‏ Genesis 2:4-6

DOUZIÈME HOMÉLIE.

Sur des paroles : « Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre. » (Gen 2,4)

ANALYSE.

  • 1-2. Dans cette homélie saint Chrysostome reprend l’explication de la Genèse, et, de nouveau, développe sommairement l’histoire de la création. – 3. Il explique ensuite comment la terre demeure suspendue au-dessus des eaux, et il y reconnaît un acte de cette puissance divine, qui préserva de la flamme les trois jeunes Hébreux et qui dessécha la mer Rouge pour laisser passer les Hébreux. – 4. Il revient ensuite à son sujet, et traite de la formation de l’homme. – 5. Notre corps, dit-il, formé de limon et de poussière, nous doit inspirer une sincère humilité, et notre âme, créée à l’image de Dieu, mérite que nous lui conservions sa noblesse, en la maintenant toujours pure, et toujours sainte. – Nous pouvons y parvenir, si nous voulons imiter le zèle et les vertus de saint Jean-Baptiste et de saint Paul.

1. Je viens aujourd’hui remplir ma promesse, et reprendre la suite de nos précédents entretiens. Vous savez bien que telle avait toujours été mon intention, et que je me disposais à le faire, lorsque le soin de votre salut m’a obligé de traiter un sujet plus approprié à vos besoins. Et en effet, quelques-uns de nos frères prenaient occasion de leur faiblesse pour s’absenter de nos conférences spirituelles, et ils altéraient ainsi les joies de nos pieuses réunions. Je me suis donc efforcé de les ramener au bercail, par mes avis et mes exhortations, en sorte que désormais ils ne se séparent plus du troupeau de Jésus-Christ. Unis à nous par le nom et la qualité de chrétiens, ils étaient en réalité attachés aux Juifs, qui sont encore assis dans l’ombre et les ténèbres, quoique le Soleil de justice luise sur le monde. J’ai également engagé les catéchumènes qui assistent à nos réunions à se rendre dignes de la grâce du baptême, et je les conjure de secouer toute somnolence et toute paresse, afin que, par de vifs désirs et un grand empressement, ils se disposent à recevoir le don royal de la régénération. C’est ainsi qu’ils mériteront d’arriver jusqu’au Dieu qui nous accorde la rémission de nos péchés, et qui y ajoute libéralement les plus précieuses faveurs.

Je me suis encore appliqué avec un soin tout spécial à instruire ceux qui erraient touchant la célébration de la Pâque, et qui se font un grand tort en considérant ces erreurs comme peu importantes. J’ai donc placé l’appareil sur, la blessure, et j’ai prémuni nos catéchumènes contre cette fausse doctrine. Maintenant il ne me reste plus qu’à vous offrir le festin accoutumé de nos instructions. Certes je n’eusse pu, sans être vraiment répréhensible, négliger le salut de mes frères, et pour ne pas interrompre la suite de mes explications, mépriser leur faiblesse, et laisser passer le moment favorable de les reprendre. Mais aujourd’hui j’ai satisfait, selon la mesure de mes forces, à toute l’étendue de mon devoir : je leur ai distribué la parole de la doctrine ; je leur ai fait connaître le trésor de la vérité, et j’ai ainsi jeté dans leurs cœurs la bonne semence. Il convient donc que j’aborde l’explication du passage de la Genèse que l’on vient de nous lire : cette explication ne pourra que vous être utile, et vous en rapporterez dans vos maisons quelques heureux fruits.

Or, voici ce passage : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre, et, toutes les plantes des champs, quand il n’y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n’en produisait point ; car Dieu n’avait point encore répandu la pluie sur la terre, et il n’y avait point d’homme pour la cultiver. Mais il s’élevait de la terre une source qui en arrosait la surface. (Gen 2,4-6) Considérez ici, je vous le demande la sagesse admirable de l’écrivain sacré, ou plutôt celle de l’Esprit-Saint qui l’inspirait ; car d’abord, il nous a raconté séparément chaque partie de la création, il nous a décrit les œuvres des six jours, la formation de l’homme et le pouvoir que Dieu lui donna sur toutes les créatures, et maintenant il résume tout son récit en ces mots : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés.

Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d’examiner pourquoi l’Écriture appelle la Genèse le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu’il comprenne tant d’autres choses. Et en effet ce livre qui raconte les vertus des anciens justes, nous instruit aussi de plusieurs points de doctrine, et en particulier de la bonté de Dieu, et de son indulgence envers le premier homme et tous ses descendants. Il traite également d’un grand nombre d’autres sujets qu’il est inutile de spécifier ici. Mais ne vous en étonnez pas, mon cher frère ; car habituellement l’Écriture sainte n’entre point dans de minutieux détails. Elle se contente d’exposer sommairement les principaux faits, et abandonne le reste au zèle et aux recherches de ses lecteurs. Le passage qu’on vient de lire, en est une preuve frappante. Car après nous avoir précédemment raconté en détail toutes les œuvres des six jours, elle n’en parle plus que pour dire en général : ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre.

2. Vous voyez donc que Moïse, en ne nommant ici que le ciel et la terre, nous engage à y contempler tout l’ensemble des créatures. Et en effet il les comprend toutes sous cette désignation, tant celles qui sont dans le ciel, que celles qui sont sur la terre. Désormais il ne reprendra plus le détail de la création, et se bornera à la rappeler sommairement. C’est ainsi qu’il nomme la Genèse entière le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu’elle contienne beaucoup d’autres choses. Il veut donc nous apprendre à les découvrir sous ce titre général, puisqu’en effet toutes les créatures qui existent soit dans le ciel, soit sur la terre, sont nécessairement comprises dans ce livre. Au jour, dit l’Écriture, que Dieu fit le ciel et la terre, et toutes les plantes des champs, quand il n’y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n’en produisait point. Car Dieu n’avait point encore répandu la pluie sur la terre, et il n’y avait point d’homme pour la cultiver. Mais il s’élevait de la terre une source qui en arrosait la surface. Ces quelques paroles contiennent un trésor précieux, et je dois vous les expliquer avec beaucoup de circonspection, afin que par le secours de la grâce divine, je puisse vous faire profiter de ces richesses spirituelles.

L’Esprit-Saint qui prévoit toute la suite des siècles, a voulu dès le principe empêcher que la raison humaine ne contredît les dogmes de l’Église, et ne pervertît le véritable sens de l’Écriture. C’est pourquoi il reprend ici tout l’ordre de la création, et nous rappelle d’abord les œuvres du premier et du second jour ; et puis il nous dit comment au troisième la terre, par l’ordre du Seigneur, fit éclore ses diverses productions sans le concours du soleil qui n’existait pas, et sans l’influence de la pluie, ni le travail de l’homme. Car celui-ci n’avait pas encore été formé. Ainsi la répétition de ces détails a pour but de réprimer l’audace de nos imprudents critiques. Relisons donc ce passage : Au jour que Dieu fit le ciel et la terre, et toutes les plantes des champs, quand il n’y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n’en produisait point. Car Dieu n’avait point encore répandu la pluie sur la terre, et il n’y avait point d’homme pour la cultiver : Mais il s’élevait de la terre une source qui en arrosait la surface.

L’Écriture nous révèle donc que soudain, à la parole et à l’ordre du Seigneur, toutes les créatures sortirent du néant, et reçurent l’existence. Alors la terre enfanta les plantes des champs, et sous ce nom sont comprises toutes ses diverses productions ; mais au sujet de la pluie, la même Écriture observe que Dieu ne l’avait pas encore répandue sur la terre, c’est-à-dire qu’il ne l’avait pas encore fait tomber du haut du ciel. Enfin elle nous prouve que la terre ne devait point sa fécondité au travail de l’homme, puisqu’il n’y avait point d’homme pour la cultiver. Apprenez, nous dit-elle, et n’oubliez point quelle est l’origine de toutes les productions de la terre, et ne croyez pas qu’elles soient le résultat des soins de l’homme, ni le fruit de ses travaux. La terre les a enfantées à la parole et à l’ordre du Créateur. Concluons donc que pour faire germer les herbes et les plantes, la terre n’a nul besoin du concours des autres éléments, et que le commandement du Créateur lui suffit.

Mais voici un nouveau prodige plus étonnant encore. Le même Dieu dont la parole a communiqué à la terre une si merveilleuse fécondité, et dont la puissance surpasse toute intelligence humaine, a établi au-dessus des eaux la masse immense et le poids énorme du monde. C’est ce que nous apprend le Psalmiste par ces mots : Il a étendu la terre sur les eaux. (Psa 137,6) L’homme peut-il percer ce mystère ? Car dans la construction d’un édifice, on creuse d’abord les fondements, et si l’on rencontre quelques veines d’eaux, on les épuise avant que d’asseoir les premières assises du bâtiment. Mais le Créateur agit tout différemment pour montrer son ineffable puissance, et nous prouver qu’à son ordre les éléments produisent des effets contraires à leurs phénomènes habituels.

3. Je m’explique par un exemple, afin que vous compreniez mieux ma pensée, et puis je reprendrai la suite de mon sujet. Sans doute il est contre la nature des eaux de porter un poids aussi pesant que celui de la terre ; et il est contre la nature de la terre de reposer solidement sur un corps fluide. Mais pourquoi nous en étonner ? quelle que soit en effet la créature que vous étudiez avec soin, vous y découvrirez l’action de la puissance immense du Créateur, et vous vous convaincrez qu’il gouverne toutes choses par sa volonté. Voyez le feu : cet élément dévore tout, et il consume aisément les corps les plus durs : le bois, les pierres et le fer. Mais quand Dieu l’ordonne, il ne blesse même pas les corps les plus tendres : et c’est ainsi qu’il respecta les trois jeunes hébreux dans la fournaise ardente. (Dan. 3) Mais le prodige s’étendit encore, car cet élément privé de raison se montra envers eux plus obséquieux qu’on ne saurait le dire non seulement il ne toucha pas à leur chevelure, mais il semblait encore les entourer et les presser amicalement ; il retint donc son activité naturelle pour ne déployer que sa pleine et entière obéissance aux ordres du Seigneur, et il conserva sains et saufs ces admirables enfants qui marchaient au milieu des flammes avec autant de sécurité que dans une prairie émaillée de fleurs.

Au reste, afin que l’on ne crût pas que ce feu matériel fût dénué de toute action, le Seigneur voulut bien lui conserver son activité. Seulement il la suspendit à l’égard de ses serviteurs qui en triomphèrent, et qui n’en furent nullement atteints. Quant aux soldats qui avaient jeté les jeunes hébreux dans la fournaise, ils connurent combien est grande la puissance du Seigneur, car le feu exerça à leur égard toute sa violence ; et le même élément, qui, au dedans de la fournaise, se courbait doucement au-dessus des trois enfants, sévit au-dehors et consuma les satellites du tyran. Vous voyez donc comment Dieu change à son gré les propriétés des éléments. C’est qu’il les a créés, et qu’il en dispose selon sa volonté. Voulez-vous encore que je vous montre le même prodige par rapport aux eaux ? Le feu, je l’ai dit, respecta les trois enfants de la fournaise, et ne leur fit aucun mal oubliant ainsi à leur égard toute sa violence, Mais il dévora leurs bourreaux, et déploya contre eux son inflexible activité ; et de même les eaux de la mer submergent les uns, et se retirent devant les autres pour leur laisse : un libre passage. Je fais ici allusion d’un côté à Pharaon et aux Égyptiens, et de l’autre aux Israélites. Ceux-ci, selon l’ordre du Seigneur, et sous la conduite de Moïse, traversèrent la mer Rouge à pied sec ; et ceux-là, qui voulurent avec Pharaon s’engager dans la même voie, furent engloutis sous les flots. C’est ainsi que les éléments respectent les serviteurs de Dieu, et que pour eux ils suspendent leur activité naturelle.

Instruisons-nous donc, nous, hommes irascibles et violents, et nous aussi qui, lâchement assujettis à mille autres passions, compromettons le succès de notre salut. Nous avons la raison en partage, et nous ne saurions imiter l’obéissance de ces éléments irraisonnables. Car si le feu, le plus actif et le plus violent de tous, a bien pu respecter des corps tendres et délicats, quelle sera l’excuse de l’homme qui, dédaignant les préceptes divins, refuse de dompter sa colère, et d’étouffer à l’égard de ses frères les sentiments d’un cœur ulcéré. Mais ici, ce qui est vraiment étonnant, c’est que le feu, qui brûle avec tant de violence, suspende son activité, et que l’homme, être raisonnable, doux et bienveillant, agisse contre sa nature, et par sa négligence, imite dans ses mœurs la férocité des bêtes farouches.

Aussi l’Écriture, pour désigner les diverses passions qui dominent en nous, donne-t-elle à l’homme doué de raison le nom de différents animaux. C’est ainsi que, dans son langage, le mot chien indique l’impudence et la violence. Ce sont des chiens muets, et qui ne savent pas aboyer. (Isa 56,10) Le cheval représente l’effervescence de la volupté : Ils sont devenus comme des chevaux qui courent et qui hennissent après les cavales : chacun d’eux a poursuivi la femme de son prochain. (Jer 5,8) Quelquefois l’âne marque la grossièreté et la stupidité du pécheur : L’homme est comparé aux animaux qui n’ont aucune raison, et il leur est devenu semblable. (Psa 49,13) Tantôt elle nomme les hommes lions et léopards par allusion à leurs appétits féroces et voraces, et tantôt aspics à cause de leur esprit fourbe et trompeur. Leurs lèvres, dit le Psalmiste, recèlent le venin de l’aspic. (Psa 140,4) Enfin elle les assimile au serpent et à la vipère, en raison du poison caché de leur malignité. Aussi. 1e saint précurseur disait-il aux pharisiens : Serpents, et race de vipères, qui vous a montré à fuir la colère qui s’approche ? (Mat 3,7) L’Écriture donne encore aux hommes d’autres noms, afin de caractériser leurs différentes passions, et les rappeler par une honte salutaire au sentiment de leur noblesse. Ah ! Puissent-ils ne pas dégénérer de leur origine, et préférer la loi du Seigneur à ces passions criminelles qui les ont entraînés dans le péché !

4. Mais je ne sais comment je me suis écarté de mon sujet. J’y rentre donc, et j’aborde les diverses instructions que renferme le récit de l’écrivain sacré. Après avoir dit : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, il nous raconte en détail la formation de l’homme ; sans doute, il nous avait déjà appris que Dieu avait fait l’homme, et qu’il l’avait fait à son image ; mais ici il s’exprime plus explicitement : Dieu, dit-il, forma l’homme du limon de la terre, et il répandit sur son visage un souffle de vie, et l’homme eut une âme vivante. (Gen 2,7) Combien ces paroles sont grandes et admirables ! et combien elles surpassent notre intelligence ! et Dieu forma l’homme du limon de la terre. En parlant de toutes les créatures visibles, je vous disais que souvent le Créateur, pour montrer sa toute-puissance, agissait contrairement aux lois de la nature, et nous trouvons la même conduite dans la création de l’homme. C’est ainsi qu’il a établi la terre au-dessus des eaux, ce qu’en dehors de la foi notre raison ne saurait concevoir. C’est ainsi encore qu’à son ordre tous les éléments produisent des effets opposés à leur nature. L’Écriture nous apprend quelque chose de semblable dans la formation de l’homme, en nous disant que Dieu le forma du limon de la terre.

Que dites-vous ? quoi ! Dieu a pris un peu de terre, et en a formé l’homme l Oui, il en est ainsi ; Moïse nous l’assure ; et même il ne se contente pas de dire que Dieu prit de la terre, mais du limon, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de plus vil et de plus méprisable. Véritablement, on serait tenté de taxer ce récit de fable et de paradoxe ; mais dès qu’on se rappelle quel est l’auteur de ces merveilles, on les croit aisément, et l’on adore humblement la puissance du Créateur. Car si vous voulez mesurer les œuvres divines à la faiblesse de vos pensées, et les scruter curieusement il vous paraîtra bien plus naturel qu’on forme du limon de la terre une brique ou un vase que le corps de l’homme. Vous le voyez donc, pour comprendre toute la sublimité du langage de Moïse, il nous faut le méditer attentivement, et réprimer l’infirmité de la raison. Car, l’œil de la foi peut seul découvrir ces merveilles, quoique l’historien sacré ait proportionné sa parole à la faiblesse de notre intelligence. Et en effet, lorsqu’il nous dit que Dieu forma l’homme, et qu’il répandit sur lui un esprit de vie, ne semble-t-il pas descendre dans un détail indigne de la majesté divine ? mais l’Écriture s’exprime ainsi par condescendance pour notre faiblesse, et elle s’abaisse jusqu’à la petitesse de notre esprit pour l’élever ensuite jusqu’à la sublimité de ses révélations.

Et Dieu, prenant du limon, en forma l’homme. Certes, si nous voulons la comprendre, voilà une grande leçon d’humilité. Car, si nous réfléchissons sur l’origine de l’homme l’orgueil le plus superbe s’abaisse soudain, et la pensée de notre néant nous enseigne la modestie et l’humilité. Aussi, est-ce par un effet de sa providence à l’égard de notre salut que Dieu a inspiré à Moïse ce style et ce langage. Car déjà il avait dit que Dieu avait formé l’homme à son image, et qu’il lui avait donné l’empire sur toutes les créatures visibles. Mais ici, craignant que ce même homme ne s’enflât d’orgueil, et qu’il ne transgressât les limites d’une humble dépendance, s’il ignorait entièrement son origine, l’Écriture reprend le récit de sa création, et décrit en détail la manière dont il a été formé. Elle lui apprend donc qu’il a été formé de la terre, et de la même matière que les plantes et les animaux, au-dessus desquels il ne s’élevait que par l’âme, substance simple et immatérielle. Mais il tenait cette âme de la bonté divine, et elle était en lui le principe de la raison, et celui de son empire sur toutes les autres créatures. Malgré cette connaissance si explicite de son origine, le premier homme se laissa tromper par le serpent, et il s’imagina que lui, qui avait été formé du limon de la terre, pourrait devenir semblable à Dieu. Mais si Moïse n’eût ajouté à son premier récit des détails aussi précis, dans quelles extravagances ne serions-nous pas tombés !

5. C’est ainsi que l’histoire de notre origine est pour nous une grande leçon d’humilité. Et Dieu, dit l’Écriture, forma l’homme du limon de la terre ; et il répandit sur son visage un souffle de vie. Moïse parlait à des hommes qui n’eussent pu le comprendre, s’il ne se fût servi d’un langage aussi simple et aussi grossier. Il nous apprend donc que cet homme, formé du limon de la terre, reçut de la libéralité divine une âme essentiellement raisonnable, et qu’il devint ainsi un être parfait. Et Dieu, dit-il, répandit sur le visage de l’homme un souffle de vie. C’est ainsi qu’il désigne l’âme qui est dans l’homme, formé du limon de la terre, le principe de la vie, de l’action et du mouvement. Aussi, ajoute-t-il immédiatement : Et l’homme devint vivant et animé ; cet homme, dit-il, formé du limon de la terre, reçut un esprit de vie, et devint vivant et animé. Qu’est-ce à dire, vivant et animé ? C’est dire que l’homme était maître de ses actions, et qu’en lui les membres du corps étaient soumis à la volonté de l’âme.

Mais je ne sais comment nous avons renversé ce bel ordre. Hélas ! notre malice est si grande que nous forçons notre âme à obéir aux passions de la concupiscence. Cette âme née pour régner et pour commander est donc détrônée de nos propres mains, et nous la courbons sous l’esclavage des plaisirs de la chair, méconnaissant ainsi sa noblesse et son éminente dignité. Car, je vous en prie, reportez vos souvenirs sur la formation de l’homme, et demandez-vous ce qu’il était avant que Dieu eût répandu sur lui un esprit de vie, et qu’il fût devenu vivant et animé. Il n’était qu’un corps inerte, pesant et inutile. C’est donc uniquement ce souffle de vie que Dieu répandit sur lui, qui l’éleva à l’honneur de devenir un être vivant et animé. Au reste, il est facile de le comprendre, et par ce récit de la Genèse, et par ce qui arrive chaque jour sous nos yeux. Dès que l’âme est séparée du corps, celui-ci devient un objet hideux et repoussant. Que dis-je, hideux et repoussant ? il est effrayant, fétide et difforme. Et cependant, lorsque l’âme y réside, ce même corps est beau, agréable et aimable. De plus, il participe à la prudence de l’âme, et exécute ses ordres avec une rare dextérité.

Convaincus de ces vérités et pénétrés du sentiment de la dignité de notre âme, évitons tout ce qui pourrait la déshonorer. Craignons donc de la souiller par le péché, et ne la réduisons pas sous l’esclavage de la chair. Ah ! ce serait être trop cruel et trop inhumain envers une créature si élevée en noblesse et en honneur. C’est par notre âme que, malgré les entraves du corps, nous pouvons, avec une volonté ferme et le secours de la grâce, ressembler aux vertus célestes et immatérielles. Oui, quoique attachés à la terre, nous pouvons vivre en quelque sorte dans le ciel, égaler ces pures intelligences, et même les surpasser. Mais comment y parvenir ? Le voici : lorsque dans un corps mortel nous réalisons une vie tout angélique, nous nous élevons devant Dieu à un degré de mérite supérieur à celui des anges, parce qu’au milieu des tristes nécessités du corps, nous conservons intacte la noblesse de notre âme.

Eh ! qui jamais, me direz-vous, est arrivé à cette perfection ? je ne m’étonne pas que la chose nous paraisse impossible, tant notre vertu est faible ! mais voulez-vous vous convaincre du contraire, rappelez à votre souvenir les saints qui, depuis l’origine du monde jusqu’aux temps présents, se sont rendus agréables aux yeux du Seigneur. Faut-il nommer ici Jean-Baptiste, l’enfant de la stérilité et l’habitant du désert, ou Paul, le docteur des nations, et cette fouie innombrable d’élus qui étaient de même nature que nous, et sujets aux mêmes infirmités du corps. Leurs exemples vous prouvent que cette haute vertu ne nous est pas impossible, et ils nous animent à profiter pour l’acquérir de toutes les occasions que le Seigneur nous ménage. Et en effet, il connaît notre faiblesse, et le penchant qui nous entraîne vers le mal. C’est pourquoi il nous a laissé dans les saintes Écritures des remèdes aussi efficaces qu’abondants, et il ne dépend que de nous de les appliquer sur nos blessures. De plus, il met sous nos yeux la vie des saints comme une pressante exhortation à la vertu. Gardons-nous donc de négliger nos devoirs ; mais fuyons le péché, et ne nous rendons point indignes des biens ineffables du ciel. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’empire et l’honneur, maintenant, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

SIXIÈME DISCOURS.

De l’arbre du paradis. Est-ce de cet arbre qu’Adam a tiré la connaissance du bien et du mal, ou, même avant de manger du fruit, était-il doué de la faculté de faire ce discernement ? Réflexions sur le jeûne ; il faut méditer à la maison, sur les paroles entendues dans l’église. (Gen 2,17 et suiv)

ANALYSE.

  • 1. Combien il est plus utile d’assister aux assemblées de l’Église, qu’aux assemblées profanes. Nous avons promis de parler de l’arbre, dit de la science du bien et du mal ; nous dirons hardiment que le premier homme connaissait le bien et le mal avant de manger du fruit défendu. – 2. Épilogue moral.

1. J’aime la quarantaine du jeûne, parce que c’est la mère de la tempérance, la source de toute sagesse ; je l’aime encore à cause de vous, à cause de votre affection ; parce qu’elle me ramène votre sainte et vénérable réunion, parce qu’elle me donne de revoir vos visages bien-aimés ; parce qu’elle me permet de jouir, dans l’abondance de la joie, de cette belle et brillante assemblée, de cette heureuse fêté. Oui, brillante assemblée, heureuse fête, tous les noms les plus beaux et les plus doux conviennent à cette réunion qui vous ramène auprès de nous. Si un homme, sur la place publique, rencontrant un ami, un seul, oublie souvent tous ses chagrins, nous, qui ne vous rencontrons pas sur la place publique ; mais dans l’église, qui ne voyons pas ici, par hasard seulement, un ami, mais tant de frères et de pères, et quels pères, quels frères ! comment n’oublierions-nous pas tous nos chagrins ? comment ne goûterions-nous pas toutes les délices d’une vraie joie ? Ce n’est pas le grand nombre seulement qui rend cette assemblée meilleure que les réunions dans les places publiques, c’est aussi la nature de nos entretiens. En effet, dans les places publiques, on se trouve ensemble, on s’assied en cercle, et souvent la conversation s’engage sur des sujets frivoles, ce sont de froids entretiens, et le bruit des mots sur des affaires qui n’ont aucun intérêt ; car c’est assez souvent la coutume de s’occuper inutilement, de prendre un soin très-curieux, très-passionné, des affaires d’autrui. La pente est glissante, il est dangereux dé débiter, d’écouter des paroles de ce genre ; souvent il en est résulté des tempêtes dans les familles ; je n’insiste pas. Assurément, que ces conversations du monde soient inutiles et froides, qu’elles laissent peu de place à des entretiens spirituels, c’est ce que personne ne contestera. Il n’en est pas de même ici, c’est tout le contraire : tout entretien inutile est banni ; la doctrine, l’enseignement spirituel se montre seul au milieu de nous ; nous parlons ensemble de notre âme, des biens qui conviennent à notre âme, des couronnes mises en réserve dans le ciel, des hommes dont la vie a été, glorieuse, de la bonté de Dieu, de sa providence, qui s’étend sur toutes choses, enfin de tous les sujets qui nous intéressent le plus ; pourquoi sommes-nous venus en ce monde, et quelle sera, quand nous partirons d’ici-bas, notre condition ; en quel état serons-nous à ce moment ? Et cette réunion ne se compose pas de nous seulement, mais prophètes et apôtres y ont leurs places au milieu de nous ; et, ce qui dépasse tout ce qu’il y a de plus grand, le Seigneur même, le Maître du monde, se tient au milieu de nous, Jésus ! Il le dit lui-même : En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’elles. (Mat 18,20) S’il est vrai que, par, tout où deux ou trois personnes sont réunies, Jésus se trouve au milieu d’elles, à bien plus forte raison se trouve-t-il où sont rassemblés tant d’hommes, tant de femmes, tant de pères, et d’apôtres et de prophètes.

C’est ce qui augmente notre zèle à vous parler ; voilà notre force, et, maintenant, il faut que nous vous payions notre dette. Nous vous avons promis de vous parler d’abord de l’arbre du paradis, si c’est de cet arbre qu’Adam a tiré la connaissance du bien et du mal, ou si, même avant de manger du fruit, il était doué de la faculté de faire ce discernement. Ayons confiance et disons, dès maintenant, sans hésiter, que, même avant de manger du fruit, Adam savait discerner le bien du mal. En effet, s’il n’avait pas su ce qui est bien, ce qui est mal, il aurait été plus dépourvu de raison que – les êtres sans raison ; le maître aurait eu moins d’intelligence que les esclaves. Voyez donc l’absurdité : des chèvres, des brebis savent quelle plante leur est utile, quelle autre leur est nuisible ; elles ne s’attachent pas indifféremment à toutes celles qu’elles voient, elles discernent, elles connaissent très-bien ce qui, d’une part, leur est nuisible, ce qui, d’autre part, leur est utile, et l’homme aurait été privé d’une faculté nécessaire à sa sûreté ? S’il n’en eût pas été doué, il n’aurait eu aucune valeur, il aurait été au-dessous de tous les animaux ; il aurait cent fois mieux valu pour lui vivre dans les ténèbres, aveugle, privé de la lumière, que de ne pas connaître ce qui est bien, ce qui est mal. Supprimez de notre vie, cette faculté, vous ruinez notre vie tout entière, ce n’est plus que bouleversement et confusion partout ; c’est là en effet ce qui nous distingue des animaux sans raison, c’est là ce qui nous rend supérieurs aux bêtes : connaître ce que c’est que le vice, ce que c’est que la vertu, reconnaître ce qui est mal, ne pas ignorer ce qui est bien. Si nous avons cette connaissance aujourd’hui, non pas nous seulement, mais et les Scythes et les barbares, certes, à plus forte raison, le premier homme la possédait avant le péché ; quand il était comblé de tous les honneurs qui conviennent à l’image et à la ressemblance de Dieu, quand il avait été enrichi de tant de bienfaits, il n’était pas privé du premier de tous les biens. La connaissance du bien et du mal n’a été refusée qu’à ceux à qui la nature n’a pas donné l’intelligence et la raison. Adam, au contraire, possédait l’abondance de la sagesse, et pouvait discerner l’opposition du bien et du mal ; ce qui prouve qu’il possédait l’abondance de la sagesse spirituelle, c’est l’Écriture ; écoutez la démonstration : Dieu amena, dit le texte, les animaux devant Adam afin qu’il vît comment il les appellerait, et le nom qu’Adam donna à chacun des animaux est son nom véritable. (Gen 2,19) Considérez de quelle sagesse était rempli celui qui, à tant d’espèces si variées, à tant de genres si divers, bêtes de somme, reptiles, oiseaux, a pu donner tous les noms, et les noms propres. Dieu approuva ces noms, sans réserve, au point qu’il ne les changea pas, même après le péché. Et le nom qu’Adam donna, dit le texte, à chacun des animaux, est son nom véritable.

2. Eh bien ! donc, ignorait-il ce que c’est que le bien, ce que c’est que le mal ? Qui pourrait le prétendre ? Autre preuve : Dieu conduisit la femme auprès de lui, et, tout de suite, à son aspect, il reconnut sa compagne, et que dit-il ? Voilà maintenant l’os de mes os et la chair de ma chair. (Id 23) Peu d’instants auparavant, Dieu lui avait amené tous les animaux ; Adam veut montrer que la femme ne doit pas être confondue avec les autres êtres animés, il dit : Voilà maintenant l’os de mes os et la chair de ma chair. Il est vrai que quelques interprètes prétendent qu’Adam ne se borne pas ici à indiquer cette pensée, qu’il exprime, en outre, de quelle manière la femme a été créée ; qu’il veut faire entendre que la femme ne naîtra pas une seconde fois de la même manière ; que c’est pour cette raison qu’il dit : Voilà maintenant, parole qu’un autre interprète explique ainsi : Voilà pour cette fois, comme si Adam disait : Voilà maintenant, pour cette fois seulement, que la femme a été tirée de l’homme seul, mais dans la suite, il n’en sera pas de même, elle naîtra des deux. L’os de mes os et la chair de ma chair. En effet, Dieu ayant pris, de l’homme tout entier, un fragment, a formé la femme de cette manière, afin d’établir sa parfaite communauté avec son mari ; celle-ci s’appellera d’un nom qui marque l’homme, dit-il, parce qu’elle a été prise de l’homme. Voyez-vous de quel nom Adam l’appelle, afin que ce nom nous enseigne la communauté de nature, et que cet enseignement qui démontre la communauté de nature, et la manière dont la femme a été créée, soit le fondement d’une affection durable et le lien de la concorde ? Ensuite que dit-il ? C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera a sa femme. (Gen 2,24) Il ne dit pas simplement s’unira, mais s’attachera, pour signifier l’union la plus étroite. Et ils seront deux dans une seule chair. Eh bien ! comment celui qui savait tant de choses, pouvait-il ignorer, répondez-moi, je vous en prie, ce qu’était le bien, ce qu’était le mal ? Qui pourra le prétendre avec une apparence de raison ? Si Adam ne distinguait pas le bien du mal, avant d’avoir mangé du fruit, si ce discernement ne lui est venu qu’après qu’il a eu mangé, il faut dire alors, que le péché a enseigné la sagesse au premier homme ; le serpent cesse d’être un séducteur ; il a été, pour lui un conseiller utile ; Adam était un animal dépourvu de raison, le serpent en a fait un homme. Loin de nous cette pensée ! Il n’en est pas ainsi, non. Si Adam ne connaissait pas ce que c’était que le bien, ce que c’était que le mal, comment a-t-il pu recevoir un ordre ? Jamais législateur ne fait de loi pour celui qui ne sait pas que c’est mal faire, que de transgresser la loi. Or, Dieu a porté la loi, a puni le transgresseur, et, certes, Dieu n’eût fait ni l’un ni l’autre, si, dès le principe, il ne lui eût attribué le discernement de la vertu et du vice. Vous voyez qu’il devient manifeste pour nous, parfaitement clair, que ce n’est pas seulement après avoir mangé, qu’Adam a connu et le bien et le mal, qu’il possédait auparavant cette science.

Conservons en nous, mes bien-aimés, toutes ces pensées, et, de retour dans nos maisons, dressons-nous deux tables, l’une, des mets du corps, l’autre des mets de la sainte Écriture, que le mari répète ce qui a été dit, que la femme s’instruise, que les enfants écoutent, et que les serviteurs ne soient pas frustrés de nos lectures ; faites, chacun de vous, de votre maison une église ; sachez qu’il vous faudra rendre compte du salut, et de vos enfants et de vos serviteurs. De même qu’on réclamera, de nous, des comptes, pour ce que nous aurons fait de vous, de même on réclamera, de chacun de vous, des comptes, pour ce qu’il aura fait de son serviteur, de sa femme, de son fils. Après des conversations de ce genre, les songes les plus agréables viendront nous charmer, sans aucune espèce de visions terribles ; ce que l’âme a coutume de méditer pendant le jour, ses songes le lui représentent pendant la nuit, et lui en fournissent l’image. Si les paroles prononcées chaque jour, se conservent dans vos mémoires, nous n’aurons pas besoin d’un grand travail ; le discours suivant sera pour vous plus clair, plus facile, et nous aurons moins d’efforts à faire pour vous instruire. Afin donc que nous puissions, vous et nous, avec quelque profit, nous, d’une part, vous donner l’enseignement, vous, d’autre part, écouter la parole, après la table pour le corps, dressez, de plus, chez vous, la table spirituelle, Ces pieux discours seront pour vous une sécurité, un ornement de votre vie. Dieu dirigera les affaires mêmes de la vie présente, d’une manière conforme à vos intérêts ; tout vous deviendra facile. Cherchez, dit-il, premièrement le royaume des cieux, et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. (Mat 6,33) Cherchons-le donc, mes bien-aimés, afin d’obtenir, et les biens d’ici-bas, et ceux de là-haut, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et à l’Esprit-Saint, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.

SEPTIÈME DISCOURS.

Pourquoi cet arbre est-il appelé arbre de la science du bien et du mal : et que signifie cette parole : « Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis. » (Gen 2,9 ; Luc 23,43)

ANALYSE.

  • 1. C’est une grande obligation de mettre la parole de Dieu en pratique. – 2. Pourquoi l’arbre de la science du bien et du mai a été ainsi appelé. Nous connaissons tous le mal, même avant de le commettre ; mais nous en acquérons une connaissance plus approfondie en le commettant. – 3. À ce bois funeste qui fut l’occasion de la chute d’Adam, opposons ce bois de la croix qui a sauvé le monde et introduit le Larron dans le paradis. – 4. Réfutation d’une objection manichéenne touchant l’entrée du larron dans le paradis. – 5. Ce qu’il faut entendre par le paradis.

1. Je vous ai vivement exhortés hier, à garder le souvenir de nos paroles, à prendre soin, chez vous, de dresser le soir, deux tables, l’une, des mets du corps ; l’autre, des mets de l’Écriture. Eh bien, l’avez-vous fait ? les avez-vous dressées, ces deux tables ? Je sais que vous avez suivi nos conseils, que vous ne vous êtes pas assis seulement à la table du corps, mais que vous avez également pris votre part à l’autre ; il n’était pas possible, après vous être portés avec tant d’ardeur vers la moins délicate, de négliger la table dont les mets sont plus recherchés. Oui, la table dont je parle, est la meilleure : l’autre s’apprête par les mains des cuisiniers ; celle-ci, nous la devons à la langue des prophètes ; l’autre porte les productions de la terre, celle-ci les fruits de l’Esprit ; la nourriture de l’autre se corrompt bien vite, les mets de celle-ci sont incorruptibles ; l’autre conserve la vie présente ; celle-ci engendre pour nous, la vie future. Et je sais bien que la table spirituelle a été dressée chez vous avec l’autre ; je ne le sais pas pour avoir interrogé, soit le serviteur qui vous accompagne, toit le domestique qui vous sert ; celui qui me l’a dit, est un porteur de nouvelles, qui s’énonce plus clairement que tous ses serviteurs. Qui me l’a dit enfin ? Le bruit de vos mains applaudissant nos paroles, votre chaleureuse adhésion à nos enseignements. Hier, en effet, quand je vous ai dit : Que chacun de vous fasse de sa maison une église, vous avez tous poussé de grandes acclamations de plaisir. Celui qui a du plaisir à entendre les discours, montre qu’il est prêt à les confirmer par ses actions ; voilà pourquoi aujourd’hui je me suis préparé avec une ardeur nouvelle à vous instruire. Maintenant réveillez vos esprits ; car l’orateur n’est pas seul obligé de tenir son esprit en éveil ; l’auditeur aussi doit être attentif, et plus encore que l’orateur. En effet, nous qui parlons, nous n’avons qu’un souci à prendre, c’est de placer l’argent du Seigneur ; mais vous, vous avez plus de peine à vous donner d’abord pour bien recevoir le dépôt, ensuite pour le conserver en toute sûreté. Donc, lorsque vous aurez entendu la parole, mettez à vos portes, serrures et verroux ; que des pensées qui inspirent la terreur, soient comme des gardiens, placés de toutes parts autour de votre âme. Le voleur est impudent, toujours éveillé ; sans cesse il fait irruption ; quoiqu’il manque souvent ses coups il revient souvent à la charge. Ayez donc prés de vous des gardiens redoutables, et s’ils voient venir le démon, s’apprêtant à vous voler quelques parties du trésor que vous avez reçu en dépôt, qu’ils le chassent à grands cris ; si les inquiétudes du monde vous envahissent, qu’ils les repoussent ; si la faiblesse de la nature produit chez vous l’oubli et la confusion, que l’exercice réveille la mémoire. Ce n’est pas un médiocre danger que de perdre l’argent du Seigneur. Ceux qui ont dissipé l’argent reçu en dépôt, souvent sont punis de mort ; pour ceux qui auront reçu et perdu des biens beaucoup plus précieux, les paroles divines, de quels supplices rie seront-ils pas tourmentés ? Dans le monde, les dépositaires d’argent ne doivent compte que de la manière dont ils ont gardé le dépôt ; on n’exige d’eux rien autre chose ; ils ont reçu tant, ils doivent rendre tant, on ne leur réclame rien de plus ; mais ceux qui ont reçu la parole divine ne doivent pas rendre compte seulement du trésor gardé, on leur demandera compte aussi des gros intérêts qu’il a dû produire. En effet, il ne nous est pas prescrit seulement de rendre ce que nous avons reçu, mais d’offrir le double au Seigneur. Sans doute, ne nous fût-il commandé que de garder ce trésor, il serait encore nécessaire de nous y appliquer avec la plus ardente sollicitude ; mais quand le Seigneur nous a, de plus ; donné l’ordre de le faire fructifier, considérez combien nous, qui avons reçu cet argent, nous devons nous donner de fatigues et de soins. Voilà pourquoi le serviteur à qui l’on avait confié cinq talents, ne se borna pas à en offrir tout autant, mais en offrit le double. (Mat 25,14 et suiv) Car les cinq talents confiés, marquaient la bonté de son maître, mais il fallait qu’à son tour le serviteur manifestât sa diligence ; de même,' celui à qui l’on avait confié deux talents, sut bénéficier deux autres talents, et, en récompense, son maître lui donna le même honneur qu’à l’autre. Au contraire, un troisième serviteur, à qui l’on n’avait confié qu’un seul talent, et qui le rendit tel qu’il l’avait reçu, sans l’avoir diminué, fut puni pour ne l’avoir pas fait fructifier, pour n’avoir pas présenté le double de la somme qu’on lui avait remise ; il subit le dernier supplice, et cela justement ; car, dit le maître, si je n’avais voulu que garder mon argent, et non en retirer du profit, je ne l’aurais pas livré aux mains de mes serviteurs. Quant à vous, considérez la bonté du Seigneur ; celui à qui on avait confié cinq talents, en offrit cinq autres ; celui qui en avait reçu deux, en rendit deux autres, et chacun des deux serviteurs obtint la même récompense. De même, en effet, que le maître répondit au premier : O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en pela de choses, je vous établirai sur beaucoup d’autres ! de même il dit à celui qui lui avait présenté deux talents : O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, je vous établirai sur beaucoup d’autres ! (Id 21-23) Le profit n’est pas le même, et la récompense est la même ; le maître jugea le second serviteur digne du même honneur que l’autre. Pourquoi ? C’est que Dieu ne s’occupait pas de la quantité qu’on lui offrait, mais de la vertu de ceux qui avaient fait valoir leur dépôt. En effet, l’un et l’autre de ces deux serviteurs avaient fait tout ce qui dépendait de chacun d’eux, les talents présentés n’étaient pas plus ou moins considérables ; en raison de la négligence de l’un ou de la diligence de l’autre, ruais en raison de la différence dans la quantité. Celui-ci avait reçu cinq talents, et il présenta cinq autres talents ; celui-là en avait reçu deux, et il en présenta deux ; quant au zèle qui l’animait, il n’était pas inférieur à l’autre. Il est évident que l’un, aussi bien que l’autre, gagna le double de ce qu’on lui avait confié. Mais celui qui n’avait reçu qu’un talent, ne présenta aussi qu’un talent ; pour cette raison, il subit le châtiment.

2. Avez-vous bien compris quel supplice est réservé à ceux qui ne savent pas faire valoir la fortune du Seigneur ? Donc, sachons conserver son argent, le négocier, en tirer un grand profit. Et que personne ne dise : Je ne suis qu’un ignorant, un disciple ; je n’ai pas la parole de l’enseignement ; je suis sans habileté, sans valeur aucune. Quand vous ne seriez qu’un ignorant, qu’un disciple, quand vous n’auriez reçu qu’un talent, faites le négoce avec ce qui vous a été confié ; vous recevrez une récompense égale à celle d’un docteur. Mais maintenant, je suis persuadé que vous gardez avec soin dans votre mémoire les paroles que vous avez entendues. Ne dépensons pas à ce propos tout ce que nous avons aujourd’hui à vous dire. Allons, continuons l’entretien d’hier ; joignons-y la suite ; nous voulons vous payer le salaire dû à ceux qui conservent la parole. En effet, celui qui a bien gardé un premier dépôt, mérite d’en recevoir un autre. Quel sujet d’entretien, hier, nous étions-nous donc proposé ? Nous parlions de l’arbre, et nous avons montré que l’homme, avant de manger du fruit de l’arbre, avait la connaissance du bien et du mal, qu’il était rempli de l’abondance de la sagesse ; nous en avons donné pour preuves : qu’il a imposé des noms aux animaux ; qu’il a reconnu sa compagne, qu’il a dit : Voilà maintenant l’os de mes os (Gen 2,23) ; qu’il a parlé du mariage, de la procréation des enfants, de l’union conjugale, et du père et de la mère ; enfin qu’il a reçu un ordre de Dieu. En effet, on ne donne pas un ordre, une loi ; pour faire ou ne pas faire, à celui qui ne pourrait pas distinguer le bien du mal. Aujourd’hui, il serait utile de dire pourquoi, si l’homme n’a pas tiré de l’arbre la connaissance sui bien et du mal, cet arbre a été appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Assurément il importe d’apprendre pourquoi cet arbre a été ainsi appelé. En effet, le démon dit : Aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux s’ouvriront ; et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. (Gen 3,5) Comment donc, m’objecte-t-on, dites-vous, qu’il n’a pas introduit la science du bien et du mal ? De qui me parlez-vous, je vous prie ? Qui, il a introduit ? Voulez-vous dire le démon ? Sans doute, me répond-on, puisqu’il a dit : Vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal. Ainsi, toi qui me contredis, lu m’apportes le témoignage de l’ennemi qui nous tend des pièges. Mais le serpent a dit aussi : De plus vous serez des dieux. Eh bien ! sont-ils devenus, des dieux ? De même donc qu’ils ne sont pas devenus des dieux, de même ils n’ont pas non plus reçu alors la science du bien et du mal. Le démon, en effet, n’est qu’un menteur, et il ne dit rien de vrai, car, dit l’Évangéliste, la vérité n’est point en lui. (Jn 8,44)

Gardons-nous donc de produire le témoignage de l’ennemi ; comprenons, par l’étude des choses considérées en elles-mêmes, pourquoi l’arbre est appelé, l’arbre de la science du bien et du mal. Et d’abord, s’il vous semble bon, qu’est-ce que le bien, qu’est-ce que le mal ? Méditons. Qu’est-ce que le bien ? l’obéissance ; qu’est-ce que le mal ? la désobéissance. Étudions, en nous inspirant de l’Écriture, autant qu’il sera nécessaire, pour ne pas nous tromper, sur la nature du bien et du mal. Ce qui prouve que le bien et que le mal sont ce que nous venons de vous dire, c’est la parole du prophète : Qu’est-ce que le bien et qu’est-ce que le Seigneur Dieu demande de vous ? Dites-moi, qu’est-ce que le bien ? C’est que vous chérissiez le Seigneur votre Dieu. (Mic 6,8) Voyez-vous que le bien, c’est l’obéissance, car l’obéissance vient de l’affection. Autre texte : Mon peuple a fait deux maux ; ils m’ont abandonné, moi qui suis une source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes usées qui ne peuvent contenir l’eau. (Jer 2,13) Voyez-vous que le mal, c’est la désobéissance, et l’abandon de Dieu. Donc, en attendant, retenons ceci : que le bien, c’est l’obéissance ; que le mal, c’est la désobéissance, et par là, nous apprendrons ce que nous cherchons. En effet, l’arbre a été appelé, arbre de la science du bien et du mal, parce qu’il fut l’occasion de l’ordre qui donnait matière à la désobéissance ou à l’obéissance. Adam, même avant sa faute, n’ignorait pas que le bien c’est l’obéissance, que le mal c’est la désobéissance ; mais il l’apprit plus tard, d’une manière plus évidente, par l’expérience même des choses. Caïn n’ignorait pas même avant d’égorger son frère, que le meurtre d’un frère était une action mauvaise ; ce qui prouve qu’il le savait bien, ce sont ses propres paroles, écoutez : Viens, sortons dans la campagne. (Gen 4,8) Mais pourquoi attires-tu ton frère dans la campagne, après l’avoir arraché des bras de son père ? pourquoi l’emmènes-tu dans un lieu désert ? Pourquoi le conduis-tu loin de ceux qui veillent sur lui ? loin des yeux de son père ? pourquoi caches-tu ce que tu oses méditer, si tu ne crains pas le péché ? pourquoi encore, quand tu as fait le, meurtre, et que l’on t’interroge, t’indignes-tu, et prononces-tu un mensonge ? En effet, quand Dieu eut dit : Où est Abel, ton frère ? tu as répondu : Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? (Gen 4,9) Ce qui prouve clairement qu’il avait la pleine connaissance de son crime. Donc, de même qu’il savait bien, même avant de pratiquer le meurtre, que le meurtre était une action mauvaise, mais que plus tard il le comprit d’une manière plus claire, quand il reçut son châtiment, quand il t’entendit ces paroles : Tu seras gémissant et tremblant sur la terre ; de même son père, avant de manger du fruit, possédait la connaissance du bien et du mal, quoiqu’elle ne fût pas aussi évidente pour lui, que quand il en eut mangé. Je m’explique : Nous connaissons tous tant que nous sommes, le mal, même avant de le commettre ; nous le comprenons mieux, après l’avoir commis, et, nous le comprenons, d’une manière beaucoup plus claire encore, quand vient le châtiment. Ainsi Caïn savait, avant de tuer son frère, que ce meurtre était une action mauvaise ; il le comprit ensuite plus clairement, quand il fut puni. Nous aussi, nous savons bien que la santé est une bonne chose, et que la maladie est importune, nous savons cela, avant l’expérience ; mais nous comprenons beaucoup mieux, quand nous sommes malades, la différente de la santé et de la maladie.

3. C’est de la même manière, assurément, qu’Adam savait que l’obéissance est un bien, et, au contraire, la désobéissance un mal. Il le vit ensuite plus clairement, lorsqu’après avoir goûté du fruit, il fut chassé du paradis, et déchu de cette félicité parfaite. Quand il eut encouru le châtiment, pour avoir, malgré la défense de Dieu, goûté du fruit de l’arbre, l’expérience de la punition lui fit mieux comprendre tout ce qu’il y a de mal dans la désobéissance à Dieu, tout ce qu’il y a de bien dans l’obéissance. Voilà pourquoi cet arbre est appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Mais, si la connaissance du bien et du mal, n’a pas été le fruit même de l’arbre, si après que l’homme eut mangé le fruit, c’est le châtiment qui lui a manifesté cette connaissance, d’où vient que l’arbre a reçu le nom d’arbre de la science du bien et du mal ? Rien d’étonnant à cela ; c’est l’usage de l’Écriture de donner, aux lieux et aux temps, des noms pris des choses qui s’y sont produites. Pour être plus clair, je vais citer un exemple : Isaac creusa un puits que ses voisins entreprirent de combler ; de là des querelles, et Isaac, appela le puits, Inimitié. Ce n’était pas que le puits exerçât des inimitiés (Gen 26,21), mais c’est que des inimitiés s’étaient élevées à propos de ce puits ; de même, cet arbre s’appelle l’arbre de la science du bien et du mal, non pas qu’il eut cette science en lui, mais parce qu’il avait été l’occasion qui avait fait reconnaître la science du bien et du mal. Abraham creusa encore un puits, et Abimélech prépara des embûches à Abraham ; ils se réconcilièrent, déposèrent leurs inimitiés, se prêtèrent un mutuel serment et appelèrent ce puits le Puits dit Serment. Comprenez-vous que le lieu n’est pas la cause de ce qui arrive, quoiqu’il tire son nom de ce qui est arrivé ? S’il faut, à toute force, des exemples, pour rendre plus manifeste ce que nous vous disons, voyez encore : Jacob vit des anges qui venaient au-devant de lui et le camp de Dieu ; alors il appela cet endroit le Camp. (Gen 32,2) Ce lieu n’était pourtant pas un camp, quoiqu’il ait été appelé de ce nom ; mais. C’est que Jacob y avait vu un camp. Comprenez-vous comme un événement, arrivé dans un lieu, a donné, à ce lieu, son nom ? Il en est de même de l’arbre de la science du bien et du mal ; ce n’est pas que l’arbre eût en lui-même cette science, mais c’est qu’il fut le lieu, où la science se manifesta. Autre exemple encore : Jacob vit Dieu, autant qu’un homme peut le voir, et il appela le lieu la Face de Dieu. Pourquoi ? parce que j’ai vu Dieu, dit-il. (Gen 32,30) Cependant le lieu n’était pas la face de Dieu, mais il a reçu son nom de l’événement qui s’y est passé. Voyez-vous combien d’endroits nous servent à montrer que l’habitude de l’Écriture est de donner aux lieux, les noms des choses qui y sont arrivées ? La même observation s’applique en ce qui concerne les temps. Mais, pour prévenir votre ennui, allons, quittons ce sujet aride, passons à des réflexions plus agréables. Je vois bien que vous êtes fatigués d’avoir séjourné au milieu de pensées trop subtiles. Aussi convient-il de vous récréer, en repaissant votre esprit de pensées plus simples et plus riantes.

Revenons donc à l’arbre salutaire de la croix ; car cet arbre a fait disparaître tous les maux que l’autre avait introduits. Disons mieux, ce n’est pas l’autre arbre qui avait introduit les maux, c’est l’homme seul, et, après lui, c’est le Christ qui les a tous fait disparaître, et nous a apporté des biens de beaucoup plus considérables. De là, ce que dit Paul ; Où il y a eu abondance de péchés, il y a eu ensuite surabondance de grâces (Rom 5,20) ; c’est-à-dire le don est plus grand que le péché. Mais il n’en est pas de la grâce comme du péché (Rom 5,15) Dieu n’a pas mesuré à la grandeur du péché, la grandeur du don ; à la grandeur de la perte, la grandeur du gain ; à la valeur du bâtiment naufragé, la valeur des bénéfices ; mais les biens, ont surpassé les maux, et la raison en est évidente. En effet, c’est l’esclave qui a introduit les maux, ils étaient moindres ; mais les biens viennent de la grâce du Maître, ils ont été plus considérables. De là, cette parole : Mais il n’en est pas de la grâce comme du péché. Paul explique ensuite la différence : Car nous avons été condamnés, par le jugement de Dieu, pour un seul, au lieu que nous sommes justifiés par la grâce, après un grand nombre de péchés. (Id 16) Ce passage est un peu obscur ; une explication est nécessaire : Par le jugement, cela veut dire, la peine, le supplice, la mort ; pour un seul, c’est-à-dire, pour un seul péché, puisque c’est un seul péché qui a introduit un si grand mal ; mais la grâce n’a pas effacé ce péché seul, elle en a supprimé un grand nombre d’autres. C’est pourquoi Paul nous dit : Au lieu que nous sommes justifiés par la grâce après plusieurs péchés. C’est ainsi que Jean-Baptiste s’écriait : Voici l’Agneau de Dieu, non pas, qui enlève le péché d’Adam, mais : qui enlève les péchés du monde. (Jn 1,29) Voyez-vous qu’il ne faut pas mesurer la grâce au péché ? Comprenez-vous que notre arbre nous a donné des biens plais considérables, que né l’étaient, les maux introduits au premier jour ?

4. Je vous ai adressé ces paroles, pour que vous ne croyiez pas avoir à vous, plaindre, de vos premiers parents. Le démon a chassé Adam du Paradis ; le Christ a introduit le larron dans le ciel. Et voyez la différence : le démon a chassé, du paradis, un homme qui n’était souillé d’aucun péché ; sa désobéissance fut sa seule tache ; le Christ e introduit, dans le paradis, le larron, qui portait le fardeau de péchés sans nombre. Mais, devons-nous admirer uniquement ce fait, qu’il a introduit le larron dans le paradis ? N’y a-t-il plus rien d’admirable encore ? On peut dire un prodige encore plus grand du Christ. non seulement, il a introduit le larron, mais il l’a introduit avant le monde entier, avant les apôtres, afin que nul,'après lui, ne pût désespérer d’y entrer, abandonner toute : espérance de, salut, quand on verrait ce criminel ; qui était souillé de tant de forfaits, devenu un habitant de la cour céleste. Mais, examinons ; est-ce que le larron lui a montré ses travaux, ses bonnes œuvres, des fruits de vertu ? personne ne saurait le dire ; un petit mot, rien qu’un acte de foi, et, devançant les apôtres, il a bondi dans le paradis ; c’est afin de vous faire comprendre, que ce n’est pas tant sa vertu, que la bonté du Seigneur, qui a tout opéré. Car enfin, qu’a dit le larron ? qu’a-t-il fait ? Est-ce qu’il a jeûné ? est-ce qu’il a pleuré ? est-ce qu’il s’est affligé ? A-t-il manifesté son repentir ? Nullement ; mais sur la croix même ; à peine eût-il, parlé, qu’il avait obtenu son salut. Voyez la rapidité de la croix ; dans le ciel ; de la condamnation, aie salut. Or, quelles sont ces paroles, qui eurent tant de puissance, qui procurèrent, à cet homme, des biens si précieux ? Souvenez-vous de moi, dit-il, dans votre royaume. (Luc 23, 42) Qu’est-ce à dire ? Il s’est borné à demander le bonheur, il n’a rien mérité par ses actions ; mais le Christ, connaissant son cœur, ne s’est pas arrêté a ses paroles, il n’a considéré que la disposition de son âme. Ceux qui avaient reçu les enseignements des prophètes, qui avaient vu, les signes, contemplé les miracles, ceux-là disaient du Christ : Il est possédé dit démon, il séduit le peuple. (Mat 11,18) Mais le larron, qui n’avait pas entendu les prophètes, qui n’avait pas vu les prodiges, qui ne l’avait vu que pendu à la croix, ne fait pas attention à son ignominie ; malgré son abaissement, il voit sa, divinité ; Souvenez-vous de moi, dit-il, dans votre royaume. Chose incroyable ! Tu vois une croix`; et tu parles de royaume ? Que vois-tu donc là qui ressemble à un royaume ? Un homme crucifié, souffleté, raillé, accusé, couvert de crachats, battu de verges ; ce sont là des marques de la royauté ? réponds-moi. Comprenez-vous, que ce larron a regardé le Christ avec les yeux de la foi, sans s’occuper de l’apparence ? Aussi Dieu, à son tour, ne s’est pas occupé de ce que pesaient ces paroles si minces ; mais, comme le larron avait vu dans sa divinité, Dieu, de même, a vu dans son cœur, et il lui a dit : Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis. (Luc 23, 43)

Ici, attention, car voici une question qui n’est pas indifférente. Les Manichéens, ces chiens stupides et enragés, portent la modestie sur leur figure, ils recèlent au fond de leur cœur la ragé des chiens ; sous la peau de la brebis, se cache le loup. Ne vous tenez pas à l’apparence ; fouillez le dedans, mettez, le monstre à découvert ; donc, ce sont eux qui saisissent, ici, l’occasion. Le Christ a dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis : donc la rétribution des biens est déjà faite, et la résurrection est superflue. Si, en effet, le larron a reçu les biens qu’il demandait autrefois, et cela, le jour même, et si, jusqu’à présent, son corps n’est pas ressuscité, il n’y aura pas de résurrection des corps. Avez-vous bien compris ce due nous venons de dire, où faut-il vous le répéter ? En vérité, en vérité, je vous le dis, aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis : donc, disent-ils, le larron est entré dans le paradis, sans son corps ; c’est évident, puisque son corps n’avait pas été enseveli, ne s’était pas décomposé, réduit en poussière, et il n’est dit nulle part que le Christ l’ait ressuscité. Si le Christ a introduit le larron dans le paradis, sans son corps, lui a donné ses biens en partage, il est manifeste qu’il n’y a pas de résurrection des corps ; car s’il y avait résurrection des corps, il ne lui aurait pas dit : Aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis : mais il lui aurait fait attendre la consommation des temps, la résurrection des corps. S’il a introduit le larron, tout de suite ; si le corps de celui-ci est resté dehors, en proie à la corruption, il est bien évident qu’il n’y a pas de résurrection des corps. Voilà donc ce que disent les Manichéens. Écoutez, maintenant, ce que. nous leur disons, nous ; je me trompe, non pas nous, mais la divine Écriture, car ce ne sont pas nos pensées que nous exprimons, mais les pensées de l’Esprit-Saint. Voyons, que prétendez-vous ? La chair n’a pas sa part de couronnes ? Mais, elle a eu sa part des fatigues, et elle est privée des récompenses ? Quand il fallait combattre, elle versait le plus de sueurs, et, quand vient le temps des couronnes, l’âme seule est couronnée ? N’entendez-vous pas la voix de Paul : Nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun de nous rende compte des actions propres à son corps, soit qu’il ait fait le bien, soit qu’il ait fait le mal. (Rom 14,10-12 ; 1Co 5,10) Ne l’entendez-vous pas encore proclamant : Il faut que ce corps mortel soit revêtu de l’immortalité, et que ce corps corruptible soit revêtu de l’incorruptibilité. (1Co 15,53 ;) Mortel ? Qu’est-ce à dire ? L’homme ou le corps ? Évidemment c’est le corps : puisque l’âme est immortelle de sa nature, tandis que le corps, de sa nature, est mortel. Mais ces hérétiques savent rogner les textes. Toutefois, il nous en reste assez pour saisir le sens de ce qui a été retranché. Le larron est entré dans le paradis, disent-ils. Eh bien ! après ? Sont-ce là les biens que Dieu nous promet ?

5. N’entendez-vous pas ce que Paul nous dit, de ces biens ? Que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a pas entendus et que le cœur de l’homme n’a jamais conçus. (1Co 2,9) Eh bien ! quant au paradis, l’œil d’Adam l’a vu, et son oreille l’a entendu, et le cœur de l’homme l’a conçu. Voilà déjà un grand nombre de jours que nous en parlons. Comment donc le larron a-t-il reçu ces biens ? Ce n’est pas dans le paradis que Dieu promet, de nous introduire, c’est dans le ciel même, et ce n’est pas le royaume du paradis qu’il a prêché, mais le royaume des cieux. Jésus commença, dit l’évangéliste, à, prêcher en disant : faites pénitence, parce que le royaume approche, non pas le royaume du paradis, mais le royaume des cieux. (Mat 4,17) Vous savez bien que vous avez perdu le paradis, et Dieu vous a donné le ciel, pour vous montrer sa bonté, pour irriter la douleur du démon, pour prouver qu’il a beau tendre mille pièges à la race des hommes, il n’y gagnera rien, Dieu nous élevant toujours à un honneur plus haut. Donc vous avez perdu le paradis, et Dieu vous a ouvert le ciel ; vous avez été condamnés au travail, pour un temps, et glorifiés de la vie éternelle ; il a ordonné à la terre de produire les épines et les chardons, et votre âme à senti germer en elle le fruit de l’Esprit. (Gen 3,18) Voyez-vous comme les ressources dépassent le châtiment ? comme votre trésor s’est grossi ? Exemple : Dieu a formé l’homme de terre et d’eau, et il l’a placé dans le paradis ; l’homme ainsi formé n’a pas gardé son innocence, il s’est perverti ; Eh bien ! dès lors, ce n’est plus de terre et d’eau que Dieu le recompose, mais d’eau et d’esprit ; il ne lui promet plus, dès lors, le paradis, mais le royaume des cieux. Comment ? Écoutez : Un sénateur des Juifs, Nicodème, étant venu furtivement trouver Jésus, s’informait, auprès de lui, de la naissance à cette vie, et lui disait, qu’il était impossible qu’un homme déjà vieux naquit une seconde fois. Voyez de quelle manière le Christ lui explique le mode de la naissance : Si un homme ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux. (Jn 3,4-5) Donc si le Christ a promis le royaume des cieux, et s’il a introduit le larron dans le paradis, il ne lui a pas encore fait la rétribution.

Mais voici encore une autre objection : Le Christ, ici, n’a pas entendu le paradis, mais, par le nom de paradis, il désignait le royaume des cieux, attendu qu’il parlait à un larron, à un homme qui n’avait rien appris de nos dogmes sublimes ; quine connaissait rien des prophéties ; qui avait passé toute sa vie, dans les lieux déserts, à commettre des meurtres ; qui, jamais, n’était entré, même en passant, dans une église ; qui n’avait jamais entendu la parole divine ; qui enfin, n’avait aucune idée de ce que pouvait être le royaume, des cieux, le Christ lui dit : Aujourd’hui, vous serez avec moi, dans le paradis. Le Christ s’est servi de ce mot connu, familier, de paradis, pour exprimer le royaume des cieux ; c’est de ce royaume que le Christ entend lui parler. J’y consens. Eh bien ! donc, disent les contradicteurs, il, est entré dans le royaume des cieux. Qui le prouve ? les paroles prononcées : Aujourd’hui, vous serez avec moi, dans le paradis. Si cette solution paraît violente, nous en apporterons une autre plus claire. Quelle est-elle ? Le Christ a dit : Celui qui ne croit pas au Fils, est déjà condamné. (Jn 3,18) Quoi donc ? est déjà condamné ; mais il n’y a encore ni résurrection, ni châtiment, ni supplice. Comment donc est-il déjà condamné ? par son péché. Autre parole : Celui qui croit au Fils, dit le Christ, est déjà passé de la mort à la vie. (Jn 5,24) Il ne dit pas, passera, mais est déjà passé. Et, ici encore, c’est, pour l’un, la conséquence de sa foi, pour l’autre, la conséquence de son péché. Donc, de même que l’un est déjà condamné ; quoiqu’il n’ait pas encore été condamné, que l’autre soit déjà passé à la vie, quoiqu’il n’y soit pas encore passé ; que, pour l’un, c’est l’effet de sa foi, pour l’autre l’effet de son péché ; de même que Dieu parle, comme si les événements étaient accomplis, d’événements qui ne sont pas encore accomplis ; de même parlait le Christ, quand il s’adressait au larron. Les médecins voient un malade désespéré, il est perdu, disent-ils, il est mort, quoique le malade soit encore vivant ; mais, de même que ce malade, parce qu’il n’y a plus d’espoir de salut, est appelé, par les médecins, un homme mort, de même le, larron, parce qu’il avait échappé à toutes les chances de retomber dans la perdition, est entré dans le ciel. Du même genre sont les paroles qu’Adam entendit : Le jour que vous mangerez du fruit de cet arbre, vous mourrez. (Gen 2,17) Quoi donc ? Est-il donc mort ce jour même ? Nullement. Il a vécu depuis plus de neuf cents ans. Pourquoi donc Dieu lui a-t-il dit : Ce jour même vous mourrez ? De droit, non de fait. C’est ainsi que le larron est entré dans le ciel. Écoutez ce que dit Paul, proclamant que personne n’a encore reçu la rétribution des biens. Il parlait des prophètes et des hommes justes, et il ajouta ces paroles : Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis ; mais les voyant, et comme les saluant de loin ; Dieu ayant voulu, par une faveur particulière qu’il nous a faite, qu’ils ne reçussent qu’avec nous, l’accomplissement de leur bonheur. (Heb 11,13, 40) Imprimez-en vous ces paroles, conservez-les dans votre mémoire, instruisez ceux qui ne les ont pas entendue : dans l’église, sur la place publique, à la maison, qu’elles soient le sujet des méditations de chacun de vous ; car, il n’est rien de plus doux que d’entendre la divine parole. Écoutez ce que dit le prophète : Que tes paroles sont douces à ma gorge ! elles le sont plus que le rayon de miel pour ma bouche. (Psa 119,103) Ce rayon de miel, servez-le, le soir, sur votre table, pour la remplir tout entière du plaisir qui vient de l’Esprit. Ne voyez-vous pas que les hommes, opulents font venir à la fin du repas, des joueurs de lyre et des joueurs de flûte ? Ils font de leur maison, un théâtre ; vous, au contraire, faites de votre maison le ciel. Ce qui vous sera fâche, sans changer les murailles ; sans déranger les fondations ; appelez à votre table Celui qui commande au plus haut des cieux. Dieu ne rougit pas d’assister à de tels festins ; car c’est là que règnent la doctrine spirituelle et la tempérance et la gravité, et la douceur. Là où le mari, la femme et les enfants vivent dans la concorde, enchaînés tous ensemble par les liens de l’affection et de la vertu, là réside aussi le Christ ; il ne recherche pas les lambris dorés, les colonnes resplendissantes, les beaux marbres, mais la beauté de l’âme, la grâce des pensées, une table couverte des fruits abondants de la justice et de l’aumône. À l’aspect d’un pareil service, il lui tarde de prendre sa part du festin ; il s’assied à la table ; c’est lui-même qui l’a dit : J’ai eu faim et vous m’avez donné, à manger. (Mat 25,35) Aussi, quand vous avez écouté le pauvre, dont le cri est monté jusqu’à vous, quand vous avez donné à l’indigent, une part quelconque des mets de votre table, c’est le Seigneur que vous avez invité, en invitant son serviteur ; et votre table vous l’avez aussitôt comblée de toutes les bénédictions ; en offrant vos prémices, vous avez saisi l’occasion la plus favorable d’attirer sur vous la plénitude de tous les biens. Que le Dieu de paix, qui donne le pain à celui qui ! e mange, et la semence au semeur, multiplie votre semence, fasse croître, en vous tous, les fruits de la justice, vous communique sa grâce, et daigne vous appeler à son royaume des cieux. Puissions-nous obtenir, tous tant que nous sommes, un tel partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et au Saint Esprit, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HUITIÈME DISCOURS.

Sur le temps qui est à la pluie ; – sur les évêques qui se trouvent réunis ; – sur le précepte donné à Adam ; – la loi qu’il a reçue est un effet de la grande sollicitude de Dieu.

ANALYSE.

  • 1. Exorde tiré d’une circonstance de temps et de la personne de l’évêque Flavien. Résumé du dernier discours. Si la loi est la cause du péché. – 2. La loi est le plus grand bien que Dieu ait accordé à son peuple : Non fecit taliter omni nationi, et judicia sua non manifestavit eis. Confirmation de cette même vérité par plusieurs textes. Conclusion et exhortation.

1. Les nuages amoncelés ont attristé le jour, mais la présence de notre docteur
L’évêque Flavien.
lui a rendu sa clarté. Le soleil, du haut de la voûte du ciel, nous envoie des rayons qui versent, sur nos corps, moins de lumière, que n’en répand sur nos âmes du haut de son trône rayonnant, le Père que nous aimons.

Il le sait bien lui-même ; aussi n’est-il pas venu seul ; il amène, avec lui, cette pléiade resplendissante, pour ajouter à l’éclat d’une si vive lumière. Aussi notre Église tressaille d’allégresse, le troupeau bondit, et notre confiance redouble en commençant notre discours. C’est qu’en effet, où les bergers se rassemblent, les brebis sont en sécurité ; de même les matelots se réjouissent quand ils voient un grand nombre de pilotes ; car, si la mer est tranquille, et le ciel serein, les pilotes, en manœuvrant le gouvernail, rendent plus léger le travail des rameurs ; et quand les tempêtes soulèvent les vagues, les pilotes combinant leur industrie et tous leurs efforts, apaisent le combat des flots. Voilà pourquoi, nous aussi, nous commençons plein d’une bonne espérance ce discours destiné à vous instruire, et nous confions le tout à leurs prières. Maintenant, pour que vous puissiez, plus facilement et mieux, comprendre ce que nous avons à vous dire, nous vous résumerons rapidement ce qu’hier vous avez entendu. J’ai dit : que, même avant de manger du fruit de l’arbre, l’homme avait le discernement du bien et du mal ; et que ce n’est pas seulement après avoir goûté du fruit de l’arbre, qu’il a reçu cette connaissance. J’ai dit pourquoi cet arbre a été appelé, l’arbre de la science du bien et du mal ; que c’est l’usage de l’Écriture, de donner, aux lieux et aux temps, des noms pris des événements qui s’y sont accomplis. Aujourd’hui, ce qui convient, c’est de vous lire le commandement même qui interdisait de manger du fruit de cet arbre. Quel est donc ce commandement ? Et le Seigneur Dieu fit à Adam ce commandement et lui dit : Mangez de tous les fruits des arbres du paradis. (Gen 2,16) C’est la loi de Dieu, soyons attentifs. Si les hommes qui font la lecture des rescrits de l’empereur commandent à l’assemblée de se lever tout entière, à plus forte raison faut-il, quand nous allons faire la lecture, non pas des lois des hommes, mais de la loi de Dieu, nous 1enirdebout, par la pensée, et appliquer toute notre attention, aux paroles qui se font entendre.

Je n’ignore pas que certaines personnes accusent le législateur, en disant que la loi a été une occasion de chute ; c’est tout d’abord cette accusation que nous devons combattre, et nous montrerons, en nous appuyant sur la réalité même des faits, que ce n’est pas par haine pour l’homme, que ce n’est pas pour faire outrage à notre nature, mais par amour, par sollicitude pour nous, que Dieu nous a donné la loi. Voici qui va vous apprendre que cette loi nous a été donnée pour nous servir d’auxiliaire : écoutez Isaïe : Il nous a donné la loi pour nous servir de secours. (Isa 8,20) Celui qui déteste ne porte pas de secours. Autre passage du prophète s’écriant : Votre parole est une lanterne pour mes pieds, une lumière qui éclaire mes sentiers. (Psa 119,105) Celui qui déteste ne porte pas la lanterne qui dissipe les ténèbres ; il ne conduit pas, avec une lumière, le voyageur errant. Écoutez maintenant Salomon : Le précepte de la loi c’est une lanterne, c’est la lumière et la vie, et le redressement, et l’enseignement. (Pro 6,23) Voyez-vous que ce n’est plus seulement un secours ni une lanterne, mais de plus, et la lumière, et la vie ? Or, je ne vois pas là les preuves de la haine, la volonté de vous perdre, mais une main qui vous est tendue pour vous relever. Aussi, lorsque Paul s’emporte contre les Juifs, en leur montrant l’utilité de la loi, il leur dit, pour leur prouver que la loi ne nous est pas imposée comme un fardeau, qu’au contraire elle nous ranime : Mais vous, qui portez le nom de Juifs, qui vous glorifiez des faveurs de la loi. (Rom 2,17) Voyez-vous que ce n’est pas pour nous imposer un fardeau, mais pour nous ranimer que Dieu a donné la loi?. Voulez-vous comprendre maintenant que Dieu l’a donnée aussi, afin de nous faire honneur ? Nos preuves, jusqu’à présent, suffisaient pour montrer l’honneur qui nous a été fait, le soin que Dieu a pris de nous. Mais cela même, je veux le démontrer encore, par d’autres témoignages : Jérusalem, loue le Seigneur ; Sion, loue ton Dieu, car il a fortifié les serrures de tes portes, et il a béni tes enfants, au milieu de toi ; il a établi la paix, sur tes frontières, et il te rassasie du meilleur froment. (Psa 147,12-14) Ensuite, après avoir rappelé les bienfaits qu’il nous a procurés par d’autres créatures, il y joint ce principal bienfait, plus considérable que tous les autres, il dit :Il annonce sa parole à. ses jugements et ses ordonnances à Israël, il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations et il ne leur a point manifesté ses préceptes. (Id 19,20) Voyez quelle énumération de bienfaits ! La sécurité de la ville: Car il a fortifié, dit-il, les serrures de tes portes : les guerres écartées : Il a établi, dit-il, la paix sur tes frontières : l’abondance des vivres : Et il te rassasie du meilleur froment. Cependant il déclare que le présent qu’il fait de la loi, est le plus précieux de tous. Car, la sécurité, la paix, le bonheur de voir écarter la guerre, l’abondance heureuse des enfants, la fécondité des fruits de la terre, sont des biens beaucoup moins précieux, que d’avoir reçu la loi en présent ; que d’avoir appris les jugements du Seigneur ; et pour cette raison, le Prophète réserve ce don comme le dernier, après tant d’autres, et il ajoute : Il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations. De la sorte, qu’est-ce que cela veut dire ? Certes, la fécondité, l’abondance de la terre, les autres biens énumérés, ont été souvent le partage d’un grand nombre d’hommes, mais, dit le Prophète, je ne parle pas de ces biens-là, je parle de la loi, et Dieu, à cet égard, n’a pas agi de même avec toutes les autres nations ; voilà pourquoi il ajoute : Et il ne leur a point manifesté ses préceptes. Vous voyez que de tous les biens énumérés, le plus précieux, c’est la loi.

2. Ce que Jérémie, à son tour, a manifesté quand il pleurait sur les tribus captives ; il disait : Pourquoi es-tu sur la terre des ennemis ? Tu as délaissé la source de la sagesse. (Bar 3,10, 12) C’est la loi, qu’il appelle ainsi, Comme une source envoie de tous côtés, un grand nombre de ruisseaux, ainsi la loi verse de tous côtés, un grand nombre de préceptes, qui arrosent notre âme. Jérémie, montrant ensuite le principal honneur à nous conféré par la loi, disait : Cette sagesse n’a pas été entendue dans Chanaan ; elle n’a pas été vue dans Tehoeman, et les fils d’Agar, ces marchands et ces faiseurs de recherches, n’ont pas trouvé sa voie, et ils ne se sont pas souvenus de ses sentiers. (Id 22, 23) Et, pour démontrer que cette loi est spirituelle et divine : Qui est monté, dit-il, dans le ciel et l’en a tirée. (Id 29) Aussitôt il ajoute : C’est notre Dieu ; aucun autre ne ara estimé auprès de lui ; il a trouvé toutes les vies de la science, et il les a montrées à Jacob e enfant, et à Israël son bien-aimé. (Id 36,37) C’est pour cela que David à son tour disait : Il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations, et il ne leur a point manifesté ses préceptes. Et Paul insinuait cette pensée, quand il disait : Quel est donc l’avantage des Juifs ; et quelle est l’utilité de la circoncision ? (Rom 3,1) Voyez-vous comme ici les preuves abondent de mille manières ? D’abord c’est qu’ils n’ont pas cru aux paroles de Dieu. Voyez-vous de quelle manière Paul aussi a proclamé cette vérité : Il n’a point traité de ta sorte toutes les autres nations, et il ne leur a point manifesté ses préceptes? En effet, si c’est l’avantage des Juifs qu’eux seuls ; parmi tant d’autres hommes, ont été honorés du don de la loi écrite, ce n’est pas pour nous imposer un fardeau, mais pour nous faire honneur, que Dieu nous a donné la loi ; et l’honneur que Dieu nous a fait, ne consiste pas seulement en ce qu’il nous a donné la loi, mais encore en ce qu’il nous l’a donnée lui-même. Voilà, en effet, le plus grand honneur ; il n’a pas seulement répandu des biens, mais c’est par lui-même qu’il les a répandus. Voilà, certes, un grand don, écoutez Paul. Comme il voyait que les Juifs étaient enflés d’orgueil, parce que les prophètes étaient venus pour eux, Paul, voulant réprimer leur arrogance, et montrer que nous avons reçu un plus grand honneur, nous, à qui la doctrine n’a pas été donnée par un serviteur de Dieu, mais parle Seigneur même, voici ce qu’il écrit aux Hébreux :Dieu ayant parlé, autrefois, à nos pères, en divers temps, et en diverses manières, par les prophètes, nous, a enfin parlé, en ces derniers jours, par son Fils unique. (Heb 1,1-2) Et ailleurs encore : Et non seulement nous avons été réconciliés, mais nous nous glorifions même en, Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui nous avons obtenu maintenant cette réconciliation. (Rom 5,11) Voyez-vous comme il ne se glorifie pas seulement de la réconciliation, mais encore de la réconciliation obtenue par Jésus-Christ ? Et, dans un autre passage, quand il célèbre la résurrection, il dit : Le Seigneur lui-même descendra du ciel. (1Th 4,16) Comprenez qu’ici encore, tout se fait, s’accomplit par le Seigneur ; et ce n’est pas par l’entremise d’un serviteur quelconque, par un ange, par un archange, c’est lui-même de sa propre personne qui a donné le précepte à Adam, faisant à l’homme un double honneur : l’honneur de lui donner la loi, l’honneur de la donner lui-même. Comment donc l’homme est-il tombé ? A cause de sa négligence ; et c’est ce que fait voir le grand nombre de justes qui ont reçu la loi, et qui ne sont pas tombés, mais qui ont fait plus qu’il ne leur avait été commandé. Je vois que le temps nous presse ; nous renverrons ces réflexions à un autre entretien ; quant à vous, retenez les paroles que vous avez entendues, conservez-les dans votre mémoire, instruisez ceux qui ne les ont pas entendues dans l’église, sur la place publique, à la maison, qu’elles soient le sujet des méditations de chacun de vous ; car il n’est rien de plus doux que d’entendre la divine parole. Écoutez ce que dit le prophète : Que tes paroles sont douces à ma gorge ! elles le sont plus que le rayon de miel pour ma bouche. (Psa 119,103) Ce rayon de miel, servez-le, le soir, sur votre table, pour la remplir tout entière du plaisir qui vient de l’Esprit. Ne voyez-vous pas que les hommes opulents font venir à la fin du repas, des joueurs de lyre et des joueurs de flûte ? Ils font, de leur maison un théâtre ; vous au contraire, faites de votre maison le ciel. Ce qui vous sera facile, sans changer les murailles, sans déranger les fondations ; appelez à votre table Celui qui commande au plus haut dès cieux. Dieu ne rougit pas d’assister à de tels festins ; car c’est là que règnent la doctrine spirituelle, et la tempérance, et la gravité et la douceur. Là où le mari, la femme et les enfants vivent dans la, concorde, enchaînés tous ensemble par les liens de l’affection et de là vertu, là réside aussi le Christ ; il ne recherche pas les lambris dorés, les colonnes resplendissantes, les beaux marbres, mais la beauté de l’âme, la grâce des pensées, une table couverte des fruits abondants de la justice et de l’aumône. À l’aspect d’un pareil service, il lui tarde de prendre sa part du festin ; il s’assied à la table, c’est lui-même qui l’a dit : J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger. (Mat. XXV, 35) Aussi, quand vous avez écouté le pauvre, dont le cri est monté jusqu’à vous, quand vous avez donné à l’indigent, une part quelconque des mets de votre table, c’est le Seigneur que vous avez invité, en invitant son serviteur, et votre table, vous l’avez aussitôt comblée de toutes les bénédictions ; en offrant vos prémices, vous avez saisi l’occasion la plus favorable d’attirer sur vous la plénitude de tous les biens. Que le Dieu de paix et d’amour ; qui donne le pain à celui qui le mange, et la semence au semeur, multiplie votre semence, fasse croître en vous tous, les fruits de la justice, vous communique sa grâce, et daigne vous appeler à son royaume des cieux. Puissions-nous obtenir, tous tant que nous sommes, un tel partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, en même temps qu’au Père, la gloire, l’honneur, la puissance, ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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