Genesis 45
6. Ainsi, ce qu’avait craint leur père leur arrivait : les voilà dans le trouble et les angoisses, ne sachant quel parti prendre. Mais Juda s’approcha, et dit. (Id 18) C’est lui, en effet, qui avait reçu Benjamin des mains de son père, lui qui avait dit : Si je ne te le ramène pas, je resterai coupable devant toi tous les jours de ma vie: il s’approche, il raconte avec exactitude tout ce qui s’est passé, afin d’exciter la compassion de Joseph, et de le disposer à laisser partir l’enfant. Juda s’approcha et dit : Je vous en prie, seigneur, laissez parler votre serviteur. Observez comment il ne cesse de lui parler sur le ton d’un esclave qui s’adresse à son maître : et rappelez-vous ces songes des gerbes, qui envenimèrent leur jalousie contre lui : admirez la sagesse et la toute-puissance de Dieu, qui à travers tant d’obstacles, menait tout à réalisation. Laissez parler votre serviteur en votre présence, et ne vous irritez pas contre lui, seigneur. Vous avez interrogé vos serviteurs, disant : Avez-vous un père, un frère ? Et nous avons dit à notre seigneur Nous avons un vieux père et il a un jeune fils, enfant de sa vieillesse ; le frère de celui-ci est mort. Figurez-vous ce que devait éprouver Joseph en entendant ces paroles. Lui seul est resté à sa mère ; et son père l’a pris en grande tendresse. Pourquoi mentent-ils encore ici en disant : Le frère de celui-ci est mort ? ne l’avaient-ils pas vendu aux marchands ? Mais comme ils avaient fait croire à leur père qu’il avait péri et avait été dévoré par les bêtes féroces, comme d’ailleurs ils pensaient qu’il avait dû succomber aux maux de son esclavage chez un peuple barbare, il dit pour ces raisons : Et le frère de celui-ci est mort. Mais, vous avez dit à vos serviteurs : Amenez-moi cet enfant, et j’en prendrai soin. Et vous avez ajouté : Si votre frère ne vient pas avec vous, vous n’aurez pas l’avantage de voir nia face. Or, il est arrivé que, revenus auprès de votre serviteur, notre père, nous lui avons rapporté les paroles de notre seigneur. Alors notre père nous a dit : Remettez-vous en route, achetez-nous quelques provisions. Mais nous lui avons répondu : Nous ne pourrons aller là-bas, si notre frère ne vient pas avec nous. Alors votre serviteur, notre père, il nous dit : Vous savez que ma femme m’a donné deux enfants, l’un s’en est allé loua (le moi, et vous m’avez dit qu’il avait été mangé par les bêtes sauvages. (27, 28) Remarquez comment l’apologie de Juda instruit exactement Joseph de ce qui s’est passé dans sa famille après qu’il a été vendu, du leurre auquel ils ont recouru pour tromper son père, du récit qu’ils lui ont fait à son sujet. Maintenant donc, si vous emmenez encore celui-ci, et qu’il lui arrive une maladie en route, vous conduirez nia vieillesse avec douleur au tombeau. Quand tel est l’attachement de notre père à l’égard de ce jeune enfant, comment pourrons-nous soutenir sa vue, si celui-ci n’est pas avec nous ? Car sa vie dépend de l’âme de celui-ci. Et vos serviteurs conduiront la vieillesse de votre serviteur, notre père, avec douleur au tombeau. En effet, votre serviteur a reçu ce jeune enfant des mains de notre père, en disant : Si je ne le ramène pas auprès de vous, je resterai coupable envers vous tous les jours de ma vie. Voilà les promesses que j’ai faites à mon père, afin de pouvoir vous amener l’enfant, obéir à vos volontés, vous montrer que nous avions parlé sincèrement et qu’il n’y avait eu nul mensonge dans nos discours. Maintenant donc je resterai, esclave pour esclave, serviteur de mon seigneur : quant au jeune enfant, qu’il parte avec nos frères. (Id 33) En effet, comment revenir auprès de mon père, sans avoir l’enfant avec nous ? Que je ne voie pas les maux qui viendront trouver mon père. (Id 24) Ces paroles émurent vivement Joseph, et lui parurent une marque suffisante et de respect filial et d’amour fraternel. Et il ne pouvait plus se contenir, ni supporter la présence des assistants : il fait éloigner tout le monde, et demeuré seul au milieu d’eux (45,1), il pousse un cri avec un sanglot, et se fait reconnaître à ses frères. Et cela fut connu dans tout le royaume, et jusque dans la demeure de Pharaon. (Id. 2) Et il dit à ses frères : Je suis Joseph ! Mon père vit-il encore ? (Id. 3) Je ne puis m’empêcher d’admirer ici, la persévérance de ce bienheureux, comment il put soutenir son rôle jusqu’au bout, ne pas se trahir, mais ce qui m’étonne surtout, c’est que ses frères aient eu la force de rester debout, d’ouvrir encore la bouche, que la vie ne se soit pas envolée d’eux, qu’ils n’aient pas perdu la raison, qu’ils n’aient pas disparu au fond de la terre. Ses frères ne pouvaient lui répondre : car ils étaient troubles. Rien de plus naturel en se rappelant comment ils s’étaient comportés à son égard, ce que lui-même avait été pour eux, en considérant le rang illustre où il était placé, c’est presque pour leur vie qu’ils étaient inquiets. Aussi, voulant les rassurer, il leur dit : Venez près de moi. (Id. 4) Ne reculez point : ne croyez pas que votre conduite à mon égard vienne d’un dessein conçu par vous. Ce n’est pas tant l’ouvrage de votre injustice envers moi, que de la sagesse de Dieu, de son ineffable bonté : il m’a fait venir ici, afin qu’en temps opportun je pusse fournir des vivres et à vous et à tout le pays. Et il dit : Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu pour qu’il fût mené en Égypte. Maintenant donc, ne vous affligez point. (Id. 5) Il ne faut pas que cela vous trouble, que vous vous reprochiez ce qui s’est passé. La providence de Dieu a tout dirigé. Car Dieu m’a envoyé en Égypte pour votre salut. Voici la deuxième année que la famine est sur la terre, et il s’écoulera encore cinq ans durant lesquels il n’y aura ni labourage ni moisson. (Id. 6) Dieu m’a fait venir ici avant vous, afin que vous puissiez avoir des vivres pour subsister. (Id. 7) Par conséquent, ce n’est pas vous qui m’avez fait venir ici, c’est Dieu. (Id. 8) 7. Ainsi, à deux et trois reprises, il cherche à apaiser leurs remords, en leur persuadant qu’ils ne sont pour rien dans sa venue en Égypte, que c’est Dieu qui a fait cela, afin de l’élever au rang glorieux où il est maintenant. C’est Dieu qui m’a envoyé, quia fait de moi comme le père de Pharaon, le maître de toute sa maison, le gouverneur de toute l’Égypte. Voilà le pouvoir que m’a valu cet esclavage, la gloire que m’a procurée cette vente, les honneurs dont cette affliction a été pour moi le principe, l’élévation où m’a porté cette jalousie. – Ce n’est pas assez d’écouter ces paroles : il faut suivre l’exemple qu’elles nous donnent et consoler de la sorte nos persécuteurs, en leur ôtant la responsabilité de nos maux, en subissant tout avec un calme parfait, comme fit cet homme admirable. Vous voilà donc bien convaincus, dit-il, que je ne vous impute point mes infortunes, que je vous décharge de tout grief et attribue tout à Dieu, à Dieu qui a tout conduit afin de m’élever à la gloire où je suis maintenant : Hâtez-vous donc de retourner auprès de mon père et dites-lui : Voici ce que mande ton fils Joseph : Dieu m’a fait maître de toute l’Égypte. Viens auprès de moi, et ne tarde pas (Id. 9) ; et tu habiteras dans la terre de Gessen, et tu seras près de moi ainsi que tes fils, les fils de tes fils, et tes brebis, et tes bœufs et tout ce que tu possèdes (Id 10), et je te nourrirai (car la famine durera cinq ans encore), afin que tu ne périsses point avec tes fils et tous tes biens. (Id 11) Vos yeux voient ainsi que les yeux de mon frère Benjamin, que c’est moi qui vous parle de ma bouche. Rapportez à mon père toute la gloire dont je jouis en Égypte, et tout ce que vous avez vu, et hâtez-vous de l’amener. (12) Après avoir tenu ce langage, les avoir pleinement rassurés, instruits de ce qu’ils devaient dire à.leur père, pressés de le ramener promptement, Il se jeta au cou de Benjamin (ils étaient fils de la même mère), et se mit à pleurer, et Benjamin aussi pleura sur lui, et il embrassa tous ses frères, et pleura sur eux. (Id 14) C’est alors, après une si longue entrevue, après ces larmes, ce conseil donné, qu’ils osent enfin, non sans peine, lui adresser la parole. Après cela ils lui parlèrent. (Id 15) Mais le bruit de cet événement arriva dans la demeure de Pharaon : il s’en réjouit, ainsi que tous ceux de sa maison. (Id 16) Ainsi tout le monde se réjouit de cette reconnaissance de Joseph et de ses frères. Et le roi dit à Joseph : Dis à tes frères : faites ceci : remplissez vos chariots de froment, et partez. (Id 17) Et revenez auprès de moi avec votre père : je vous, ferai part de tous lesbiens d’Égypte. (18) Mais recommande-leur de prendre ici des chars pour leurs femmes et leurs enfants. Le roi même, vous le voyez ; est tout préoccupé du voyage de Jacob. Prenez avec vous votre père, et venez ; et ne laissez rien de ce que vous possédez. Car tous les biens de l’Égypte seront à vous. (19) Ainsi firent les fils d’Israël. Joseph leur donna des chars, selon les instructions du roi. (Id 21) Et il donna deux robes à chacun, à Benjamin trois cents pièces d’or, et cinq robes de rechange (22) ; à son père il envoya pareillement dix ânes portant des richesses d’Égypte, et dix mules chargées de pains pour le voyage. ( 23) Et quand il eut donné toutes ces choses, il congédia ses frères, et ils se mirent en route ; et il leur dit : Ne vous querellez pas et chemin. ( 24) Remarquez cette profonde sagesse. Non content de leur accorder un absolu pardon, et d’oublier leurs fautes, il les exhorte encore à ne pas se quereller en chemin, à ne pas s’adresser de reproches mutuels touchant le passé. Rappelons-nous que naguère, en présence de Joseph, ils se disaient entre eux : C’est justement ; parce que nous avons péché contre Joseph notre frère, et que nous n’avons pas été émus de sa douleur ; et que Ruben se leva alors pour dire : N’est-il pas vrai que je vous ai dit : ne faites pas de mal ci ce jeune enfant, et que vous ne m’avez pas écouté ? à plus forte raison était-il vraisemblable qu’il allait désormais les accuser. Voilà pourquoi Joseph apaise leur cœur, et réprime leur humeur querelleuse en disant : Ne vous querellez pas en chemin : songez que je ne vous ai fait aucun reproche touchant le passé, et ainsi restez en paix les uns avec les autres. Qui pourrait donner assez d’éloges à ce juste qui sut exécuter si amplement toutes les prescriptions de sagesse renfermées dans la nouvelle loi ; qui sut accomplir, et bien au-delà, la recommandation donnée par le Christ aux apôtres : Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent ? (Mat 5,44) C’est peu qu’il ait montré une charité si parfaite à D’égard de ceux qui l’avaient fait mourir autant qu’il avait été en eux : il ne néglige rien pour leur prouver qu’ils n’ont pas eu de tort envers lui. O comble de sagesse ! O bonté surhumaine ! O luxe d’amour divin ! Est-ce que c’est vous, leur dit-il, qui m’avez infligé ce traitement ? C’est la sollicitude de Dieu à mon égard quia permis ces choses, afin de faire aboutir mes songes, et de vous assurer dans ma personne un puissant protecteur. Ainsi donc les tribulations, les épreuves sont un gage de l’infinie providence et sollicitude du Dieu de bonté pour nous. En conséquence, ne demandons point le repos et la sécurité à tout prix : mais soit au sein du repos, soit au milieu des épreuves, ne cessons pas d’envoyer là-haut le tribut de notre gratitude, afin que la vue de notre sagesse rende notre Maître encore plus prodigue pour nous de sa sollicitude, de laquelle puissions-nous tous être favorisés, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.SOIXANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.
« Et ils revinrent d’Égypte, et ils arrivèrent dans le pays de Chanaan auprès de leur père, et ils lui firent leur rapport, disant : Ton fils Joseph est en vie, et il commande à toute la terre d’Égypte. Et Jacob demeura stupéfait, car il ne les croyait pas. » (Gen 45,25-26)ANALYSE.
- 1. Allégresse de Jacob.
- 2. Dieu l’encourage à partir. Sa joie en revoyant Joseph.
- 3. Intelligence de Joseph. La famille de Jacob s’établit en Égypte.
- 4. Comment il sait faire tourner au profit de son maître la détresse publique. Ses égards pour les prêtres. Exemple à suivre, surtout pour des chrétiens.
- 5. Continuation du même sujet. Exhortation à compter sur la Providence.
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