à venir. Cette même puissance, le Seigneur l’a montrée à propos de Balaam, qu’il força à prédire l’avenir (Nom 23), montrant par là, qu’il commande, non seulement à ceux qui lui appartiennent. mais qu’il est aussi le maître de ceux mêmes qui ne sont pas à lui. Et, pour vous apprendre que des parents sans piété, souvent, à leur insu ; donnent, à des justes, des noms qui renferment une grande indication des choses à venir, nous vous apporterons un autre exemple : Lamech fut le père de Noé ; de ce Noé qui vécut au temps du déluge ; ce Lamech n’était ni juste, ni agréable à Dieu, ni approuvé de Dieu ; car, s’il eût été juste, agréable à Dieu, approuvé de Dieu, l’Écriture ne dirait pas que Noé seul fut trouvé juste, au milieu des hommes de son temps. (Nom 23), montrant par là, qu’il commande, non seulement à ceux qui lui appartiennent. mais qu’il est aussi le maître de ceux mêmes qui ne sont pas à lui. Et, pour vous apprendre que des parents sans piété, souvent, à leur insu ; donnent, à des justes, des noms qui renferment une grande indication des choses à venir, nous vous apporterons un autre exemple : Lamech fut le père de Noé ; de ce Noé qui vécut au temps du déluge ; ce Lamech n’était ni juste, ni agréable à Dieu, ni approuvé de Dieu ; car, s’il eût été juste, agréable à Dieu, approuvé de Dieu, l’Écriture ne dirait pas que Noé seul fut trouvé juste, au milieu des hommes de son temps. (Gen 6,9) L’Écriture n’aurait pas omis de mentionner le père de l’homme juste, si ce père eût été juste lui-même. Eh bien ! que fit-il ? Il donna à son fils un nom qui renfermait une grande indication des choses à venir. Le nom donné au juste, était une prophétie. (Gen 5,29) Ce nom, en effet, montrait le déluge qui allait venir. Comment le déluge qui allait venir, se montrait-il dans le nom de Noé ? Noé, en hébreu, signifie, celui qui fait reposer, car Nia, en syrien, signifie repos ; de même donc que, du mot Abar, qui signifie au-delà, on a fait Abraham ; de même que, de AEdem, qui signifie terre, on a fait Adam, qui signifie sorti de la terre ; de même ici, de Nia, qui signifie repos, on a fait Noé, qui signifie qui fait reposer. Ce dernier sens tient à l’altération du mot. En effet, il l’appela Noé en disant Celui-ci nous fera reposer. (Gen 5,29) C’est le déluge qu’il appelle repos, car c’était du temps dé Noé que le déluge devait arriver ; or, le déluge fut une mort, mais la mort est un repos pour l’homme. (Job 3, 23) Aussi appela-t-il l’homme qui fut contemporain du déluge, celui qui fait reposer. 6. Je ne tourmente pas l’Écriture, entendons l’Écriture elle-même : Lamech ayant vécu cent quatre-vingt-huit ans engendra un fils, qu’il nomma Noé, disant : Celui-ci nous fera reposer de nos travaux, et de nos douleurs, et des œuvres de nos mains, et nous consolera dans la terre que le Seigneur a maudite. (Gen 5,28, 29) Que dites-vous, Nous fera reposer ? Pourquoi ne pas dire, celui-ci nous tuera, celui-ci suscitera le déluge ; pourquoi dire au contraire, Celui-ci nous fera reposer ? Toute la création est bouleversée, tous les abîmes s’entrouvrent, déchirés dans leurs profondeurs, des hauteurs du ciel, les cataractes épanchent tous leurs flots, plus rien partout, qu’une mer étonnante, stupéfiante, épouvantable ; dans la matière détrempée, devenue la fosse commune, la tombe de l’univers, se cachent à la fois les cadavres des hommes, les cadavres des chevaux, les cadavres des animaux sauvages, et ces affreux malheurs, cet affreux désastre, répondez-moi, c’est ce que vous appelez un repos ? Oui, assurément, dit le texte. Car les hommes vivaient dans la corruption : cette corruption, le déluge l’a retranchée ; ceux qui ont été affranchis de cette corruption, se sont enfin reposés. Un corps possédé de diverses maladies, qu’aucun remède ne peut guérir, quand la mort survient, a trouvé le repos ; telle était cette génération d’hommes, semblables à des corps atteints de maladies incurables sans aucun espoir de guérison ; le déluge qui les a surpris, les arrachant à leurs maux, leur a donné le repos. Car si la mort est un repos pour l’homme (Job 3, 23), à bien plus forte raison, est-elle un repos pour ceux qui vivent dans une corruption incurable ; elle les affranchit de leurs maux, elle ne permet pas à l’ulcère de l’impiété de progresser indéfiniment, au fardeau des péchés d’excéder toute mesure, en pesant sur nous. Rien de plus insupportable, de plus accablant que le péché ; rien de plus misérable, de plus fécond, en douleurs, que la perversité et ses dérèglements. De là, les paroles du Christ, à ceux qui vivaient dans le péché, Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. (Mat 11,28) Et voilà pourquoi Lamech a appelé le déluge un repos, c’est qu’il devait, en survenant, mettre un terme à la perversité. Je voulais prolonger ce discours ; beaucoup de réflexions ont été omises qui se rapportent au nom de Noé ; mais retenez dans votre mémoire, méditez ce que vous avez en tendu, faites-en part à nos frères absents ; épargnez-nous la nécessité de recourir encore à de longs préambules, pour montrer comment nos entretiens s’enchaînent ; terminons ce discours par des prières ; bénissons Dieu, qui nous a permis de vous faire entendre ces paroles ; à lui, la gloire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduit par M. PORTELETTE. QUARANTIÈME HOMÉLIE.
Et Dieu dit à Abraham : « Sara ta femme ne s’appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom. » (Gen 17,15) ANALYSE.
- 1. Résumé de l’homélie précédente. Bénédiction de Dieu sur Sara qui se nommera désormais Sarra. – 2. La fidélité d’Abraham amplement récompensée. Naissance miraculeuse d’Isaac nettement prédite. – 3 et 4. Exhortation morale.
1. Nous allons vous présenter les restes de la table d’hier, et terminer aujourd’hui ce que nous avions à dire sur la bénédiction et la promesse dont le Tout-Puissant honora le patriarche. Mais dans ces restes de table ne comprenez point des restes matériels : ceux-ci ne ressemblent en rien à ceux d’un festin spirituel. Les uns, quand ils sont refroidis, n’ont plus la même saveur pour les convives, et si on les garde un jour ou deux, ils ne peuvent plus servir. Les autres, lorsqu’on les garde un jour ou deux, et tant qu’on veut, servent toujours aussi bien et donnent autant de plaisir. C’est qu’ils sont divins et spirituels, qu’ils ne souffrent rien du temps, qu’ils deviennent de jour en jour plus agréables et causent plus de joie à ceux qui veulent en profiter. Puisque ces restes ont tant d’efficacité, préparez-vous à les recevoir de tout votre cœur, et nous-mêmes, confiants dans leur puissance, offrons-les à votre recueillement. Mais pour que cette instruction vous paraisse plus claire, il faut vous rappeler celle d’hier pour exposer avec ordre ce que nous devons développer. Nous avons parlé hier du précepte de la circoncision, et ces paroles que Dieu adresse au patriarche : Tout mâle sera circoncis chez vous, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Le garçon de huit jours sera circoncis. Et si quelqu’un n’est pas circoncis, son âme périra, parce qu’il aura violé mon alliance. Nous avons terminé là ce que nous avons dit de la circoncision ; et, afin de ne pas vous fatiguer l’esprit par trop de paroles, nous ne sommes pas allé plus loin. En effet, notre seule intention n’est pas de parler beaucoup et puis de partir ; nous voulons mesurer à vos forces l’instruction contenue dans nos discours, afin que vous rapportiez chez vous quelque fruit de nos paroles. Voici donc les restes de ce discours ; nous allons voir, après le précepte de la circoncision, ce que le Dieu de bonté dit au patriarche. Et Dieu dit à Abraham : Sara ta femme ne s’appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom. De même qu’en ajoutant une lettre à ton nom, j’ai montré que tu serais père de beaucoup de nations, de même j’ajoute une lettre à celui de Sara, afin de faire voir que le temps approche où les promesses que je t’ai faites autrefois seraient accomplies. Sarra sera son nom. Je la bénirai et je te donnerai un fils d’elle, et je le bénirai, et il sera le chef d’une nation, et les rois des nations sortiront de lui. J’ai ajouté une lettre pour t’apprendre que toutes mes paroles vont se réaliser. Ne te décourage pas en songeant à la faiblesse de la nature, mais considère plutôt jusqu’où va ma puissance et prends confiance à ce que j’ai dit : Je la bénirai et je te donnerai un fils d’elle, et je le bénirai, et il gouvernera les nations, et les rois des nations sortiront de lui. Une pareille prédiction dépassait la nature humaine ; c’était comme si l’on avait promis de faire des hommes avec des pierres. Car ils ne différaient en rien des pierres au point de vue de la génération. La vieillesse du patriarche le rendait presque impuissant et incapable d’avoir des enfants ; quant à Sara, outre sa stérilité, elle était beaucoup trop avancée en âge. Mais le juste, lorsqu’il entendit ces paroles, était persuadé que Dieu avait déjà réalisé sa promesse à propos d’Ismaël. En effet, dans ces paroles : Je donnerai cette terre à toi et à ta race, Dieu n’indiquait pas d’une manière précise le fils que Sara devait avoir, Abraham croyait donc que la promesse était déjà accomplie. Maintenant, quand le Seigneur lui dit : Je bénirai Sarra et je te donnerai un fils d’elle, et je le bénirai, et il gouvernera les nations ; puis, de plus : les rois des nations sortiront de lui ; ne sachant que dire (car un homme aussi pieux ne pouvait douter des paroles de Dieu), songeant à sa vieillesse et à la stérilité persistante de Sara, anéanti et stupéfait par la promesse de Dieu, il tomba sur sa face et se mit à rire. 2. Devant cette promesse inouïe, devant la puissance de celui qui la faisait, il tomba sur sa face et se mit à rire, c’est-à-dire qu’il fut rempli de joie. Il cherchait dans ses réflexions comment il pouvait s’accorder avec l’ordre des choses humaines qu’un centenaire eût un fils et qu’une femme stérile, et nonagénaire devînt tout à coup féconde. Telles étaient ses pensées, mais sa langue n’osait les énoncer ; seulement il montra sa reconnaissance en priant pour Ismaël, comme s’il disait : Seigneur, vous m’avez assez consolé et vous avez changé en joie par la naissance d’Ismaël la douleur que j’avais d’être sans postérité. Après sa naissance je n’ai jamais cru ni même imaginé que j’aurais un fils de Sara ; elle-même ne s’y attendait pas et en avait abandonné toute espérance, puisqu’elle m’avait donné Agar. Nous avons eu tous deux une grande consolation par la naissance d’Ismaël. Que ce fils, qui m’a été donné par vous, vive devant votre face, et nous aurons assez de bonheur ; et sa présence consolera notre vieillesse. Que répond à cela ce Seigneur si bon ? Comme il avait éprouvé depuis longtemps la piété du juste et la foi de Sara, comme il voyait qu’ils n’attendaient rien d’eux-mêmes, l’un à cause de sa vieillesse, l’autre à cause de son âge et de sa stérilité, il dit, cela vous paraît complètement impossible : c’est pour cela que j’ai attendu si longtemps ; vous saurez ainsi que les faveurs dont je dispose sont bien au-dessus de la nature humaine ; tout le monde saura comme vous par ces prodiges que je suis le Maître de la nature, qu’elle obéit à toutes mes volontés et cède à tous mes ordres. Moi qui ai tiré l’être du néant, je puis, à bien plus forte raison, corriger la nature quand elle est imparfaite. Pour te donner confiance, écoute et rassure-toi, reçois un gage certain de ma parole. Voici ta femme Sara, que tu crois incapable d’enfanter à cause de sa stérilité et de sa vieillesse : elle te donnera un fils, et pour que tu n’en doutes pas, je te dirai même son nom d’avance. Ton fils encore à naître s’appellera Isaac. Je ferai alliance avec lui pour toujours et avec sa race après lui. C’est lui que je t’ai promis d’abord et dès le commencement, et c’est en lui que mes promesses seront accomplies. Je te préviens de tout cela, non seulement parce qu’il doit naître, mais pour que tu saches comment tu l’appelleras et que j’ai fait alliance, non seulement avec lui, mais avec sa race après lui. Ensuite ce Dieu dont les bienfaits dépassent toujours nos prières, ayant ainsi fortifié l’esprit du juste et l’ayant presque rajeuni par ses promesses, puisqu’il l’avait pour ainsi dire ramené, par ses paroles, de la mort à la vie et même à la fécondité, lui dit pour comble de libéralité : J’accomplirai toutes ces promesses et je t’accorderai en outre ce que tu m’as demandé pour Ismaël, car j’ai entendu ta prière. Je le bénirai ; je l’accroîtrai et le multiplierai de plus en plus. Il engendrera douze nations et je l’établirai sur un grand peuple. Puisqu’il est ta race, je l’accroîtrai et je le multiplierai abondamment, au point de faire sortir de lui douze nations. Mais je ferai mon alliance avec Isaac, que Sara t’enfantera à cette même époque, dans un an. Ici, je vous prie, voyez, mes bien-aimés, comment le juste reçut en un instant la récompense de toute sa vie, et comment fut accompli en lui ce que le Christ disait à ses disciples : Celui qui laissera père, mère, famille et frères en mon nom, recevra le centuple et gagnera la vie éternelle. (Mat 19,29) Songez, je vous prie, à notre juste qui obéit sans retard à l’ordre du Seigneur et préféra une autre terre à sa patrie, voyez comme sa résignation continuelle l’éleva peu à peu au comble de la vertu, comme il devint illustre et célèbre et comment le nombre de ses descendants put être comparé à celui des étoiles. Si l’on pouvait calculer à la rigueur, on trouverait que le juste n’a pas été récompensé cent fois, mais dix mille fois. S’il a été honoré jusqu’à présent de tant de bienfaits, quelle voix pourra jamais raconter ceux qui vont suivre ? Le mieux est de le dire ; autant que possible, d’un seul mot. Si l’on vous dit que tous les justes, depuis cette époque jusqu’à la nôtre et jusqu’à la consommation des temps, n’ont eu et n’auront d’autre désir que de reposer dans le sein du patriarche, que peut-on dire de plus glorieux pour lui ? Vous avez apprécié sa résignation, sa vertu, sa piété et toute sa reconnaissance pour les bienfaits du Seigneur. Quand il le fallait, il fit tout ce qui dépendait de lui, il accepta tout de bonne grâce, le plaisir et le déplaisir ; aussi le Dieu de bonté lui accorda enfin le premier de tous les biens, celui qu’il désirait par-dessus tout. Remarquez, en effet, qu’il a éprouvé pendant vingt-quatre ans la vertu du juste ! Car lorsqu’il sortit de Charran pour obéir au Seigneur, il avait soixante-quinze ans, et maintenant, quand Dieu lui parla encore, il ne lui fallait qu’un an pour être centenaire. 3. Que cette histoire, mes bien-aimés, nous apprenne à être toujours résignés, et à ne jamais nous laisser abattre ni décourager par les épreuves de la vertu ; comprenons par là toute la bonté et la générosité du Seigneur qui, pour une petite offrande, nous accorde une grande récompense, non seulement par les biens immortels de l’avenir, mais en nous comblant de ses faveurs pour soulager notre faiblesse dans ce monde. Ainsi notre patriarche, pendant cet espace de temps, eut sans doute à supporter de rudes épreuves, mais ses adversités étaient toujours entremêlées de moments heureux. Car le Tout-Puissant, indulgent pour notre faiblesse, ne nous abandonne pas au milieu des adversités qu’il nous serait impossible de supporter ; il se hâte de venir à notre secours, il ranime notre courage et rappelle notre raison ; de même il ne nous laisse pas trop longtemps dans la prospérité qui nous rendrait négligents et favoriserait nos mauvaises inclinations. En effet, la nature humaine, au milieu de la prospérité, s’oublie quelquefois, et sort des bornes qui lui conviennent ; aussi notre Père qui nous aime, tantôt nous favorise et tantôt nous éprouve, afin de veiller, de toute manière à notre salut. De même qu’un médecin, lorsqu’il soigne un malade, ne le soumet pas toujours à la diète et ne lui laisse pas toujours satisfaire sa faim, de peur que son avidité n’augmente sa fièvre ou que la privation ne l’affaiblisse ; il ménage les forces du malade, et il emploie tout son art à lui être utile. C’est ainsi que le bon Dieu, sachant ce qui convient à chacun de nous, tantôt nous fait jouir de la prospérité, tantôt nous soumet à des épreuves pour nous exercer à la vertu. Ceux dont le mérite est déjà digne d’éloges brillent d’un nouvel éclat au milieu des épreuves et reçoivent une nouvelle grâce d’en haut ; en même temps les pécheurs qui acceptent de bon cœur ces épreuves, sont délivrés du fardeau de leurs péchés, et obtiennent leur pardon. Aussi je vous en supplie, connaissant l’intelligence et la sagesse du médecin de nos âmes, ne discutons jamais les soins qu’il nous donne. Si notre esprit ne peut les comprendre, c’est une raison de plus pour admirer les desseins de Dieu et de glorifier le Seigneur, dont notre raison et la pensée humaine ne peut apprécier la sagesse. Nous ne savons pas aussi bien que lui ce qui nous convient ; nous ne veillons pas à notre salut comme il y veille lui-même, car il fait tous ses efforts pour nous attirer à la vertu et nous sauver des mains du démon. S’il voit que la prospérité ne nous est pas avantageuse, il fait comme un bon médecin qui nous soigne dans l’obésité produite par notre gourmandise et qui nous guérit par la sobriété. De même cet admirable médecin de nos âmes permet que nous soyons un peu éprouvés pour nous faire comprendre les dangers de la prospérité, mais quand il voit que nous sommes revenus à la santé, il nous délivre de nos épreuves et nous accorde ses faveurs avec abondance. Si donc des personnes vertueuses sont soumises à quelques épreuves, qu’elles ne s’en troublent pas, mais qu’elles en conçoivent une meilleure espérance, et qu’elles les regardent comme l’origine de couronnes et de récompenses nouvelles. Si des pécheurs tombent dans l’adversité qu’ils ne se révoltent point, sachant que les péchés sont purifiés par le malheur, pourvu qu’on accepte tout de bonne grâce. En effet, un serviteur reconnaissant doit remercier son maître, non seulement quand il en reçoit tout à souhait, mais aussi dans les privations. C’est ainsi que le patriarche devint illustre et fut honoré de la faveur de Dieu qui lui prodigua des bienfaits au-dessus de la nature humaine. 4. Il faut maintenant reprendre la suite de notre discours et remarquer l’obéissance du juste qui exécuta l’ordre de Dieu sans en rechercher la raison et sans en demander la cause, comme font tant d’insensés qui discutent les œuvres de Dieu, et disent pourquoi ceci ? pourquoi cela ? à quoi sert ceci, à quoi sert cela ? Tel n’était pas le juste ; comme un serviteur dévoué, il accomplit l’ordre sans chercher au-delà, vous allez encore le voir par ce qui suit. Après que le Seigneur lui eut fait la promesse et eut achevé de lui parler, le juste fit aussitôt ce qui lui était commandé, et cette marque exigée par Dieu, c’est-à-dire la circoncision, il la fit aussitôt subir à Ismaël et à tous les serviteurs nés à la maison ou achetés à l’étranger. Lui-même fut circoncis. Il avait quatre-vingt-dix-neuf ans, quand il coupa la chair de son prépuce. Ismaël avait alors treize ans. Ce n’est pas sans raison que l’Écriture rapporte ici le nombre de ses années ; c’est pour montrer la grande obéissance du juste qui était alors dans l’extrême vieillesse et qui supporta volontiers la douleur pour accomplir l’ordre de Dieu ; aussi on compte non seulement lui, mais Ismaël et tous ses serviteurs ; l’opération dut être pénible. Ce n’est pas la même chose, mes bien-aimés, de couper une chair saine et une chair malade ; quand les médecins coupent un membre malade la douleur n’est pas si grande, car ce membre, déjà mort pour ainsi dire, n’a plus qu’un reste de sensibilité au moment de l’amputation. Or, ce vieillard si avancé en âge, car il touchait à ses cent ans, supporta volontiers cette douleur, afin d’obéir à Dieu ; en même temps il disposa son fils et ses serviteurs à montrer sans hésitation la même obéissance. Voyez, quelle vertu chez cet homme, et comme il engage toute sa maison à suivre ses traces. Ce que je disais hier, je le répète aujourd’hui ; à partir de ce moment Dieu voulut que cette opération fût pratiquée sur les enfants en bas-âge, afin qu’elle fût moins douloureuse. Considérez, mes bien-aimés, la bonté de Dieu et son ineffable bienfaisance à notre égard. Cette circoncision entraînait de la douleur et de la gêne ; du reste elle n’avait d’autre avantage que de faire reconnaître ceux qui l’avaient reçue et de les séparer des autres nations. Notre circoncision, je veux dire la grâce du baptême, nous guérit sans douleur et nous procure des biens innombrables ; elle nous remplit de la grâce du Saint-Esprit et peut se faire à toutes les époques. On peut pratiquer dans l’enfance, dans l’âge mûr et dans la vieillesse cette circoncision immatérielle et inoffensive qui nous délivre de nos péchés et nous fait obtenir la rémission de ceux de toute notre vie. Le bon Dieu, voyant l’excès de notre faiblesse, et reconnaissant que nos maux incurables réclamaient un remède héroïque, ainsi qu’une suprême indulgence, prit soin de notre salut et nous accorda de laver ainsi nos péchés et de régénérer notre âme ; par là, nous dépouillons le vieil homme, c’est-à-dire les œuvres du mal, et nous revêtons l’homme nouveau, en marchant dans la route de la vertu. Mais, je vous en conjure, ne restons pas inférieurs aux Juifs, ingrats et insensés. Ceux-ci, ayant reçu la marque de la circoncision, avaient grand soin de ne pas ressembler aux autres nations ; du moins de ne pas avoir de relations avec elles ; car, quant à l’impiété, ils les dépassaient quelquefois. Pour nous, quand nous avons reçu le baptême, au lieu de circoncision, veillons avec soin sur notre conduite. Sans doute nous pouvons nous mêler aux infidèles, mais en restant fidèles à nos vertus, et nous ne devons communiquer avec eux que pour les attirer à la piété et afin que l’exemple de nos bonnes œuvres soit un enseignement pour eux. Aussi le Tout-Puissant a permis ce mélange des bons et des méchants, des hommes pieux et des impies, afin que les méchants profitent avec les bons et que les impies soient amenés à la piété ; car Dieu n’a rien tant à cœur que le salut de notre âme. Aussi, je vous en conjure, ne négligeons pas notre salut, ni celui du prochain ; faisons tout ce qui dépend de nous pour que notre conduite plaise à Dieu ; quant au prochain, faisons tellement éclater notre vertu que, même en gardant le silence, notre exemple soit une leçon pour tous ceux qui peuvent nous voir. Si nous sommes vertueux, nous en retirerons un grand avantage, et en même temps nous serons utiles aux infidèles ; de même, si nous négligeons notre conduite, nous en serons sévèrement punis, et nous deviendrons pour les autres une occasion de scandale. Ainsi, lorsque nous pratiquons la vertu, nous en sommes deux fois récompensés par Dieu, d’abord pour notre compte et ensuite à cause de ceux que nous engageons à la pratiquer aussi ; de même, si nous faisons le mal, nous serons punis, non seulement pour nos propres péchés, mais pour ceux où nous entraînons les autres. À Dieu ne plaise qu’aucune des personnes présentes se trouve dans cette situation ; mais réglons notre conduite de manière à édifier ceux qui nous voient, afin de pouvoir nous présenter avec confiance devant le tribunal du Christ et mériter ses biens infinis ; puisse-t-il en être ainsi pour nous tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.