Genesis 19
QUARANTE-TROISIÈME HOMÉLIE.
Les deux anges vinrent à Sodome, le soir. (Gen 19,1) ANALYSE.
- 1. Loth, au milieu de Sodome, pratiquait l’hospitalité, comme Abraham au sein de la solitude. On peut être vertueux parlât, Ici-bas l’intercession des justes peut être utile aux autres hommes. – 2. Mais il n’en est pas de même dans le siècle futur. – 3-6. Arrivée des anges chez Loth. Exécrable infamie des habitants de Sodome, et leur punition. – 7. Exhortation morale.
1. Une riante prairie nous montre une variété de fleurs de toute espèce ; ainsi la divine Écriture nous montre les vertus des justes, non pas afin de nous faire jouir, pendant quelques instants bien courts, du parfum de ces fleurs, mais afin que nous en retirions une utilité durable. Les fleurs que notre main cueille dans les champs, se flétrissent bien vite, et perdent leur éclat ; il n’en est pas de même des fleurs de l’Écriture. Quand nous avons appris les vertus des justes, quand nous les avons mises en réserve, au sein de notre âme, nous pouvons toujours savourer ce parfum ; il suffit de vouloir. Eh bien ! donc, puisque telle est, dans la divine Écriture, la bonne odeur des saints, recherchons aujourd’hui le parfum de Loth ; comprenons bien que ce qui a conduit ce juste sur la cîme d’une vertu si haute, c’est son commerce avec le patriarche, dont il suivit les traces, auquel il a dû particulièrement les vertus qu’il montra dans l’exercice de l’hospitalité. Pour donner plus de clarté à notre entretien, il est bon d’entendre les paroles de l’Écriture : Les deux anges vinrent à Sodome, le soir. Pourquoi le texte commence-t-il ainsi ? Pourquoi dit-il : Les deux anges vinrent à Sodome, le soir ? C’est parce qu’après être restés sous la tente du patriarche, ils se levèrent et sortirent ; mais le Dieu de bonté, se manifestant, par sollicitude pour nous, sous une forme humaine, demeura auprès du patriarche, et lui parla comme vous l’avez entendu hier. Dieu voulait nous apprendre à tous, et la grandeur de sa patience, et la charité du patriarche. Quant aux anges, ils se dirigèrent alors du côté de Sodome. L’Écriture, suivant l’ordre des faits, nous dit maintenant : Les deux anges vinrent à Sodome, le soir, pour faire ce qui était commandé. Voyez l’exactitude ; le soin de la divine Écriture. Elle nous montre le temps de leur arrivée. En effet, elle nous dit : Le soir. Pourquoi a-t-elle marqué le temps ? Pourquoi les anges sont-ils arrivés le soir ? L’Écriture veut nous montrer la généreuse hospitalité de Loth ; de même que le patriarche, assis devant sa tente, au milieu du jour, observait les voyageurs qui pouvaient passer, les épiait, s’appliquant avec ardeur à cette chasse généreuse, et s’élançait sur eux, et que c’était une fête pour lui que de recevoir les étrangers ; de même ce juste, qui connaissait la perversité des habitants de Sodome, ne sortait pas de chez lui, le soir, mais il demeurait assis de, vaut sa maison, afin de ne pas perdre un trésor qui aurait pu lui échapper, afin de s’assurer le fruit de l’hospitalité. Il est vraiment permis d’admirer la vertu de ce juste qui au milieu d’hommes si impies, non seulement ne s’est pas relâché, mais n’en a montré que plus de vertu. Et lorsque tous, pour ainsi dire, se ruaient dans le précipice, lui seul, dans une si grande multitude, suivit le droit chemin. Où sont-ils maintenant ceux qui prétendent qu’on ne peut pas, au milieu d’une ville, conserver la vertu ? qu’il est besoin de retraite, de séjour sur les montagnes ? qu’on ne peut pas, quand on a une maison à conduire, quand on a une femme, des enfants à soigner, et des domestiques, et des serviteurs, pratiquer la vertu ? Qu’ils voient donc cet homme juste, ayant à ses côtés femme, enfants et serviteurs, vivant au sein d’une ville, et pareil, au milieu de tous ces méchants, de tous ces impies, à une étincelle qui brille au milieu de la mer, qu’ils le voient donc persister, non seulement sans s’éteindre, mais répandre une lumière chaque jour plus éclatante. Et ce que je dis, ce n’est pas pour empêcher qu’on ne cherche-la retraite hors des villes ; ce n’est pas pour interdire le séjour des montagnes ou des solitudes ; mais je montre que celui qui veut vivre dans la tempérance, pratiquer exactement, activement la vertu, ne trouve, hors de lui, rien qui l’en puisse empêcher. De même que l’indolent, que celui qu’un rien abat, ne retire aucun profit de la solitude ; (en effet, ce n’est pas du lieu où l’on est que la vertu dépend, c’est le fruit de notre sagesse et de nos mœurs ;) de même, l’homme sage et vigilant, n’a pas à souffrir du séjour des villes. Aussi je voudrais voir, comme ce bienheureux, les hommes vertueux vivre au sein des cités, où ils seraient comme un ferment qui attirerait les autres, qui les porterait à suivre leur exemple. Toutefois, comme la vie dans ces conditions semble difficile, nous permettons qu’on essaye l’autre genre de vie. En effet, la figure de ce monde passe. (1Co 7,31) La vie présente est courte ; et, si nous ne profitons pas du moment que nous sommes encore dans le stade, pour entreprendre les travaux de la vertu, pour fuir les filets de la malignité, c’est en vain, plus tard, que nous prétendrons nous corriger, quand le repentir ne servira de rien. Tant que nous demeurons dans la vie présente, le repentir peut avoir son utilité ; on y gagne l’expiation des premières fautes, on acquiert ainsi la miséricorde du Seigneur. Si nous laissons échapper le temps présent, si tout à coup nous sommes emportés, nous pourrons nous repentir, mais nous n’en retirerons aucune utilité. En voulez-vous l’assurance ? écoutez ce que dit le Prophète : Qui est celui qui vous louera dans l’enfer ? (Psa 6,5) Et ailleurs : Le frère ne rachète point son frère, l’étranger le rachètera-t-il ? (Psa 49,8) Il n’y aura là, dit le Psalmiste, personne, plus tard, pour délivrer celui qu’aura trahi sa négligence ; il n’y aura là ni frère, ni père, ni mère ; et que dis-je, ni frère, ni père, ni mère ? les justes même, qui jouissent de l’intimité de Dieu, ne pourront alors nous être d’aucun secours, si, dans la vie présente, nous cédons à l’engourdissement. En effet, dit le Prophète, que Noé, Job et Daniel s’y trouvent en même temps, ils ne délivreront ni leurs fils, ni leurs filles. (Eze 14,20) Voyez quelle terrible menace ; quels justes l’Écriture a nommés ! En effet, ces sages, quand ils vivaient, ont procure ; même le salut des autres ; Noé, quand l’épouvantable déluge saisit la terre, sauva son épouse et ses fils ; Job. de même, fut, pour les autres, une cause de salut, Daniel aussi arracha un grand nombre d’hommes à la mort, quand ce barbare demandait des choses impossibles à la nature humaine, et voulait exterminer Chaldéens, Mages, et Gazaréniens. 2. Ne pensons pas qu’il en soit de même dans le siècle à venir, et que ceux qui ont passé leur vie dans la vertu, qui sont en faveur auprès de Dieu, puissent affranchir du supplice leurs amis, leurs parents, qui auront vécu ici-bas dans une molle négligence. Voilà pourquoi le texte nous a parlé de ces hommes justes ; c’est pour nous inspirer la terreur, c’est pour nous montrer que chacun de nous doit fonder sur ses propres œuvres, en même temps que sur la grâce divine, l’espérance de son salut ; qu’il ne faut ni se glorifier des vertus de ses ancêtres, ni de quoi que ce soit hors de nous, ni bâtir sur ce fondement sa confiance, si nous persévérons dans le péché ; mais qu’il faut se soucier uniquement, si nos pères ont brillé parla vertu, d’imiter leur vertu ; et, s’il leur est arrivé le contraire, si nous sommes nés de parents pervertis, nous ne devons pas croire qu’il y ait là rien qui nous soit nuisible, pour peu que nous nous exercions aux fatigues de la vertu. En effet, nous ne retirerons, de ce qui ne nous est pas personnel, aucun dommage ; chacun n’est couronné ou condamné que pour ses propres œuvres, comme dit le bienheureux Paul : Afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura faites, pendant qu’il était revêtu de son corps. (2Co 5,10) Et ailleurs, en parlant de Dieu : Il rendra à chacun selon ses œuvres. (Rom 2,6) Parfaitement instruits de ees vérités, secouons toute négligence ; attachons-nous, de toutes nos forces, à la vertu : profitons de ce que nous sommes encore dans le stade, de ce que c’est le temps de la lutte, et, avant que les spectateurs se séparent, inquiétons-nous de notre salut, afin qu’après avoir, dans la vie si courte qui nous est donnée, pratiqué la vertu, nous en recevions la récompense, dans la vie qui n’aura pas de fin. Semblables à ce juste qui, au milieu de tant de méchants, et ne trouvant personne pour imiter sa vertu, et ne voyant autour de lui que les moqueries de la perversité railleuse, non seulement ne s’est pas arrêté, n’est pas devenu moins actif, mais a brillé d’un tel éclat de vertu, qu’il a mérité de recevoir, chez lui, les anges du Seigneur. Et, quand ces anges faisaient périr tous les habitants, lui seul, avec ses filles, a évité le châtiment qui leur était infligé, Revenons d’ailleurs à la suite de notre entretien : Les deux anges vinrent â Sodome le soir. Le moment de la journée montre surtout la parfaite vertu de ce juste, puisque, le soir arrivant, il resta devant sa maison et ne rentra pas. Car, comme il connaissait le profit de l’hospitalité, jaloux d’acquérir les richesses qu’elle donne, il y mettait beaucoup de soin ; et le jour terminé, il continuait encore. Voilà la marque d’une âme où règne la ferveur d’un zèle actif ; aucun obstacle ne l’empêche de manifester sa vertu ; bien plus ; les plus grands obstacles ne font que l’exciter davantage, et l’embraser d’un plus vif désir. Quand Loth, dit le texte, les aperçut, il se leva pour aller au-devant d’eux. Écoutez ces paroles, vous qui, à l’aspect des étrangers, qui vous prient et vous supplient, et vont jusqu’à s’abaisser devant vous, leur montrez durement votre aversion et les repoussez. Voyez comment ce juste n’attend pas qu’ils viennent jusqu’à lui ; il fait comme le patriarche : ignorant quels étaient ces hôtes, les prenant pour de simples voyageurs, il semblait sauter de joie, parce qu’il avait obtenu la proie qu’il cherchait, et son désir ne le trompait pas. Loth les ayant vus, se leva, alla au-devant d’eux, et s’abaissa jusqu’en terre. (Gen 19,1) Il rendit grâces à Dieu, qui l’avait jugé digne de recevoir ces voyageurs. Remarquez la vertu de ce juste ; il regardait comme un grand bienfait de Dieu, d’avoir rencontré ces hommes, afin de satisfaire, en les recevant, son désir d’exercer l’hospitalité. Ne vous hâtez pas de dire, que c’étaient des anges ; considérez plutôt que ce juste l’ignorait encore ; il les reçoit comme des inconnus, comme de simples voyageurs ; son âme était ainsi faite. Puis il leur dit : Venez, seigneurs, je vous prie, dans la maison de votre serviteur, et demeurez-y, et lavez vos pieds, et demain vous continuerez votre route. Ces paroles suffisent pour révéler la vertu cachée dans l’âme de ce juste. Comment s’étonner qu’on admire cette humilité parfaite, le zèle brûlant qu’il montre en exerçant l’hospitalité ? Venez, dit-il, seigneurs, dans la maison de votre serviteur, et il les appelle seigneurs, et il s’appelle lui-même leur serviteur. Écoutons avec attention ces paroles, mes bien-aimés, et nous aussi, apprenons à faire comme lui. Un homme qui avait le droit d’être fier, un homme d’un grand nom, si riche, le père d’une si belle famille, aperçoit des voyageurs, des étrangers, des inconnus, en apparence assez misérables ; ils passent, ils ne lui sont rien, il les appelle seigneurs, et il dit : Venez dans la maison de votre serviteur et reposez-vous. C’est le soir, dit-il, accordez-moi cette grâce, reposez-vous de la fatigue du jour en venant dans la maison de votre serviteur. Est-ce que je vous fais une magnifique promesse ? Vous laverez vos pieds, fatigués d’une longue marche, et demain vous continuerez votre route. Accordez-moi cette grâce, et ne refusez pas ma prière. Et ils lui répondirent, dit le texte, nous n’irons point chez vous, mais nous demeurerons sur la place. Même après leur refus, en réponse à une exhortation si pressante, il ne s’engourdit pas ; il ne renonce pas à son dessein ; il ne, fait pas ce que nous faisons quelquefois, quand il nous arrive d’adresser une exhortation à quelqu’un, si nous le voyons résister, si peu que ce soit, refuser, aussitôt nous nous arrêtons, ce qui provient de ce que nous n’avons ni affection, ni vrai zèle, et surtout, de ce que nous regardons comme une excuse suffisante, de pouvoir dire, j’ai fait ce que j’avais à faire. 3. Que dis-tu, que tu as fait ce que tu avais à faire ? Tu chasses, et tu laisses la proie s’échapper. Tu t’en vas loin du trésor, et tu as fait ce que tu avais à faire ? Tu aurais fait ton devoir, si tu n’avais pas jeté le trésor que tu avais dans les mains ; si, en chassant, tu n’avais pas laissé échapper la proie ; si tu n’avais pas, uniquement pour l’acquit de ta conscience, et seulement en paroles, montré les vertus de l’hospitalité. Ce juste, au contraire, n’agit pas de même : mais que fait-il ? Il les voit, qui résistent à ses prières et qui veulent demeurer sur la place. Or, ce que les anges voulaient, c’était faire éclater la vertu de l’homme juste, et nous montrer, à tous, combien était grande en lui l’affection de l’hospitalité. Aussi bientôt ne se borne-t-il plus à des paroles, mais il leur fait violence. Le Christ aussi disait : Ce sont les violents qui emportent le royaume des cieux. (Mat 11,12) En effet, où brille un gain spirituel, la violence est à propos, et la contrainte est louable. Et il les pressait, dit le texte, avec grande instance. Il me semble, à moi, qu’il les attirait malgré eux : bientôt, quand ils virent tout le zèle de l’homme juste, quand ils se virent contraints d’accéder à son désir. Ils consentirent, dit le texte, à ce qu’il voulait, et ils entrèrent dans sa maison, et il leur fit un festin, et il fit cuire des pains sans levain, et ils mangèrent avant d’aller se coucher. Voyez-vous, ici encore, que ce n’est pas dans la somptuosité de la table que l’hospitalité réside, que c’est la générosité de l’âme qui la constitue ? Aussitôt qu’il a pu les introduire dans sa maison, vite il s’empresse de remplir tous les devoirs envers les hôtes, et lui-même s’apprête à les servir. Il apporte ce qu’il faut pour le repas, il leur rend toute sorte d’honneurs, il entoure de soins ces hommes qu’il prend pour de simples voyageurs. Mais les habitants de Sodome entourèrent la maison, depuis les enfants jusqu’aux vieillards, tout le peuple s’y trouva, et ils appelèrent Loth et lui dirent : Où sont ces hommes qui sont entrés, ce soir, chez vous ? faites-les sortir, afin que nous les connaissions. (Gen 19,5) Gardons-nous, mes bien-aimés, de passer légèrement sur ces paroles ; ne nous bornons pas à voir l’abominable délire de ces hommes ; réfléchissons, méditons sur la vertu de ce juste, qui, au milieu de ces bêtes sauvages, a montré l’excellence de la vertu ; qui a supporté leur iniquité, qui ne s’est pas sauvé de leur ville ; qui a soutenu leur entretien. Voici ce que je dis : Le Maître de toutes les créatures, prévoyant l’épouvantable corruption de ces hommes, a voulu que ce juste résidât parmi eux, pour être comme un excellent médecin qui guérirait leur maladie. Quand il vit que les soins ne servaient à rien, que leur mal était incurable, il n’a pas pour cela renoncé à la cure ; c’est ce que font d’ordinaire les médecins. Ils ont beau voir que les maladies sont plus fortes que la médecine, ce n’est pas pour eux une raison de négliger leur devoir, parce que, s’il peut se faire, même au bout d’un long temps, que le malade se rétablisse, la guérison prouvera l’excellence de leur art ; si, au contraire, leurs soins sont inutiles, on pourra d’autant moins leur adresser de reproches, qu’ils auront fait tout ce qui dépendait d’eux. C’est, assurément, ce qui arriva ici. Ce juste au milieu de ces hommes, même dans ces circonstances, conserva la justice et montra l’étendue de sa sagesse. Quant aux habitants de Sodome, voilà précisément ce qui leur ôte toute excuse ; non seulement ils ne se sont pas corrigés de leur malignité, mais elle ne fit que s’accroître. Voyez en effet : Ils entourèrent la maison ; depuis les enfants jusqu’aux vieillards, tout le peuple s’y trouva. Abominable conspiration de la corruption, violent désir du mal, inexprimable grandeur de la dépravation, criminelles tentatives que rien ne saurait excuser ! depuis les enfants, dit le texte, jusqu’aux vieillards. non seulement, dit le texte, l’enfance recherchait cette violation sacrilège, mais on voyait là des hommes sur le déclin de l’âge, et tout le peuple s’y trouva. Et ils ne rougissaient pas d’une chose si infâme, d’une infamie si éhontée ; et ils ne pensaient pas à l’œil qui ne dort jamais ; et ils ne respectaient pas l’homme juste, ni ceux qu’ils prenaient pour des voyageurs dans la maison du juste, pour y recevoir l’hospitalité ; ils n’avaient pour eux aucun égard ; sans pudeur, et, comme dit le proverbe, sans masque, proférant les paroles de leur impudicité, ils approchèrent, ils appelèrent le juste, et lui dirent : Où sont ces hommes qui sont entrés chez vous ? Faites-les sortir, afin que nous les connaissions. C’est, je pense, parce que le juste prévoyait cette criminelle tentative, cette perversité sacrilège, qu’il était resté assis devant sa porte jusqu’au soir, ne voulant pas que les voyageurs fussent surpris dans les filets de ces hommes. Et ce juste, avec la perfection de l’hospitalité, et, de plus, un grand sentiment de pudeur, a pris soin d’accueillir tous les voyageurs, de n’en laisser échapper aucun, quoiqu’il ignorât que ceux-ci fussent des anges, et qu’il les prit simplement pour des hommes. Quant à ces impies, outre qu’ils ne faisaient rien qui ressemblât à la conduite de ce juste, ils n’avaient qu’un désir passionné, c’était de commettre une abomination surpassant, d’une manière incroyable, tout ce qui se peut concevoir d’infamie. Les anges voulaient donc demeurer sur la place, pour ménager au juste l’occasion de manifester son hospitalité, et pour montrer aussi, par la réalité même des choses, la justice des châtiments qui allaient frapper les pervers, se ruant dans de si effroyables désordres. 4. Mais voyons, dans ce qui suit, la grande vertu de l’homme juste. Loth sortit de sa maison, et, ayant fermé la porte derrière lui, il leur dit. (Id. 6) Voyez la crainte du juste ; il tremble pour ses hôtes, et il ne ferme pas seulement la porte derrière lui ; mais, connaissant la fureur et l’audace des habitants, soupçonnant leur violence, il leur dit : Ne songez point, mes frères. O patience de l’homme juste ! O grandeur de l’humilité ! Voilà la vraie vertu ; adresser des paroles si douces à de tels hommes ! On ne doit pas, en effet, quand on veut guérir un malade, quand on se propose la correction d’un insensé, employer la colère et la rudesse du langage. Et, voyez : ceux qui voulaient accomplir des actions inouïes, il les appelle ses frères, afin de toucher leur conscience, de les détourner de leur infamie sacrilège. Ne songez point, dit-il, mes frères, ne songez point à commettre un si grand mal. N’ayez point une pareille pensée, ne recevez point dans votre esprit l’idée d’un crime si affreux ; ne trahissez pas la nature même ; n’inventez pas de commerces illicites. Mais, si vous voulez assouvir la passion furieuse dont l’aiguillon vous donne le vertige, je vous procurerai, moi, ce qui rendra moins lourd le poids de votre crime : J’ai deux filles encore vierges, c’est-à-dire, qui, jusqu’à ce jour, dit-il, n’ont pas connu le mariage, intactes, jeunes, encore dans la fleur de l’âge ; je vous les livre à tous ; servez-vous-en comme il vous plaît, prenez-les, dit-il, satisfaites sur elles votre passion, assouvissez votre concupiscence, pourvu que vous ne commettiez point sur ces hommes une action coupable, parce qu’ils sont entrés dans ma maison. (Id. 8) Puisque, dit-il, je les ai forcés d’entrer sous mon toit, pour qu’on ne m’impute pas l’iniquité commise contre eux, pour qu’il ne soit pas dit que je suis l’auteur de l’outrage qui leur est fait, pour cette raison, je vous livre mes deux filles, afin de soustraire ces hommes à vos mains. Quelle grande vertu de l’homme juste ! Il a dépassé les plus hautes cimes de la vertu d’hospitalité ; quelles louanges pourraient égaler la sagesse de ce juste, qui n’a pas voulu même épargner ses filles, pour faire honneur à ses hôtes, pour les délivrer de la perversité des Sodomites. Et cet homme a prostitué ses filles, pour délivrer des hôtes, des voyageurs, je veux le redire encore, qui lui étaient absolument inconnus ; pour les soustraire à des affronts sacrilèges. Et nous, que de fois, voyant nos frères tombés dans l’abîme même de l’impiété, je dirai presque, voyant nos frères dans la gueule du démon, nous ne daignons pas leur parler, nous inquiéter pour eux, leur adresser des avertissements, les arracher à la malignité, les ramener à la vertu ! Quelle pourra être notre excuse, lorsque ce juste n’épargne pas même ses filles, afin de rendre à ses hôtes les soins qui leur sont dus ? Nous, au contraire, nous sommes sans pitié pour nos frères, et, souvent, nous faisons entendre ces paroles, dépourvues de sentiment, et toutes remplies d’extravagance absurde : Qu’ai-je de commun avec un tel ? Je ne prends de lui aucun souci ; je n’ai avec lui aucune affaire. O homme, ô homme, que dis-tu ? Tu n’as rien de commun avec lui ? C’est ton frère, de la même nature que toi ; vous êtes soumis au même Seigneur, vous participez souvent à la même table, à la table spirituelle, entendez-vous bien, à cette table terrible, et tu dis : je n’ai rien de commun avec lui, et tu passes, sans pitié dans le cœur, ton chemin, et tu ne tends pas la main à celui que tu vois gisant ! Les Juifs avaient une loi qui leur prescrivait de prendre soin des bêtes de somme qu’ils voyaient tomber et qui appartenaient à leurs ennemis. (Exo 23,5) Et vous qui, souvent, voyez votre frère blessé par le démon, étendu, je ne dis pas sur la terre, mais au bord du gouffre du péché, vous ne l’en retirez pas, par vos exhortations ; vous ne l’avertissez pas ; vous n’appelez pas les autres au secours pour retirer, s’il est possible, de la gueule du monstre, celui qui est un de vos membres, pour le faire remonter à son rang, afin que vous-mêmes, s’il vous arrive de tomber, loin de vous ce malheur, dans les filets de ce démon maudit, vous trouviez, à votre tour, des frères secourables, qui s’empressent de vous délivrer ? Dans cette pensée, Paul, voulant exciter les Galates, les porter à prévoir le sort de ceux qui sont leurs membres, leur écrivait : Faisant réflexion sur vous-mêmes, craignant d’être tentés, vous aussi (Gal 6,1), comme s’il leur disait : Si vous passez votre chemin, sans pitié, sans humanité pour votre frère tombé, peut-être arrivera-t-il qu’auprès de vous, si vous venez à tomber, un autre, comme vous, passera son chemin ; donc, si vous voulez qu’on fasse attention à vous, qu’on vous relève, s’il vous arrive de tomber, ne négligez pas les autres ; montrez la bonté parfaite, regardez, comme le plus riche trésor, de pouvoir sauver votre frère. Si vous considérez seulement que cet homme, que vous ne regardez pas, près duquel vous continuez votre chemin, sans vous arrêter ; est tellement en honneur auprès de Dieu, que le Seigneur, n’a pas refusé de répandre, pour lui, jusqu’à son propre sang, comme le dit le bienheureux Paul : Et ainsi par votre science, vous perdrez votre frère, pour qui Jésus-Christ est mort (1Co 8,11), comment ne rougirez-vous pas de votre indifférence au point de rentrer sous terre ? Si le Christ, pour cet homme, a répandu son sang, qu’y aura-t-il de merveilleux à ce que vous montriez au même homme votre affection par des paroles qui l’exhortent, qui le relèvent quand il sera tombé ; qui ramènent cet homme plongé, englouti peut-être au fond de l’abîme de la malignité ; qui le rendent à la lumière de la vertu, et ne lui permettent pas de se replonger dans les ténèbres de la corruption ? 5. Imitons donc, je vous en conjure, cet homme juste, et s’il faut même nous exposer au péril, pour sauver le prochain, ne reculons pas. Le péril ainsi affronté nous vaudra notre salut, l’intimité dans le sein du Seigneur. Considérez, en effet, je vous en conjure, comment cet homme juste a tenu tête à tout un peuple, à cette conspiration de ces êtres dépravés. Quelle douceur ! quel inexprimable courage il a témoigné, quoiqu’il n’ait pu, même par cette conduite, corriger ; dompter ce furieux délire. En effet, après qu’il eut prononcé ces paroles, qu’il eut montré une douceur si rare, quand il eut, par ses paroles, livré ses filles, comme de ses propres mains, que lui disent-ils ? Retirez-vous. (Id. 9) O profondeur de l’ivresse ! ô excès du délire ! Voilà comme se comporte cette brute effrénée, cette détestable concupiscence. Quand elle a vaincu la raison, elle ne supporte plus l’aspect de la vertu et de l’honnêteté. Il lui faut les ténèbres, la nuit, pour livrer ses combats. Retirez-vous, disent-ils, vous êtes venu ici comme un étranger parmi nous ; est-ce afin d’être notre juge ? Eh bien ! nous vous traiterons vous-même, encore plus mal qu’eux. Voyez avec quelle douceur l’homme juste leur parle ; avec quelle brutalité farouche ils lui répondent. C’est que – le démon leur à versé son ivresse ; c’est le démon qui marché à leur tête, et, sous sa conduite, ils attaquent l’homme juste, et ils lui disent : Vous êtes venu ici comme un étranger parmi nous ; est-ce afin d’être notre juge ? Nous vous avons reçu, disent-ils, comme un étranger ; êtes-vous donc devenu notre juge ? O excès de la perversité ! Il fallait rougir, il fallait recevoir avec respect le conseil de l’homme juste ; mais, semblables aux malades furieux qui veulent se jeter, même sur leur médecin, les voilà, eux aussi, qui lui disent : Eh bien ! nous vous traiterons plus mal qu’eux. Si tu ne veux pas, lui disent-ils, te taire, demeurer en repos, tu vas apprendre que ta protection n’aboutira qu’à les soustraire au danger, pour t’y faire tomber toi-même. Et ils se jetèrent sur Loth avec une grande violence. Voyez le courage de l’homme juste, qui tâche de résister à une si grande multitude. Lorsqu’ils étaient déjà prés de rompre les portes. Vous savez qu’en sortant, prévoyant la rage insensée de ce peuple, il avait fermé sa porte derrière lui, et ces impies, ces scélérats, ne supportant pas les avertissements de l’homme juste, le pressaient avec violence, et se préparaient à briser la porte. Mais l’expérience avait assez montré, d’une part la vertu de l’homme juste, son désir d’exercer l’hospitalité envers ceux qu’il regardait comme de simples voyageurs ; d’autre part, ce qu’il fallait attendre de tout ce peuple, ne conspirant que pour une infamie. Les voyageurs à leur tour se révèlent, se manifestent. Ils ont vu que l’homme juste a rempli tout son devoir, ils font éclater leur puissance, et secourent ce juste qui subissait les violences d’une rage insensée. C’est pourquoi, dit le texte, ils prirent Loth par la main, et l’ayant fait rentrer dans la maison, ils en fermèrent la porte. Pour les hommes qui étaient dehors, ils les frappèrent de cécité, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, de sorte qu’ils ne purent plus trouver la porte. (Id 10, 11) Voyez-vous comme le juste reçoit tout de suite la récompense de son hospitalité ; comme ces impies sont frappés de la peine qu’ils méritent ? En effet, dit le texte, ils prirent Loth et l’ayant fait rentrer dans la maison, ils en fermèrent la porte. Quant aux autres, ils les frappèrent de cécité, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, de sorte qu’ils ne purent plus trouver la porte. Comme leur esprit était aveuglé, leurs yeux furent aveuglés aussi. C’est pour nous apprendre que les yeux du corps sont inutiles, quand les yeux de l’esprit sont frappés de cécité. Et, parce qu’ils avaient conspiré tous dans cette dépravation, parce que tous, vieillards et jeunes gens, avaient pris leur part de cette tentative criminelle, tous furent frappés de cécité ; et non seulement de cécité, mais ils perdirent les forces de leur corps ; car puisqu’ils étaient affaiblis quant à l’âme, qui est la meilleure partie de l’homme, ils furent aussi affaiblis, quant au corps. Et ceux qui d’abord s’efforçaient de briser la porte et menaçaient l’homme juste, s’arrêtèrent tout à coup, sans pouvoir se servir de leurs membres ; et la porte était devant leurs yeux, et ils ne la voyaient pas. Dès ce moment, le juste respira, voyant quels étaient ses hôtes, et la grandeur de leur puissance. En effet, Ils dirent ensuite à Loth : avez-vous ici un gendre, ou des fils, ou des filles, ou quelqu’autre de vos proches dans cette ville ? (Id 12) Voyez comme ils récompensent l’hospitalité de l’homme juste, comme ils veulent lui faire un magnifique présent, du salut de tous ses parents. Si vous avez, lui diton, dans cette ville, quelqu’un que vous voulez voir sauvé, si vous connaissez quelqu’un qui ne partage pas leurs crimes, Faites-le sortir de cette ville, et de la contrée ; faites sortir tous ceux qui vous appartiennent, car nous allons détruire ce lieu. (Id 13) Ils donnent ensuite la raison de cette extermination. Ils apprennent tout au juste, avec grand soin parce que le cri des abominations de ces peuples s’est élevé devant le Seigneur, et le Seigneur nous a envoyés pour les perdre. C’était ce qui avait été dit au patriarche Abraham : Le cri de Sodome et de Gomorrhe s’augmente de plus en plus, et leur péché est monté jusqu’à son comble ; leur cri, dit le texte, s’est élevé jusque devant le Seigneur. (Gen 18,20) 6. La grandeur de leur perversité est inouïe, et, comme le mal est incurable, comme la plaie est impossible à guérir, Dieu nous a envoyés pour les perdre. C’est ce que disait David : Celui qui fait de ses anges des vents, et de ses ministres, des flammes ardentes. (Psa 104,4) Comme nous sommes venus, disent les voyageurs, pour détruire ce pays tout entier (en effet la terre même sera châtiée pour la malignité de ceux qui l’habitent), sortez d’ici. Aussitôt que l’homme juste eut entendu ces paroles et appris ce que venaient faire ceux qui semblaient des hommes, et qui étaient en réalité des anges, des ministres du Dieu de toutes les créatures : Loth étant sorti, parla à ses gendres, qui avaient reçu ses filles (Id 14) Auparavant, il disait à ces impies : J’ai deux filles qui sont encore vierges. Comment donc, le texte peut-il dire ici : À ses gendres qui avaient reçu ses filles ? Ne croyez pas qu’il y ait ici une contradiction, avec ce quia été dit plus haut. C’était l’habitude chez les anciens, de faire longtemps d’avance, les fiançailles. Les fiancés habitaient chez les parents de la jeune fille ; coutume qui subsiste de nos jours encore dans beaucoup d’endroits. Les fiançailles ayant été déjà faites, le texte nomme les gendres de Loth et dit : Qui avaient reçu ses filles, ce qui veut dire qu’il y avait mariages projetés d’un consentement mutuel. Et il dit : Sortez de ce lieu, parce que le Seigneur détruit cette ville. Mais ils s’imaginèrent qu’il délirait. Voyez le mauvais ferment qui travaillait aussi ces gendres de Loth. C’est pourquoi Dieu, voulant affranchir promptement le juste de toute alliance avec eux, ne leur permit pas de partager le sort de ses filles ; il les perdit, eux aussi, avec les impies, afin que le juste, étant sorti avec ses filles, échappât à leur parenté. Donc, entendant les terribles menaces énoncées par l’homme juste, ils se moquaient, ils pensaient que ses paroles provenaient du délire. Cependant le juste insistait ; comme il leur avait promis ses filles, il voulait les arracher au supplice. Mais eux ne voulurent pas ; ils s’obstinèrent à lui résister, l’expérience leur fit comprendre que c’était à leur grand détriment qu’ils avaient rejeté le conseil du juste. A la pointe du jour, dit le texte, les anges pressaient vivement Loth de sortir, en lui disant : Levez-vous et emmenez votre femme et vos deux filles, de peur que vous ne périssiez aussi vous-mêmes dans la ruine de cette ville. Et ils jurent troublés. (Id 15, 16) Ne différez pas, disaient-ils, déjà la destruction s’apprête ; sauvez-vous, et votre femme avec vous, et sauvez vos filles ; car ceux qui n’ont pas voulu obéir à vos avertissements, vont être bientôt frappés par la destruction commune. Ne différez donc pas, pour n’être pas atteints vous-mêmes par l’extermination de ces impies. Et ils furent troublés : c’est-à-dire Loth, et sa femme, et ses filles, en entendant ces mots. Ils furent troublés, dit le texte, c’est-à-dire étonnés, épouvantés, remplis d’angoisse, à cette menace. Aussi, les anges prenant soin de l’homme juste le saisirent, dit le texte, par la main. Dès ce moment, la divine Écriture n’en parle plus comme si c’étaient des hommes ; mais, parce qu’ils allaient faire tomber le coup terrible, elle les nomme des anges, et elle dit : Ils le prirent par la main, et sa femme, et ses filles, car le Seigneur voulait le sauver. C’était pour leur donner de la confiance, que les anges leur prenaient la main, et ils leur fortifièrent ainsi le cœur, pour que le saisissement de l’épouvante n’engourdît pas leurs membres. Voilà pourquoi le texte ajoute : Car le Seigneur voulait le sauver. Attendu que le Seigneur avait jugé qu’il méritait d’être sauvé, les anges, voulant les fortifier tous, les saisissent par la main. Et les ayant ainsi fait sortir de la maison, ils dirent : Sauvez votre vie, ne regardez point derrière vous, et ne vous arrêtez point dans tout le pays d’alentour ; mais sauvez-vous sur la montagne, pour n’être pas enveloppés avec les autres. (Id 17) Comme nous vous délivrons de ces impies, disent-ils, ne regardez pas davantage derrière vous ; ne cherchez pas à voir ce qui va leur arriver ; mais hâtez-vous ; allez, au loin, devant vous, afin d’échapper au châtiment qui va leur être infligé. Ensuite le juste, craignant de ne pouvoir par hasard atteindre le lieu qu’ils lui désignent, et parvenir sur la montagne : Je vous prie, Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé grâce devant vous, et que vous avez signalé envers lui votre grande miséricorde, en me sauvant la vie, je vous prie de considérer que je ne puis me sauver sur la montagne, étant en danger que le malheur ne me surprenne auparavant, et que je ne meure. Mais voilà ici près une ville où je puis fuir, elle est petite, je puis m’y sauver et je vivrai à cause de vous. (Id 18, 19-20) Puisque, dit-il, vous avez décidé de me sauver, mais qu’il est au-dessus de mes forces d’atteindre au sommet de la montagne, accordez-moi une plus grande grâce, dans votre miséricorde ; rendez ma fatigue plus légère, de peur que je ne sois saisi par la flamme qui tombe sur eux, que je ne meure avec eux ; voici une ville qui est tout près, qui est petite, préservez-la, afin qu’elle soit mon séjour ; elle a beau être misérable et petite, je puis m’y sauver, y vivre, n’ayant plus rien à craindre. L’ange lui répondit : J’accorde cette grâce, à la prière, que vous me faites, de ne pas détruire la ville, de laquelle vous me parlez. (Id 21) J’accueille vos prières, dit-il, je ferai ce que vous voulez ; je vous accorde ce que vous me demandez, et, par égard pour vous, j’épargnerai même la ville. Hâtez-vous donc de vous sauver en ce lieu. (Id 22) Car je ne ferai rien jusqu’à ce que vous y soyez arrivés : Car je ne pourrai pas, dit le texte, faire l’œuvre avant que vous ne soyez entrés: votre salut m’intéresse, j’attendrai jusqu’à ce que vous arriviez là, et c’est alors que j’infligerai aux autres leur châtiment. Le soleil se levait sur la terre, au même temps que Loth entrait dans Ségor. (Id 23) C’est au lever du soleil, dit le texte, qu’il arriva dans la ville ; et aussitôt qu’il fut dans la ville, les autres reçurent leur châtiment. Alors le Seigneur, dit le texte, fit descendre une pluie de soufre et de feu lancée du haut du ciel, par le Seigneur sur Sodome et sur Gomorrhe, et il perdit ces villes, et tout le pays d’alentour, et tous ceux qui habitaient dans les villes, et dans le pays, et tout ce qui s’élevait de la terre. (Id 24, 25) Ne vous étonnez pas de ce langage, mon bien-aimé, c’est le propre de l’Écriture de répéter ainsi souvent les mêmes mots indifféremment. Vous en voyez, ici, un exemple : Le Seigneur, dit le texte, fit descendre une pluie de soufre et de feu, lancée par le Seigneur du haut du ciel. C’est pour dire que c’est le Seigneur qui a opéré la punition, et non seulement il a bouleversé les villes, et tout le pays d’alentour, et tous les habitants, mais encore il a détruit ce qui s’élevait de la terre. Attendu que les hommes qui l’habitaient avaient produit de nombreux fruits d’impiété, pour cette raison, dit Dieu, je supprime les fruits de la terre ; je veux, par cette destruction, laisser un monument éternel aux générations à venir ; la seule stérilité de la terre leur apprendra combien fut grande la malice de ceux qui l’habitaient. Voyez-vous combien la vertu est puissante, combien la malice est funeste, comment le juste fut sauvé, comment les autres ont reçu la punition que méritait leur malignité. Et ; de même que ce juste, par sa vertu, a sauvé ses filles avec lui, et empêché la destruction de cette petite ville ; de même les autres, par la grandeur de leur malignité, non seulement ont péri eux-mêmes, et ont été détruits, mais, ils ont rendu, pour l’avenir, leur terre stérile. La femme de Loth, dit le texte, regarda derrière elle, et elle fut changée en une statue de sel. (Id 26) Elle avait entendu les anges recommandant au juste que personne ne se retournât, que tout le monde se retirât, en toute hâte ; elle méprisa ces paroles, ne tint aucun compte de l’ordre et elle porta la peine de sa négligence. 7. Et nous maintenant, instruits par cette leçon, appliquons-nous à notre salut, avec un zèle plus diligent ; gardons-nous d’imiter de pareils vices ; imitons ce juste, ses vertus hospitalières, ses autres vertus encore, afin d’écarter loin de nous la colère d’en haut. Non, il n’est pas possible, il n’est pas possible que celui qui pratique cette vertu, avec l’ardeur d’un vrai zèle, n’y gagne pas un grand trésor. C’est par là, en effet, que ces anciens justes ont obtenu la grâce d’en haut ; et le patriarche, et Loth, et tous ceux qui, croyant recevoir des hommes, ont mérité de recevoir des anges, et le Seigneur des anges. Nous aussi, de nos jours encore, nous n’avons qu’à le vouloir, nous pouvons le recevoir chez nous, car c’est lui-même qui a dit : Celui qui vous reçoit me reçoit.(Mat 10,40) Dans cette pensée, recevons donc les, hôtes, et ne nous arrêtons pas à ce que l’apparence a de misérable. En vérité si nous exerçons, nous aussi, avec la même sagesse, l’hospitalité, nous mériterons ; nous aussi, de recevoir de tels hôtes, qui paraissent des hommes, qui opèrent les œuvre des anges. Mais pas de vaine curiosité, de recherches, d’enquêtes qui nous feraient perdre notre trésor. Sachez-le bien, Paul nous révèle les noms de ces justes et nous apprend comment ils recevaient de tels hôtes : Ne négligez pas, dit-il, d’exercer l’hospitalité ; car c’est en la pratiquant que quelques-uns, sans le savoir, ont reçu, pour hôtes, des anges (Heb 13,1) ; car c’est là ce qui les a surtout rendus dignes d’admiration ; c’est qu’ils ont déployé l’hospitalité la plus affectueuse envers ceux qu’ils ne connaissaient pas. Eh bien donc ! nous aussi, mettons-nous à cette œuvre, avec une foi, avec une piété entière, afin de pouvoir obtenir le trésor. Puissions-nous tous, le recevoir en partage, par la grâce, et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et au Saint-Esprit, l’honneur, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. QUARANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.
Or, Abraham s’étant donc levé le matin vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur. (Gen 19,27-38) ANALYSE.
- 1-3. De l’invocation et de l’intercession des saints. – 4. Les prières que d’autres font pour nous sont moins efficaces que celles que nous faisons nous-mêmes. – 5. Loth ni ses filles ne sont point à condamner. – 6. Exhortation morale. Comparaison de l’épreuve de Joseph tenté par l’Égyptienne avec la fournaise de Babylone.
1. Hier, l’histoire de la Samaritaine nous a fait voir assez l’ineffable patience du Seigneur, l’excès de sa sollicitude pour elle, la reconnaissance de cette femme ; vous l’avez vue, elle venait puiser l’eau qui tombe sous nos sens, et c’est à la source spirituelle, c’est à la divine fontaine qu’elle a puisée, et elle s’en est retournée chez elle, accomplissant la parole du Seigneur : L’eau que je lui donnerai, deviendra en son âme une fontaine d’eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle. (Jn 4,14) Elle s’est remplie de cette eau divine et spirituelle. Elle n’a pu en retenir les courants, qui ont débordé, pour ainsi dire, sur la ville, et elle a inondé les habitants de la grâce qui lui était accordée ; elle est devenue tout à coup le héraut du Seigneur, cette samaritaine, cette étrangère. Quel trésor, voyez-vous, que la reconnaissance ! Vous voyez comment la bonté de Dieu ne dédaigne personne ; comment, au contraire, si, même dans une femme, même dans un être absolument pauvre, en qui que, ce soit, si le Seigneur trouve la vigilance et la ferveur, aussitôt il communique les largesses de sa grâce. Imitons donc, je vous en conjure, imitons, nous aussi, cette femme, 'et recevons avec une grande attention les enseignements de l’Esprit ; car les paroles que nous prononçons ne sont pas nos paroles. Ce n’est pas, à vrai dire, notre langue qui parle quand nous parlons ; mais, conduits par la bonté du Seigneur, nous vous disons ce, qu’il nous inspire, pour notre salut et l’édification de l’Église de Dieu. Ne fixez donc pas les yeux sur moi, mes bien-aimés ; ne considérez pas mon infirmité ; mais, parce que je vous apporte ce que le Seigneur me donne, tenez vos pensées fixées sur celui qui m’envoie. Soyez attentifs ; soyez vigilants ; écoutez. Voyez ce qui se passe sur la terre ; lorsque celui dont le front est ceint du diadème, l’empereur envoie un message, celui qui l’apporte n’a par lui-même aucune valeur ; c’est un homme du commun, qui souvent ne pourrait dire quelle est sa famille ; un homme obscur et de parents obscurs ; mais ceux à qui est destiné l’écrit impérial, ne s’arrêtent pas à considérer ce qu’est cet homme ; attendu qu’il apporte un écrit de l’empereur, on lui fait un grand honneur, à lui aussi, et, quant au message, on l’écoute avec un respect plein de crainte ; on l’écoute en silence. Eh bien ! si cet homme qui n’apporte que l’écrit d’un autre homme, qui n’apporte qu’un papier, est reçu avec honneur par tous, à plus forte raison devez-vous accueillir, avec l’extrême attention que le respect commande, ce que l’Esprit vous envoie, par notre entremise, afin que vous recueilliez une grande récompense de votre sagesse. Car, si le Seigneur de toutes les créatures voit une généreuse, ardeur échauffer vos âmes, il nous fera à nous-même, pour votre édification, de plus riches présents, et il accroîtra en vous l’intelligence, pour comprendre la parole ; car la grâce de l’Esprit est magnifique ; elle se répand sur tous ; elle ne décroît pas en se partageant ; au contraire, en même temps qu’elle se distribue, elle grandit, et plus est considérable le nombre de ceux qui y participent, d’autant plus considérable est le bienfait communiqué à tous. Eh bien ! donc, si vous voulez, reprenons la suite de nos entretiens ; voyons où nous nous sommes arrêtés, où il convient de recommencer aujourd’hui. Où avons-nous hier amarré notre barque ? Où avons-nous arrêté le cours de l’instruction ? Nous vous parlions de Loth, de l’incendie de Gomorrhe, et nous avons terminé notre discours au moment où le juste fut sauvé dans Ségor. Le soleil se levait sur la terre au même temps que Loth entra dans Ségor. Et alors la colère envoyée de Dieu saisit les habitants de Sodome, opéra la destruction de cette terre, et nous avons vu que la femme de l’homme juste, oubliant les paroles que les anges avaient dites, regarda derrière elle, et – fut changée en statue de sel, laissant aux générations à venir un monument éternel de sa coupable négligence. Il faut aujourd’hui, reprenant la suite de ces événements, vous montrer, en peu de mots, mes bien-aimés, vous montrer encore la charité, la compassion qui animait le patriarche, et la bienveillance de Dieu pour lui. En effet, au lever du soleil, le juste Loth fut sauvé dans Ségor ; ceux de Sodome, au contraire, subirent l’expiation. En même temps le patriarche était saisi de pitié, à la pensée de cette destruction que leur péché leur avait attirée, et il était troublé d’inquiétude pour le sort de l’homme juste ; et le matin, il vint et il regardait ce qui était arrivé. Or, Abraham s’étant levé le matin, vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur, et regardant Sodome et Gomorrhe, et tout le pays d’alentour, il vit des cendres enflammées, qui s’élevaient de la terre comme la fumée d’une fournaise. (Id 27-28) Le texte marque le lieu où il s’était entretenu avec le Seigneur, où il l’avait imploré pour ceux de Sodome ; c’était là qu’il voyait les traces de cet épouvantable châtiment. Et il voulait savoir des nouvelles de l’homme juste. C’est là le caractère des saints ; ils éprouvent vivement l’affection, ils savent compatir. L’Écriture, pour nous apprendre que la grâce de l’Esprit fit aussitôt connaître au patriarche ce qu’il tenait tant à savoir, et le délivra de l’inquiétude que Loth lui causait : Lorsque Dieu, dit le texte, détruisait les villes de ce pays-là, il se souvint d’Abraham, et sauva Loua du milieu de cette destruction. (Id 29) Que signifient ces mots : Dieu se souvint d’Abraham ? c’est-à-dire, de la prière qu’Abraham lui avait faite, en lui disant : Perdrez-vous le juste avec l’impie? (Gen 18,22) Mais pourquoi donc, objectera-t-on, le juste a-t-il été sauvé à cause de la prière du patriarche, et non à cause de sa justice ? Assurément il a été sauvé pour sa justice ; et, de plus, pour la prière du patriarche. En effet, quand nous apportons ce qui dépend de nous, l’intercession des saints, s’ajoutant à nos œuvres, est encore pour nous la source des plus grands biens. Si nous nous négligeons nous-mêmes, si nous mettons en eux seuls toutes nos espérances de salut, nous n’en retirons aucune utilité. Ce n’est pas que les justes soient sans puissance, mais c’est que, par notre propre négligence, nous nous trahissons nous-mêmes. 2. Et voulez-vous avoir la preuve que, quand nous nous négligeons nous-mêmes, c’est en vain que les justes, si justes qu’ils soient, c’est en vain que les prophètes, si inspirés qu’ils soient, prient pour nous, qu’il n’en résulte pour nous aucune utilité ? (Ils montrent leur vertu par leurs prières, la vertu qui est en eux ; mais cette vertu ne nous est d’aucun profit, à cause des mœurs que nous faisons paraître) Écoutez les paroles que le Dieu de toutes les créatures adresse à son prophète, sanctifié dès le ventre de sa mère, à Jérémie : Ne prie pas pour ce peuple, parce que je ne t’exaucerai point. (Jer 16,7) Voyez la bonté du Seigneur ; il avertit son prophète, parce qu’il ne veut pas, la prière ne devant pas être exaucée, que le saint attribue la rigueur de Dieu à ses propres fautes. Voilà pourquoi il lui dénonce, par avance, la corruption du peuple, et lui défend de prier. Il veut leur faire savoir, à tous en même temps, à lui, combien est grande la perversité des Juifs ; à eux, que les prières du prophète ne leur servent de rien, s’ils ne sont pas les premiers à faire tout ce qui dépend d’eux. C’est dans de telles pensées, mes bien-aimés, que nous devons recourir aux prières des saints, pour leur demander d’intercéder pour nous. Gardons-nous de mettre toute notre confiance dans leurs prières, faisons, de notre côté, les œuvres qui dépendent de nous ; faisons-les comme il convient ; efforçons-nous toujours de prendre la voie la meilleure, afin d’autoriser la prière qui s’épanche pour nous. C’est ce que dit, à un autre prophète, le Seigneur de toutes les créatures : Ne voyez-vous pas ce qu’ils font ? ils font brûler la graisse, pour faire des gâteaux d une armée du ciel. (Jer 7,17-18) Ce qui revient à dire : Vous me priez pour ceux qui ne renoncent pas à leurs péchés, qui ne sentent pas le mal dont ils sont travaillés, qui n’ont plus de sentiment. Ne voyez-vous pas leur parfait dédain ? Ne voyez-vous pas l’excès de leur délire ? Comme, insatiables d’impiété, ils ressemblent à la truie dans la fange, se vautrant dans leurs iniquités. S’ils voulaient se convertir, n’écouteraient-ils pas les exhortations ? N’est-ce pas moi, par la voix des prophètes, qui leur crie : Et après qu’elle a fait tous ses crimes, je lui ai dit : après tous vos crimes revenez à moi, et elle n’est point revenue? (Jer 3,7) Leur demandai-je autre chose que de s’arrêter, de ne plus pécher, de ne pas pousser plus loin leurs crimes ? leur demanderais-je compte du passé, si je les voyais seulement manifester l’intention de se corriger ? Ne leur criai-je pas chaque jour : Est-ce que je veux la mort du pécheur, comme je veux qu’il se convertisse et qu’il vive ? (Eze 18,23) Est-ce que je ne fais pas toutes choses, pour les arracher à la mort, quand je les vois égarés ? Quand je les vois convertis, est-ce que je me fais attendre ? Ne suis-je pas celui qui dit : Tu parles encore, me voici ? (Isa 58,9) Tiennent-ils à leur propre salut, autant que j’ai le désir de voir tous les hommes sauvés, de les voir arrivés tous à la connaissance de la vérité ? (1Ti 2,4) Vous ai-je tirés du néant pour vous perdre ? Vous ai-je, sans aucun but, préparé le royaume à venir, et des biens innombrables ? Si j’ai menacé de la gêne, n’est-ce pas parce que cette crainte me sert pour introduire les hommes dans le royaume des cieux ? Garde-toi donc, ô bienheureux prophète, de les abandonner pour m’apporter ta prière ; ne prends plus qu’un seul souci, celui de les guérir, de leur faire sentir leur infirmité, de les ramener à la santé, et tous mes biens viendront d’eux-mêmes. Et je ne me fais pas attendre et je ne suis jamais en retard, quand je vois une âme bien disposée ; je ne leur demande qu’une chose : la confession des péchés, et, c’en est fait, je ne punis pas les péchés. Est-ce donc bien lourd à porter, bien embarrassant, ce que je propose ? Si je ne savais pas qu’ils deviennent plus mauvais, quand ils ne confessent pas leurs premières fautes, je ne leur demanderais pas même cette confession ; mais, parce que je sais que l’homme s’enfonce de plus en plus dans le péché, voilà pourquoi je veux qu’ils confessent leurs premières fautes, afin que cette confession les empêche d’y retomber. 3. Donc, dans ces pensées, mes bien-aimés, réfléchissant sur la bonté du Seigneur, secouons notre engourdissement ; soyons bien attentifs à nous-mêmes ; lavons les taches de nos péchés, et hâtons-nous, ensuite, de demander l’intercession des saints. Si nous voulons être sages et vigilants, nous pourrons même par la seule vertu de nos propres prières, nous servir nous-mêmes, de la manière la plus efficace ; car notre Dieu, qui, est un Dieu de clémence, accorde moins aux autres, le priant pour nous, qu’il ne nous accorde à nous-mêmes, quand c’est nous qui le prions. Voyez l’excès de bonté ; pour peu qu’il s’aperçoive que nous, qui l’avons offensé, qui nous sommes rendus méprisables, qui n’avons plus aucun droit d’espérer en lui, nous nous réveillons un peu, nous avons, en nous, la pensée de recourir à son inépuisable clémence ; aussitôt il agrée nos prières, il nous tend la main. Nous étions étendus et gisants, il nous relève, il nous crie : Est-ce que celui qui est tombé, ne se relèvera pas ? (Jer 8,4) Mais la réalité même des choses vous montre quel grand nombre d’hommes, priant eux-mêmes pour eux-mêmes, ont mieux obtenu ce qu’ils désiraient, que par les prières des autres. Ceci vaut la peine que nous vous montrions les personnes qui ont eu ce bonheur, afin que nous les imitions, afin que nous nous animions d’un beau zèle. Apprenons donc comment cette Chananéenne, à l’âme si cruellement tourmentée, comment cette femme, cette étrangère, à la vue du médecin des âmes, du soleil de justice, levé pour ceux qui demeurent dans les ténèbres, s’approcha de lui, pleine de ferveur, animée d’un généreux zèle ; et ce zèle ne se ralentit pas, quoique ce ne fût qu’une femme ; quoique ce fût une étrangère. Repoussant tous les obstacles, elle s’approcha, et dit : Seigneur, ayez pitié de moi ! ma fille est misérablement tourmentée par le démon. (Mat 15,22) Celui qui connaît les secrets des cœurs, garde le silence, ne lui répond pas, ne daigne pas s’entretenir avec elle, il n’a pas de pitié pour cette femme, qu’il voit si misérable, dont il entend les cris de douleur. Il diffère, parce qu’il veut rendre manifeste, aux yeux de tous, le trésor caché dans cette femme. Il savait bien qu’il y avait là une perle qu’on ne voyait pas, qu’il voulait montrer à nos regards. Voilà pourquoi il différait, ne daignant pas lui répondre ; c’était pour que le zèle de cette femme fût, pour toutes les générations à venir, un grand enseignement. Et voyez l’ineffable bonté de Dieu ; lui-même, dit le texte, ne lui répondait pas ; quant aux disciples, pleins de compassion et de bonté, ils n’osent pas dire hier ! haut donnez-lui ce qu’elle demande, ayez pitié d’elle, soyez clément pour elle ; mais que disent-ils ? Accordez-lui ce qu’elle demande parce qu’elle crie derrière nous (Id 23) Comme s’ils disaient : délivrez-nous de cette importune ; délivrez-nous de ses cris. Que fait donc le Seigneur ? Pensez-vous, leur dit-il, que ce soit sans raison que j’ai gardé le silence, que je n’ai pas daigné lui adresser une réponse ? Écoutez : Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues (Id 24) Ignorez-vous, leur dit-il, que c’est une femme étrangère ? Ignorez-vous, que je vous ai interdit tout commerce avec les étrangers ? Pourquoi donc, sans examen, montrer votre compassion pour elle ? Considérez l’industrieuse sagesse de Dieu ; voyez comme en paraissant répondre à cette femme, il l’accablait plus que par son silence ; comme il la frappait, pour ainsi dire, d’un coup mortel, voulant ensuite la ranimer peu à peu, afin que les disciples, qui ne se doutaient de rien, comprissent la grandeur de la foi qu’elle recelait dans son âme. Eh bien ! elle ne se ralentit pas, elle ne se découragea pas, en voyant que les disciples n’avançaient à rien ; elle ne se dit pas à elle-même : s’ils n’ont pu fléchir le Seigneur, en le priant pour moi, pourquoi continuerai-je une tentative inutile, pourquoi insister ? Au contraire, embrasée du feu qui brûle, qui dévore ses entrailles, elle s’approche, elle adore, elle dit : Seigneur, assistez-moi ! (Id 25) Mais lui refuse encore son secours à cette femme, il fait entendre une réponse plus sévère que l’autre : Il n’est pas juste, dit-il, de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens. Considérez, mes bien-aimés, admirez ici la vivacité du désir dans cette femme et la rare distinction de sa foi. Quand elle entendit ce nom de chiens, elle ne s’indigna pas, elle ne se retira pas, mais, avec une affection pieuse et profonde, elle dit : Il est vrai. Seigneur, mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître (Mat 15,27) Eh bien dît-elle, j’avoue que je mérite d’être traitée, comme on traite les chiens ; accordez-moi donc comme aux chiens des miettes de votre table. Comprenez-vous la foi, la vertu de cette femme ? Elle a supporté la parole, et aussitôt elle a obtenu ce qu’elle demandait avec instance, et elle l’a obtenu, en s’attirant de plus, un éloge insigne. En effet, que lui dit le Christ ? O femme, votre foi est grande, qu’il vous soit fait comme vous voulez ! (Id 28) O femme ! c’est un cri d’admiration et d’éloge. Vous avez montré, dit le Seigneur, une grande foi ; aussi, vous obtiendrez tout ce que vous voulez. Voyez jusqu’où s’étend la générosité ; admirez la sagesse du Seigneur. Ne pensions-nous pas d’abord, quand il la repoussait ainsi, qu’il était sans pitié ? D’abord il ne daignait pas lui répondre. Ensuite, il lui fit une première, une seconde réponse, comme pour la chasser loin de lui ; il repoussait cette femme, qui était venue auprès de lui, avec un désir si vif et si brûlant. Mais, que la fin vous montre la bonté de Dieu. C’était parce qu’il voulait rendre plus éclatante la vertu de cette femme, qu’il se fit tant prier pour lui accorder sa demande. En effet, s’il la lui eût accordée aussitôt, nous n’aurions pas connu ce qu’il y avait dans cette femme de constance et de foi ; mais, grâce à ce, petit retard, nous avons pu reconnaître l’ineffable bonté que le Seigneur a pour nous, et la foi si rare, qui distingue cette femme au plus haut degré. 4. Toute cette histoire que nous nous sommes efforcé de vous exposer, c’est pour apprendre à tous que les prières des autres pour nous, sont moins efficaces que ne le sont nos propres prières, si nous prions avec ardeur, avec un esprit bien éveillé. Vous le voyez : cette femme avait les disciples qui priaient pour elle ; elle n’y gagna rien ; c’est elle, par ses propres efforts, par sa persévérance, qui se concilia la clémence du Seigneur. Et c’est encore ce qu’indique cette parabole de l’ami qui vient au moment où on ne l’attend pas, pendant la nuit, et demande trois pains : Si néanmoins l’autre persévérait à frapper, je vous assure que, quand il ne se lèverait pas pour lui en donner, parce qu’il est son ami, il se lèverait, du moins, à cause de son importunité, et il lui en donnerait. (Luc 11,8) Eh bien ! puisque nous voyons l’ineffable clémence de Notre-Seigneur, allons à lui, déclarons-lui, mettons-lui, pour ainsi dire, sous les yeux, un à un séparément tous nos péchés ; demandons-lui le pardon de nos fautes passées, afin de vivre dorénavant avec plus d’exactitude, et d’obtenir de lui une plus grande bienveillance. Mais revenons, s’il, vous plaît, à la suite de notre lecture. Loth, dit le texte, étant dans Ségor, monta et se retira sur la montagne, ainsi que ses deux filles avec lui, parce qu’ils avaient peur d’habiter dans Ségor, et Loth habita dans une caverne, et ses deux filles avec lui. (Gen 19,30) Le juste, sous le coup de la crainte que lui avait inspirée le désastre de Sodome, s’en va, et, dit le texte, il habitait sur une montagne avec ses filles. II vécut dans la solitude, dans un lieu tout à fait dévasté, avec ses filles, séjournant sur la montagne. Alors, suivant le texte, l’aînée dit à la cadette : Notre père est vieux, et il n’est personne sur la terre qui viendra vers nous, selon la coutume de tous les pays. Viens, donnons du vin à notre père et dormons avec lui, afin que nous puissions conserver de la race de notre père. (Id 31, 32) C’est avec un religieux respect, mêlé de tremblement et de crainte, mes bien-aimés, que nous devons écouter ces paroles de la divine Écriture. Rien n’a été consigné à la légère et sans dessein dans nos saints Livres ; tout ce qu’ils contiennent y a été mis pour notre utilité, et dans notre intérêt, même les choses que nous ne comprenons pas. En effet, nous ne pouvons pas savoir tout absolument, avec une parfaite exactitude ; mais si nous essayons d’expliquer, selon la portée de notre esprit, les endroits difficiles, c’est qu’ils contiennent, même ainsi, un trésor caché, profondément caché, et difficile à découvrir. Considérez donc comme l’Écriture, raconte tout, d’une manière parfaitement claire, et nous – montre le but que se proposent les filles de l’homme juste, d’une manière suffisante pour empêcher que qui que ce soit, considérant te fait, ne condamne, soit le juste, soit les filles du juste, comme si ce commerce était l’effet de l’incontinence. Comment donc l’Écriture excuse-t-elle les filles glu juste ? L’aînée, selon le texte, dit à la cadette : Notre père est vieux et il n’est personne sur la terre qui viendra vers nous selon la coutume de tous les pays. Considérez attentivement le but, et vous verrez qu’elles sont au-dessus de toute accusation. En effet, elles pensèrent qu’elles avaient assisté à une destruction générale du monde entier ; qu’il n’y avait pas un seul survivant ; elles virent ensuite la vieillesse de leur père. Donc, dit l’aînée, pour que notre race subsiste, pour que notre nom ne meure pas (c’était là en effet le plus grand souci des anciens hommes, d’étendre leur race par la succession de leurs enfants) ; donc, dit-elle, pour que notre race ne soit pas tout entière détruite, et cela surtout quand notre père est déjà accablé de vieillesse, quand il n’y a pas un homme qui puisse s’unir à nous, de telle sorte qu’il nous soit possible d’étendre et de laisser, après nous, notre race : Viens, dit-elle, pour prévenir ce malheur, donnons du vin à notre père. C’est comme si elle disait : notre père ne supporterait pas nos paroles, trompons-le avec du vin. Elles donnèrent donc cette nuit-là du vin à leur père, et l’aînée dormit avec lui sans qu’il sentît, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. (Id 33) Voyez-vous comment la divine Écriture excuse le juste, non pas une fois seulement, mais deux fois. D’abord, en montrant que ses filles l’ont trompé par le vin, elle a déclaré qu’elles n’avaient pas d’autres moyens de décider leur père ; et maintenant, je crois que c’est une disposition d’en haut qui a permis qu’il fût assez appesanti par le vin pour ignorer absolument tout, de manière à demeurer innocent. En effet, les péchés qui nous condamnent, ce sont ceux que nous faisons sciemment et volontairement. Voyez le soin que prend l’Écriture de rendre en faveur du juste le témoignage que lui, personnellement, ignora tout ce qui s’était passé. Mais ici une autre question s’élève, au sujet de l’ivresse. Il convient, en effet, de tout examiner, afin de ne laisser à la perversité impudente aucun prétexte de calomnie. Que dirons-nous donc de cette ivresse ? elle ne résulta pas pour lui autant de l’intempérance, que de la tristesse et de l’abattement. 5. Que personne donc ne se permette de condamner, soit l’homme juste, soit les filles de l’homme juste. Quelle ne serait pas notre démence, notre délire, quand nous voyons la divine Écriture les absoudre pleinement, bien plus, les justifier avec un soin si jaloux, d’aller les condamner, nous qui sommes chargés de péchés sans nombre ? Écoutons la voix de Paul : C’est Dieu qui justifie, qui osera condamner ? (Rom 8,33-34) Et ce qui prouve que cette action ne fut pas l’effet irréfléchi d’une passion ordinaire ; que l’excès de la tristesse et le vin ne lui laissèrent aucun sentiment, écoutez l’Écriture : Le jour suivant, l’aînée dit à la cadette : Vous savez que je dormis hier avec mon père ; donnons-lui encore du vin à boire, cette nuit, et vous dormirez aussi avec lui, afin que nous conservions de la race de notre père. Voyez en quelle sûreté de conscience elle faisait cette action. Puisque j’ai pu, dit l’aînée, accomplir ce que je voulais, il est nécessaire que vous aussi vous fassiez la même chose ; peut-être obtiendrons-nous ce que nous désirons, et notre race ne périra pas éternellement. Elles donnèrent donc encore, cette nuit-là, du vin à leur père, et sa seconde fille dormit avec lui, sans qu’il sentît non plus, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Considérez, mes bien-aimés, que tout ce qui s’est passé là, est l’œuvre d’une disposition divine, comme il est arrivé pour le premier homme. Il dormait, on lui prit une côte, et il ne sentit rien ; celui qui avait fait cette côte, en tira l’épouse d’Adam. Le fait d’aujourd’hui est de même nature. Si la côte fut enlevée dans un moment où la pensée, par l’ordre de Dieu, ne s’en aperçut pas, en l’absence de tout sentiment pour l’homme, à bien plus forte raison en fut-il de même, pour le fait qui nous occupe. La divine Écriture dit : Le Seigneur Dieu envoya à Adam un profond sommeil, et il dormit. (Gen 2,21) Elle exprime un fait du même genre par ces paroles : Sans qu’il sentît, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Ainsi, dit le texte, elles conçurent de leur père ; l’aînée enfanta un fils, et elle le nomma Moab, c’est-à-dire de mon père ; c’est le père des Moabites ; la seconde enfanta aussi un fils, et elle l’appela Ammon, c’est-à-dire le fils de ma race ; c’est le père des Ammonites. (Gen 19,36-38) Vous voyez qu’il n’y a pas là une œuvre de l’incontinence, puisque, tout de suite, elles donnent à leurs fils des noms qui expriment le fait ; elles inscrivent dans les noms de leurs fils, comme sur des colonnes, le fait qu’elles ont accompli ; elles marquent d’avance les nations qui doivent sortir de leurs enfants ; elles indiquent la propagation de leur race qui formera des peuples. L’un, en effet, sera le père des Moabites, l’autre celui des Ammonites. 6. Considérons maintenant qu’à cette époque, dans ces premiers temps, où commençaient les choses, on voulait conserver sa mémoire par la succession de sa race ; de là la préoccupation si forte des filles de l’homme juste. Aujourd’hui, au contraire, par la grâce de Dieu, la religion a grandi, et, comme dit le bienheureux Paul : La figure de ce monde passe. (1Co 7,31) C’est par nos bonnes œuvres que nous devons assurer notre mé moire, afin qu’après notre départ d’ici-bas, l’examen attentif et minutieux de notre vie, soit un exemple, un enseignement, pour tous ceux qui tourneront sur nous leurs regards. C’est qu’en effet les hommes vertueux, les hommes chastes et purs, peuvent être utiles non seulement dans cette vie, mais après leur départ de cette vie, à ceux qui les contemplent, Voyez-en la preuve, je vous en conjure, dans le grand nombre d’années qui se sont écoulées depuis Joseph jusqu’à nos jours ; dans ce qui arrive toutes les fois que nous voulons porter les hommes à la continence. C’est Joseph que nous proposons, ce beau et gracieux jeune homme, qui, dans, la fleur de l’âge, montre une sagesse si virile, tant de chasteté, tant de pudeur. Voilà par quels moyens nous nous appliquons à provoquer, dans ceux qui nous écoutent, l’imitation des vertus que ce juste a montrées en lui. Qui n’admirerait pas en effet ce bienheureux ? il est esclave ; il est dans la fleur de la jeunesse ; à l’âge où la concupiscence est une fournaise plus que jamais brillante ; il voit la femme de son maître, qui se lance sur lui dans le délire de la passion, et il montre un courage héroïque, et il s’est si bien exercé aux combats de la tempérance, qu’il s’échappe hors des étreintes de cette femme aux désirs effrénés. Il s’élance loin d’elle, dépouillé de ses vêtements, mais revêtu de sa chasteté qu’il conserve. Et, à cette heure, on pouvait voir, étrange, incroyable prodige, l’agneau au pouvoir du loup, disons mieux, sous l’ongle de la lionne, et cependant l’agneau fut sauvé. Et, comme la colombe évite la serre de, l’aigle, ainsi ce juste échappe aux mains de cette femme. Non, je n’admire pas autant la victoire des trois jeunes hommes, triomphant de la flamme au milieu de la fournaise de Babylone ; je n’admire pas leur chair restée intacte, autant que j’admire, que je suis frappé d’étonnement et de stupeur, en voyant ce juste dans cette fournaise, bien plus redoutable que la fournaise de Babylone, exposé à l’incontinence, je dis l’incontinence d’une Égyptienne, et demeurant intact jusqu’au bout, et conservant sans atteinte son manteau de chasteté. Mais ne soyez pas trop étonnés, mes bien-aimés ; c’est parce qu’il contribua des ressources qui étaient en lui, qu’il obtint comme auxiliaire la grâce d’en haut, pour éteindre cet incendie, pour faire pleuvoir au milieu de la fournaise la rosée de l’Esprit-Saint. Avez-vous bien compris comment les hommes doués de vertu sont pour nous, et pendant tout le temps qu’ils restent sur la terre au milieu de nous, et après leur départ de cette vie de la plus grande utilité ? Et voilà pourquoi nous avons fait paraître ce juste au milieu de vous ; c’est afin que nous suivions tous son exemple. Donc, imitons-le tous, et triomphons de notre concupiscence, instruits par ces paroles : Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, et les puissances, contre les princes du monde de ce siècle ténébreux (Eph 6,12) ; et, dans la pensée que nous, revêtus de notre corps, nous sommes forcés de lutter contre des puissances incorporelles, fortifions-nous des armes de l’Esprit. Voilà pourquoi le Seigneur, parce qu’il est plein de bonté pour l’homme, et parce que nous sommes revêtus de chair, et parce qu’il nous faut soutenir un combat contre des puissances invisibles, nous a préparé à nous aussi des armes invisibles. Il veut que, par ce secours, nous triomphions de tous nos ennemis. Eh bien donc ! assurés de la vertu de nos armes, contribuons des ressources qui sont en nous, et il nous sera donné, grâce à ces armes spirituelles, de frapper le démon au visage, car il ne pourra pas supporter l’éclat de notre armure ; quelques efforts qu’il fasse pour nous tenir tête, il sera bien vite aveuglé. Où se montre la continence, l’honnêteté, le concours de toutes les autres vertus, là se montre promptement aussi la grâce magnifique de l’Esprit-Saint. De là, ce que disait le bienheureux Paul : Tâchez d’avoir la paix avec tout le monde, et la sainteté. (Heb 12,14) Purifions donc, je vous en conjure, notre conscience ; rendons à notre âme sa pureté, de telle sorte qu’affranchis de toute souillure, nous forcions l’Esprit à nous communiquer ses dons précieux, afin de triompher des perfidies du démon, et de mériter la jouissance des biens ineffables, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.