‏ Genesis 40

SOIXANTE-TROISIÈME HOMÉLIE.

« Et le gouverneur de la prison ne savait rien de ce qui se passait, grâce à Joseph. » (Gen 39,23)

ANALYSE.

  • 1. Joseph encore en faveur ; sa bonté. Interprétation du grand-échanson.
  • 2. Modération de Joseph. Songe du grand panetier. Le grand-échanson oublie Joseph.
  • 3. Songe de Pharaon. Il mande Joseph : comment éclate la sagesse de celui-ci.
  • 4. Élévation de Joseph, son mérite au-dessus de son âge.
  • 5. Exhortation à la patience.

1. Nous voulons nous acquitter aujourd’hui envers votre charité de ce que nous laisse à dire notre conférence d’hier, et revenir encore sur l’histoire de Joseph. Vous savez qu’hier nous avons été arrêtés en chemin par la fatigue d’un long discours, et que nous en sommes restés au moment où le chef de la maison du roi, abusé parla calomnie de l’Égyptienne, met Joseph en prison. Il nous faut donc aujourd’hui faire connaître à votre charité ce qui arriva au juste dans sa prison. Jeté au fond d’un cachot, remis aux mains d’un geôlier, la faveur divine ne l’abandonna point dans son infortune, et alla jusqu’à persuader à ce geôlier de lui donner une autorité absolue sur la prison. Et le gouverneur de la prison ne savait rien de ce qui se passait, grâce à Joseph. Voyez-vous, comment au fort des tribulations, il ne sentait point ses peines, comment la sagesse toute-puissante de Dieu transformait tout ce qui aurait pu l’affliger. De même que la perle, plongée au fond d’un fumier, conserve toute sa beauté, de même la vertu, en quelque endroit qu’on la relègue, brille d’un éclat qui lui est propre, fût-ce dans l’esclavage, fût-ce en prison, dans les afflictions comme au sein du repos. Après que Joseph mis en prison se fut concilié la bienveillance du gouverneur, et qu’il eut reçu de lui une autorité absolue sur la prison tout entière, voyons comment il manifesta la grâce qui l’assistait. Il advint après cela. (chap. 40) Après quoi ? Après les événements qui avaient suivi la dénonciation, après la condamnation qui avait fait emprisonner Joseph ; ce n’est pas tout : après que le Seigneur eut montré qu’il était avec lui, après que le gouverneur lui eut remis entre les mains la direction suprême de la prison. Il arriva donc après cela (après qu’il eut été jeté en prison), que le grand échanson et le grand panetier, ayant commis une faute, furent condamnés par le roi à la prison : et le gouverneur de la prison les ayant reçus, les mit en rapport avec Joseph. (1-4) En effet, Joseph n’était plus pour lui un prisonnier, mais un confident, bien plus, un homme capable d’alléger les souffrances des malheureux captifs. Et Joseph les assista. Qu’est-ce à dire, les assista ? Cela veut dire qu’il les consolait, qu’il fortifiait leur âme, leur rendait le courage, ne les laissait pas se consumer dans le chagrin. Ils furent beaucoup de jours en prison, et ils eurent tous deux un songe dans la même nuit, le grand échanson comme le grand panetier. Mais cet admirable Joseph, dans sa sollicitude à les consoler, les voyant inquiets et troublés à cause des songes qui leur étaient apparus, leur dit : Pourquoi vos visages sont-ils sombres aujourd’hui ?

En effet leur physionomie trahissait leur agitation intérieure : d’où cette parole d’un sage : Quand le cœur est en joie, le visage est en fleur ; quand le cœur est en peine, le visage est sombre. (Pro 15,13). Donc, les voyant fort tristes à la suite de ces visions, il les interrogeait, afin de savoir la cause de leur affliction. Remarquez comment, même en prison, il déployait ses vertus, et s’efforçait d’alléger les peines d’autrui. Mais eux, que répondent-ils ? Nous avons eu un songe, et nous n’avons personne pour nous l’expliquer. (Id. 8) Ils ignoraient la sagesse de celui qui leur parlait : ils le considéraient comme un homme ordinaire : voilà pourquoi, au lieu de raconter ce qu’ils ont vu, ils se bornent à dire qu’ils ont eu un songe, en ajoutant : Nous n’avons personne pour nous l’expliquer. Mais cet homme admirable leur dit : N’est-ce pas à Dieu qu’il appartient de donner l’interprétation des songes ? Racontez-moi donc ce que vous avez vu. Est-ce que j’offre de vous l’expliquer par mes propres lumières ? C’est Dieu qui est l’interprète. – Racontez-moi ce que vous avez vu. Considérez cette prudence, cette humilité profonde. Il ne dit pas : Je vais vous l’expliquer, je vais vous dire ce que ces songes vous annoncent. Il dit : Racontez-les-moi. Dieu est le seul interprète en pareille matière. Et le grand-échanson lui rapporta ce qu’il avait vu. Et Joseph lui dit : Voilà l’interprétation de ton songe. Les trois provins de la vigne marquent trois jours, après lesquels Pharaon se souviendra du service que tu lui rendais. Il te rétablira dans ta première charge, et tu lui présenteras à boire, selon que tu avais accoutumé de le faire auparavant dans le rang que tu tenais. Mais souviens-toi de moi, quand ce bonheur te sera arrivé, prends-moi en pitié, parle dé moi à Pharaon, et tire-moi de ce cachot. Parce que j’ai été enlevé par fraude du pays des Hébreux, et que je n’ai rien fait pour être précipité dans ce souterrain. (Id 9,12-15) Après lui avoir prédit les heureux événements qui devaient lui arriver, et sa rentrée en grâce auprès du roi, il ajoute : Souviens-toi de moi, lorsque tu auras recouvré ta prospérité ; plaide la cause de celui qui t’a fait cette prédiction, et tu me prouveras ainsi ta compassion.

2. Ne va pas sur ces paroles, mon cher auditeur, accuser ce juste de pusillanimité : bien au contraire, il faut t’étonner du courage, de la résignation avec laquelle il supportait une captivité si pénible. En effet, quelque autorité que lui eût conférée le gouverneur, il ne souffrait pas moins d’être enfermé, et de vivre parmi des hommes sales et déguenillés. Cela même est une nouvelle marque de sa philosophie, qu’il ait tout enduré avec courage, ne cessant de montrer une profonde humilité. – Prends-moi en pitié, parle de moi à Pharaon, et tire-moi de ce cachot. Veuillez observer comment il ne dit pas un mot de cette abominable femme, comment il s’abstient d’accuser son maître, de dénoncer la cruauté de ses frères à son égard, il jette un voile sur tout cela et se borne à dire : Souviens-toi de moi, et fais-moi tirer de ce cachot : Parce que j’ai été enlevé par fraude du pays des Hébreux et que je n’ai rien fait pour être précipité dans ce souterrain. Gardons-nous de passer légèrement là-dessus : considérons la sagesse de cette âme ; admirons comment Joseph, trouvant une pareille occasion, et sachant que le grand-échanson, une fois revenu aux jours de sa prospérité pourrait révéler au roi toute son histoire, éviter d’accuser l’Égyptienne, je le répète, de faire intervenir dans son récit ni son maître, ni ses frères : il ne dit pas pour quel motif il a été condamné à la prison, il ne s’attache pas à montrer l’injustice qui lui a été faite : il s’applique à une seule chose, non point à faire leur procès à ces personnes, mais à plaider sa propre cause. D’abord en ce qui concerne ses frères, il emploie cette expression vague : J’ai été enlevé de la terre des Hébreux. Il ne mentionne pas davantage la conduite de l’impudique Égyptienne, non plus que l’injuste colère de son maître contre lui ; il se borne à dire : Je n’ai rien fait pour être précipité dans ce souterrain. Que cela nous apprenne, au cas où il nous arriverait d’être persécutés par de pareils scélérats, à ne pas les poursuivre de nos injures, à ne pas nous répandre contre eux en amères accusations, à nous contenter enfin d’établir doucement et tranquillement notre innocence, à l’exemple de ce grand homme, qui, même dans l’infortune, ne voulut pas divulguer dans une simple conversation l’impudicité de l’Égyptienne. Combien ne voit-on pas de gens, qui même en butte à de justes griefs, entreprennent, dans leur extrême effronterie, de prêter aux autres leurs propres méfaits ! et Joseph, qui était plus pur que la lumière du soleil, Joseph, dont toutes les accusations auraient été des vérités, Joseph, qui en dénonçant la fureur de l’impudique, n’aurait fait qu’ajouter à sa propre gloire, Joseph, sur tous ces points, garde le silence. En effet, ce n’est pas la gloire humaine qu’il recherchait : il se contentait de la faveur d’en haut : il voulait seulement que l’œil toujours ouvert ne trouvât rien de blâmable dans sa conduite. Voilà pourquoi, en dépit de son silence, de ses efforts pour tenir tout caché, le bon Dieu le couvrit d’une si grande gloire après qu’il eut vu sa vaillance dans le combat. Maintenant observons dans ce qui suivit la résignation de ce juste ; comment les retards ne purent l’aigrir ni le décourager ; comment, dans sa patience à tout supporter, il ne cessait pas de bénir le Seigneur qui permettait toutes ces choses. – Lorsque le grand panetier eut entendu l’explication donnée par Joseph, pensant que sa vision, à lui, annonçait pareillement quelque chose d’heureux, il en tait à son tour le récit. Mais Joseph, après l’avoir écouté, instruit également parla révélation d’en haut du sens de cette nouvelle vision, lui prédit la mort qui l’attend, en ces termes : Encore trois jours, et Pharaon te coupera la tête, et t’attachera à une croix ; et les oiseaux du ciel dévoreront ta chair. (23) Voilà pourquoi je vous ai prévenus tout d’abord que les prédictions ne venaient pas de moi, mais d’une révélation divine : c’était afin que vous n’eussiez pas l’idée de m’attribuer soit le bien soit le mal que pourraient annoncer vos songes. Ce n’est point ma pensée que j’exprime : je ne fais que vous manifester ce que m’a fait connaître la grâce d’en haut. Mais au jour fixé, les paroles de Joseph furent réalisées, et tous deux eurent le sort qu’il leur avait annoncé : l’un retrouva sa félicité première, l’autre fut livré au supplice. Mais le grand-échanson (celui qui avait été si bien consolé par notre juste) ne se souvint pas de Joseph, et l’oublia. (Id 23) – Voyez ce juste rejeté, pour ainsi dire, dans l’arène ; voyez-le déployer encore son courage accoutumé, sans éprouver aucune défaillance, aucun trouble, aucune impatience. Un autre, un homme ordinaire, se serait dit sans doute : Eh quoi ! Le grand-échanson, conformément à l’interprétation que j’ai donnée de son rêve, recouvre si promptement sa félicité première, et il ne garde pas souvenir de moi, de ma prédiction ! Et tandis qu’il est délivré de tous ses maux, moi qui suis innocent, je reste enfermé ici avec des assassins, des voleurs sacrilèges, des brigands, des hommes chargés de crimes. Il ne dit, ne pensa rien de pareil : il savait que, si la carrière des épreuves s’allongeait devant lui, c’était pour que, après l’avoir fournie complètement, il ceignît son front d’une éclatante couronne.

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