‏ Genesis 42

SOIXANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.

« Mais Joseph s’éloigna de la présence de Pharaon, et parcourut toute la terre d’Égypte : et la terre donna des gerbes dans les sept années de fertilité : et il recueillit autant de blé qu’il y a de sable dans la mer. »

ANALYSE.

  • 1. Prévoyance de Joseph. Départ des fils de Jacob pour l’Égypte.
  • 2. Ils sont emprisonnés : leurs remords.
  • 3. Leurs accusations mutuelles : ils partent, laissant Siméon.
  • 4. Hésitation de Jacob à laisser partir Benjamin. Bon accueil fait par Joseph à ses frères.
  • 5. La coupe retrouvée : stupeur des frères : leur affection pour Benjamin.
  • 6. Instances de Juda : Joseph se fait reconnaître. Il envoie chercher son père.

1. Voulez-vous qu’aujourd’hui encore, nous examinions l’histoire de Joseph, et que nous voyions par duels moyens cet homme incomparable, devenu maître de l’Égypte entière, soulagea tout le monde, grâce à l’intelligence qui était en lui ? Il s’éloigna, dit l’Écriture, de la présence de Pharaon, et parcourut toute la terre d’Égypte ; et la terre donna des gerbes dans les sept années de fertilité : et il recueillit autant de blé qu’il y a de sable dans la mer. Ainsi, après avoir reçu du roi pleine autorité, il recueillit les fruits de la terre, et les mit en dépôt dans les villes, afin de soulager, à l’aide de ces ressources, la détresse future. Vous savez maintenant comment ce juste fut récompensé, même ici-bas, de sa patience, de sa résignation, de toutes ses vertus, en quittant une prison pour le palais d’un roi. (Id 50) Or, il lui naquit deux fils avant la venue des années de disette. (Id 51) Il donna au premier le nom de Manassé : parce que, disait-il, Dieu m’a fait oublier toutes mes peines et celles de mon père. Admirez sa piété : par le nom qu’il donna à son enfant il consacra le souvenir de tout ce qui s’était passé, afin de témoigner constamment sa reconnaissance, et afin que l’enfant qui lui était né n’eût qu’à réfléchir sur son nom, pour être instruit des tentations et de la patience qui avaient fait parvenir le juste à un pareil degré d’élévation. Parce qu’il m’a fait oublier toutes mes peines et celles de mon père. Qu’est-ce à dire, Toutes mes peines ? Il me semble qu’ici il fait allusion à sa première et à sa seconde servitude, ainsi qu’aux souffrances de sa captivité. Et toutes celles de mon père : c’est à savoir, la séparation qui l’avait arraché des bras de son père, lorsque, dans l’âge le plus tendre, cet enfant, élevé avec tant de sollicitude, fut jeté de la liberté dans l’esclavage. (Id 52) Et il donna au second le nom d’Ephraïm, parce que, disait-il, Dieu m’a élevé dans le pays de mon abaissement. Vous le voyez : ce nouveau nom lui est encore dicté par la reconnaissance. C’est comme s’il disait : non seulement j’ai oublié mes peines, mais encore j’ai été élevé aux honneurs, dans le pays où j’avais enduré une si profonde humiliation, où j’avais été en butte aux plus extrêmes périls, et en danger de perdre la vie. Mais il faut maintenant écouter la suite. Après les sept années d’abondance, arrivèrent tout à coup les années de disette, ainsi que Joseph l’avait prédit. Car les événements ne firent que démontrer à tous la sagesse du juste, et incliner tous les fronts devant lui. Et, malgré l’extrême disette, il empêcha tout d’abord qu’aucune détresse ne se fît sentir. (Id 54) Car il y avait du pain dans toute l’Égypte. Mais quand la gêne augmenta, le peuple fit entendre ses plaintes à Pharaon, incapable qu’il était de tenir bon plus longtemps : la faim les força de recourir au roi. Remarquez maintenant la reconnaissance de ce monarque. (Id 55) Mais Pharaon dit aux Égyptiens Allez vers Joseph et faites ce qu’il vous dira. C’est à peu près comme s’il eût dit : Pourquoi tenir vos yeux attachés sur moi ? Ne voyez-vous pas que je ne suis roi qu’en apparence, que c’est Joseph qui vous a tous sauvés ? D’où vient donc que vous le laissez pour accourir auprès de moi ? Allez vers lui,et faites ce qu’il vous dira. (Id 56) Joseph ouvrit les greniers et il vendait le blé aux Égyptiens. Et comme la famine faisait partout sentir ses rigueurs : Toutes les contrées, dit-il, sont venues acheter du blé en Égypte : car la faim régnait sur toute la terre. Voyez comment, peu à peu, les songes de Joseph commencent à se réaliser. Les ravages de la famine s’étaient étendus jusque sur la terre de Chanaan, où habitait Jacob père de Joseph. Jacob donc ayant appris que l’on vendait du blé en Égypte, dit à ses fils Pourquoi vous abandonner à la nonchalance ? (42, 3) Voici que j’apprends qu’il y a du blé en Égypte. Allez-y, afin de nous acheter quelques provisions qui soutiennent notre vie. (Id. 2) Pourquoi restez-vous inactifs, leur dit-il ? Allez en Égypte et rapportez-nous ce qui est nécessaire pour notre subsistance. Toutes ces choses advinrent, afin que les frères de Joseph servissent au parfait accomplissement de sa vision, afin qu’ils confirmassent par les événements l’interprétation qu’ils avaient faite du songe raconté par Joseph. Les dix frères partirent sans prendre avec eux Benjamin, le frère maternel de Joseph Car son père dit : Je crains qu’il ne lui arrive quelque malheur. Il ménageait cet enfant à cause de son jeune âge. Étant arrivé, ils se prosternèrent devant Joseph, la face contre terre, comme devant le maître de l’Égypte. (Id. 6) Ils agissaient ainsi, ne sachant rien encore. Car le long espace de temps qui s’était écoulé les empêchait de reconnaître leur frère. Il est bien naturel que, parvenu à sa maturité, il eût changé quelque peu d’aspect. Mais, si je ne me trompe, tout avait été arrangé par le Dieu de l’univers, de telle sorte qu’ils ne pussent reconnaître leur frère, ni à son langage, ni à sa figure. En effet, comment auraient-ils pu même concevoir une telle pensée ? Ils croyaient qu’il était esclave chez les Ismaélites, en butte aux souffrances de la servitude chez ce peuple barbare. Bien éloignés par eux-mêmes d’une semblable idée, ils ne reconnurent point Joseph. Mais lui, tout en les voyant, les reconnut : il dissimula pourtant et affecta de se comporter avec eux comme avec des étrangers. Il feignit d’être un étranger pour eux, et leur parla rudement ; il leur dit : D’où venez-vous ? S’il feint une complète ignorance, c’est afin d’être informé de tout avec exactitude : car il désirait avoir des nouvelles de son père et de son frère.

2. Et d’abord il s’enquiert du pays d’où ils viennent : ils répondent qu’ils viennent de Chanaan pour acheter des vivres. La détresse causée par la faim, disent-ils, nous a fait entreprendre ce voyage : et voilà pourquoi nous avons tout laissé pour venir ici : Et Joseph se ressouvint des songes qu’il avait eus.(Id. 9) Se rappelant ces songes, et les voyant se réaliser, il voulait être bien informé de tout. Voilà pourquoi il leur répond tout d’abord avec beaucoup de dureté : Vous êtes des espions, leur dit-il, et vous êtes venus pour reconnaître les passages de la contrée. Ce n’est pas dans de bonnes intentions que vous êtes venus. Vous devez avoir entrepris ce voyage dans quelque dessein perfide et criminel. – Les autres, tout effrayés, répondent : Non, Seigneur. (10) Et voici que d’eux-mêmes ils apprennent à Joseph ce qu’il voulait savoir : Tes serviteurs sont venus pour acheter des vivres. Nous sommes tous fils du même père, nous sommes pacifiques, tes serviteurs ne sont pas des espions. (Id 11) Jusqu’ici ils se bornent à se justifier tout troublés par la crainte, ils n’ont pas encore dit ce que Joseph brûle de savoir. Aussi persiste-t-il dans son dire : Non, vous êtes venus pour reconnaître les passages de la contrée. (Id 12) Vous avez beau me parler ainsi : je vois assez, en vous considérant, que c’est un mauvais dessein qui vous a conduits ici. Alors pressés par la nécessité, et voulant toucher son cœur, ils disent à Joseph : Tes serviteurs sont douze frères. (Id 13) O leurre des paroles ! ils comprennent dans le nombre celui qu’ils ont vendu aux marchands : ils ne disent pas : Nous étions douze, mais : Nous sommes douze frères : Et le plus jeune est avec notre père. Et voilà justement ce qu’il voulait savoir, s’ils n’avaient pas fait subir le même sort à son frère qu’à lui-même. Le plus jeune est avec notre père : et l’autre n’est plus au monde. Ils n’indiquent point clairement la raison, ils disent simplement : Il n’est plus au monde. Alors venant à craindre qu’ils n’eussent traité Benjamin comme lui-même, il reprend : Ce que j’ai dit est la vérité, vous estes des espions. (Id 14) Vous ne sortirez pas d’ici que votre jeune frère ne soit venu. (Id 15) C’est lui que je veux voir : je brûle de considérer celui qui est sorti du même sein que moi : car je soupçonne, d’après votre conduite envers moi, vos sentiments fraternels. Ainsi donc, si vous le voulez : Dépêchez un d’entre vous, et amenez-le (Id 16) ; quant à vous, restez en prison, jusqu’à son arrivée. Sa présence me fera voir la vérité de vos rapports, et vous affranchira de tout soupçon. Sinon, il sera évident que vous êtes des espions, et que tel est le motif de votre venue. A ces mots, il les fit mettre en prison. (Id 17) – Voyez-vous comment il les éprouve, comment sa conduite envers eux témoigne de sa tendresse pour son frère ? Mais au bout de trois jours, les ayant appelés, il leur dit : Faites ce que je vais vous dire, et vous vivrez : car je crains Dieu. (Id 18) Si vous êtes des hommes de paix, qu’un d’entre vous reste détenu dans la prison : que les autres partent, emportent le blé qu’ils auront acheté (Id 19), et me ramènent leur jeune frère : et j’ajouterai foi à vos paroles : autrement, vous mourrez.

Considérez son intelligence ; voulant à la fois montrer son amour pour aces hommes, soulager la détresse de son père et savoir au sujet de son frère la vérité, il fait retenir un des fils de et prescrit aux autres de partir. Mais voyez agir maintenant l’incorruptible juge, la conscience des coupables qui se soulève, et les contraint, sans que personne les accuse ou les mande en justice, de devenir leurs propres accusateurs. (Id 21) Et ils se disaient l’un à l’autre : C’est justement parce que nous avons péché contre notre père, que nous n’avons pas été émus par la douleur de son âme lorsqu’il implorait notre pitié, que nous ne l’avons pas écouté, c’est pour cela que nous sommes tombés dans celle affliction. Voilà ce que c’est que le péché ; lorsqu’il est commis, réalisé, il révèle sa propre énormité. Un homme ivre, tant qu’il boit coup sur coup, n’a aucun sentiment des maux qu’engendre l’ivresse ; c’est plus tard que l’expérience lui fait connaître la grandeur de ce fléau ; il en est ainsi du péché : tant qu’il n’est pas consommé, il aveugle l’esprit et répand d’épaisses ténèbres sur la vue intérieure ; mais ensuite la conscience se soulève comme un accusateur inexorable pour déchirer l’âme et lui dénoncer l’énormité de sa faute. Voici que les fils de Jacob reviennent à eux, et c’est au moment où le plus grand péril est suspendu sur leur tête, qu’ils font l’aveu de leur conduite, et disent : C’est justement, parce que nous avons péché, parce que noirs n’avons pas été émus de la douleur de son âme. Ce n’est pas sans motif que nous sommes ainsi traités, c’est justement, bien justement ; nous sommes punis de l’inhumanité et de la cruauté que nous avons montrées à l’égard de notre frère : Parce que nous n’avons pas été émus de la douleur de son âme, lorsqu’il implorait notre pitié, et que nous ne l’avons pas écouté. C’est parce que nous avons été sans charité, sans humanité, que nous éprouvons le même traitement à notre tour. C’est pour cela que nous sommes tombés dans celle affliction.

3. Ils se parlaient de la sorte entre eux, croyant n’être pas entendus de Joseph. En effet, comme s’il ne les eût pas connus et qu’il eût ignoré leur langue, il avait fait venir un interprète, pour leur transmettre ses paroles et lui expliquer leurs réponses. (Id 22) Or, entendant cela, Ruben leur dit : N’est-il pas vrai que je vous ai dit : Ne faites pas de mal à cet enfant, et que vous ne m’avez pas écouté ? Et voici que Dieu nous redemande son sang. Ne vous ai-je pas conseillé, conjuré alors, de ne commettre aucune iniquité à son égard ? Aussi maintenant Dieu vous redemande son sang. Car, d’intention, vous l’avez tué ; si vous n’avez pas enfoncé le glaive dans sa gorge, vous l’avez vendu à des barbares, vous avez imaginé pour lui une servitude pire que la mort ; voilà pourquoi Dieu vous redemande son sang. Représentez-vous ce que c’est d’être accusé par sa conscience, que d’être en proie perpétuellement aux obsessions de cette voix sévère et formidable qui nous rappelle nos fautes. (Id 23) Et Joseph entendit cela ; mais eux, ils ne s’en doutèrent point, vu qu’il se servait d’un interprète. Mais Joseph ne peut plus se contenir, la force du sang, la tendresse fraternelle le trahissent Et s’étant détourné d’eux, il pleura (Id 24), de manière à n’être point reconnu. Il revint auprès d’eux et leur parla de nouveau. (Ibid 25) Et ils lui livrèrent Siméon qu’il lia devant eux. Vous le voyez : il ne néglige rien pour les jeter dans l’effroi, de telle sorte que voyant Siméon attaché, ils fissent paraître s’ils étaient sensibles à l’amour fraternel. Toute sa conduite avait pour but, en effet, de les éprouver, et de reconnaître s’ils ne s’étaient pas montrés à l’égard de Benjamin tels qu’ils avaient été pour lui-même. Si donc il fait lier Siméon en leur présence, c’est pour les bien éprouver, pour observer s’ils lui témoigneront quelque affection. Car alors, par pitié pour lui, ils se hâteront d’amener Benjamin, et combleront par là les vœux de Joseph. Et il ordonna de remplir leurs sacs de blé, de remettre dans le sac de chacun son argent, et de leur donner des provisions pour la route. (Id 26) Et après avoir chargé leurs ânes, ils partirent. Voyez quelle générosité ! il les oblige malgré eux, en leur rendant leur argent, au lieu de se borner à leur livrer du blé. (Id 27) Or, un d’eux ayant ouvert son sac, afin de donner la nourriture aux ânes, voit l’argent, et annonce la nouvelle à ses frères. Là-dessus leur cœur s’étonna, ils furent troublés et se dirent entre eux : Qu’est-ce que Dieu nous a fait ?

Les voilà de nouveau inquiets, tremblants à l’idée d’un nouveau grief : et accusés en outre par leur conscience, ils imputaient tout à la faute commise sur la personne de Joseph. Quand ils furent revenus auprès de leur père, et qu’ils lui eurent fait un rapport exact de tout ce qui s’était passé, ils lui racontèrent quel courroux avait montré contre eux le gouverneur de l’Égypte, et comment il les avait retenus prisonniers comme espions. Nous lui avons dit que nous étions des hommes de paix, que nous étions douze frères, dont un n’est plus, et le plus jeune avec notre père. Il nous a répondu : Voici comment vous montrerez que vous êtes des hommes de paix : laissez ici un d’entre vous, amenez votre jeune frère, et je connaîtrai que vous n’êtes pas des espions. (Id 32, 33, 34) Ce récit éveilla les douleurs du juste. Tout en faisant ce triste rapport, chacun d’eux vidait son sac : en trouvant leur argent, tous furent saisis de crainte, et leur père avec eux. Mais voyons encore ici l’affliction du vieillard, que leur dit-il ? Vous m’avez ôté mes enfants : Joseph n’est plus, Siméon n’est plus, et vous voulez m’enlever Benjamin ? Tous ces maux sont retombés sur moi. Ainsi ce n’était point assez d’avoir à pleurer Joseph, vous lui avez joint Siméon : et ce, n’est point la fin de mes maux.

Vous voulez encore me prendre Benjamin. Tous ces maux sont retombés sur moi. Ces paroles nous font bien voir l’émotion qui trouble les entrailles de ce père. Depuis longtemps il désespérait au sujet de Joseph, qu’il croyait dévoré par les bêtes féroces, il désespérait désormais de Siméon : et voici qu’il craignait pour Benjamin. Il résiste d’abord, il ne veut pas livrer son enfant. Mais Ruben, l’aîné de ses enfants, lui dit : Tuez mes deux fils, si je ne vous le ramène pas. Remettez-le entre mes mains, et je vous le ramènerai. Confiez-le-moi, je m’en charge, et je vous le rendrai.

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