‏ Genesis 25

QUARANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.

« Voici qu’elle fut la postérité d’Isaac, fils d’Abraham. » (Gen 25,19)

ANALYSE.

  • 1. L’exemple d’Isaac prouve qu’il faut prier avec persévérance, et ne pas scruter trop curieusement les desseins de Dieu. – 2. Pour des causes mystérieuses, Dieu refuse quelquefois la fécondité aux femmes justes ; la fécondité miraculeuse des femmes naturellement stériles aide les esprits à croire à l’enfantement d’une vierge. – 3. La prière d’Isaac dure vingt ans.

1. Je veux encore vous conduire à la table que vous connaissez, et vous servir le festin que nous présentent les paroles de Moïse, disons mieux, les paroles de l’Esprit-Saint. Car ; ce n’est pas de lui-même que Moïse nous a parlé, mais parce que l’Esprit-Saint l’inspirait. Voyons donc ce qu’il veut encore nous apprendre aujourd’hui. Ce n’est pas sans motif, sans un but déterminé, qu’il nous propose les vies des hommes justes ; il veut que nous imitions leurs – vertus, que nous reproduisions leurs bonnes œuvres. Après nous avoir raconté, avec tant d’exactitude, ce qui concerne le patriarche Abraham ; après nous avoir fait connaître le dernier combat qu’il soutint pour immoler son fils, son fils unique ; après nous avoir fait comprendre comment ce sacrifice à Dieu, s’il ne fut pas accompli d’une manière réelle, s’est pourtant achevé dans la volonté, il met un terme à ces récits ; et nous expose maintenant ce qui concerne Isaac, immolé sans être immolé. En effet, ce qui s’est passé ressemble à une énigme ; écoutez ce que dit Paul : C’est par la foi qu’Abraham offrit Isaac, lorsque Dieu voulut le tenter, car c’était son fils unique qu’il offrait, lui qui avait reçu les promesses. (Heb 11,17) Et ensuite, pour nous apprendre qu’Abraham accomplissait tout cela par la foi ; que des ordres qui paraissaient en contradiction avec la promesse, ne troublaient pas pourtant sa raison, il ajoute : Ainsi il le recouvra comme d’entre les morts. (Id 19) Que signifie cette parole, et il le recouvra comme d’entre les morts ? c’est qu’après l’avoir offert en sacrifice, après avoir manifesté la perfection de sa sagesse, il reçut la couronne, il revint avec l’enfant ; le sacrifice s’acheva en réalité, en immolant une brebis, et le Créateur de tous les êtres montra, en toutes ces choses, l’excellence de sa bonté. Il fit voir que, par cet ordre, il avait voulu, non faire périr Isaac, mais mettre à l’épreuve l’obéissance de l’homme juste. Autre récit maintenant. Nous avons vu le patriarche faire briller en toutes choses sa vertu, eh bien ! exposons aujourd’hui les paroles qui se rapportent à Isaac. Voyons comment, lui aussi, a montré en toutes choses, la piété de son âme ; il est bon d’écouter les paroles mêmes de l’Écriture. Voici, dit le texte, quelle fut la postérité d’Isaac, fils d’Abraham. Abraham engendra Isaac, lequel ayant quarante ans épousa Rébecca, fille de Bathuel, syrien de Mésopotamie, et saur du syrien Laban. (Id 20) Considérez, je vous en prie, mon bien-aimé, l’exactitude de la divine Écriture, qui n’emploie aucune parole superflue. En effet, pourquoi nous montre-t-elle l’âge d’Isaac ? pourquoi ces paroles, lequel ayant quarante ans, épousa Rébecca ? Ce n’est pas sans dessein, ce n’est pas au hasard ; mais, comme elle veut ensuite nous raconter la stérilité de Rébecca, nous faire savoir qu’elle dut sa fécondité aux prières du juste, elle tient à nous apprendre la grandeur de la patience d’Isaac, à nous montrer clairement tout le temps qu’il passa sans q voir d’enfant. Et c’est afin que nous, de notre côté, rivalisant avec ce juste, nous soyons assidus à prier le Seigneur, si nous avons quelque demande à lui adresser. En effet, s’il est vrai que ce juste, doué d’une vertu si grande, jouissant auprès de Dieu de tant de faveur, ait montré tant de constance et tant de zèle, priant Dieu sans cesse de mettre un terme à la stérilité de Rébecca, que pourrons-nous dire, nous qui, accablés du fardeau si lourd de tant de péchés, n’ayant pas à montrer la moindre des vertus de ce juste, après quelques moments de zèle et d’application à la prière, retombons bien vite dans notre engourdissement, dans notre torpeur, si nous ne sommes pas tout de suite exaucés ? c’est pourquoi, je vous en prie, instruits par ce qui est arrivé à ce juste, prions Dieu sans relâche de nous pardonner nos péchés ; montrons-lui un zèle qui nous – brûle, qui nous dévore ; ne nous indignons pas, ne nous décourageons pas, si nous ne sommes pas tout de suite exaucés. Car peut-être, oui peut-être, le Seigneur, dans sa sagesse, ne nous force de montrer l’activité de notre zèle ; ne nous exerce, ne nous fait attendre, que parce qu’il nous ménage le salaire de notre patience, et parce qu’il sait l’époque où il nous est utile d’obtenir ce que nous souhaitons avec tant d’ardeur. En effet, nous ne connaissons pas nos intérêts, aussi bien que lui-même, qui sait jusqu’aux secrètes pensées de chacun. Donc, il convient de ne pas rechercher avec trop de curiosité, de ne pas discuter sans fin les choses que Dieu opère, mais il faut montrer notre sagesse et admirer les vertus des justes. Après que la divine Écriture nous a dit l’âge d’Isaac, elle nous apprend de Rébecca, sa femme, qu’elle était stérile. Considérez, je vous en prie, la piété de l’homme juste ; quand il reconnut l’infirmité de la nature, il se réfugia auprès de l’Ouvrier qui l’a faite, et il s’empressa de délier par la prière les liens qui tenaient la nature enchaînée. En effet, dit le texte, Isaac pria le Seigneur pour sa femme Rébecca, parce qu’elle était stérile. (Id 21) Avant tout, ce qui mérite d’être recherché, c’est pourquoi, lorsque cette femme avait une conduite admirable, lorsque son mari lui ressemblait, lorsqu’ils étaient tous deux si fortement attachés à la vertu, elle était stérile. Nous ne pouvons pas critiquer leur vie et dire que la stérilité était ici une punition des péchés. Et apprenez une chose étonnante, non seulement cette épouse du patriarche était stérile, mais la mère de cet homme juste, Sara l’était aussi ; et non seulement sa mère, mais sa belle-fille, la femme de je parle de Rachel. Que signifie donc cette compagnie de femmes stériles ? Tous ces personnages sont des justes ; tous, doués de vertu ; tous approuvés de Dieu ; car c’est d’eux qu’il disait : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. (Exo 3,6) Et le bienheureux Paul dit : Dieu ne rougit point d’être appelé leur Dieu. (Heb 11,16) Leur éloge se rencontre souvent dans le Nouveau Testament, souvent dans l’Ancien ; ils étaient à tous égards, fameux, illustres, et tous eurent des femmes stériles, et pendant longtemps ils n’ont pas eu d’enfant.

2. Donc, lorsque vous voyez un homme, une femme, deux êtres vivant dans la vertu, et à qui des enfants sont refusés ; quand vous voyez des personnes pieuses, attachées à la religion et n’ayant pas d’enfant, gardez-vous de croire que ce soit l’effet du péché. C’est qu’il y a, dans le gouvernement de Dieu, bien des raisons qui nous échappent, et, quoi qu’il arrive, il faut le bénir. Et nous ne devons considérer comme malheureux, que ceux qui vivent dans la corruption et non pas ceux qui n’ont point d’enfant. Bien souvent Dieu dispose les événements dans notre intérêt ; mais nous ne saisissons pas ces causes cachées. Voilà pourquoi nous devons toujours admirer sa sagesse, glorifier son ineffable bonté. Nous vous adressons ces paroles pour que vous en fassiez votre profit, pour que vous développiez en vous la sagesse, pour que vous n’alliez pas scruter curieusement les desseins de Dieu. Cependant, il faut vous dire pourquoi ces femmes étaient stériles. Quelle en est donc la cause ? Il fallait qu’en voyant une vierge enfanter notre commun Seigneur, vous ne fussiez pas incrédules. Exercez, semble dire la sainte Écriture, la subtilité de votre esprit, faites vos réflexions sur la stérilité, afin que, quand vous aurez appris que la nature retenue par des liens, que des flancs qui étaient morts, se sont prêtés par la grâce de Dieu, à l’enfantement de la vie édifiés par des preuves sans nombre, vous ne vous étonniez pas qu’une vierge ait enfanté. Je me trompe, étonnez-vous : Soyez frappés d’admiration, mais ne refusez pas votre croyance au miracle. Donc, si un juif vous dit : Comment a-t-elle pu enfanter, celle qui était vierge ? répondez-lui : Comment a-t-elle pu enfanter, celle qui était stérile et avancée en âge ? Il y avait deux empêchements alors, et l’âge qui ne s’y prêtait pas, et le défaut de la nature. La vierge au contraire ne nous montre qu’un empêchement, à savoir qu’elle ne connaissait pas l’œuvre du mariage. Donc, la femme stérile prépare la voie à la vierge. Et ce qui vous prouve que l’antique stérilité avait pour but d’assurer la foi à l’enfantement virginal, écoutez les paroles de Gabriel à la Vierge. En effet, il se présente et lui dit : Vous concevrez dans votre sein et vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. (Luc 1,31) Elle s’étonne, elle admire, elle lui répond : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d’homme? (Id 34) Que lui dit l’ange alors ? Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. (Id 35) Ne vous préoccupez pas, lui dit-il, des règles ordinaires de la nature, puisque ce qui arrive est supérieur à la nature. Ne pensez pas aux enfantements ordinaires, puisque la naissance qui s’apprête est supérieure à la génération par la voie du mariage. Et comment cela se fera-t-il, dit-elle, car je ne connais point d’homme? Cela se fera précisément parce que vous ne connaissez point d’homme ; car, si vous connaissiez un homme, vous n’auriez pas été jugée digne de servir à ce ministère. C’est pourquoi la raison qui vous fait douter, est précisément la raison de croire. Ce n’est pas que le mariage soit un mal, mais c’est que la virginité vaut mieux. Notre-Seigneur devait choisir, pour son avènement dans le monde, une entrée plus auguste que la nôtre ; il y fait une royale entrée. Il fallait que sa naissance ressemblât à la nôtre, et différât de la nôtre ; et ce double caractère s’est rencontré. Comment cela ? écoutez. Sortir des flancs maternels, voilà en quoi sa naissance ressemble à la nôtre ; et maintenant, naître sans que la naissance soit un effet du mariage, voilà ce qui est supérieur à la naissance humaine. La grossesse, voilà un fait naturel ; la grossesse sans l’œuvre du mariage, voilà ce qui est supérieur à la nature humaine. Et ces deux circonstances ont pour but de vous apprendre, et ce que cette naissance présente de distinction sublime, et ce qu’elle nous montre qui ressemble à notre nature. Et maintenant, considérez encore toute la sagesse qui a opéré ces merveilles ; ni l’excellence n’a empêché la ressemblance, la parenté avec nous ; ni cette parenté avec nous, cette ressemblance, n’a contrarié en rien l’excellence et l’infinie supériorité. Les œuvres qui se sont accomplies, ont réuni ces deux caractères : d’une part, ressemblance parfaite avec nous ; d’autre part, complète différence. Mais maintenant, que disais-je ? S’il y a eu des femmes stériles, c’était pour assurer la foi à l’enfantement virginal ; c’était pour que la vierge elle-même fût amenée à croire à la promesse. Écoutez, en effet, ce que lui dit l’ange de Dieu : Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Voilà comment, dit-il, vous pourrez enfanter. Tout s’accomplira par le Saint-Esprit. Ne tenez donc pas vos regards abaissés sur la terre ; c’est du ciel que vient la vertu qui opère ; c’est la grâce de l’Esprit qui produit ce qui arrive. Ne vous préoccupez donc pas de la nature ordinaire ; ne considérez plus les simples lois du mariage. Mais, comme ces paroles dépassent sa portée, il y ajoute encore une autre démonstration.

3. Quant à vous maintenant, mon bien-aimé, voyez comment la femme stérile conduit, pour ainsi dire, comme parla main, la Vierge à la foi en son enfantement. Comme la première démonstration était trop forte pour l’esprit de la Vierge, voyez l’ange accommodant son discours à la portée de son intelligence, la conduisant, comme par la main, à l’aide de choses sensibles. Et sachez, dit-il, qu’Élisabeth, votre cousine, a conçu aussi, elle-même, un fils dans sa vieillesse, et que c’est maintenant le sixième mois, pour celle qui est appelée stérile. (Luc 1,36) Voyez-vous qu’il n’est ici question de la femme stérile qu’à cause de la Vierge ? Car autrement, pourquoi lui aurait-il parlé de l’enfantement de sa cousine ? Pourquoi, de même, lui aurait-il dit ces mots, qui est appelée stérile? Il est évident que toutes ces paroles avaient pour but de l’amener à croire à l’annonciation. Voilà pourquoi il lui dit le temps qu’a déjà duré la grossesse, pourquoi il lui parle de la stérilité ; pourquoi il a attendu jusqu’à ce moment pour lui annoncer la conception. Car, il ne la lui a pas révélée tout de suite, dès le principe ; il a attendu six mois, afin que le gonflement du ventre montrât la conception. Et, voyez foule l’adresse de Gabriel. En effet) il ne lui rappelle ni Sara, ni Rébecca, ni Rachel. Par quelle raison et dans quelle intention ? Ces femmes aussi furent stériles jusque dans leur vieillesse, et un grand miracle s’est accompli en elles. Mais tous ces récits étaient de vieilles histoires, et L’ange lui parle d’un événement récent, pour mieux assurer sa foi.

Mais il nous faut revenir au sujet de notre discours, et montrer la vertu de l’homme juste, et vous apprendre comment ses prières ont fait cesser la stérilité de Rébecca, ont brisé les liens de la nature. Isaac, dit le texte, pria le Seigneur pour sa femme Rébecca, parce qu’elle était stérile, et le Seigneur l’exauça. N’allez pas croire, parce que le texte met tout de suite, l’effet après la cause, qu’il ait tout de suite obtenu ce qu’il désirait, avec tarit d’ardeur. Vingt ans de prière persévérante, vingt ans, et ce ne fut qu’alors qu’il obtint ce qu’il demandait. Et comment le savons-nous ? Qui nous le prouvera ? Le soin que nous prendrons de parcourir la suite de la divine Écriture. En effet, le temps ne nous a pas été caché ; l’Écriture nous l’a indiqué, à mois couverts sans doute, mais de manière pourtant à provoquer notre désir, à nous pousser, à nous exciter à faire cette recherche, comme il convient. Car, de même qu’elle nous a appris l’âge d’Isaac, quand il épousa Rébecca, de même, aussi, nous montre-t-elle ce que nous voulons savoir. Isaac avait quarante ans, quand il épousa Rébecca, fille de Bathuel le syrien. Vous savez exactement le temps. Ensuite l’Écriture dit : Isaac pria le Seigneur pour sa femme, parce qu’elle était stérile. Et, après ces mots, pour nous faire savoir le nombre des années que nous cherchons, elle nous marque l’âge d’Isaac, quand Rébecca lui donna ses fils. En effet, dit le texte : Isaac avait soixante ans, lorsque Rébecca le mit au monde. (Id 26) Si donc, il avait quarante ans, quand il l’épousa, et soixante, quand elle lui donna ses enfants, il est manifeste qu’il persévéra pendant vingt ans à prier Dieu et qu’il rendit ainsi propre à l’enfantement celle qui était frappée de stérilité. Avez-vous bien compris la force de la prière ; comme elle triomphe de la nature ? Imitons-le tous ; et nous aussi, soyons assidus dans nos prières. Soyons sages, et soyons humbles. Écoutons l’avertissement de Paul, qui nous dit : Levons des mains pures, sans colère et sans contention. (1Ti 2,8) Appliquons-nous toujours à nous affranchir des passions qui nous troublent, afin que notre âme soit dans la tranquillité, surtout pendant le temps de la prière, lorsque nous avons tant besoin de la bonté de Dieu. Car, s’il nous voit prier conformément aux lois qu’il nous impose, il se hâtera de nous accorder toutes les largesses de ses dons. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’honneur, l’empire, maintenant et toujours ; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTIÈME HOMÉLIE.

« Rébecca conçut et les deux enfants s’entrechoquaient dans son sein. » (Gen 25,21-22)

ANALYSE.

  • 1. Commentaires des versets 21-33 du chap. XXV. – 2. Da mépris des richesses.

1. Voulez-vous, encore aujourd’hui, mes bien-aimés, que nous vous servions les restes de la lecture d’hier ; car nous n’avons pas pu épuiser notre sujet. Nous vous avons montré les prières assidues d’Isaac, donnant à Rébecca la fécondité, réparant pour ainsi dire l’infirmité de la nature. Nous avons hier assez insisté sur l’enseignement qui ressort du texte ; nous vous avons montré pendant combien d’années ce bienheureux a continué de prier, de supplier le Seigneur. Nous avons fait une digression, à propos des femmes stériles, et, après vous avoir expliqué pourquoi les femmes de ces hommes justes furent frappées de stérilité, nous ne nous sommes pas engagé plus avant. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est apprendre quelle fut la piété de Rébecca, de telle sorte que nous ne fassions pas notre profit seulement de la vertu de l’homme juste, mais que l’histoire de Rébecca aussi, nous donne les moyens de provoquer un généreux zèle dans les âmes de ceux qui nous écoutent. En effet, quand le Seigneur eut exaucé la prière de l’homme juste, et quand Rébecca eût conçu, les deux enfants, dit le texte, s’entrechoquaient dans son sein, ce qui lui causait une grande douleur. En effet, selon le texte, elle dit : Si cela devait m’arriver, qu’était-il besoin que je conçusse ? Ce n’était pas un enfant seulement qui allait naître ; elle en portait deux à la fois dans son sein, et ces enfants ainsi resserrés lui causaient une grande douleur. Mais ici, considérez, je vous en prie, la piété de cette femme, elle ne fait pas comme tant de femmes dont la vie est relâchée ; elle ne cherche pas un secours auprès des hommes ; elle ne va pas interroger ceux qui font des conjectures, des raisonnements, et qui ont la prétention de juger ces choses par leurs lumières propres ; elle ne s’expose pas à être la dupe des charlatans, et de tous ceux qui osent promettre ce qui dépasse la nature humaine. Mais, Elle alla, dit le texte, consulter le Seigneur. Voyez la sagesse de cette femme. Comme elle vit que celui qui avait guéri sa stérilité, qui l’avait soudain rendue féconde, était le Maître et Seigneur de la nature ; comme elle vit que le poids qui chargeait ses entrailles, renfermait une grande et mystérieuse promesse, Elle s’en alla, dit le texte, consulter le Seigneur. Qu’est-ce à dire, Elle s’en alla consulter le Seigneur? Elle courut où est la vraie science ; elle s’empressa d’aller trouver le prêtre, ministre de Dieu ; elle était avide d’apprendre secrètement de lui la science dont elle avait besoin. Et, en lui racontant tout ce qui lui était arrivé, elle connut parfaitement tout ce qu’il lui fallait savoir ; la miséricorde de Dieu, par la bouche du prêtre, lui révéla tout, et ranima son courage. Et, pour que vous sachiez bien quelle était alors la dignité des prêtres, le texte ne dit nulle part que le prêtre lui ait répondu ; mais, après ces paroles : Elle alla consulter le Seigneur, l’Écriture ajoute : Et le Seigneur lui dit (Id 23), évidemment par la bouche du prêtre Deux nations sont dans vos entrailles. Il faut que vous sachiez que, dans un autre passage, la divine Écriture appelle le prêtre, un ange, montrant par là que le prêtre dit ce que lui inspire la grâce de l’Esprit-Saint.

Donc le Seigneur lui dit, par la bouche du prêtre : Deux nations sont dans vos entrailles, et deux peuples, sortant de votre sein, se diviseront l’un contre l’autre ; l’un de ces peuples surmontera l’autre peuple, et l’aîné sera assujetti au plus jeune. (Id 23) Voyez la prophétie qui lui prédit manifestement tout l’avenir. En effet, les enfants qui sautaient, qui s’agitaient dans son sein, de mouvements désordonnés, lui révélaient, dès ce moment, tout, d’une manière parfaitement claire ; et, dès ce moment, la mère apprit non seulement qu’elle mettrait au monde deux enfants, mais que de ces enfants sortiraient des peuples, que le plus jeune assujettirait l’aîné. Et lorsque ensuite vint l’enfantement, celui qui sortit le premier, dit le texte, était roux et tout velu comme une peau d’animal, et il fut nommé Esaü. Et ensuite sortit son frère, et il tenait, de sa main, le talon d’Esaü. C’est pourquoi il fut nommé Jacob. (Id 25) Dès le commencement Dieu fait presque voir que le plus jeune, conformément à la parole, dominera l’aîné. En effet, le texte dit qu’il tenait par la main le talon d’Esaü, ce qui était la marque de la supériorité promise sur celui qui paraissait le plus fort. Et considérez comme la divine Écriture se hâte d’annoncer l’avenir, comme, dès le commencement, elle nous montre les goûts de chacun des deux frères : l’un adonné à la chasse ; l’autre, cultivant les champs, homme simple, se renfermant dans sa demeure. Aussi, Rébecca chérissait Jacob ; Isaac, de son côté, chérissait Esaü, Parce qu’il mangeait de ce qu’Esaü prenait à la chasse. (Id 28) Voyez la distinction établie entre les enfants : la mère montrait plus d’amour pour Jacob, parce qu’elle le voyait simple, retiré à l’a maison ; le père, de son côté, chérissait Esaü, et parce que c’était le premier-né, et parce qu’il mangeait de sa chasse. Telles étaient les dispositions des parents, suivant l’impulsion de la nature. Cependant peu à peu s’accomplissait la prophétie, celle qui disait : L’aîné sera assujetti au plus jeune. Voyez en effet tout de suite. Jacob, dit le texte, ayant fait cuire de quoi manger, Esaü revint des champs bien fatigué, et il dit à Jacob : Donne-moi de ce mets roux, parce que je suis fatigué. C’est pour cette raison qu’il fut depuis nommé Edom, c’est-à-dire roux. Et Jacob lui dit : Cédez-moi votre droit d’aînesse. (Id 29, 30, 31) Or, celui-ci répondit : Que me servira ce droit d’aînesse quand je me sens mourir, si je ne prends pas de nourriture. (Id 32) Mais Jacob exigeait un serment pour qu’il n’y eût pas à revenir sur la cession. Et, dit le texte, Esaü lui fit le serment. (Id 33)

2. Voici donc maintenant l’ordre naturel interverti, la dignité de l’aîné passe à celui qui l’emportait par la vertu Et, dit le texte, Esaü vendit son droit d’aînesse, c’est-à-dire que, pour de la nourriture, il vendit le privilège que la nature lui avait donné. Aussi le texte ajoute :Et Esaü se mit peu en peine de son droit d’aînesse. (Id 34) Comme si l’Écriture disait : l’insensé ne méritait pas le rang qu’il devait à la nature. Or, tout cela n’arriva que pour montrer la démence de cet aîné des deux frères, et pour accomplir l’oracle de Dieu.

Instruits par cet exemple, sachons apprécier toujours les dons du Seigneur ; n’abandonnons pas, pour des objets sans valeur et méprisables, ce qui est grand et précieux. Pourquoi, voyons, répondez-moi, quand on nous propose le royaume du ciel et tant de biens ineffables, pourquoi ce désir insensé des richesses, pour, quoi préférer de fugitives jouissances, qui souvent ne durent pas jusqu’au soir, au bonheur durable, impérissable, éternel ? Quoi de plus détestable que ce délire, qui nous prive des biens d’en haut, à cause de notre trop d’amour pour ceux d’ici-bas, et qui ne nous laisse jamais la pure jouissance même de ces biens de la terre ? Quelle est enfin, je vous en prie, l’utilité des grandes richesses ? Ignorez-vous que l’accroissement de, la fortune n’est qu’au accroissement de soucis, d’inquiétude, qui chasse le sommeil ? Ne voyez-vous pas que ces riches sont surtout, à vrai dire, des esclaves ; d’autant plus esclaves que la fortune leur vient avec plus d’abondance ? Et, chaque jour, il leur suffit de leur ambre pour les faire trembler ; car c’est de là que naissent les trames perfides, l’envie, les haines, et tant d’autres malheurs sans nombre. Et souvent vous voyez celui qui possède dix mille talents d’or, enfouie et cachés, envier le bonheur de l’ouvrier qui doit sa nourriture au travail de ses mains. Quel est donc le plaisir, quel est donc le profit des richesses, puisque nous n’en jouissons pas, et que le désir insatiable de les posséder nous prive de biens plus précieux ? Et à quoi bon parler de biens plus précieux, s’il faut ajouter aux malheurs présents, à la perte des biens à venir, l’éternelle torture ? Et je ne parle pas encore des péchés sans nombre, que la richesse attire et rassemble, fourberies, calomnies, rapines, fraudes. Supposons un homme, affranchi de tous ces dangers, ce qui est très-rare et très-difficile au sein de l’opulence ; supposons qu’il jouisse de ses trésors, tout seul, sans rien communiquer aux indigents, le feu éternel attend ce riche, vérité que met en toute évidence la parabole de l’Évangile, plaçant les uns à droite, les autres à gauche, disant aux premiers que le royaume des cieux leur est préparé parce qu’ils ont eu soin de l’indigence. En effet, dit le texte : Venez, vous les bénis de mon Père, possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde. Pourquoi ? Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger (Mat 25,34, 35) ; aux autres maintenant, c’est le feu éternel que la parole annonce : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. (Id 41) Lourde et terrible parole : le Seigneur, le Créateur du monde dit : J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger. (Id 42) A ces paroles quelle âme résisterait, fut-elle de pierre ? ton Seigneur a faim, il cherche sa nourriture, et tues dans les délices ; et ce n’est pas tout ; toi, qui es dans les délices, tu le méprises, quoiqu-il ne te demande rien de précieux, rien qu’un morceau de pain, pour soulager la faim qui le tourmente. Il a froid, il marche pour se réchauffer, et toi, revêtu de tissus soyeux, tu ne le regardes même pas ; tu ne lui montres aucune compassion ; sans pitié, sans miséricorde tu poursuis ton chemin. Quelle pourrait être l’excuse de cette conduite ? Cessons donc de n’avoir que le désir unique de tout amasser, par tous les moyens ; proposons-nous plutôt de faire, de ce que nous possédons, un bon usage ; consolons l’indigence ; ne perdons pas les biens éternels, au-dessus de tout changement. Car, si le Seigneur nous a laissé ignorer notre dernier jour, c’est pour nous forcer à pratiquer sans cesse la vertu, à veiller toujours, à faire chaque jour plus d’efforts pour devenir meilleurs. En effet, dit l’Écriture : Veillez, parce que vous ne connaissez ni le jour ni l’heure. (Mat 25,13) Or, nous faisons tout le contraire, et nous dormons d’un plus lourd sommeil que le sommeil de la nature. Car, le sommeil naturel n’opère ni bonnes ni mauvaises couvres ; mais nous dormons, nous, de l’autre sommeil ; endormis pour la vertu, éveillés pour les œuvres coupables, actifs pour le mal, paresseux pour le bien. Et nous menons cette conduite, quand nous voyons, chaque jour, un si grand nombre de vivants quitter la terre, quand nous voyons ceux qui restent exposés dans la vie présente, à tant de vicissitudes ; et cette si grande instabilité des choses humaines ne nous persuade pas la vertu, ne nous inspire pas le mépris du présent, l’amour de la vie à venir ; à ce qui n’est qu’un songe, qu’une ombre, nous ne préférons pas la vérité. En quoi les choses présentes diffèrent-elles des ombres et des songes ? Eh bien ! désormais, cessons de nous tromper nous-mêmes ; ne nous attachons plus à suivre des ombres. Il est bien tard, mais qu’importe ? appliquons-nous enfin à notre salut ; vidons nos trésors dans les mains des indigents, afin de mériter, par ce que nous aurons fait pour eux, la miséricorde du Seigneur. Puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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