‏ Hebrews 1

COMMENTAIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME SUR L’ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX HÉBREUX, PUBLIÉ APRÈS SA MORT, D’APRÈS SES NOTES, PAR CONSTANTIN, PRÊTRE D’ANTIOCHE.

ARGUMENT

Analyse.

Pourquoi Paul, étant juif, n’a-t-il pas été envoyé vers les juifs. – Pourquoi, à quelle époque et à quelle occasion a-t-il écrit une épître aux Hébreux ? Le bienheureux Paul écrit aux Romains : « Tant que je serai l’apôtre des gentils, j’honorerai mon ministère, en lâchant d’exciter de l’émulation dans ceux qui me sont unis selon la chair », (Rom 11,13-14) ; et ailleurs il dit encore : « Celui qui a agi efficacement dans Pierre, pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi agi efficacement en moi pour me rendre l’apôtre des gentils ». (Gal 2,8) Donc il était l’apôtre des gentils, ce qui résulte des Actes des apôtres où Dieu lui dit : « Va, je vais t’envoyer bien loin chez les gentils ». (Act 22,21) Qu’avait-il – de commun avec les Hébreux ? Pourquoi cette épître qu’il leur adresse, lui surtout qui leur inspirait une haine évidemment prouvée par plusieurs passages ? Écoutez ce que lui dit Jacques : « Tu vois, frère, combien de milliers de juifs ont cru, eh bien ! ils ont tous entendu dire que tu leur prêches l’apostasie de la loi » (21, 20 ; 21) : et bien des questions lui furent souvent adressées à ce sujet.

Pourquoi donc, dira quelqu’un, versé comme il était dans la loi, en disciple élevé aux pieds de Gamaliel, pourquoi transporté comme il était du zèle de cette loi, et capable par conséquent de confondre ses adversaires, n’a-t-il pas été envoyé par Dieu aux juifs ? C’est que toutes ces qualités étaient précisément autant de titres à leur antipathie. Cette antipathie, Dieu la connaissait d’avance ; il savait que Paul ne serait pas accueilli par les juifs. Il lui dit donc : « Va trouver les gentils, car les juifs ne recevront pas le témoignage que tu leur rendras de moi ». (Act 22,18) Il répondit : « Seigneur, ils savent eux-mêmes que c’était moi qui mettais en prison et, qui faisais fouetter dans les synagogues ceux qui croyaient en vous, et que lorsqu’on répandait le sang de votre martyr Étienne, j’étais présent, je consentais à sa mort et je gardais les vêtements de ceux qui le lapidaient ». (Id 19,20) Il veut montrer et prouver par là qu’on ne croira pas à sa parole. Car il en est ainsi : une nation se voit-elle abandonnée par un homme infime et de nulle valeur, cet abandon ne lui fait pas grand-peine. Mais si le transfuge est un homme distingué et brûlant de zèle qui partageait autrefois ses idées, cet abandon est pour la nation entière un chagrin, un tourment, c’est une atteinte gravé portée à ses dogmes. Il y avait encore une chose qui pouvait rendre les juifs incrédules. Pierre et les autres avaient vécu avec le Christ ; ils avaient été témoins de ses prodiges et de ses miracles ; mais, pour Paul, rien de tout cela n’avait eu lieu. C’était un transfuge qui, après avoir été avec les juifs, était tout à coup passé dans notre camp, ce qui avait donné beaucoup de force à notre doctrine. Les autres pouvaient passer pour des témoins complaisants qui rendaient témoignage à un maître bien-aimé qu’ils regrettaient ; mais lorsque Paul témoignait de la résurrection de Jésus-Christ, il était évident qu’il n’écoutait que la voix de la vérité. Aussi voyez-les à l’œuvre : ils le détestent du fond du cœur ; ils excitent contre lui la sédition, ils font tout pour le perdre. Mais, si les juifs incrédules avaient leurs raisons pour lui être hostiles, pourquoi les croyants ne l’aimaient-ils pas ? C’est qu’il était obligé de prêcher aux gentils la religion chrétienne dans toute sa pureté, et, si parfois il se trouvait en Judée, il ne faisait nulle attention au pays où il était. Pierre et ses compagnons prêchaient à Jérusalem, où le zèle de la loi était dans toute sa ferveur ; ils devaient donc permettre l’observation de la loi mais Paul usait d’une grande liberté. Il y avait plus de gentils que de juifs en dehors de. Jérusalem. Ce qui les détachait de la loi, ce qui les portait à s’en affranchir, c’est que Paul prêchait le pur christianisme. De là ces avis adressés à Paul, pour l’engager à respecter la multitude : « Tu vois, mon frère, combien de milliers de juifs ont cru ; eh bien ! ils te haïssent, parce qu’ils ont oui dire que tu prêches aux juifs d’apostasier leur loi ».

Pourquoi donc écrit-il aux juifs, puisqu’il n’est pas chargé de les instruire ? Où leur écrit-il ? A Jérusalem et en Palestine, sel6n moi. Mais comment leur écrit-il ? Comme il baptisait sans en avoir reçu l’ordre. Il dit, en effet (1Co 1,17), qu’il n’a pas reçu mission de baptiser ; non que cela lui fût interdit, mais c’était un surcroît à son œuvre. Et pourquoi n’écrivait-il pas à ceux pour lesquels il eût voulu être anathème ? (Rom 9,3) C’est ce qui lui faisait dire. « Vous savez que notre frère Timothée est en liberté, et, s’il vient bientôt, je viendrai vous voir avec lui ». (Heb 13,23) À cette époque, il n’était pas encore prisonnier. Après deux ans de détention à Rome, il sortit enfin de prison. Puis il partit pour l’Espagne, se rendit ensuite en Judée et vit les Juifs. Ce fut alors qu’il revint à Rome, où il fut mis à mort sous Néron. Cette épître est postérieure à celle à Timothée, où il est dit : « Je suis comme une victime que l’on va immoler » ; et la première fois que j’ai défendu ma cause, nul ne m’a assisté. (2Ti 4,6, 16) Car il a eu bien des luttes à soutenir. Ainsi il écrit aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus les imitateurs des églises de la Judée ». (1Th 2,14) Et s’adressant aux juifs eux-mêmes, il leur dit : « C’est avec joie que vous avez accepté le pillage de vos biens ». (Heb 10,34) Voyez comme il a combattu. Ah ! s’ils traitaient ainsi les apôtres, non seulement en Judée, mais partout où ils les rencontraient, comment auraient-ils traité le reste des fidèles ? Aussi voyez quelle est pour ces fidèles la sollicitude de Paul, lorsqu’il dit : « Je vais prêter mon ministère aux saints de Jérusalem » (Rom 15,25), lorsqu’il exhorte les Corinthiens à la bienfaisance, en disant que les Macédoniens ont déjà contribué (2Co 1,3), en ajoutant que, s’il le faut, il partira, lorsqu’il dit : « Ils nous recommandèrent seulement de nous souvenir des pauvres, de que j’ai eu aussi grand soin de faire ». C’est la même sollicitude qui le guide (Gal 2,10) ; c’est elle encore qui lui dicte ces paroles : « Ils nous donnèrent la main, à Barnabé et à moi, en signe d’union, pour que nous prêchions l’Évangile aux gentils, et eux aux circoncis ». (Id. 9) Il ne parle pas ainsi des pauvres qui étaient là. Mais il veut nous faire participer à l’œuvre de la bienfaisance qui a ces pauvres pour objet. Il n’en est pas, en effet, de la charité comme de la prédication. Nous n’avons pas chargé les uns de faire la charité aux juifs, les autres de la faire aux gentils. Vous voyez cette sollicitude de Paul, qui s’exerce en tous lieux, et c’était justice. Dans les autres pays où les juifs vivaient pêle-mêle avec les gentils, les choses ne se passaient pas comme en Judée. La Judée avait conservé une apparence de liberté ; les Juifs étaient encore autonomes, et n’étaient pas pleinement soumis aux Romains. Quoi d’étonnant s’ils s’arrogeaient le pouvoir le plus tyrannique ? Si dans les villes appartenant aux gentils, comme à Corinthe, ils frappaient le chef de la synagogue, sous les yeux même du proconsul siégeant à son tribunal, que ne devaient-ils pas faire en Judée ?

2. Vous voyez comme dans ces villes, les juifs traînent les apôtres devant les magistrats, en réclamant contre eux l’assistance des gentils. Chez eux, ils n’agissent pas ainsi, ils convoquent un conseil et punissent ceux qu’il leur plaît. C’est ainsi qu’ils ont fait périr Étienne, c’est ainsi qu’ils ont fait subir aux apôtres le supplice du fouet, sans consulter les magistrats ; c’est ainsi qu’ils auraient fait périr Paul, sans l’intervention d’un tribun. Quand ils se livraient à de pareils excès, l’autorité des pontifes subsistait encore, le temple était debout ; ils avaient conservé leur culte et leurs sacrifices. Voyez Paul au tribunal du grand prêtre. « Je ne savais pas que c’était le grand prêtre », dit-il (Act 23,5) ; et cela se passait devant un magistrat romain, tant les Juifs prenaient de licence 1 Voyez quel était à cette époque le malheur des fidèles qui habitaient Jérusalem et le reste de la Judée ! Quoi d’étonnant alors, si l’homme qui voulait être anathème pour les incrédules, et qui s’inquiétait si fort des nouveaux convertis, si l’homme qui consentait à partir au besoin, pour leur venir en aide, daigne leur écrire pour les consoler et pour relever leur courage ? Leurs forces et leurs cœurs succombaient sous le poids de leurs tribulations. C’est ce que montre évidemment la fin de cette épître : « Relevez donc », leur dit saint Paul, « vos mains languissantes et vos genoux affaiblis ». (Heb 12,12) Et il dit aussi : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas » ; et plus bas : « Si vous n’êtes point châtiés, quand tous les autres l’ont été, vous êtes donc des bâtards et non des fils légitimes ». (Id 10,37, et XII, 8) En leur qualité de juifs, ils avaient appris de leurs frères qu’ils devaient s’attendre à rencontrer sous leurs pas lesbiens et les maux, et que la vie était ainsi faite. Maintenant tout leur était contraire. Les biens n’étaient pour eux que des espérances qui devaient se réaliser après leur mort ; les maux, ils les touchaient du doigt, et l’excès de leurs souffrances était bien capable de les abattre.

Voilà pourquoi Paul s’étend sur ce chapitre. Mais nous développerons ce sujet en son lieu ; pour le moment nous nous bornerons à montrer qu’il devait nécessairement écrire à des hommes dont le sort lui causait tant d’inquiétude. Quoiqu’il ne leur ait pas été envoyé pour les motifs que nous connaissons, rien ne l’empêchait de leur écrire. C’est à leur abattement qu’il fait allusion par ces mots : « Relevez vos mains languissantes, vos genoux qui fléchissent, et marchez dans la droite voie » ; et il leur dit en outre : « Dieu n’est pas injuste pour oublier vos œuvres et votre charité ». (Id 22,12 ; 13, et VI, 10) Car l’âme ébranlée par des tentations fréquentes, est sujette à sortir du giron de la foi. De là ces exhortations de Paul qui cherche à les raffermir et à les garantir de l’incrédulité. Voilà pourquoi, dans cette épître surtout, il s’étend sur le chapitre de la foi, et leur montre enfin par de nombreux exemples, que leurs pères aussi n’ont pas vu se réaliser ces promesses d’un bonheur immédiat : Puis, afin que dans leur malheur ils ne se crussent point tout à fait abandonnés de Dieu, il les instruit de deux manières. Il les engage d’abord à supporter toutes les tribulations avec courage, ensuite à espérer une palme assurée ; car Dieu ne laissera pas sans récompense Abel et les justes qui lui ont succédé. Puis il leur offre trois sortes de consolations : c’est la passion du Christ qu’il leur offre pour exemple ; le serviteur ne doit pas être mieux traité que le maître ; ce sont les prix que Dieu propose à ceux qui croient en lui : c’est enfin la nature même des tribulations auxquelles ils sont en proie. Pour affermir leurs cœurs, il invoque non seulement l’avenir qui aurait pu ne pas faire assez d’impression sur eux, mais le passé et l’histoire des malheurs de leurs pères. Et c’est ainsi ce que fait le Christ, lorsqu’il déclare que l’esclave n’est pas plus grand que le maître, lorsqu’il affirme qu’il y a plus d’une place auprès de son père, lorsqu’il ne cesse de crier : Malheur aux incrédules !

L’apôtre fait souvent mention de l’Ancien et du Nouveau Testament, parce qu’il remarquait que c’était là un puissant moyen pour les faire croire à la résurrection. Pour que la passion de Notre-Seigneur ne jette aucun doute sur sa résurrection, il entasse autour de ce dogme les témoignages des prophètes, et apprend à ses auditeurs que c’est notre religion et non celle des juifs qu’il faut vénérer. C’est que le temple était encore debout avec ses sacrifices, et voilà ce qui lui fait dire : « Sortons du camp, en portant l’ignominie de sa croix ». (Heb 13,13) Ici des contradicteurs pouvaient lui dire : Si tout cela est ombre et symbole, pourquoi toutes ces ombres ne passent-elles pas, pourquoi ne s’effacent-elles pas aux rayons de la vérité qui se lève ? Pourquoi l’ancien état de choses est-il toujours florissant ? Il leur fait donc entendre que ce qui n’est point encore arrivé, arrivera en temps et lieu. Il leur fait voir enfin qu’autrefois déjà, et pendant longtemps, ils avaient persévéré dans la foi, au milieu des tribulations. Depuis le temps qu’on vous instruit, leur dit-il, vous devriez déjà être maîtres. – Que nul d’entre vous ne laisse pénétrer dans son cœur le poison de l’infidélité. – « Vous vous êtes rendus les imitateurs de ceux qui, par leur foi et parleur patience, sont devenus les héritiers des promesses ». (Id 5,12 ; 3, 12 ; 6, 12)

HOMÉLIE PREMIÈRE.

DIEU AYANT PARLÉ AUTREFOIS A NOS PÈRES EN DIVERS TEMPS ET EN DIVERSES MANIÈRES PAR LES PROPHÈTES, NOUS A ENFIN PARLÉ, EN CES DERNIERS JOURS, PAR SON PROPRE FILS, QU’IL A FAIT HÉRITIER DE TOUTES CHOSES, ET PAR QUI IL A MÊME CRÉÉ LES SIÈCLES. (I, 1, 2)

Analyse.

  • 1. Éloge de saint Paul. – Il est plus grand que les prophètes. – Grandeur du Fils de Dieu 2. Paul réfute les ariens. – Degrés de la grandeur du Christ.
  • 3. Exhortation à la vertu. – Ce qu’on fait à son prochain, on le fait à Dieu.
  • 4. La médisance, l’envie, l’avarice, la colère retombent sur ceux qui s’en rendent coupables. – Peines de l’enfer. – Exhortation à l’aumône. – Explication de ces paroles de l’Évangile : Facite vobis amicos ex mamona iniquitatis.

1. Oui, partout où abondent les péchés, on voit surabonder la grâce. (Rom 5,20) C’est ce que fait entendre le bienheureux Paul, eh commençant son épître aux Hébreux. Naturellement, les tortures, les persécutions auxquelles ils avaient été en butte de la part des méchants, devaient les rabaisser à leurs propres yeux, au-dessous des autres. Paul leur montre donc que ces persécuteurs mêmes leur ont fait obtenir une grâce surabondante. Au début même de son discours, il éveille l’attention de ses auditeurs, auxquels il dit : « Dieu ayant parlé autrefois à nos pères en divers temps et en diverses manières par les prophètes, nous a enfin parlé, en ces derniers jours, par son propre Fils ».

Pourquoi Paul ne s’est-il pas comparé aux prophètes ? Il les surpassait de toute la grandeur de sa mission. Mais il n’en fait rien et pourquoi ? C’est qu’il ne voulait pas se glorifier ; c’est que ses auditeurs n’étaient point parfaits ; c’est qu’il voulait les relever davantage à leurs propres yeux, et leur montrer leur supériorité : C’est comme s’il disait : Quelle faveur si grande Dieu a-t-il fait à nos pères, en leur envoyant les prophètes ? Il nous a envoyé à nous son Fils unique. Ces belles paroles : « En divers temps et en diverses manières », montrent que les prophètes eux-mêmes n’ont pas vu Dieu, tandis que le Fils de Dieu l’a vu. « J’ai », dit le Très-Haut, « multiplié les visions, et entre les mains des prophètes j’ai pris diverses figures ». (Ose 12,10) Nous avons donc sur nos pères deux avantages : Dieu leur a envoyé les prophètes tandis qu’il nous a envoyé son Fils ; les prophètes n’ont pas vu Dieu, et le Fils de Dieu l’a vu. Cette vérité, il ne l’expose pas tout d’abord ; il la prouve par ce qui suit, en disant, à propos de l’humanité : « Dieu a-t-il jamais dit à quelqu’un de ses anges : « Tu es mon fils ? » et. « Assieds-toi à ma droite (5, 13) ? » Voyez ici l’habileté de l’orateur. Il commence par citer les prophètes, pour montrer notre supériorité. Puis, quand il a bien établi ce fait qui doit être tenu pour constant, il déclare que Dieu a parlé à nos pères, par la bouche des prophètes, et à nous, par la bouche de son Fils unique ; et s’il leur a parlé par la bouche des anges (car les anges aussi se sont entretenus avec les juifs), notre supériorité est encore ici la même. Nous avons eu affaire au maître ; ils n’ont eu affaire qu’aux serviteurs. Car les anges, aussi bien que les prophètes, sont les serviteurs de Dieu.

C’est avec raison qu’il dit : « Dans ces derniers temps ». De telles paroles les relèvent et les consolent dans leur accablement. Et ailleurs : « Le Seigneur est proche, soyez sans inquiétude » (Phi 4,6) ; puis encore : « Maintenant notre salut est plus proche que, lorsque, nous avons cru ». C’est encore ainsi, qu’il procède en repassage. Que dit-il donc ? Il dit que l’athlète qui s’est consumé, qui s’est épuisé dans la lutte, dès qu’il apprend la fin du combat, commence à respirer, envoyant arriver le terme de ses fatigues, et le commencement du repos.

« En ces derniers jours, il nous a parlé en son Fils ». Voici cette parole qui revient. « Par » son Fils, répète-t-il, pour confondre ceux qui veulent que cela s’applique à l’Esprit-Saint. Ici, « en » signifie « par », comme vous voyez. Ces mots, « dans ces derniers temps », ont encore un autre sens. Lequel ? Le voici. Il y avait longtemps que nous devions être châtiés, que les grâces nous avaient abandonnés, que nous avions perdu tout espoir de salut, que nous nous attendions à voir fondre sur nous de toutes parts un déluge de maux. C’est alors que Dieu nous a donné davantage. Mais voyez les précautions oratoires de Paul. Il ne dit pas : Le Christ a parlé, quoique le Christ eut parlé en effet. Mais ses auditeurs étaient faibles d’esprit, et ne pouvaient encore entendre ce qui se rapportait au Christ. Il leur dit donc ; « Il nous a parlé en son Fils ». Que dis-tu là, Paul ? Dieu nous a parlé par son Fils ! Oui sans doute.

Mais où donc est la supériorité ? Car tu as démontré que l’Ancien et le Nouveau Testament sont d’un seul et même auteur ; la supériorité de celui-ci n’est donc pas grande. Voilà pourquoi il poursuit, et il s’explique en ces termes : « Et il nous a parlé en son Fils ». Voyez comme Paul se met en cause et sur la même ligne que ses disciples, en disant : Il « nous » a parlé. Pourtant ce n’est pas à lui qu’il a parlé, c’est aux apôtres, et par eux, à beaucoup d’autres. Mais il les relève à leurs propres yeux, et leur montré qu’à eux aussi il leur a parlé. Et en même temps ce sont les juifs qu’il attaque ; car presque tous ces hommes ; auxquels les prophètes ont parlé, étaient de grands coupables et des monstres. Et ce n’est pas encore d’eux qu’il parle, mais il parle des bienfaits de Dieu à leur égard. Voilà pourquoi il ajoute : « Qu’il a institué son héritier universel ». Il parle ici de la chair : et c’est ainsi que David a dit : « Demande, et je le donnerai les nations pour héritage ». Car ce n’est plus Jacob qui est la part de Dieu ; ce n’est plus seulement Israël qui est son lot, mais l’univers est à lui. Que veulent dire ces mots : « Qu’il a institué son héritier ? » Ces mots veulent dire qu’il l’a fait maître et Seigneur de toutes choses. C’est aussi ce que dit Pierre dans les Actes. « Dieu l’a fait Seigneur et Christ ». (Act 2,36) Ce nom « d’héritier », a deux significations : il désigne le propre Fils, le véritable Fils de Dieu. Il veut dire aussi que son titre de maître ne peut lui être arraché. « Héritier universel », c’est-à-dire du monde entier. Puis il revient à ce qu’il a dit d’abord : Par lequel il a fait aussi les siècles.

2. Où sont ceux qui disent : Il était quand il n’était pas ? Avançant ensuite par degrés, Paul s’élève bien plus haut : « Comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance, et qu’il soutient tout par la puissance de sa parole, après nous avoir purifiés de nos péchés, il est assis au plus haut du ciel, à la droite de la souveraine Majesté (3). Étant aussi élevé au-dessus des anges que le nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur (4) ». O qu’elle, est grande cette sagesse de l’apôtre ! Mais que dis-je ? Ce n’est pas la sagesse de Paul, c’est celle du Saint-Esprit qu’il faut admirer ici. – Ce n’est pas de son propre fonds qu’il a tiré ces paroles ; il n’aurait pas trouvé par lui-même une telle sagesse. Où donc aurait-il appris ce langage ? Serait-ce dans son atelier, au milieu de ses peaux, et son couteau à la main ? Ah ! c’était une inspiration divine qu’un semblable langage. De telles pensées ne pouvaient éclore dans cette intelligence grossière et, simple qui ne dépassait pas celle des gens du peuple. Et pouvait-il en être autrement chez un homme dont les facultés étaient concentrées sur son commerce de peaux ? C’était donc la grâce de l’Esprit-Saint qui opérait en lui, cette grâce qui choisit, pour montrer sa puissance, les instruments qu’il lui plaît. Voulez-vous amener un enfant jusqu’à une hauteur dont la cime touche au ciel même, vous le conduisez doucement et peu à peu par les pentes inférieures, puis, quand vous l’avez fait monter, vous lui dites de regarder en bas ; le voyez-vous saisi de vertige, troublé, comme si ses yeux étaient couverts d’un brouillard, vous le prenez, vous le reconduisez plus bas, et vous lui donnez le temps de respirer, puis, quand il a repris ses sens, vous le faites alternativement remonter et descendre. Cette méthode, le bienheureux Paul l’a appliquée aux Hébreux, et partout, après l’avoir apprise de son Maître. Oui, telle est sa méthode : tantôt il élève, tantôt il abaisse les âmes de ses auditeurs, sans jamais leur permettre de rester longtemps dans le même état. Voyez comme il s’y prend dans, ce passage, et combien de degrés il leur fait d’abord gravir. Puis, quand il les a fait monter jusqu’au sommet de la piété, avant qu’un vertige ténébreux ne les saisisse, comme il les fait redescendre, comme il les laisse respirer, en leur disant : « Il nous a parlé en son Fils » ; et plus bas : « En son Fils qu’il a institué son héritier universel ». Quand on comprend cette filiation, on reconnaît que c’est le plus beau de tous les titres, et, quel qu’il soit, on reconnaît que ce titre vient d’en haut.

Voyez comme il commence par placer ses auditeurs à un degré inférieur, par ces mois : « Qu’il a fait héritier de toutes choses ? » Car cette expression « qu’il a fait héritier » n’a rien de bien relevé. Puis il les fait monter plus haut, quand il leur dit : « Par qui il a même créé les siècles ». Enfin il les fait monter encore et jusqu’à une hauteur au-dessus de laquelle il n’y a plus rien, dans ce passage : « Comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance ». Oui : c’est jusqu’aux régions de la lumière matérielle, jusqu’aux régions mêmes de la splendeur qu’il les a fait monter. Mais avant qu’un brouillard couvre leur vue, voyez comme il les fait doucement redescendre, en leur disant : « Comme il soutient tout par la puissance de sa parole, après nous avoir purifiés de nos péchés, il est assis au plus haut du ciel, à la droite, de la souveraine Majesté ». Il ne s’est pas contenté de dire : « Il est assis au plus haut du ciel » ; il a ajouté : « Après la purification de nos péchés ». Voilà le mystère de l’Incarnation, ce mystère, d’humilité. Il s’élève ensuite en disant : « Il est assis au plus haut du ciel, à la droite de la souveraine Majesté ». Puis il prend un langage plus humble et il ajoute:« Étant aussi élevé au-dessus des anges que le nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur ». Paul parle ici de ce qui se rapporte à la chair. Par ce mot : Son père l’a « fait » plus grand que les anges ; l’apôtre ne parle point de sa filiation spirituelle ; car sous ce rapport, il n’a pas été fait ni créé, mais engendré. Il parle de sa filiation charnelle ; car sous ce rapport, il a été fait et créé.

Mais pour le moment il n’est pas question de son essence. Jean avait dit : « Celui qui vient « après moi m’a été préféré, parce qu’il était avant moi ». C’est comme s’il avait dit : Il est plus honoré, plus glorieux que moi. De même ici Paul dit à son tour : « Étant aussi élevé au-dessus des anges », c’est-à-dire, leur étant aussi supérieur en vertu et en gloire, que le, nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur. Paul, remarquez-le bien, parle ici, de la chair, car ce nom de Dieu-Verbe ; il l’a toujours possédé ; ce n’est pas là un héritage qui lui est survenu avec le temps, et il n’est pas devenu meilleur que les anges, à dater du jour où il nous a purifiés de nos péchés, mais il leur a toujours été supérieur et incomparablement supérieur. Paul parle ici au point de vue de la chair. C’est ainsi qu’en parlant de l’homme, nous le rabaissons et nous l’élevons tour à tour. Quand nous disons. L’homme n’est rien, l’homme est terre, l’homme est poussière, nous prenons l’homme entier par son plus bas côté. Quand nous disons au contraire : L’homme est immortel et doué : de raison, il a quelque chose de céleste, nous prenons l’homme entier par son côté le plus noble. Il en est de même du Christ : tantôt c’est ce qu’il y a d’inférieur, tantôt c’est ce qu’il y a de supérieur en sa personne que Paul considère, pour établir le dogme de l’Incarnation et pour montrer en même temps sa nature immortelle.

3. Puis donc que le Christ nous a purifiés de nos péchés, restons purs et immaculés ; cette beauté qu’il nous a donnée, cet éclat, gardons-nous d’en ternir la pureté : point de tache, point de ride, rien qui y ressemble ! Les taches et les rides, ce sont les fautes même légères ; ce sont les médisances, les injures, les mensonges. Mais que dise ? Ce ne sont pas là des fautes légères ; ce sont au, contraire des fautes graves et tellement graves qu’elles nous font perdre le royaume des cieux. Et voici comment : celui qui traite son frère d’insensé, encourt, est-il dit, le supplice de la géhenne. Or si telle est la peine qu’entraîne une injure qui semble si légère, et qui a l’air d’un jeu d’enfant, celui qui traite son frère d’homme sans mœurs, de misérable envieux ; et qui l’accable d’outrages, à quel châtiment ne s’expose-t-il pas ? Quoi de plus affreux que sa situation ? Mais laissez-moi poursuivre, je vous prie. Si ce qu’on fait à la plus infime créature, c’est à Dieu qu’on le fait, si ce qu’on ne fait pas à la plus infime créature, c’est à Dieu qu’on ne le fait pas, n’est-on pas louable ou blâmable, comme si cette créature était Dieu lui-même ? Ouf, c’est offenser Dieu que d’offenser son frère ; c’est honorer Dieu que d’honorer son frère.

4. Apprenons donc à notre langue à parler, comme il faut que notre langue, est-il dit, s’abstienne de dire le mal. Nous ne l’avons pas reçue de Dieu pour en faire un instrument d’accusation, d’insulte et de calomnie. Nous devons nous en servir, pour chanter les louanges de Dieu, pour en faire l’instrument de la, grâce, pour édifier notre prochain, pour lui être utile. Vous avez médit de quelqu’un ? Eh bien ! qu’avez-vous gagné à vous faire tort ainsi à vous-même, à passer pour un médisant ? Le mal, en effet, le mal ne s’arrête pas à celui qui en est victime ; il remonte jusqu’à son auteur. L’envieux, par exemple, en croyant faire tomber les autres dans ses pièges, est le premier à recueillir le fruit de son injustice ; il se dessèche, il se flétrit, et se rend odieux à tout le monde. L’avare dépouille les autres de leur argent, mais il se prive lui-même de toute affection ; que dis-je ? il s’attire les malédictions de tout le monde. Or bonne renommée vaut bien mieux que richesse. L’une n’est pas facile à ôter ; l’autre est facile à perdre. Il y a plus. N’ayez pas de fortune, on ne vous fait pas un crime de votre indigence ; mais si vous n’avez une bonne réputation, vous voilà en butte au blâme, à la risée, à la haine générale ; vous voilà en guerre avec la société. L’homme irascible se punit en se déchirant lui-même avant de châtier celui qui est l’objet de sa colère. Peut-être même est-il réduit à se retirer, après s’être acquis la réputation d’un scélérat et d’un homme abominable, tandis qu’il rend plus intéressante la personne qu’il a attaquée. Quand l’objet de vos médisances, loin de vous rendre la pareille, vous loue et vous admire, c’est son éloge qu’il fait et non pas le vôtre. Car, je l’ai dit plus haut, si la médisance frappe d’abord son auteur, le bien profite d’abord à celui qui le fait. Oui, le bien et le mal que vous faites, commencent, et c’est justice, par tomber sur vous. L’eau salée, aussi bien que l’eau douce, remplit les vases dans lesquels on la puise, sans que sa source diminue ; il en est de même du vice ou de la vertu : ils font le bonheur ou la perte de celui dont ils émanent. Voilà la vérité.

Quelle parole pourrait décrire les peines ou les récompenses qui nous sont réservées dans l’autre vie ? La parole ici est impuissante. Les récompenses dépassent toute idée et à plus forte raison, toute expression. Les peines ont des noms que nous sommes accoutumés à leur donner. Il y a, dit-on, pour les coupables, du feu, des ténèbres et un ver toujours dévorant, mais il n’y a pas seulement les peines énumérées ci-dessus ; il y a des châtiments bien plus terribles encore. Voulez-vous me comprendre ? vous devez tout d’abord faire la réflexion suivante. Dites-moi : S’il y a du feu, comment y a-t-il des ténèbres ? Voyez-vous combien ce feu est plus terrible que le nôtre ; c’est un feu qui ne s’éteint pas. Aussi l’appelle-t-on le feu éternel. Pensons donc quel malheur c’est de brûler sans cesse, d’âtre plongé dans les ténèbres, de se répandre en gémissements, et de grincer des dents sans qu’on vous écoute. Si un homme bien élevé, jeté dans un cachot, trouve que l’odeur fétide de la prison, les ténèbres et la société des hommes de sang à elles seules, sont plus cruelles que la mort la plus affreuse, qu’est-ce donc, songez-y bien, de brûler toujours en compagnie des assassins qui ont infesté la terre, de briller sans rien voir, sans être vu de personne, en se croyant seul au milieu de toute cette foule de coupables ? Au milieu de ces ténèbres profondes, ne pouvant apercevoir ceux qui seront près de lui, chacun de nous croira être seul à souffrir. Si les ténèbres suffisent pour troubler nos âmes oppressées, que sera-ce, dites-moi, lorsqu’à l’horreur des ténèbres se joindra l’horreur des tourments ? C’est pourquoi, je vous en conjure, réfléchissez sans cesse à ces mystères de l’autre vie, et supportez l’ennui que peuvent vous causer mes paroles, polir n’avoir pas à supporter des supplices qui ne sont que trop réels. Car tout ce que je vous dis là s’accomplira de point en point. De tous ceux qui auront mérité d’être punis, pas un seul n’échappera au châtiment. Personne, ni père, ni mère, ni frère, ne pourra obtenir leur grâce, quelque puissante que soit sa parole, quelque grand que soit son crédit auprès de Dieu. « Le frère ne rachète pas ; l’homme rachètera-t-il ? » C’est Dieu qui donne à chacun selon ses œuvres ; ce sont nos œuvres qui feront notre salut ou notre perte.

« Faites-vous des amis avec l’argent de l’injustice » : c’est l’ordre du Seigneur, et nous devons obéir ; que le superflu de nos richesses soit versé dans le sein de l’indigence ; faisons l’aumône, tandis que nous le pouvons : c’est se faire des amis avec de l’argent : laissons tomber nos richesses entre les mains des pauvres, pour que ce feu tombe et s’éteigne, pour que nous paraissions là-haut avec confiance. Ce ne sont pas ceux qui nous accueillent, ce sont nos œuvres que nous trouverons là-haut pour nous défendre : que nos amis soient incapables de nous sauver, c’est ce que nous apprend ce qui vient ensuite. Pourquoi en effet le Christ n’a-t-il pas dit : Faites-vous des amis, pour qu’ils vous reçoivent dans lés demeures éternelles ? Pourquoi nous a-t-il indiqué en outre le moyen de nous en faire ? Ces mots avec « l’argent de l’iniquité » prouvent que ce sont nos richesses qui doivent nous faire des amis. Nous voyons par là que l’amitié à elle seule ne pourra nous défendre, si nous ne faisons provision de bonnes. œuvres, si la justice ne préside pas à l’emploi de ces richesses, injustement amassées. Ce que nous disons de l’aumône, doit s’appliquer non seulement aux riches, mais aux pauvres. Celui-là même qui vit d’aumône doit prendre pour lui nos paroles. Car il n’y a pas, non il n’y a pas de pauvre, quelque pauvre qu’il soit, qui ne possède deux petites pièces d’argent. Le pauvre qui prend sur le peu qu’il a pour donner peu de chose, peut être supérieur au riche qui donne plus que lui témoin la veuve. Car ce n’est pas à l’importance de la somme, mais au moyen et à la bonne volonté de celui qui donne que se mesure l’aumône. Ce qu’il faut toujours avoir, c’est la bonne volonté ; ce qu’il faut toujours avoir, c’est l’amour de Dieu. Que ce mobile nous fasse toujours agir, et quelque modeste que soit notre avoir, quelque modeste que soit notre aumône, Dieu ne se détournera pas de nous, et notre offrande sera reçue de lui, comme si elle était riche et magnifique : c’est la bonne volonté, ce n’est pas le don qu’il regarde ; et si notre bonne volonté lui parait grande, le souverain Juge nous accordé son suffrage et nous fait participer aux biens éternels. Puissent-ils devenir notre partage à tous, par sa grâce et sa miséricorde !

HOMÉLIE II.

QUI, ÉTANT LA SPLENDEUR DE SA GLOIRE ET LE CARACTÈRE DE SA PUISSANCE, SOUTIENT TOUT PAR LA PUISSANCE DE SA PAROLE, APRÈS NOUS AVOIR PURIFIÉS DE NOS PÉCHÉS. (1, 3)

Analyse.

  • 1. C’est avec respect que nous devons parler de Dieu. – Hérésies de Marcellus et de Photin. – Contre Sabellius et Arius.
  • 2. Hérésie de Paul de Samosate. – Réfutation d’Arius, de Sabellius, de Marcellin, de Photin et de Marcion.
  • 3. Créer le monde est une œuvre moins grande que de le conserver. – Le Fils de Dieu est tel, non seulement par la grâce, mais par la nature.
  • 4. Exhortation à l’humilité. – Combien les choses de cette vie sont passagères.
  • 5. La condition du pauvre vaut mieux que celle du riche.

1. L’esprit de piété est nécessaire en toute circonstance, mais surtout lorsque l’on parle ou qu’on entend parler de Dieu : la langue en effet ne peut proférer, l’oreille ne peut entendre de parole qui soit à la hauteur de la divinité. Et que dis-je, la langue et l’oreille ? notre âme qui leur est bien supérieure ne nous fournit pas des idées bien exactes, quand nous voulons parler de Dieu. Car si la paix de Dieu est au-dessus de toute intelligence, si l’image des biens préparés à ceux qui l’aiment ne peut entrer dans le cœur humain, combien le Dieu de paix lui-même, le créateur de l’univers, ne dépasse-t-il pas mille fois la mesure de notre raison ! Il faut donc, avec foi et piété, accepter tous les mystères, et c’est quand notre faible raison ne peut saisir sa parole que nous devons surtout glorifier Dieu, ce Dieu si supérieur à notre intelligence et à notre raison. Car nous avons sur Dieu bien des idées que nous ne pouvons exprimer ; nous avançons à son sujet bien des propositions que nous ne pouvons comprendre. Nous savons par exemple que Dieu est partout ; mais comment cela se fait-il ? nous ne le comprenons pas. Nous savons que c’est une force immatérielle, source de tout bien. Mais quelle est cette force ? bous j’ignorons. Ici nous parlons sans comprendre. Il est partout : je l’ai dit ; mais je ne le comprends pas. Il n’a pas eu de, commencement ; je parle encore sans comprendre. Je dis qu’il a engendré un Fils de lui-même, et ici encore je trouve mon intelligence en défaut. Il y a donc de ces choses qu’on ne peut pas même exprimer. L’intelligence conçoit ; mais la parole est impuissante. Et tenez ; vous allez voir la faiblesse de Paul lui-même, vous allez le voir dans l’impuissance de s’expliquer clairement, et vous frémirez, et vous n’en demanderez pas davantage. Écoutez seulement. Après avoir parlé du Fils de Dieu et avoir établi qu’il est le créateur, qu’ajoute-t-il ? « Qui était la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance ». Il faut accepter ces paroles avec piété, en en retranchant tout sens déplacé. « La splendeur de sa gloire », dit-il. Mais voyez dans quel sens Paul prend ces paroles, et prenez-les dans le même sens que lui. Il veut dire que le Christ tire de lui-même cette splendeur, qu’elle ne peut souffrir d’éclipse, qu’elle n’Est susceptible ni d’augmentation ni de diminution. Il y a des hommes qui s’emparent de cette image, pour en tirer des conséquences absurdes. La splendeur, disent-ils, n’est pas une substance, mais elle a une existence dépendante.

O homme ! ne prenez pas ainsi la parole de l’apôtre ; ne gagnez pas la maladie de Marcellus et de Photin. Paul vous met lui-même sous la main un préservatif contre cette erreur ; il ne veut pas vous voir affligé de cette maladie mortelle. Que vous dit-il encore ? « Le caractère de sa substance ». Cette parole qu’il ajoute montré que, tout comme le Père, le Fils subsiste en lui-même. Par cette parole, il vous fait voir qu’il n’y a pas entre eux de différence, il met devant vos yeux le caractère propre et original du Fils de Dieu, il vous apprend qu’il subsiste en lui-même dans son hypostase. Après avoir dit que Dieu a créé toutes choses par lui, il lui attribue ici la souveraine autorité. Qu’ajoute-t-il en effet ? « Soutenant tout par la parole de sa puissance ». Par là il veut nous faire toucher du doigt non seulement le caractère de sa puissance, mais l’autorité souveraine avec laquelle il gouverne tout. Voyez comme il attribue au Fils les qualités du Père. Pourquoi ne s’est-il pas contenté de dire : « Soutenant tout ? » Pourquoi n’a-t-il pas dit simplement : Par sa puissance ? Pourquoi a-t-il dit : « Par la parole de sa puissance ? » Tout, à l’heure il s’élevait peu à peu, pour redescendre bientôt ; maintenant encore de degrés en degrés, pour ainsi dire, il s’élève bien haut, puis il redescend et nous dit : « Par lequel il a créé les siècles ». Voyez comme il sait ici se frayer un double chemin. Pour nous détourner des hérésies de Sabellius et d’Arius, dont l’un ne conserve de Dieu que la substance, dont l’autre partage la nature de Dieu en deux natures inégales, il bat complètement en brèche ces deux systèmes. Et comment s’y prend-il ? Il tourne et retourne sans cesse les mêmes idées pour qu’on n’aille pas s’imaginer que le Fils ne procède pas de Dieu, et qu’il lui est étranger. Et n’allez pas trouver son discours étrange, puisque, après une pareille démonstration, il s’est trouvé des hommes qui ont dit que le Christ n’avait rien de commun avec Dieu, qui lui ont donné un autre père, qui le déclarent ennemi de Dieu ; que n’aurait-on pas dit, si Paul n’avait pas tenu ce langage ? Obligé de remédier à ces erreurs, il est obligé aussi d’employer un langage plus humble et de dire : Dieu l’a institué son héritier universel, et c’est par lui qu’il a fait les siècles. Puis d’un autre côté, pour ne pas porter atteinte à la grandeur du Christ, il s’élève et parle de sa puissance. Il le met sur la même ligne que le Père, si bien que beaucoup de gens le confondent avec le Père. Mais voyez comme il procède avec prudence. Il pose d’abord et a soin de bien établir ses bases. Puis, quand il a démontré que loin d’être étranger à Dieu, le, Christ est le Fils de Dieu, il s’élève sans difficulté aussi haut qu’il veut. Comme en parlant de Jésus-Christ d’une manière sublime il risquait d’en porter plusieurs à le confondre avec le Père, il a soin d’en parler d’abord d’une manière humble, afin de pouvoir ensuite sans danger donner tout son essor à sa parole. Après avoir dit : « Dieu l’a établi son héritier universel » ; Dieu par lui a créé les siècles, il ajoute : « Il soutient tout par la parole de sa puissance ». Celui qui d’un seul mot gouverne l’univers, n’a besoin de personne pour le créer.

2. Cela étant, voyez comme Paul va plus loin, comme il donne au Fils l’autorité. Ces mois « par « qui » se trouvent maintenant supprimés. Comme il a fait par lui-même ce qu’il a voulu ; Paul le sépare du Père, et que dit-il ? « Dès le commencement du monde, Seigneur, vous avez créé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de vos mains ». Il ne dit plus « par qui », il ne dit plus : C’est par lui que Dieu a fait les siècles. Et pourquoi donc ? Est-ce que les siècles n’ont pas été faits par lui ? Certainement ; mais ce n’est pas comme vous le dites, comme vous le croyez. Il n’a pas été réduit au rôle d’un instrument incapable d’agir par lui-même, si son Père n’avait mis la main à l’œuvre. De même que le Père ne juge personne et juge, dit-on, par la bouche de son Fils, parce qu’il a engendré en lui le souverain Juge, de même c’est, dit-on, par son Fils qu’il crée, parce qu’il a engendré en lui le créateur. Car si le Fils est engendré du Père, c’est le Père qui a'engendré à plus forte raison tout ce qui a été fait par le Fils.

Lors donc que Paul veut montrer que le Fils est engendré du Père, il est obligé de baisser le ton. Mais lorsqu’il veut parler un langage plus élevé, il donne prise aux attaques de Marcellus et de Sabellius. Mais entre ces deux excès qu’elle fuit, l’Église suit une ligne intermédiaire. Elle ne se renferme pas dans un humble langage, pour ne pas donner lieu à Paul de Samosate ; elle ne plane pas toujours dans les hautes régions et elle nous montre un Dieu qui se rapproche beaucoup de l’humanité, pour éviter les assauts de Sabellius. Paul dit « le Fils » et aussitôt Paul de Samosate l’arrête, en s’écriant : Le Fils soit ! comme tant d’autres. Mais Paul a porté à l’hérétique un coup mortel, avec un seul mot, le mot « d’héritier ». Alors Paul de Samosate s’allie sans rougir à Arius, car tous les deux s’emparent de ce mot ; l’un pour dire que c’est un témoignage de faiblesse, l’autre pour attaquer ce qui suit. D’un seul mot, en disant : « Par qui il a fait les siècles », Paul a terrassé l’hérétique de Samosate ; mais Arius semble encore être fort. Voyez pourtant comme Paul renverse à son tour cet adversaire, en disant:« Qui étant la splendeur de sa gloire ». Mais voici de nouveaux assaillants, Sabellius, Marcellus et Photin. À tous ces adversaires il porte un seul coup. Il dit : « Il est le caractère de sa puissance et soutient tout par la puissance de sa parole ». Ici c’est encore Marcion qu’il frappe, légèrement il est vrai, mais toujours est-il qu’il le frappe ; car, dans tout le cours de cette épître, il le combat. Mais, je l’ai dit plus haut, il appelle le Fils « la splendeur de la gloire » et avec raison. Écoutez en effet le Christ, parlant de lui-même : « Je suis », dit-il, « la lumière du monde ». Voilà pourquoi Paul appelle le Christ « la splendeur de la gloire « divine », pour montrer que c’est là aussi le langage du Christ qui est évidemment lumière de lumière. Il ne s’en tient point là ; il montre que cette lumière a illuminé nos âmes. Ces mots « splendeur de sa gloire » veulent dire égalité de substance, propinquité du Fils avec le Père. Pensez à la subtilité de ces paroles. Il ne prend qu’une essence et une substance, pour nous présenter deux hypostases. Il fait de même pour la science de l’Esprit-Saint. Selon lui, la science du Père et celle du Saint-Esprit forment une science unique ; car elles ne sont en vérité qu’une seule et même science. De même en ce passage, il se sert d’un seul mot ; pour désigner les deux hypostases.

Il ajoute le mot « caractère ». Le caractère est autre chose que le prototype ; il n’est pas tout autre, il n’en diffère qu’en ce qui regarde l’hypostase. Car ici le mot a caractère » annonce une similitude, une ressemblance parfaite. Lors donc que Paul, emploie ces dénominations de forme et de caractère, que peuvent dire les hérétiques ? Mais l’homme aussi a été appelé une image (Gen 1,26). Quoi donc ! Est-ce de la même manière que le Fils ? Non, vous dit-on, sachez que l’image n’implique pas la ressemblance parfaite : le mot image appliqué à l’homme signifie une ressemblance compatible avec l’humanité. Ce que Dieu est' dans le ciel, l’homme l’est sur la terre, quant à l’autorité. Si sur la terre l’homme est le maître, Dieu est le souverain maître de la terre et du ciel. D’ailleurs l’homme n’a pas été appelé figure, splendeur, forme, ce qui indique l’essence ou une ressemblance essentielle. De même que le terme « la forme d’esclave » veut dire un homme ayant tous les attributs de l’humanité, ainsi le terme « la forme de Dieu » ne peut rien signifier autre chose que Dieu. « Qui étant là splendeur de sa gloire », dit Paul. Voyez comment l’apôtre s’y prend. Après avoir dit : « Étant la splendeur de sa gloire », il a ajouté : « Il est assis à la droite de la souveraine Majesté ». Examinez les mots dont il se sert ; ici il n’est plus question d’essence. Ni le mot de majesté, en effet, ni le mot de gloire ne rendent bien son idée. Mais il ne trouve pas de mot, pour l’exprimer. Voilà ce que je disais en commençant. Il y a bien des choses que nous comprenons, sans pouvoir rendre notre pensée. Car le mot Dieu ne désigne pas l’essence. Mais comment désigner l’essence divine ? Et qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’on ne trouve pas un nom pour cette essence ? Le mot ange en lui-même n’a dans sa signification aucun rapport avec l’idée d’essence. Peut-être en est-il de même du mot « âme », qui, selon moi, a la signification de « souffle ». Âme, cœur, pensée, sont termes synonymes. « Mets en moi un cœur pur, mon Dieu », dit le psalmiste. Il y a : même des cas où le mot « âme » s’emploie dans l’acception. « d’esprit ». « Et soutenant tout par la parole de sa puissance ». Entendez-vous ce qu’il dit ?

3. Comment donc, hérétiques, pouvez-vous vous armer de cette parole de l’Écriture : « Dieu dit que la lumière soit », pour soutenir que lé Père seul a ordonné, que le Fils n’a fait qu’obéir ? Mais voilà le Fils qui agit ici par sa parole. « Soutenant tout », dit l’apôtre ; c’est-à-dire gouvernant tout, arrêtant l’édifice dans sa chute. Ah ! c’est une œuvre aussi grande, que dis-je ? c’est une œuvre plus grande de soutenir le monde que de le créer. Créer, c’est faire quelque – chose de rien. Mais arrêter dans sa chute ce qui va tomber dans le néant, rattacher entre eux tant d’éléments, voilà qui est grand, voilà qui est admirable, voilà qui révèle un grand pouvoir. Et comme l’apôtre montre que cette œuvre est facile au Fils par ce seul mot « soutenant ». Il n’a pas dit, gouvernant ; il a emprunté une image ; c’est l’être fort qui remue et porte un fardeau avec un seul doigt. Il montre la pesanteur du fardeau c’est le monde, et ce fardeau n’est rien pour celui qui le porte. Cette dernière vérité est encore exprimée en ces mots : « Par la parole de sa puissance ». C’est bien dit : car c’est montrer la puissance de cette parole divine différente de la parole humaine qui est si peu de chose. Mais en nous disant que la parole divine soutient le monde, il ne nous dit pas comment ; car il est impossible de le savoir. Il passe à la majesté divine. Et c’est ce qu’a fait saint Jean qui, après avoir parlé de l’existence de Dieu, parle de la création. Ce que l’évangéliste a fait entendre en disant : « Au commencement était le Verbe et tout a été fait par lui » (Jn 1,1, 3), l’apôtre le dit à son tour et l’exprime clairement en ces termes : « Parce qu’il a même créé les siècles ». Voilà l’ouvrier qui a fait les siècles et qui subsistait avant tous les siècles. Que dire en présence de ces paroles du Prophète, à propos du Père : « Tu existes depuis le commencement des siècles jusqu’à la fin des siècles » (Psa 90,2), si on les compare à ces paroles de l’apôtre, à propos du Fils : « Il existait avant tous les siècles et il a fait tous les siècles ? » Ne se hâtera-t-on pas d’appliquer au Fils ces mots qui ont été dit du Père : II existe avant les siècles ? « En lui était la vie », dit saint Jean pour faire voir qu’il a la force et le pouvoir de soutenir l’univers, puisqu’il est la vie universelle. Saint Paul tient le même langage : « Il soutient tout par la parole de sa puissance ». Il ne fait pas comme les philosophes grecs, qui, autant que cela dépend d’eux, le dépouillent de sa force créatrice et de sa Providence, et qui renferment son pouvoir dans un cercle qui s’arrête à la lune.

« Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés ». Après avoir parlé de ses œuvres, si grandes, qui sont autant de suprêmes merveilles, Paul nous parle de sa sollicitude pour les hommes. Ce mot : « Soutenant tout » était bien vaste et embrassait tout. Le mot suivant est plus grand encore, car lui aussi il embrasse tout. En tant qu’ira dépendu de, lui, le Fils nous a tous sauvés. Jean après avoir dit : « En lui était la vie », pour marquer sa providence, ajoute. « Et il était la lumière », ce qui revient à ce que dit saint Paul. « Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés, il est assis à la droite de la majesté suprême ». Il y a là deux preuves éclatantes ; de sa sollicitude pour nous : il nous purifie de nos péchés, et il le fait par ses mérites. Que de fois ne le voyons-nous pas se glorifier de cet événement, non seulement parce que Dieu s’est réconcilié avec les hommes, mais parce que le Fils a été le médiateur de cette réconciliation devenue ainsi de sa part un plus éclatant bienfait. Après avoir dit qu’il s’est assis à la droite du Père, et qu’il nous a purifiés de nos péchés, après avoir rappelé la croix, 'l’apôtre nous parle de sa Résurrection et de son Ascension. Et voyez ici sa prudence ineffable. Il ne dit pas : On l’a fait asseoir ; il dit : « Il s’est assis ». Puis, pour qu’on ne pense pas qu’il se tient debout, il ajoute : « Qui est fange à qui le Seigneur ait jamais dit : « Asseyez-vous à ma droite ? » – « Il est assis à la « droite de la majesté suprême, au plus haut des cieux ». Que signifie « au plus haut des cieux ? » Veut-il donc renfermer Dieu dans un espace limité ? Loin de là. Il ne veut pas nous donner de Dieu une semblable idée. Quand il a dit : « Il est assis à la droite du Père », il a voulu seulement faire allusion à la dignité de Fils qui égale celle du Père ; et, quand il a dit : « Au plus haut des cieux », il a voulu non pas renfermer Dieu dans ces limites, mais nous montrer ce Dieu dominant l’univers, et s’élevant jusqu’au trône de son Père ! Comme son Père, il est au plus haut des cieux, et ce trône qu’ils, partagent montre qu’ils sont égaux eu dignité. Mais, poursuivent les hérétiques, le Père a dit au Fils : « Asseyez-vous à ma droite ». Eh bien ! cela prouve-t-il que le Fils se tenait debout ? Voilà ce que les hérétiques eux-mêmes ne sauraient prouver. D’ailleurs Paul ne dit pas que le mot précédent soit un ordre ou une injonction ; il n’a d’autre but que de nous faire voir que le Fils procède d’un principe et d’une cause. Et la preuve, c’est la place à laquelle ce Fils est invité à s’asseoir. Elle est à la droite du Père… Pour désigner l’infériorité, le Père aurait dit : Asseyez-vous à ma gauche.

4. « Étant aussi supérieur aux anges que le nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur ». Le mot « étant » signifie ici « déclaré », pour ainsi dire. Paul le prouve. Comment est-il supérieur aux anges ? Par le nom qu’il a reçu. « Voyez-vous que a le nom de Fils désigne ici la parenté légitime ? » Certes, s’il ne se fût agi d’un fils légitime, Paul n’aurait pas tenu ce langage. Pourquoi ? Parce que le Fils n’est légitime qu’à la condition d’avoir été engendré par le Père. Paul confirme donc ici sa parole. Car si le Christ est Fils de Dieu par la grâce, loin d’être supérieur aux anges, il leur serait inférieur. Comment ? c’est que les justes ont aussi été appelés les fils de Dieu, et le nom de fils, quand il ne s’agit pas du Fils proprement dit, du Fils légitime, n’est pas un titre de supériorité. Et, pour marquer l’intervalle qui existe entre les créatures et le créateur, Paul s’exprime ainsi : « Qui est l’ange à qui Dieu ait jamais dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui ? » Et ailleurs : « Je serai son Père, et il sera mon Fils ». Ces paroles marquent la filiation selon la chair. Car le mot : « Je serai son Père, et il sera mon Fils », fait allusion évidemment à l’Incarnation. Mais cet autre : « Vous êtes mon Fils », ne prouve qu’une chose : c’est qu’il est de lui. De même qu’il est dit « qui est », ὢν, au temps présent, car cela lui convient, admirablement ; de même le mot « aujourd’hui m s’applique, selon moi, à l’Incarnation Lorsqu’en effet il aborde ce mystère, son langage est plein d’assurance. La chair participe à l’élévation, comme la divinité à l’abaissement. Dieu n’a pas dédaigné de se faire homme ; il n’a pas reculé devant cette humiliation réelle ; pourquoi donc n’accepterait-il pas le mot qui l’exprime ?

5. Puisque nous sommes pénétrés de ces vérités, plus de mauvaise honte, plus d’orgueil. Si Jésus qui est Dieu, maître et Fils de Dieu, a daigné prendre la forme d’un esclave, ne devons-nous pas accepter toutes les tâches, même les plus humbles ? Répondez, homme, d’où vient votre orgueil ? Des biens que vous possédez en cette vie ? Mais ils s’éclipsent avant de briller. Des dons spirituels ? Mais c’en est un que de n’avoir pas d’orgueil. D’où vient donc votre orgueil ? De votre droiture ? Écoutez cette parole du Christ : « Quand vous aurez fait toutes choses, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles » (Luc 17,10), car nous avons fait ce que nous devions faire. Mais c’est votre richesse qui vous rend orgueilleux. Eh ! pourquoi donc ? Ne savez-vous pas que nous sommes entrés nus dans la vie, et que nous en sortirons nus ? Ne voyez-vous pas que ceux qui vous ont précédés sont partis nus, et dépouillés ? Pourquoi s’enorgueillir de la possession des biens extérieurs ? Ceux qui veulent s’en servir et en jouir, ne s’en voient-ils pas privés, même malgré eux, souvent avant leur mort, toujours au moment de la mort ? Mais ; de notre vivant, dites-vous, nous en faisons ce que nous voulons. D’abord on voit rarement les riches jouir de leur fortune, comme ils l’entendent. Et quand on serait assez heureux pour cela, ce ne serait pas là un grand bonheur. Le présent en effet est bien court, quand on le compare aux siècles sans fin.

Tu es orgueilleux de tes richesses, ô homme ! Et pourquoi donc ? C’est un avantage qui t’est commun avec les brigands, avec les voleurs, avec les meurtriers, avec une foule de gens efféminés et corrompus, avec tous les méchants. Pourquoi donc cet orgueil ? Si tu fais de ta fortune un boit usage, tu dois bannir l’orgueil, pour ne pas enfreindre les commandements ; si tu fais un mauvais usage de tes biens, l’orgueil te sied moins encore, puisque tu es l’esclave de ces biens, de ces trésors qui sont devenus tes tyrans. Dites-moi, ce fiévreux qui boit de l’eau avec excès et dont la soif s’éteint un instant pour se rallumer, doit-il s’enorgueillir ? Cet homme qui se forge mille soucis inutiles, doit-il s’enorgueillir ? De quoi vous enorgueillissez-vous, dites-moi ? d’avoir une foule de maîtres ? d’avoir mille soucis ? d’être entouré de flatteurs ? Mais ce sont autant de chaînes que vous avez là. Voulez-vous sentir le poids de ces chaînes, écoutez-moi bien. Les autres passions ont parfois leur utilité. La colère est quelquefois utile. « Colère injuste », dit l’Ecclésiaste, « colère coupable ». (Sir 1,22) La colère peut donc être juste en certains cas. Écoutez encore saint Matthieu : « Se fâcher sans raison contre son frère, c’est s’exposer à la géhenne ». (Mat 5,22) La jalousie et la concupiscence ont aussi leur bon côté : celle-ci quand elle a pour but la procréation des enfants ; celle-là quand elle produit une noble émulation. C’est ce que dit saint Paul. « Il est toujours bien d’être jaloux de bien faire », et ailleurs. « Choisissez entre les dons de la grâce et montrez-vous jaloux d’acquérir les meilleurs ». (Gal 4,18 ; 1Co 12,31) Voilà donc deux passions qui peuvent avoir leur utilité. Mais l’orgueil n’est jamais bon ; il est toujours inutile et nuisible. S’il faut s’enorgueillir de quelque chose, c’est de la pauvreté, non de la richesse. Pourquoi ? C’est que l’homme qui sait vivre de peu, est bien plus grand et bien meilleur que celui qui ne le sait pas. Dites-moi : voilà des gens qui sont invités à se rendre dans une résidence royale ; les uns n’ont besoin en voyage ni de nombreux attelages, ni de serviteurs, ni de parasols, ni d’hôtelleries, ni de chaussures, ni de vaisselles ; il leur suffit d’avoir du pain et de l’eau des sources. Les autres disent : Si vous ne nous donnez pas des chariots et de bons lits, nous ne pouvons pas 'venir ; nous ne pouvons venir, si nous n’avons pas une suite nombreuse ; si nous ne pouvons rions reposer à chaque instant ; nous ne pouvons venir, si nous n’avons pas dés attelages à notre disposition, et si nous ne passons une partie du jour à nous promener ; et nous avons besoin de bien d’autres choses encore. De ces deux espèces d’hommes, laquelle excitera notre admiration ? Sera-ce la première ? Sera-ce la dernière ? Il est évident que nous réserverons notre admiration pour ceux qui n’ont besoin de rien. Il en est de même ici. Pour faire le voyage de la vie, les uns ont besoin de mille choses, les autres n’ont besoin de rien. Et ce seraient les pauvres qui devraient être orgueilleux, s’il fallait avoir de l’orgueil. Mais, dira-t-on, c’est un être méprisable que le pauvre. Non : ce n’est pas lui qu’il faut mépriser ; ce sont ceux qui le méprisent. Eh ! Pourquoi ne mépriserais-je pas ceux qui ne placent pas bien leur admiration ? Un bon peintre se moquera de tous ceux qui s’aviseront de le railler, si les railleurs sont des ignorants ; il ne fera pas attention à leurs propos ; il se contentera du témoignage qu’il se rend à lui-même : et nous autres, nous dé pendrons de l’opinion du vulgaire ! Quelle impardonnable faiblesse !

Aussi sommes-nous méprisables, quand nous ne méprisons pas ceux qui nous méprisent à cause de notre pauvreté, quand nous ne les trouvons pas malheureux. Je passe sous silence toutes les fautes dont la richesse est la source, tous les avantages de la pauvreté. Mais que dis-je ? Ni la richesse, ni la pauvreté ne sont pas elles-mêmes des biens ; elles ne le deviennent que par l’usage qu’a en fait. La vertu du chrétien brille d’un plus grand lustre dans la pauvreté que dans la richesse. Comment ? C’est que dans la pauvreté, il est plus modeste, plus sage, plus respectueux, plus juste, plus prudent ; dans la richesse au contraire, la vertu trouve mille obstacles. Examinons les actions du riche, de celui-là surtout qui fait de sa richesse un mauvais usagé. Ce ne sont que rapines, fraudes, pièges, violences. Que dis-je ? Les passions déréglées, les commerces illicites, les sortilèges, les maléfices, toutes les noirceurs en un mot ne dérivent-elles pas de la richesse ? Ne voyez-vous pas qu’il est plus facile d’être vertueux au sein de la pauvreté qu’au sein de la richesse ? Et parce que les riches ne sont pas punis ici-bas, n’allez pas croire qu’ils ne commettent pas de fautes. S’il était facile de punir les riches, ils peupleraient les cachots. Mais entre autres inconvénients, la richesse a celui-ci : le riche, qui fait le mal impunément, ne s’arrêtera jamais dans la voie du mal ; pour lui, le remède ne sera jamais à côté de la blessure, et nul homme ne pourra lui mettre un frein. La pauvreté au contraire, si l’on veut y regarder, offrira à nos yeux bien des côtés agréables. N’affranchit-elle pas l’homme des soucis, de la haine, des luttes, des rivalités, des querelles, dé mille maux enfin ? Ne courons donc pas après la richesse, et n’envions pas le sort de ceux qui la possèdent. Avons-nous de la fortune, faisons-en un bon usage. En sommes-nous privés, n’en gémissons, pas, mais remercions Dieu de ce qu’il nous permet d’obtenir facilement la même récompense que les riches, et une plus grande encore, si nous le voulons. Alors notre faible capital nous rapportera un gros revenu. Celui qui rapporta les deux talents ne fut-il pas aussi honoré, aussi admiré que celui qui en rapporta cinq ? Pourquoi ? C’est que ces deux talents lui avaient été confiés, c’est qu’il sut remplir toutes ses obligations ; c’est qu’il rapporta le double de ce qu’on lui avait confié. Pourquoi donc cherchons-nous à nous faire confier des trésors, lorsque nous pouvons retirer autant de fruit d’un modeste dépôt que d’un dépôt considérable ; lorsqu’avec moins de peine, nous pouvons obtenir une récompense bien plus grande ? Le pauvre renoncera plus facilement à ce qu’il possède que le riche, gui nage dans l’opulence. Ne savez-vous pas que, plus on est environné de richesses, plus on a soif de richesses ? Pour éviter ce tourment, ne cherchons pas la richesse et supportons sans peine la pauvreté. Avons-nous de la fortune, servons-nous-en, comme le veut saint Paul : que ceux qui possèdent, soient comme s’ils ne possédaient point, et que ceux qui usent de ce monde, soient comme n’en usant point, afin d’obtenir les biens promis, et puissions-nous les obtenir avec la grâce de Dieu et par un effet de sa bonté !
Voir le début du chap. 2
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