‏ Hebrews 10

HOMÉLIE XVII.

CAR JÉSUS-CHRIST N’EST POINT ENTRÉ DANS CE SANCTUAIRE FAIT DE MAIN D’HOMME, QUI N’ÉTAIT QUE LA FIGURE DU VÉRITABLE, MAIS IL EST ENTRÉ DANS LE CIEL MÊME, AFIN DE SE PRÉSENTER MAINTENANT POUR NOUS DEVANT LA FACE DE DIEU. (IX, 24, JUSQU’A X, 7)

Analyse.

  • 1. Gloire du premier et du second temple juif. – Le ciel est le temple des chrétiens, et leur pontife y entre couvert de son propre sang. – Cette entrée, ce sang, ce temple, cette oblation unique et suffisante, marquent assez la prééminence de Jésus-Christ et de son Testament.
  • 2. Il nous a délivrés de la mort, simple sommeil, en attendant la résurrection. – Il est mort pour tous les hommes, et pour les anges mêmes, dit l’orateur.
  • 3. Un seul sacrifice est désormais suffisant : la multiplicité des victimes chez les Juifs prouve leur impuissance. – Pourquoi la messe quotidienne cependant. – Admirable doctrine dont le concile de Trente n’est que l’écho.
  • 4 et 5. Le nombre des communions n’en fait pas le mérite, mais bien la préparation. – Celle de la sainte quarantaine ne suffit pas, surtout si la communion est suivie de rechutes. – La sainteté est nécessaire. – Voix du diacre, voix du prêtre qui nous crie : Les choses saintes sont pour les saints. – La sainteté consiste surtout à voir juste et à bien vivre. – Longue et belle métaphore tirée de l’œil humain.

1. Un grand sujet d’orgueil pour les juifs, c’était leur temple et leur tabernacle. « Le temple du Seigneur », répétaient-ils, « le temple du Seigneur ». (Jer 7,5) Et, en effet, jamais au monde ne fut construit temple pareil, au point de vue de la dépense et de la beauté ; sous tout rapport, enfin. Dieu qui l’avait fait bâtir, avait voulu qu’on le construisît avec beaucoup de magnificence, parce que son peuple se laissait éprendre et attirer par les splendeurs matérielles. Les parois intérieures étaient donc revêtues de lames d’or, et si vous voulez savoir d’autres détails, consultez le second livre des Rois ou le prophète Ézéchiel, vous verrez quelle énorme quantité d’or y fut dépensée. Le second temple fut encore plus magnifique en beauté et sous bien d’autres rapports. Il n’était pas seulement splendide et vénérable ; il était encore inique, et ses splendeurs attiraient à lui le monde entier. On s’y rendait des confins de la terre habitée, de Babylone comme de l’Éthiopie. Saint Luc fait allusion à ce concours dans les Actes : « Il y avait », dit-il, « à Jérusalem des Parthes, des Mèdes, des Elamites, de ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée et la Cappadoce, le Pont et l’Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l’Égypte et la contrée de Lybie qui est autour de Cyrène ». – (Act 2,5) Ainsi de toute la terre, on s’y était rendu ; et le nom du temple était connu au loin. Que va faire saint Paul ? Il va raisonner ici, comme il a fait à propos des sacrifices. Comme en face de ces immolations antiques il a placé la mort de Jésus-Christ, ainsi va-t-il au temple ancien opposer le ciel tout entier. Et non content de cette différence matérielle, il ajoutera que le prêtre de la nouvelle alliance s’est bien plus approché de Dieu. « Jésus-Christ », dit-il, « n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, mais dans le ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu ».

Il déclare que Notre-Seigneur s’est présenté devant la face de Dieu ; il grandit ainsi le sacerdoce nouveau, non seulement à raison du ciel où il est, mais aussi pour cette entrée sublime du pontife, qui lui fait contempler non par symbole seulement, mais en face DIEU lui-même. Comprenez-vous maintenant que tout ce qu’il a dit d’humble au sujet de Jésus, il l’a dit par condescendance pour nous ? Serez-vous encore étonnés que le divin Sauveur intercède, puisque l’apôtre vous montre en lui le Pontife ? « Non cependant qu’il s’offre souvent lui-même, comme ce grand prêtre qui entre dans le Saint des Saints tous les ans, en se couvrant du sang d’une victime étrangère (25) » ; car Jésus n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, qui n’était que la figure du véritable. Ainsi celui d’à présent est véritable ; l’autre n’était que figuratif. Le temple était construit sur le modèle du ciel des cieux.

Mais que dit l’apôtre ? Quoi ? S’il n’était pas entré au ciel, il n’aurait pas eu la claire vision de Celui qui est partout et emplit tout ? Vous voyez que c’est de Jésus-Christ comme homme que parle l’apôtre. Il dit que « pour nous » il s’est présenté devant la face de Dieu. Qu’est-ce à dire, pour nous ? Il est monté, nous dit-il, avec un sacrifice capable d’apaiser le Père. – Mais pourquoi, dites-moi ? Était-il ennemi lui-même ? – Les anges l’étaient, mais non pas lui ; car pour ce qui regarde les anges, écoutez l’oracle de saint Paul : « Jésus a pacifié tout ce qui était sur la terre et tout ce qui était au ciel ». (Col 1,20) Il a donc raison de dire que Jésus est entré dans le ciel, afin de se présenter pour nous devant la face de Dieu. Il s’y présente, en effet, mais pour nous.

« Et il n’y est pas ainsi entré pour s’offrir lui-même souvent, comme le grand prêtre entre tous les ans dans le sanctuaire, en se couvrant d’un sang étranger ». Vous voyez comme les différences sont nombreuses. Une fois, lui ; l’autre, souvent ; l’un entre avec son propre sang, l’autre avec un sang étranger. Grandes différences. – Jésus est donc à la fois sacrifice, prêtre et victime. S’il n’était pas tout cela, s’il devait offrir plusieurs sacrifices, il faudrait qu’il fût plusieurs fois crucifié : « Autrement », dit-il, « il aurait fallu qu’il eût souffert plus d’une fois depuis la création du monde (26) ».

Mais voici une parole profonde et mystérieuse : « Au lieu », dit-il, « qu’il n’a souffert qu’une fois vers la fin des siècles ». Pourquoi : « Vers la fin « des siècles ? » Après de nombreux péchés commis dans le monde. Si tout s’était passé dès le commencement, personne ne l’aurait cru ; et son incarnation avec tous ses dévouements devenaient inutiles ; Jésus-Christ, en effet, n’aurait pu convenablement mourir deux fois. Mais après un long règne du péché, il convenait qu’il se montrât. C’est, au reste, ce qu’il dit ailleurs : « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Rom 5,20) « Et maintenant une seule fois vers la fin des siècles, il a souffert pour abolir le péché en s’offrant lui-même pour victime ».

2. « Et comme il est arrêté que tous les hommes meurent une fois, et qu’ensuite ils soient jugés… (27) ». Après avoir prouvé que Jésus-Christ n’avait pas besoin de subir la mort plus d’une fois, saint Paul nous apprend pourquoi il dut mourir une fois. Il est établi, dit-il, pour tous les hommes de mourir une fois, voilà donc pourquoi il est mort une fois pour tous les hommes. Mais, dès lors, comment ? Est-ce que nous ne subissons plus la mort dont il s’agit ici ? Sans doute, oui, nous la subissons, mais non pour y demeurer ; et déjà ce n’est plus mourir. Car la tyrannie de la mort, sa terrible réalité existe tout entière quand le mort n’a plus pouvoir de revenir à la vie. Que s’il revit après le coup fatal, et surtout s’il retrouve une vie meilleure, non ce n’est plus une mort, c’est un sommeil. Or, comme nous étions condamnés à rester toujours captifs sous cette main de la mort, le Sauveur est mort précisément pour nous délivrer.

« Ainsi Jésus-Christ a été offert une seule fois (28) ». Par qui, offert ? Far lui-même, ce qui montre en lui non seulement le prêtre, mais encore la victime et le sacrifice. Ensuite l’apôtre nous donne la raison de cette oblation : « Offert une fois », dit-il, « pour effacer les péchés de plusieurs ». Pourquoi de plusieurs et non pas de tous ? Parce que tous n’ont pas cru. Il est mort pour les sauver tous ; il a fait, en ceci, tout son devoir. Cette mort divine équivalait à la mort de tous les hommes ; mais elle n’a ni éteint, ni levé les péchés de tous les hommes, parce qu’eux-mêmes s’y sont refusés. Mais qu’est-ce que « lever les péchés ? » Cette expression rappelle notre prière à l’offertoire, alors que présentant nos péchés, nous disons : « Que nous a ayons péché volontairement ou involontaire« ment, Seigneur, pardonnez-nous ». Ainsi les lever, c’est nous en souvenir, et en implorer aussitôt le pardon. C’est exactement ce qui s’est fait par Notre-Seigneur. Et quand l’a-t-il fait ? Écoutez sa réponse : « Pour eux, je me sanctifie moi-même ». (Jn 17,19) Il a enlevé aux hommes leurs péchés et les a offerts à son Père, non pour requérir contre eux, mais pour les leur remettre ; « Et la seconde fois il apparaîtra sans péché pour le salut de ceux qui l’attendent sans péché ». Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’il ne viendra plus pour effacer nos péchés, pour anéantir nos iniquités, pour mourir de nouveau. Car s’il est mort, ce n’est pas qu’il dût ce tribut à la nature, ce n’est pas non plus qu’il eût péché. « Il apparaîtra », comment ? Comme vengeur, pouvait-il dire ; mais laissant cette parole, il en prononce une bienheureuse et bien douce : « Il apparaîtra sans péché, pour le salut de ceux qui l’attendent », pour que désormais ils n’aient plus besoin de sacrifices ; pour les sauver enfin, mais d’après leurs œuvres.

« Car la loi n’ayant que l’ombre même des biens à venir et non l’image même des choses réelles », c’est-à-dire qu’elle n’en avait pas la vérité. Car jusqu’à ce qu’on pose les couleurs sur un tableau, ce n’est qu’une ébauche ; mais quand le dessin a disparu sous la couleur, c’est un portrait. La loi, c’était quelque chose de pareil. Reprenons : « Car la loi n’ayant que l’ombre des biens à venir et non la vérité même des choses (entendez le vrai sacrifice, la vraie rémission des péchés), malgré les mêmes victimes qu’on ne cesse d’offrir, elle ne peut rendre justes et parfaits ceux qui s’approchent de l’autel. Autrement on aurait cessé de les offrir, parce que ceux qui lui rendent ce culte n’auraient plus senti leur conscience chargée de péchés, en ayant été une fois purifiés. Et cependant on y fait mention de nouveau tous les ans des péchés. Car il est impossible que le sang des taureaux et des boucs ôte le péché. C’est pourquoi le Fils de Dieu entrant dans le monde, dit : Vous n’avez pas voulu d’hostie ni d’oblation ; mais vous m’avez formé un corps. Vous n’avez point agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : Me voici ; il est écrit de moi à la tête du livre : Je viens, mon Dieu, pour faire votre volonté. Après avoir dit : Vous n’avez point voulu et vous n’avez point agréé les hosties, les oblations, les holocaustes et les sacrifices pour le péché, qui sont toutes choses qui s’offrent selon la loi ; il ajoute ensuite : Me voici, je viens pour faire, ô Dieu, votre volonté. Il abolit ces premiers sacrifices, pour établir le second ». (10,1-9) Vous voyez quelle abondance de preuves. Notre victime est unique, dit-il ; les vôtres nombreuses ; et leur grand nombre même prouve leur impuissance.

3. En effet, dites-moi, à quoi bon plusieurs victimes, quand une seule suffît ? Leur nombre et leur offrande perpétuelle montrent que ceux qui les offrent ne sont pas purifiés. Quand un médicament est fort, capable de rendre la santé et de guérir entièrement la maladie, il suffit de le prescrire une fois pour qu’il opère tout son effet. Et si, prescrit une fois, il a opéré parfaitement, sa force est démontrée par cela seul qu’on ne l’ordonnera plus ; son action est évidente, par cela même qu’on n’y fait plus appel. Au contraire, s’il faut le répéter toujours, c’est qu’évidemment il est sans vertu ; car le propre d’un spécifique, c’est d’être prescrit une fois et non pas souvent. Appliquez ici cette comparaison. Pourquoi enfin faut-il toujours les mêmes victimes ? S’ils étaient délivrés de tous leurs péchés, pourquoi offrir chaque jour de nouveaux sacrifices ? En effet, il était établi qu’on sacrifierait pour le peuple entier tous les jours, chaque soir et même pendant]ajournée. Cette pratique accusait les péchés des juifs et ne les remettait pas ; elle avouait leur faiblesse et ne manifestait pas sa vertu. Une première immolation avait été impuissante : on en offrait une seconde ; celle-ci ne produisait rien elle-même, il en : fallait une troisième ; c’était donc une déclaration sans réplique de leurs péchés. Le sacrifice était une preuve du péché, le sacrifice sans cesse réitéré était un aveu de l’impuissance du sacrifice.

En Jésus-Christ, le contraire a lieu. Il a été offert une fois, et à perpétuité ce sacrifice suffit. Aussi l’apôtre, avec raison, appelle les offrandes antiques des « copies » : elles n’ont, de leur modèle, que la figure, et non pas la vertu. C’est ainsi que les portraits ont l’image du modèle, sans en avoir la vertu. L’original et la figure ont quelque chose de commun : ils ont la même apparence, mais non la même force. Ainsi en va-t-il du ciel comparé au tabernacle ; il y a similitude entre eux, sainteté de part et d’autre : mais la vertu et le reste ne sont plus les mêmes.

Comment entendre que le Seigneur, par son sacrifice, est apparu pour la ruine du péché ? Qu’est-ce que cette ruine ? C’est une sorte d’exclusion avec mépris ; le péché n’a plus de pouvoir, il est ruiné, disgracié. Comment encore ? Il avait droit à réclamer notre châtiment, et il ne l’a pas obtenu ; en cela, il est exclu avec violence. Lui qui attendait l’heure de nous évincer tous et de nous détruire, a été lui-même supprimé et anéanti. – Jésus est apparu par son sacrifice, c’est-à-dire, il s’est montré lui-même, il s’est approché de Dieu. Quant aux prêtres des juifs, n’allez pas croire qu’en répétant souvent leur immolation dans une même année, ils le fissent au hasard, et non pas à cause de l’impuissance de leurs sacrifices. Si ce n’était par impuissance, pour quel autre motif agir ainsi ? Quand une plaie est guérie, il n’est plus besoin d’appliquer les médicaments. C’est pourquoi, dit saint Paul, Dieu a ordonné qu’on ne cessât d’offrir par impuissance même de guérir, pour rappeler sans cesse aux juifs la mémoire de leurs péchés.

Mais quoi ? Est-ce que nous n’offrons pas aussi tous les jours ? Sans doute, nous offrons ainsi ; mais nous ne faisons que rappeler la mémoire de la mort de Jésus-Christ, car il n’y a qu’une hostie et non pas plusieurs. Pourquoi une seulement et non pas plusieurs ? Parce qu’elle n’a été offerte qu’une seule fois, comme il n’y avait qu’un seul sacrifice offert dans le Saint des Saints : or ce sacrifice était la figure du nôtre, de celui que nous continuons d’offrir. Car nous offrons toujours le même, et non pas aujourd’hui un agneau, demain un autre ; non, mais toujours le même. Pour cette raison, notre sacrifice est unique. En effet, de ce qu’on l’offre en plusieurs endroits, s’ensuit-il qu’il y ait plusieurs Jésus-Christ ? Non, certes, mais un seul et même Jésus-Christ partout, qui est tout entier ici, et tout entier là, un seul et même corps. Comme donc, bien qu’offert en plusieurs lieux, il est un seul corps et non pas plusieurs corps, ainsi n’avons-nous non plus qu’un seul sacrifice. C’est notre Pontife qui a offert cette victime, qui nous purifie. Et nous offrons maintenant aussi celle qui fut alors présentée et qui ne peut s’épuiser jamais. Et nous le faisons maintenant en souvenir de ce qui se fit alors : « Faites ceci en mémoire de moi », dit-il. Ce n’est pas à chaque fois une immolation différente, comme le grand prêtre d’alors, c’est la même que nous faisons ; ou plutôt d’un seul sacrifice nous faisons perpétuellement mémoire.

4. Mais, puisque j’ai rappelé ce grand sacrifice, il faut que je vous en parle un peu, à vous qui êtes initiés aux mystères ; je dis un peu, parce que je serai court ; je devrais dire grandement, à cause de l’importance et de l’utilité de ce sujet, car ce n’est pas moi qui parle, mais le Saint-Esprit. Que dirai-je donc ?. Plusieurs, en toute une année, ne participent qu’une fois à ce sacrifice ; d’autres, deux fois ; d’autres, souvent. Je m’adresse donc à tous les chrétiens, non seulement à ceux qui sont ici, mais encore à ceux qui demeurent dans le désert ; car les solitaires n’y prennent part qu’une fois l’an, souvent même à peine une fois en deux ans. Mais, après tout, qui sont ceux que nous approuverons le plus de ceux qui communient une fois, de ceux qui communient souvent, ou de ceux qui communient rarement ? Pas plus les uns que les autres ; mais ceux-là seuls qui s’y présentent avec une conscience pure, avec la pureté du cœur, avec une vie à l’abri de tout reproche. Présentez-vous ces garanties ? venez toujours ! Ne les offrez-vous point ? ne venez pas même une fois. Pourquoi ? parce que vous y recevriez votre jugement, votre condamnation, votre supplice. N’en soyez pas étonnés : car ainsi qu’un aliment nourrissant de sa nature, ruais qui tombe dans un corps rempli déjà d’autres aliments mauvais ou d’humeurs malignes, achève de tout perdre et de tout gâter, et occasionne une maladie ; ainsi agissent nos augustes mystères.

Quoi ! vous jouissez d’une table spirituelle, d’une table royale, et de nouveau votre bouche se souille de fange ? Vous parfumez vos lèvres pour les remplir bientôt d’ordure ? Dites-moi, lorsqu’au terme d’une longue année vous participez à la communion, pensez-vous que quarante jours vous suffisent pour purifier les péchés de toute cette période ? Et même encore, à peine une semaine se sera-t-elle écoulée après votre communion, que vous vous livrerez à vos anciens excès ! Or, si après quarante jours à peine de convalescence d’une longue maladie, vous vous permettiez sans mesure tous les aliments qui engendrent les maladies, ne perdriez-vous pas votre peine et vos efforts passés ? Car si les forces naturelles subissent elles-mêmes des altérations, combien plus celles de nos résolutions et de notre libre arbitre ! Par exemple, la vue est une faculté naturelle ; nous avons naturellement les yeux sains, mais souvent une indisposition blesse chez nous ce précieux organe. Si donc ces facultés physiques peuvent s’altérer, combien plus facilement celles qui dépendent de notre liberté ! Vous accordez quarante jours, peut-être même moins, à la santé de votre âme, et vous croyez avoir apaisé votre Dieu ! O homme ! vous moquez-vous enfin ?

Je parle ainsi, non pour vous éloigner de cet unique et annuel accomplissement d’un devoir, mais parce que je voudrais que tous nous pussions le remplir assidûment. Au reste, je ne suis que l’écho de ce cri du diacre qui tout à l’heure appellera les saints, et qui par cette parole semblera sonder les dispositions de chacun, afin que personne n’approche sans préparation. De même que dans up troupeau où la plupart même des brebis sont saines, s’il s’en trouve qui soient malades, il faut qu’on les sépare des brebis saines, ainsi en est-il dans l’Église ; parmi nos ouailles, les unes sont saines, les autres malades, et la voix du ministre de l’autel partout retentissante, les sépare ; et cette voix terrible est l’écho de celle du prêtre qui appelle et attire exclusivement les saints. En effet, il est impossible à l’homme de connaître la conscience de son prochain : « Car », dit l’apôtre, « qui parmi les hommes connaît les secrets de l’homme, sinon la conscience humaine, parce qu’elle est dans l’homme ? » (1Co 2,11) C’est pourquoi la voix terrible retentit au moment où s’est achevé le sacrifice, afin que personne ne s’approche avec irréflexion et témérité de la grande source des grâces.

Dans un troupeau (car rien ne nous empêche d’exploiter encore cet exemple), dans un troupeau, nous démêlons, pour les enfermer à part, les animaux malades ; nous les retenons dans les ténèbres, nous leur donnons une nourriture spéciale ; nous ne leur permettons ni de respirer l’air trais, ni de se nourrir de l’herbe pure, ni de sortir pour aller boire aux fontaines. Eh bien ! cette voix du sanctuaire est aussi comme une chaîne. Vous ne pouvez dire : J’ignorais, je ne savais pas que la chose eût des conséquences dangereuses. C’est contre cette ignorance surtout que Paul a tonné. Vous direz peut-être : Je ne l’ai pas lu. Cela vous accuse, loin de vous excuser. Vous venez tous les jours à l’Église et vous ignorez un point de cette importance !

5. Au reste, pour que vous ne puissiez vous couvrir d’un tel prétexte, le prêtre debout en un lieu éminent, et levant la main, comme le héraut de Dieu, crie à haute voix et d’un ton terrible-; vous l’entendez au milieu d’un silence redoutable appeler d’une voix forte les uns, et repousser les autres : c’est le prêtre, il ne fait pas seulement le geste de la main, mais ses lèvres s’expriment plus clairement, plus nettement qu’une main menaçante. Cette voix pénétrant dans nos oreilles, est comme un bras puissant qui expulse les uns et les chasse dehors, tandis qu’il fait entrer et placer les autres. Dites-moi, je vous prie, aux jeux olympiques, n’avez-vous pas vu se lever le héraut, criant à haute et intelligible voix : Est-il quelqu’un qui accuse tel candidat d’être un vil esclave, un voleur, un libertin ? Or, ces combats n’ont rien pour l’esprit, le cœur ni les mœurs ; tout y représente le corps et la force physique. Si donc pour ces exercices purement corporels, on fait une enquête si sérieuse des habitudes et de la conduite, bien plus est-elle requise quand il s’agit entièrement d’un combat de l’âme. Voici donc parmi nous aussi un héraut debout, prêt déjà, non pas à nous prendre et à nous conduire en nous tenant par la tête, mais à nous tenir tous ensemble par notre conscience ; le voici qui ne fait pas appel à des accusateurs contre nous, mais qui nous oblige à nous accuser nous-mêmes. Il ne demande pas : Est-il quelqu’un pour accuser cet homme ? Mais, écoutez ; est-il quelqu’un qui s’accuse lui-même ? Car lorsqu’il dit : Les choses saintes sont pour les saints, il dit quelque chose d’équivalent : Arrière celui qui n’est pas saint ! Il faut, dit-il, non seulement être pur de péchés, mais être saint. La délivrance et – le pardon des fautes ne suffisent pas pour sanctifier ; il faut encore là présence de l’Esprit-Saint, et l’abondance des bonnes œuvres. Je vous veux, ajoute-t-il, non seulement exempts de souillures, mais déjà splendides de beauté et de blancheur. Car si le roi de Babylone, en choisissant les jeunes gens de la captivité, s’arrêta sur les mieux faits de corps et les plus beaux de visage, bien plus faut-il que les convives de cette table du souverain Roi, brillent par la beauté de leur âme, que l’or éclate sur eux, que leurs vêtements soient irréprochables, leur chaussure royale et toute leur physionomie spirituelle pleine de grâce, qu’ils aient parure d’or et ceinture de vérité. Qu’il approche le chrétien ainsi disposé, qu’il trempe ses lèvres au royal breuvage !

Mais s’il en est un, couvert de haillons, souillé d’ordure, et qu’il veuille avec ce honteux appareil approcher du banquet royal, imaginez quel supplice et quels remords l’attendent, puisque quarante jours ne suffisent pas à laver les péchés commis pendant une longue période de temps. Car si l’enfer ne suffit pas, bien qu’il soit éternel, (il n’est éternel, en effet, que parce qu’il est insuffisant), bien moins doit-on se contenter de ce temps si court de la sainte quarantaine. Ainsi faite, notre pénitence n’est point valide, mais impuissante.

Le divin Roi demande surtout de saints eunuques. Par eunuques j’entends ceux qui ont le cœur pur, sans souillure, sans tache, ceux dont l’âme est élevée ; je leur demande surtout un œil du cœur, doux et pacifique, un œil pénétrant et vif, sévère et attentif, et non pas somnolent et paresseux ; un œil libre et franc, mais non point hardi ni présomptueux ; un œil vigilant et fort, ennemi de la tristesse exagérée autant que d’une gaieté folle et dissipée. L’œil de notre cœur avec toutes ses vertus, sera notre œuvre ; si nous voulons, nous pouvons nous former un regard très beau et très-pénétrant. Évitons d’exposer cet organe de la vue à la fumée et à la poussière, image trop vraie de toutes les choses humaines ; nourrissons-le d’air pur et vif ; dressons-le à contempler les hauteurs et les sommets sublimes, à plonger dans les milieux calmes, purs, réjouissants : bientôt nous l’aurons à la fois guéri et fortifié, en le baignant dans ces perspectives enchanteresses.

Ainsi, avez-vous aperçu des richesses mal acquises et excessives ? Ne levez pas les yeux de ce côté : votre organe y trouverait boue et fumée, vapeur malsaine et ténèbres, angoisses cuisantes et ennuis suffocants. Avez-vous vu au contraire un homme juste, content de ce qu’il a, très-large à pardonner, sans souci ni inquiétude des biens présents ? Fixez, élevez sur lui votre regard ; votre cil n’en deviendra que plus beau et plus clair, si vous le repaissez non de la vue des fleurs, mais plutôt de celle de la vertu, du désintéressement, de la modération, de la justice, de tontes les saintes habitudes. Car rien ne trouble l’œil, autant que la mauvaise conscience. « Mon cœur s’est troublé de colère », dit le Prophète ; rien ne répand en effet de plus épaisses ténèbres. Épargnez-lui cette triste épreuve, et vous le rendrez joyeux, vif et fort, et capable de se nourrir toujours de saintes espérances.

Que Dieu nous donne à tous d’acquérir cet œil parfait et de régler ainsi toutes les opérations de notre âme selon la volonté de Jésus-Christ, afin que devenus dignes du chef sublime qui nous commande, nous partions un jour pour son saint rendez-vous. Car il dit : où je suis, je veux qu’ils soient aussi avec moi, et qu’ils aient la vision de ma gloire. (Jn 17,24) Puisse-t-il nous être donné de la gagner en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVIII.

VOUS N’AVEZ POINT VOULU ET VOUS N’AVEZ POINT AGRÉÉ LES HOSTIES, LES OBLATIONS, LES HOLOCAUSTES ET LES SACRIFICES POUR LE PÉCHÉ, TOUTES CHOSES QUI S’OFFRENT SELON LA LOI. (X, 8, JUSQU’À 18)

Analyse.

  • 1. Les sacrifices étaient abolis dans la volonté de Dieu, quand arriva Jésus-Christ. – La volonté de Dieu ne se confond pas avec son désir : il n’exige pas toujours ce qu’il désirerait de nous. – Pourquoi Notre-Seigneur attend avant de frapper, ses ennemis ? Qui sont, ceux qui encourent son inimitié ?
  • 2 et 3. La pauvreté enseignée déjà comme vertu dans l’Ancien Testament, est déclarée comme telle avec bien plus d’évidence dans le Nouveau. – C’est la pauvreté qui donne aux prophètes et aux apôtres leur sublime courage, et à tout homme une sainte liberté. – La pauvreté est une véritable richesse. – Elle vous donne, à vous personnellement, de grandes vertus et des facilités pour le ciel ; extérieurement, d’ailleurs, elle vous affranchit du besoin dés autres et vous rend plus heureux qu’un roi. – La pauvreté fait des miracles avec saint Pierre, et vous gagne le ciel quand, par amour pour elle et pour les indigents, on s’est dépouillé de tout.

1. L’apôtre a démontré précédemment l’inutilité des sacrifices juifs pour la pureté et la sainteté parfaite de nos âmes ; il a fait voir en eux des figures et des images, et encore bien impuissantes. Une objection se présentait : Pourquoi, si c’étaient des figures et des ombres, pourquoi n’ont-ils pas cessé, aussitôt l’avènement de la vérité ? Comment, loin d’avoir fini, se célèbrent-ils encore ? Il prouve donc maintenant avec évidence qu’ils ne s’accomplissent déjà plus, pas même à titre de copies et de figures, puisque Dieu ne veut plus les accepter. Il n’invoque, au reste, aucun nouvel argument pour les condamner ; il lui suffit de produire un témoignage antique autant qu’irréfragable, celui des prophètes qui rappellent aux juifs la fin et la mort imminente de ces rites usés, et qui leur reprochent d’agir avec témérité en toutes choses et de résister toujours à l’Esprit-Saint il prouve même clairement que leurs sacrifices n’ont pas cessé du jour où il parle, mais dès celui où Notre-Seigneur entra dans le monde, et même avant son avènement ; de sorte que Jésus-Christ n’a pas dû les réprouver ni les abolir, mais qu’aussitôt leur abolition et réprobation, le Messie arriva. Afin que les juifs ne pussent dire : Nous pouvons encore plaire à Dieu sans le nouveau sacrifice, le Christ a attendu pour venir que les anciens sacrifices fussent reconnus inutiles même parmi eux. Voici en effet ce que dit le Seigneur, par la bouche du Prophète :.« Vous n’avez plus voulu, de sacrifices ni d’offrandes » ; paroles qui anéantissent tous les anciens rites ; et après s’être ainsi exprimé en général, il condamne chacun de ces rites en particulier : « Vous n’avez pas agréé les holocaustes pour le péché », continue-t-il. Tout ce qu’on présentait à Dieu, en dehors du sacrifice, s’appelait offrande.

« Alors j’ai dit : Voici que je viens ». Quel est le personnage désigné ici par le Prophète ? Nul autre que Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel en ce passage n’accuse point ceux qui faisaient les offrandes ; montrant que, s’il ne les agrée plus, ce n’est pas à cause de leur malice et de leurs péchés, raison qu’il allègue ailleurs pour réprouver leurs présents ; mais qu’il les repousse aujourd’hui parce qu’il est d’ailleurs prouvé, parce que l’expérience a démontré que tout ce culte est sans puissance aucune et n’est plus en harmonie avec, son époque. N’est-ce pas ajouter une nouvelle raison à celle déjà donnée, de la multiplicité des sacrifices ? Mais ce n’est pas seulement cette multiplicité qui, selon, lui, en révèle l’impuissance et le néant ; c’est ce fait encore, que Dieu n’en veut, puis comme étant inutiles et stériles. Aussi dit-il ailleurs : « Si vous aviez voulu un sacrifice, j’en aurais offert u (Psa 51,18) ; indiquant encore qu’il n’en veut plus. Donc les sacrifices ne sont plus le désir de Dieu, qui en veut au contraire l’abolition, et c’est contre son gré que désormais on les fait.

« Pour faire votre volonté ». Qu’est-ce à dire ? Pour me donner moi-même ; car telle est la volonté de Dieu, volonté par laquelle nous avons été sanctifiés. Il nous révèle ainsi que la volonté de Dieu, et non pas les sacrifices, purifie les hommes ; la continuation des sacrifices n’était donc pas dans la volonté de Dieu. Serez-vous étonnés, au reste, qu’ils ne soient plus maintenant dans le désir de Dieu, lorsque déjà, dès le commencement ils lui étaient plus qu’indifférents ? « Car », dit-il dans Isaïe : « qui donc vous a demandé ces offrandes de vos mains ? » (Isa 1,12) – Et toutefois, il les avait commandées ; pourquoi ? Pour s’abaisser à leur niveau, comme quand Paul disait : « Je désire que tous les hommes vivent comme moi dans la continence » (1Co 7,7) ; ajoutant au contraire : « Je veux que les jeunes « veuves se marient, qu’elles aient des enfants ». (1Ti 5,45) Voilà l’expression de deux volontés, mais qui ne sont pas toutes deux son désir, bien qu’il commande dans les deux cas : la première est bien la sienne, et il la déclare sans y apporter de motif ; la seconde, bien qu’il l’énonce, n’est pas son désir, aussi en a-t-il formulé la raison, commençant par accuser ces femmes de s’adonner au luxe et au plaisir contre la loi de Jésus-Christ, et ajoutant en conséquence : « Je veux que les jeunes veuves se marient, qu’elles aient des enfants ». C’est ainsi que Dieu, s’accommodant à la faiblesse de son peuple, avait réglé son culte. Sa volonté première n’était pas pour ce rite des sacrifices. Ainsi quelque part il déclare qu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais plutôt qu’il se convertisse et qu’il vive. (Eze 18,23) Ailleurs, au contraire, il déclare non seulement qu’il l’a voulue, mais qu’il l’a désirée. Voilà deux idées contraires : car le désir est une forte volonté. Comment pouvez-vous, ô mon Dieu, refuser ici ce que vous désirez ailleurs, puisque ce désir indique votre volonté plus grande ? C’est dans le sens que nous avons dit ici.

« Et c’est cette volonté de Dieu qui nous a sanctifiés », ajoute-t-il. « Sanctifiés », comment ? Lui-même l’explique : « Par l’oblation du corps de Jésus-Christ qui a été faite une seule fois. Aussi, au lieu que tous les prêtres se tiennent debout tous les jours devant Dieu sacrifiant et offrant plusieurs fois les mêmes victimes ». La position debout accuse donc le serviteur et le ministre ; tandis que la position assise indique celui qui reçoit le service et l’hommage. « Celui-ci ayant offert une seule hostie pour les péchés, est assis pour toujours à la droite de Dieu, où il attend ce qui reste à accomplir : Que ses ennemis soient réduits à lui servir de marchepied. Car par une seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés. Et c’est ce que l’Esprit-Saint nous a déclaré lui-même ». Il déclare que ces oblations n’ont plus lieu, et il le démontre par les faits écrits et non écrits. Au reste, il avait cité auparavant le texte du Prophète « Vous n’avez plus voulu de sacrifice ni d’offrande ». Il avance aussi que Dieu a remis nos péchés, et il le prouve cette fois par un témoignage d’Écriture sainte : « L’Esprit-Saint », dit-il, « nous l’a déclaré lui-même, car après avoir dit : Voici l’alliance que je ferai avec eux ; après que ce temps-là sera arrivé, dit le Seigneur, j’imprimerai mes lois dans leur cœur et je les écrirai dans leur esprit, il ajoute : Et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ni de leurs iniquités : or, quand les péchés sont remis, il n’y a plus d’oblation à faire pour les péchés (10-18) ».

Il a donc remis les péchés, quand il nous a donné son testament ; et il nous a donné son testament par son sacrifice. Si donc il a effacé les péchés par ce sacrifice unique, il n’en faut plus même un second. « Il est assis », remarque-t-il, « à la droite de Dieu, attendant le reste ». Quelle est la cause de ce délai ? C’est que ses ennemis doivent être placés sous ses pieds. « Car une seule offrande, d’ailleurs, a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés ». – Mais, dira peut-être quelqu’un : Pourquoi ne pas prosterner sur-le-champ ses ennemis ? – A cause des fidèles qui devaient naître et lui être engendrés. – Mais qu’est-ce qui prouve qu’un jour cet abaissement aura lieu ? – C’est cette position assise et majestueuse que lui donne Dieu même. – L’apôtre a donc rappelé le magnifique témoignage de David : « Jusqu’à ce « qu’il place ses ennemis sous ses pieds », et ses ennemis sont les juifs. Après avoir rappelé cette promesse de Dieu au Christ, de réduire ses ennemis à lui servir de marchepied, comme cette promesse ne s’accordait pas avec l’état actuel des choses, puisqu’alors les juifs persécutaient les chrétiens, saint Paul pour rassurer les fidèles, leur parle longuement de la foi dans ce qui suit. Mais encore une fois, qui sont ses ennemis ? Les juifs, sans doute, mais aussi tous les infidèles et les démons. Et pour indiquer à demi-mot leur humiliation complète, il ne dit pas qu’ils lui seront soumis seulement, mais qu’ils seront placés sous ses pieds. Gardons-nous donc d’être de ses ennemis, et sachons que les infidèles et les juifs ne sont pas les seuls dans son inimitié, mais aussi tous ceux dont la vie est remplie d’impuretés et de péchés. « Car la prudence de la chair est ennemie de Dieu ; elle n’est pas soumise, en effet, elle ne peut même l’être à la loi de Dieu ». Quoi donc ? direz-vous ; est-ce là un crime ? – Et un très-grand. Le méchant, tant qu’il reste dans sa malice, né peut être soumis à Dieu ; mais le repentir qui lui est possible, peut le rendre bon et fidèle.

2. Bannissons donc les pensées et les sentiments charnels. Charnels, qu’entends-je par là ? Tout ce qui rend le corps florissant et brillant de santé, et qui apporte à l’âme la laideur et la maladie : comme par exemple, tout ce qu’on appelle richesses, délices, gloire. Le principe charnel se reconnaît tout entier en un mot. c’est l’amour de nos corps. Ne désirons point la richesse, embrassons plutôt la pauvreté, car elle est un grand bien. – Mais elle rabaisse, dira-t-on ; elle dégrade et avilit aux yeux des hommes. – C’est précisément ce dont nous avons le plus besoin, c’est notre plus grand intérêt. « La pauvreté », dit le Sage, « donne l’humilité ». Et Jésus-Christ « Bienheureux les pauvres de bon gré ! » Quoi ! vous plaindrez-vous d’être sur la voie qui conduit à la vertu ? Ignorez-vous que la pauvreté nous donne une grande confiance auprès de Dieu ? – Mais, répliquez-vous, « le Sage a dit que la sagesse du pauvre n’est pas estimée » (Ecc 9,16) ; il s’écrie ailleurs : « Seigneur, ne me donnez pas la pauvreté ! » (Pro 30,8) Et « De cette fournaise de la pauvreté, Seigneur, délivrez-moi ! » Mais, s’il est vrai que les richesses comme la pauvreté viennent de Dieu, comment seraient-elles un mal ? Comment accorder tout cela ? – Je réponds que l’on parlait ainsi dans l’Ancien Testament, sous l’empire duquel les richesses comptaient pour beaucoup, tandis que la pauvreté était en grand mépris, tellement qu’on voyait en celle-ci une exécration et une malédiction, tandis que celles-là étaient une bénédiction.

Mais voulez-vous entendre l’éloge de la pauvreté ? Jésus-Christ même l’a prise pour lui : « Le Fils de l’homme », dit-il, « n’a pas où reposer sa tête ». Et parlant à ses disciples : « Ne possédez », leur prescrit-il, « ni or, ni argent, ni deux tuniques ». (Mat 8,20 ; X, 9) Paul écrivait. Nous sommes comme n’ayant rien, et possédant « tout ». (2Co 6,10) Pierre disait à cet homme boiteux de naissance : « Moi, je n’ai ni or ni argent ». (Act 3,6) Jusque dans l’Ancien Testament, d’ailleurs, alors que les richesses étaient tant admirées, quels étaient cependant, dites-moi, les hommes admirables ? N’est-ce pas Élie, qui ne possédait que son vêtement de peau de brebis ? N’est-ce pas Élisée ? N’est-ce pas Jean-Baptiste ?

Que nul donc, à raison de sa pauvreté, ne soit humilié à ses propres yeux. Ce n’est pas la pauvreté qui humilie ; c’est plutôt la richesse qui vous condamne à avoir besoin de tant de personnes et vous crée à leur égard mille obligations de reconnaissance. Qui fut plus pauvre que Jacob qui disait : « Si le Seigneur me donne du pain à manger et un vêtement pour me couvrir ? » (Gen 28,20) Et cependant étaient-ils humiliés de leur pauvreté, Élie et Jean-Baptiste ? Ne parlaient-ils pas au contraire avec beaucoup de hardiesse et de liberté ? N’accusaient-ils pas hautement les rois ; l’un, Achab ; l’autre, Hérode ? A celui-ci, Jean disait : « Il ne t’est pas permis de garder la femme de Philippe ton frère ». (Mrc 6,8) A celui-là, Élie répondait librement et hardiment : « Ce n’est pas moi, c’est vous-même et la maison de votre père, qui jetez le trouble en Israël ». (1Ro 18,18) Voyez-vous que cette condition même, que leur pauvreté donnait encore une plus grande confiance et une plus grande liberté de parole ?

En effet, un riche n’est qu’un esclave, parce qu’il peut perdre quelque chose, et qu’il prête le flanc par là même à qui veut le maltraiter. Mais celui qui n’a rien, ne craint ni la confiscation de ses biens, ni le bannissement. Si la pauvreté enlevait aux hommes leur liberté de parole, Jésus-Christ n’aurait pas envoyé ses disciples avec cette pauvreté pour seule arme, à une conquête qui exigeait avant tout une parole libre et confiante.

Le pauvre, lui, est fort et courageux ; il ne donne pas prise à l’injustice, on ne sait par où le maltraiter ; le riche, au contraire, est attaquable et prenable de tous côtés. Qu’un malheureux traîne autour de lui-même des liens nombreux et prolongés, facilement on l’arrête ; mais il est malaisé de saisir et de retenir un homme nu. La première partie de cette image vous peint le riche esclaves, argent, vastes domaines, affaires infinies, soins innombrables, ennuis, accidents, besoins, sont autant de chaînes par lesquelles tout le monde peut aisément le prendre et l’arrêter.

3. Que personne donc n’envisage la pauvreté comme une cause d’infamie et de déshonneur. Ayez la vertu, et toutes les richesses de la terre ne vous seront que de la boue, qu’un fétu de paille en comparaison. Embrassons la pauvreté, si nous voulons entrer dans le royaume des cieux : « Vendez », a dit Jésus, « vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ». Et encore : « Il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ». (Mat 19,21, 23) Voyez-vous que si la pauvreté n’est pas déjà votre patrimoine, il faut tâcher de l’acquérir ? tant elle est un bien inappréciable ! Oui, car elle vous mène comme par la main sur le chemin qui conduit au ciel ; elle est comme l’onction des athlètes, comme une gymnastique sublime et merveilleuse, comme un port tranquille. – Mais j’ai de grands besoins, dites-vous, et je ne veux rien recevoir gratuitement de personne. En cela le riche est encore bien plus à plaindre que vous. Peut-être, en effet, ne demandez-vous que le nécessaire ; tandis qu’il a, lui, mille raisons honteuses de désirer la richesse, en particulier l’avarice. Les riches ont des besoins nombreux. Que dis-je, nombreux ? Souvent ils manifestent des besoins indignes d’eux-mêmes ; par exemple, il leur faut faire appel à des soldats, à des esclaves ! Le pauvre, lui, n’a pas même besoin de l’empereur, et, pauvre de bon gré, eût-il besoin, il n’est que plus admirable de s’être réduit à l’indigence volontaire, pouvant être riche.

Non, que personne n’accuse la pauvreté d’être la cause de maux sans nombre ; ce serait démentir Jésus-Christ qui la déclare, au contraire, la perfection de la vertu, quand il dit : « Si vous voulez être parfait »… Il l’a proclamé par ses paroles, il l’a montré par ses exemples, il l’a enseigné par ses disciples. Encore une fois, embrassons la pauvreté : car elle est un grand bien pour les vrais sages. Peut-être déjà me comprend-on parmi mes chers auditeurs, et j’ose croire que plusieurs m’applaudissent. En effet, la grande maladie chez la plupart des hommes est là : telle est la tyrannie de cette passion de l’argent, qu’ils n’auraient pas même le courage de le refuser en paroles, et qu’il est pour eux comme une religion et un dieu. Loin de vous ce malheur, âmes chrétiennes ! Sachez que rien n’est riche comme celui qui volontairement et de grand cœur choisit la pauvreté. Est-ce possible ? oui, et j’affirme même, si vous voulez, que celui qui choisit cette pauvreté volontaire est plus riche qu’un roi. Car celui-ci a de nombreux besoins, des ennuis, des craintes, par exemple, pour ses convois militaires qui peuvent manquer ; celui-là, au contraire, jouit d’une quiétude parfaite, et loin d’éprouver mille craintes, n’en garde aucune. Or, dites-moi, quel est le vrai riche, de celui qui chaque jour est inquiet, qui pense, qui s’étudie à amasser encore et toujours, et qui craint de manquer un jour ; ou de celui qui n’amasse rien, à qui tout suffit et abonde, qui n’éprouve aucun besoin, car la vertu et la crainte de Dieu, et non l’argent, donnent une sainte confiance ? L’or possède même le privilège de vous asservir. « Les cadeaux et les présents », dit l’Écriture, « aveuglent les yeux des sages ; ils sont dans leurs bouches comme un frein qui empêche leurs arrêts et leurs réprimandes ». (Sir 20,29)

Considérez comment Pierre, ce noble indigent, punit le riche Ananie. Car celui-ci n’était-il pas riche ; et celui-là, pauvre ? Or, écoutez-le parlant avec autorité et disant : « Est-ce bien à tel prix que vous avez vendu votre champ ? » et l’autre humblement répond : « Oui, c’est à ce prix ! » (Act 5,10) – Mais, dites-vous, qui me donnera d’arriver à la hauteur de Pierre ? – Vous pouvez être aussi grand que Pierre, si vous voulez vous dépouiller de tout ce que vous avez. Semez, donnez aux pauvres, suivez Jésus, et vous serez un autre Pierre. – Mais comment ? car (me dites-vous) il a fait des miracles. – Est-ce donc là, répondez-moi, ce qui a rendu cet apôtre admirable ; et n’est-ce pas plutôt la pleine confiance qu’il a gagnée auprès de Dieu par la sainteté de sa vie ? N’entendez-vous donc pas Jésus-Christ déclarer « Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous obéissent ; si vous voulez être parfaits, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans les cieux ? » (Mat 19,20) Écoutez ce que dit Pierre lui-même : « Je n’ai ni or ni argent ; mais ce que j’ai, je te le donne ». (Act 3,6) Ceci, voyez-vous, on ne l’a point, quand on a l’or et l’argent. – Mais, répondez-vous, bien des gens n’ont ni le don de Pierre, ni ceux de la fortune ! – C’est qu’ils ne sont pas pauvres de leur gré ; car tout pauvre vraiment volontaire, possède tous lesbiens. Encore qu’il ne ressuscite point les morts, encore qu’il ne redresse point les boiteux, il possède, et ce don vaut mieux que ceux du thaumaturge, il possède la confiance en Dieu. De tels pauvres entendront au grand jour ce bienheureux arrêt « Venez, les bénis de mon Père ! (Se peut-il quelque chose de meilleur ?) Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade et en prison, et vous m’avez visité. Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ». (Mat 25,34-36) Fuyons donc l’avarice et la cupidité, pour gagner le royaume des cieux. Nourrissons les pauvres, afin de nourrir Jésus-Christ, et de devenir les cohéritiers de ce Sauveur Jésus, Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIX.

AYANT DONC, MES FRÈRES, LA CONFIANCE QUE NOUS ENTRERONS DANS LE SANCTUAIRE PAR LE SANG DE JÉSUS, PAR CETTE VOIE NOUVELLE QUI MÈNE A LA VIE, ETC. (X, 20, JUSQU’A 26)

Analyse.

  • 1. L’orateur résume les différences déjà trouvées entre le culte israélite et le culte chrétien, et conclut par nous commander la confiance, la foi pleine et entière, et les œuvres saintes. – Il nous recommande une sainte rivalité dans la pratique du bien, une grande droiture dans nos rapports mutuels.
  • 2. L’amour mutuel, plénitude de la loi, n’a qu’une règle : aimer son prochain comme soi-même. – Le pardon des injures est l’application de ce principe. – Nul ne voudrait se haïr : ne haïssons point nos frères. – Le Nouveau Testament et même l’Ancien nous donnent des exemples. – Aimer ses ennemis, c’est au fond s’aimer soi-même et centupler sa récompense.

1. « Ayez confiance », Paul peut nous parler ainsi quand il a montré la différence de pontife, de sacrifice, de tabernacle, de testament, de promesses ; différence très-grande en effet, puisque chez les Juifs tout cela est temporel, et chez nous, éternel ; que là tout s’efface et tombe ; ici, tout est permanent ; d’un côté, on voit la faiblesse ; de l’autre, la perfection ; des ombres et des figures enfin, en face de l’immuable vérité. Écoutez, en effet : « Ce n’est pas selon la disposition d’une loi charnelle, c’est en vertu de sa vie immortelle » que Jésus est prêtre, nous dit-il ; ajoutant qu’il est écrit ailleurs : « Vous êtes prêtre pour l’éternité » voilà déjà la perpétuité du sacerdoce. Quant au testament, « celui-là », dit-il, « est ancien ; or ce qui passe et vieillit, va bientôt finir ». (Heb 7,16 ; VIII, 13) – Le Nouveau possède la rémission des péchés : l’autre n’a rien de semblable : « Car la loi », nous dit-il, « n’a rien mené à perfection ». (Heb 7,19) Et encore : « Mon Dieu ! vous n’avez voulu ni offrande ni sacrifice ». – Le tabernacle était fait de main d’homme : la main de l’homme n’a point construit le nôtre. – L’un vit couler le sang des boucs, l’autre le sang du Seigneur : en celui-là le prêtre se tient debout ; dans notre sanctuaire, il est assis.

Tout étant donc bien moindre d’un côté, et bien plus grand de l’autre, il conclut et nous dit : « C’est pourquoi, mes frères, ayez confiance ». Et pourquoi, confiance ? à cause du pardon. Car, dit-il, comme le péché produit et apporte la honte, ainsi la confiance naît et se produit par la certitude que tous nos péchés nous ont été remis. Et ce n’est pas pour cette raison seulement ; c’est aussi parce que nous sommes devenus ses cohéritiers et les objets de cette immense charité. – « Dans l’entrée au sanctuaire ». Où, cette entrée ? Au ciel, dans une voie et un progrès tout spirituels. – « La voie qu’il a ouverte pour nous », c’est-à-dire, qu’il a construite, et par où il est entré tout d’abord. En effet, ouvrir signifie ici commencer d’user. Or il l’a préparée, cette voie, nous dit-il, et lui-même est entré « dans cette voie nouvelle et vivante ». Il montre ici la plénitude de notre espérance. Cette voie est nouvelle, dit-il ; car il veut nous montrer que nous sommes bien plus grandement partagés que les anciens, puisqu’à présent les portes du ciel sont ouvertes, bonheur que n’avait pas l’époque d’Abraham. Et c’est avec raison qu’il l’appelle voie nouvelle et vivante ; car l’antique voie était un chemin de mort conduisant aux enfers ; celle-ci mène à la vie. Et toutefois il ne l’appelle pas la route de vie, mais la route vivante, c’est-à-dire permanente. – « Par le voile », dit-il, « par sa chair » ; car cette chair sacrée lui ouvrit à lui-même et tout d’abord ce bienheureux chemin, qu’il est dit avoir inauguré, puisqu’avec cette chair, il y est entré le premier. Cette chair, il l’appelle un voile, et à bon droit ; car lorsqu’il eut été enlevé dans le ciel, alors tout ce qui est dans les cieux s’est dévoilé.

« Approchons-nous », dit-il, « avec un cœur sincère ». Qui pourra donc approcher de lui ? L’homme saint, armé de la foi et de l’adoration en esprit ; – « avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi », parce qu’en effet, rien chez nous n’est visible, ni le prêtre, ni le sacrifice, ni l’autel ; bien que, chez les juifs mêmes, le grand prêtre fut invisible aussi, entrant seul au Saint des Saints, tandis que tous les autres, tout le peuple restait dehors. Ici au contraire, non content de montrer que notre prêtre a pénétré dans le sanctuaire, (ce qu’il déclare en ces termes : « Nous avons aussi un grand prêtre qui est établi sur la maison de Dieu »), il déclare que nous y entrerons après lui. « Ayons donc », dit-il, « la plénitude de la foi (21, 22) ». Il peut arriver, en effet, que vous croyiez, mais avec des doutes ; comme plusieurs même à présent prétendent que tels ressusciteront, et que tels autres ne ressusciteront pas. Ce n’est pas là une foi pleine et entière. Il faut croire comme vous croyez à ce que vous voyez, et bien plus fermement encore ; car notre vue peut se tromper même dans les objets qu’elle perçoit ; mais dans les enseignements de la foi, l’erreur est impossible. Dans le premier cas, nous écoutons un de nos sens ; dans le second, l’Esprit divin est notre maître.

« Ayant le cœur purifié des souillures de la mauvaise conscience (23) ». Il enseigne que non seulement la foi est exigée pour le salut, mais aussi la conduite et la vie vertueuse, et une conscience qui ne se reproche aucune iniquité. A défaut de cet ensemble de dispositions, l’on ne peut recevoir en leur plénitude les choses saintes car saintes en elles-mêmes, les choses saintes sont surtout pour les saints. Aucun profane n’entre donc ici ; Israël se purifiait de corps, nous de conscience. Une sainte aspersion nous est encore permise, celle de la vertu. « Ayant eu aussi le « corps lavé dans l’eau qui purifie ». Il parle ici d’un bain qui ne purifie pas le corps, mais l’âme. – « Car l’auteur de nos promesses est fidèle ». Mais à quelles promesses doit-il être fidèle ? C’est que nous avons à sortir d’ici, pour entrer dans un royaume. Au reste, ne sondez pas avec curiosité la parole divine, n’en exigez pas les raisons. Nos saintes vérités requièrent la simplicité de la foi.

« Et ayons les yeux les uns sur les autres pour nous provoquer mutuellement à la charité et aux bonnes œuvres, ne nous retirant pas de l’assemblée des fidèles, comme quelques-uns ont accoutumé de faire, mais nous exhortant les uns les autres, d’autant plus que vous voyez que le jour approche (24, 25) ». – Conformément à ce qu’il dit ailleurs : « Le Seigneur est proche ; soyez sans inquiétude (Phi 4,5) ; Car aujourd’hui notre salut est plus près de nous ». Et encore : « Le temps est court ». (1Co 7,29) – Mais pourquoi faut-il « ne pas abandonner l’assemblée des fidèles ? » C’est qu’il sait qu’une réunion, une congrégation présente, devant Dieu, une force particulière. « Car », a dit le Seigneur, « quand deux ou trois d’entre vous se rassemblent en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ». Il dit aussi : « Qu’ils ne soient qu’un, comme nous ne sommes qu’un ». (Jn 17,11) Et on lit ailleurs : « Tous n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ». (Act 4,32) Et ce n’est pas là le seul avantage d’une réunion ; par sa nature, une assemblée chrétienne commande et augmente la charité ; et cet accroissement de charité emporte et attire un surcroît de bénédictions divines. « La prière », est-il dit, « se faisait sans relâche par tout le peuple ». (Act 12,5) – « Comme quelques-uns ont l’habitude de s’isoler » il ne s’en tient pas à exhorter, il sait reprendre aussi. – « Et ayons les yeux les uns sur les autres pour nous provoquer mutuellement à la charité et aux bonnes œuvres ». Il sait que déjà leurs réunions suivent cette règle. Comme le l’or aiguise le fer, ainsi le rapprochement augmente la charité ; et si une pierre broyée contre une autre pierre, fait jaillir le feu, combien plus une âme qui se fond dans une âme ! Voyez : il ne dit pas : Pour rivaliser entre vous ; mais : « Pour provoquer votre charité mutuelle ». Mais, qu’est-ce que cette provocation de charité ? C’est le désir d’aimer et d’être aimé davantage ; « et vos bonnes œuvres », pour en devenir plus zélés. Car si l’exemple a toujours, bien plus que la parole, la force d’enseigner, vous avez bien des docteurs et des maîtres parmi votre multitude même, puisqu’ils paieront ainsi d’exemple.

« Approchons avec un cœur sincère ». Qu’est-ce à dire ? c’est l’horreur de toute hypocrisie, de toute dissimulation. « Malheur », est-il écrit, « au cœur hésitant, aux mains lâches et paresseuses ! » (Sir 2,12) Qu’aucun mensonge non plus n’ait lieu parmi nous. N’allons pas avoir une parole contraire à notre pensée : c’est là le mensonge. Gardons-nous de la pusillanimité : ce n’est pas la marque d’un cœur vrai. C’est notre défaut de foi qui nous rend pusillanimes. Comment acquerrons-nous la vertu opposée ? si nous savons nous former par la foi des convictions inébranlables. – « Ayant le cœur aspergé ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : purifié, mais aspergé ? Il veut montrer le caractère propre de ce qui fait l’aspersion. Car elle suppose à la fois une œuvre de Dieu et notre œuvre aussi. Asperger et laver la conscience, c’est l’action divine ; mais s’offrir à l’aspersion avec sincérité, avec une conviction pleine et assurée qui vient de la foi, c’est notre part. – Ensuite il attribue aussi à la foi une grande vertu, fondée sur sa vérité et sur la force divine de l’auteur des promesses. – Mais que veut dire : « Ayant aussi le corps lavé par l’eau pure ? » Entendez : par l’eau qui donne une pureté vraie, ou encore par l’eau non mêlée de sang. – Ensuite il ajoute un commandement de perfection, c’est-à-dire la charité : « Ne délaissant pas nos saintes assemblées, comme font plusieurs », qui produisent les schismes il le leur défend expressément. « Car le frère secondé par le frère est comme une ville fortifiée ». (Pro 18,19) – « Mais considérons-nous les uns les autres pour nous provoquer à la charité ». Qu’est-ce que nous considérer mutuellement ? C’est imiter nos frères vertueux ; c’est avoir les yeux sur eux, pour les aimer et en être aimé. Car la charité est la source des bonnes œuvres. Répétons-le donc : se réunir est chose bien utile ; c’est le moyen de rendre la charité plus ardente, et de la charité naissent tous les biens, puisqu’il n’en est aucun que la charité ne puisse produire.

2. Confirmons donc entre nous la charité ; « car l’amour est la plénitude de la loi ». (Rom 13,10) Aimons-nous les uns les autres, et nous n’aurons besoin ni de travaux ni de sueurs pour nous sauver. Ce chemin, de lui-même, conduit à la vertu. Ainsi qu’un voyageur, dès qu’il a trouvé la tête d’une route publique, se trouve aussitôt conduit par elle et n’a pas besoin d’autre guide : ainsi, pour la charité, saisissez-en seulement le commencement, et ce début vous conduira et vous dirigera.

« La charité », dit saint Paul, « est patiente, elle est bienveillante ; elle ne suppose point le mal ». (1Co 13,4) Que chacun de nous réfléchisse en soi-même sur la manière dont il est disposé pour lui-même ; et qu’il ait pour le prochain ce même sentiment. Ainsi nul n’est jaloux de soi-même ; chacun se souhaite tous les biens ; l’on se préfère naturellement aux autres ; pour soi l’on est disposé à tout faire. Si nous avons les mêmes sentiments pour le prochain, tous les maux de l’humanité sont guéris : plus d’inimitiés désormais, plus d’avarice, plus de cupidité. Car qui voudrait se frustrer soi-même ? Personne ; on ferait plutôt le contraire. Dès lors nous posséderons en commun tous les biens, et nous ne cesserons pas de resserrer nos rangs.

Si telle est notre ligne de conduite, le ressentiment des injures n’est plus possible entre nous. Qui pourrait, en effet, se mettre au cœur une haine contre soi-même, et garder le souvenir d’une injure qu’il se serait faite volontairement ? Qui voudrait se fâcher contre soi-même ? Ne suis-je pas, de tous les hommes, celui à qui je pardonne le plus volontiers ? Si donc tels sont aussi nos sentiments à l’égard du prochain, la mémoire des injures est à jamais éteinte.

Mais, direz-vous, est-il possible d’aimer son prochain comme soi-même ? – Si cette charité est sans exemple, vous avez le droit de la déclarer impossible. Mais si d’autres l’ont pratiquée, il est évident qu’en ne les suivant pas nous faisons uniquement preuve de lâcheté et de paresse. D’ail leurs Jésus-Christ n’a jamais pu commander ce qui serait impraticable ; il s’est vu bien des chrétiens qui ont même dépassé ses lois. – Quels sont ces héros ? – Paul, Pierre, tout le chœur des saints. Si j’avance qu’ils ont aimé le prochain, je ne fais que faiblement leur éloge ; car ils ont aimé leurs ennemis autant qu’on aime l’ami le plus intime. Quel homme au monde, en effet, libre d’aller prendre la céleste couronne, choisirait l’enfer pour sauver ses amis intimes ? Aucun. Et Paul, toutefois, l’a choisi pour ses ennemis, pour ceux qui l’avaient lapidé, pour ceux qui l’avaient battu de verges. Quel pardon pouvons-nous donc attendre, quelle excuse aurons-nous, si nous n’accordons pas même à nos amis la plus faible partie de l’amour que Paul a montré pour ses ennemis ?

Avant lui déjà, le bienheureux Moïse demandait à être rayé du livre de vie, à la place d’ennemis qui l’avaient reçu à coups de pierres, (Exo 32,32) David aussi, voyant périr ceux qui lui avaient résisté, disait : « C’est moi, leur pasteur, qui ai péché : mais eux, qu’ont-ils fait ? » (2Sa 24,17) Et quand Saül fut entre ses mains, loin de vouloir attenter à ses jours, il le sauva, alors même que sa générosité allait le mettre en danger. Or, si l’Ancien Testament a fourni de pareils exemples, quel pardon obtiendrons-nous, nous qui vivons sous le Nouveau, et qui ne savons pas arriver même à la hauteur où ils sont parvenus ? « Car si notre justice n’abonde pas plus que celle des Scribes et des Pharisiens, nous n’entrerons pas dans le royaume des cieux ». Et si nous avons moins de justice que ces gens-là mêmes, comment entrerons-nous ? « Aimez », dit le Seigneur, « aimez vos ennemis et vous serez semblables à votre Père qui est dans le ciel ». (Mat 5,44-45)

Aimez donc votre ennemi. Ce n’est pas à lui que vous faites ainsi du bien, c’est à vous-même. Comment ? C’est que vous devenez semblable à Dieu. Aimé de vous, votre prochain n’y gagne que bien peu ; c’est un compagnon de service qui le chérit. Mais vous, en aimant ce compagnon de service, vous y gagnez beaucoup ; vous vous rendez pareil à Dieu. Voyez-vous que le bénéfice est à vous et non pas à votre prochain ? Car Dieu vous propose la couronne, et non à lui. – Mais qu’arrivera-t-il, si c’est un méchant ? – Votre récompense n’en sera que plus grande ; vous serez donc reconnaissant à votre ennemi pour la malice qu’il montre encore après vos innombrables bienfaits. Car s’il n’avait été profondément méchant, votre trésor au ciel n’aurait pas si merveilleusement augmenté. Sa malice, qui vous autorisait à ne l’aimer point, est donc vraiment un motif pour l’aimer davantage. Faites disparaître votre adversaire votre antagoniste, vous détruisez l’occasion que vous avez d’être récompensé. Ne voyez-vous pas comme les athlètes s’exercent avec des corbeilles pleines de sable ? Vous n’avez pas besoin de vous imposer ce labeur ; la vie est pleine d’occasions qui vous tiennent en haleine et nourrissent en vous la force et le courage. Ne remarquez-vous pas que les arbres sont d’autant plus vigoureux et plus solides, qu’ils sont plus fortement battus des vents ? Chez nous aussi, avec l’épreuve et la patience, grandira la vigueur. « Car », dit le Sage, « l’homme patient et longanime abonde en prudence ; le pusillanime au contraire n’apprend ni ne sait rien ». (Pro 14,29) Comprenez-vous ce magnifique éloge de l’un, cette grave accusation de l’autre ? Il est fort ignorant, le paresseux ; il ne sait rien. Gardons-nous donc de porter cet esprit étroit et petit dans nos rapports mutuels ; car notre malheur ne viendrait pas de ces inimitiés qu’on rencontre toujours, mais bien de notre propre cœur, faible et rancunier. S’il est fort, ce cœur, il supportera aisément tous les orages ; aucun ne pourra le faire sombrer ; ils contribueront même à le conduire au port tranquille. Puissions-nous y toucher et aborder un jour, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, empire et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XX.

SI NOUS PÉCHONS VOLONTAIREMENT APRÈS AVOIR REÇU LA CONNAISSANCE DE LA VÉRITÉ, IL N’Y A DÉSORMAIS PLUS D’HOSTIE POUR NOS PÉCHÉS ; IL NE NOUS RESTE QUE L’ATTENTE EFFROYABLE DU JUGEMENT ET D’UN FEU ARDENT QUI DOIT DÉVORER LES ENNEMIS DE DIEU. (X, 27, JUSQU’À 32)

Analyse.

  • 1. Après les motifs d’honneur, les raisons de crainte. Toutefois saint Paul n’enseigne pas l’erreur des Novations et ne proscrit pas la pénitence, mais seulement l’anabaptisme.
  • 2. L’enfer a un véritable et redoutable feu pour les prévaricateurs, et surtout pour les communions indignes. – La vengeance réservée et patiente n’en est que plus à craindre.
  • 3 et 4. La richesse est une lourde chaîne, un préjugé. – Un mot aux femmes luxueuses et avares tout à la fois. – La cupidité est un esclavage comparable à celui des Israélites courbés sous le joug de Pharaon. – Ceux-ci emportèrent l’or d’Égypte ; nous n’emportons que les verges. – La ruine n’est qu’un mot, pour qui conserve l’action de grâces. – Exemple de Job ; sortie contre les femmes. – Pourquoi la richesse n’échoit pas à tous. – Malheur à qui la reçoit et n’en est pas meilleur !

1. Tout arbre dont la plantation et la culture auront demandé la main et les sueurs du laboureur, doit rapporter son fruit, sous peine d’être déraciné et jeté au feu. Cette comparaison s’applique aux âmes qui auront reçu la lumière, c’est-à-dire le baptême. Après avoir été plantés par Jésus-Christ et avoir reçu sa rosée spirituelle, si nous ne donnons aucun fruit, le feu de l’enfer nous attend, avec ses flammes qui ne peuvent s’éteindre. Et c’est pourquoi non content de nous exhorter à pratiquer la charité et à produire les fruits des bonnes œuvres, par les motifs les plus saints et les plus doux, tels que notre entrée assurée dans le ciel et la voie nouvelle que Jésus-Christ nous y a ouverte, saint Paul recommence à nous y exciter, en faisant appel aussi à des motifs plus terribles et plus redoutables. Il venait d’écrire : Ne délaissez pas nos saintes réunions, comme c’est l’habitude de quelques-uns ; mais consolez-vous mutuellement, d’autant plus que vous voyez approcher le grand jour, qui suffit, en effet, à lui seul, pour vous consoler de tout. Maintenant il ajoute « Si nous péchons volontairement après avoir « reçu la connaissance de la vérité », tremblons, car il faut, entendez-le, il nous faut absolument des bonnes pauvres ; autrement, « il ne nous reste a plus désormais de victime pour nos péchés ». Comprenez donc. Vous voilà purifié, délivré de vos crimes, monté au rang de fils. Si vous revenez à votre ancien vomissement, il ne vous reste que l’anathème, le feu, et tout ce que rappelle cet arrêt. Car vous n’avez pas une seconde victime.

A ce propos, nous sommes attaqués par l’hérésie qui déclare la pénitence impossible, et par ceux qui diffèrent à recevoir le baptême. Ceux-ci prétendent qu’il y a danger à recevoir le baptême, puisqu’il n’y a point de second pardon ; ceux-là déclarent qu’il y a péril à admettre les pécheurs aux saints mystères, puisque le second pardon est impossible. Aux uns comme aux autres, que dirons-nous ? Que saint Paul ici ne détruit ni la pénitence, ni l’expiation qui en est l’œuvre ; et qu’il ne prétend ni chasser, ni abattre par le désespoir celui qui est tombé. Paul n’est pas à ce point l’ennemi de notre salut ; il ne détruit que l’espoir d’un second baptême. En effet, il ne dit pas : Point de pénitence ! plus de pardon ! mais simplement. Désormais pas de victime, c’est-à-dire, la croix, qu’il appelle victime, ne se dressera pas une seconde fois. Une seule immolation a rendu parfaits à tout jamais ceux qui se sont sanctifiés, à la différence de l’oblation judaïque et des offrandes multipliées. Tel a été le dessein de l’apôtre, quand, parlant de notre victime, il a si fort insisté sur cette vérité, qu’elle est une, absolument une ; voulant ainsi, non seulement montrer l’avantage qu’elle a sur les sacrifices judaïques, mais aussi pour rendre plus vigilants les Hébreux convertis, puisqu’ils ne doivent plus attendre une nouvelle victime comme autrefois sous l’ancienne loi.

« Si nous péchons volontairement », dit-il. Voyez-vous comme Dieu est porté à la clémence ? Il s’agit de nos péchés volontaires : nos fautes involontaires obtiennent donc le pardon. — « Après avoir reçu la connaissance de la vérité », c’est-à-dire de Jésus-Christ ou de tous ses dogmes, « il ne nous reste plus d’hostie pour nos péchés » ; que reste-t-il, au contraire ? « Une attente effroyable du jugement, un feu jaloux qui doit dévorer les ennemis de Dieu ». Ainsi les infidèles n’en seront pas seuls les victimes, mais tous ceux encore qui commettent des actes contraires à la vertu ; ou bien entendez que le même feu qui dévorera les ennemis, consumera aussi les enfants rebelles. Puis, pour nous montrer combien ce feu est dévorant, il lui prête une espèce de vie, en déclarant que c’est un feu jaloux qui doit consumer les ennemis. Pareille à une bête féroce irrite, exaspérée, qui n’a point de repos jusqu’à ce qu’elle ait saisi et dévoré quelqu’un, cette flamme de l’enfer parait obéir à l’aiguillon de la jalousie cruelle, saisit pour ne plus lâcher, ronge et déchire à tout jamais.

Ensuite l’apôtre nous donne la raison de ces menaces redoutables, et nous prouve qu’elles sont l’effet d’une justice inattaquable. Nous croirons, en effet, plus facilement l’existence du châtiment, quand nous en comprendrons le droit et le motif. « Celui qui a violé la loi de Moïse est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins (28) ». Sans miséricorde, remarque-t-il ; ainsi en Israël, ni pardon, ni pitié ; et pourtant ce n’est que la loi de Moïse ; il est l’auteur d’un grand nombre de ses prescriptions. Que veut dire : « La déposition de deux ou trois témoins ? » Que si deux ou trois personnes attestent la prévarication, aussitôt elle est punie. Si donc, dans l’Ancien Testament, une violation de la loi de Moïse est châtiée immédiatement par le dernier supplice, combien plus chez nous ! Aussi conclut-il : « Combien donc croyez-vous que méritera de plus grands supplices, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour chose vile et profane le sang de l’alliance, et qui aura fait outrage à l’Esprit de la grâce (29) ! »

2. Mais comment un homme foule-t-il aux pieds le Fils de Dieu ? C’est quand, admis à participer à ses mystères, il commet, nous dit l’apôtre, un péché grave. Alors n’est-il pas vrai qu’il le foule aux pieds ? N’est-il pas vrai qu’il le méprise ? Nous foulons aux pieds ainsi ce dont – nous ne faisons aucun cas : ainsi les pécheurs ne tiennent aucun cas de Jésus-Christ, et c’est là le caractère du péché. Quoi ! vous êtes devenu le corps de Jésus-Christ, et vous le jetez sous les pieds du démon ! – « Il a tenu pour vil et profane le, sang de l’alliance ». Qu’est-ce qu’une chose vile et profane ? C’est une chose impure, ou qui n’a rien de plus que la plus vile matière.- « Il a fait outrage à l’Esprit « de grâce » ; car ne pas accepter un bienfait, c’est faire outrage au bienfaiteur. Il t’a fait son enfant ; tu veux devenir esclave ? Il est venu, il a fait en toi son séjour ; et tu laisses entrer en ton cœur de coupables pensées ? Jésus-Christ a voulu, chez toi, faire sa demeure, avoir une place ; et tu le foules aux pieds par le libertinage ou l’ivrognerie ? Écoutons, écoutons, nous qui participons indignement aux saints mystères ; nous qui indignement approchons de la table sainte ! « Gardez-vous de donner les choses saintes aux chiens », dit le Seigneur, « de peur qu’ils ne les foulent aux pieds » (Mat 7,6) ; c’est-à-dire de peur qu’ils n’aient pour elles que du mépris et du dégoût. Paul n’a pas seulement répété cette parole ; il en a fait retentir une plus redoutable encore, bien capable de terrifier les âmes, et meilleure pour les faire rentrer en elles-mêmes qu’une douce et consolante exhortation. Il montre combien le sang de Jésus-Christ l’emporte sur la loi de Moïse, quel châtiment était infligé aux violateurs de celle-ci, puis il conclut en disant : Jugez vous-mêmes combien plus grande doit être la punition de ceux qui foulent aux pieds le sang de Dieu ! Je vois là une allusion aux sacrilèges commis contre nos saints mystères ; et ce qui suit confirme cette interprétation.

« C’est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant ; car il est écrit : La vengeance m’est réservée et je saurai bien la faire, dit le Seigneur ». Et encore : « Le Seigneur jugera son peuple (30 et 31) ». Nous tomberons, dit-il, dans les mains du Seigneur, et non pas dans les mains des hommes. Oui, cette main divine vous attend, si vous ne faites pénitence. O terreur ! ce n’est rien, après tout, que de tomber aux mains des hommes ; et quand nous verrons un homme puni en ce monde, nous dit l’apôtre, ne craignons pas pour lui le présent, tremblons pour son avenir ! « Car autant le Seigneur a de miséricorde, autant est grand son courroux, et sa fureur s’appesantira sur les pécheurs ». (Sir 5,7)

Mais l’apôtre nous laisse deviner ici une autre leçon. « La vengeance m’est réservée », dit le Seigneur, « et je saurai la faire ! » Cette menace atteint l’ennemi qui vous fait du mal, et non pas vous qui subissez l’injustice. Ceux-ci, au contraire, l’apôtre les console en leur disant, presque en propres termes : Dieu est vivant, il demeure éternellement… Que si ceux-là ne reçoivent pas dès maintenant leur châtiment, plus tard ils le recevront. Ce sont eux qui doivent gémir, ce n’est pas nous. Nous tomberons dans leurs mains ; eux, dans la main de Dieu ! Ce n’est donc pas la victime qui est à plaindre, c’est l’oppresseur ; comme ce n’est pas l’obligé, en définitive, mais le bienfaiteur, qui reçoit le bienfait.

Instruits de ces vérités consolantes, sachons être faciles à supporter le mal et l’injustice autant que prompts à faire du bien aux autres. Nous arriverons à cette disposition, si nous méprisons l’argent et la gloire. L’homme qui se dépouillera de ces passions sera, plus que personne, libre et grand, plus riche même que celui qui revêt la pourpre. Ne voyez-vous pas que de mal fait commettre la passion de l’or ? Je ne parle pas des maux qu’engendrent l’avarice et la cupidité, mais de ceux qui naissent du seul amour de l’argent même bien acquis. Qu’un homme, par exemple, soit ruiné, il mène désormais une vie plus pénible que tout genre de mort. O homme ! pourquoi ces gémissements ? Pourquoi tant de larmes ? Est-ce parce que Dieu t’a délivré du triste et inutile souci de garder ton or, ou parce que désormais tu n’es plus assis auprès de ton trésor, dans la crainte et tremblement ? Si un étranger t’avait lié à son coffre-fort, te forçant à rester là constamment assis, et à veiller pour lesbiens d’un autre, tu gémirais, tu serais furieux. Et lorsque spontanément tu t’étais chargé toi-même de chaînes si lourdes, maintenant délivré d’une pareille servitude, tu gémis ! Nos douleurs ou nos joies ne sont, en vérité, que préjugés, puisque nous gardons nos richesses, comme si elles étaient la propriété d’autrui.

Un mot maintenant aux femmes. Une femme a-t-elle un vêtement tissu d’or ? Avec quel soin elle en secoue la poussière, elle le plie, elle l’enveloppe ! Dans la crainte de le gâter, elle n’en jouit presque pas. En effet, en attendant, elle meurt ou devient veuve. La crainte qu’elle a de l’user en le portant trop souvent, fait qu’elle s’en prive pour le ménager. – Mais elle le laissera pour une autre. – Rien n’est moins certain ; et d’ailleurs en le laissant à une autre, celle-ci en usera de même. – Au reste, si l’on voulait fouiller ce que recèlent nos opulentes maisons, l’on verrait que maints habits précieux, maints objets recherchés sont plus honorés que leurs propriétaires vivants. Loin de s’en servir constamment, en effet, telle femme craint et tremble pour eux, elle en écarte les vers et tout ce qui peut les ronger, elle les dépose pour la plupart dans les parfums et les aromates, elle n’en permet pas même la vue, mais, d’accord avec son mari, elle ne fait que les ranger et les déranger.

3. Saint Paul, dites-moi, n’a-t-il pas eu raison d’appeler l’avarice une idolâtrie ? L’honneur, en effet, que les païens rendent à leurs idoles, ces malheureux le rendent à leurs tissus, à leurs bijoux d’or. Jusques à quand remuerons-nous cette fange ? Jusques à quand serons-nous attachés à la boue et aux briques ? Comme les enfants d’Israël travaillaient pour le roi d’Égypte, ainsi travaillons-nous pour le démon, qui nous maltraite plus cruellement encore que Pharaon les Hébreux. Ne voyez pas ici une hyperbole. Car plus l’âme l’emporte sur le corps, plus il est triste et pénible de la voir maltraiter par l’avarice qui sans cesse la flagelle, l’inquiète, la tourmente.

Gémissons donc et élevons vers Dieu nos regards suppliants ! Il nous enverra non pas Moïse, non pas Aaron, mais sa parole, et une componction salutaire. Dès que cette parole sera venue et aura pénétré nos cœurs ; elle nous délivrera d’une cruelle servitude, et nous fera sortir de cette autre Égypte, de cette passion inutile et vainement laborieuse, de cet esclavage sans profit. Au moins les Israélites, sortant d’exil, reçurent de l’or, juste salaire de leurs travaux ; mais nous autres, nous sortirons les mains vides, et encore serions-nous heureux si nous n’emportions rien ; mais nous emportons avec nous, non les vases d’or et d’argent de l’Égypte, mais ses maux, ses péchés et les supplices dont Dieu les punit.

Apprenons donc à recueillir un vrai profit ; apprenons à bien souffrir une injustice : c’est le caractère du chrétien. Méprisons les vêtements d’or, méprisons les richesses, de peur de mépriser notre salut. Méprisons l’argent, oui, et non point notre âme. À elle, en effet, le châtiment ; à elle, le supplice un jour. Ces prétendus biens restent sur la terre ; notre âme s’en ira ailleurs.

Pourquoi, dites-moi, vous déchirer vous-mêmes et ne pas le sentir ? Je parle ici à ces avares, qui sont travaillés du désir de posséder toujours davantage. Mais il est bon de le dire aussi à ceux que les avares exploitent et volent. Supportez, chères victimes, les dommages que les avares vous font subir. Ils se suicident, et ne sauraient vous tuer. Ils vous privent de votre argent ; mais ils se privent eux-mêmes de l’amour et du secours de Dieu. Or, dépouillé de cette grâce, possédât-on les richesses du monde entier, on est le plus pauvre de la terre ; tandis que le plus pauvre des hommes, s’il jouit de la grâce de Dieu, est certainement le plus riche de tous, puisqu’il peut dire avec le Prophète : « Le Seigneur me conduit, rien ne me manquera jamais ». (Psa 23,1)

Si vous aviez, dites-moi, un protecteur haut placé et admirable qui vous aimât extrêmement, qui vous portât intérêt ; et si d’ailleurs vous saviez qu’il vivra toujours, que vous ne mourrez pas vous-même avant lui, et qu’il vous fera part de tout ce qu’il a, pour en jouir en toute sûreté comme d’un bien qui vous sera propre et personnel, dès lors vous mettriez-vous en peine de rien acquérir ? En vous supposant même dépouillé de tout, ne vous croiriez-vous pas plus riche que personne ? Pourquoi donc pleurez-vous ? – De n’avoir pas d’argent ? Mais pensez que, par là même, l’occasion de pécher vous est ôtée. – D’avoir perdu vos biens ? Mais vous avez gagné l’amitié de Dieu. – Et comment l’ai-je gagnée, dites-vous ? C’est lui-même qui vous dit : « Pourquoi ne souffrez-vous pas l’injustice » plutôt que de la commettre ? Et :« Rendez grâces au ciel de toutes choses » ; et « Bienheureux les pauvres de bon gré ! » (1Co 6,7 ; 1Th 5,18 ; Mat 5,3) Imaginez donc à quelle hauteur vous êtes dans son amitié, si vous mettez ces conseils en pratique.

En effet, on ne nous demande qu’une chose : c’est de remercier Dieu en tout et toujours ; dès lors, nous aurons tout en abondance. Par exemple, avez-vous perdu dix mille livres d’or ? Remerciez Dieu tout aussitôt et vous avez gagné cent mille livres par cette parole d’abnégation et de reconnaissance. Car, dites-moi : à quel moment appelez-vous Job bienheureux ? Est-ce quand il est propriétaire de tant de chameaux, de tant de gros et menu bétail ? N’est-ce pas plutôt quand il fait entendre cette parole ? « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté, son nom soit béni ! » (Job 1,21) Quand le démon nous veut perdre, ce n’est pas en nous enlevant les richesses, il sait qu’elles ne sont rien ; mais il veut par cette ruine nous forcer à prononcer quelque blasphème. Ainsi agissait-il à l’égard du bienheureux Job ; son but unique n’était pas de le réduire à la pauvreté, mais de lui arracher un blasphème. Voyez plutôt quel langage il lui tient par l’épouse même du patriarche. Dès que celui-ci est dépouillé de tout : « Prononcez », lui dit-elle, « une parole contre Dieu, et puis mourez ». – Mais, maudit Satan, tu l’as déjà dépouillé de tout ! – Je n’ai pas ainsi atteint mon but. J’ai tout fait pour arriver et je n’ai pu parvenir à le priver aussi du secours de Dieu. Voilà ce que je veux ; ce que j’ai fait d’ailleurs n’est rien. Si je n’atteins pas mon but ultérieur, non seulement Job n’aura subi aucun mal, mais son épreuve lui aura servi.

4. Voyez-vous comment le démon sait le prix de cette ruine spirituelle ? Aussi emploie-t-il à cette fin le piège même d’une épouse impie. Écoutez ici, vous tous qui avez des femmes passionnées pour l’argent, lesquelles vous forceraient à blasphémer contre Dieu ! Souvenez-vous de Job. Mais plutôt voyons, s’il vous plaît, la grande douceur avec laquelle il lui ferme la bouche. « Pourquoi », lui dit-il, « avez-vous parlé comme une femme insensée ? » (Job 2,10) En effet, « les mauvais « discours corrompent les bonnes mœurs ». (1Co 15,33) Toujours, hélas ! mais surtout dans le malheur, l’influence des mauvais conseils est grande. Notre âme se sent déjà portée d’elle-même à la colère et au désespoir : combien plus elle y obéit, quand elle rencontre un mauvais conseiller ! N’est-elle pas alors poussée au précipice ? La femme est un grand bien, comme elle est un grand mal. Remarquez, en effet, comment le démon cherche à faire brèche dans ce mur inexpugnable. La perte de tous ses biens n’a pu l’entamer ; cette ruine n’a pas produit contre lui grand effet. Convaincu d’avoir en vain dit à Dieu : « Vous verrez que Job vous maudira en face » (Job 1,11), le démon arme l’épouse, pour arriver à vaincre. Vous avez ouï ce qu’il en espérait ! Mais cet engin de guerre ne lui a pas réussi.

Ainsi, nous-mêmes, si nous supportons tout avec reconnaissance, nous recouvrerons même nos biens ; sinon, du moins aurons-nous une plus magnifique récompense, comme il est advenu à ce cœur de diamant, à ce patriarche qui, après une lutte courageuse et victorieuse, a vu le Seigneur lui donner encore la fortune. Job avait prouvé au démon qu’il ne servait pas Dieu par un motif de vil intérêt ; le Seigneur, en retour, voulut bien lui rendre plus qu’il n’avait auparavant. C’est en effet ce qui arrive. Quand Dieu voit que nous ne sommes pas attachés aux biens de la vie, il nous les donne ; quand il nous voit préférer les biens spirituels il nous accorde les biens temporels par surcroît, mais jamais ceux-ci d’abord, de peur que nous n’oubliions les biens spirituels. C’est donc par un ménagement de sa providence qu’il nous refuse les biens du corps, afin de nous en séparer même malgré nous.

Mais non, direz-vous ; quand je reçois, au contraire, je suis comblé et je rends grâces plus volontiers ! – Cela n’est pas, ô homme ; tu n’en es que plus lâche et plus ingrat. – Mais pourquoi Dieu donne-t-il à d’autres ? – Êtes-vous bien sûr que c’est lui qui donne ? – Qui est-ce, si ce n’est lui ? – Leur avarice, leur rapacité sait s’enrichir. – Alors comment Dieu permet-il ces crimes ? – Comme il tolère le meurtre, les vols, les violences.- Alors que dites-vous de ceux qui, bien que remplis d’iniquités Bans – nombre, reçoivent de leurs ancêtres un riche héritage ? Comment Dieu les en laisse-t-il jouir ? – Comme il fait pour les voleurs, les meurtriers et tous les autres malfaiteurs. L’heure n’est pas venue de les juger, mais bien de régler parfaitement votre conduite. Ce que j’ai dit déjà, je le répète. Ils seront d’autant plus sévèrement châtiés, qu’ayant ainsi reçu tous les biens, ils n’en seront pas devenus meilleurs. Car tous les méchants ne seront pas également punis. Ceux qui, couverts des bienfaits de Dieu, demeurent mauvais, seront plus durement châtiés. Mais il n’en sera pas ainsi des hommes qui auront vécu dans la pauvreté. Pour vous convaincre de cette divine justice, écoutez ce que Dieu dit à David : « Ne vous ai-je pas donné tous les biens du roi votre maître ? » (2Sa 12,8) Quand donc vous verrez un jeune homme recevoir sans travail l’héritage paternel et persévérer dans le péché, soyez sûr que son châtiment vient de s’accroître, et son supplice d’augmenter. Ne portons pas envie à de tels misérables, mais rivalisons avec ceux qui savent hériter de la vertu et acquérir les biens de la grâce. « Car, malheur », dit l’Écriture, « à ceux qui se confient dans leurs richesses ! » et : « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur ! » (Psa 49,7 et 127,1) De quel côté vous rangez-vous, dites-le-moi ? Du côté de ceux qu’elle proclame bienheureux, sans doute ? Soyons donc saintement jaloux de ceux-ci et non point des autres, afin d’acquérir, comme les premiers, lesbiens promis. Puissions-nous les gagner tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, honneur, empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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