‏ Genesis 37

SOIXANTE-UNIÈME HOMÉLIE.

« Voici quelle était la famille de Jacob ; Joseph étant âgé de dix-sept ans, paissait les troupeaux avec ses frères. » (Gen 37,2)

ANALYSE.

  • 1. Explication des versets 2-4 du chapitre XXXVII. Que l’envie est un grand mal. Caïn le premier homicide par envie. – 2. Explication des versets 5-14. – 3. Explication des versets 14-26. Joseph figure du Christ. On ne peut empêcher l’accomplissement des prédictions divines. – 4. Explication des versets 25-35. Joseph toujours sous la main de Dieu qui le garde. – Exhortation.

1. Je veux, aujourd’hui encore, vous introduire à la table accoutumée, reprendre la suite de mon discours, et vous offrir ce banquet spirituel en partant des paroles qui viennent d’être lues. Elles peuvent en effet vous apprendre à tous combien l’envie est un fléau terrible et à quel degré de violence peut monter cette passion funeste en s’attaquant même aux plus proches parents. Mais pour procéder avec ordre, il faut nous attacher d’abord aux premiers mots du verset que je vous ai lu. Voici, dit l’Écriture, quelle était la famille de Jacob. Voyez comment le saint prophète, après avoir promis de nous raconter la généalogie de revient aussitôt à l’histoire du fils de celui-ci. Il dit d’abord : Voici quelle était la famille de Jacob ; puis il néglige d’énumérer par ordre les enfants qui sont nés de lui, et les enfants de ses enfants (comme il l’avait fait pour Esaü), et il passe aussitôt à Joseph, le plus jeune, presque, des fils de et dit : Joseph, étant âgé de dix-sept ans, paissait les troupeaux avec ses frères. Pourquoi nous indique-t-il le nombre d’années ? C’est afin que vous appreniez que la jeunesse n’est pas un obstacle à la vertu ; et afin que vous connaissiez clairement quelle était l’obéissance de cet enfant envers son père, son amitié pour ses frères, et quelle fut la cruauté de ces derniers ; enfin c’est pour que vous sachiez que, malgré les sentiments dont il était animé à leur égard, malgré son âge qui aurait dû leur inspirer de la compassion, ils n’ont voulu conserver aucune amitié pour lui, et que, dès le principe, ils se sont laissé emporter par la jalousie, en voyant la tendance de cet enfant vers la vertu, et la bienveillance que leur père lui témoignait. Ils accusèrent Joseph d’une action criminelle devant Israël, leur père
Tel est le sens que donne le texte des Septante ; dans l’Hébreu et dans les autres versions on lit au contraire que ce fut Joseph qui accusa ses frères d’une action criminelle.
. Voyez comme ils poussèrent la méchanceté à son comble : ils essayent de détruire l’affection, de Jacob pour son fils, et ils inventent des calomnies contre leur frère, mais ils ne réussissent qu’à rendre leur jalousie plus évidente. Et vous reconnaîtrez qu’ils n’ont recueilli d’autre fruit que de répandre la lumière sur leurs secrets desseins. Si vous considérez comme ce père s’attache plus étroitement encore à son fils, même après cette calomnie, et comment il le préfère à tous : Or Jacob, dit l’Écriture, aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu’il était l’enfant de sa vieillesse. Et il lui fit une robe de diverses couleurs. Que signifient ces paroles : Il aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu’il était l’enfant de sa vieillesse ? Comme il lui était né le dernier, à l’époque de sa vieillesse, il le chérissait plus que tous les autres. En effet les enfants que l’on engendre dans la vieillesse semblent plus dignes d’amour, et obtiennent de leur père une affection plus vive. Mais ce n’était pas là le seul motif de l’amour que Jacob lui témoignait et de la préférence qu’il avait pour lui : car la sainte Écriture nous apprend qu’un autre fils lui naquit encore après Joseph ; et si son affection avait suivi l’ordre de la nature, c’est sur ce dernier qu’il l’aurait reportée tout entière, puisqu’il était vraiment l’enfant de sa vieillesse et qu’il avait été mis au monde au moment où ce juste était déjà parvenu à un très-grand âge. Quel motif devons-nous donc ajouter ? C’est qu’une grâce presque céleste rendait cet enfant cher à son père, et le poussait à le préférer aux autres à cause de sa vertu ; et l’Écriture nous dit que Jacob le chérissait ainsi, parce qu’il était l’enfant de sa vieillesse, dans la crainte d’augmenter la jalousie de ses frères.

C’est là une terrible passion, et, lorsqu’elle s’est emparée de notre âme, elle ne la quitte pas, avant de l’avoir poussée jusqu’au dernier égarement ; elle déchire l’âme où elle a pris naissance, et produit sur le personnage, objet de notre jalousie, des effets contraires à ceux que nous attendions, en le rendant plus célèbre, plus : illustre et plus éclatant, ce, qui est pour l’envieux une nouvelle et, profonde blessure. Considérez en effet comment cet enfant, vraiment digne de notre admiration, sans connaître aucun des faits qui s’étaient passés, se conduit avec ses frères que les mêmes entrailles ont nourris ; il montre une pleine confiance en eux et il leur parle avec une entière franchise ; ceux-ci au contraire, dominés par la passion de l’envie, sont remplis de haine pour lui : Ses frères, dit l’Écriture, voyant que leur père l’aimait plus qu’eux tous, le haïssaient, et ne pouvaient lui parler sans aigreur. Voyez de quelle haine ils poursuivent cet enfant qui ne leur a fait aucun tort : Et ils ne pouvaient, dit l’Écriture, lui parler sans aigreur. Pourquoi ne pouvaient-ils lui parler sans aigreur ? C’est que cette passion s’était rendue maîtresse de leur cœur, et que la haine s’y développait chaque jour : elle les avait pour ainsi dire domptés et les tenait sous sa puissance : aussi se conduisaient-ils avec lui d’une manière hypocrite, et ne pouvaient-ils lui parler sans aigreur. L’Écriture nous indique la source de leur haine c’est la jalousie qui lui a donné naissance. Ses frères, nous dit l’Écriture, voyaient que leur père l’aimait plus qu’eux tous. L’amitié que Jacob avait pour Joseph, excita contre lui la jalousie de ses frères ; mais c’était sa vertu qui lui avait concilié la bienveillance de son père. Ainsi lorsqu’ils auraient dû chercher à égaler Joseph et à imiter sa conduite, pour obtenir de leur côté l’amitié de leur père, non seulement ils n’ont pas même eu cette pensée, mais ils ont tous témoigné leur haine à celui qui était l’objet de l’affection de Jacob. Devenus ses ennemis, ils nourrissaient dans leur cœur leur secrète passion, ne lui parlaient jamais sans aigreur, et se conduisaient avec lui d’une manière hypocrite ; cet enfant, au contraire, digne de notre admiration, avait toujours pour eux la même amitié, ne soupçonnait rien, avait en eux la confiance qu’on doit accorder à des frères, et faisait tout ce qui était en son pouvoir.

2. C’est cette passion funeste qui, dès le commencement du monde, poussa Caïn à tuer son frère. De même que ceux-ci haïssaient Joseph à cause de l’affection que leur père lui témoignait, étaient devenus ses ennemis, et chaque jour méditaient de le faire périr ; de même Caïn, voyant que les présents de son frère étaient plus agréables à Dieu, forma le projet de le tuer, et il lui dit : Allons dans les champs.

Voyez-vous combien Abel, lui aussi, est loin d’avoir aucun soupçon, quelle confiance il a en son frère, et comment il l’accompagne et se livre lui-même aux coups de sa main criminelle ? Il en est de même de Joseph : cet enfant admirable, ne connaissant pas les mauvais desseins de ses frères, leur parle comme à des frères, et leur raconte les songes par lesquels Dieu lui avait révélé sa future grandeur et en même temps l’assujettissement de ses frères Joseph ayant eu un songe, dit l’Écriture, le récita à ses frères, et leur dit : Écoutez le songe que j’ai eu. Il me semblait que nous liions des gerbes au milieu d’un champ, que ma gerbe se leva et se tint debout, et que vos gerbes l’environnèrent, et se prosternèrent devant ma gerbe. Alors ses frères lui dirent : Régnerais-tu donc sur nous, et serais-tu notre maître ? Et ils le haïrent encore plus ci cause de ses songes et de ses paroles. L’Écriture s’est hâtée de nous apprendre que leur haine contre Joseph s’était déjà manifestée auparavant, afin que nous ne croyions pas que ce songe seul ait donné naissance à leurs dispositions hostiles. Et ils le haïrent encore plus, c’est-à-dire ils nourrirent contre lui une haine et une inimitié beaucoup plus violentes. Voyez à quel degré d’aveuglement ils en sont venus ; ce sont eux-mêmes qui expliquent le songe. Ainsi on ne peut pas dire qu’ils étaient jaloux de leur frère par ignorance de l’avenir ; car quoique ce songe leur eût révélé les événements futurs, leur haine s’accrut encore. O comble de la folie ! Ainsi instruits ils auraient dû plutôt témoigner de la bienveillance envers Joseph, supprimer tout motif de haine, et bannir de leur cœur toute jalousie ; mais leur raison était obscurcie par les ténèbres, ils ne comprirent pas qu’ils agissaient contre leurs propres intérêts, et ils furent enflammés d’une haine encore plus vive. – Pourquoi, ô malheureux, ô misérables, montrez-vous une si grande jalousie, pourquoi ne songez-vous pas aux liens du sang et ne reconnaissez-vous pas que l’explication de ce songe fait éclater la bienveillance de Dieu à l’égard de Joseph ? Ne croyez pas qu’il soit possible de renverser les décrets de Dieu. Vous avez vous-mêmes interprété ce songe ; eh bien ! il s’accomplira dans peu de temps, quand même vous voudriez y apporter mille obstacles. Car le Dieu de l’univers est habile et sage ; et quand il veut prouver l’étendue de son pouvoir, il permet souvent que l’on arrête par de nombreux obstacles l’exécution de ses desseins, afin que leur accomplissement fasse éclater toute la grandeur de sa puissance. Mais tel est l’envieux : sa passion ne lui permet pas de faire aucune de ces réflexions, elle le tient, pour ainsi dire, sous le joug ; et il agit même contre son propre salut.

Ainsi le récit de ce songe augmenta leur haine ; quant à Joseph, cet enfant admirable, il eut un autre songe et le raconta en ces termes, non seulement à ses frères, mais encore à Jacob : Il me semblait que le soleil et la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi. Son père le reprit et lui dit : Que signifie ce songe que tu as eu ? Faudra-t-il que nous venions, moi, ta mère et tes frères nous prosterner en terre devant toi ? Et ses frères eurent de l’envie contre lui, mais son père retint ses discours. Jacob reprit Joseph, parce qu’il connaissait l’envie que ses autres fils portaient à cet enfant ; puis, il expliqua lui-même le songe, et devinant que cette révélation venait de Dieu, il retint ses discours. Mais telle ne fut pas la conduite de ses fils. Qu’arriva-t-il ? Ils le haïrent encore davantage. Quelle est votre folie ? Pourquoi vous conduisez – vous comme des insensés ? Ne comprenez-vous pas que ce second songe ne lui a été envoyé, ni sans motif, ni par un effet du hasard ? C’était pour que vous appreniez que ces événements s’accompliraient entièrement, pour que vous mettiez un terme à vos projets sanguinaires, en considérant que vous tentiez l’impossible. Vous auriez donc dû songer aux liens de la nature, montrer des sentiments vraiment fraternels et regarder comme vôtre l’illustration future de votre frère. Mais puisque cette pensée ne vous est pas venue à l’esprit, il eût été naturel de considérer que la querelle n’était plus entre vous et Joseph, mais entre vous et le Maître de toutes choses, qui lui avait déjà révélé l’avenir. Mais ceux-ci, comme je me suis hâté de le dire, sans respecter les liens du sang, sans réfléchir que la protection d’en haut entourait Joseph, donnaient chaque jour de nouveaux aliments à leur haine et allumaient dans leur cœur cette flamme secrète, tandis que, ni leur père, ni leur jeune frère ne soupçonnaient rien de semblable et ne pensaient pas qu’ils se laisseraient aller à un si grand égarement. Aussi, comme ses frères étaient allés faire paître les troupeaux, Jacob dit à Joseph : Tes frères ne paissent-ils pas les troupeaux à Sichem ? Viens que je t’envoie vers eux. Et il lui répondit : Me voici. Voyez-vous quelle est l’affection de ce père pour ses fils, quelle est l’obéissance de cet enfant ? Et Israël lui dit : Va maintenant, vois si tes frères et les troupeaux se portent bien et rapporte-moi ce qui se passe.
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