‏ Genesis 38

SOIXANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.

« Et Juda vit la fille d’un Chananéen qui s’appelait Sava ; et il la prit et vint vers elle ; et elle conçut et enfanta un fils que l’on nomma Er. » (Gen 38,2-3)

ANALYSE.

  • 1. histoire de Thamar. 2 Thamar justifiée. Juda s’accuse lui-même. Naissance de Pharès et de Zara : figure des destinées de l’église
  • 3. Retour à l’histoire de Joseph. Joseph chez Putiphar. Sa prospérité.
  • 4. Passion et tentative criminelle de la femme de Putiphar.
  • 5. Joseph calomnié, jeté en prison : que la grâce de Dieu ne l’abandonne pas néanmoins. Conclusion morale.

1. L’histoire de Joseph nous a montré suffisamment combien l’envie est un fléau terrible, et comment cette passion funeste ronge le cœur où elle a pris naissance. Vous avez vu comment, sous l’empire de, cette passion, les frères de Joseph ont oublié les liens du sang, quelle barbarie et quelle cruauté ils ont exercée envers celui qui ne leur avait fait aucun mal ; mais ils n’ont réussi qu’à mettre au jour leur perversité, et le dommage qu’ils ont causé à leur frère n’a pas été aussi grand que la honte dont ils se sont couverts. Car quoiqu’ils l’aient vendu ides barbares, et ceux-ci au chef des cuisiniers de Pharaon, cependant comme Joseph était favorisé en toute circonstance de la protection divine, tout lui semblait léger et facile à supporter. Je voulais m’attacher aujourd’hui encore à la même histoire, et faire sur ce sujet une instruction ; mais je rencontre sur ma route un autre récit qu’il ne serait pas juste de passer sous silence ; nous l’approfondirons, autant que possible, puis nous reprendrons nos entretiens sur Joseph. Quel est donc ce récit qui interrompt notre marche ? Il traite de Juda. Celui-ci ayant pris pour femme Sava, fille d’un chananéen, et ayant eu d’elle trois enfants, donna, dit l’Écriture, à Er, son premier-né, une femme nommée Thamar. Mais celui-ci fut méchant aux yeux de l’Éternel, et l’Éternel le fit mourir. Alors Juda engagea Onan à épouser la femme de son frère, afin de lui procurer une postérité. C’était la loi qui l’ordonnait : si quelqu’un mourait sans enfant, son frère devait épouser la veuve et lui donner une postérité. Mais Onan, lui aussi, fut méchant aux yeux de Dieu, qui le fit mourir. Juda fut frappé de terreur en voyant que ses deux fils lui avaient été enlevés si rapidement : alors, pour consoler Thamar, il lui promit de lui donner son autre fils, mais il ne tint pas sa parole, dans la crainte que ce dernier ne subît aussi le même sort que ses frères. Cependant Thamar se repaissait d’un vain espoir, et demeurait, dit l’Écriture, dans la maison de son père, attendant que son beau-père exécutât sa promesse ; quand elle vit que Juda ne voulait pas remplir ses engagements, elle n’en ressentit aucune indignation, mais elle ne supporta pas l’idée de prendre un autre époux, et elle se résigna au veuvage, attendant un moment favorable ; car elle désirait vivement avoir des enfants de son beau-père. Or, quand elle apprit que sa belle-mère était morte, et que Juda venait à Thamna, pour tondre ses brebis, elle résolut d’avoir recours à la ruse pour s’unir à son beau-père ; elle désirait avoir de lui des enfants, non par libertinage, à Dieu ne plaise, mais pour ne pas être regardée comme une femme sans nom : d’ailleurs c’était l’ordre de la Providence ; et c’est pourquoi ses desseins furent accomplis. Elle quitta ses habits de veuvage, se couvrit d’un voile, s’enveloppa et s’assit auprès des portes. Puis la sainte Écriture, comme pour la justifier, ajoute : car elle voyait que, quoique Sélom fût devenu grand, elle ne lui avait point été donnée pour femme : c’est pour ce motif qu’elle eut recours à une pareille ruse. Juda la prenant pour une prostituée (car elle s’était voilée le visage, afin de ne pas être reconnue), se détourna vers elle. Celle-ci lui dit : Que me donneras-tu ? Judas promit de lui envoyer un chevreau de son troupeau. Elle répondit : Pourvu que tu me donnes des gages, jusqu’à ce que tu me l’envoies. Et il lui donna sa bague, son collier et son bâton ; il vint vers elle, et elle conçut de lui. (Gen 37,14-18)

Qu’aucun de ceux qui entendent ce récit, ne condamne Thamar ; car, comme je me suis hâté de le dire, elle servait les desseins de la Providence, et c’est pour ce motif qu’elle ne mérite aucun blâme et qu’aucune accusation ne doit peser sur Juda. En effet, si vous partez de là en suivant l’ordre des temps, vous trouverez que le Christ descend des enfants issus de cette union ; d’ailleurs les deux fils qui lui naquirent étaient la figure des deux peuples, et la révélation de la vie judaïque et de la vie spirituelle. Mais voyons comment Juda, quelque temps après son départ, et au moment où la vérité fut connue, comment, dis-je, il se condamne lui-même et absout Thamar de toute accusation. Lorsqu’elle eut exécuté son dessein, elle changea de nouveau de vêtements, dit l’Écriture, s’en alla et revint dans sa maison. Juda, qui n’était nullement au courant de ces faits, accomplit sa promesse et envoya le chevreau, pour reprendre les gages qu’il avait donnés : mais l’esclave ne trouva cette femme nulle part, et il revint, annonçant à Juda qu’il n’avait pu la rencontrer dans aucun endroit. A cette nouvelle, Juda s’écria : Pourvu que jamais nous ne soyons accusé d’ingratitude. C’est qu’il ne connaissait pas la vérité. Mais quand, trois mois après, la grossesse de Thamar annonça son prochain enfantement, et comme personne ne savait son union furtive avec son beau-père, on vint annoncer, dit l’Écriture, à Juda, qu’elle portait dans son sein le fruit de ses débauches. Alors il dit : conduisez-la dehors et qu’elle soit brûlée. Grande était son indignation, terrible était le châtiment, parce qu’à ses yeux la faute était de la plus haute gravité. Que fit donc Thamar ? Elle renvoya les gages qu’elle avait reçus, en disant:J’ai conçu de l’homme à qui appartiennent ces choses. (Id 24-25).

2. Remarquez comment, tout en gardant le silence, elle produit des témoins dignes de foi, qui parleront en sa faveur, et pourront la mettre à l’abri de toute accusation. Comme elle avait besoin de trois témoins, elle qui était sous le coup d’une pareille accusation, elle envoya, comme preuve éclatante de son innocence, les trois espèces de gages qu’elle avait reçus, l’anneau, le collier et le bâton, et, quoiqu’elle fût restée à la maison, quoiqu’elle eût conservé le silence, elle remporta la victoire. Juda les reconnut et dit : elle est justifiée plutôt que moi ; c’est parce que je ne l’ai pas donnée à Sélom, mon fils. Que signifient ces paroles : Elle est justifiée plutôt que moi ? Il veut dire ; c’est elle qui est innocente, et moi, je me condamne moi-même, je me dénonce, sans que personne m’accuse ; que dis-je ? ces gages que j’ai donnés ne sont-ils pas contre moi une preuve suffisante ? Puis, pour justifier de nouveau Thamar, il dit : C’est parce que je ne l’ai pas donnée à Sélom, mon fils. S’il s’accuse ainsi, c’est sans doute pour le motif que je vais vous dire. En effet, Juda croyait que Thamar avait causé la mort à Er et à Onan, et dans cette crainte, il ne la donna pas à Sélom, quoiqu’il le lui eût promis ; par là il devait connaître qu’elle n’était pas la cause de leur mort, mais qu’ils avaient reçu le châtiment de leur perversité (car c’est Dieu, dit l’Écriture, qui a fait périr le premier, et, en parlant du second, elle ajoute : c’est Dieu qui lui a donné la mort) ; aussi Judas s’unit-il à son insu à sa belle-fille, et, par ce fait, il apprend que ce n’est pas elle, mais leurs propres vices qui leur ont mérité ce châtiment ; alors il reconnut sa faute, déclara que Thamar était innocente, et il ne continua plus dit l’Écriture, à la connaître. Il prouvait ainsi qu’il n’aurait jamais eu commerce avec elle, s’il l’avait reconnue. Après nous avoir raconté, en détail, la ruse à laquelle Thamar eut recours, la sainte Écriture nous apprend ensuite quels sont les enfants qu’elle mit au monde. Lorsqu’elle fut sur le point d’accoucher, dit l’Écriture, il se trouva qu’elle avait deux jumeaux dans son sein. Et lorsqu’elle enfanta, l’un présenta la main ; la sage-femme la prit et y attacha un fil d’écarlate, en disant : celui-ci est sorti le premier. Remarquez ici, je vous prie, comme les événements futurs nous sont enseignés et révélés sous le voile du mystère. Car, après que la sage-femme eût attaché un fil d’écarlate à la main du premier-né, pour qu’on pût le reconnaître, alors il retira sa main, et son frère sortit. Il céda le pas à son frère, et celui qu’on regardait comme le second, naquit le premier ; le premier au contraire ne vint au monde que le dernier. Alors la sage-femme dit : Pourquoi la haie a-t-elle été séparée d cause de toi ? Et elle l’appela Pharès. Ce nom signifie séparation, et, pour ainsi dire, partage. Ensuite sortit son frère qui avait le fil d’écarlate sur la main droite, et elle l’appela Zara, ce qui signifie Orient.

Et que ces choses n’arrivèrent point par hasard, qu’elles étaient une image des événements futurs, c’est ce que prouvent les faits eux-mêmes. Ce qui se passa n’est point, en effet, dans l’ordre de la nature. Comment expliquer que, la main une fois liée avec le fil de pourpre, l’enfant se soit écarté pour livrer passage à son frère, sans l’intervention de la puissance divine, qui opéra ce miracle, et montra dans une sorte d’esquisse Zara ou l’Orient (c’est-à-dire l’Église) apparaissant d’abord, puis se retirant après s’être montré un instant, pour laisser l’observation de la Loi personnifiée en Pharès se manifester à son tour et dominer longtemps ; puis le retour de celui qui s’était écarté d’abord, je veux dire de Zara, refoulant de nouveau devant l’Église toute la constitution judaïque. Mais peut-être est-il nécessaire de revenir sur ce sujet en termes plus clairs et plus précis. – D’abord parurent, semblables à Zara avançant la main, Noé et Abraham, ou plutôt avant Noé Abel et Enoch, lesquels furent les premiers qui se préoccupèrent spécialement de plaire à Dieu. – Ensuite lorsque leur multiplication eut accumulé sur leur race de nombreux fardeaux de péchés, comme une petite consolation leur était nécessaire, la loi leur fut donnée, comme une esquisse de l’avenir ; la loi, qui sans effacer les péchés, les signalait du moins, les leur rendait manifestes, de telle sorte que, pareils aux petits enfants à la mamelle, ils pussent arriver sans encombre à la fleur dé l’âge. Ce bienfait fut perdu ; en dépit de la loi qui leur révélait l’énormité du péché, ils recommençaient à s’y plonger de nouveau ; alors le Maître commun descendit ici-bas pour octroyer aux hommes cette spirituelle et parfaite constitution, dont Zara avait été la figure. Voilà pourquoi l’Évangéliste lui-même fait mention de Thamar et de ses enfants, en disant : Et Juda eut Pharès et Zara de Thamar.

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