‏ Genesis 29

CINQUANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.

Et Laban dit à Jacob : « Parce que vous êtes mon frère, ce n’est pas une raison pour que vous serviez gratuitement. Dites-moi quelle rétribution vous désirez. » (Gen 29,15)

ANALYSE.

  • 1. Résumé de l’homélie précédente. Jacob met toute sa confiance en Dieu. Quelle était l’hospitalité des anciens. – 2 et 3. Explication des versets 15-18. L’amour de Jacob pour Rachel accuse notre indifférence pour Dieu. Comment saint Paul aimait lieu, il faut l’imiter. – 4 La longueur du temps n’est pas nécessaire pour obtenir la rémission des péchés. Puissance de l’aumône. – 5. Exhortation à la pratique de l’aumône. .

1. Hier les préludes du voyage de l’homme juste nous ont assez montré la grandeur de sa sagesse, qui lui a mérité d’entendre de si magnifiques promesses de la part de Dieu. Ces prières, les vœux adressés par lui au Maître de l’univers, ont été ensuite, pour nous tous, un enseignement assez éloquent, si son exemple nous excite à imiter sa vertu. C’est en effet une chose admirable que ce juste, connaissant le pouvoir de Celui qui lui faisait les promesses, que ce juste qui entendait des promesses si magnifiques, même dans ces circonstances, n’ait pas songé à rien demander de grand ni de sublime. Qu’a-t-il demandé ? ce que vous avez entendu hier ; ce qui suffisait à sa nourriture de chaque jour, un vêtement pour secourir le corps, et bien vite, il s’engage, si Dieu lui accorde, comme il lui en a fait la promesse, de retourner au milieu des siens, à donner, de son côté, au Seigneur, la dîme de tous les biens qu’il en recevra. Toutes ses paroles montrent sa confiance dans le pouvoir de Celui qui lui fait la promesse ; il nous enseigne à n’avoir de confiance qu’en lui. C’est que cet homme juste connaissait l’ineffable bonté du Seigneur ; ce qui l’en assurait, c’était le soin que Dieu avait pris de son père, et il ne doutait pas que Dieu lui accordât à lui-même l’abondance de tous lesbiens. Aussi, ne demande-t-il rien de pareil au Seigneur ; il n’y songe pas dans ses prières ; mais sa promesse de donner un jour la dîme de tout ce qu’il recevra, montre assez toute sa confiance dans le pouvoir du Dieu qui lui a tant promis. Voilà pourquoi le Seigneur lui disait : Je suis le Dieu d’Abraham et d’Isaac ton père, sois sans crainte. (Gen 26,24) Pense, lui disait-il, qu’Abraham venu sur cette terre, comme un voyageur que nul ne connaît, s’est élevé à une gloire si éclatante que toutes les bouches célèbrent son nom ; considère, de même, que ton père est venu au jour, lorsque le vieil Abraham touchait aux dernières limites de l’âge, et que ton père a grandi de manière à exciter l’envie des habitants de la contrée. Eh bien donc ! attends, pour toi, les mêmes biens ; bannis toute crainte, toute inquiétude, et marche devant toi dans ces pensées. Le juste ne s’arrêtait pas à regarder son état présent. En effet, il ne portait absolument rien avec lui, qu’aurait-il pu emporter ? il était seul et contraint à un long voyage. Mais, dès ce moment, avec les yeux de la foi, il voyait l’abondance qui devait bientôt être son partage ; et il montrait sa reconnaissance. Avant d’avoir rien reçu, il fait un vœu, il consacre la dîme ; la promesse de Dieu lui inspire plus de confiance que la réalité même de la possession. Et en effet, nous devons moins nous fier à ce que nous tenons dans nos mains, à ce que nous voyons, qu’aux promesses de Dieu, alors même qu’elles ne s’accomplissent pas aussitôt. Donc, plein de l’assurance que lui donnent les paroles de Dieu, le juste entreprend son voyage, et comment n’aurait-il pas eu pleine assurance ? Dieu lui avait dit : Voici que je suis avec toi, ton gardien, partout où tu iras, et je multiplierai ta race, et je te ramènerai dans ce pays, et je ne te quitterai point, jusqu’à ce que j’aie accompli toutes mes promesses. (Gen 28,15) Je veux répéter ce que j’ai dit hier ; considérez l’industrieuse sagesse de Dieu ; considérez la constance, la reconnaissance de ce juste. Il se leva, après avoir entendu ces promesses, et se dirigea vers Chanaan ; et le voilà encore voyageur, errant, mais à chaque heure éprouvant les effets de la divine grâce ; c’est le Dieu d’amour qui lui prépare, en tous lieux, le chemin, et qui accomplit sa promesse. En effet, celui qui avait dit : Je suis avec toi ; ton gardien, partout où tu iras, c’est celui-là qui conduisit le juste vers le puits où les bergers de ce pays allaient chercher l’eau. Il les interrogea, au sujet de Laban, le frère de sa mère ; il apprit d’eux tout ce qui le concernait ; il vit ensuite et la fille de Laban, et ses troupeaux : il vit les habitants du pays qui ne pouvaient pas ôter la pierre de dessus le puits afin d’abreuver leurs troupeaux ; il accourut ; et ce que ces hommes n’avaient pas la force de faire, il le fit, grâce au secours d’en haut ; il prévint les bienfaits de Laban, ôta la pierre, et abreuva les brebis, que faisait paître Rachel. Ensuite il baisa la jeune fille, lui dit qui il était, d’où il venait, et resta auprès de la fontaine. Mais, comme c’était Dieu qui disposait toutes choses en faveur de l’homme juste, Dieu excita la jeune fille à courir promptement pour porter la nouvelle à son père, qui était l’oncle du frère de sa mère ; elle lui raconta le service que le voyageur venait de rendre, et à elle-même et à son troupeau ; elle lui apprit que ce voyageur n’était, ni un étranger, ni un inconnu, mais le fils de sa sœur.

Considérez, mes bien-aimés, le soin que prend la divine Écriture de nous faire connaître tous les détails, un à un, pour nous apprendre les mœurs antiques, l’ardeur des anciens hommes à pratiquer l’hospitalité. L’Écriture veut nous montrer l’empressement de la jeune fille, et le texte ne se borne pas à dire : Elle alla porter la nouvelle de ce qui était arrivé ; mais, elle courut ; c’est-à-dire qu’elle était pénétrée d’une grande joie. (Gen 29,12) Et ensuite, au sujet de Laban, qui était le père de la jeune fille, le texte dit, que sur ce qu’elle lui raconta, il courut, lui-même aussi, au-devant de et le baisa et l’amena dans sa maison. (Id 13)

2. Lorsque Laban eut appris de lui tout ce qu’il voulait savoir, Laban lui dit : vous êtes de mes os et de ma chair (Id 94) ; c’est-à-dire, puisque vous êtes le fils de ma sueur, vous êtes de notre chair, vous êtes notre frère. Et, dit le texte, il resta avec lui un mois ; le juste se trouva là, comme dans sa propre maison, au sein de l’abondance, affranchi de toute espèce de soin. Mais comme Dieu disposait, toutes choses dans l’intérêt de ce juste, et lui manifestait, en toutes choses, sa faveur et sa grâce, il excita pour lui l’affection de Laban et celui-ci, voyant l’honnêteté du juste, lui dit : Parce que vous êtes mon frère, ce n’est pas une raison pour que vous me serviez gratuitement ; Dites-moi quelle rétribution vous est due. Considérez que le juste, de lui-même, redemandait rien ; c’est Laban, qui sans aucune provocation, de son propre mouvement, fait cette proposition au juste ; et considérez encore, lorsqu’un homme s’appuie sur le bras d’en haut, comme tout afflue vers lui, ce n’est pas une raison, dit le texte, pour que vous me serviez gratuitement ; Dites-moi quelle rétribution vous est due. Cependant ce bienheureux aimait Laban, et il lui suffisait de trouver auprès de lui la nourriture de chaque jour ; et, pour ce seul avantage, il lui témoignait toute sa reconnaissance ; mais Laban, qui a vu toute son honnêteté, le prévient, en lui promettant de souscrire à la rétribution que lui-même fixera. Que fait donc le juste ? Considérez encore ici, sa parfaite sagesse, son parfait désintéressement, ion mépris de l’argent ; ce n’est pas un mercenaire qui conteste avec Laban, qui réclame quoi que ce soit ; il ne pense qu’à sa mère, qu’aux ordres qu’il a reçus de son père, et il montre l’excellence de sa sagesse ; dans sa réponse à Laban : Je vous servirai sept ans, pour Rachel, votre seconde fille. (18) C’est qu’aussitôt qu’il l’avait vue auprès du puits, il l’avait aimée ; et voyez l’intelligence de Jacob ; il fixe l’intervalle de temps ; et, parce chiffre de sept années, il montre suffisamment la sagesse qui l’inspire. Et pourquoi vous étonner, mes bien-aimés, d’entendre dire qu’il pro mit de servir sept ans pour la jeune fille qu’il aimait ? La divine Écriture a voulu nous montrer l’excès de son amour en fixant la longueur du travail et du temps qu’il propose : Jacob le servit donc sept ans, pour Rachel, et ces années lui parurent des jours en bien petit nombre, au prix de l’affection que, lui avait pour elle. (Id 20)

Ce nombre de sept ans, dit le texte, ce n’était que comme quelques jours, à cause de sa vive affection pour la jeune fille. C’est que l’homme blessé par l’amour ne voit rien de pénible ; tous les dangers, toutes les épreuves, tout lui semble léger, parce que ses regards ne voient qu’une chose, parce qu’il n’a qu’une pensée, rassasier son amour.

Soyons attentifs, nous tous, que tient la lâcheté et l’abattement d’esprit, et qui ne montrons au Seigneur que notre ingratitude. Si ce juste, parce qu’il aimait cette jeune fille, s’est assujetti à servir pendant sept années, a supporté les fatigues des bergers et n’a ressenti ni ces fatigues, ni la longueur du temps ; si tout lui a paru léger et facile, parce qu’il avait pour soutenir son courage, l’attente de la félicité à venir ; si ce temps si long lui a paru comme un petit nombre de jours bien vite passés, quelle sera notre excuse, à nous, qui n’avons lias le même amour pour le Dieu qui nous aime, qui nous comble de bienfaits, qui nous entoure de ses soins, qui se donne tout à nous ? S’agit-il d’un de ces profits du monde ; nous voilà pleins d’ardeur, prêts à tout, acceptant les fatigues, quoique ce bien que nous poursuivons, ne soit que trop souvent un pesant fardeau, une occasion, de honte et de châtiment, dans le présent et dans l’avenir. Mais s’il s’agit de notre salut, s’il faut nous concilier la faveur d’en haut, nous sommes sans énergie, sans courage, et notre vigueur s’en va. Quelle pourra être notre excuse, que pourrons-nous dire pour justifier notre nonchalance, nous, sans cœur, qui n’avons pas pour Dieu le même amour que ce bienheureux pour cette jeune fille, et cela malgré tant de bienfaits depuis longtemps reçus, malgré tant de bienfaits, que nous recevons encore chaque jour ? Oui, nous sommes des ingrats ; le bienheureux Paul n’était pas un ingrat, lui, dont l’amour bouillant, dont la charité ardente trouvait des paroles, des cris, des accents vraiment dignes de sa grande âme : Qui nous séparera de l’amour de Jésus-Christ ? (Rom 8,35) Voyez la chaleur de l’expression et la force qu’elle recèle, voyez la ferveur de l’amour violent, voyez la charité embrasée. Qui nous séparera, c’est-à-dire, quoi donc peut nous séparer de l’amour pour Dieu, quoi donc parmi les choses visibles, quoi donc parmi les invisibles ?

3. Ensuite, il énumère un à un tous les malheurs particuliers, pour bien montrer à tous, que rien ne peut triompher de l’amour qui le possède, de son amour pour le Seigneur ; il ajoute : La tribulation ? l’affliction ? la faim ? la persécution ? la nudité ? les périls ? le glaive ? O délirante folie, mère de la vraie sagesse ! De tout ce qui peut nous arriver, Qu’est-ce donc qui nous séparera de l’amour de Dieu ? Les tribulations de chaque jour ? non ; les afflictions ? non ; les persécutions ? non, jamais. Quoi donc alors ? la faim ? non, pas même la faim ; mais alors les périls ? et que dis-je ? la faim et la nudité, et les périls ? Ah ! le glaive ? eh bien, dit-il, la mort même, fondant sur nous, n’aura pas ce pouvoir ; impossible, absolument impossible. Nul autre, non, jamais personne n’a mérité de ressentir l’amour pour le Seigneur, autant que cette âme bienheureuse ; c’était comme un esprit affranchi du corps, séjournant dans les espaces sublimes, ne touchant plus la terre, quand il faisait entendre de telles paroles ; son amour pour Dieu, la charité qui l’embrasait, transportait sa pensée loin des choses sensibles, vers la vérité pure ; loin des choses présentes, vers les biens à venir ; loin des choses visibles, vers celles que l’œil ne voit pas. Voilà ce que fait la foi, voilà l’amour de Dieu. Et, comprenez la grandeur du sentiment qui le pénètre, voyez quel amour pour le Seigneur ; voyez quelle charité brûlante, dans la fuite, dans la persécution, dans les verges, dans les innombrables épreuves qu’il supporta, qu’il énumérait ainsi : J’ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups : souvent, j’ai vu mille morts ; j’ai reçu des Juifs, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet ; j’ai été battu de verges, par trois fois ; j’ai été lapidé une fois ; j’ai fait naufrage trois fois ; j’ai passé, un jour et une nuit, au fond de la mer ; j’ai été souvent dans les voyages, dans les périls sur les fleuves, dans les périls des voleurs, dans les périls de la part des faux frères, dans la peine et dans les fatigues. (2Co 11,23-27)

Et celui qui subissait tant d’épreuves, se réjouissait et tressaillait d’allégresse ; il savait, il avait au fond du cœur la conviction, que les fatigues présentes lui assuraient les plus glorieuses récompenses ; que ses périls lui valaient des couronnes. Si Jacob, dans son amour pour Rachel, regardait comme le court espace de quelques jours une durée de sept années, à bien plus forte raison, ce bienheureux méprisait-il toutes les choses présentes, embrasé qu’il était de son amour pour Dieu, supportant tout, pour son Christ bien-aimé. Appliquons-nous donc, nous aussi, je vous en conjure, à aimer le Christ, car, Que demande-t-il de vous, dit l’Évangéliste ? rien autre chose, que de l’aimer de tout votre cœur, et d’accomplir ses commandements. (Mrc 12,30). Il est évident que celui qui aime Dieu, comme il convient, fera tous ses efforts pour accomplir ses préceptes ; l’amour fraternel fait tout avec ardeur, pour s’attirer l’amour du bien-aimé ; et nous aussi, si notre cœur chérit sincèrement le Seigneur, nous nous empresserons d’accomplir ses commandements ; nous ne ferons rien qui puisse aigrir contre nous le bien-aimé. Voilà la royauté du ciel ; voilà, des vrais biens la vraie jouissance ; voilà ce qui renferme les biens infinis, la sincérité, la perfection de l’amour. Et notre amour pour Dieu est sincère, quand l’affection que nous lui portons, nous excite à montrer, à nos compagnons d’esclavage, la tendresse d’un ardent amour. Toute la loi des prophètes, dit l’Évangéliste, sont renfermés dans ces deux commandements (Mat 22,40), à savoir : Que vous aimiez le Seigneur, votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même. (Mrc 12,30-31) Voilà la somme, voilà le fondement de toutes les vertus. En même temps que l’amour de Dieu fait son entrée dans les âmes, y entre aussi l’amour du prochain ; qui aime Dieu, ne méprise pas son frère, ne préfère pas les richesses à celui qui est un de ses membres ; au contraire, c’est l’amour, c’est la bonté qui se manifeste au souvenir de cette parole : Autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi-même que vous l’avez fait. (Mat 25,40) Cette pensée que ce que l’on fait au prochain, est fait à Dieu même, qui nous l’attribue comme un bienfait, qu’il a reçu de nous, donne au vrai fidèle l’allégresse de la charité. Dès lors, d’une main généreuse, il répand autour de lui l’aumône ; il ne s’arrête pas à l’extérieur méprisable du pauvre ; il ne considère que la grandeur de Celui qui a pro mis qu’il regarderait comme fait à lui-même tout ce qui aurait été fait aux pauvres. Gardons-nous donc de dédaigner, je vous en conjure, ce profit de nos âmes, ce remède de nos blessures, Voilà, en effet, voilà, par excellence, le remède salutaire, qui fera disparaître les ulcères de nos âmes, jusqu’aux vestiges de toutes les cicatrices ; qui produira une cure, impossible pour le corps. Vous avez beau, d’après les conseils des médecins, mettre cataplasmes sur cataplasmes ; il faut que, sur le corps, la cicatrice demeure, et cela se comprend ; c’est le corps en effet qu’il s’agit de guérir ; au contraire, quand il s’agit de guérir l’âme, la bonne volonté produit une amélioration merveilleuse ; les plaies disparaissent, comme la poussière que dissipe la violence des vents. Les Écritures sont pleines d’exemples qui le prouvent. Ainsi Paul est devenu, de persécuteur, apôtre ; et celui qui d’abord combattait l’Église, est devenu fiancé de la divine grâce.

4. Comprenez-vous le changement ? comprenez-vous la transformation ? C’est ainsi que le larron, qui avait commis tant de meurtres, a pu, pour quelques paroles que vous connaissez, en moins d’un instant, si bien laver toutes ses fautes, qu’il a entendu, de la bouche du Seigneur : Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis. (Luc 23,43) C’est ainsi que ; le publicain, pour s’être frappé la poitrine, pour avoir confessé ses fautes, est descendu du temple plus justifié que le pharisien. (Luc 18,13) C’est que tous ces pécheurs manifestèrent la bonne disposition de leur âme ; ils confessèrent leurs péchés, ils en obtinrent la rémission. Eh bien ! maintenant, voyons la force de ce précepte, l’abondance qui accompagne les largesses de l’aumône ; apprenons quel profit en résulte pour nous, afin de la pratiquer avec ardeur. Peut-être son pouvoir est-il si grand que, non seulement elle purifie les péchés, mais déconcerte la mort. Comment cela ? je vais le dire : Et qui donc, m’objectera-t-on, pour avoir fait l’aumône, a triomphé de la mort ? À coup sûr, on voit bien que nous sommes tous asservis à la mort. Cessez de vous troubler, mes bien-aimés ; apprenez, par la réalité môme des choses, comment l’aumône triomphe de la tyrannie de la mort. Il y avait une femme, appelée Tabitha, nom qui correspond au grec Dorcas ; chaque jour cette femme s’appliquait à amasser les richesses qui viennent de l’aumône. Elle donnait, dit le texte, des vêtements aux veuves, et leur fournissait 3 toutes les autres choses qui leur sont nécessaires. Il arriva qu’elle tomba malade, et mourut. Voyez ici, mon bien-aimé, quelle récompense ; les veuves donnèrent à cette femme bienfaisante, qui prenait soin d’elle, qui leur donnait des vêtements. Elles entourèrent l’apôtre, dit le texte, et lui montrèrent ces vêtements, et toutes les preuves de la bonté de Dorcas, et des vertus qu’elle manifestait, quand elle était encore au milieu d’elles. Ces veuves redemandaient celle qui les nourrissait, et elles versaient des larmes, et elles touchèrent vivement la compassion de l’apôtre. Que fit alors le bienheureux Pierre ? Il se mit à genoux, en prières, et, se tournant vers le corps, il dit : Tabitha, levez-vous ; elle ouvrit les yeux, vit Pierre, et se mit sur son séant. Il lui donna aussitôt la main et la leva ; et, ayant appelé les saints et les veuves, il la leur rendit vivante. (Act 9,40-41) Voyez-vous la vertu de l’apôtre, disons mieux, la vertu du Seigneur, opérant par lui ? Voyez-vous la grandeur de la rétribution qui récompense la charité envers les veuves, la grandeur de la rémunération, même dans la vie présente ? Eh quoi ! répondez-moi, cette femme a-t-elle fait, pour les veuves, autant que les veuves ont fait pour elle ? elle leur donna des vêtements et de la nourriture, mais les veuves, en retour, l’ont rendue à la vie ; elles ont repoussé la mort loin d’elle ; disons mieux, ce ne sont pas ces veuves qui ont repoussé la mort, c’est dans sa clémence, Notre-Seigneur, jaloux de récompenser les soins de cette bienfaitrice.

Comprenez-vous la puissance de ce remède, ô mes bien-aimés ? Appliquons-le donc, tous tant que nous sommes, à nous-mêmes ; ce n’est pas un remède dispendieux ; quoiqu’il soit d’une si grande efficacité, il coûte peu, on se le procure sans frais ; car la grandeur de l’aumône ne consiste pas dans la valeur de l’argent, dans le prix des richesses, mais dans l’allégresse de la charité qui s’épanche. Voilà pourquoi celui qui donne un verre d’eau froide est agréable au Seigneur ; et, de même, la pauvre femme qui jette dans le tronc deux petites pièces de monnaie. (Mat 10,42. – Luc 21,2) Ces exemples nous, apprennent que c’est, en toutes choses, la pureté de l’intention que demande le Seigneur Dieu de tous les êtres. Il peut se faire que celui qui n’est pas riche, montre une grande libéralité, s’il a dans son cœur une grande charité ; il peut se faire que le riche paraisse moins généreux que le pauvre, si ce riche a une âme sordide. Versons donc, je vous en prie, ce que nous possédons, dans les mains des indigents ; faisons-le, d’une âme charitable et magnifique, avec les dons que nous tenons du Seigneur ; ce que nous avons reçu de lui, rendons-le-lui encore, afin que, de cette manière encore, ces biens redeviennent nôtres, avec plus de profit. Telle est, en effet, la générosité du Seigneur ; quoiqu’il ne reçoive que ce que lui-même nous a donné, il ne croit pas pourtant recevoir de nous ce qui lui appartient en propre ; mais, dans sa grande munificence, il nous promet de tout nous rendre, à là seule condition que nous fassions ce qui dépend de nous ; que nous sachions bien, quand nous donnons aux pauvres, que nous faisons un dépôt dans les mains du Seigneur ; que nous soyons bien assurés que, quels que soient les trésors déposés dans ses mains, non seulement il nous les rendra, mais nous les rendra avec usure, avec un très-grand profit, qui attestera la gloire de son incomparable magnificence. Et que dis-je ? que Dieu nous rendra nos dons avec profit ; non seulement la main divine rend ce qu’on lui donne, mais, à tous ces présents, elle ajoute le don du royaume des cieux, et la gloire partout proclamée, et les couronnes, et des biens qui ne se peuvent compter ; et cela, à la simple condition, pour nous, de prélever, sur tant de bienfaits reçus de Dieu, une toute petite part, que lui offre notre bonne volonté. Y a-t-il donc là une exigence lourde et importune ? De notre superflu, il veut faire, pour nous, le nécessaire ; de ces trésors que nous déposons, sans but sérieux, inutilement dans des coffres d’où ne sort aucun profit, il veut que nous fassions un bon emploi, qui lui permette de nous décerner de splendides couronnes. Car Dieu est impatient, et il nous presse, et il fait tout, et il met tout en œuvre, pourquoi ? Pour nous rendre dignes de toutes ses promesses.

5. Donc, je vous en prie, ne nous privons pas de biens si précieux ; si l’agriculteur diligent, vide ses greniers, confie les semences à la terre, dépense ce qu’il a mis longtemps à recueillir, et fait cette avance avec plaisir, dans l’espérance dé recueillir de plus grands biens, et cela, quoiqu’il n’ignore pas les intempéries des saisons, la stérilité, dont parfois la terre est frappée, un grand nombre d’autres accidents ; les sauterelles infestant les campagnes ; la nielle, tous les fléaux qui, souvent, trompent son attente ; si l’espérance qui le soutient, lui fait braver tout et confier hardiment à la terre ce qu’il a mis en réserve : à bien plus forte raison, nous, qui avons des réserves inutiles, dépensons-les utilement, pour les pauvres, pour nourrir les malheureux ; et cela, puisqu’il n’est pas à craindre que l’espérance nous trompe, ni que la terre, ici, soit stérile. Ne savez-vous pas ce que dit le texte : Il a dispersé, il a donné aux pauvres, (Psa 112,9) Écoutez encore la suite : Sa justice demeure éternellement. O l’admirable semeur ! il a fait, en quelques instants, sa distribution, et c’est dans l’éternité des siècles que sa justice demeure. Qui a jamais vu opération plus heureuse ? Aussi, je vous en conjure, acquérons, nous aussi, la justice qui vient de l’aumône, afin que, de nous aussi, on puisse dire : ils ont dispersé, ils ont donné aux pauvres ; leur justice demeure, éternellement. Quand le texte dit : Il a dispersé, il a donné, vous pourriez croire que ce qui a été dispersé, est perdu ; voilà pourquoi le texte aussitôt ajoute, Sa justice demeure éternellement, c’est-à-dire, par suite de cette, dispersion, il faut qu’une justice demeure, dont rien ne triomphe ; une justice qui s’étende dans toute la durée des siècles, sans jamais rencontrer de fin. Et, avec l’aumône, pratiquons aussi, ardemment, les autres vertus ; réprimons les passions de la chair : bannissons de notre âme toute illégitime concupiscence, toute pensée mauvaise : la colère, la haine, l’envie ; parons, de tous.les ornements, la beauté de notre âme ; par l’éclat de cette beauté, concilions-nous ; l’amour du Dieu du ciel, et puisse-t-il habiter avec nous ! Aussitôt qu’il verra les grâces aimables de notre âme, vite il viendra vers nous ; c’est lui qui fait entendre ces paroles. Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur l’homme, doux et paisible, et humble, qui écouté mes paroles avec tremblement. (Isa 66,2) Voyez-vous comme le prophète nous apprend les couleurs spirituelles qui peuvent rendre éclatante la beauté de l’âme ? Sur l’homme doux, dit-il, et paisible et humble. Ensuite, il ajoute la cause qui produit cet étai : Et qui écoute mes paroles avec tremblement. Que signifie : qui écoute mes paroles avec tremblement ? C’est, l’obéissance, qui réalise dans sa conduite les commandements de Dieu, comme le dit l’Écriture, en un autre endroit : Heureux l’homme qui est toujours dans la crainte, à cause de la piété (Pro 28,14) Nous-mêmes, quand nous voyons un serviteur accomplir nos ordres, avec un soin qu’anime la crainte de nous déplaire, un serviteur tremblant devant nous, nous lui marquons une affection, une sympathie plus grande ; c’est ce qui est bien plus vrai, de la bonté du Seigneur, à notre égard. De là, ces paroles : Je jetterai les yeux sur l’homme doux et paisible et qui écoute mes commandements avec tremblement. Tremblons donc, je vous en conjure, nous aussi ; et, pénétrés d’une grande crainte, accomplissons ses paroles ; car ses paroles ce sont les préceptes qu’il nous a transmis. Instruits de ce qui lui plaît, de ce qu’il approuve, mettons-nous à l’ouvrage, et appliquons-nous à lui être agréables ; montrons un grand amour de la paix, une grande mansuétude, une grande humilité ; accomplissons tous ses préceptes avec respect et avec crainte, afin qu’il approuve les dispositions de notre âme ; afin que, touché de notre obéissance, il daigne encore jeter les yeux sur nous. Si nous avons ce bonheur, nous jouirons de la parfaite sécurité ; car ces paroles : Je jetterai les yeux, veulent dire, j’entourerai de ma providence, je fendrai la main, je porterai secours, en toutes circonstances, j’épancherai l’abondance de ma libéralité. Pratiquons donc, en toutes choses, cette conduite, je vous en conjure, afin que le Seigneur jette les yeux sur nous ; afin que nous passions sans tristesse la vie présente, et que nous puissions posséder les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur. Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. PORTELETTE.

CINQUANTE-SIXIÈME HOMÉLIE.

Et Jacob dit à Laban ; « Donnez-moi ma femme, car les jours sont accomplis où je dois être admis auprès d’elle. » (Gen 29,21)

ANALYSE. 1et 2. Explication des versets 20, 28 du chapitre XXIX. Sortie véhémente contre les pompes sataniques en usage dans les noces. – 3. Explication des versets 29, 33. La polygamie autrefois tolérée, ne l’est plus aujourd’hui, pourquoi ? – 4. Explication de la suite du texte jusqu’au verset 13 du chapitre XXX. – 5. Explication des versets 14, 24. – 6. Exhortation. Ne pas rechercher le secours des hommes

1. Hier nous avons passé de l’amour que Jacob montra pour Rachel, à celui que Paul montra pour Jésus-Christ, et considérant l’admirable charité de l’Apôtre, nous avons été comme entraîné par un torrent impétueux, et nous n’avons pas eu la force de reprendre la suite de notre discours. Aujourd’hui donc, s’il vous plaît, reprenant notre marche, nous achèverons ce qui nous reste encore à parcourir, afin que nous puissions recueillir encore de cette homélie un suffisant avantage avant de rentrer dans nos demeures. Lorsque le nombre des sept années fut accompli, et, dit l’Écriture, ce long temps, n’était, aux yeux de que pets de jours, à cause de l’amour qu’il avait pour Rachel, il dit à Laban : Ne me retenez plus ma femme, car les jours sont accomplis où je dois être admis auprès d’elle. Et Laban rassembla tous les hommes de la contrée et célébra les noces. Et le soir étant venu, Laban prit Lia, sa fille, et l’introduisit auprès de Jacob. (Gen 29,20-23)

Avez-vous vu avec quelle gravité l’antiquité célébrait les noces ? Écoutez, vous qui vous laissez éblouir par les pompes de Satan, et qui, par les préludes des noces, en déshonorez le caractère auguste. Y a-t-il là des flûtes, des cymbales, des danses sataniques ? Pourquoi donc, dites-moi, introduisez-vous si vite, dans votre maison, une telle peste ? Pourquoi la transporter chez vous de la scène et de l’orchestre, pour que cette prodigalité intempestive altère la réserve de la jeune fille et rende le jeune homme plus effronté ? On devrait s’estimer heureux que cet âge pût, même en l’absence de ces causes de désordre, résister à la tempête des passions ; mais lorsque tant de choses viennent par la vue et par l’ouïe rendre par l’embrasement plus intense et plus ardente la fournaise des passions, comment l’âme du jeune homme pourrait-elle échapper à sa ruine ? C’est là ce qui perd et détruit tout ; c’est parce que la modestie de ceux qui doivent s’unir est violemment déracinée dès l’origine ; et en effet souvent, dès le premier jour, ce jeune homme a reçu dans son âme un trait satanique ; atteinte par les yeux et les oreilles, la jeune fille a succombé, et à partir de ce jour, les blessures s’accroissent et causent un mal de plus en plus profond. D’abord, en effet, la concorde mutuelle est ruinée, l’amour dépérit. Car lorsque l’époux attache sa pensée à une autre, son esprit se partage, et vaincu par les stratagèmes du démon, il remplira bientôt sa maison de tristesse. Si l’épouse aussi est trouvée coupable d’une faute de même sorte, tout sera pour ainsi dire, ruiné par la base, et désormais, pleins de dissimulation l’un pour l’autre, la femme sera en butte aux soupçons de son mari, le mari aux soupçons de sa femme. Et ceux entre lesquels devait subsister indissoluble le lien de la concorde, ceux qui doivent être une seule chair (car, dit l’Écriture, ils seront deux en une seule chair Gen 2,2), seront divisés comme s’ils étaient séparés par le fer. Le démon, entrant chez eux, y exerce de tels ravages, que des guerres et des combats journaliers s’ensuivent, et que leurs maux ne trouvent aucune trêve. Et qui pourrait exprimer les mépris des serviteurs, le rire des voisins, les indignités qui se produisent. Comme dans la discorde des pilotes, les passagers partagent les périls, et le navire doit sombrer avec tous ceux qu’il porte, de même ici, lorsque l’époux et l’épouse sont en lutte, le reste de la maison doit partager leurs maux. Ces maux, je vous conjure donc de les prévoir, afin de ne pas vous laisser conduire par la coutume ; car je sais que beaucoup s’en font une excuse contre nous et ne peuvent supporter nos discours ; mais nous devons pourtant vous dire ce qui est salutaire, pour vous sauver des châtiments à venir. Là où l’âme éprouve un tel dommage pourquoi m’objecter la coutume ? Et moi aussi je vous objecte une coutume meilleure, celle des temps primitifs, où pourtant la vraie religion était moins répandue. Et ne croyez pas que je parle du juste Jacob ; pensez à Laban encore adonné au culte des idoles, ignorant la religion, et qui cependant montre une telle sagesse. Cette louable conduite, en effet, n’est pas celle du futur époux, mais du père qui lui donne sa fille. Aussi en abordant ce discours, ai-je voulu m’adresser moins aux époux qu’aux parents, au père de l’époux et à celui qui lui donne sa fille. N’est-il pas absurde que nous, chrétiens, objets d’une telle bonté de la part de Dieu, nous, appelés à des mystères redoutables et ineffables, nous soyons au-dessous de Laban, qui servait encore les idoles ? N’entendez-vous pas Paul nous dire que le mariage est un mystère et l’image de la charité que le Christ a témoignée à son Église ? Ne nous dégradons pas nous-mêmes et ne flétrissons pas la dignité du mariage. Si mon conseil est bon et utile, fût-il contraire à la coutume, suivez-le ; si ce que vous pratiquez est nuisible et désastreux, fût-ce la coutume, qu’il disparaisse. Si nous cédions à l’autorité de la coutume, le voleur, le plus infâme débauché, celui qui fait profession d’un vice quelconque nous alléguerait cette autorité. Mais l’on n’en tirera nul avantage et l’on n’obtiendra nulle indulgence ; on sera sévèrement repris de n’avoir pas su s’élever au-dessus d’une coutume perverse.

2. Si nous voulons veiller sur nous-mêmes et nous préoccuper grandement de notre salut, nous saurons nous tenir éloignés des mauvaises coutumes et en acquérir de bonnes. Nous léguerons ainsi à ceux qui nous suivront une grande facilité pour entrer dans la même voie, et nous-mêmes nous recevrons une récompense pour leurs bonnes actions. Car – celui qui ouvre l’entrée de la bonne voie sera la cause du bien accompli par d’autres, et il recevra double récompense pour le bien qu’il aura fait lui-même et pour avoir conduit les autres à la pratique de la vertu. Ne m’opposez pas ces froids et ridicules discours, que telle est la loi du monde et qu’il faut la suivre. Ce n’est point la ce qui fait un mariage légitime ; ce qui le fait, c’est de s’unir, conformément aux lois divines, avec modestie et dignité ; c’est de se tenir attachés 'par la concorde. Les lois humaines ne l’ignorent pas ; écoutez ceux qui sont versés dans cette science vous dire que c’est la communauté habituelle de vie qui constitue le mariage. Ne violons donc pas à la fois les lois de Dieu et celles des hommes ; ne leur préférons pas ces lois diaboliques et cette coutume funeste ; car cette loi a pour auteur celui qui se réjouit toujours de notre perte. Quoi de plus ridicule que cette coutume de soumettre le mari et sa femme aux quolibets, aux railleries sans fin de serviteurs et de misérables, sans que personne les reprenne, mais de donner pleine licence à chacun, durant la soirée des noces, de tout dire et d’accabler d’indécentes plaisanteries les nouveaux époux ? Un autre jour, si quelqu’un tentait de les injurier, il y aurait pour lui des tribunaux, des prisons, des jugements ; mais dans un moment où la pudeur, la décence, la pureté devraient surtout être respectées, c’est alors que l’impudeur règne partout ; ce, sont bien les ruses du démon qui ont produit cette coutume. Mais ne vous offensez pas, je vous en conjure. Ce n’est pas sans motif que j’ai fait cette digression, c’est par zèle pour votre salut, et pour la décence ; je veux que vous soyez les auteurs d’une heureuse révolution, les introducteurs d’une noble coutume, Que l’on donne seulement l’impulsion et que la voie soit ouverte ; peu à peu, l’un étant noblement et louablement jaloux de l’autre, vous deviendrez l’objet des éloges de chacun, et non seulement les habitants de la ville imiteront cette heureuse nouveauté, mais vous attirerez à votre suite ceux qui habitent au loin, vous leur inspirerez le zèle de vous imiter, et vous obtiendrez de Dieu de nombreuses couronnes, parce que, par la crainte et l’obéissance à ses commandements, vous aurez triomphé de cette coutume satanique. Oui, vous embrasserez avec ardeur ce conseil que je vous donne et vous le mettrez en pratique, j’en ai la ferme conviction. Quand en effet je vous vois écouter avec tant de plaisir mes paroles, je conjecture, d’après vos applaudissements et vos louanges, que vous poursuivrez une réforme effective. Je n’en dirai pas sur ce point davantage et je reprends mon sujet. Et le soir étant venu, Laban prit Lia sa fille et l’introduisit auprès de Jacob.

Ne passons pas non plus légèrement sur ces paroles ; elles nous enseignent plusieurs choses : d’abord la bonne foi de et comment, étranger à toute malice, il fut lésé par Laban ; puis, que tout se passa avec une grande décence, sans flambeaux, ni chœurs de danse, ni luxe de lumière, en sorte que la ruse de Laban put réussir. On y peut aussi reconnaître l’attachement de Laban pour Jacob ; car il machina cette ruse pour retenir ce juste plus longtemps auprès de lui. Sachant qu’il brûlait pour Rachel et que, s’il obtenait l’objet de ses vœux, il ne consentirait pas à servir ensuite pour Lia et à demeurer pour ce motif auprès de lui, Laban, qui considérait la vertu de cet homme et comprenait qu’il ne réussirait pas autrement à le dominer et à le persuader, employa la ruse et lui donna Lia, avec Zelpha pour servante. Lorsque le juste lui fit ensuite des reproches et lui demanda pourquoi il l’avait trompé ainsi, il lui donna une excuse spécieuse. Car Jacob lui ayant dit : Pourquoi m’avez-vous fait cela ? n’est-ce pas pour Rachel que je vous ai servi ? pourquoi m’avez-vous trompé? (29,25) Que lui répondit Laban ? Ce n’est pas la règle dans cette contrée de marier la cadette avant l’aînée. Accomplissez donc aussi sept années pour elle, et je vous la donnerai pour récompense des travaux que vous aurez encore accomplis pendant sept ans. (26-27) Vous le voyez, sa ruse lui réussit. Voyant l’amour de Jacob pour cette jeune fille, il lui dit : Ne pensez pas que je vous aie fait tort. C’est, dans notre pays, la coutume de marier d’abord l’aînée ; c’est pourquoi la chose s’est passée ainsi. Vous obtiendrez celle que vous souhaitez, si vous me servez pour elle le même nombre d’années. Le juste ayant entendu ce langage accepta tout de bon cœur, et, après ces sept années
Il semble que l’orateur ait été trompé par sa mémoire, lorsqu’il dit que Laban ne donna Rachel à Jacob qu’après les sept autres années de service. Le texte hébreu, la Vulgate et les Septante, portent que Rachel fut donnée pour épouse à Jacob sept jours après sa sœur Lia, à la condition qu’il servirait son beau-père pendant encore sept ans.
, Laban lui donna sa fille Rachel pour femme
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3. Vous voyez que, là encore, les noces s’accomplissent avec une parfaite convenance. Ne vous troublez pas si vous entendez qu’il reçut l’aînée, puis la cadette, et ne jugez pas ce qui se passait alors par ce qui a lieu aujourd’hui. Alors, en effet, à l’origine du monde, il était toléré d’avoir deux ou trois épouses et même davantage, afin de multiplier le genre humain ; mais maintenant, depuis que, par la grâce de Dieu, il s’est multiplié, la vertu aussi a reçu sa croissance. Le Christ est venu ; il a implanté la vertu parmi les hommes ; il les a faits, en quelque sorte, d’hommes devenir anges, et il a aboli cette ancienne coutume. Voyez-vous maintenant qu’il ne faut pas objecter une coutume ancienne, mais chercher en tout ce qui est salutaire ? Vous le voyez, on abolit une coutume fâcheuse : il n’est plus permis de l’objecter. Ne vous obstinez donc jamais, je vous en conjure, à suivre une coutume, mais cherchez ce qui est salutaire et ne nuit point à vos âmes ; que ce qui est honnête se pratique parmi vous, quand ce ne serait pas la coutume ; et s’il y a quelque chose de funeste, fût-ce un usage, il faut s’en détourner et le fuir.

Et il donna à Jacob Rachel avec Balla pour servante. Vous avez compris cette sublime simplicité de mœurs ? Point de troupeaux d’esclaves : point de codicilles, ni de contrats, point de ces ridicules précautions : si telle chose arrive, si telle chose se produit. Chez nous, avant même d’être unis, ceux qui ne savent pas s’ils vivront seulement jusqu’au soir, se hâtent de consigner par écrit ce qui devra se faire dans un avenir éloigné : si le conjoint meurt sans enfants, s’il meurt ayant des enfants, et autres stipulations semblables. Rien de pareil ici : le père a marié ses filles, en donnant une servante à chacune.

Or dit l’Écriture, Jacob aimait Rachel plus que Lia, et il servit Laban sept années encore. Parce que dès l’abord il l’avait aimée à cause de sa beauté et parce qu’il avait eu de la peine à obtenir l’objet de ses souhaits, il l’aima plus que Lia, car l’Écriture parle de sa beauté qui avait excité l’amour de Jacob. Considérez maintenant ici l’ineffable bonté du souverain Maître, et comment il accomplit peu à peu ce qu’il a promis. Celui qui avait dit : je serai avec toi et te garderai dans tout ton voyage (Gen 28,15), et encore : je l’augmenterai et je te multiplierai, c’est lui qui a gouverné tout cela. Et afin de l’apprendre, écoutez la divine Écriture elle-même, qui nous ledit clairement : Le Seigneur Dieu, voyant que Jacob avait de l’aversion pour Lia, ouvrit son sein, tandis que Rachel demeurait stérile. Lia conçut, et enfanta un fils à Jacob. (31-32) Considérez la sagesse de l’action divine. Parce que l’une attirait par sa beauté l’amour de son époux et que celle qui en était privée paraissait l’objet de son aversion, Dieu rend féconde celle-ci et stérile sa sueur, gouvernant tout par sa bonté, afin que Lia eût quelque consolation, par les enfants qui naissaient d’elle, attirant ainsi l’amour de son mari, et afin que Rachel ne s’élevât pas contre sa sueur, à cause de sa beauté et de ses attraits. Dieu ouvrit son sein. Apprenez de là, mon bien-aimé, que l’Auteur de toutes choses les gouverne toutes ; qu’il donne seul la fécondité, qui ne peut se produire sans le secours d’en haut. L’Écriture dit que Dieu ouvrit son sein, afin que nous sachions que le Maître souverain voulut lui donner la fécondité pour adoucir son chagrin, car c’est lui qui forme l’enfant dans le sein de sa mère, c’est lui qui donne la vie : comme David l’exprime en disant : Vous m’avez accueilli dès le ventre de ma mère. (Psa 139,13) Et considérez comment la divine Écriture vous montre l’Auteur de la nature produisant à la fois deux effets de sa puissance, ouvrant le sein de Lia et tenant fermé celui de Rachel. Car maître de la nature, il fait tout avec bonté.

Lia conçut et enfanta un fils à et elle l’appela Ruben, en disant : Parce que le Seigneur a regardé mon abaissement, mon mari m’aimera désormais. Considérez la reconnaissance de cette femme. Le souverain Maître, dit-elle, a regardé mon abaissement et m’a donné un fils, afin que je puisse être aimée à cause de lui. Et considérez aussi comment ce Dieu bon est jaloux de sa gloire, et comment il est libéral et magnifique, voulant à la fois accroître la race du juste et faire que Lia soit aimée de Jacob plus qu’elle ne l’était. Elle conçut de nouveau et donna un second fils à et dit : le Seigneur a entendu que je ne suis pas aimée et il m’a donné un autre fils, et elle l’appela Siméon. Examinez comment elle rend grâce à Dieu pour chacun de ses enfants et se montre reconnaissante de ses bienfaits le Seigneur, dit-elle, a entendu que je ne suis pas aimée et il m’a donné un autre fils. Et c’est pour cela qu’elle l’appela Siméon.

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