Genesis 2
DOUZIÈME HOMÉLIE.
Sur des paroles : « Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre. » (Gen 2,4) ANALYSE.
- 1-2. Dans cette homélie saint Chrysostome reprend l’explication de la Genèse, et, de nouveau, développe sommairement l’histoire de la création. – 3. Il explique ensuite comment la terre demeure suspendue au-dessus des eaux, et il y reconnaît un acte de cette puissance divine, qui préserva de la flamme les trois jeunes Hébreux et qui dessécha la mer Rouge pour laisser passer les Hébreux. – 4. Il revient ensuite à son sujet, et traite de la formation de l’homme. – 5. Notre corps, dit-il, formé de limon et de poussière, nous doit inspirer une sincère humilité, et notre âme, créée à l’image de Dieu, mérite que nous lui conservions sa noblesse, en la maintenant toujours pure, et toujours sainte. – Nous pouvons y parvenir, si nous voulons imiter le zèle et les vertus de saint Jean-Baptiste et de saint Paul.
1. Je viens aujourd’hui remplir ma promesse, et reprendre la suite de nos précédents entretiens. Vous savez bien que telle avait toujours été mon intention, et que je me disposais à le faire, lorsque le soin de votre salut m’a obligé de traiter un sujet plus approprié à vos besoins. Et en effet, quelques-uns de nos frères prenaient occasion de leur faiblesse pour s’absenter de nos conférences spirituelles, et ils altéraient ainsi les joies de nos pieuses réunions. Je me suis donc efforcé de les ramener au bercail, par mes avis et mes exhortations, en sorte que désormais ils ne se séparent plus du troupeau de Jésus-Christ. Unis à nous par le nom et la qualité de chrétiens, ils étaient en réalité attachés aux Juifs, qui sont encore assis dans l’ombre et les ténèbres, quoique le Soleil de justice luise sur le monde. J’ai également engagé les catéchumènes qui assistent à nos réunions à se rendre dignes de la grâce du baptême, et je les conjure de secouer toute somnolence et toute paresse, afin que, par de vifs désirs et un grand empressement, ils se disposent à recevoir le don royal de la régénération. C’est ainsi qu’ils mériteront d’arriver jusqu’au Dieu qui nous accorde la rémission de nos péchés, et qui y ajoute libéralement les plus précieuses faveurs. Je me suis encore appliqué avec un soin tout spécial à instruire ceux qui erraient touchant la célébration de la Pâque, et qui se font un grand tort en considérant ces erreurs comme peu importantes. J’ai donc placé l’appareil sur, la blessure, et j’ai prémuni nos catéchumènes contre cette fausse doctrine. Maintenant il ne me reste plus qu’à vous offrir le festin accoutumé de nos instructions. Certes je n’eusse pu, sans être vraiment répréhensible, négliger le salut de mes frères, et pour ne pas interrompre la suite de mes explications, mépriser leur faiblesse, et laisser passer le moment favorable de les reprendre. Mais aujourd’hui j’ai satisfait, selon la mesure de mes forces, à toute l’étendue de mon devoir : je leur ai distribué la parole de la doctrine ; je leur ai fait connaître le trésor de la vérité, et j’ai ainsi jeté dans leurs cœurs la bonne semence. Il convient donc que j’aborde l’explication du passage de la Genèse que l’on vient de nous lire : cette explication ne pourra que vous être utile, et vous en rapporterez dans vos maisons quelques heureux fruits. Or, voici ce passage : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre, et, toutes les plantes des champs, quand il n’y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n’en produisait point ; car Dieu n’avait point encore répandu la pluie sur la terre, et il n’y avait point d’homme pour la cultiver. Mais il s’élevait de la terre une source qui en arrosait la surface. (Gen 2,4-6) Considérez ici, je vous le demande la sagesse admirable de l’écrivain sacré, ou plutôt celle de l’Esprit-Saint qui l’inspirait ; car d’abord, il nous a raconté séparément chaque partie de la création, il nous a décrit les œuvres des six jours, la formation de l’homme et le pouvoir que Dieu lui donna sur toutes les créatures, et maintenant il résume tout son récit en ces mots : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés. Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d’examiner pourquoi l’Écriture appelle la Genèse le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu’il comprenne tant d’autres choses. Et en effet ce livre qui raconte les vertus des anciens justes, nous instruit aussi de plusieurs points de doctrine, et en particulier de la bonté de Dieu, et de son indulgence envers le premier homme et tous ses descendants. Il traite également d’un grand nombre d’autres sujets qu’il est inutile de spécifier ici. Mais ne vous en étonnez pas, mon cher frère ; car habituellement l’Écriture sainte n’entre point dans de minutieux détails. Elle se contente d’exposer sommairement les principaux faits, et abandonne le reste au zèle et aux recherches de ses lecteurs. Le passage qu’on vient de lire, en est une preuve frappante. Car après nous avoir précédemment raconté en détail toutes les œuvres des six jours, elle n’en parle plus que pour dire en général : ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre. 2. Vous voyez donc que Moïse, en ne nommant ici que le ciel et la terre, nous engage à y contempler tout l’ensemble des créatures. Et en effet il les comprend toutes sous cette désignation, tant celles qui sont dans le ciel, que celles qui sont sur la terre. Désormais il ne reprendra plus le détail de la création, et se bornera à la rappeler sommairement. C’est ainsi qu’il nomme la Genèse entière le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu’elle contienne beaucoup d’autres choses. Il veut donc nous apprendre à les découvrir sous ce titre général, puisqu’en effet toutes les créatures qui existent soit dans le ciel, soit sur la terre, sont nécessairement comprises dans ce livre. Au jour, dit l’Écriture, que Dieu fit le ciel et la terre, et toutes les plantes des champs, quand il n’y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n’en produisait point. Car Dieu n’avait point encore répandu la pluie sur la terre, et il n’y avait point d’homme pour la cultiver. Mais il s’élevait de la terre une source qui en arrosait la surface. Ces quelques paroles contiennent un trésor précieux, et je dois vous les expliquer avec beaucoup de circonspection, afin que par le secours de la grâce divine, je puisse vous faire profiter de ces richesses spirituelles. L’Esprit-Saint qui prévoit toute la suite des siècles, a voulu dès le principe empêcher que la raison humaine ne contredît les dogmes de l’Église, et ne pervertît le véritable sens de l’Écriture. C’est pourquoi il reprend ici tout l’ordre de la création, et nous rappelle d’abord les œuvres du premier et du second jour ; et puis il nous dit comment au troisième la terre, par l’ordre du Seigneur, fit éclore ses diverses productions sans le concours du soleil qui n’existait pas, et sans l’influence de la pluie, ni le travail de l’homme. Car celui-ci n’avait pas encore été formé. Ainsi la répétition de ces détails a pour but de réprimer l’audace de nos imprudents critiques. Relisons donc ce passage : Au jour que Dieu fit le ciel et la terre, et toutes les plantes des champs, quand il n’y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n’en produisait point. Car Dieu n’avait point encore répandu la pluie sur la terre, et il n’y avait point d’homme pour la cultiver : Mais il s’élevait de la terre une source qui en arrosait la surface. L’Écriture nous révèle donc que soudain, à la parole et à l’ordre du Seigneur, toutes les créatures sortirent du néant, et reçurent l’existence. Alors la terre enfanta les plantes des champs, et sous ce nom sont comprises toutes ses diverses productions ; mais au sujet de la pluie, la même Écriture observe que Dieu ne l’avait pas encore répandue sur la terre, c’est-à-dire qu’il ne l’avait pas encore fait tomber du haut du ciel. Enfin elle nous prouve que la terre ne devait point sa fécondité au travail de l’homme, puisqu’il n’y avait point d’homme pour la cultiver. Apprenez, nous dit-elle, et n’oubliez point quelle est l’origine de toutes les productions de la terre, et ne croyez pas qu’elles soient le résultat des soins de l’homme, ni le fruit de ses travaux. La terre les a enfantées à la parole et à l’ordre du Créateur. Concluons donc que pour faire germer les herbes et les plantes, la terre n’a nul besoin du concours des autres éléments, et que le commandement du Créateur lui suffit. Mais voici un nouveau prodige plus étonnant encore. Le même Dieu dont la parole a communiqué à la terre une si merveilleuse fécondité, et dont la puissance surpasse toute intelligence humaine, a établi au-dessus des eaux la masse immense et le poids énorme du monde. C’est ce que nous apprend le Psalmiste par ces mots : Il a étendu la terre sur les eaux. (Psa 137,6) L’homme peut-il percer ce mystère ? Car dans la construction d’un édifice, on creuse d’abord les fondements, et si l’on rencontre quelques veines d’eaux, on les épuise avant que d’asseoir les premières assises du bâtiment. Mais le Créateur agit tout différemment pour montrer son ineffable puissance, et nous prouver qu’à son ordre les éléments produisent des effets contraires à leurs phénomènes habituels. 3. Je m’explique par un exemple, afin que vous compreniez mieux ma pensée, et puis je reprendrai la suite de mon sujet. Sans doute il est contre la nature des eaux de porter un poids aussi pesant que celui de la terre ; et il est contre la nature de la terre de reposer solidement sur un corps fluide. Mais pourquoi nous en étonner ? quelle que soit en effet la créature que vous étudiez avec soin, vous y découvrirez l’action de la puissance immense du Créateur, et vous vous convaincrez qu’il gouverne toutes choses par sa volonté. Voyez le feu : cet élément dévore tout, et il consume aisément les corps les plus durs : le bois, les pierres et le fer. Mais quand Dieu l’ordonne, il ne blesse même pas les corps les plus tendres : et c’est ainsi qu’il respecta les trois jeunes hébreux dans la fournaise ardente. (Dan. 3) Mais le prodige s’étendit encore, car cet élément privé de raison se montra envers eux plus obséquieux qu’on ne saurait le dire non seulement il ne toucha pas à leur chevelure, mais il semblait encore les entourer et les presser amicalement ; il retint donc son activité naturelle pour ne déployer que sa pleine et entière obéissance aux ordres du Seigneur, et il conserva sains et saufs ces admirables enfants qui marchaient au milieu des flammes avec autant de sécurité que dans une prairie émaillée de fleurs. Au reste, afin que l’on ne crût pas que ce feu matériel fût dénué de toute action, le Seigneur voulut bien lui conserver son activité. Seulement il la suspendit à l’égard de ses serviteurs qui en triomphèrent, et qui n’en furent nullement atteints. Quant aux soldats qui avaient jeté les jeunes hébreux dans la fournaise, ils connurent combien est grande la puissance du Seigneur, car le feu exerça à leur égard toute sa violence ; et le même élément, qui, au dedans de la fournaise, se courbait doucement au-dessus des trois enfants, sévit au-dehors et consuma les satellites du tyran. Vous voyez donc comment Dieu change à son gré les propriétés des éléments. C’est qu’il les a créés, et qu’il en dispose selon sa volonté. Voulez-vous encore que je vous montre le même prodige par rapport aux eaux ? Le feu, je l’ai dit, respecta les trois enfants de la fournaise, et ne leur fit aucun mal oubliant ainsi à leur égard toute sa violence, Mais il dévora leurs bourreaux, et déploya contre eux son inflexible activité ; et de même les eaux de la mer submergent les uns, et se retirent devant les autres pour leur laisse : un libre passage. Je fais ici allusion d’un côté à Pharaon et aux Égyptiens, et de l’autre aux Israélites. Ceux-ci, selon l’ordre du Seigneur, et sous la conduite de Moïse, traversèrent la mer Rouge à pied sec ; et ceux-là, qui voulurent avec Pharaon s’engager dans la même voie, furent engloutis sous les flots. C’est ainsi que les éléments respectent les serviteurs de Dieu, et que pour eux ils suspendent leur activité naturelle. Instruisons-nous donc, nous, hommes irascibles et violents, et nous aussi qui, lâchement assujettis à mille autres passions, compromettons le succès de notre salut. Nous avons la raison en partage, et nous ne saurions imiter l’obéissance de ces éléments irraisonnables. Car si le feu, le plus actif et le plus violent de tous, a bien pu respecter des corps tendres et délicats, quelle sera l’excuse de l’homme qui, dédaignant les préceptes divins, refuse de dompter sa colère, et d’étouffer à l’égard de ses frères les sentiments d’un cœur ulcéré. Mais ici, ce qui est vraiment étonnant, c’est que le feu, qui brûle avec tant de violence, suspende son activité, et que l’homme, être raisonnable, doux et bienveillant, agisse contre sa nature, et par sa négligence, imite dans ses mœurs la férocité des bêtes farouches. Aussi l’Écriture, pour désigner les diverses passions qui dominent en nous, donne-t-elle à l’homme doué de raison le nom de différents animaux. C’est ainsi que, dans son langage, le mot chien indique l’impudence et la violence. Ce sont des chiens muets, et qui ne savent pas aboyer. (Isa 56,10) Le cheval représente l’effervescence de la volupté : Ils sont devenus comme des chevaux qui courent et qui hennissent après les cavales : chacun d’eux a poursuivi la femme de son prochain. (Jer 5,8) Quelquefois l’âne marque la grossièreté et la stupidité du pécheur : L’homme est comparé aux animaux qui n’ont aucune raison, et il leur est devenu semblable. (Psa 49,13) Tantôt elle nomme les hommes lions et léopards par allusion à leurs appétits féroces et voraces, et tantôt aspics à cause de leur esprit fourbe et trompeur. Leurs lèvres, dit le Psalmiste, recèlent le venin de l’aspic. (Psa 140,4) Enfin elle les assimile au serpent et à la vipère, en raison du poison caché de leur malignité. Aussi. 1e saint précurseur disait-il aux pharisiens : Serpents, et race de vipères, qui vous a montré à fuir la colère qui s’approche ? (Mat 3,7) L’Écriture donne encore aux hommes d’autres noms, afin de caractériser leurs différentes passions, et les rappeler par une honte salutaire au sentiment de leur noblesse. Ah ! Puissent-ils ne pas dégénérer de leur origine, et préférer la loi du Seigneur à ces passions criminelles qui les ont entraînés dans le péché ! 4. Mais je ne sais comment je me suis écarté de mon sujet. J’y rentre donc, et j’aborde les diverses instructions que renferme le récit de l’écrivain sacré. Après avoir dit : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, il nous raconte en détail la formation de l’homme ; sans doute, il nous avait déjà appris que Dieu avait fait l’homme, et qu’il l’avait fait à son image ; mais ici il s’exprime plus explicitement : Dieu, dit-il, forma l’homme du limon de la terre, et il répandit sur son visage un souffle de vie, et l’homme eut une âme vivante. (Gen 2,7) Combien ces paroles sont grandes et admirables ! et combien elles surpassent notre intelligence ! et Dieu forma l’homme du limon de la terre. En parlant de toutes les créatures visibles, je vous disais que souvent le Créateur, pour montrer sa toute-puissance, agissait contrairement aux lois de la nature, et nous trouvons la même conduite dans la création de l’homme. C’est ainsi qu’il a établi la terre au-dessus des eaux, ce qu’en dehors de la foi notre raison ne saurait concevoir. C’est ainsi encore qu’à son ordre tous les éléments produisent des effets opposés à leur nature. L’Écriture nous apprend quelque chose de semblable dans la formation de l’homme, en nous disant que Dieu le forma du limon de la terre. Que dites-vous ? quoi ! Dieu a pris un peu de terre, et en a formé l’homme l Oui, il en est ainsi ; Moïse nous l’assure ; et même il ne se contente pas de dire que Dieu prit de la terre, mais du limon, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de plus vil et de plus méprisable. Véritablement, on serait tenté de taxer ce récit de fable et de paradoxe ; mais dès qu’on se rappelle quel est l’auteur de ces merveilles, on les croit aisément, et l’on adore humblement la puissance du Créateur. Car si vous voulez mesurer les œuvres divines à la faiblesse de vos pensées, et les scruter curieusement il vous paraîtra bien plus naturel qu’on forme du limon de la terre une brique ou un vase que le corps de l’homme. Vous le voyez donc, pour comprendre toute la sublimité du langage de Moïse, il nous faut le méditer attentivement, et réprimer l’infirmité de la raison. Car, l’œil de la foi peut seul découvrir ces merveilles, quoique l’historien sacré ait proportionné sa parole à la faiblesse de notre intelligence. Et en effet, lorsqu’il nous dit que Dieu forma l’homme, et qu’il répandit sur lui un esprit de vie, ne semble-t-il pas descendre dans un détail indigne de la majesté divine ? mais l’Écriture s’exprime ainsi par condescendance pour notre faiblesse, et elle s’abaisse jusqu’à la petitesse de notre esprit pour l’élever ensuite jusqu’à la sublimité de ses révélations. Et Dieu, prenant du limon, en forma l’homme. Certes, si nous voulons la comprendre, voilà une grande leçon d’humilité. Car, si nous réfléchissons sur l’origine de l’homme l’orgueil le plus superbe s’abaisse soudain, et la pensée de notre néant nous enseigne la modestie et l’humilité. Aussi, est-ce par un effet de sa providence à l’égard de notre salut que Dieu a inspiré à Moïse ce style et ce langage. Car déjà il avait dit que Dieu avait formé l’homme à son image, et qu’il lui avait donné l’empire sur toutes les créatures visibles. Mais ici, craignant que ce même homme ne s’enflât d’orgueil, et qu’il ne transgressât les limites d’une humble dépendance, s’il ignorait entièrement son origine, l’Écriture reprend le récit de sa création, et décrit en détail la manière dont il a été formé. Elle lui apprend donc qu’il a été formé de la terre, et de la même matière que les plantes et les animaux, au-dessus desquels il ne s’élevait que par l’âme, substance simple et immatérielle. Mais il tenait cette âme de la bonté divine, et elle était en lui le principe de la raison, et celui de son empire sur toutes les autres créatures. Malgré cette connaissance si explicite de son origine, le premier homme se laissa tromper par le serpent, et il s’imagina que lui, qui avait été formé du limon de la terre, pourrait devenir semblable à Dieu. Mais si Moïse n’eût ajouté à son premier récit des détails aussi précis, dans quelles extravagances ne serions-nous pas tombés ! 5. C’est ainsi que l’histoire de notre origine est pour nous une grande leçon d’humilité. Et Dieu, dit l’Écriture, forma l’homme du limon de la terre ; et il répandit sur son visage un souffle de vie. Moïse parlait à des hommes qui n’eussent pu le comprendre, s’il ne se fût servi d’un langage aussi simple et aussi grossier. Il nous apprend donc que cet homme, formé du limon de la terre, reçut de la libéralité divine une âme essentiellement raisonnable, et qu’il devint ainsi un être parfait. Et Dieu, dit-il, répandit sur le visage de l’homme un souffle de vie. C’est ainsi qu’il désigne l’âme qui est dans l’homme, formé du limon de la terre, le principe de la vie, de l’action et du mouvement. Aussi, ajoute-t-il immédiatement : Et l’homme devint vivant et animé ; cet homme, dit-il, formé du limon de la terre, reçut un esprit de vie, et devint vivant et animé. Qu’est-ce à dire, vivant et animé ? C’est dire que l’homme était maître de ses actions, et qu’en lui les membres du corps étaient soumis à la volonté de l’âme. Mais je ne sais comment nous avons renversé ce bel ordre. Hélas ! notre malice est si grande que nous forçons notre âme à obéir aux passions de la concupiscence. Cette âme née pour régner et pour commander est donc détrônée de nos propres mains, et nous la courbons sous l’esclavage des plaisirs de la chair, méconnaissant ainsi sa noblesse et son éminente dignité. Car, je vous en prie, reportez vos souvenirs sur la formation de l’homme, et demandez-vous ce qu’il était avant que Dieu eût répandu sur lui un esprit de vie, et qu’il fût devenu vivant et animé. Il n’était qu’un corps inerte, pesant et inutile. C’est donc uniquement ce souffle de vie que Dieu répandit sur lui, qui l’éleva à l’honneur de devenir un être vivant et animé. Au reste, il est facile de le comprendre, et par ce récit de la Genèse, et par ce qui arrive chaque jour sous nos yeux. Dès que l’âme est séparée du corps, celui-ci devient un objet hideux et repoussant. Que dis-je, hideux et repoussant ? il est effrayant, fétide et difforme. Et cependant, lorsque l’âme y réside, ce même corps est beau, agréable et aimable. De plus, il participe à la prudence de l’âme, et exécute ses ordres avec une rare dextérité. Convaincus de ces vérités et pénétrés du sentiment de la dignité de notre âme, évitons tout ce qui pourrait la déshonorer. Craignons donc de la souiller par le péché, et ne la réduisons pas sous l’esclavage de la chair. Ah ! ce serait être trop cruel et trop inhumain envers une créature si élevée en noblesse et en honneur. C’est par notre âme que, malgré les entraves du corps, nous pouvons, avec une volonté ferme et le secours de la grâce, ressembler aux vertus célestes et immatérielles. Oui, quoique attachés à la terre, nous pouvons vivre en quelque sorte dans le ciel, égaler ces pures intelligences, et même les surpasser. Mais comment y parvenir ? Le voici : lorsque dans un corps mortel nous réalisons une vie tout angélique, nous nous élevons devant Dieu à un degré de mérite supérieur à celui des anges, parce qu’au milieu des tristes nécessités du corps, nous conservons intacte la noblesse de notre âme. Eh ! qui jamais, me direz-vous, est arrivé à cette perfection ? je ne m’étonne pas que la chose nous paraisse impossible, tant notre vertu est faible ! mais voulez-vous vous convaincre du contraire, rappelez à votre souvenir les saints qui, depuis l’origine du monde jusqu’aux temps présents, se sont rendus agréables aux yeux du Seigneur. Faut-il nommer ici Jean-Baptiste, l’enfant de la stérilité et l’habitant du désert, ou Paul, le docteur des nations, et cette fouie innombrable d’élus qui étaient de même nature que nous, et sujets aux mêmes infirmités du corps. Leurs exemples vous prouvent que cette haute vertu ne nous est pas impossible, et ils nous animent à profiter pour l’acquérir de toutes les occasions que le Seigneur nous ménage. Et en effet, il connaît notre faiblesse, et le penchant qui nous entraîne vers le mal. C’est pourquoi il nous a laissé dans les saintes Écritures des remèdes aussi efficaces qu’abondants, et il ne dépend que de nous de les appliquer sur nos blessures. De plus, il met sous nos yeux la vie des saints comme une pressante exhortation à la vertu. Gardons-nous donc de négliger nos devoirs ; mais fuyons le péché, et ne nous rendons point indignes des biens ineffables du ciel. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’empire et l’honneur, maintenant, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. SIXIÈME DISCOURS.
De l’arbre du paradis. Est-ce de cet arbre qu’Adam a tiré la connaissance du bien et du mal, ou, même avant de manger du fruit, était-il doué de la faculté de faire ce discernement ? Réflexions sur le jeûne ; il faut méditer à la maison, sur les paroles entendues dans l’église. (Gen 2,17 et suiv) ANALYSE.
- 1. Combien il est plus utile d’assister aux assemblées de l’Église, qu’aux assemblées profanes. Nous avons promis de parler de l’arbre, dit de la science du bien et du mal ; nous dirons hardiment que le premier homme connaissait le bien et le mal avant de manger du fruit défendu. – 2. Épilogue moral.
1. J’aime la quarantaine du jeûne, parce que c’est la mère de la tempérance, la source de toute sagesse ; je l’aime encore à cause de vous, à cause de votre affection ; parce qu’elle me ramène votre sainte et vénérable réunion, parce qu’elle me donne de revoir vos visages bien-aimés ; parce qu’elle me permet de jouir, dans l’abondance de la joie, de cette belle et brillante assemblée, de cette heureuse fêté. Oui, brillante assemblée, heureuse fête, tous les noms les plus beaux et les plus doux conviennent à cette réunion qui vous ramène auprès de nous. Si un homme, sur la place publique, rencontrant un ami, un seul, oublie souvent tous ses chagrins, nous, qui ne vous rencontrons pas sur la place publique ; mais dans l’église, qui ne voyons pas ici, par hasard seulement, un ami, mais tant de frères et de pères, et quels pères, quels frères ! comment n’oublierions-nous pas tous nos chagrins ? comment ne goûterions-nous pas toutes les délices d’une vraie joie ? Ce n’est pas le grand nombre seulement qui rend cette assemblée meilleure que les réunions dans les places publiques, c’est aussi la nature de nos entretiens. En effet, dans les places publiques, on se trouve ensemble, on s’assied en cercle, et souvent la conversation s’engage sur des sujets frivoles, ce sont de froids entretiens, et le bruit des mots sur des affaires qui n’ont aucun intérêt ; car c’est assez souvent la coutume de s’occuper inutilement, de prendre un soin très-curieux, très-passionné, des affaires d’autrui. La pente est glissante, il est dangereux dé débiter, d’écouter des paroles de ce genre ; souvent il en est résulté des tempêtes dans les familles ; je n’insiste pas. Assurément, que ces conversations du monde soient inutiles et froides, qu’elles laissent peu de place à des entretiens spirituels, c’est ce que personne ne contestera. Il n’en est pas de même ici, c’est tout le contraire : tout entretien inutile est banni ; la doctrine, l’enseignement spirituel se montre seul au milieu de nous ; nous parlons ensemble de notre âme, des biens qui conviennent à notre âme, des couronnes mises en réserve dans le ciel, des hommes dont la vie a été, glorieuse, de la bonté de Dieu, de sa providence, qui s’étend sur toutes choses, enfin de tous les sujets qui nous intéressent le plus ; pourquoi sommes-nous venus en ce monde, et quelle sera, quand nous partirons d’ici-bas, notre condition ; en quel état serons-nous à ce moment ? Et cette réunion ne se compose pas de nous seulement, mais prophètes et apôtres y ont leurs places au milieu de nous ; et, ce qui dépasse tout ce qu’il y a de plus grand, le Seigneur même, le Maître du monde, se tient au milieu de nous, Jésus ! Il le dit lui-même : En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’elles. (Mat 18,20) S’il est vrai que, par, tout où deux ou trois personnes sont réunies, Jésus se trouve au milieu d’elles, à bien plus forte raison se trouve-t-il où sont rassemblés tant d’hommes, tant de femmes, tant de pères, et d’apôtres et de prophètes. C’est ce qui augmente notre zèle à vous parler ; voilà notre force, et, maintenant, il faut que nous vous payions notre dette. Nous vous avons promis de vous parler d’abord de l’arbre du paradis, si c’est de cet arbre qu’Adam a tiré la connaissance du bien et du mal, ou si, même avant de manger du fruit, il était doué de la faculté de faire ce discernement. Ayons confiance et disons, dès maintenant, sans hésiter, que, même avant de manger du fruit, Adam savait discerner le bien du mal. En effet, s’il n’avait pas su ce qui est bien, ce qui est mal, il aurait été plus dépourvu de raison que – les êtres sans raison ; le maître aurait eu moins d’intelligence que les esclaves. Voyez donc l’absurdité : des chèvres, des brebis savent quelle plante leur est utile, quelle autre leur est nuisible ; elles ne s’attachent pas indifféremment à toutes celles qu’elles voient, elles discernent, elles connaissent très-bien ce qui, d’une part, leur est nuisible, ce qui, d’autre part, leur est utile, et l’homme aurait été privé d’une faculté nécessaire à sa sûreté ? S’il n’en eût pas été doué, il n’aurait eu aucune valeur, il aurait été au-dessous de tous les animaux ; il aurait cent fois mieux valu pour lui vivre dans les ténèbres, aveugle, privé de la lumière, que de ne pas connaître ce qui est bien, ce qui est mal. Supprimez de notre vie, cette faculté, vous ruinez notre vie tout entière, ce n’est plus que bouleversement et confusion partout ; c’est là en effet ce qui nous distingue des animaux sans raison, c’est là ce qui nous rend supérieurs aux bêtes : connaître ce que c’est que le vice, ce que c’est que la vertu, reconnaître ce qui est mal, ne pas ignorer ce qui est bien. Si nous avons cette connaissance aujourd’hui, non pas nous seulement, mais et les Scythes et les barbares, certes, à plus forte raison, le premier homme la possédait avant le péché ; quand il était comblé de tous les honneurs qui conviennent à l’image et à la ressemblance de Dieu, quand il avait été enrichi de tant de bienfaits, il n’était pas privé du premier de tous les biens. La connaissance du bien et du mal n’a été refusée qu’à ceux à qui la nature n’a pas donné l’intelligence et la raison. Adam, au contraire, possédait l’abondance de la sagesse, et pouvait discerner l’opposition du bien et du mal ; ce qui prouve qu’il possédait l’abondance de la sagesse spirituelle, c’est l’Écriture ; écoutez la démonstration : Dieu amena, dit le texte, les animaux devant Adam afin qu’il vît comment il les appellerait, et le nom qu’Adam donna à chacun des animaux est son nom véritable. (Gen 2,19) Considérez de quelle sagesse était rempli celui qui, à tant d’espèces si variées, à tant de genres si divers, bêtes de somme, reptiles, oiseaux, a pu donner tous les noms, et les noms propres. Dieu approuva ces noms, sans réserve, au point qu’il ne les changea pas, même après le péché. Et le nom qu’Adam donna, dit le texte, à chacun des animaux, est son nom véritable. 2. Eh bien ! donc, ignorait-il ce que c’est que le bien, ce que c’est que le mal ? Qui pourrait le prétendre ? Autre preuve : Dieu conduisit la femme auprès de lui, et, tout de suite, à son aspect, il reconnut sa compagne, et que dit-il ? Voilà maintenant l’os de mes os et la chair de ma chair. (Id 23) Peu d’instants auparavant, Dieu lui avait amené tous les animaux ; Adam veut montrer que la femme ne doit pas être confondue avec les autres êtres animés, il dit : Voilà maintenant l’os de mes os et la chair de ma chair. Il est vrai que quelques interprètes prétendent qu’Adam ne se borne pas ici à indiquer cette pensée, qu’il exprime, en outre, de quelle manière la femme a été créée ; qu’il veut faire entendre que la femme ne naîtra pas une seconde fois de la même manière ; que c’est pour cette raison qu’il dit : Voilà maintenant, parole qu’un autre interprète explique ainsi : Voilà pour cette fois, comme si Adam disait : Voilà maintenant, pour cette fois seulement, que la femme a été tirée de l’homme seul, mais dans la suite, il n’en sera pas de même, elle naîtra des deux. L’os de mes os et la chair de ma chair. En effet, Dieu ayant pris, de l’homme tout entier, un fragment, a formé la femme de cette manière, afin d’établir sa parfaite communauté avec son mari ; celle-ci s’appellera d’un nom qui marque l’homme, dit-il, parce qu’elle a été prise de l’homme. Voyez-vous de quel nom Adam l’appelle, afin que ce nom nous enseigne la communauté de nature, et que cet enseignement qui démontre la communauté de nature, et la manière dont la femme a été créée, soit le fondement d’une affection durable et le lien de la concorde ? Ensuite que dit-il ? C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera a sa femme. (Gen 2,24) Il ne dit pas simplement s’unira, mais s’attachera, pour signifier l’union la plus étroite. Et ils seront deux dans une seule chair. Eh bien ! comment celui qui savait tant de choses, pouvait-il ignorer, répondez-moi, je vous en prie, ce qu’était le bien, ce qu’était le mal ? Qui pourra le prétendre avec une apparence de raison ? Si Adam ne distinguait pas le bien du mal, avant d’avoir mangé du fruit, si ce discernement ne lui est venu qu’après qu’il a eu mangé, il faut dire alors, que le péché a enseigné la sagesse au premier homme ; le serpent cesse d’être un séducteur ; il a été, pour lui un conseiller utile ; Adam était un animal dépourvu de raison, le serpent en a fait un homme. Loin de nous cette pensée ! Il n’en est pas ainsi, non. Si Adam ne connaissait pas ce que c’était que le bien, ce que c’était que le mal, comment a-t-il pu recevoir un ordre ? Jamais législateur ne fait de loi pour celui qui ne sait pas que c’est mal faire, que de transgresser la loi. Or, Dieu a porté la loi, a puni le transgresseur, et, certes, Dieu n’eût fait ni l’un ni l’autre, si, dès le principe, il ne lui eût attribué le discernement de la vertu et du vice. Vous voyez qu’il devient manifeste pour nous, parfaitement clair, que ce n’est pas seulement après avoir mangé, qu’Adam a connu et le bien et le mal, qu’il possédait auparavant cette science. Conservons en nous, mes bien-aimés, toutes ces pensées, et, de retour dans nos maisons, dressons-nous deux tables, l’une, des mets du corps, l’autre des mets de la sainte Écriture, que le mari répète ce qui a été dit, que la femme s’instruise, que les enfants écoutent, et que les serviteurs ne soient pas frustrés de nos lectures ; faites, chacun de vous, de votre maison une église ; sachez qu’il vous faudra rendre compte du salut, et de vos enfants et de vos serviteurs. De même qu’on réclamera, de nous, des comptes, pour ce que nous aurons fait de vous, de même on réclamera, de chacun de vous, des comptes, pour ce qu’il aura fait de son serviteur, de sa femme, de son fils. Après des conversations de ce genre, les songes les plus agréables viendront nous charmer, sans aucune espèce de visions terribles ; ce que l’âme a coutume de méditer pendant le jour, ses songes le lui représentent pendant la nuit, et lui en fournissent l’image. Si les paroles prononcées chaque jour, se conservent dans vos mémoires, nous n’aurons pas besoin d’un grand travail ; le discours suivant sera pour vous plus clair, plus facile, et nous aurons moins d’efforts à faire pour vous instruire. Afin donc que nous puissions, vous et nous, avec quelque profit, nous, d’une part, vous donner l’enseignement, vous, d’autre part, écouter la parole, après la table pour le corps, dressez, de plus, chez vous, la table spirituelle, Ces pieux discours seront pour vous une sécurité, un ornement de votre vie. Dieu dirigera les affaires mêmes de la vie présente, d’une manière conforme à vos intérêts ; tout vous deviendra facile. Cherchez, dit-il, premièrement le royaume des cieux, et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. (Mat 6,33) Cherchons-le donc, mes bien-aimés, afin d’obtenir, et les biens d’ici-bas, et ceux de là-haut, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et à l’Esprit-Saint, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi-soit-il. SEPTIÈME DISCOURS.
Pourquoi cet arbre est-il appelé arbre de la science du bien et du mal : et que signifie cette parole : « Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis. » (Gen 2,9 ; Luc 23,43) ANALYSE.
- 1. C’est une grande obligation de mettre la parole de Dieu en pratique. – 2. Pourquoi l’arbre de la science du bien et du mai a été ainsi appelé. Nous connaissons tous le mal, même avant de le commettre ; mais nous en acquérons une connaissance plus approfondie en le commettant. – 3. À ce bois funeste qui fut l’occasion de la chute d’Adam, opposons ce bois de la croix qui a sauvé le monde et introduit le Larron dans le paradis. – 4. Réfutation d’une objection manichéenne touchant l’entrée du larron dans le paradis. – 5. Ce qu’il faut entendre par le paradis.
1. Je vous ai vivement exhortés hier, à garder le souvenir de nos paroles, à prendre soin, chez vous, de dresser le soir, deux tables, l’une, des mets du corps ; l’autre, des mets de l’Écriture. Eh bien, l’avez-vous fait ? les avez-vous dressées, ces deux tables ? Je sais que vous avez suivi nos conseils, que vous ne vous êtes pas assis seulement à la table du corps, mais que vous avez également pris votre part à l’autre ; il n’était pas possible, après vous être portés avec tant d’ardeur vers la moins délicate, de négliger la table dont les mets sont plus recherchés. Oui, la table dont je parle, est la meilleure : l’autre s’apprête par les mains des cuisiniers ; celle-ci, nous la devons à la langue des prophètes ; l’autre porte les productions de la terre, celle-ci les fruits de l’Esprit ; la nourriture de l’autre se corrompt bien vite, les mets de celle-ci sont incorruptibles ; l’autre conserve la vie présente ; celle-ci engendre pour nous, la vie future. Et je sais bien que la table spirituelle a été dressée chez vous avec l’autre ; je ne le sais pas pour avoir interrogé, soit le serviteur qui vous accompagne, toit le domestique qui vous sert ; celui qui me l’a dit, est un porteur de nouvelles, qui s’énonce plus clairement que tous ses serviteurs. Qui me l’a dit enfin ? Le bruit de vos mains applaudissant nos paroles, votre chaleureuse adhésion à nos enseignements. Hier, en effet, quand je vous ai dit : Que chacun de vous fasse de sa maison une église, vous avez tous poussé de grandes acclamations de plaisir. Celui qui a du plaisir à entendre les discours, montre qu’il est prêt à les confirmer par ses actions ; voilà pourquoi aujourd’hui je me suis préparé avec une ardeur nouvelle à vous instruire. Maintenant réveillez vos esprits ; car l’orateur n’est pas seul obligé de tenir son esprit en éveil ; l’auditeur aussi doit être attentif, et plus encore que l’orateur. En effet, nous qui parlons, nous n’avons qu’un souci à prendre, c’est de placer l’argent du Seigneur ; mais vous, vous avez plus de peine à vous donner d’abord pour bien recevoir le dépôt, ensuite pour le conserver en toute sûreté. Donc, lorsque vous aurez entendu la parole, mettez à vos portes, serrures et verroux ; que des pensées qui inspirent la terreur, soient comme des gardiens, placés de toutes parts autour de votre âme. Le voleur est impudent, toujours éveillé ; sans cesse il fait irruption ; quoiqu’il manque souvent ses coups il revient souvent à la charge. Ayez donc prés de vous des gardiens redoutables, et s’ils voient venir le démon, s’apprêtant à vous voler quelques parties du trésor que vous avez reçu en dépôt, qu’ils le chassent à grands cris ; si les inquiétudes du monde vous envahissent, qu’ils les repoussent ; si la faiblesse de la nature produit chez vous l’oubli et la confusion, que l’exercice réveille la mémoire. Ce n’est pas un médiocre danger que de perdre l’argent du Seigneur. Ceux qui ont dissipé l’argent reçu en dépôt, souvent sont punis de mort ; pour ceux qui auront reçu et perdu des biens beaucoup plus précieux, les paroles divines, de quels supplices rie seront-ils pas tourmentés ? Dans le monde, les dépositaires d’argent ne doivent compte que de la manière dont ils ont gardé le dépôt ; on n’exige d’eux rien autre chose ; ils ont reçu tant, ils doivent rendre tant, on ne leur réclame rien de plus ; mais ceux qui ont reçu la parole divine ne doivent pas rendre compte seulement du trésor gardé, on leur demandera compte aussi des gros intérêts qu’il a dû produire. En effet, il ne nous est pas prescrit seulement de rendre ce que nous avons reçu, mais d’offrir le double au Seigneur. Sans doute, ne nous fût-il commandé que de garder ce trésor, il serait encore nécessaire de nous y appliquer avec la plus ardente sollicitude ; mais quand le Seigneur nous a, de plus ; donné l’ordre de le faire fructifier, considérez combien nous, qui avons reçu cet argent, nous devons nous donner de fatigues et de soins. Voilà pourquoi le serviteur à qui l’on avait confié cinq talents, ne se borna pas à en offrir tout autant, mais en offrit le double. (Mat 25,14 et suiv) Car les cinq talents confiés, marquaient la bonté de son maître, mais il fallait qu’à son tour le serviteur manifestât sa diligence ; de même,' celui à qui l’on avait confié deux talents, sut bénéficier deux autres talents, et, en récompense, son maître lui donna le même honneur qu’à l’autre. Au contraire, un troisième serviteur, à qui l’on n’avait confié qu’un seul talent, et qui le rendit tel qu’il l’avait reçu, sans l’avoir diminué, fut puni pour ne l’avoir pas fait fructifier, pour n’avoir pas présenté le double de la somme qu’on lui avait remise ; il subit le dernier supplice, et cela justement ; car, dit le maître, si je n’avais voulu que garder mon argent, et non en retirer du profit, je ne l’aurais pas livré aux mains de mes serviteurs. Quant à vous, considérez la bonté du Seigneur ; celui à qui on avait confié cinq talents, en offrit cinq autres ; celui qui en avait reçu deux, en rendit deux autres, et chacun des deux serviteurs obtint la même récompense. De même, en effet, que le maître répondit au premier : O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en pela de choses, je vous établirai sur beaucoup d’autres ! de même il dit à celui qui lui avait présenté deux talents : O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, je vous établirai sur beaucoup d’autres ! (Id 21-23) Le profit n’est pas le même, et la récompense est la même ; le maître jugea le second serviteur digne du même honneur que l’autre. Pourquoi ? C’est que Dieu ne s’occupait pas de la quantité qu’on lui offrait, mais de la vertu de ceux qui avaient fait valoir leur dépôt. En effet, l’un et l’autre de ces deux serviteurs avaient fait tout ce qui dépendait de chacun d’eux, les talents présentés n’étaient pas plus ou moins considérables ; en raison de la négligence de l’un ou de la diligence de l’autre, ruais en raison de la différence dans la quantité. Celui-ci avait reçu cinq talents, et il présenta cinq autres talents ; celui-là en avait reçu deux, et il en présenta deux ; quant au zèle qui l’animait, il n’était pas inférieur à l’autre. Il est évident que l’un, aussi bien que l’autre, gagna le double de ce qu’on lui avait confié. Mais celui qui n’avait reçu qu’un talent, ne présenta aussi qu’un talent ; pour cette raison, il subit le châtiment. 2. Avez-vous bien compris quel supplice est réservé à ceux qui ne savent pas faire valoir la fortune du Seigneur ? Donc, sachons conserver son argent, le négocier, en tirer un grand profit. Et que personne ne dise : Je ne suis qu’un ignorant, un disciple ; je n’ai pas la parole de l’enseignement ; je suis sans habileté, sans valeur aucune. Quand vous ne seriez qu’un ignorant, qu’un disciple, quand vous n’auriez reçu qu’un talent, faites le négoce avec ce qui vous a été confié ; vous recevrez une récompense égale à celle d’un docteur. Mais maintenant, je suis persuadé que vous gardez avec soin dans votre mémoire les paroles que vous avez entendues. Ne dépensons pas à ce propos tout ce que nous avons aujourd’hui à vous dire. Allons, continuons l’entretien d’hier ; joignons-y la suite ; nous voulons vous payer le salaire dû à ceux qui conservent la parole. En effet, celui qui a bien gardé un premier dépôt, mérite d’en recevoir un autre. Quel sujet d’entretien, hier, nous étions-nous donc proposé ? Nous parlions de l’arbre, et nous avons montré que l’homme, avant de manger du fruit de l’arbre, avait la connaissance du bien et du mal, qu’il était rempli de l’abondance de la sagesse ; nous en avons donné pour preuves : qu’il a imposé des noms aux animaux ; qu’il a reconnu sa compagne, qu’il a dit : Voilà maintenant l’os de mes os (Gen 2,23) ; qu’il a parlé du mariage, de la procréation des enfants, de l’union conjugale, et du père et de la mère ; enfin qu’il a reçu un ordre de Dieu. En effet, on ne donne pas un ordre, une loi ; pour faire ou ne pas faire, à celui qui ne pourrait pas distinguer le bien du mal. Aujourd’hui, il serait utile de dire pourquoi, si l’homme n’a pas tiré de l’arbre la connaissance sui bien et du mal, cet arbre a été appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Assurément il importe d’apprendre pourquoi cet arbre a été ainsi appelé. En effet, le démon dit : Aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux s’ouvriront ; et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. (Gen 3,5) Comment donc, m’objecte-t-on, dites-vous, qu’il n’a pas introduit la science du bien et du mal ? De qui me parlez-vous, je vous prie ? Qui, il a introduit ? Voulez-vous dire le démon ? Sans doute, me répond-on, puisqu’il a dit : Vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal. Ainsi, toi qui me contredis, lu m’apportes le témoignage de l’ennemi qui nous tend des pièges. Mais le serpent a dit aussi : De plus vous serez des dieux. Eh bien ! sont-ils devenus, des dieux ? De même donc qu’ils ne sont pas devenus des dieux, de même ils n’ont pas non plus reçu alors la science du bien et du mal. Le démon, en effet, n’est qu’un menteur, et il ne dit rien de vrai, car, dit l’Évangéliste, la vérité n’est point en lui. (Jn 8,44) Gardons-nous donc de produire le témoignage de l’ennemi ; comprenons, par l’étude des choses considérées en elles-mêmes, pourquoi l’arbre est appelé, l’arbre de la science du bien et du mal. Et d’abord, s’il vous semble bon, qu’est-ce que le bien, qu’est-ce que le mal ? Méditons. Qu’est-ce que le bien ? l’obéissance ; qu’est-ce que le mal ? la désobéissance. Étudions, en nous inspirant de l’Écriture, autant qu’il sera nécessaire, pour ne pas nous tromper, sur la nature du bien et du mal. Ce qui prouve que le bien et que le mal sont ce que nous venons de vous dire, c’est la parole du prophète : Qu’est-ce que le bien et qu’est-ce que le Seigneur Dieu demande de vous ? Dites-moi, qu’est-ce que le bien ? C’est que vous chérissiez le Seigneur votre Dieu. (Mic 6,8) Voyez-vous que le bien, c’est l’obéissance, car l’obéissance vient de l’affection. Autre texte : Mon peuple a fait deux maux ; ils m’ont abandonné, moi qui suis une source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes usées qui ne peuvent contenir l’eau. (Jer 2,13) Voyez-vous que le mal, c’est la désobéissance, et l’abandon de Dieu. Donc, en attendant, retenons ceci : que le bien, c’est l’obéissance ; que le mal, c’est la désobéissance, et par là, nous apprendrons ce que nous cherchons. En effet, l’arbre a été appelé, arbre de la science du bien et du mal, parce qu’il fut l’occasion de l’ordre qui donnait matière à la désobéissance ou à l’obéissance. Adam, même avant sa faute, n’ignorait pas que le bien c’est l’obéissance, que le mal c’est la désobéissance ; mais il l’apprit plus tard, d’une manière plus évidente, par l’expérience même des choses. Caïn n’ignorait pas même avant d’égorger son frère, que le meurtre d’un frère était une action mauvaise ; ce qui prouve qu’il le savait bien, ce sont ses propres paroles, écoutez : Viens, sortons dans la campagne. (Gen 4,8) Mais pourquoi attires-tu ton frère dans la campagne, après l’avoir arraché des bras de son père ? pourquoi l’emmènes-tu dans un lieu désert ? Pourquoi le conduis-tu loin de ceux qui veillent sur lui ? loin des yeux de son père ? pourquoi caches-tu ce que tu oses méditer, si tu ne crains pas le péché ? pourquoi encore, quand tu as fait le, meurtre, et que l’on t’interroge, t’indignes-tu, et prononces-tu un mensonge ? En effet, quand Dieu eut dit : Où est Abel, ton frère ? tu as répondu : Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? (Gen 4,9) Ce qui prouve clairement qu’il avait la pleine connaissance de son crime. Donc, de même qu’il savait bien, même avant de pratiquer le meurtre, que le meurtre était une action mauvaise, mais que plus tard il le comprit d’une manière plus claire, quand il reçut son châtiment, quand il t’entendit ces paroles : Tu seras gémissant et tremblant sur la terre ; de même son père, avant de manger du fruit, possédait la connaissance du bien et du mal, quoiqu’elle ne fût pas aussi évidente pour lui, que quand il en eut mangé. Je m’explique : Nous connaissons tous tant que nous sommes, le mal, même avant de le commettre ; nous le comprenons mieux, après l’avoir commis, et, nous le comprenons, d’une manière beaucoup plus claire encore, quand vient le châtiment. Ainsi Caïn savait, avant de tuer son frère, que ce meurtre était une action mauvaise ; il le comprit ensuite plus clairement, quand il fut puni. Nous aussi, nous savons bien que la santé est une bonne chose, et que la maladie est importune, nous savons cela, avant l’expérience ; mais nous comprenons beaucoup mieux, quand nous sommes malades, la différente de la santé et de la maladie. 3. C’est de la même manière, assurément, qu’Adam savait que l’obéissance est un bien, et, au contraire, la désobéissance un mal. Il le vit ensuite plus clairement, lorsqu’après avoir goûté du fruit, il fut chassé du paradis, et déchu de cette félicité parfaite. Quand il eut encouru le châtiment, pour avoir, malgré la défense de Dieu, goûté du fruit de l’arbre, l’expérience de la punition lui fit mieux comprendre tout ce qu’il y a de mal dans la désobéissance à Dieu, tout ce qu’il y a de bien dans l’obéissance. Voilà pourquoi cet arbre est appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Mais, si la connaissance du bien et du mal, n’a pas été le fruit même de l’arbre, si après que l’homme eut mangé le fruit, c’est le châtiment qui lui a manifesté cette connaissance, d’où vient que l’arbre a reçu le nom d’arbre de la science du bien et du mal ? Rien d’étonnant à cela ; c’est l’usage de l’Écriture de donner, aux lieux et aux temps, des noms pris des choses qui s’y sont produites. Pour être plus clair, je vais citer un exemple : Isaac creusa un puits que ses voisins entreprirent de combler ; de là des querelles, et Isaac, appela le puits, Inimitié. Ce n’était pas que le puits exerçât des inimitiés (Gen 26,21), mais c’est que des inimitiés s’étaient élevées à propos de ce puits ; de même, cet arbre s’appelle l’arbre de la science du bien et du mal, non pas qu’il eut cette science en lui, mais parce qu’il avait été l’occasion qui avait fait reconnaître la science du bien et du mal. Abraham creusa encore un puits, et Abimélech prépara des embûches à Abraham ; ils se réconcilièrent, déposèrent leurs inimitiés, se prêtèrent un mutuel serment et appelèrent ce puits le Puits dit Serment. Comprenez-vous que le lieu n’est pas la cause de ce qui arrive, quoiqu’il tire son nom de ce qui est arrivé ? S’il faut, à toute force, des exemples, pour rendre plus manifeste ce que nous vous disons, voyez encore : Jacob vit des anges qui venaient au-devant de lui et le camp de Dieu ; alors il appela cet endroit le Camp. (Gen 32,2) Ce lieu n’était pourtant pas un camp, quoiqu’il ait été appelé de ce nom ; mais. C’est que Jacob y avait vu un camp. Comprenez-vous comme un événement, arrivé dans un lieu, a donné, à ce lieu, son nom ? Il en est de même de l’arbre de la science du bien et du mal ; ce n’est pas que l’arbre eût en lui-même cette science, mais c’est qu’il fut le lieu, où la science se manifesta. Autre exemple encore : Jacob vit Dieu, autant qu’un homme peut le voir, et il appela le lieu la Face de Dieu. Pourquoi ? parce que j’ai vu Dieu, dit-il. (Gen 32,30) Cependant le lieu n’était pas la face de Dieu, mais il a reçu son nom de l’événement qui s’y est passé. Voyez-vous combien d’endroits nous servent à montrer que l’habitude de l’Écriture est de donner aux lieux, les noms des choses qui y sont arrivées ? La même observation s’applique en ce qui concerne les temps. Mais, pour prévenir votre ennui, allons, quittons ce sujet aride, passons à des réflexions plus agréables. Je vois bien que vous êtes fatigués d’avoir séjourné au milieu de pensées trop subtiles. Aussi convient-il de vous récréer, en repaissant votre esprit de pensées plus simples et plus riantes. Revenons donc à l’arbre salutaire de la croix ; car cet arbre a fait disparaître tous les maux que l’autre avait introduits. Disons mieux, ce n’est pas l’autre arbre qui avait introduit les maux, c’est l’homme seul, et, après lui, c’est le Christ qui les a tous fait disparaître, et nous a apporté des biens de beaucoup plus considérables. De là, ce que dit Paul ; Où il y a eu abondance de péchés, il y a eu ensuite surabondance de grâces (Rom 5,20) ; c’est-à-dire le don est plus grand que le péché. Mais il n’en est pas de la grâce comme du péché (Rom 5,15) Dieu n’a pas mesuré à la grandeur du péché, la grandeur du don ; à la grandeur de la perte, la grandeur du gain ; à la valeur du bâtiment naufragé, la valeur des bénéfices ; mais les biens, ont surpassé les maux, et la raison en est évidente. En effet, c’est l’esclave qui a introduit les maux, ils étaient moindres ; mais les biens viennent de la grâce du Maître, ils ont été plus considérables. De là, cette parole : Mais il n’en est pas de la grâce comme du péché. Paul explique ensuite la différence : Car nous avons été condamnés, par le jugement de Dieu, pour un seul, au lieu que nous sommes justifiés par la grâce, après un grand nombre de péchés. (Id 16) Ce passage est un peu obscur ; une explication est nécessaire : Par le jugement, cela veut dire, la peine, le supplice, la mort ; pour un seul, c’est-à-dire, pour un seul péché, puisque c’est un seul péché qui a introduit un si grand mal ; mais la grâce n’a pas effacé ce péché seul, elle en a supprimé un grand nombre d’autres. C’est pourquoi Paul nous dit : Au lieu que nous sommes justifiés par la grâce après plusieurs péchés. C’est ainsi que Jean-Baptiste s’écriait : Voici l’Agneau de Dieu, non pas, qui enlève le péché d’Adam, mais : qui enlève les péchés du monde. (Jn 1,29) Voyez-vous qu’il ne faut pas mesurer la grâce au péché ? Comprenez-vous que notre arbre nous a donné des biens plais considérables, que né l’étaient, les maux introduits au premier jour ? 4. Je vous ai adressé ces paroles, pour que vous ne croyiez pas avoir à vous, plaindre, de vos premiers parents. Le démon a chassé Adam du Paradis ; le Christ a introduit le larron dans le ciel. Et voyez la différence : le démon a chassé, du paradis, un homme qui n’était souillé d’aucun péché ; sa désobéissance fut sa seule tache ; le Christ e introduit, dans le paradis, le larron, qui portait le fardeau de péchés sans nombre. Mais, devons-nous admirer uniquement ce fait, qu’il a introduit le larron dans le paradis ? N’y a-t-il plus rien d’admirable encore ? On peut dire un prodige encore plus grand du Christ. non seulement, il a introduit le larron, mais il l’a introduit avant le monde entier, avant les apôtres, afin que nul,'après lui, ne pût désespérer d’y entrer, abandonner toute : espérance de, salut, quand on verrait ce criminel ; qui était souillé de tant de forfaits, devenu un habitant de la cour céleste. Mais, examinons ; est-ce que le larron lui a montré ses travaux, ses bonnes œuvres, des fruits de vertu ? personne ne saurait le dire ; un petit mot, rien qu’un acte de foi, et, devançant les apôtres, il a bondi dans le paradis ; c’est afin de vous faire comprendre, que ce n’est pas tant sa vertu, que la bonté du Seigneur, qui a tout opéré. Car enfin, qu’a dit le larron ? qu’a-t-il fait ? Est-ce qu’il a jeûné ? est-ce qu’il a pleuré ? est-ce qu’il s’est affligé ? A-t-il manifesté son repentir ? Nullement ; mais sur la croix même ; à peine eût-il, parlé, qu’il avait obtenu son salut. Voyez la rapidité de la croix ; dans le ciel ; de la condamnation, aie salut. Or, quelles sont ces paroles, qui eurent tant de puissance, qui procurèrent, à cet homme, des biens si précieux ? Souvenez-vous de moi, dit-il, dans votre royaume. (Luc 23, 42) Qu’est-ce à dire ? Il s’est borné à demander le bonheur, il n’a rien mérité par ses actions ; mais le Christ, connaissant son cœur, ne s’est pas arrêté a ses paroles, il n’a considéré que la disposition de son âme. Ceux qui avaient reçu les enseignements des prophètes, qui avaient vu, les signes, contemplé les miracles, ceux-là disaient du Christ : Il est possédé dit démon, il séduit le peuple. (Mat 11,18) Mais le larron, qui n’avait pas entendu les prophètes, qui n’avait pas vu les prodiges, qui ne l’avait vu que pendu à la croix, ne fait pas attention à son ignominie ; malgré son abaissement, il voit sa, divinité ; Souvenez-vous de moi, dit-il, dans votre royaume. Chose incroyable ! Tu vois une croix`; et tu parles de royaume ? Que vois-tu donc là qui ressemble à un royaume ? Un homme crucifié, souffleté, raillé, accusé, couvert de crachats, battu de verges ; ce sont là des marques de la royauté ? réponds-moi. Comprenez-vous, que ce larron a regardé le Christ avec les yeux de la foi, sans s’occuper de l’apparence ? Aussi Dieu, à son tour, ne s’est pas occupé de ce que pesaient ces paroles si minces ; mais, comme le larron avait vu dans sa divinité, Dieu, de même, a vu dans son cœur, et il lui a dit : Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis. (Luc 23, 43) Ici, attention, car voici une question qui n’est pas indifférente. Les Manichéens, ces chiens stupides et enragés, portent la modestie sur leur figure, ils recèlent au fond de leur cœur la ragé des chiens ; sous la peau de la brebis, se cache le loup. Ne vous tenez pas à l’apparence ; fouillez le dedans, mettez, le monstre à découvert ; donc, ce sont eux qui saisissent, ici, l’occasion. Le Christ a dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis : donc la rétribution des biens est déjà faite, et la résurrection est superflue. Si, en effet, le larron a reçu les biens qu’il demandait autrefois, et cela, le jour même, et si, jusqu’à présent, son corps n’est pas ressuscité, il n’y aura pas de résurrection des corps. Avez-vous bien compris ce due nous venons de dire, où faut-il vous le répéter ? En vérité, en vérité, je vous le dis, aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis : donc, disent-ils, le larron est entré dans le paradis, sans son corps ; c’est évident, puisque son corps n’avait pas été enseveli, ne s’était pas décomposé, réduit en poussière, et il n’est dit nulle part que le Christ l’ait ressuscité. Si le Christ a introduit le larron dans le paradis, sans son corps, lui a donné ses biens en partage, il est manifeste qu’il n’y a pas de résurrection des corps ; car s’il y avait résurrection des corps, il ne lui aurait pas dit : Aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis : mais il lui aurait fait attendre la consommation des temps, la résurrection des corps. S’il a introduit le larron, tout de suite ; si le corps de celui-ci est resté dehors, en proie à la corruption, il est bien évident qu’il n’y a pas de résurrection des corps. Voilà donc ce que disent les Manichéens. Écoutez, maintenant, ce que. nous leur disons, nous ; je me trompe, non pas nous, mais la divine Écriture, car ce ne sont pas nos pensées que nous exprimons, mais les pensées de l’Esprit-Saint. Voyons, que prétendez-vous ? La chair n’a pas sa part de couronnes ? Mais, elle a eu sa part des fatigues, et elle est privée des récompenses ? Quand il fallait combattre, elle versait le plus de sueurs, et, quand vient le temps des couronnes, l’âme seule est couronnée ? N’entendez-vous pas la voix de Paul : Nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun de nous rende compte des actions propres à son corps, soit qu’il ait fait le bien, soit qu’il ait fait le mal. (Rom 14,10-12 ; 1Co 5,10) Ne l’entendez-vous pas encore proclamant : Il faut que ce corps mortel soit revêtu de l’immortalité, et que ce corps corruptible soit revêtu de l’incorruptibilité. (1Co 15,53 ;) Mortel ? Qu’est-ce à dire ? L’homme ou le corps ? Évidemment c’est le corps : puisque l’âme est immortelle de sa nature, tandis que le corps, de sa nature, est mortel. Mais ces hérétiques savent rogner les textes. Toutefois, il nous en reste assez pour saisir le sens de ce qui a été retranché. Le larron est entré dans le paradis, disent-ils. Eh bien ! après ? Sont-ce là les biens que Dieu nous promet ? 5. N’entendez-vous pas ce que Paul nous dit, de ces biens ? Que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a pas entendus et que le cœur de l’homme n’a jamais conçus. (1Co 2,9) Eh bien ! quant au paradis, l’œil d’Adam l’a vu, et son oreille l’a entendu, et le cœur de l’homme l’a conçu. Voilà déjà un grand nombre de jours que nous en parlons. Comment donc le larron a-t-il reçu ces biens ? Ce n’est pas dans le paradis que Dieu promet, de nous introduire, c’est dans le ciel même, et ce n’est pas le royaume du paradis qu’il a prêché, mais le royaume des cieux. Jésus commença, dit l’évangéliste, à, prêcher en disant : faites pénitence, parce que le royaume approche, non pas le royaume du paradis, mais le royaume des cieux. (Mat 4,17) Vous savez bien que vous avez perdu le paradis, et Dieu vous a donné le ciel, pour vous montrer sa bonté, pour irriter la douleur du démon, pour prouver qu’il a beau tendre mille pièges à la race des hommes, il n’y gagnera rien, Dieu nous élevant toujours à un honneur plus haut. Donc vous avez perdu le paradis, et Dieu vous a ouvert le ciel ; vous avez été condamnés au travail, pour un temps, et glorifiés de la vie éternelle ; il a ordonné à la terre de produire les épines et les chardons, et votre âme à senti germer en elle le fruit de l’Esprit. (Gen 3,18) Voyez-vous comme les ressources dépassent le châtiment ? comme votre trésor s’est grossi ? Exemple : Dieu a formé l’homme de terre et d’eau, et il l’a placé dans le paradis ; l’homme ainsi formé n’a pas gardé son innocence, il s’est perverti ; Eh bien ! dès lors, ce n’est plus de terre et d’eau que Dieu le recompose, mais d’eau et d’esprit ; il ne lui promet plus, dès lors, le paradis, mais le royaume des cieux. Comment ? Écoutez : Un sénateur des Juifs, Nicodème, étant venu furtivement trouver Jésus, s’informait, auprès de lui, de la naissance à cette vie, et lui disait, qu’il était impossible qu’un homme déjà vieux naquit une seconde fois. Voyez de quelle manière le Christ lui explique le mode de la naissance : Si un homme ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux. (Jn 3,4-5) Donc si le Christ a promis le royaume des cieux, et s’il a introduit le larron dans le paradis, il ne lui a pas encore fait la rétribution. Mais voici encore une autre objection : Le Christ, ici, n’a pas entendu le paradis, mais, par le nom de paradis, il désignait le royaume des cieux, attendu qu’il parlait à un larron, à un homme qui n’avait rien appris de nos dogmes sublimes ; quine connaissait rien des prophéties ; qui avait passé toute sa vie, dans les lieux déserts, à commettre des meurtres ; qui, jamais, n’était entré, même en passant, dans une église ; qui n’avait jamais entendu la parole divine ; qui enfin, n’avait aucune idée de ce que pouvait être le royaume, des cieux, le Christ lui dit : Aujourd’hui, vous serez avec moi, dans le paradis. Le Christ s’est servi de ce mot connu, familier, de paradis, pour exprimer le royaume des cieux ; c’est de ce royaume que le Christ entend lui parler. J’y consens. Eh bien ! donc, disent les contradicteurs, il, est entré dans le royaume des cieux. Qui le prouve ? les paroles prononcées : Aujourd’hui, vous serez avec moi, dans le paradis. Si cette solution paraît violente, nous en apporterons une autre plus claire. Quelle est-elle ? Le Christ a dit : Celui qui ne croit pas au Fils, est déjà condamné. (Jn 3,18) Quoi donc ? est déjà condamné ; mais il n’y a encore ni résurrection, ni châtiment, ni supplice. Comment donc est-il déjà condamné ? par son péché. Autre parole : Celui qui croit au Fils, dit le Christ, est déjà passé de la mort à la vie. (Jn 5,24) Il ne dit pas, passera, mais est déjà passé. Et, ici encore, c’est, pour l’un, la conséquence de sa foi, pour l’autre, la conséquence de son péché. Donc, de même que l’un est déjà condamné ; quoiqu’il n’ait pas encore été condamné, que l’autre soit déjà passé à la vie, quoiqu’il n’y soit pas encore passé ; que, pour l’un, c’est l’effet de sa foi, pour l’autre l’effet de son péché ; de même que Dieu parle, comme si les événements étaient accomplis, d’événements qui ne sont pas encore accomplis ; de même parlait le Christ, quand il s’adressait au larron. Les médecins voient un malade désespéré, il est perdu, disent-ils, il est mort, quoique le malade soit encore vivant ; mais, de même que ce malade, parce qu’il n’y a plus d’espoir de salut, est appelé, par les médecins, un homme mort, de même le, larron, parce qu’il avait échappé à toutes les chances de retomber dans la perdition, est entré dans le ciel. Du même genre sont les paroles qu’Adam entendit : Le jour que vous mangerez du fruit de cet arbre, vous mourrez. (Gen 2,17) Quoi donc ? Est-il donc mort ce jour même ? Nullement. Il a vécu depuis plus de neuf cents ans. Pourquoi donc Dieu lui a-t-il dit : Ce jour même vous mourrez ? De droit, non de fait. C’est ainsi que le larron est entré dans le ciel. Écoutez ce que dit Paul, proclamant que personne n’a encore reçu la rétribution des biens. Il parlait des prophètes et des hommes justes, et il ajouta ces paroles : Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis ; mais les voyant, et comme les saluant de loin ; Dieu ayant voulu, par une faveur particulière qu’il nous a faite, qu’ils ne reçussent qu’avec nous, l’accomplissement de leur bonheur. (Heb 11,13, 40) Imprimez-en vous ces paroles, conservez-les dans votre mémoire, instruisez ceux qui ne les ont pas entendue : dans l’église, sur la place publique, à la maison, qu’elles soient le sujet des méditations de chacun de vous ; car, il n’est rien de plus doux que d’entendre la divine parole. Écoutez ce que dit le prophète : Que tes paroles sont douces à ma gorge ! elles le sont plus que le rayon de miel pour ma bouche. (Psa 119,103) Ce rayon de miel, servez-le, le soir, sur votre table, pour la remplir tout entière du plaisir qui vient de l’Esprit. Ne voyez-vous pas que les hommes, opulents font venir à la fin du repas, des joueurs de lyre et des joueurs de flûte ? Ils font de leur maison, un théâtre ; vous, au contraire, faites de votre maison le ciel. Ce qui vous sera fâche, sans changer les murailles ; sans déranger les fondations ; appelez à votre table Celui qui commande au plus haut des cieux. Dieu ne rougit pas d’assister à de tels festins ; car c’est là que règnent la doctrine spirituelle et la tempérance et la gravité, et la douceur. Là où le mari, la femme et les enfants vivent dans la concorde, enchaînés tous ensemble par les liens de l’affection et de la vertu, là réside aussi le Christ ; il ne recherche pas les lambris dorés, les colonnes resplendissantes, les beaux marbres, mais la beauté de l’âme, la grâce des pensées, une table couverte des fruits abondants de la justice et de l’aumône. À l’aspect d’un pareil service, il lui tarde de prendre sa part du festin ; il s’assied à la table ; c’est lui-même qui l’a dit : J’ai eu faim et vous m’avez donné, à manger. (Mat 25,35) Aussi, quand vous avez écouté le pauvre, dont le cri est monté jusqu’à vous, quand vous avez donné à l’indigent, une part quelconque des mets de votre table, c’est le Seigneur que vous avez invité, en invitant son serviteur ; et votre table vous l’avez aussitôt comblée de toutes les bénédictions ; en offrant vos prémices, vous avez saisi l’occasion la plus favorable d’attirer sur vous la plénitude de tous les biens. Que le Dieu de paix, qui donne le pain à celui qui ! e mange, et la semence au semeur, multiplie votre semence, fasse croître, en vous tous, les fruits de la justice, vous communique sa grâce, et daigne vous appeler à son royaume des cieux. Puissions-nous obtenir, tous tant que nous sommes, un tel partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et au Saint Esprit, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HUITIÈME DISCOURS.
Sur le temps qui est à la pluie ; – sur les évêques qui se trouvent réunis ; – sur le précepte donné à Adam ; – la loi qu’il a reçue est un effet de la grande sollicitude de Dieu. ANALYSE.
- 1. Exorde tiré d’une circonstance de temps et de la personne de l’évêque Flavien. Résumé du dernier discours. Si la loi est la cause du péché. – 2. La loi est le plus grand bien que Dieu ait accordé à son peuple : Non fecit taliter omni nationi, et judicia sua non manifestavit eis. Confirmation de cette même vérité par plusieurs textes. Conclusion et exhortation.
1. Les nuages amoncelés ont attristé le jour, mais la présence de notre docteur ▼ lui a rendu sa clarté. Le soleil, du haut de la voûte du ciel, nous envoie des rayons qui versent, sur nos corps, moins de lumière, que n’en répand sur nos âmes du haut de son trône rayonnant, le Père que nous aimons. Il le sait bien lui-même ; aussi n’est-il pas venu seul ; il amène, avec lui, cette pléiade resplendissante, pour ajouter à l’éclat d’une si vive lumière. Aussi notre Église tressaille d’allégresse, le troupeau bondit, et notre confiance redouble en commençant notre discours. C’est qu’en effet, où les bergers se rassemblent, les brebis sont en sécurité ; de même les matelots se réjouissent quand ils voient un grand nombre de pilotes ; car, si la mer est tranquille, et le ciel serein, les pilotes, en manœuvrant le gouvernail, rendent plus léger le travail des rameurs ; et quand les tempêtes soulèvent les vagues, les pilotes combinant leur industrie et tous leurs efforts, apaisent le combat des flots. Voilà pourquoi, nous aussi, nous commençons plein d’une bonne espérance ce discours destiné à vous instruire, et nous confions le tout à leurs prières. Maintenant, pour que vous puissiez, plus facilement et mieux, comprendre ce que nous avons à vous dire, nous vous résumerons rapidement ce qu’hier vous avez entendu. J’ai dit : que, même avant de manger du fruit de l’arbre, l’homme avait le discernement du bien et du mal ; et que ce n’est pas seulement après avoir goûté du fruit de l’arbre, qu’il a reçu cette connaissance. J’ai dit pourquoi cet arbre a été appelé, l’arbre de la science du bien et du mal ; que c’est l’usage de l’Écriture, de donner, aux lieux et aux temps, des noms pris des événements qui s’y sont accomplis. Aujourd’hui, ce qui convient, c’est de vous lire le commandement même qui interdisait de manger du fruit de cet arbre. Quel est donc ce commandement ? Et le Seigneur Dieu fit à Adam ce commandement et lui dit : Mangez de tous les fruits des arbres du paradis. (Gen 2,16) C’est la loi de Dieu, soyons attentifs. Si les hommes qui font la lecture des rescrits de l’empereur commandent à l’assemblée de se lever tout entière, à plus forte raison faut-il, quand nous allons faire la lecture, non pas des lois des hommes, mais de la loi de Dieu, nous 1enirdebout, par la pensée, et appliquer toute notre attention, aux paroles qui se font entendre. Je n’ignore pas que certaines personnes accusent le législateur, en disant que la loi a été une occasion de chute ; c’est tout d’abord cette accusation que nous devons combattre, et nous montrerons, en nous appuyant sur la réalité même des faits, que ce n’est pas par haine pour l’homme, que ce n’est pas pour faire outrage à notre nature, mais par amour, par sollicitude pour nous, que Dieu nous a donné la loi. Voici qui va vous apprendre que cette loi nous a été donnée pour nous servir d’auxiliaire : écoutez Isaïe : Il nous a donné la loi pour nous servir de secours. (Isa 8,20) Celui qui déteste ne porte pas de secours. Autre passage du prophète s’écriant : Votre parole est une lanterne pour mes pieds, une lumière qui éclaire mes sentiers. (Psa 119,105) Celui qui déteste ne porte pas la lanterne qui dissipe les ténèbres ; il ne conduit pas, avec une lumière, le voyageur errant. Écoutez maintenant Salomon : Le précepte de la loi c’est une lanterne, c’est la lumière et la vie, et le redressement, et l’enseignement. (Pro 6,23) Voyez-vous que ce n’est plus seulement un secours ni une lanterne, mais de plus, et la lumière, et la vie ? Or, je ne vois pas là les preuves de la haine, la volonté de vous perdre, mais une main qui vous est tendue pour vous relever. Aussi, lorsque Paul s’emporte contre les Juifs, en leur montrant l’utilité de la loi, il leur dit, pour leur prouver que la loi ne nous est pas imposée comme un fardeau, qu’au contraire elle nous ranime : Mais vous, qui portez le nom de Juifs, qui vous glorifiez des faveurs de la loi. (Rom 2,17) Voyez-vous que ce n’est pas pour nous imposer un fardeau, mais pour nous ranimer que Dieu a donné la loi?. Voulez-vous comprendre maintenant que Dieu l’a donnée aussi, afin de nous faire honneur ? Nos preuves, jusqu’à présent, suffisaient pour montrer l’honneur qui nous a été fait, le soin que Dieu a pris de nous. Mais cela même, je veux le démontrer encore, par d’autres témoignages : Jérusalem, loue le Seigneur ; Sion, loue ton Dieu, car il a fortifié les serrures de tes portes, et il a béni tes enfants, au milieu de toi ; il a établi la paix, sur tes frontières, et il te rassasie du meilleur froment. (Psa 147,12-14) Ensuite, après avoir rappelé les bienfaits qu’il nous a procurés par d’autres créatures, il y joint ce principal bienfait, plus considérable que tous les autres, il dit :Il annonce sa parole à. ses jugements et ses ordonnances à Israël, il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations et il ne leur a point manifesté ses préceptes. (Id 19,20) Voyez quelle énumération de bienfaits ! La sécurité de la ville: Car il a fortifié, dit-il, les serrures de tes portes : les guerres écartées : Il a établi, dit-il, la paix sur tes frontières : l’abondance des vivres : Et il te rassasie du meilleur froment. Cependant il déclare que le présent qu’il fait de la loi, est le plus précieux de tous. Car, la sécurité, la paix, le bonheur de voir écarter la guerre, l’abondance heureuse des enfants, la fécondité des fruits de la terre, sont des biens beaucoup moins précieux, que d’avoir reçu la loi en présent ; que d’avoir appris les jugements du Seigneur ; et pour cette raison, le Prophète réserve ce don comme le dernier, après tant d’autres, et il ajoute : Il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations. De la sorte, qu’est-ce que cela veut dire ? Certes, la fécondité, l’abondance de la terre, les autres biens énumérés, ont été souvent le partage d’un grand nombre d’hommes, mais, dit le Prophète, je ne parle pas de ces biens-là, je parle de la loi, et Dieu, à cet égard, n’a pas agi de même avec toutes les autres nations ; voilà pourquoi il ajoute : Et il ne leur a point manifesté ses préceptes. Vous voyez que de tous les biens énumérés, le plus précieux, c’est la loi. 2. Ce que Jérémie, à son tour, a manifesté quand il pleurait sur les tribus captives ; il disait : Pourquoi es-tu sur la terre des ennemis ? Tu as délaissé la source de la sagesse. (Bar 3,10, 12) C’est la loi, qu’il appelle ainsi, Comme une source envoie de tous côtés, un grand nombre de ruisseaux, ainsi la loi verse de tous côtés, un grand nombre de préceptes, qui arrosent notre âme. Jérémie, montrant ensuite le principal honneur à nous conféré par la loi, disait : Cette sagesse n’a pas été entendue dans Chanaan ; elle n’a pas été vue dans Tehoeman, et les fils d’Agar, ces marchands et ces faiseurs de recherches, n’ont pas trouvé sa voie, et ils ne se sont pas souvenus de ses sentiers. (Id 22, 23) Et, pour démontrer que cette loi est spirituelle et divine : Qui est monté, dit-il, dans le ciel et l’en a tirée. (Id 29) Aussitôt il ajoute : C’est notre Dieu ; aucun autre ne ara estimé auprès de lui ; il a trouvé toutes les vies de la science, et il les a montrées à Jacob e enfant, et à Israël son bien-aimé. (Id 36,37) C’est pour cela que David à son tour disait : Il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations, et il ne leur a point manifesté ses préceptes. Et Paul insinuait cette pensée, quand il disait : Quel est donc l’avantage des Juifs ; et quelle est l’utilité de la circoncision ? (Rom 3,1) Voyez-vous comme ici les preuves abondent de mille manières ? D’abord c’est qu’ils n’ont pas cru aux paroles de Dieu. Voyez-vous de quelle manière Paul aussi a proclamé cette vérité : Il n’a point traité de ta sorte toutes les autres nations, et il ne leur a point manifesté ses préceptes? En effet, si c’est l’avantage des Juifs qu’eux seuls ; parmi tant d’autres hommes, ont été honorés du don de la loi écrite, ce n’est pas pour nous imposer un fardeau, mais pour nous faire honneur, que Dieu nous a donné la loi ; et l’honneur que Dieu nous a fait, ne consiste pas seulement en ce qu’il nous a donné la loi, mais encore en ce qu’il nous l’a donnée lui-même. Voilà, en effet, le plus grand honneur ; il n’a pas seulement répandu des biens, mais c’est par lui-même qu’il les a répandus. Voilà, certes, un grand don, écoutez Paul. Comme il voyait que les Juifs étaient enflés d’orgueil, parce que les prophètes étaient venus pour eux, Paul, voulant réprimer leur arrogance, et montrer que nous avons reçu un plus grand honneur, nous, à qui la doctrine n’a pas été donnée par un serviteur de Dieu, mais parle Seigneur même, voici ce qu’il écrit aux Hébreux :Dieu ayant parlé, autrefois, à nos pères, en divers temps, et en diverses manières, par les prophètes, nous, a enfin parlé, en ces derniers jours, par son Fils unique. (Heb 1,1-2) Et ailleurs encore : Et non seulement nous avons été réconciliés, mais nous nous glorifions même en, Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui nous avons obtenu maintenant cette réconciliation. (Rom 5,11) Voyez-vous comme il ne se glorifie pas seulement de la réconciliation, mais encore de la réconciliation obtenue par Jésus-Christ ? Et, dans un autre passage, quand il célèbre la résurrection, il dit : Le Seigneur lui-même descendra du ciel. (1Th 4,16) Comprenez qu’ici encore, tout se fait, s’accomplit par le Seigneur ; et ce n’est pas par l’entremise d’un serviteur quelconque, par un ange, par un archange, c’est lui-même de sa propre personne qui a donné le précepte à Adam, faisant à l’homme un double honneur : l’honneur de lui donner la loi, l’honneur de la donner lui-même. Comment donc l’homme est-il tombé ? A cause de sa négligence ; et c’est ce que fait voir le grand nombre de justes qui ont reçu la loi, et qui ne sont pas tombés, mais qui ont fait plus qu’il ne leur avait été commandé. Je vois que le temps nous presse ; nous renverrons ces réflexions à un autre entretien ; quant à vous, retenez les paroles que vous avez entendues, conservez-les dans votre mémoire, instruisez ceux qui ne les ont pas entendues dans l’église, sur la place publique, à la maison, qu’elles soient le sujet des méditations de chacun de vous ; car il n’est rien de plus doux que d’entendre la divine parole. Écoutez ce que dit le prophète : Que tes paroles sont douces à ma gorge ! elles le sont plus que le rayon de miel pour ma bouche. (Psa 119,103) Ce rayon de miel, servez-le, le soir, sur votre table, pour la remplir tout entière du plaisir qui vient de l’Esprit. Ne voyez-vous pas que les hommes opulents font venir à la fin du repas, des joueurs de lyre et des joueurs de flûte ? Ils font, de leur maison un théâtre ; vous au contraire, faites de votre maison le ciel. Ce qui vous sera facile, sans changer les murailles, sans déranger les fondations ; appelez à votre table Celui qui commande au plus haut dès cieux. Dieu ne rougit pas d’assister à de tels festins ; car c’est là que règnent la doctrine spirituelle, et la tempérance, et la gravité et la douceur. Là où le mari, la femme et les enfants vivent dans la, concorde, enchaînés tous ensemble par les liens de l’affection et de là vertu, là réside aussi le Christ ; il ne recherche pas les lambris dorés, les colonnes resplendissantes, les beaux marbres, mais la beauté de l’âme, la grâce des pensées, une table couverte des fruits abondants de la justice et de l’aumône. À l’aspect d’un pareil service, il lui tarde de prendre sa part du festin ; il s’assied à la table, c’est lui-même qui l’a dit : J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger. (Mat. XXV, 35) Aussi, quand vous avez écouté le pauvre, dont le cri est monté jusqu’à vous, quand vous avez donné à l’indigent, une part quelconque des mets de votre table, c’est le Seigneur que vous avez invité, en invitant son serviteur, et votre table, vous l’avez aussitôt comblée de toutes les bénédictions ; en offrant vos prémices, vous avez saisi l’occasion la plus favorable d’attirer sur vous la plénitude de tous les biens. Que le Dieu de paix et d’amour ; qui donne le pain à celui qui le mange, et la semence au semeur, multiplie votre semence, fasse croître en vous tous, les fruits de la justice, vous communique sa grâce, et daigne vous appeler à son royaume des cieux. Puissions-nous obtenir, tous tant que nous sommes, un tel partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, en même temps qu’au Père, la gloire, l’honneur, la puissance, ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. TREIZIÈME HOMÉLIE.
« Or le Seigneur Dieu avait dans Éden, vers l’Orient, un jardin de délices, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. » (Gen 2,8) ANALYSE.
- 1. Saint Chrysostome se réjouit de l’empressement de ses auditeurs, et leur promet d’y répondre par un zèle nouveau. – 2. Il reprend ensuite brièvement le récit de la formation de l’homme ; et réfute en passant l’erreur de ceux qui regardaient l’âme comme une partie de la divinité. – 3. Abordant les paroles de son texte, il dit que le mot planté qu’emploie l’Écriture, exprime qu’à l’ordre du Seigneur là terre produisit les différents arbres du jardin de délices ; et il ajoute que Moïse en détermine le lieu pour confondre par avance les fables dé quelques hérétiques. – 4. Le Seigneur y plaça l’homme afin qu’il jouit de toutes ses beautés et de tous ses agréments, et il lui défendit de toucher au fruit de l’arbre de vie, pour éprouver son obéissance, et lui rappeler sa dépendance.
1. Votre empressement et votre ardeur, votre attention et votre concours me ravissent d’admiration ; aussi, malgré le sentiment de ma faiblesse, je me propose de dresser chaque jour pour vous la table d’un festin spirituel. Sans doute cette table sera pauvre et frugale ; mais j’ai confiance en votre zèle, et je sais que vous écouterez ma parole avec plus de joie que l’on n’en témoigne pour un repas grossier et matériel. Ne voyons-nous pas en effet que l’appétit des convives supplée à la frugalité de la table et à la pauvreté de l’hôte, en sorte qu’un maigre repas est mangé avec grand plaisir ; tout au contraire, si on n’apporte qu’un faible appétit à un somptueux festin, la variété et l’abondance des mets deviennent inutiles, parce que personne ne peut en user pleinement ? Mais ici, par la grâce de Dieu, vous vous approchez de cette table spirituelle pleins de ferveur et d’une pieuse avidité, et de mon côté je ne suis pas moins empressé à vous distribuer la parole sainte, parce que je sais que vous l’entendez avec une oreille bien disposée. Le laboureur qui a trouvé un champ gras et fertile, le cultive avec le plus grand soin ; il travaille le sol, le laboure et en arrache les épines ; il l’ensemence ensuite largement, et, tout rempli de confiance et d’espoir, il attend chaque jour le développement du grain qu’il a confié à une terre féconde. Cependant, il base ses calculs sur la fertilité du sol, et s’apprête à recueillir le centuple de ce qu’il a semé. C’est ainsi qu’en voyant chaque jour votre ferveur s’accroître, votre empressement s’augmenter et votre zèle se développer, je conçois les meilleures espérances ; aussi, suis-je animé d’une ardeur nouvelle pour vous instruire, afin d’avancer quelque peu votre perfection, la gloire de Dieu et l’honneur de l’Église. Mais rappelons d’abord, s’il vous plaît, le sujet de notre dernier entretien, et puis nous passerons à l’explication du passage qui vient d’être lu. Voici donc ce que je vous disais, et ce que je vous développais en terminant notre dernière conférence ; il est nécessaire d’y revenir brièvement : et Dieu forma l’homme du limon de la terre ; et il répandit sur son visage un souffle de vie, et l’homme devint vivant et animé. Or, je vous faisais observer, comme je le fais encore en ce moment, et comme je ne cesserai de le dire, que Dieu a donné à l’homme des marques d’une bonté extrême ; il s’est occupé de notre salut avec un soin tout particulier, et il a comblé l’homme des plus grands honneurs. Bien plus, sa parole et ses actes ont déclaré hautement qu’à ses yeux l’homme était au-dessus de toutes les autres créatures : aussi, ne sera-t-il pas inutile de revenir sur ce sujet ; car de même que les aromates rendent plus de parfum, selon qu’on les pétrit davantage, nos saintes Écritures offrent à nos méditations profondes et multipliées, des trésors nouveaux, et elles présentent à notre piété des richesses immenses. Et Dieu forma l’homme du limon de la terre. Remarquez ici, je vous prie, combien ce langage diffère de celui que Dieu employa pour produire les autres créatures. Il dit, selon Moïse : Que la lumière soit, et la lumière fut ; que le firmament soit, que les eaux se réunissent, que des corps lumineux soient, que la terre produise les plantes, que les eaux produisent les animaux qui nagent, et que la terre enfante les animaux vivants. C’est ainsi qu’une seule parole tira du néant toutes les créatures ; mais s’agit-il de l’homme, Moïse dit : Et Dieu forma l’homme ; cette expression, qui se proportionne à notre faiblesse, désigne également le mode de notre création et sa supériorité sur les créations antérieures. Car, pour parler un langage tout humain, elle-nous montre le Seigneur formant de ses propres mains le corps de l’homme ; aussi, le bienheureux Job a-t-il dit:Vos mains m’ont formé et elles ont façonné mon corps. (Job 10,8) Nul doute que si Dieu eût commandé à la terre de produire l’homme, celle-ci n’eût exécuté cet ordre, mais il a voulu que le mode même de notre création nous fût une leçon d’humilité, et que ce souvenir nous retînt dans la dépendance qui convient à notre nature. Voilà pourquoi Moïse décrit si explicitement cette création, et nous dit que Dieu forma l’homme du limon de la terre. 2. Mais observez aussi combien ce mode de création nous est honorable ; car Dieu ne prit pas seulement de la terre pour en former l’homme, mais du limon, de la poussière, tout ce qu’il y a de plus vil ; et c’est ce limon et cette poussière qui, à son ordre, devint le corps de l’homme. Sa parole avait précédemment tiré la terre du néant, et, alors il voulut qu’un peu de limon se changeât en le corps de l’homme. Aussi, est-ce avec délices que je répète cette exclamation du Psalmiste : Qui racontera la puissance du Seigneur, et qui publiera toutes les louanges qui lui sont dues ? (Psa 106,2) Et en effet, à quel degré d’honneur n’a-t-il pas élevé l’homme formé du limon de la terre ! et de quels bienfaits ne le comble-t-il pas tout aussitôt, lui donnant ainsi des témoignages d’une bonté toute spéciale ! Car, dit l’Écriture : Dieu répandit sur le visage de l’homme un souffle de vie ; et il devint vivant et animé. Mais ici, quelques insensés qui ne suivent que leurs propres raisonnements, qui n’ont aucunes pensées dignes de Dieu, et qui ne comprennent point la condescendance du langage de l’Écriture, osent affirmer que notre âme est une portion de la divinité. O démence ! ô folie ! combien sont nombreuses les voies de perdition que le démon ouvre devant ses sectateurs ! Car, voyez par quels chemins différents ils courent tous à leur perte. Les uns s’appuient sur ce mot : Dieu répandit un souffle, et ils en concluent que nos âmes sont une portion de la divinité ; et les autres disent même qu’après la mort l’âme passe dans le corps des plus vils animaux. Quelle doctrine extravagante et dangereuse ! c’est que leur raison, obscurcie par d’épaisses ténèbres, ne peut comprendre le sens de l’Écriture ; aussi, semblables à des aveugles, ils tombent tous dans différents précipices ; car les uns élèvent l’âme au-dessus de sa dignité, et les autres l’abaissent au-dessous. S’ils veulent donner à Dieu une bouche parce que l’Écriture dit qu’il répandit un souffle de vie sur le visage de l’homme, il faut donc également qu’ils lui donnent des mains puisque la même Écriture dit qu’il forma l’homme. Mais il vaut mieux taire de pareilles extravagances que s’exposer soi-même à tenir un langage insensé ; évitons donc de suivre ces hérétiques dans les sentiers multipliés de leurs erreurs et attachons-nous à l’Écriture qui s’explique par elle-même ; seulement la simplicité de ses expressions ne doit point nous arrêter, parce que cette simplicité n’a pour cause que la faiblesse de notre intelligence. Eh ! comment l’oreille de l’homme pourrait-elle recueillir la parole de Dieu, si cette parole ne s’accommodait à son infirmité ? Convaincus de notre impuissance et de la véracité de Dieu, nous ne devons interpréter l’Écriture que dans un sens qui soit digne de lui ; c’est pourquoi il faut écarter de Dieu toute idée de membres et de formes corporelles, et ne rien imaginer qui le déshonorerait ; car, il est un être simple, immatériel, et qui ne tombe point sous les sens ; et si nous lui donnons un corps et des membres, nous nous engagerons soudain dans les erreurs grossières du paganisme. Quand vous lisez donc dans l’Écriture que Dieu forma l’homme, élevez-vous jusqu’à l’idée de cette puissance créatrice qui avait dit précédemment que la lumière soit. Et lorsque vous lisez encore que Dieu répandit surie visage de l’homme un souffle de vie, pensez également que ce même Dieu qui avait créé les anges, intelligences spirituelles, voulut unir au corps de l’homme, formé du limon de la terre, une âme raisonnable qui fit mouvoir les membres de ce corps. Et en effet, on peut dire que ce corps, l’œuvre par excellence du Seigneur ; gisait sur la terre comme un instrument qui a besoin d’être touché. Oui, il était comme une lyre qui attend une main habile ; et l’âme, en imprimant à ces membres un mouvement harmonieux, leur fait rendre des sons qui sont agréables au Créateur. Et Dieu répandit sur le visage de l’homme un souffle de vie ; et l’homme devint vivant et animé. Que signifie cette parole : il répandit un souffle de vie ? Elle nous apprend que Dieu unit au corps de l’homme une âme vivante qui lui communiqua la vie et le mouvement, et qui se servit des membres de ce même corps pour exercer ses propres facultés. 3. Mais je reviens encore sur la différence qui existe entre la création des animaux et celle de cet être raisonnable que nous appelons l’homme. Au sujet des premiers, Dieu avait dit : que les eaux produisent les animaux qui nagent ; et soudain les eaux enfantèrent les poissons. Et de même il avait dit : que la terre produise des animaux vivants ; mais il n’en est pas ainsi de l’homme. D’abord son corps fut formé du limon de la terre, et il reçut ensuite une âme raisonnable qui lui donna la vie et le mouvement. Aussi Moïse dit-il en parlant des animaux : leur vie est dans le sang. (Lev 17,11) Notre âme au contraire est une substance spirituelle et immortelle, et elle surpasse le corps de tout l’intervalle qui sépare une pure intelligence d’un corps brut et grossier. Mais peut-être me ferez-vous cette question : si l’âme est plus noble que le corps, pourquoi a-t-il été créé le premier, et l’âme la dernière ? Eh ! ne voyez-vous pas, mon cher frère, que ce même ordre a été suivi dans la création ? Car le Seigneur fit d’abord le ciel et la terre, le soleil et la lune, lés animaux et toutes les autres créatures, et il forma ensuite l’homme qui devait leur commander. C’est ainsi que dans la création de l’homme, le corps a été formé le premier et l’âme la dernière, quoiqu’elle soit plus noble et plus excellente. Observez encore que les animaux, étant destinés au service de l’homme, devaient être créés avant lui, pour qu’il pût tout d’abord les employer. Et de même le corps fut formé avant l’âme, afin que dès l’instant où elle existerait, par un acte de l’ineffable sagesse du Seigneur, elle pût agir au moyen du corps. Et Dieu, dit l’Écriture, planta un jardin de délices, dans Eden, vers l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Oh ! combien le Seigneur se montre-t-il bon et généreux envers l’homme ! il avait créé l’univers pour lui, et voici que dès le premier instant de son existence, il le comble de nouveaux bienfaits. Car c’est pour lui qu’il planta un jardin de délices, dans Eden, vers l’Orient. Mais ici, mon cher frère, si l’on n’interprétait ces paroles dans un sens digne de Dieu, on tomberait dans l’abîme de l’extravagance. Et en effet que diront ceux qui prennent à la lettre et dans un sens humain tout ce que l’Écriture dit de Dieu ? il planta un jardin de délices : eh quoi ! eut-il besoin pour embellir ce jardin de travailler la terre, et d’y employer ses soins et son industrie ? A Dieu ne plaise ! Et cette expression, le Seigneur planta, signifie seulement qu’à son ordre la terre produisit le jardin de délices que l’homme devait habiter. C’est en effet pour l’homme que ce jardin fut planté ; et l’Écriture le marque expressément. Dieu, dit-elle, planta un jardin de délices dans Eden, vers l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Je remarque aussi que Moïse spécifie le lieu où ce jardin était placé, afin de prévenir les vains discours de ceux qui veulent abuser de notre simplicité. Ils nous affirment que ce jardin était dans le ciel, et non sur la terre, et nous débitent mille autres fables semblables. L’extrême exactitude de l’historien sacré n’a pu les empêcher de s’enorgueillir de leur éloquence, et de leur science toute profane. Aussi osent-ils combattre l’Écriture, et soutenir que le paradis terrestre n’existait point sur la terre. C’est ainsi qu’ils adoptent un sens tout contraire à celui de l’Écriture, et qu’ils suivent une route semée d’erreurs en entendant du ciel ce qui est dit de la terre. Mais dans quel abîme ne seraient-ils point tombés, si, par l’inspiration divine, Moïse n’eût employé un langage simple et familier ! Sans doute l’Écriture interprète elle-même ses enseignements, et ne donne aucune prise à l’erreur ; mais parce que plusieurs la lisent ou l’écoutent bien moins pour y chercher la doctrine du salut que l’agrément de l’esprit, ils préfèrent les interprétations qui les flattent à celles qui les instruiraient. C’est pourquoi je vous conjure de fermer l’oreille à tous ces discours séducteurs, et de n’entendre l’Écriture que conformément aux saints canons. Ainsi quand elle nous dit que Dieu planta à l’orient d’Eden un jardin de délices, donnez à ce mot, mon cher frère, un sens digne de Dieu, et croyez qu’à l’ordre du Seigneur un jardin se forma dans le lieu que l’Écriture désigne. Car on ne peut, sans un grand danger pour soi et pour ses auditeurs, préférer ses propres interprétations au sens vrai et réel des divines Écritures. 4. Et Dieu y plaça l’homme qu’il avait formé. Voyez ici combien le Seigneur honora l’homme dès le premier instant de son existence. Il l’avait créé hors du paradis, mais il l’y introduisit immédiatement, afin d’éveiller en son cœur le sentiment de la reconnaissance, et de lui faire apprécier l’honneur qui lui était accordé. Il plaça donc dans le paradis l’homme qu’il avait formé ; ce mot : il plaça, signifie que Dieu commanda à l’homme d’habiter le paradis terrestre, pour qu’il goûtât tous les charmes de ce séjour délicieux, et qu’il s’en montrât reconnaissant envers son bienfaiteur. Et en effet ces bontés du Seigneur étaient toutes gratuites, puisqu’elles prévenaient dans l’homme jusqu’au plus léger mérite. Ainsi ne vous étonnez point de cette expression : il plaça, car l’Écriture ici, comme toujours, emploie un langage tout humain, afin de se rendre plus accessible et plus utile. C’est ainsi qu’en parlant des étoiles, elle avait dit précédemment que Dieu les plaça dans le ciel. Certes, l’écrivain sacré n’a point voulu nous faire croire que les astres sont attachés fixement à la place qu’ils occupent, puisqu’ils ont chacun leur mouvement de rotation ; il s’est proposé seulement de nous enseigner que le Seigneur leur ordonna, de briller dans les espaces célestes, de même qu’il commanda à l’homme d’habiter le paradis terrestre. Et Dieu, continue l’Écriture, fit sortir de la terre toute sorte d’arbres beaux à voir, et dont les fruits étaient doux à manger : et au milieu du jardin étaient l’arbre de vie et l’arbre de la science du bien et du mal. (Gen 2,9) Voici, de la part du Seigneur un nouveau bienfait qui se rapporte tout spécialement à l’homme. Il lui destinait le paradis terrestre pour habitation : aussi fit-il sortir de la terre toutes sortes d’arbres dont l’aspect était agréable à la vue, et le fruit doux au goût. Toutes sortes d’arbres, dit expressément l’Écriture, qui étaient beaux à voir, c’est-à-dire qui réjouissaient le regard de l’homme, et dont les fruits étaient doux à manger, c’est-à-dire qui lui fournissaient une nourriture délicieuse. Ajoutez encore que le nombre et la variété de ces arbres produisaient pour l’homme des charmes nouveaux ; car vous ne sauriez nommer une seule espèce qui ne s’y trouvât pas. Mais si l’habitation de l’homme était si gracieuse, sa vie n’était pas moins admirable. Il vivait sur la terre comme un ange, et quoique revêtu d’un corps il n’en souffrait point les dures nécessités. C’était le roi de la création, portant la pourpre et le diadème ; et parmi l’abondance de tous les biens, il coulait dans, le paradis terrestre une douce et libre existence. Et au milieu du jardin étaient l’arbre de vie, et l’arbre de la science du bien et du mal. Après nous avoir appris qu’à l’ordre du Seigneur, la terre produisit toute sorte d’arbres beaux à la vue et dont les fruits étaient doux au goût, Moïse ajoute : qu’au milieu du jardin étaient l’arbre de vie, et l’arbre de la science du bien et du mal. C’est que le Créateur, dans sa prescience divine, n’ignorait point que par la suite l’homme abuserait de sa liberté et de sa sécurité. Aussi plaça-t-il au milieu du paradis l’arbre de vie, et l’arbre de la science du bien et du mal, parce qu’il se proposait d’en défendre l’usage à l’homme. Et le but de cette défense devait être d’abord de rappeler à l’homme que Dieu lui donnait par bonté et par générosité l’usage de tous les autres arbres, et puis, qu’il était son Maître, non moins que celui de toutes les créatures. La mention de ces deux arbres amène naturellement celle des quatre fleuves qui sortaient d’une seule et même source, et qui se divisant ensuite en quatre branches, arrosaient les diverses contrées du globe, et en marquaient la séparation. Mais il est possible qu’ici ceux qui ne veulent parler que d’après leur propre sagesse soutiennent que ces fleuves n’étaient point de véritables fleuves, ni ces eaux de véritables eaux. Laissons-les débiter ces rêveries à des auditeurs qui leur prêtent une oreille trop crédule ; et pour nous, repoussons de tels hommes, et n’ajoutons aucune foi à leurs paroles. Car nous devons croire fermement tout ce que contiennent les divines Écritures, et en nous attachant à leur véritable sens, nous imprimerons dans nos âmes la saine et vraie doctrine. Mais nous devons également régler notre vie sur leurs maximes, en sorte que nos mœurs rendent témoignage à la sainteté de la doctrine, et que la doctrine soit elle-même la règle de nos mœurs. Et en effet il est essentiel, si nous voulons éviter l’enfer et gagner le ciel, que nous brillions de la double auréole d’une foi orthodoxe et d’une conduite irréprochable. Eh ! dites-le-moi, peut-on appeler utile l’arbre élancé qui se couvre de feuilles, et ne se couronne jamais de fruits ? Ainsi sont ces chrétiens orthodoxes dans leur foi, et hérétiques dans leur conduite. D’ailleurs Jésus-Christ ne déclare heureux que celui qui fait et qui enseigne. (Mat 5,19) Car l’enseignement qui repose sur les actions est bien plus sûr et bien plus persuasif que celui qui ne s’appuie que sur de vaines paroles. Et en effet, le silence et l’obscurité n’empêchent point que nos bonnes œuvres n’édifient nos frères, soit par nos exemples, soit par le récit qui leur en est fait. De plus, nous y trouvons nous-mêmes une source de grâces parce que, selon la mesure de nos forces, nous sommes cause que ceux qui nous voient glorifient le Seigneur. C’est ainsi que les bons exemples d’un chrétien sont autant de langues qui se multiplient comme à l’infini pour remercier et louer le Dieu de l’univers. Car non seulement les témoins de sa vie l’admirent, et glorifient le Seigneur, mais les étrangers eux-mêmes, quelle que soit la distance des lieux qui les séparent ; et les ennemis, non moins que les amis, s’édifient de sa vertu, et vénèrent son éminente sainteté. Telle est en effet la puissance de la vertu, qu’elle ferme la bouche à ses plus opiniâtres contradicteurs ; et de même qu’un œil faible ne peut supporter l’éclat du soleil, le vice ne saurait sans honte contempler la vertu en face, il est contraint de se cacher, et de s’avouer vaincu. Convaincus de ces vérités, embrassons donc le parti de la vertu, et pour mieux régler notre vie, et assurer notre salut, évitons avec soin jusqu’aux péchés les plus légers dans nos paroles et nos actions ; car nous ne tomberons point en des fautes graves, si nous sommes en garde contre les moindres, et, avec le secours de la grâce, nous pourrons, en avançant en âge, avancer aussi en sainteté. C’est ainsi que nous échapperons aux peines de l’enfer, et que nous acquerrons les biens éternels du ciel, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. QUATORZIÈME HOMÉLIE.
« Et le Seigneur, Dieu prit l’homme qu’il avait formé, et le plaça dans le jardin de délices pour le cultiver et le garder. » (Gen 2,15) ANALYSE.
- 1. Saint Chrysostome exhorte d’abord ses auditeurs à rechercher les divers sens profonds et mystérieux de l’Écriture en leur rappelant avec quelle ardeur les plongeurs se livrent à la pêche des perles. – 2. Puis il aborde l’explication de son texte, et observe que cette expression, le Seigneur Dieu ; n’indique point, entre le Père et le Fils, comme le pensaient certains hérétiques, quelque différence d’attribut ou de souveraineté. – 3. Il remarque ensuite que le travail fut imposé à l’homme comme un préservatif contre l’oisiveté, mais que ce travail n’était qu’une douce occupation, et non une pratique. – La défense que le Seigneur fit à Adam A manger du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, avait pour objet d’exercer son obéissance et de le tenir dans la dépendance et la soumission ; et quoique la femme ne fut pas encore créée, Dieu la comprit dans cette défense, afin qu’Adam la lui fît ensuite connaître. – 4. Au sujet de la création de la femme, l’orateur observe qu’ici, comme dans la création de l’homme, Dieu s’adresse à son Fils, et qu’il révèle la dignité de la femme en disant qu’elle fut formée pour être la compagne de l’homme. – 5. Il explique ensuite comment Adam nomma les divers animaux par un acte d’autorité, ainsi qu’un maître nomme ses serviteurs, et termine en priant ses auditeurs de garder le souvenir de ses instructions.
1. Aujourd’hui encore, si vous le trouvez bon, je reprendrai le sujet de notre dernier entretien, et je vous en développerai de nouveau la doctrine spirituelle : car le texte sacré, qui vient d’être lu, renferme de grands mystères, et il est nécessaire, pour en retirer quelque fruit, de les approfondir, et de les étudier avec attention, Les pécheurs qui s’occupent de la pêche des perles, ne les recueillent qu’au prix de grandes fatigues, et en bravant les flots et les abîmes de l’Océan ; mais combien plus devons-nous appliquer notre esprit à sonder les profondeurs des saintes Écritures, et à y chercher les véritables pierres précieuses. Toutefois, ne vous effrayez point, mon cher frère, lorsqu’on vous parle d’abîmes et de profondeurs : car il ne s’agit pas ici d’explorer une mer orageuse. La grâce de l’Esprit-Saint, qui nous dirige par ses divines clartés, facilite notre travail et nous le rend fructueux. Les pêcheurs de perles font rarement fortune, et souvent même cette pêche leur devient funeste et cause leur perte ; du moins le plaisir du succès n’en égale jamais les suites fâcheuses, puisque la vue de ce trésor excite contre eux les regards de la cupidité, et arme le bras de l’avarice. Et, en effet, la possession de quelques perles, loin de nous être véritablement utile, ne produit trop souvent que la discorde et la mort, car elle irrite l’avarice et enflamme la cupidité, en sorte qu’elle met en péril la vie même de celui qui a trouvé ce trésor. Mais les pierres précieuses que renferment nos saintes Écritures ne nous offrent aucun danger semblable ; si leur prix est au-dessus de toute estimation, la joie de les posséder est inaltérable, et bien supérieure à toutes les joies humaines ; c’est ce que nous apprend le Psalmiste quand il s’écrie : Seigneur, vos paroles sont beaucoup plus désirables que l’or et les pierres précieuses. (Psa 19,11) Mais s’il met ainsi la loi divine en regard des matières les plus estimées, il sait aussi l’apprécier bien au-dessus d’elles en disant que cette loi leur est de beaucoup supérieure : Seigneur, dit-il, vos paroles sont beaucoup plus désirables que l’or et les pierres précieuses. Certes, ce n’est point là, dans la pensée du Psalmiste, une comparaison de parfaite égalité ; mais parce que l’or et les pierreries sont parmi nous les objets les plus estimés, il les indique pour marquer l’excellence de la loi divine, et nous faire connaître que nous devons désirer ces oracles de l’Esprit-Saint avec plus d’ardeur que les hommes ne recherchent l’or et les pierres précieuses. L’Écriture ne compare, en effet, les choses spirituelles aux choses sensibles qu’afin de relever l’utilité et la supériorité de ces dernières ; ainsi le Psalmiste ajoute qu’elles sont plus douces que les rayons du miel. Ici encore il ne veut pas établir une comparaison exacte, ni dire que le miel et la loi divine peuvent nous causer un égal plaisir, mais c’est qu’il n’a pu trouver dans la nature d’autres objets plus propres à nous faire comprendre la douceur de cette loi. Il cite donc l’or, les pierreries et le miel pour nous faire mieux apprécier l’excellence des oracles sacrés, et nous apprendre que l’intelligence des dogmes divins apporte plus de joie que la possession de ces trésors périssables. Dans l’Évangile Jésus-Christ emploie la même méthode ; et comme un jour ses apôtres lui demandèrent l’explication de la parabole du bon grain et de l’ivraie, que l’homme ennemi avait semée parmi le froment, il daigna leur en expliquer en détail toutes les parties. Ainsi il leur, dit quel était ce champ et ce père de famille qui avait semé le bon grain, ce que, signifiait l’ivraie et quel était l’homme ennemi qui l’avait répandue ; il leur dit quels étaient les moissonneurs et ce que représentait la moisson, et il termina toutes ses explications par ces mots : Alors les justes resplendiront comme le soleil dans – le royaume de leur père. (Mat 13,43) Sans doute leur éclat surpassera celui de cet astre, et néanmoins le Sauveur dit qu’ils égaleront sa splendeur, parce que la nature n’offre rien de plus brillant que le soleil. Dans ces sortes de comparaisons il faut donc bien moins s’arrêter au terme lui-même que s’en servir pour s’élever, des objets sensibles et matériels, jusqu’à l’éminente supériorité des choses spirituelles. Or, nous ne saurons jamais rechercher celles-ci avec trop d’empressement, car elles découlent de Dieu, et remplissent l’âme d’une joie ineffable : c’est pourquoi prêtez, à mes instructions, une oreille avide et attentive, afin que vous y trouviez les vraies richesses du salut, et que vous rentriez dans vos maisons tout remplis des principes de la sagesse qui est selon Dieu. 2, écoutons donc l’explication du passage de la Genèse, qui vient d’être lu, et rejetons toute pensée profane ou indifférente ; car l’Écriture est un code descendu du ciel pour notre salut. Quand on donne lecture d’un rescrit impérial, le silence le plus profond s’établit et soudain cesse le moindre bruit et la plus légère agitation ; toutes ; les oreilles sont attentives et tous sont impatients de connaître les volontés du prince. Celui-là s’exposerait donc à un grand danger, qui même, par un léger bruit, interromprait cette lecture ; mais l’Église nous commande une crainte bien plus respectueuse et un silence plus, profond encore. Nous devons également réprimer le tumulte des pensées profanes et étrangères, si nous voulons bien comprendre ces instructions et mériter, par notre docilité, que le Roi des cieux nous approuve et qu’il nous récompense en nous accordant des grâces nouvelles et plus abondantes. Mais il est temps d’entendre les instructions, que nous donne l’écrivain sacré, qui parlait bien moins de lui-même que par l’inspiration du Saint-Esprit : Et le Seigneur Dieu, dit-il, prit l’homme qu’il avait formé ; il joint ensemble, dès le commencement de la phrase, les mots : Seigneur Dieu, pour nous indiquer qu’il y a ici un secret et un mystère, et que ces deux termes signifient une seule et même chose. Au reste je ne fais point cette remarque sans motif ; c’est afin qu’entendant l’Apôtre nous dire : Il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, d’où procèdent toutes choses, et un seul Seigneur, Jésus-Christ par qui toutes choses ont été faites (1Co 8,6), vous ne pensiez point qu’il existe quelque différence entre ces termes, et qu’ils marquent l’un, un caractère de supériorité, et l’autre, un caractère d’infériorité. L’Écriture les emploie donc indifféremment, et elle prévient ainsi toute dispute qui tendrait, par une fausse interprétation, à altérer nos dogmes sacrés. L’examen même du texte que je cite prouve, en effet, que l’Écriture n’attache à ces deux mots aucune signification spéciale et distincte ; car à quelle personne de la Trinité l’hérétique veut-il rapporter cette phrase : Et le Seigneur Dieu prit l’homme ? Au Père seul, soit. Mais écoutez l’Apôtre qui nous dit : Il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, d’où procèdent toutes choses, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites. Ne voyez-vous pas qu’il nomme le Fils Seigneur ? et pourquoi donc dire que le mot Seigneur signifie quelque chose de plus grand que le mot Dieu ? c’est une absurdité et un affreux blasphème : mais dès que l’on s’écarte des règles d’une saine interprétation de l’Écriture, et que l’on ne suit que son propre raisonnement, on déraisonne, et l’on soulève contre la vraie doctrine mille disputes inutiles et oiseuses. Et le Seigneur Dieu prit l’homme qu’il avait formé, et il le plaça dans le jardin de délices, pour qu’il le cultivât et qu’il le gardât. Admirez ici les soins de la Providence à l’égard de l’homme : hier, l’écrivain sacré nous disait gaie Dieu avait planté un jardin de délices, et qu’il y avait placé l’homme pour qu’il y demeurât et qu’il y jouît de ses divers agréments ; mais voici qu’aujourd’hui Moïse revient encore sur cette ineffable bonté du Créateur, et il nous (lit une seconde fois que le Seigneur Dieu prit l’homme qu’il avait formé, et qu’il le plaça dans un jardina de délices ; et observez qu’il ne dit pas seulement : et Dieu le plaça dans un jardin, mais : dans un jardin de délices, pour nous faire entendre combien cette demeure était agréable. Après avoir ainsi rapporté que Dieu plaça l’homme dans un jardin de délices, il ajoute afin qu’il le cultivât et qu’il le gardât. C’est ici encore le trait d’une amoureuse Providence. Et en effet, au milieu des délices de ce jardin, où tout réjouissait sa vue et flattait ses sens, l’homme eût, pu s’enorgueillir de l’excès de son bonheur ; car l’oisiveté enseigne tous les vices. (Sir 33,29) Aussi le Seigneur lui commanda-t-il de cultiver ce jardin et de le garder. Mais, direz-vous, le paradis terrestre avait-il donc besoin des soins de l’homme ? Non sans doute ;. et cependant, le Seigneur voulut que la garde et la culture de ce jardin offrissent à l’homme une occupation douce et modérée. Supposez-le entièrement oisif, et cette grande oisiveté n’eût pas tardé à le rendre paresseux et négligent. Une occultation douce et facile le maintenait au contraire dans une humble dépendance. Et en effet, ce mot : pour qu’il le cultivât, n’est point mis ici sans motif, et il signifie que l’homme ne devait pas oublier que Dieu était son maître, et qu’il ne lui avait donné la jouissance de ce jardin de délices qu’à la condition d’en avoir soin ; car le Seigneur fait toutes choses pour l’utilité de l’homme, soit qu’il le comble de bienfaits, soit qu’il lui donne la liberté d’en abuser. Nous n’existions pas encore, que déjà son immense bonté nous avait préparé les biens ineffables du ciel. C’est ce que nous apprennent ces paroles de Jésus-Christ : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé avant la création du monde. (Mat 25,34) Mais, à plus forte raison, cette même bonté nous fournit-elle abondamment les biens de la vie présente. 3. Rappelons, en quelques mots, les bienfaits du Seigneur à l’égard de l’homme. D’abord il le tira du néant, et il forma son corps du limon de la terre ; il répandit ensuite sur son visage un souffle divin, et lui communiqua ainsi le don inestimable d’une âme spirituelle ; enfin, il créa pour lui un jardin de délices, et il l’y plaça. Peu satisfait encore, comme un bon père qui aime son enfant, Dieu semble craindre qu’au sein d’un entier repos et d’une pleine liberté, l’homme, jeune et inexpérimenté, ne s’enfle d’orgueil et de vanité ; c’est pourquoi il songe à lui donner une occupation douce et modérée. Le Seigneur commanda donc à Adam de cultiver et de garder le paradis terrestre, afin qu’au milieu des délices de ce séjour et de la sécurité d’un paisible repos, ce double soin le retînt dans les limites d’une humble dépendance. Tels sont les premiers bienfaits que le Seigneur accorde à l’homme immédiatement après sa création ; et ceux qui vont suivre n’attesteront pas moins son extrême bonté et sa souveraine bienveillance. Or, que dit l’Écriture ? Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam. Ici encore l’écrivain sacré, selon son habitude, joint ces deux mots : Seigneur et Dieu, afin de mieux nous inculquer la vraie doctrine et confondre ceux qui, osant établir entre eux quelque distinction, attribuent l’un de ces noms au Père, et l’autre au Fils. Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam. Quel trait de bonté dans ce seul mot : Dieu fit une recommandation ! Qui ne l’admirerait ! et quelle parole pourrait dignement l’exprimer ! Car voyez comme, dès le principe, Dieu respecte la dignité de l’homme : il ne lui intime ni un ordre absolu, ni un commandement exprès ; mais il lui fait une simple recommandation. Comme un ami traite avec son ami d’une affaire importante, ainsi le Seigneur traite avec Adam. On dirait qu’il veut l’engager, par un sentiment d’honneur, à se montrer soumis et obéissant. Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam, et il lui dit : mangez de tous les fruits des arbres du paradis ; mais ne mangez point du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, car le jour même où vous en mangerez, vous mourrez très-certainement. (Gen 2,17) L’observation de ce précepte était bien facile. Mais, comprenez, mon cher frère, combien la paresse est un grand mal : elle rend difficiles les choses les plus aisées ; et au contraire, l’ardeur et l’activité rendent aisées les choses les plus difficiles. Eh ! dites-le-moi, Dieu pouvait-il faire à l’homme une recommandation plus simple et plus facile, et pouvait-il le combler de plus d’honneur ! Il lui permettait d’habiter le paradis terrestre et de récréer ses regards par la beauté des objets qu’il renfermait. Combien douce et agréable était cette vue, et combien exquis les fruits dont il se nourrissait l Et en effet, quel plaisir de voir la fertilité des arbres fruitiers, la variété des fleurs, la diversité des plantes, le feuillage qui pare les arbres comme d’une belle chevelure, et ces mille autres beautés que renfermait vraisemblablement un jardin que Dieu lui-même avait planté. C’est ce que l’Écriture nous a précédemment insinué quand elle nous a dit que Dieu fit sortir de la terre toute sorte d’arbres beaux à voir, et dont les fruits étaient doux à manger. Aussi pouvons-nous comprendre combien a été coupable la négligence et l’intempérance de l’homme qui, au sein d’une telle abondance, transgressa le commandement du Seigneur. Représentez-vous l’honneur et la dignité dont le Seigneur environna le premier homme. II le plaça dans le paradis terrestre et lui dressa une table séparée et particulière, afin qu’il ne pût même soupçonner que le Créateur lui avait destiné la même nourriture qu’aux animaux. Mais il était comme le roi de la nature, et il jouissait dans le paradis terrestre de mille délices ; il avait aussi, en sa qualité de maître des animaux, une demeure séparée et une habitation meilleure. Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam et il lui dit : mangez de tous les fruits des arbres du paradis ; mais ne mangez point du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, car le jour même où vous en mangerez, vous mourrez certainement. C’est comme s’il lui eût dit : est-ce que je vous impose une obligation grave et difficile ? non sans doute, puisque je vous abandonne les fruits de tous les arbres, à l’exception d’un seul ; et si je sanctionne ma défense par la menace des plus terribles châtiments, c’est pour que du moins la crainte vous retienne dans l’obéissance. Le Seigneur en usait donc envers le premier homme, comme un maître généreux et magnifique qui nous céderait un superbe palais, à la condition que nous reconnaîtrions son droit de suzeraineté pour une modique redevance ; et de même le Seigneur, toujours bon et miséricordieux, permit à Adam l’usage des fruits de tous les arbres, et n’en excepta qu’un seul, afin de lui rappeler qu’il dépendait de Dieu et qu’il devait obéir à tous ses commandements. 4. Mais qui pourrait dignement, exprimer, combien fut grande alors la bonté du Seigneur l Adam ne pouvait encore présenter aucun mérite, et quelles faveurs néanmoins ne reçut-il pas ! Car ce n’est ni la moitié des fruits que le Seigneur lui abandonne, ni un grand nombre d’arbres qu’il se réserve, en lui permettant l’usage des autres ; il veut au contraire qu’il mange de tous les fruits des arbres du paradis, et s’il en excepte un seul, c’est uniquement pour que l’homme le reconnaisse comme l’auteur et le principe de tous ces biens. Considérez encore ici quelle fut envers la femme la bonté du Seigneur, et de quels honneurs il la combla. Elle n’existait pas encore, et déjà il la comprenait dans ce commandement : Ne mangez pas de ce fruit, car au jour où vous en mangerez vous mourrez certainement. Ainsi dès le commencement Dieu déclare que l’homme et la femme ne sont qu’un, et que l’homme, selon la parole de l’Apôtre, est le chef de la femme. (Eph 5,23) Il s’adresse donc à tous deux, afin que plus tard, lorsque la femme aura été formée de l’homme, elle reçoive de celui-ci la connaissance de cette défense. Je n’ignore point les questions que l’on propose d’ordinaire touchant cet arbre, ni les objections de certains hérétiques qui parlent avec une téméraire audace, et qui s’efforcent de rejeter sur Dieu le péché de l’homme. Pourquoi, disent-ils, le Seigneur a-t-il fait cette défense, sachant bien que l’homme ne la respecterait pas ? Pourquoi encore a-t-il planté cet arbre dans le paradis ? La réponse à ces questions et à beaucoup d’autres m’entraînerait à parler avant le temps de la faute originelle, et il vaut mieux attendre que le récit de Moïse nous y conduise. Quand nous serons donc arrivés à cet endroit de la Genèse, je vus dirai plus à propos ce que m’inspirera la grave divine pour vous développer le véritable sens de l’Écriture. Vous acquerrez ainsi la vraie connaissance des choses, et vous rendrez à Dieu la gloire qu’il mérite sans lui imputer une faute dont l’homme seul est coupable. C’est pourquoi abordons, si vous le voulez bien, l’explication des versets qui suivent immédiatement. Et le Seigneur Dieu dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul. L’Écriture répète ici cette expression qu’elle a déjà employée : le Seigneur Dieu, afin que nous la retenions bien, et que nous ne préférions pas à ces enseignements-là nos vaines interprétations. Et le Seigneur Dieu dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul. Voyez comme le Dieu bon ne cesse d’accumuler sur l’homme bienfaits sur bienfaits, et comme dans sa généreuse libéralité il entoure de nouveaux honneurs cet être doué de raison. Son but est de lui rendre la vie plus douce et plus agréable. Et le Seigneur Dieu dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul ; faisons-lui une aide semblable à lui. Ici Dieu emploie pour la seconde fois cette expression : faisons. Au moment de créer l’homme, il avait dit : faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ; et sur le point de former la femme, il dit également : faisons. Mais à qui adresse-t-il cette parole ? Certes ce n’est point à quelque puissance créée, mais à celui qu’il a engendré, à ce fils unique qui est l’ange du grand conseil et le prince de la paix. Et afin qu’Adam sût que la femme qui allait être formée lui serait égale en dignité, Dieu répète les mêmes termes qu’il avait employés pour sa création, et dit : faisons à l’homme une aide qui lui soit semblable. Ces deux mots aide et semblable renferment un sens qu’il faut peser mûrement. Je ne veux pas, dit le Seigneur, que l’homme soit seul, et il convient de lui donner une compagne qui le console, et qui lui vienne en aide. Telle est la mission de la femme. Aussi après avoir dit faisons-lui une aide, il ajoute immédiatement : « qui soit semblable à lui. » Or cette dernière parole ne doit point s’entendre des animaux, ni des oiseaux que le Seigneur va amener devant Adam. Et en effet, quoiqu’ils lui soient d’un grand secours dans ses travaux, ils sont privés de raison, et par conséquent bien inférieurs à la femme qui en est douée. Aussi l’écrivain sacré rapporte d’abord cette parole une aide semblable à lui, et puis il ajoute : le Seigneur après avoir formé de la terre tous les animaux de la terre et tous les oiseaux du ciel, les fit venir devant Adam, afin qu’Adam vît comme il les nommerait ; et le nom qu’Adam donna à chaque animal est son propre nom. Tout ceci ne fut pas fait au hasard, mais en prévision de l’avenir. Car Dieu, qui n’ignorait pas que bientôt l’homme deviendrait prévaricateur, a voulu par là nous montrer de quels trésors de science il l’avait enrichi en le créant. Aussi lorsqu’Adam viola le commandement du Seigneur, gardons-nous bien de penser qu’il pécha par ignorance, tandis qu’il agit sciemment et par malice. 5. Le récit de Moïse nous révèle en effet combien était étendue la science du premier homme. Le Seigneur, dit-il, fit venir devant Adam tous les animaux, afin qu’Adam vît comme il les nommerait. Dieu en agit ainsi pour lui donner occasion de faire usage de ses vastes connaissances. Aussi l’Écriture ajouta-t-elle que le nom qu’Adam donna à chaque animal est son propre nom. Mais ici, outre la science d’Adam, nous voyons dans cette imposition du nom une preuve de son domaine sur les animaux. Car c’est ainsi, qu’en signe de son autorité, un maître change le nom de l’esclave qu’il achète. Le Seigneur amena donc à Adam tous les animaux afin qu’il les nomma comme étant leur maître. Ne passez pas légèrement sur ce fait, mon cher frère ; mais considérez combien devait être vaste et profonde la science d’Adam pour qu’il donnât un nom propre et convenable aux oiseaux et aux reptiles, aux bêtes féroces et aux animaux domestiques ou sauvages, aux poissons qui vivent dans les eaux et aux insectes que produit la terre. L’Écriture nous dit en effet que le nom qu’Adam donna à chaque animal, est son propre nom. N’est-ce pas ici un acte formel de puissance et de suprême autorité ? Mais observez encore que les lions et les léopards, les vipères et les scorpions, les serpents et tous les monstres s’étant présentés humblement devant Adam pour rendre hommage à son empire, et en recevoir un nom, celui-ci n’en parut nullement effrayé. Évitons donc d’accuser le Dieu qui ses a créés, et de proférer contre lui, ou plutôt contre nous-mêmes cet imprudent blasphème pourquoi Dieu a-t-il créé ces animaux ? Car tous alors, les bêtes féroces comme les animaux domestiques, reconnurent leur dépendance ; et Adam, en leur donnant un nom, fit manifestement acte d’autorité. Or ils conservent aujourd’hui encore le nom qu’il leur imposa, et Dieu l’a permis, afin de perpétuer le souvenir des faveurs dont il avait comblé l’homme. Aussi, en voyant que dans le principe les animaux lui étaient soumis, ne pouvons-nous attribuer à une autre cause qu’à son péché l’affaiblissement et presque la ruine de ce souverain domaine. Et Adam donna leurs noms aux animaux domestiques, aux oiseaux du ciel, et aux bêtes sauvages. Ces paroles nous apprennent, mon cher frère, combien grande était dans Adam la liberté de la volonté, et l’étendue de la science. Ainsi nous ne saurions dire qu’il ne connaissait pas le bien et le mal. Car n’était-il pas profondément instruit et savant celui qui put donner un nom propre et convenable aux animaux domestiques, aux oiseaux du ciel et aux bêtes sauvages, sans confondre les espèces, et sans imposer aux animaux domestiques des noms qui eussent convenus aux bêtes sauvages, ou à celles-ci des noms qui eussent convenu aux premiers ? Conjecturez de là quelle est la puissance de ce souffle de vie que le, Seigneur répandit dans l’homme, et quelle est la science de cette âme spirituelle qu’il lui donna. Et en effet, l’homme est un animal raisonnable, qui se compose de deux natures, d’une âme spirituelle, et d’un corps matériel. Or celui-ci est, par rapport à l’âme, comme un instrument entre les mains d’un excellent artiste. Mais en considérant l’excellence d’un être si parfait, admirez la sagesse du Créateur. Oui, si la beauté des cieux, quand on y réfléchit attentivement, nous porte à célébrer les louanges d’un Dieu créateur, combien plus encore l’étude de l’homme, doué de raison, comblé d’honneurs dès le premier instant de sa création, et enrichi des dons les plus merveilleux, ne doit-elle pas nous exciter à célébrer par de continuelles louanges l’Auteur de ces merveilles, et à rendre gloire à Dieu selon nos forces ! Je voudrais aborder l’explication des versets suivants, mais je crains d’avoir déjà, par ce long entretien, fatigué votre attention ; aussi vaut-il mieux ne pas le prolonger. Car l’important n’est pas que je vous dise beaucoup de choses, mais que vous reteniez ce que je vous dis ; il ne suffit même pas que vous sachiez pour vous seuls le sens des saintes Écritures ; mais il faut encore que vous puissiez le faire connaître à vos frères et le leur expliquer. Je vous engage donc à vous entretenir, au sortir de cette assemblée, du sujet que je viens de traiter, et à vous communiquer mutuellement vos souvenirs. Ce sera un excellent moyen de vous rappeler l’ensemble : et le détail de cet entretien, en sorte qu’arrivés dans vos maisons, vous pourrez en méditer la céleste doctrine. D’ailleurs, cette attention à écouter la parole divine, et cette application à la méditer, vous faciliteront les moyens de calmer le tumulte de vos passions, et d’éviter les embûches du démon. Et en effet, quand cet esprit mauvais voit une âme tout occupée des choses de Dieu, et comme tout absorbée en de saintes pensées, il n’ose s’en approcher, et il s’en éloigne promptement. Car l’action de l’Esprit-Saint en cette âme est un feu qui le met en fuite. Appliquons-nous donc à ce pieux exercice, afin d’en retirer de si précieux avantages, de vaincre l’ennemi de notre salut, et de mériter des grâces plus abondantes. Par là tout nous succédera heureusement, les difficultés s’aplaniront, le mal lui-même se changera en bien, et les, malheurs de la vie présente ne pourront nous attrister. Car si nous nous occupons exclusivement des choses de Dieu, il prendra soin lui-même de notre existence. Sous sa conduite nous traverserons sans naufrage la mer orageuse de ce monde, et sa main nous dirigera heureusement vers le port du salut. C’est à lui seul qu’appartiennent la, gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. QUINZIÈME HOMÉLIE.
« Mais il ne se trouvait point pour Adam d’aide semblable à lui : Dieu envoya donc à Adam un profond sommeil ; et pendant qu’il dormait, Dieu prit une de ses côtes et mit de la chair en sa place. Et Dieu produisit la femme de la côte qu’il avait ôtée à Adam. » (Gen 2,20-22) ANALYSE.
- 1. Saint Chrysostome, après avoir félicité ses auditeurs de leur zèle à entendre la parole divine, preuve l’excellence de la femme par ces paroles : « Il ne se trouvait point pour Adam d’aidé semblable à lui ; » et il en fait ressortir sa supériorité sur les animaux qui ne sont que les serviteurs de l’homme, tandis que la femme est sa compagne. – 2. Il explique ensuite le sommeil mystérieux envoyé à Adam, et la manière dont le Seigneur forma la femme. – 3. Le mode seul de cette formation montre, selon la parole de l’Apôtre, que la femme a été créée pour l’homme ; aussi en la voyant. Adam s’écria-t-il par suite d’une révélation prophétique : « Voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! » – 4. L’orateur explique ensuite comment Adam et Eve ne rougissaient pas de leur nudité en disant qu’ils étaient revêtus d’innocence et de – pureté, et que leur vie, avant le péché, était tout angélique. – 5. En terminant, il ramène l’attention de ses auditeurs à la manière, dont ils ont passé la première moitié du carême, et les engage à éviter les différents péchés qui se commettent par la langue.
1. Je vous suis bien reconnaissant de ce que trier vous m’avez écouté avec tant de bienveillance. La longueur de notre entretien n’a point paru vous fatiguer, et votre attention s’est soutenue depuis le commencement jusqu’à la fin. Aussi suis-, fie fondé à espérer que vous mettrez mes conseils en pratique. Car celui qui écoute 7a parole sainte avec tant de plaisir témoigne bien qu’il veut y conformer sa conduite ; et `d’ailleurs le nombreux concours de ce soir suffirait seul pour me garantir vos heureuses dispositions. Un bon appétit est un signe de bonne santé, et de même la faim de la parole divine est l’indice d’une âme très-bien disposée. Mais puisque votre zèle me promet des fruits abondants, et qu’il me garantit que vous vous conformerez à mes enseignements, comment ne pas vous donner, mes chers frères, la récompense que je vous promis hier ? J’entends cette doctrine spirituelle que je vous distribue sans m’appauvrir, et qui néanmoins vous rend plus riches. Telle est en effet la nature des biens spirituels, qui sous ce rapport sont fort différents des biens temporels. Car à l’égard de ces derniers, on ne saurait en être prodigue, ni enrichir les autres qu’à ses dépens ; ici au contraire on augmente ses propres trésors en les distribuant, et l’on multiplie les richesses de ses frères. De mon côté, je suis tout disposé à vous communiquer ces biens spirituels, et du vôtre les âmes s’ouvrent et se dilatent pour les recevoir ; il faut donc que je vous donne de ma plénitude, et que je m’acquitte de ma dette en vous expliquant les versets de la Genèse qui viennent d’être lus. Oui je veux, mes chers frères en faire le sujet de cet entretien, en rechercher avec soin le sens caché, et vous enrichir de leurs abondants trésors. L’Écriture nous dit : Mais pour Adam il ne se trouvait point d’aide qui lui fût semblable ; que signifie cette parole, mais pour Adam ? et pourquoi employer ici cette conjonction ? ne suffisait-il pas de dire : pour Adam il ne se trouvait pas d’aide ? ce n’est point sans raison, ni par simple curiosité que j’entre dans ce détail, et je me propose de vous apprendre par ce minutieux examen due dans l’Écriture il ne faut passer légèrement ni sur un mot, ni sur une syllabe. Car ce ne sont point ici des paroles jetées au hasard, mais le langage de l’Esprit-Saint. Aussi peut-on y découvrir de précieux trésors même sous une seule syllabe. Veuillez donc, je vous en conjure, m’écouter avec soin, et ne faites paraître ni lâcheté, ni nonchalance. Soyez au contraire attentifs, et ne vous laissez point distraire par les préoccupations des affaires, ou les soucis des choses temporelles. Car chacun doit être touché de la dignité de cette sainte assemblée, et ne pas oublier que c’est Dieu lui-même qui nous parle par la bouche de son prophète. Ainsi qu’en vous l’oreille et l’esprit soient ouverts et éveillés afin que vous ne perdiez pas un seul mot, et que la semence de la parole divine ne tombe point sur la pierre, ou le long du chemin, ni parmi les épines. Puisse-t-elle au contraire se répandre sur une bonne terre ! je veux dire en des cœurs bien préparés, alors elle se multipliera et vous produira des fruits abondants. Expliquons donc le sens de cette phrase : Mais pour Adam, il ne se trouvait point d’aide qui lui fût semblable ; et voyez d’abord avec quelle exactitude s’exprime la sainte Écriture ! Après nous avoir dit : Mais pour Adam, il ne se trouvait point d’aide, elle poursuit et ajoute ces mots : qui lui fût semblable. Cette addition nous fait comprendre le sens de la conjonction. Je pense que, parmi vous, quelques esprits plus éclairés devinent presque ce que je vais dire ; mais il est de mon devoir d’instruire tous mes auditeurs, et de me faire comprendre de chacun d’eux. C’est pourquoi je vous expliquerai les raisons qu’a eues Moïse de parler ainsi, mais il faut un peu de patience. Vous vous souvenez que l’écrivain sacré a précédemment rapporté cette parole du Seigneur : Faisons à Adam une aide qui lui soit semblable, et qu’ensuite il est revenu sur la création des bêtes, des reptiles et de tous les animaux. Et Dieu, dit-il, avait formé de la terre tous les animaux et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir devant Adam, afin qu’Adam vît comment il les nommerait. Ainsi Adam leur imposa à tous un nom, comme étant le maître de tous ; et selon la sagesse qu’il avait reçue du Seigneur, il donna aux bêtes féroces, aux oiseaux et aux animaux domestiques, le nom qui est resté leur propre nom. Mais quoique les animaux servent aux usages de l’homme, et qu’ils lui aident dans ses travaux, néanmoins par cela seul qu’ils sont privés de raison, ils lui sont bien inférieurs. C’est pourquoi nous ne saurions penser que c’est d’eux que le Seigneur a voulu parler quand il a dit : faisons une aide à Adam. Sans doute les animaux nous prêtent leur secours, et ils nous sont utiles en bien des choses ; – mais ils n’en sont pas moins privés de raison. Qu’ils nous soient utiles, l’expérience le prouve, car nous employons les uns à tirer des fardeaux et les autres à cultiver la terre. Ainsi le bœuf traîne la charrue, ouvre les sillons et opère les divers travaux de l’agriculture. L’âne est très-propre à porter des fardeaux, et la plupart des autres animaux servent aux besoins de notre existence. La brebis nous donne la laine pour nous vêtir, et le poil de la chèvre se prête à mille usages ; de plus elle nous nourrit de son lait. Ainsi, pour que nous ne puissions appliquer aux animaux cette parole : faisons à Adam une aide, l’écrivain sacré commence son récit par ces mots : Mais pour Adam il ne se trouvait point d’aide qui lui fût semblable. C’est comme s’il nous disait : tous les animaux ont été créés pour le service de l’homme, et ils ont reçu de lui leur nom, mais aucun n’est digne d’être son aide. Aussi voulant nous raconter la formation de la femme, a-t-il soin d’introduire le Seigneur qui prononce cette parole : faisons à Adam une aide qui lui soit semblable, qui soit digne de lui, produite de la même substance et son égale. C’est pourquoi Moïse dit : Mais pour Adam il ne se trouvait point d’aide qui lui fût semblable ; et il nous indique par là que quelque grands que soient à l’égard de l’homme les services des animaux, l’aide de la femme sera pour Adam bien plus excellente en toutes manières. 2. Aussi n’est-ce qu’après avoir créé tous les animaux, et les avoir conduits au premier homme pour qu’il leur donnât un nom, que Dieu s’occupe de lui former une aide qui lui soit semblable. Déjà l’homme avait été le but de toute la création, et il avait produit pour lui toutes les créatures. Mais Dieu voulut alors y ajouter l’aide de la femme, et observez ici avec quelle précision de détails l’Écriture décrit la formation de la femme. Elle nous avait déjà appris que le Seigneur se proposait de donner à l’homme une aide qui lui fût semblable, car elle nous avait rapporté cette parole : faisons à Adam une aide selon lui ; et encore celle-ci : Mais pour Adam il ne se trouvait point d’aide qui lui fût semblable. Maintenant elle va nous apprendre que Dieu forma la femme de la substance même de l’homme. Et le Seigneur Dieu, dit-elle, envoya à Adam un profond sommeil, et pendant qu’il dormait, il prit une de ses côtes et mit de la chair à la place. Et le Seigneur Dieu produisit la femme de la côte qu’il vivait ôtée à Adam et l’amena devant Adam. (Gen 21, 22) L’énergie de ces paroles est grande, et elles surpassent l’intelligence de l’homme. C’est pourquoi l’on ne saurait les comprendre qu’en les approfondissant avec l’œil de la foi. Dieu, dit Moïse, envoya à Adam un profond sommeil, et pendant qu’il dormait. Quelle exactitude de doctrine et quelle sublimité de langage ! L’écrivain sacré, ou plutôt l’Esprit-Saint, par sa plume, nous apprend ici deux choses, le profond sommeil d’Adam, et les suites de ce sommeil. Mais ce sommeil ne ressemblait en rien au sommeil ordinaire. Car le Dieu créateur, sage et puissant, voulait éviter qu’Adam ressentît la moindre douleur, de crainte que ce souvenir pénible ne l’aigrît contre la femme qui devait être formée d’une de ses côtes. C’est pourquoi il lui envoya un profond sommeil, ou plutôt un profond assoupissement qui le priva de l’usage de ses sens. Alors, le Seigneur, comme un habile ouvrier, ôta à Adam une de ses côtes, mit de la chair en sa place, et de la côte enlevée forma dans sa bonté le corps de la première femme. Il envoya donc à Adam un profond sommeil, et pendant qu’il dormait, il lui enleva une de ses côtes, et il prit de la chair à la place. C’était pour qu’à son réveil Adam ne s’aperçût pas de ce qui était arrivé. Car il devait plus tard en être instruit, quoique dans le moment même il n’en eût aucune connaissance. Aussi le Seigneur disposa-t-il toutes choses afin de lui ôter tout sentiment de douleur et de tristesse. Il enleva donc une de ses côtes sans qu’il en ressentît aucune souffrance, et il mit de la chair à la place, pour qu’il ne s’aperçût de rien. Or c’est de cette côte que Dieu forma la femme. Récit admirable, et qui surpasse de beaucoup l’intelligence de l’homme. Au reste, tel est le caractère de toutes les œuvres de Dieu ; et ce n’est pas ici un moindre miracle que d’avoir formé Adam d’un peu de poussière et de boue. Mais observez encore comme l’Écriture s’accommode à notre faiblesse. Et Dieu, dit-elle ; prit une des côtés d’Adam, Gardons-nous bien d’interpréter ces paroles d’une manière toute humaine, et ne voyons, dans leur humble simplicité, qu’une pure condescendance envers notre infirmité. Car si l’Écriture ne se fût ainsi exprimée, comment aurions-nous pu comprendre ces profonds mystères ? Arrêtons-nous donc bien moins au sens littéral, qu’à des pensées dignes de Dieu. Ainsi cette parole : Et Dieu prit et toute autre semblable ne sont que pour se proportionner à notre faiblesse. Au reste, l’Écriture emploie ici les mêmes expressions dont elle s’était servie en parlant d’Adam. Elle avait dit précédemment : Le Seigneur Dieu prit l’homme ; le Seigneur Dieu fit à Adam ce commandement ; et encore Le Seigneur Dieu dit : faisons-lui une aide qui lui soit semblable. De même ici elle dit: Le Seigneur Dieu forma la femme de la côte qu’il avait ôtée à Adam ; et un peu auparavant elle avait dit : Et le Seigneur Dieu envoya à Adam un profond sommeil. Ainsi ces expressions n’indiquent aucune différence entre le Père et le Fils, et l’Écriture les emploie indifféremment, parce que ces deux personnes divines n’ont qu’une seule et même nature. Aussi retrouvons-nous la même façon de s’exprimer quand il s’agit de la formation de la femme : Et le Seigneur Dieu forma la femme de la côte qu’il avait ôtée à Adam. Que diront ici les hérétiques, qui veulent tout examiner curieusement, et qui se flattent de connaître même la génération du Créateur ? Mais quelle parole expliquerait ce mystère ! et quelle intelligence pourrait le comprendre : Le Seigneur, dit l’Écriture, prit une des côtes d’Adam, et de cette seule côte il forma la femme tout entière. Eh ! pourquoi ne parler que de ce second miracle ? Car dites-moi d’abord comment Dieu ôta cette côte, et comment Adam ne ressentit aucune douleur ? Ce sont autant de mystères que vous ne sauriez expliquer, et que le Créateur seul qui les a opérés peut comprendre. Mais puisque nous ne pouvons concevoir des choses qui sont sous nos yeux, ni comprendre la création de la femme qui a été formée de la substance de l’homme, il n’appartient qu’au délire et à la folie de rechercher curieusement l’essence du Créateur, et de se vanter d’en avoir l’intelligence. Les esprits célestes ne peuvent eux-mêmes sonder cet abîme, et ils se contentent de glorifier le Seigneur avec crainte et tremblement. 3. Et le Seigneur Dieu produisit la femme de la côte qu’il avait ôtée à Adam. Admirez l’exactitude de l’Écriture ! Elle ne dit pas, Dieu forma, mais produisit, parce qu’il prit une portion d’une chair déjà formée, et qu’il ne fit que l’augmenter, Dieu produisit donc la femme, non par l’acte d’une création nouvelle, mais en ôtant à Adam une portion de chair, et produisant de cette faible portion un être complet en toutes ses parties. Combien donc est grande la puissance du Créateur qui, avec si, peu de matière, a formé les membres souples et élégants de la femme, et a produit cet être si parfait, qui est doué d’une exquise sensibilité et qui procure à l’homme une douce société et une grande consolation ! Car c’est pour la consolation de l’homme (lue la femme a été formée ; aussi l’Apôtre dit-il que l’homme n’a pas été créé pour la femme, niais la femme pour l’homme. (1Co 2,9) Voyez donc comment toutes choses sont faites pour l’homme ! L’univers était créé, ainsi que les animaux qui devaient servir à sa nourriture, ou l’aider en ses travaux ; mais il lui manquait une compagne qui pût converser avec lui, et qui étant de la même nature, pût embellir son existence. C’est pourquoi Dieu prit une de ses côtes, et par un acte de sa suprême sagesse en forma un être doué de raison, en tout semblable à l’homme, et capable de lui venir en aide dans les besoins, comme dans les douceurs de la vie. Or c’est Dieu lui-même qui dans son infinie sagesse a ainsi disposé et arrangé toutes ces choses, et quoique notre esprit soit trop faible pour les comprendre ; nous ne laissons pas de les croire, parce que tout est soumis à sa volonté et à son commandement. Et le Seigneur Dieu produit la femme de la côte qu’il avait ôtée à Adam, et il l’amena devant Adam. Comme la femme n’avait été formée que pour Adam, le Seigneur la lui amène, et semble lui dire : La création entière ne pouvait vous offrir une aide qui vous fût semblable, aussi vous avais-je promis une compagne digne de vous. J’acquitte aujourd’hui ma promesse en vous présentant ce nouvel être parfait et accompli. Le Seigneur amena donc la femme devant Adam, et Adam dit : Voilà maintenant l’os de mes os, et la chair de ma chair. Cette parole nous montre qu’Adam reçut alors de Dieu l’esprit de prophétie, de même qu’il en avait reçu le don admirable de la science. Ce fut en effet par suite de ce don qu’il imposa à chacune des espèces si nombreuses des animaux leur nom propre et véritable. Mais ici l’écrivain sacré a eu bien soin de nous avertir qu’Adam avait été plongé dans un profond assoupissement, en sorte qu’il n’avait eu aucune sensation de ce qui s’était passé en lui. Aussi, lorsqu’à la vue de la femme il se montre instruit de tout, nous ne pouvons douter qu’il n’ait reçu l’esprit prophétique, et qu’il n’ait parlé par l’inspiration du Saint-Esprit. Adam ignorait humainement la création de la femme, et cependant dès que Dieu la lui amène, il dit : Voilà maintenant l’os de mes os, et la chair de ma chair. Un autre interprète, au lieu du mot, maintenant, écrit une fois ; comme si Adam eût déclaré que pour cette fois-ci seulement la femme était formée de cette manière, et que ce mode de génération ne se renouvellerait plus. C’est comme s’il eût dit : maintenant la femme a été formée de l’homme, mais dorénavant l’homme naîtra de la femme, ou plutôt de l’union des deux sexes. Car, dit l’Apôtre, l’homme n’a point été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l’homme ; et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme l’a été pour l’homme. (1Co 2,8-9) Eh ! direz-vous en m’interrompant, ces paroles montrent que la femme est formée de l’homme. Attendez donc un peu, et admirez avec quelle exactitude s’exprime l’Apôtre. Cependant, continue-t-il, ni l’homme n’est point sans la femme, ni la femme sans l’homme (Id. 2), voulant dire que depuis la formation de la première femme, et l’homme et la femme naissent de la même manière, par l’union des sexes. Tel est le sens de cette parole qu’Adam dit de la femme : Voilà maintenant l’os de me os, et la chair de ma chair. 4. Mais voulez-vous mieux connaître encore la certitude de cette prophétie, et son éclatant accomplissement qui durera jusqu’à la fin du monde ? écoutez ces autres paroles d’Adam : Celle-ci s’appellera d’un nom pris du nom de l’homme, parce qu’elle a été tirée de l’homme. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils seront deux dans une même chair. Voyez-vous avec quel soin Adam lui-même nous explique sa pensée, et comme il pénètre l’avenir de son regard prophétique ? Celle-ci, dit-il, s’appellera d’un nom pris du nom de l’homme, parce qu’elle a été tirée de l’homme. Cette première parole nous rappelle que Dieu prit une des côtes d’Adam pour en former la femme, et la suivante nous révèle l’avenir. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme ; et ils seront deux dans une même chair. Mais qui lui avait appris toutes ces choses ? d’où pouvait-il connaître l’avenir, et le mode de la propagation du genre humain ? Quelle idée surtout pouvait-il se former de l’union des deux sexes, puisque cette union n’exista qu’après la chute de nos premiers parents ? jusqu’à ce moment ils vécurent dans le paradis terrestre d’une vie tout angélique, et ne connurent ni les feux de la concupiscence, ni la révolte des passions. Ils ignorèrent également les maladies, et les divers besoins du corps, car ils avaient été créés incorruptibles, et immortels. Quant à l’usage des vêtements, l’Écriture nous dit qu’ils étaient nus et qu’ils n’en rougissaient pas. C’est qu’avant le péché et la désobéissance, la grâce divine était comme leur vêtement ; aussi ne rougissaient-ils point de leur nudité. Mais dès qu’ils eurent violé le précepte du Seigneur, ils connurent qu’ils étaient nus, et ils en rougirent. Qui suggéra donc à Adam les paroles qu’il prononça alors ? et n’est-il pas évident qu’il reçut le don de prophétie, et qu’il découvrit l’avenir du regard de l’intelligence ? Ce n’est pas sans raison que j’appuie sur ces détails, car ils nous montrent l’immense bonté du Seigneur envers le premier homme. Il menait dans le principe la vie des anges, était enrichi de mille bienfaits, et possédait même l’esprit prophétique. Aussi lorsque vous le voyez, après tant de grâces et de faveurs, devenir prévaricateur, gardez-vous de rejeter la faute sur Dieu, et n’en accusez que l’homme. C’est lui seul, comme je le dirai plus tard, qui s’est privé de tant de biens par sa désobéissance, et qui a été légitimement condamné pour son péché. Rappelons-nous donc l’état d’innocence où le Seigneur l’avait établi, et les bienfaits sans nombre dont il l’avait comblé. Et d’abord avant même que l’homme existât, il avait produit pour lui l’univers et toutes les créatures ; il le créa ensuite lui-même afin qu’il en jouît pleinement, et lui donna pour demeure le paradis terrestre. Bien plus, il l’éleva au-dessus de tous les – animaux qu’il soumit à sa puissance, et voulut qu’il nommât chacun d’eux comme un maître nomme ses esclaves. Enfin, parce que l’homme était seul, et qu’il avait besoin d’une aide qui lui fût semblable, le Seigneur n’omit point de lui donner cette satisfaction ; et, après avoir créé la femme selon le type de sa divine sagesse, il la remit entre ses mains. Enfin le Seigneur couronna ces immenses bienfaits par l’honneur du don de prophétie et le privilège de régner en souverain sur l’univers entier. Il voulut même qu’Adam fut exempt de toute inquiétude comme de tout souci par rapport aux besoins du corps et à l’usage des vêtements : en sorte que sur la terre il menait la vie des anges. Oui, au seul souvenir de ces ineffables bienfaits, je ne sais qu’admirer la bonté du Seigneur, et je m’étonne de voir l’homme si ingrat, et le démon si rempli d’une noire jalousie. Car cet esprit mauvais ne put supporter que dans un corps mortel l’homme fût l’égal des anges. 5. Mais je m’arrête ici pour ne pas trop prolonger ce discours, et je remets à demain l’explication des embûches que le démon tendit à nos premiers parents. Je termine donc en vous priant de retenir mes paroles d’aujourd’hui, et d’en faire le sujet de vos entretiens, afin que vous les graviez plus profondément dans votre mémoire. Car le souvenir habituel (les grâces dont Dieu combla le premier homme ne peut que nous porter à une juste reconnaissance, et nous exciter puissamment à la vertu. II est certain en effet que celui qui nourrit en son cœur la pensée des bienfaits du Seigneur, s’efforcera de ne pas s’en montrer indigne. Bien plus, il s’appliquera à mériter par sa reconnaissance que Dieu lui en accorde de nouveaux. Eh ! notre Dieu n’est-il pas généreux ! et s’il soit que nous lui sommes reconnaissants de ses premières grâces, il nous en donnera de plus abondantes encore. Soyons donc toujours attentifs à l’affaire de notre salut, et ne laissons point nos journées s’écouler dans une lâche oisiveté. Préoccupons-nous beaucoup moins d’avoir passé la moitié du carême, que de savoir si nous avons avancé dans la vertu, et si nous nous sommes corrigés de quelque défaut. Et en effet, si, nourris chaque jour de la parole sainte, nous restons toujours les mêmes, sans croître en vertus, et sans déraciner de notre cœur aucun germe de péché, le jeûne nous deviendra plus nuisible qu’utile ; car celui qui rend infructueux tant de secours spirituels se prépare de rigoureux châtiments. Je vous conjure donc de bien employer ce qui nous reste du carême ; et pour cela, chaque semaine, ou plutôt chaque jour, rentrons en nous-mêmes, purifions notre âme de tout péché, et appliquons-nous à la pratique des bonnes œuvres. C’est le conseil que nous donne le Psalmiste quand il dit : Éloignez-vous du mal, et faites le bien (Psa 37,27) ; et telle est l’essence du véritable jeûne. Ainsi l’homme violent et emporté doit modérer sa colère par de pieuses pensées, et devenir doux et patient ; ainsi encore l’intempérant et le paresseux doivent se montrer sobre et laborieux ; et le voluptueux, trop épris d’une beauté mortelle, doit chasser de son cœur tout désir criminel, et graver dans son esprit cet oracle du divin Sauveur : Celui qui aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l’adultère dans son cœur. (Mat 5,28) Cette pensée l’aidera à fuir l’incontinence et à pratiquer la chasteté. J’exhorte également ceux dont la parole précipitée et téméraire s’épanche au hasard, à dire avec le Psalmiste : Seigneur, mettez une garde à ma bouche, et une porte à mes lèvres (Psa 141,9) ; désormais, ils ne devront plus proférer que des paroles sages et utiles, selon ce précepte de l’Apôtre : Que toute aigreur, tout emportement, toute colère, toute querelle, toute médisance et toute malice soit bannie d’entre vous ; et encore : Que toute parole soit bonne, utile, édifiante et propre à donner la grâce à ceux qui l’écoutent. (Eph 4,31, 29) Quant à l’habitude du jurement, il faut absolument l’extirper du milieu de nous, car Jésus-Christ a dit : Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras point ; et moi, je vous dis de ne jurer en aucune sorte. (Mat 5,33-34) Ne m’objectez donc point que vous jurez pour une cause légitime, puisqu’il n’est jamais permis de jurer, que la chose soit juste ou injuste. Mais afin que notre bouche ne prononce aucun jurement, sachons modérer notre langue, nos paroles et même nos pensées ; car, en empêchant que des pensées mauvaises se produisent en notre esprit, nous éviterons de les traduire au-dehors par des paroles coupables. Enfin, ayez soin aussi de fermer l’oreille à tout discours vain et médisant, selon cet avis de Moïse : N’écoutez point la voie du mensonge. Le Psalmiste nous dit également : J’éloignais celui qui médisait secrètement de son prochain. (Exo 23,1 ; Psa 1,5) Concluez de tout ceci, mon cher frère, que l’acquisition des vertus chrétiennes exige de généreux efforts et une vigilance continuelle. La moindre négligence suffit quelquefois pour tout perdre ; et c’est le reproche que le saint roi David adressait aux Juifs. Tranquillement assis, leur disait-il, vous parlez contre votre frère, et vous préparez un piège au fils de votre mère. (Psa 50,20) Cette attention à régler tous nos sens nous facilitera beaucoup les divers exercices de la piété. Ainsi, notre langue louera et glorifiera le Seigneur, nos oreilles s’ouvriront à la parole sainte et à ses salutaires instructions, et notre esprit s’appliquera à méditer les vérités de la foi ; nos mains, pures de tout acte d’avarice ou de rapine, s’exerceront aux bonnes œuvres et à l’aumône, et nos pieds ne nous conduiront point au théâtre et à ses dangereux spectacles, ni au cirque et aux courses des chars ; mais aux églises, aux maisons de la prière, et aux tombeaux des martyrs, afin que, parleur intercession, nous obtenions les bénédictions du ciel et la grâce de ne pas succomber aux embûches du démon. Cette active sollicitude pour notre salut fera encore que le jeûne du carême nous sera grandement utile, que nous éviterons les pièges du tentateur, et que nous obtiendrons les miséricordes divines ; puissent-elles se répandre sur nous tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. SEIZIÈME HOMÉLIE.
« Ils étaient nus et ils n’en rougissaient pas. (Gen 2,25) » ANALYSE.
- 1. Après un court exorde, l’orateur aborde l’histoire de la chute de nos premiers parents, et prouve, par le fait seul de l’entretien d’Eve avec le serpent que tous les animaux étaient soumis à l’homme. – 2. Il réfute ensuite l’opinion de ceux qui prétendaient que ce serpent était doué de raison, et établit qu’il ne fut que l’organe et l’instrument du démon. – 3. Il décrit alors longuement le colloque de celui-ci avec la femme, et reproché amèrement à cette dernière son imprudente confiance. – 4. Il n’est pas moins sévère pour Adam qui préféra se montrer complaisant envers son épouse plutôt qu’obéissant envers Dieu. – 5. Le premier effet du péché ayant été de faire connaître à Adam et à Eve leur nudité, saint Chrysostome explique en quel sens l’Écriture dit que leurs yeux furent ouverts ; il combat à cette occasion ceux qui soutenaient qu’avant sa désobéissance Adam n’avait pas la connaissance du bien et du mal, et explique pourquoi l’Écriture nomme l’arbre fatal, l’arbre de la science du bien et du mal. – 6. Il montre la sagesse de Dieu dans la facile défense faite à l’homme, et termine par un éloquent parallèle entre l’arbre du paradis terrestre et l’arbre de la croix.
1. Je veux aujourd’hui, mes chers frères, mettre à votre disposition un trésor spirituel qui ne se vide jamais, quoiqu’on y prenne à pleines mains : il possède même le double privilège d’enrichir tous ceux qui se l’approprient et de se remplir de nouveau, lorsqu’on le croit épuisé. Souvent une légère portion d’un trésor matériel suffit pour nous rendre puissamment riches ; et à plus forte raison les moindres paroles de l’Écriture contiennent d’excellentes vérités qui sont comme d’abondantes richesses. Le propre de ce trésor est d’enrichir tous ceux qui le trouvent, et d’être lui-même inépuisable, parce qu’il s’alimente sans cesse aux sources de l’Esprit-Saint. Il faut donc que de votre côté vous reteniez mes explications avec soin, et que du mien, je m’efforce de vous les rendre plus intelligibles, car la grâce est toute prête, et ne demande que des cœurs sur lesquels elle se puisse largement répandre. Au reste, l’explication du passage qui vient d’être lu, sera bien propre à nous montrer l’immense bonté du Seigneur, et son extrême bienveillance à l’égard de notre salut. Et ils étaient tous deux nus, Adam et la femme, et ils n’en rougissaient pas. (Gen 2,25) Considérez, je vous y invite, l’éminent bonheur de nos premiers parents. Combien ils étaient élevés au-dessus de toutes les créatures sensibles et grossières ! ils habitaient moins la terre que le ciel ; et quoique revêtus d’un corps, ils n’en sentaient pas les infirmités, puisqu’ils n’avaient besoin ni de toit, ni d’habits, ni d’aucun autre secours extérieur. Or ce n’est point sans raison et sans motif que la sainte Écriture entre dans ce détail, et nous apprend que leur vie était exempte de douleur et de tristesse, et que leur état était presque celui des anges. Elle veut qu’en les voyant ensuite dépouillés de tous ces privilèges, et tombés d’une haute opulence dans une profonde misère, nous n’attribuions leur chute qu’à leur propre négligence. Au reste, il est important de faire attention à ce passage entier de la Genèse. Car Moïse a dit d’abord qu’Adam et Eve étaient nus, et qu’ils n’en rougissaient pas. Eh ! comment eussent-ils connu leur nudité, puisque la gloire céleste les parait comme d’un superbe vêtement ! Puis il ajoute que le serpent était le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur Dieu avait créés sur la terre, et le serpent dit à la femme : Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : ne mangez pas du fruit de tous les arbres qui sont dans le paradis ? Voyez-vous la noire jalousie du démon, et ses embûches multipliées ! il ne put souffrir que l’homme fût placé dans un rang d’honneur qui l’égalait presque aux anges. Et en effet, le Psalmiste dit de l’homme : Seigneur, vous l’avez un peu abaissé au-dessous des anges (Psa 8, 6) ; et encore, cette expression, un peu abaissé se rapporte-t-elle à l’état qui a suivi le péché de la désobéissance, puisque David parlait après la chute de l’homme. Le démon voyait donc que l’homme était un ange sur la terre, et la vue de son bonheur faisait sécher d’envie cet auteur de tous les maux. Car lui-même avait fait partie des chœurs célestes, mais sa volonté mauvaise et sa grande malice l’avaient précipité du plus haut des cieux. C’est pourquoi il tenta de rendre l’homme désobéissant, afin que lui faisant perdre la grâce divine, il pût le dépouiller des biens dont le Seigneur l’avait enrichi. Comment s’y prit-il ? Il se servit du serpent, qui était le plus rusé de tous les animaux, ainsi que nous l’apprend : Moise : Or, le serpent était le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur Dieu avait créés sur la terre. Ce fut l’instrument qu’il mit en œuvre pour tromper la femme, et pour la séduire par une insidieuse familiarité, comme étant plus faible et plus simple que l’homme. Et le serpent dit à la femme. Cet entretien nous montre que dans le principe, ni l’homme, ni la femme n’avaient frayeur des animaux, et que ceux-ci reconnaissaient tous leur empire et leur autorité. Les bêtes sauvages et féroces étaient alors aussi soumises que le sont aujourd’hui les animaux domestiques. 2. Ici peut-être me demandera-t-on si le serpent était doué de raison. Assurément non et le sens de l’Écriture est que ce fut le démon qui emprunta son organe, et qui trompa l’homme par un effet de sa noire jalousie. Le serpent ne fut donc que l’instrument docile de sa malice, et il s’en servit pour tenter d’abord la femme, comme étant plus faible, et ensuite pour entraîner, par elle, le premier homme. Ainsi, il dressa ses embûches par l’intermédiaire du serpent, et, par son organe, il entra en conversation avec la femme : Pourquoi lui demanda-t-il, Dieu vous a-t-il dit : ne mangez pas du fruit de tous les arbres qui sont dans le paradis ? Mais, considérez la malice de cet esprit artificieux. On dirait qu’il ne veut qu’insinuer une bonne pensée, et qu’il n’interroge la femme sur cette défense que par le motif d’un tendre intérêt. C’est ce que montre lien cette parole : Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Ne mangez pas du fruit de toits les arbres qui sont dans le paradis ? » Cet esprit mauvais semble lui dire : Pourquoi Dieu vous a-t-il interdit une si douce jouissance ? et pourquoi ne vous a-t-il pas accordé l’usage de tous les fruits que produit ce jardin ? il ne vous en a permis la vue que pour vous en rendre la privation plus pénible et plus amère. Pourquoi Dieu vous a-t-il dit ? Eh quoi ! ajouta-il encore, y a-t-il réellement pour vous avantage d’habiter ce jardin, puisque vous ne pouvez jouir de ses productions ? ou plutôt n’est-ce pas un véritable supplice que de voir ces beaux fruits, et de ne pouvoir en manger ? Observez comme des paroles insinuèrent le poison dans le cœur de la femme. Elle devait dès le début soupçonner la malice de son interlocuteur, car il lui mentait sciemment, et ne semblait lui porter intérêt que pour connaître le commandement du Seigneur, et l’engager ensuite à le transgresser. Eve pouvait donc apercevoir facilement l’imposture ; et elle devait soudain repousser les paroles de l’esprit mauvais et ne point devenir le jouet de sa malice : mais elle ne le voulut pas. Il fallait, dis-je, que dès le principe elle rompît l’entretien, et que, désormais, elle se bornât à parler à l’homme pour qui seul elle avait été formée, et dont elle était la compagne et l’égale, non moins que l’aide et la consolation. Mais elle se laissa, je ne sais comment, engager dans ce funeste colloque, et elle écouta les insidieuses paroles que le démon lui adressait par l’organe du serpent. Du moins il lui était aisé de reconnaître que ces paroles n’étaient que tromperie et mensonge, puisqu’elles affirmaient tout le contraire de ce que Dieu leur avait commandé. C’est pourquoi à l’instant même elle eût dû prendre la fuite, rompre toute relation et maudire cet esprit méchant qui osait censurer les ordres du Seigneur. Mais Eve fut si légère et si irréfléchie que, loin de fuir, elle révéla au démon le précepte divin, et, selon l’expression de l’Évangile, elle jeta des pierres précieuses devant un pourceau. Ainsi elle agit contre ce commandement du Sauveur : Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, et que se retournant, ils ne vous déchirent. (Mat 7,6) C’est ce qui arriva alors : Eve jeta devant le démon, ce pourceau immonde et cette bête farouche, les perles du précepte divin ; et cet esprit mauvais, qui agissait par l’organe du serpent, les foula indignement par ses audacieux mensonges ; bien plus, se retournant ensuite contre la femme, il la fit tomber, ainsi que l’homme, dans l’abîme de la désobéissance, tant il est dangereux de révéler indistinctement les secrets divins ! Avis à ceux qui causent de religion indifféremment avec tous ! Car Jésus-Christ, dans cet endroit de l’Évangile, désigne bien moins des pourceaux véritables que ces hommes dont les mœurs sont dépravées, et qui se plongent, comme de vrais pourceaux, dans la fange du péché. Il nous enseigne donc à observer les personnes et les mœurs de ceux auxquels nous expliquons les enseignements de la religion, de peur que ces entretiens ne nous soient mutuellement nuisibles. Car, outre que des esprits de ce caractère ne profitent guère de nos paroles, ils entraînent souvent dans l’abîme ceux qui, sans nulle discrétion, répandent devant eux ces perles divines. Ainsi, soyons en cela prudents et réservés, afin de ne pas nous laisser séduire comme nos premiers parents. Car si la femme n’eût point jeté les perles devant ce pourceau, elle n’eût point désobéi elle-même à Dieu et n’eût point entraîné l’homme dans son péché. 3. Mais écoutons la réponse de la femme. Le tentateur demande : pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Ne mangez pas de tous les fruits des arbres du Paradis ? et la femme lui répond : Nous mangeons du fruit de tous les arbres de ce jardin ; mais pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a dit : N’en mangez point et n’y touchez point, de peur que vous ne mouriez. Voyez-vous la malice du démon ? il avait avancé un mensonge, afin d’engager la conversation et d’apprendre ainsi quel était le commandement du Seigneur. Et, en effet, la femme trop confiante en sa prétendue bienveillance, lui découvrit, avec le précepte, toute l’économie des, décrets divins ; mais elle s’enleva ainsi tout moyen de défense. Eh ! que pouviez-vous, ô femme, répondre à une telle parole : Le Seigneur a dit : Ne mangez pas de tous les fruits des arbres du Paradis ? vous deviez soudain chasser cet insolent, qui osait parler autrement que Dieu, et lui dire : Retire-toi, imposteur ; tu ignores l’importance du commandement qui nous est fait, et tu ne connais ni les biens dont nous jouissons, ni l’abondance où nous sommes de toutes choses. Tu oses dire que Dieu nous a défendu l’usage des fruits de ce jardin ! mais, tout au contraire, le Dieu créateur a daigné, dans son immense bonté, nous permettre de jouir de toutes choses et de manger de tous les fruits, à la réserve d’un seul, qu’il a excepté dans notre intérêt, de peur que nous ne mourions. C’est ainsi que la femme eut dû repousser le tentateur, et la plus légère prudence lui conseillait de rompre l’entretien et de ne point le prolonger. Mais, peu contenté d’avoir révélé au démon le précepte et le commandement divin, elle prêta l’oreille à ses perfides et dangereux conseils ; la femme avait dit : Nous mangeons du fruit des arbres de ce jardin, mais pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a dit : Ne mangez pas de ce fruit et n’y touchez point, de peur que vous ne mouriez ; et voilà que l’esprit mauvais lui souffle un conseil tout opposé à celui de Dieu. C’était par un trait de providence envers l’homme, et pour le soustraire à la mort, que le Seigneur lui avait fait cette défense ; mais le démon dit à Eve : Vous ne mourrez pas. Comment excuser une telle imprudence ? et comment Eve put-elle prêter l’oreille à un si audacieux langage ? Dieu avait dit : Ne mangez point de ce fruit, de peur que vous ne mouriez ; et le démon ose lui dire : Non, vous ne mourrez point. En outre, il ne lui suffit pas de contredire la parole divine, il accuse encore le Créateur d’agir par esprit de jalousie, et il conduit sa fourberie avec tant d’adresse qu’il séduit la femme et réalise ses iniques projets. Non, vous ne mourrez point, dit-il, mais Dieu sait que le jour où vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux s’ouvriront et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. (Gen 3,5) Voilà donc l’appât funeste et le poison mortel que le démon présente à la femme, et celle-ci ne soupçonne pas le danger, quoique, dès le principe, il lui soit bien facile de le reconnaître. Mais en apprenant que si Dieu leur avait fait cette défense, c’était parce qu’il savait que leurs yeux seraient ouverts, et qu’ils seraient eux-mêmes comme des dieux, connaissant le bien et le mal, elle s’enorgueillit de cette flatteuse espérance et conçut de superbes pensées, Tel est aujourd’hui encore l’artifice du démon il nous élève par ses trompeuses suggestions et nous laisse ensuite tomber dans un profond abîme. C’est ainsi qu’Eve, rêvant déjà l’égalité avec Dieu, se hâta de cueillir le fruit défendu ; ses yeux, son esprit et son cœur s’y arrêtèrent, fixement et elle ne songea qu’à épuiser la coupe empoisonnée que le démon lui avait préparée. Telles furent certainement ses dispositions depuis l’instant où elle écouta les pernicieux conseils du démon, et l’Écriture nous l’atteste. Car la femme, dit-elle, vit que le fruit était bon à manger, et beau à voir, et d’un aspect délectable ; et elle en prit et en mangea. Véritablement, comme le dit l’Apôtre, les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs. (1Co 15,33) Eh ! d’où vient qu’avant le conseil du démon, la femme n’avait point eu de pareilles pensées, et qu’elle n’avait ni fixé particulièrement cet arbre, ni considéré la beauté de son fruit ? c’est qu’elle respectait la défense du Seigneur, et qu’elle redoutait le châtiment dont il menaçait sa désobéissance. Mais dès qu’elle eut écouté cet esprit pervers et méchant, elle crut et qu’ils n’avaient rien à craindre en mangeant du fruit défendu, et que même ils deviendraient égaux à Dieu. Cette espérance l’excita donc à cueillir le fruit, et, se flattant de s’élever au-dessus de l’humanité, elle ajouta plus de foi aux perfides insinuations de l’ennemi de notre salut qu’aux paroles de Dieu. Mais son expérience lui apprit bientôt les funestes suites de ce pernicieux conseil et les effroyables malheurs qui allaient l’envelopper. Car, dès qu’elle vit, dit l’Écriture, que le fruit était bon à manger, et beau à voir, et d’un aspect délectable, elle suivit l’impulsion de l’esprit mauvais qui lui parlait par l’organe du serpent, et raisonna ainsi en elle-même : Si ce fruit paraît bon à manger, s’il charme le regard et s’il est d’un aspect délectable, et s’il doit, en outre, nous élever aux suprêmes honneurs et nous rendre aussi grands que le Créateur, pourquoi hésiterais-je à le cueillir ? 4. Voyez-vous avec quel art le démon captiva la femme, et comment il troubla sa raison ? Elle osa donc porter ses espérances au-dessus de sa condition, et l’orgueilleux espoir d’obtenir des biens imaginaires lui fit perdre ceux qu’elle possédait réellement. Ainsi, elle prit ce fruit et en mangea, et elle en donna à son mari, et ils en mangèrent, et leurs yeux furent ouverts, et ils connurent qu’ils étaient nus. Qu’avez-vous fait, ô femme ! Cédant à de perfides conseils, vous avez foulé aux pieds la loi du Seigneur et méprisé ses commandements ! Eh quoi ! par un excès d’intempérance, l’usage de tous ces fruits si nombreux et si variés ne vous a pas suffi, et vous avez osé cueillir celui-là même dont Dieu vous avait défendu de manger ! Enfin, vous avez ajouté foi aux paroles du serpent, et vous avez estimé ses conseils plus salutaires que les ordres du Créateur ! Hélas ! votre présomption rend ce crime irrémissible. Mais celui qui vous parlait était-il votre égal ? Non, sans doute ; c’était un de vos sujets : il vous était soumis et il était votre esclave. Pourquoi donc vous dégrader jusqu’à abandonner l’homme pour qui vous avez été formée et dont vous avez été créée l’aide et la consolation ? Vous partagez la dignité de sa nature et la noblesse de sa parole, et vous avez bien pu causer familièrement avec le serpent, qui devenu l’organe du démon, vous a insinué des conseils manifestement contraires aux ordres du Seigneur. Vous deviez le repousser ; mais, flattée de ses vaines promesses, vous avez cueilli le fruit défendu. Eh bien, soit ! vous avez voulu vous précipiter dans l’abîme et descendre du faîte des honneurs ; mais pourquoi entraîner votre époux dans le même malheur ? Vous deviez être son secours, et vous lui tendez des embûches. Quoi ! pour un misérable fruit, vous perdez l’un et l’autre la grâce et l’amitié de Dieu ! Quelle étrange folie vous a inspiré cette audace ? Ne vous suffisait-il pas de mener une vie douce et d’être revêtue d’un corps, sans en éprouver les faiblesses ? Vous jouissiez de tous les fruits du paradis terrestre, à l’exception d’un seul, et, reine de l’univers, vous commandiez à toutes les créatures ; et voilà que, séduite par de vaines promesses, vous vous flattez de vous élever jusqu’aux honneurs suprêmes de la divinité ! Hélas ! vous apprendrez par une dure expérience que, loin d’obtenir ces biens si enviés, vous perdrez, vous et votre époux, tous ceux dont le Seigneur vous avait comblés. Mais, lorsque le repentir aura rendu votre douleur profonde et amère, l’esprit mauvais qui vous a suggéré ce funeste conseil rira de vos maux ; il insultera votre chute et s’applaudira de vous avoir entraînés dans son malheur. Car c’est parce que, enflé d’orgueil, il a voulu s’élever au-dessus de sa condition, qu’il a été dépouillé de sa dignité et précipité du ciel sur la terre ; et de même il a voulu vous faire encourir, par votre désobéissance, l’anathème de la mort, et satisfaire ainsi sa noire jalousie, selon cette parole du Sage : Par l’envie de Satan, la mort est entrée dans l’univers. (Sag 2,24) La femme prit donc du fruit et en donna à son mari ; et ils en mangèrent, et leurs yeux furent ouverts. Combien l’homme fut coupable ! car, quoique la femme fût une portion de sa substance et même son épouse, il devait préférer le précepte du Seigneur à ses vains désirs, et ne point se rendre complice de sa désobéissance. Un plaisir si frivole méritait-il qu’il se privât lui-même des plus excellents avantages, et qu’il offensât le Maître qui l’avait enrichi de tant de biens et qui lui avait accordé une existence exempte de douleurs et de fatigues ? Est-ce qu’il ne lui était pas permis de jouir abondamment de tous les fruits du paradis terrestre ? Pourquoi donc, ô homme ! n’as-tu pas voulu, et toi aussi, observer cette légère défense ? C’est que, sans doute, tu as connu par ton épouse la promesse de l’esprit tentateur ; et soudain, enflé de la même présomption, tu as mangé du fruit défendu. Aussi tous deux serez-vous cruellement punis et apprendrez-vous, par une dure expérience, qu’il valait mieux obéir à Dieu que suivre les conseils du démon. 5. La femme prit donc le fruit et en donna à son mari, et ils en mangèrent ; et leurs yeux furent ouverts, et ils connurent qu’ils étaient nus. Ici se présente la question importante dont je vous parlais hier ; car on peut demander avec raison quelle vertu avait cet arbre, dont le fruit ouvrait les yeux de ceux qui en mangeaient, et pourquoi il est appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Attendez un peu, s’il vous plaît, et je satisferai votre juste curiosité. Et d’abord, observons qu’une étude droite et éclairée des saintes Écritures en résout facilement les difficultés. Ainsi, ce n’est point précisément parce qu’Adam et Eve mangèrent de ce fruit que leurs yeux furent ouverts, puisque auparavant ils avaient l’usage de la vue ; mais, parce que cet acte d’intempérance était en même temps un acte de désobéissance aux ordres du Seigneur, on lui attribue la privation de la gloire qui les entourait et dont ils s’étaient eux-mêmes rendus indignes. C’est pourquoi l’Écriture dit, selon son langage ordinaire, qu’ils en mangèrent, et que leurs yeux furent ouverts, et qu’ils connurent qu’ils étaient nus. Oui, le péché, en les dépouillant de la grâce céleste, leur donna le sentiment de leur nudité ; en sorte que cette honte qui les saisit soudain leur fit voir dans quel abîme leur désobéissance les avait précipités. Avant cette désobéissance, ils vivaient dans une parfaite sécurité et ne se doutaient pas qu’ils étaient nus ; du reste, ils ne l’étaient point, puisque la gloire céleste les couvrait bien mieux que tout vêtement. Mais, quand ils eurent mangé du fruit défendu et qu’ils eurent ainsi violé le précepte du Seigneur, ils furent réduits à une si profonde humiliation que le sentiment de la honte les porta à chercher un voile à leur nudité. C’est que la transgression du précepte divin les avait dépouillés de la gloire et de la grâce céleste qui les revêtaient comme d’un splendide vêtement ; et, en leur faisant connaître leur nudité, elle les avait pénétrés d’un vif sentiment de honte. Et ils entrelacèrent des feuilles de figuier et s’en firent des ceintures. Mesurez, mon cher frère, je vous y invite, la profondeur de l’abîme où, du faîte de la gloire, le démon fit tomber nos premiers parents. Naguère ils étaient revêtus d’un éclat céleste, et maintenant ils sont contraints d’entrelacer des feuilles de figuier et de s’en faire des ceintures. Tel fut le résultat des tromperies du démon et des embûches qu’il leur tendit. Certes, il ne se proposait point de leur procurer quelques avantages nouveaux, mais il ne voulait que les dépouiller de ceux qu’ils possédaient, et les réduire ainsi à une honteuse nudité. Et, parce que leur désobéissance eut pour occasion le fruit défendu, l’Écriture dit qu’ils en mangèrent et que leurs yeux furent ouverts, ce qui doit s’entendre de la perception de l’esprit bien plus que de l’organe de la vue ; car, après leur péché, Dieu leur fit ressentir des impressions que, par un effet de son extrême bonté, ils ignoraient auparavant. Cette expression leurs yeux furent ouverts signifie que Dieu leur fit sentir la honte de leur nudité et la privation de la gloire dont ils jouissaient. Au reste, ce langage est ordinaire à l’Écriture, comme lé prouve cet autre passage de la Genèse : Agar, esclave fugitive, errait dans le désert, et, ayant placé son enfant Sous un palmier, elle s’éloigna pour ne point le voir mourir. Alors, Dieu lui ouvrit les yeux. (Gen 21,19) Ce n’est pas qu’elle ne vît auparavant, mais c’est que Dieu éclaira son intelligence ; en sorte que ce mot ouvrit doit s’entendre plutôt de l’esprit que de l’organe de la vue. Je donnerai la même solution à une seconde difficulté. Car quelques-uns disent : pourquoi cet arbre est-il appelé l’arbre de la science du bien et du mal ? Et l’on en voit même qui s’opiniâtrent à soutenir qu’Adam n’eut le discernement du bien et du mal qu’après avoir mangé du fruit de cet arbre, mais c’est une pure extravagance. Déjà même, et comme pour y répondre par avance, j’ai parlé longuement de la science infuse d’Adam ; or, cette science se révéla par la justesse des noms qu’il imposa à tous les oiseaux et à tous les animaux, et par le don de prophétie qui en fut le radieux couronnement. On ne saurait donc affirmer que celui qui nomma tous les animaux, et qui énonça au sujet de la femme une si admirable prophétie, ignorât le bien et le mal. D’ailleurs une telle, supposition ferait, ce qu’à Dieu ne plaise ! rejaillir sur Dieu même un horrible blasphème. Car eût-il pu donner des ordres à l’homme, si celui-ci eût invinciblement ignoré que la désobéissance était un mal ? Mais il n’en a pas été ainsi ; et Adam savait parfaitement bien ce qu’il faisait, puisque dès le principe il posséda le libre arbitre. Dans le cas contraire, sa désobéissance n’eût pas été plus digne de châtiment que sa soumission de louange. Il est au contraire évident, et par les paroles mêmes du précepte, et par la suite des événements, que l’acte seul de leur désobéissance soumit nos premiers parents à la mort. C’est ce que la femme elle-même dit au serpent : Pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : N’en mangea point, de peur que vous ne mouriez. Ainsi avant leur péché ils étaient immortels, autrement leur prévarication n’eût pu être punie du supplice de la mort. 6. Peut-on donc soutenir que c’est en mangeant du fruit défendu que l’homme acquit la connaissance du bien et du mal ? Mais n’avait-il pas déjà cette connaissance, lui qui était rempli de sagesse et orné du don de prophétie ? et comment pourrait-on raisonnablement admettre que les chèvres, les brebis et les autres animaux herbivores savent distinguer les plantes utiles des plantes nuisibles pour brouter les unes et s’éloigner des autres, et que l’homme, doué de raison, ne sût pas discerner 1e bien d’avec le mal ? Mais il n’est pas moins vrai, direz-vous, que cet arbre est nommé dans l’Écriture l’arbre de la science du bien et du mal. J’en conviens ; et toutefois il suffit d’être un peu familiarisé avec le style dé l’Écriture pour se rendre compte de cette expression. Il a été ainsi appelé, non qu’il ait donné à l’homme la science du bien et du mal, mais parce qu’il a été l’occasion de sa désobéissance et qu’il a introduit la connaissance et la honte du péché. Et en effet souvent l’Écriture désigne les faits par les circonstances qui les accompagnent ; et comme cet arbre devait être pour l’homme une occasion de péché ou de mérite, elle l’appela l’arbre de la science du bien et du mal. Le Seigneur voulut dès le principe faire connaître à l’homme que le Dieu qui avait créé l’univers lui avait aussi donné l’être. Il lui fit donc ce léger commandement afin qu’il reconnût son titre de Maître et de Seigneur. C’est ainsi qu’un généreux propriétaire qui accorde à son intendant l’usufruit d’un magnifique palais, en exige une légère redevance, comme témoignage de son droit de propriété. L’intendant sait ainsi que ce palais ne lui appartient point, et qu’il n’en jouit que par la bonté et la libéralité de son maître. Et de même le Créateur, qui avait établi l’homme roi de la nature ; et qui l’avait placé dans le paradis terrestre dont il jouissait pleinement, voulut éviter que, séduit par ses propres pensées, il ne crût que l’univers existait par lui-même, et qu’il ne s’enorgueillît de sa supériorité. C’est pourquoi il lui interdit le fruit d’un seul arbre, et le menaça, en cas de désobéissance ; des plus graves châtiments, pour l’obliger à reconnaître un Maître, et à proclamer qu’il tenait tous ses avantages de sa pure libéralité. Mais la présomptueuse témérité d’Adam le précipita avec Eve dans une ruine effroyable ; ils transgressèrent le commandement, et mangèrent du fruit défendu. Voilà pourquoi cet arbre a été appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Ce n’est pas qu’ils ne connussent auparavant le bien et le mal, comme le prouvent ces paroles de la femme au serpent : Dieu nous a dit : Ne mangez point de ce fruit, de peur que vous ne mouriez. Ils savaient donc bien que la mort serait la punition de leur désobéissance ; aussi est-ce après avoir mangé d fruit défendu qu’ils furent dépouillés de leur vêtement de gloire, et qu’ils ressentirent la honte de leur nudité. Cet arbre est donc appelé l’arbre de la science du bien et du mal, parce qu’il était destiné à éprouver leur obéissance. Vous comprenez maintenant dans quel sens l’Écriture dit que leurs yeux furent ouverts, et qu’ils connurent qu’ils étaient nus. Vous comprenez également pourquoi cet arbre a été appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Mais appréciez, s’il est possible, quelle fut leur honte, lorsqu’après avoir mangé du fruit défendu, et transgressé le précepte du Seigneur, ils entrelacèrent des feuilles de figuier et s’en firent des ceintures. Voyez comme du faîte de la gloire ils furent précipités dans la plus profonde humiliation ! Ceux qui auparavant vivaient sur la terre comme des anges, en sont réduits à se couvrir de feuilles de figuier, tant le péché est un grand mal ! Car il nous prive d’abord de la grâce et de l’amitié divine, et nous couvre ensuite de honte et de confusion. Bien plus, après nous avoir dépouillé des biens que nous possédions, il nous ôte jusqu’à l’espérance de les recouvrer. Mais je me reprocherais de terminer cet entretien par les si tristes considérations que me fournit l’intempérance de l’homme, sa désobéissance et sa chute. C’est pourquoi, s’il vous plaît, à l’occasion de cet arbre, je parlerai de l’arbre de la croix, et aux maux que le premier a enfantés, j’opposerai les biens que le second nous a produits. Toutefois ce n’est point proprement l’arbre qui a causé ces désastres, mais la volonté de l’homme pécheur et son mépris du précepte divin. Je dirai donc que le premier arbre a introduit la mort dans le monde, car la mort a suivi le péché, et que le second nous a rendus à l’immortalité. L’un nous a chassés du paradis, et l’autre nous a ouvert l’entrée du ciel. Celui-ci a fait peser sur Adam, pour une seule faute, le dur fardeau des misères humaines, et celui-là nous a délivrés du poids de nos péchés, et nous a donné une douce et pleine confiance au Seigneur. Armons-nous donc, mes frères, je vous en conjure, armons-nous de la vertu de ce bois vivifiant, et par son secours, mortifions les affections mauvaises de nos âmes. Tel est le conseil de l’Apôtre, quand il nous dit q ue ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés. (Gal V, 24) Le sens de cette parole est que ceux qui se sont entièrement dévoués à Jésus-Christ ont dompté cette concupiscence de la chair qui ne tend qu’à corrompre en nous les opérations de l’esprit. Imitons ces généreux chrétiens, et à leur exemple réduisons notre corps en servitude, afin que nous puissions résister aux suggestions de l’esprit mauvais. Ce sera aussi le moyen le plus assuré de traverser heureusement la mer orageuse de la vie présente, et d’aborder au port tranquille du salut. Puissions-nous ainsi obtenir les biens que Dieu a promis à ceux qui l’aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soit la gloire, avec le Père et l’Esprit-Saint, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.