Hebrews 12
HOMÉLIE XXVIII.
LES SAINTS ONT ÉTÉ VAGABONDS, COUVERTS DE PEAUX DE CHÈVRES ET DE BREBIS, MANQUANT DE TOUT, AFFLIGÉS, PERSÉCUTÉS. (CHAP. 11,37, JUSQU’À XII, 3)
Analyse.
- 1-3. Vertus d’Élie et des autres saints du désert ; leur vie semblable, pour les peines, à celle des Hébreux. – L’exemple des saints nous anime : celui de Jésus-Christ nous transporte.
- 4 à 7. La souffrance nous est enseignée par la passion de Jésus-Christ et par ses exhortations. – La pauvreté, que saint Paul nous apprend par ses paroles et ses exemples. – L’enfer, indiqué en passant comme le plus grand de tous les maux ; le ciel, comme le plus grand de tous les biens. – Le luxe des valets et des équipages surtout pour les femmes. – Très-curieux détails. – Le luxe des vêtements, toujours pour les femmes. – Longue et magnifique apostrophe, où toutes les philippiques modernes peuvent s’inspirer. – La beauté vraie et la virginité de l’âme. – Idées sublimes.
1. Il est un sentiment que j’éprouve toujours, mais surtout quand je réfléchis aux exemples de droiture et de vertu des saints. Je me prends à désespérer de moi, à me décourager, en voyant que nous n’acceptons pas même en rêve d’entreprendre les œuvres et la conduite dont les saints ont fait l’expérience pendant toute leur vie ; eux qui ont enduré de perpétuelles afflictions, non seulement pour l’expiation de leurs péchés, mais par le seul amour de la vertu. Et tenez, étudiez seulement Élie, auquel en ce jour notre sujet nous ramène ; car c’est de lui que l’apôtre a écrit : « Les saints ont été vagabonds sous de pauvres vêtements ». C’est par ce Prophète qu’il clôt la liste des exemples qu’il propose aux Hébreux ; et il n’a garde de l’oublier, parce qu’il leur est en quelque sorte un fait personnel et familier. Il vient de dire en parlant des apôtres, qu’on les a vus mourir sous le tranchant de l’épée ou sous les pierres de la lapidation ; mais il revient aussitôt à Élie, qui a subi les mêmes épreuves que les Hébreux. Sans doute qu’il ne leur suppose pas autant d’enthousiasme pour les apôtres, et c’est pourquoi il les ramène à ce Prophète qui fut enlevé vivant au ciel et qui avait joui d’une immense admiration, afin d’être plus sûr de les consoler et de les ranimer. « On les a vus », dit-il, « errants, couverts de peaux de brebis et de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n’était pas digne (38) ». Ils n’avaient pas de vêtements, remarque-t-il, point de patrie, point de maison, pas même de retraite, tant était grande leur tribulation ; semblables, en ce dernier trait, à Jésus-Christ qui disait : « Le Fils de l’homme n’a pas un lieu où reposer sa tête ». (Mat 8,20) Qu’ai-je dit : Pas de retraite ? Ils n’avaient pas même une halte ici-bas. En vain s’étaient-ils réfugiés dans la solitude, ils n’y trouvaient point de repos. Car l’apôtre ne dit pas : Ils séjournaient dans la solitude ; non, mais, arrivés là, ils fuyaient encore ; ils se voyaient chassés de ces lieux, et non seulement de tout pays habité, mais même des contrées inhabitables ; et l’apôtre rappelle les lieux où ils passèrent, en même temps que les événements qui vinrent les y poursuivre. – « Privés de tout, affligés ». On vous accuse pour Jésus-Christ, dit l’apôtre ; Élie le fut comme vous. Quel grief avait-on contre lui pour l’accuser, le bannir, le poursuivre, le réduire à combattre avec la faim ? Les Hébreux souffraient précisément alors des tribulations de même genre, comme il est raconté ailleurs : « Les disciples résolurent d’envoyer des aumônes à ceux de leurs frères qui étaient affligés. Ils statuèrent que chacun, selon son pouvoir, enverrait pour aider l’es frères qui habitaient en Judée, en prenant sur leur propre nécessaire ». (Act 11,29) « Affligés », ajoute-t-il, c’est-à-dire maltraités, condamnés à de rudes voyages, exposés à maints périls. – « Ils étaient vagabonds » : En quel sens ? Il l’explique : « Errant dans les déserts, « les montagnes, les cavernes et les antres de la « terre ». Semblables, dit-il, à des fugitifs et des émigrants, à des contumaces convaincus de crimes abominables, indignes même de voir le soleil ; et la solitude ne leur procurait point un refuge, mais il leur fallait chercher toujours de nouvelles cachettes, s’enfouir dans la terre, vivre dans une crainte perpétuelle. « Cependant toutes ces personnes à qui l’Écriture rend un témoignage si avantageux à cause de leur foi, n’ont point reçu la récompense promise, Dieu ayant voulu, par une faveur particulière, qu’ils ne reçussent qu’avec nous l’accomplissement de leur bonheur (39, 40) ». Quelle est donc la récompense d’une foi si grande ? Quel en sera le prix ? Il sera tel qu’aucun discours ne saurait l’exprimer. Car Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment une félicité que l’œil n’a point vue, que l’oreille n’a point entendue, que le cœur de l’homme ne pourrait comprendre. « Mais ils ne l’ont pas encore reçue » ; ainsi ils l’attendent encore, après être morts dans des tribulations si douloureuses. Depuis tant d’années qu’ils ont cessé de vivre, ils n’ont pas encore reçu ; et vous seriez affligés de ne pas recevoir déjà, vous qui combattez encore ? Représentez-vous cette position étonnante d’Abraham et de Paul, attendant la consommation de votre bonheur pour recevoir alors leur pleine récompense. Car le Sauveur leur a dit qu’ils ne l’auraient pas, sales que nous soyons là pour la recevoir avec eux, comme un père dit à ses enfants qui ont fini leur travail, qu’ils ne se mettront pas à table avant que leurs frères soient venus. Et toi, tu t’affliges de n’avoir pas encore touché ton salaire ? Que fera donc Abel qui a vaincu avant nous et n’a pas reçu la couronne ? Que fera Noé, qui a vécu dans ces temps lointains, et qui t’attend, toi et ceux qui viendront après toi ? Vois-tu bien que nous leur sommes préférés et que notre condition est plus heureuse que la leur ? Dieu, dit saint Paul, a prévu et préparé pour nous un sort meilleur. Pour qu’ils ne parussent pas, cri effet, de meilleure condition que nous-mêmes, s’ils avaient été couronnés les premiers, Dieu a déterminé une époque où nous serons couronnés tous ensemble. Le héros vainqueur tant d’années avant toi, reçoit avec toi la couronne. Admire sa sollicitude et sa bonté. L’apôtre ne dit pas : Afin qu’ils ne fussent pas couronnés sans nous ; mais : « Afin qu’ils ne reçussent pas sans nous la consommation de leur bonheur ». Ils ne la recevront qu’alors. Ils nous ont précédés au combat, ils ne nous ont pas devancés pour les couronnes. Dieu ne leur a fait aucun tort, et il nous fait un grand honneur. Pour eux, ils nous attendent comme des frères. Si – nous ne sommes tous qu’un seul corps, il y a pour ce corps plus de plaisir à être couronné ensemble que par parties. En ce point même les justes sont admirables de se réjouir du bonheur de leurs frères comme s’il leur était propre. C’est donc encore un désir de leur âme qui se réalise, que d’être ainsi couronnés avec leurs membres. Être ainsi tous ensemble glorifiés, c’est un plaisir ineffable ▼▼Après avoir donné de nombreux exemples de la puissance de la foi sous l’Ancien Testament, l’apôtre pour conclusion fait voir en quelques mots comment cette vertu néanmoins était encore quelque chose de borné, et jusqu’à quel point la vertu de la foi dans les temps chrétiens lui est supérieure. Tous ces saints personnages, dit-il, ont bien, en vertu de leur foi, obtenu leur justification, mais ils n’ont pas été mis en possession de l’objet des promesses faites à leur foi dans son sens le plus élevé, parce que Dieu avait décrété que l’objet des promesses, dans son sens le plus élevé, le bien le plus excellent, à savoir le royaume du ciel, ne commencerait que plus tard, et qu’il serait également notre partage, afin que tous, nous ici-bas, eux dans l’autre vie, nous puissions y entrer, et parvenir enfin tous ensemble à la consommation. Il faut ici prendre la promesse dans son objet le plus élevé, le royaume du ciel, dans toute l’étendue de son acception, depuis son commencement en ce monde jusqu’à sa consommation au jour de la consommation et du jugement. La consommation n’aura lieu qu’en ce jour, parce que ce ne sera qu’alors que s’effectuera la rédemption du corps (Augustin, Jérôme, Chrysostome). Du reste l’apôtre a déjà dit ci-dessus (9, 8) que tant qu’a subsisté l’ancienne alliance, et que Jésus-Christ n’a point eu consommé son sacrifice, le ciel était fermé ; d’où il suit que les anciens patriarches avaient été, il est vrai, justifiés, mais qu’ils ne pouvaient encore jouir du fruit de la justification ; il a fallu qu’ils attendissent le sacrifice de Jésus-Christ afin d’entrer ensuite avec lui dans le ciel. (J. F. D’Allioli).
. 2. « Puis donc que nous sommes environnés d’une si grande nuée de témoins ». (12, 1) L’Écriture, souvent, emprunte des motifs de consolation aux accidents mêmes et aux peines qui nous arrivent. Ainsi on lit dans le prophète Isaïe : « Il vous délivrera de la chaleur, de la sécheresse et des pluies violentes ». (Isa 4,6) Et dans le roi David : « Le soleil ne vous fatiguera pas pendant le jour, ni la lune pendant la nuit ». (Psa 121,6) C’est ce que dit ici saint Paul : « Ayant donc sur nos têtes une si grande nuée de témoins ». Le souvenir de tous ces saints, comparable à un nuage qui donnerait de l’ombre au voyageur exposé, brûlé par un soleil trop ardent, soulage et ranime une âme fatiguée. Et l’apôtre ne dit pas : Un nuage élevé bien haut et loin de nos têtes, mais au contraire, « posé sur nous » ; ce qui est bien autrement agréable, et qui doit, selon lui, nous montrer qu’ainsi placé sur tout notre horizon, il nous procurera plus d’ombre et de sécurité. – Quelle est « cette nuée », et quel, ce nombre de « témoins ? » Il s’agit de témoins empruntés soit à l’Ancien, soit au Nouveau Testament. Les premiers aussi ont été vraiment martyrs, témoins attestant avec courage la grandeur de Dieu ; ainsi les trois enfants, ainsi Élie et tous les prophètes. « Dégageons-nous de tout ce qui appesantit ». Qu’est-ce que tout ce fardeau ? La somnolence, la négligence, tout le bagage, en un mot, des pensées humaines. « Et le péché si facile à environner ». Cette expression a deux sens : Le péché facilement nous entoure et nous assiège ; ou bien, et je préfère l’entendre ainsi, le péché facilement sera par nous-même environné et battu ; car, si nous le voulons, il nous est aisé de le vaincre. – « Courons par la patience dans la carrière qui nous est ouverte ». Il ne dit pas : Combattons, luttons, faisons la guerre ; mais ce qui est plus doux que tout cela, car il ne nous propose qu’une course. Il ne nous dit pas davantage : Soyons les premiers à courir ; mais seulement : Fournissons une carrière soutenue et persévérante, et ne nous montrons pas lâches ni énervés. Courons, dit-il, dans la lice devant nous ouverte. Enfin la consolation principale, la souveraine exhortation, le premier et le dernier de tous les exemples, l’apôtre le propose, c’est Jésus-Christ. « Jetant les yeux sur Jésus-Christ, l’auteur et le consommateur de notre foi (2) » ; c’est bien ce que Jésus-Christ disait constamment de lui-même à ses disciples : « S’ils ont appelé le maître Béelzébuth, combien plus ses serviteurs ! » Et ailleurs : « Le disciple n’est pas au-dessus du Maître, ni l’esclave au-dessus de son propriétaire ». (Mat 10,24-25) Donc, regardons-le, dit saint Paul, afin d’apprendre à courir ; oui, voyons toujours Jésus-Christ. En effet, de même que pour apprendre un art ou pour nous dresser à une lutte quelconque, le regard fixé sur un maître nous grave dans l’esprit ses procédés, et notre vue lui dérobe tous ses secrets ; ainsi, dans la vie présente, si nous voulons fournir notre course, et surtout la fournir honorablement, nous regardons vers Jésus, l’auteur et le consommateur de notre foi. Et pourquoi ces deux titres ? C’est qu’il nous a donné la foi, qu’il nous en a versé le principe. C’est encore une de ses paroles à ses disciples « Vous ne m’avez pas choisi ; c’est moi qui ai fait choix de vous ». (Jn 15,16) Paul disait de même : « Je le connaîtrai alors, comme j’ai été connu de lui ». (1Co 13,12) Et si Jésus a déposé en nous le principe et le germe, c’est lui encore qui nous donnera la fin et le fruit. « Jésus au lieu d’une vie heureuse et tranquille qui lui était proposée, a souffert la croix, en méprisant la honte et l’ignominie ». Comprenez qu’il lui était permis de ne pas souffrir, s’il l’eût préféré ; car il n’a pas commis de péché, et le mensonge ne fut jamais trouvé dans sa bouche (Isa 53,9) ; lui-même l’atteste au saint Évangile : « Le prince de ce monde est venu, mais il n’a aucune prise sur moi ». (Jn 14,30) Il était donc libre de ne pas marcher au Calvaire. Car, disait-il, « j’ai le pouvoir de déposer mon âme et le pouvoir aussi de la reprendre ». (Jn 10,18) Si donc, sans nécessité aucune de subir la croix, il a voulu pour nous monter en croix, combien plus est-il juste que nous souffrions tout pour lui ? – La joie lui était proposée, dit saint Paul, et il a subi la mort, « méprisant l’opprobre ». En quoi, ce mépris de l’opprobre ? C’est qu’il a choisi, dit l’apôtre, une mort infâme. – Je comprends, direz-vous, qu’il soit mort ; mais pourquoi si honteusement ? – Uniquement pour nous apprendre à regarder comme rien toute gloire qui vient des hommes. Sans avoir jamais été assujetti au péché, il a choisi une mort semblable, pour nous apprendre à être bardis contre elle, à l’estimer comme le néant. – Enfin, pourquoi l’apôtre ne dit-il pas : Méprisant « la tristesse », mais l’opprobre et la honte ? Parce qu’il affronta la mort sans tristesse. Or, écoutez quelle fut la fin, pour Jésus ? « Et maintenant il est assis à la droite de Dieu ». Vous voyez le prix du combat que saint Paul décrit autrement ailleurs : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, de sorte qu’au nom de Jésus, tout genou fléchit ». (Phi 2,9) Il parle de la sainte humanité de Jésus. Ainsi, bien évidemment, quand même on ne nous proposerait aucun prix de la victoire, un tel exemple suffirait pour nous déterminer à soutenir chacun vaillamment notre lutte et notre combat. Mais maintenant, des récompenses aussi nous sont offertes, et non des prix tels quels, mais de grands, mais d’ineffables prix. Ainsi, quelle que soit la souffrance qui nous ait visités, pensons à Jésus, plutôt même qu’à ses apôtres. Pourquoi ? C’est que toute la vie du Sauveur fut remplie d’amertume. Toujours il entendit d’horribles accusations de folie, de séduction, de faux miracles ; les juifs disaient tantôt : « Cet homme ne vient pas de Dieu » ; tantôt : « Non, il séduit les masses » ; tantôt : « Ce séducteur disait quand il vivait encore : Je ressusciterai dans trois jours ». Ils l’accusaient de jonglerie et de magie, disant : « C’est par Béelzébuth qu’il chasse les démons » ; ils le taxaient de fou, de possédé du diable : « N’avons-nous pas raison de dire qu’il est fou et possédé du démon ? » (Jn 9,16 ; 7, 12 ; 10, 20 ; Mat 27,63 ; 12, 24) Et il entendait cet affreux langage, pendant qu’il les accablait de ses bienfaits, qu’il faisait des miracles, et montrait les œuvres d’un Dieu. Qu’on eût ainsi parlé de lui, s’il n’avait rien fait, on serait moins surpris. Mais qu’enseignant une doctrine de vérité, il s’entendît appeler séducteur ; que chassant les démons, il s’entendît insulter comme possédé du démon ; qu’on l’appelât menteur et hypocrite, lui qui démolissait toute fourberie, n’est-ce pas étonnant et incroyable ? Telles étaient pourtant leurs accusations de tous les jours. 3. Voulez-vous entendre les plaisanteries et les moqueries qu’on lui décochait ? La moquerie est bien ce qui nous mord le plus vivement au cœur. Eh bien ! voici, d’abord, contre sa naissance. « N’est-il pas », disaient les juifs, « n’est-il pas le fils d’un charpentier ? ne connaissons-nous pas et son père et sa mère ? Tous ses frères ne sont-ils pas parmi nous ? » (Mat 13,55) Plaisantant le Seigneur sur sa patrie, ils le disaient natif de Nazareth, et ajoutaient : « Informez-vous, et soyez sûr qu’il ne sort point de Prophète de la Galilée ». (Jn 7,52) Toutes ces calomnies le trouvaient patient toujours ! Ils ajoutaient : « L’Écriture ne dit-elle pas que le Messie doit venir du bourg de Bethléem ? » (Jn 7,42) – Voulez-vous entendre les moqueries insultantes qu’on employait à son égard ? Venant, dit l’Écriture, jusqu’au pied de la croix, ces gens l’adoraient, le frappaient, lui lançaient des soufflets et disaient : « Dis-nous qui t’a frappé ? » Et lui offrant du vinaigre : « Si tu es le Fils de Dieu », s’écriaient-ils, « descends de la croix ». (Mat 26,68 et 27, 40) Déjà un serviteur du grand prêtre lui avait donné un soufflet, et il n’avait répondu qu’un mot : a Si j’ai mal a parlé, faites voir ce que j’ai dit de mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » Pour mieux l’insulter, ils lui mirent une chlamyde de pourpre et lui crachèrent au visage, sans cesser de l’accabler de questions perfides et de tentations. – Voulez-vous constater les accusations publiques ou secrètes, celles mêmes que ses disciples formulaient contre lui, puisque lui-même leur demandait : « Voulez-vous aussi vous en aller ? Possédé du démon » (Jn 6,68 ; 7, 30), c’était un mot que prononçaient de lui ceux mêmes qui avaient cru en lui. Enfin, répondez-moi, n’est-il pas vrai qu’il en était réduit à s’enfuir, tantôt en Galilée, tantôt en Judée ? Ne fut-il pas dès le berceau ballotté par toutes sortes d’épreuves ? Ne fallut-il pas qu’encore enfant, sa mère l’emportât en Égypte ? C’est en souvenir de tant de douleurs que saint Paul a dit : « Jetons les yeux sur Jésus, l’auteur et le consommateur de notre foi, qui, au lieu de la vie tranquille et heureuse dont il pouvait jouir, a souffert la croix a en méprisant la honte et l’ignominie, et qui maintenant est assis à la droite du trône de Dieu ». Jetons donc nos regards sur lui, et sur ses disciples ; lisons les souffrances de Paul ; écoutons-le, qui nous dit : « Il nous a fallu grande patience dans les maux, dans les tribulations, dans les nécessités pressantes, dans les persécutions, les angoisses, les plaies, les prisons, les séditions, les jeûnes, les travaux, la chasteté, la science » ; et ailleurs : « Jusqu’à cette heure nous souffrons la faim et la soif, la nudité et les mauvais traitements ; nous n’avons point de demeure stable ; nous travaillons avec beaucoup de peine, de nos propres mains ; on nous maudit, et nous bénissons ; on nous persécute, et nous le souffrons ; on nous dit des injures, et nous répondons par ides prières ». (2Co 6,4 ; 1Co 3,11) Quelqu’un a-t-il souffert la moindre partie de maux pareils ? On nous traite, dit-il, en séducteurs, en infâmes, en êtres vils et qui n’ont rien. Et ailleurs : « J’ai reçu des juifs, en cinq fois différentes, trente-neuf coups de fouet ; j’ai été battu de verges par trois fois, j’ai été lapidé une fois, j’ai passé une nuit et un jour au fond de là mer, j’ai fait maints pénibles voyages, avec afflictions, angoisses, famine ». (2Co 11,24) Or, entendez-le vous dire aussi combien une telle vie plaisait à Dieu : « Pour cela j’ai trois fois prié le Seigneur, et il m’a répondu : Ma grâce te suffit ; car ma puissance éclate dans l’infirmité ». Aussi ajoute-t-il : « Je me complais dans mes infirmités, dans les afflictions, les nécessités, les angoisses, les plaies, les prisons, afin que la vertu puissante de Jésus-Christ habite en moi ». (2Co 12,8) Enfin écoutez la parole même de Jésus-Christ : « Vous aurez l’affliction en ce monde ». (Jn 16,33) « Pensez donc en vous-mêmes à celui qui a souffert une si grande contradiction des pécheurs qui se sont élevés contre lui ; afin que vous ne vous découragiez pas et que vous ne tombiez point dans l’abattement (3) ». Saint Paul a bien droit de tenir ce langage. Car si les souffrances du prochain nous animent, combien plus d’ardeur et d’amour doit réveiller en nous la passion de Notre-Seigneur ? Quel merveilleux effet doit-elle produire ? – Et remarquez comment saint Paul, en négligeant le détail des peines du Sauveur, les résume toutes en ce mot : « Contradiction » ; soufflets sur les joues, moqueries, insultes, reproches, railleries ; l’apôtre ne fait qu’indiquer ces horreurs par ce mot contradiction ; et pourtant en dehors de celles-là, il y a toutes celles encore qui ont accompagné son enseignement évangélique. Pensons, mes frères, pensons toujours à cette vie et à cette passion du Sauveur ; occupons-en nos cœurs et le jour et la nuit, sachant que nous en recueillerons des fruits immenses, et des avantages inappréciables. Oh oui ! c’est une grande, c’est une ineffable consolation que les souffrances de Jésus-Christ, que celles encore de ses apôtres. Notre-Seigneur savait si bien que cette voie est la meilleure pour la vertu, que sans être obligé, lui, d’embrasser cette route, il y est entré tout d’abord ; tant il regardait l’affliction comme une grâce, comme la mère d’un plus grand repos et d’une douce paix dans le monde à venir. Au reste, entendez-le : « Si quelqu’un ne porte pas sa croix et ne marche pas derrière moi, il n’est pas digne de moi ». (Mat 10,38) Comme s’il disait. Si tu es mon disciple, prouve que tu l’es en effet imite ton maître. Que s’il est venu par la route de l’application, tandis que tu prétends marcher par celle du repos et des loisirs, non, ce n’est plus sa voie que tu veux suivre, mais un tout autre chemin. Comment le suivre saris être sur ses traces ? Comment es-tu un disciple sans marcher derrière ton maître ? Paul t’a condamné dans les mêmes termes : « Nous sommes les faibles ; et vous, les forts ; nous sommes les gens méprisés ; vous, les honorés ! » (1Co 4,10) Comment est-il raisonnable que nous suivions des directions si opposées quand vous êtes nos disciples, et que nous sommes vos maîtres ? Donc la souffrance, mes frères, est une grande puissance : car elle produit ces deux grands effets, qu’elle efface nos péchés et qu’elle nous donne force et vigueur. 4. Mais n’arrive-t-il pas, direz-vous, qu’elle renverse et qu’elle ruine ? – Non, la souffrance ne produit point ces malheurs ; n’en accusons que notre lâcheté. Si nous sommes sobres et vigilants, si nous prions Dieu de ne pas permettre que nous soyons tentés au-delà de nos forces ; si nous nous tenons toujours étroitement attachés à lui, nous serons toujours debout, nous ferons face à l’ennemi. Tant que nous aurons Dieu pour auxiliaire, en vain les tentations souffleront plus impétueuses que tous les vents à la fois, elles ne seront pour nous que pailles et feuilles légères, qu’un rien dissipe au hasard. Écoutez la parole de Paul : « En tous ces combats nous sommes vainqueurs ». Et ailleurs : « J’estime que toutes les souffrances de ce siècle ne sont point dignes d’être comparées avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous ». (Rom 8,37 et 18) Et ailleurs « Notre tribulation présente, légère en elle-même, et purement momentanée, nous produira un excès incroyable, un poids ineffable de gloire éternelle ». (2Co 4,16) Remarquez quels périls affreux, quels naufrages, quelles afflictions sans nombre il qualifie de maux légers. Soyez l’émule de ce cœur de diamant enveloppé d’un corps fragile et souffreteux. Vous êtes dans la pauvreté, peut-être ! Mais non toutefois dans une misère comme celle de Paul, qui luttait avec la faim, la soif et la nudité. Car il ne souffrit point tous ces maux seulement un jour par rencontre, mais continuellement il les endura. Et la preuve ? Vous la trouverez dans sa parole « Jusqu’à ce jour nous ne cessons de subir la « faim, la soif, la nudité ». (1Co 4,11) Et cependant quelle gloire il avait déjà acquise dans la prédication, lorsqu’il était encore réduit à toujours ainsi souffrir ! car il avait dépensé vingt années déjà dans l’enseignement de l’Évangile, quand il écrivait ces mots : « Je connais », en effet, dit-il, « un homme qui fût ravi au paradis il y a quatorze ans, est-ce avec ou sans son corps, je ne sais ». (2Co 12,2) Et ailleurs : « Trois ans après je montai à Jérusalem » (Gal 1,18) ; et dans un autre passage : « Il me serait plus avantageux de mourir, que de permettre à personne d’atténuer ma gloire ». Et ce texte se lie à celui-ci : « Nous sommes devenus comme les balayures de ce monde ». (1Co 9,15 ; 4, 13) Quoi de plus pénible que la faim, que le froid, que les complots imaginés même par des frères, qu’il appelle de faux frères ? N’osait-on pas l’appeler la peste du monde, un imposteur, un démolisseur ? N’était-il pas déchiré par les fouets cruels ? Appliquons à ces exemples, mes frères, nos méditations, nos pensées, nos souvenirs, et jamais nous n’éprouverons de découragement, d’abattement, quand même l’injustice nous opprimerait, quand tous nos biens nous seraient volés et qu’on nous ferait subir des maux à l’infini. Qu’il nous soit donné seulement de trouver au ciel une moisson d’estime et d’honneur, et tout devient supportable. Puissions-nous faire dignement nos affaires d’outre-tombe, et celles d’ici – bas nous paraîtront sans valeur ; quelles qu’elles soient, elles ne sont que des ombres et des rêves. Car ce qu’on peut attendre ou redouter sur la terre n’a rien de sérieux ni en soi, ni dans la durée. Que voulez-vous comparer, en effet, avec ces terreurs si légitimes et si effrayantes de l’avenir ; avec ce feu qui ne peut s’éteindre ; avec ce ver qui ne peut mourir ? Est-il un mal du siècle qui égale le grincement des dents, les chaînes, les ténèbres extérieures, les fureurs, la désolation, les angoisses de ces supplices ? Mais vous comparez la durée, peut-être ? – Eh ! que font dix mille ans auprès des siècles infinis et interminables ? Ce qu’est une petite goutte d’eau, n’est-ce pas, en présence du grand abîme. Préférez-vous comparer bonheur avec bonheur ? Celui du ciel est infiniment supérieur. « L’œil de l’homme n’a point vu », dit l’Écriture, « son oreille n’a point entendu, son cœur ne pourra jamais comprendre cette félicité souveraine ». (1Co 2,9) Et sa durée se prolongera dans l’infinité des siècles. Pour elle, par conséquent, ne serait-il pas avantageux d’être mille fois déchirés vivants, tués, brûlés, de subir mille morts enfin, de supporter en paroles et en faits tout ce qu’il y a de plus rude et de plus affreux ? Devrions-nous passer, si c’était possible, toute la vie présente dans les flammes dévorantes, qu’il faudrait ainsi fout accepter pour gagner les biens que Dieu nous garde. Mais que parlé-je ainsi à des hommes qui loin de consentir à mépriser l’argent, le poursuivent et s’y attachent comme à la seule richesse immortelle, à des hommes qui, pour avoir donné quelque petite chose sur une fortune immense, croient avoir tout fait ? Non, ce n’est pas là l’aumône. L’aumône vraie, c’est le fait de cette veuve qui verse tout généreusement, jusqu’à sa dernière obole. Si vous n’avez pas le cœur de donner autant qu’une pauvre veuve, donnez du moins votre superflu, gardez le nécessaire, et rien au delà : mais personne ne sait faire le sacrifice même du superflu. J’appelle superfluité ce nombreux personnel qui vous sert, ces vêtements de soie qui vous couvrent. Rien n’est moins nécessaire, rien moins utile même que ce dont nous pouvons nous passer pour vivre ; voilà, oui, des superfluités, et pour le dire une fois, de véritables excès. Voyons toutefois, s’il vous plaît, quel est l’indispensable nécessaire de la vie. Avec deux serviteurs seulement, nous pouvons vivre. Car puisque plusieurs personnes, à nos côtés, vivent sans serviteur aucun, quelle excuse avons-nous, si deux domestiques ne peuvent nous suffire ? Nous pouvons très-bien nous loger dans une maison de briques, pourvu qu’elle ait trois appartements voilà le suffisant assurément. Car n’y a-t-il pas des pères de famille, ayant femme et enfants, qui se contentent d’une seule habitation ? Or, si vous le voulez absolument, on vous accorde des domestiques. Mais, dira une grande dame, n’est-il pas honteux pour une personne d’un certain rang, de paraître en public avec deux domestiques seulement ? – Arrière cette honte. Non, une femme de haut rang n’a pas à rougir de paraître avec deux domestiques seulement ; mais elle devrait rougir de se montrer avec plus nombreuse escorte. Vous riez peut-être en m’écoutant ici ; eh bien ! je répète, sa honte devrait être de parader avec toute une escorte. Quoi ! pareils à des marchands de moutons, ou à ces cabaretiers qui vendent des esclaves, vous vous feriez une espèce de gloire à paraître avec un nombreux cortège de serviteurs ! Faste et vaine gloire, en vérité ; lorsque la modestie, en cela, est une preuve de sagesse et d’honorabilité. Non, il ne faut pas que voire dignité se prouve par la multitude de vos suivants : où est la vertu, à posséder toute cette valetaille ? Ce n’est certes point une vertu de l’âme ; et ce qui ne prouve point une âme vertueuse, ne démontre pas non plus une âme bien née. Quand une dame est contente de peu, elle prouve mieux sa dignité native ; quand elle a besoin de tant d’accessoires, elle n’est qu’une servante, plus abaissée même qu’une esclave. 5. Répondez-moi ? Les anges ne parcourent-ils pas notre terre habitée, seuls et sans avoir besoin de quelqu’un qui les suive ? Et, parce que nous avons ce besoin nous-mêmes, estimerons-nous inférieurs ceux qui peuvent s’en passer ? S’il est donc dans la nature de l’ange de n’avoir ainsi besoin ni de laquais, ni de suivant, quelle est, parmi les femmes, celle qui se rapproche le plus de cette nature, angélique ? Est-ce celle à qui tant de serviteurs sont indispensables, ou celle qui se contente d’en avoir bien peu ? Et mieux que cette dernière encore, celle qui n’en a pas du tout, n’a-t-elle pas le bonheur de se montrer sans être remarquée ? Être remarquée, en effet, ne voyez-vous pas que, pour une femme, c’est une honte ? Or quelle est celle qui attire les regards de toute une place publique ? Est-ce celle qui porte une toilette brillante, ou celle qui est vêtue simplement, sans parure, sans luxe ni apprêt ? Laquelle encore fait tourner de son côté tous les yeux de la foule stationnant au forum ? Est-ce celle qui se fait traîner par des mules aux housses dorées, ou bien celle qui marche sans appareil, naturellement, mais avec bienséance et distinction ? Celle-ci ne passe-t-elle pas inaperçue de tous nos regards, tandis qu’on se presse pour voir l’autre, et que même on se demande : Qui est-elle ? D’où sort-elle ? Ne parlons pas des jalousies qu’elle excite. Mais, dites-moi seulement : Où est la honte ? Est-ce de se faire remarquer ou de passer sans être vue ? Quand est-ce qu’il faut rougir davantage quand tous les yeux sont sur elle, ou quand nul ne l’aperçoit ? Quand tout le monde s’informe de ce qu’elle est, ou bien quand on ne s’occupe même pas de sa personne ? Voyez-vous comme nous faisons tout, non pour une sainte honte, mais pour la vaine gloire ? Mais, comme il est impossible de nous soustraire entièrement à ces préjugés, qu’il me suffise de vous rappeler que la honte véritable n’est pas là. Le péché ! voilà vraiment la chose honteuse, bien que personne ne l’estime ainsi, et qu’on attache plus volontiers l’idée de honte à n’importe quoi plutôt qu’au péché ! Quant aux vêtements, femmes chrétiennes, ayez-en pour l’usage et non pour le superflu. Et pour ne pas vous gêner ici la conscience trop étroitement, mon avis et ma déclaration se bornent à proscrire, comme dépassant vos besoins, les parures d’or et les tissus trop fins. Et cet arrêt n’est pas de moi. Pour vous prouver qu’ici vous n’entendez pas mes paroles, écoutez saint Paul qui lui-même prononce, qui défend aux femmes de se parer avec des cheveux frisés, avec de l’or, avec des perles, avec vos vêtements précieux et magnifiques. (1Ti 2,9) Dites-nous alors, apôtre de Jésus-Christ, comment elles doivent se parer ? Car elles sont capables de dire que les parures d’or sont seules des objets de luxe et de prix ; mais que les soieries ne sont ni de prix ni de luxe. Dites-nous donc, comment voulez-vous qu’elles soient parées ? – « Quand nous avons le vêtement et la nourriture, sachons-nous en contenter ». (1Ti 6,8) Donc, que le vêtement soit suffisant pour nous couvrir ; Dieu ne nous les a donnés que pour protéger notre nudité. Or, un vêtement peut remplir ce but, quand même il serait de nulle valeur. Vous riez peut-être, vous qui portez des vêtements de soie : en vérité, le sujet prête à rire ! Que commande saint Paul et que faisons-nous ? Car je ne m’adresse plus seulement aux femmes, mais aussi aux hommes. Tout ce que nous avons au-delà de la règle apostolique, est superflu. Les pauvres seuls ne possèdent pas de superflu ; hélas ! peut-être parce qu’ils sont forcés de s’en passer ; car s’ils pouvaient s’en procurer, ils ne s’en feraient pas faute plus que les autres. Mais enfin, soit en réalité, soit en apparence et par le sort, ils n’ont pas de superflu. Portons donc des vêtements qui remplissent simplement leur but. A quoi bon, en effet, y prodiguer l’or ? Ces oripeaux conviennent aux acteurs ; laissez-leur ce costume ; c’est celui aussi des femmes perdues à qui tout ; convient pour attirer les yeux. Qu’elle se pare, l’actrice qui va paraître sur la scène, celle encore qui est danseuse de profession ; tout leur va, pour entraîner les hommes. Mais que la femme qui professe une vraie piété s’éloigne de telles parures, et qu’elle s’en réserve une autre bien plus noble et plus riche. Oui, femme chrétienne, tu as un théâtre aussi ; pour ce théâtre, sache te parer ; pour lui, revêts tout un monde d’ornements. Quel est ton théâtre ? Le ciel, avec le peuple des anges pour spectateurs, et ce peuple comprend aussi et les vierges, et les femmes du monde ou du siècle. Toute femme qui croit en Jésus-Christ paraît de droit sur ce théâtre. Parlons-y un langage digne de charmer de tels spectateurs. Revêts-toi d’ornements capables de les transporter de joie. Car, dis-moi ; si une de ces actrices éhontées, renonçant à ses parures d’or, à ses vêtements somptueux, à son rire effronté, à ses paroles séduisantes et obscènes, prenait tout à coup une robe sans valeur ; si elle paraissait sur les planches sans aucun éclat d’emprunt, et qu’on l’entendît parler un langage pieux, religieux, et faire une exhortation à la tempérance et à la pudeur, sans plus un mot qui fasse rougir, est-ce que toute l’assistance ne se lèverait pas d’indignation ? Un théâtre comme celui-là ne serait-il pas déserté ? ou plutôt ne chasserait-on pas cette convertie, parce qu’elle ne parlerait plus la langue de ce théâtre satanique ? Eh bien ! à votre tour, si vous entrez au théâtre du ciel avec les ornements de la femme perdue, tout le céleste auditoire vous chassera. Il ne faut point là de vêtements d’or, mais d’autres, et bien différents. De quel genre, alors ? De ceux dont parle le Prophète : « Elle est entourée de franges d’or, de splendides broderies » (Psa 45,14) ; il ne s’agit point de faire ressortir la blancheur et l’éclat de votre teint, mais d’orner votre âme ; car elle seule, au ciel, dispute le prix. « Toute la gloire de la fille du roi est au dedans d’elle-même », ajoute-t-il. Prenez ces vêtements glorieux, qui doivent vous affranchir d’autres peines sans nombre, mais qui en particulier délivrent un mari d’inquiétude, et vous-même de souci. 6. Une femme est d’autant plus respectable aux yeux de son mari, qu’elle sait davantage restreindre ses besoins. Car l’homme, en général, garde toujours un secret et profond mépris pour ceux qui ont besoin de lui ; s’il voit au contraire qu’il ne soit pas indispensable, il rabaisse son orgueil, et bientôt vous traite et vous honore comme un égal. Que votre mari vous voie donc, femmes chrétiennes, n’avoir pas besoin de lui et mépriser même ce qu’il offre ; aussitôt, malgré ses hautes prétentions et l’ambition dédaigneuse de son caractère, il vous respectera plus que si vous portiez des ornements d’or, et désormais vous ne serez plus sa servante, comme on l’est nécessairement, comme il faut bien être l’humble sujet de ceux dont on a trop besoin ; tandis que si l’on sait se refuser noblement le superflu, on recouvre désormais son indépendance. Qu’il sache donc, votre époux, que lorsque vous lui accordez une certaine obéissance, c’est le motif de la crainte de Dieu qui vous détermine, et non pas les dons qui partent de la main d’un mari. En effet, tant qu’il vous donne beaucoup, en vain lui rendez-vous aussi grand honneur : il croit toujours en mériter davantage ; si, au contraire, vous savez vous suffire, il vous est reconnaissant du peu même que vous lui accordez : il n’a rien à vous reprocher. D’ailleurs vous ne le forcez point à voler le bien du prochain pour la triste nécessité de vous suffire. Sous un autre point de vue, est-il rien de plus déraisonnable que d’acheter des parures d’or, pour les souiller bientôt dans les bains et les places publiques ? Encore ces folies dorées s’expliquent-elles pour ces lieux profanes des thermes ou de l’agora ; mais elles sont ridicules et insensées, quand on s’en décore pour poser jusque dans l’église. Que vient-elle faire ici avec ces ornements d’or, cette femme qui doit y entrer précisément pour entendre que ni l’or, ni l’argent, ni les habits précieux n’embellissent une vraie chrétienne ? Oui, femme chrétienne, pourquoi entrer ici ? Serait-ce comme pour combattre saint Paul et pour montrer que quand même il te ferait mille fois la leçon, tu refuses de te convertir ? Serait-ce pour nous convaincre que, nous aussi, prédicateurs de l’assemblée sainte, nous perdons notre temps à redire ses avis ? Car, réponds-moi. Qu’un gentil ou qu’un infidèle entende lire ce passage de saint Paul qui interdit aux femmes dé se parer avec l’or, l’argent, les perles, les tissus précieux ; que cet homme soit d’ailleurs marié à une femme chrétienne, et qu’il l’aperçoive ensuite heureuse de se parer de cette manière, fière de s’entourer d’or pour venir à l’église ; ne dira-t-il pas en lui-même, en voyant cette femme qui se pare et se prépare dans son cabinet de toilette : Pourquoi donc fait-elle dans ce cabinet une si longue séance ? Pourquoi ces longs apprêts ? Pourquoi prend-elle aujourd’hui ses bijoux d’or ? Où veut-elle aller enfin ? À l’église ? Mais qu’y faire ? Pour entendre que tout ce luxe est condamné ? À cette idée, à ce spectacle, l’infidèle ne va-t-il pas rire, et rire aux éclats ? Ne va-t-il pas croire que toute notre religion n’est qu’un jeu et une duperie ? Écoutez donc, et mes avis et ma prière : laissons aux pompes mondaines ces ornements d’or ; laissons-les aux théâtres et aux décors exposés dans les boutiques des marchands ; gardons-nous de vouloir ainsi embellir l’image de Dieu ; et plutôt rehaussons-la de grâce vraie et de dignité, de cette dignité qui ne s’allie jamais avec le faste et les ornements malséants. Voulez-vous même gagner l’honneur et l’estime des hommes ? Voilà le moyen d’y parvenir. On admirera toujours moins la femme d’un opulent du siècle quand elle portera ces soieries et ce luxe, qu’on rencontre partout, que quand elle se présentera sous une mise simple et commune, avec la simple robe de laine. Ce genre, tout le monde l’admire ; cette mise, chacun y applaudit. Car dans cette toilette qui prodigue les broderies d’or et les tissus précieux, la femme riche a bien des rivales ; elle surpasse l’une, mais l’autre la surpasse ; et dût-elle les vaincre toutes, l’impératrice au moins aura sur elle la victoire. Avec la simplicité, au contraire, elle triomphe de toutes les autres femmes, même de l’épouse d’un roi ou d’un empereur : seule, et jusque dans l’opulence, elle a choisi l’extérieur des pauvres. Ainsi, supposé que nous aimions la gloire, la voici plus grande et plus pure. Mais je ne parle pas seulement aux veuves et aux riches : les veuves n’auraient l’air d’être modestes qu’à cause de la gêne qu’apporte le veuvage ; je m’adresse aussi aux femmes mariées. – Je ne plairai donc plus à mon mari, dira l’une d’elles ? – Ah ! tu ne désires pas plaire à ton époux, mais à une foule de misérables femmelettes ; ou plutôt loin de vouloir leur plaire, tu cherches à les faire sécher de dépit, à faire ressortir leur pauvreté. Que de blasphèmes se prononcent à cause de toi !… Malheur à la pauvreté, s’écrieront-elles ; Dieu déteste les indigents ; Dieu n’aime pas les pauvres ! Une preuve, d’ailleurs, une preuve évidente que tu ne cherches pas à plaire à ton mari, que ce n’est pas là le motif de ta toilette, c’est la propre conduite en ceci. A peine rentrée dans ton appartement, tu dépouilles aussitôt toutes tes parures, robes, bijoux, perles ; tu ne les portes pas chez toi. Si vraiment vous voulez plaire à vos maris, vous en avez les moyens, je veux dire la douceur, les prévenances, la sagesse. Croyez-moi bien, femmes chrétiennes, lors même que votre mari montrerait les penchants les plus malheureux et les plus abjects, voici les moyens qui le regagneront : douceur, bonté, modestie, sagesse, mépris d’un vain luxe et d’une dépense exagérée, humilité et soumission. En vain imagineriez-vous mille inventions de toilette, vous ne maintiendrez pas un mari impudique et débauché. Elles le savent, celles qui sont partagées d’époux semblables. En vain voudrez-vous employer la parure ; s’il est incontinent, il est vite adultère et s’il est sage et pudique, ce n’est pas votre toilette qui le captive ; c’est au contraire votre modestie. Votre luxe même l’ennuie et l’inquiète, parce qu’il lui donne l’idée que vous êtes esclave de ces vaines parures et d’un monde insensé. J’accorde qu’un mari, doux et modéré, vous respectera et ne vous exprimera point cette pensée ; mais dans son cœur il vous condamne, mais il n’est pas maître d’étouffer un sentiment de jalousie. De jalousie ! ô femme, de jalousie contre vous, et parce que vous l’éveillez vous-même. N’est-ce pas assez pour vous faire repousser à l’avenir tout vain plaisir de luxe ? 7. Peut-être ne m’entendez-vous ici qu’avec chagrin ; peut-être la colère vous fait dire : Voilà qu’il irrite les maris contre leurs femmes ! Non, je ne veux pas irriter les maris ; mais je désire, épouses chrétiennes, que vous-mêmes de bon cœur, vous fassiez ce sacrifice, non pour eux, mais pour vous ; non pour les délivrer de préoccupations jalouses, mais pour vous délivrer vous-mêmes de ces fantômes de la vie mondaine. Vous voulez être belle ; je demande aussi pour vous la beauté, oui, la beauté que Dieu cherche, la beauté qui charme le souverain Roi. Quel ami voulez-vous, Dieu ou les hommes ? Si vous êtes ainsi vraiment belle, Dieu sera épris de vos attraits ; si vous avez l’autre beauté sans celle-ci, il vous prendra en horreur, et vous ne serez aimée que par des hommes criminels. Car il ne peut être honnête, celui qui aime une femme enchaînée par le mariage : et c’est le triste effet d’une parure tout extérieure. Autant l’une, celle de votre âme, veux-je dire, gagne le cœur de Dieu, autant l’autre éprend des hommes criminels. Voyez-vous que votre seul intérêt m’inspire, que je suis dévoué à votre bien, à votre véritable beauté ? Ah oui ! vous serez vraiment, d’après moi, et belles et glorieuses ; car la vraie gloire d’une noble femme, c’est que vous ayez pour vous aimer, non pas les hommes du crime, mais Dieu, mais le Seigneur du monde entier. Ayant si haut votre ami principal, à qui ressemblerez-vous ? aux anges mêmes dont vous conduirez les chœurs. Car si la personne aimée du roi est, plus qu’aucune autre, proclamée bienheureuse, quelle sera la dignité de celle que Dieu même aimera d’un amour tendre ? Nommez, si vous le voulez, nommez et comparez l’univers avec cette beauté : l’univers n’en sera jamais digne ! Cultivons donc cette beauté ; ornons-nous de cette parure, pour arriver au ciel, aux banquets de l’Esprit, jusqu’au lit nuptial de cet époux sur lequel aucune mort n’a plus d’empire. La beauté charnelle est attaquée par toute sorte d’ennemis ; gardât-elle son éclat ; fût-elle, par impossible, à l’abri de la maladie et des chagrins, elle ne dure pas vingt ans. Sa céleste rivale, au contraire, garde toujours et sa force et sa fleur. Ici, point de tristes changements à redouter : la vieillesse ne se hâte point de lui apporter les rides ; la mort ne tombe pas sur elle pour la flétrir ; les amertumes de l’âme ne peuvent la corrompre : elle triomphe de tous ses ennemis. La beauté du corps s’est évanouie avant même de paraître ; et pendant qu’elle parait, elle a peu d’admirateurs. Ne la cultivons pas, mais plutôt aimons et embrassons celle qui doit un jour mettre en nos mains les lampes allumées, et nous conduire jusqu’en la chambre de l’Époux. Ce bonheur est promis, non pas à la virginité proprement dite seulement, mais aux âmes virginales surtout ; car si les vierges seules y avaient droit, cinq sur dix n’en auraient pas été exclues. C’est donc la récompense de tous ceux qui ont l’âme virginale, de tous ceux qui savent s’affranchir des pensées du siècle, puisque ces idées sont les corruptrices des âmes. Oui, si nous savons conserver l’intégrité et la pureté de nos cœurs, nous irons là-haut, et là-haut on nous recevra. « Je vous ai fiancés, disait saint Paul, comme on ferait d’une seule vierge à un seul mari, comme une chaste épouse pour Jésus ». (2Co 11,2) Ces paroles s’adressaient non pas aux vierges seulement, mais à toute l’Église, à tous ses fidèles enfants. Gardez-vous une âme sans tâche ? vous êtes vierge, bien que vous ayez un époux ; oui, vous l’êtes, et de cette virginité que je proclame vraie et admirable. La virginité du corps n’est que la compagne, que l’ombre de cette virginité seule véritable. Cultivons-la, et par elle nous pourrons joyeusement partir au-devant de l’Époux, et entrer avec nos lampes brillantes de lumière, pourvu que l’huile n’y manque pas, pourvu que faisant fondre et sacrifiant tout vain ornement d’or, nous sachions les convertir en cette huile précieuse qui nourrit la flamme d’une lampe étincelante. Cette huile, c’est la charité envers le prochain. Si nous savons faire part aux autres de tous nos biens, si nous en faisons de l’huile ainsi, nous trouverons alors protection et défense ; nous n’aurons pas à crier au grand jour : « Donnez – nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent ». (Mat 25,8) Nous n’aurons pas à faire appel aux autres, à courir chez ceux qui en vendent, à nous voir exclus, à frapper à la porte, à entendre cette parole qui donne la terreur et le frisson : « Je ne vous connais pas ! » car il nous reconnaîtra ; car nous entrerons avec cet Époux, et après avoir pénétré jusque dans la chambre nuptiale de notre Époux spirituel, nous jouirons de biens ineffables. En effet, si l’appartement de l’Époux, ici-bas, est si magnifique ; si les salles de ses banquets sont tellement splendides, que la vue n’en fatigue jamais, combien plus au ciel ! Le ciel, oui, est un lit nuptial ; mais le lit nuptial de l’Époux est plus beau que le ciel. Et c’est là que nous entrerons ! Et si le lit nuptial de l’Époux a tant de beauté, quel sera l’Époux lui-même ? Mais pourquoi vous ai-je dit de déposer ces ornements d’or pour les donner aux pauvres ? Fallut-il, ô femmes, vous vendre vous-mêmes, fallut-il descendre avec vos enfants jusqu’à la servitude, afin de pouvoir être avec cet Époux, pour jouir de toute sa beauté, pour contempler à jamais ses traits, ne devriez-vous pas gaiement et de grand cœur tout accepter ? Pour voir un roi de la terre, souvent nous laissons échapper de nos mains un objet même nécessaire ; mais pour contempler ce Roi, votre Époux, combien plus volontiers il faudrait tout subir ! Les biens de ce monde, en effet, ne sont que des ombres : là seulement est la vérité ! Oui, pour voir dans les cieux ce Roi, cet Époux ; et surtout pour le bonheur de marcher devant lui, lampe en main, d’habiter près de lui, de résider à tout jamais avec lui, que ne faut-il pas faire ; que ne faut-il pas produire ; que ne faut-il pas supporter ? Ah ! concevons, je vous en supplie, quelque désir vrai de ces biens célestes : désirons cet Époux immortel. Soyons vierges de la virginité véritable : car Dieu exige la virginité de l’âme. Avec elle entrons aux cieux ; mais sans avoir ni tache, ni ride, ni défaut d’aucune sorte, qui nous empêcherait de gagner les biens promis. Puissions-nous y arriver tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ ! HOMÉLIE XXIX.
VOUS N’AVEZ PAS ENCORE RÉSISTÉ JUSQU’AU SANG, EN COMBATTANT CONTRE LE PÉCHÉ. (CHAP. 12, DU VERSET 4 AU VERSET 11) Analyse.
- 1 et 2. Deux consolations, contradictoires en apparence, et qui se complètent l’une par l’autre. – Les épreuves et les adversités ne sont point une marque d’abandon de Dieu : bien au contraire, elles nous apprennent qu’il est notre vrai Père, et que nous sommes ses véritables enfants. – Dieu nous aime mieux que nos pères mêmes, quand il nous châtie. – Il n’agit point par caprice ni pour son intérêt, mais uniquement pour notre bien.
- 3 et 4. Tous les saints de l’Ancien et du Nouveau Testament ont accepté de bon cœur les souffrances de la vie ; tous les pécheurs ont passé par les délices, qui ont causé leur perte dans le temps et dans l’éternité. – Les mœurs de nos jours sont, malheureusement, celles de Babylone et de Sodome. – Les hommes s’efféminent par le luxe des vêtements et par la bonne chère ; les femmes y perdent leur force et leur beauté, l’âme se pourrit dans ce corps qui s’énerve.
1. Deux manières de consoler, bien contradictoires en apparence, donnent au cœur une force merveilleuse, quand on les présente ensemble aussi saint Paul les emploie-t-il l’une et l’autre. L’une a lieu, quand nous disons à une âme navrée, que plusieurs avant elle ont beaucoup plus souffert ; à cette pensée, l’âme attristée se calme, parce qu’elle aperçoit de nombreux témoins de ses combats ; c’est ce moyen qu’employait précédemment saint Paul, lorsqu’il rappelait aux Hébreux leurs propres exemples : « Souvenez-vous, disait-il, de ces anciens jours, où récemment appelés à la lumière, vous avez soutenu de grands combats au milieu de diverses souffrances ». (Heb 10,32) L’autre consolation parle un langage tout opposé ; vous n’avez pas, dit-elle, souffert un mal bien grand ! Une observation pareille change le cours de vos idées, vous réveille, vous rend plus empressés à souffrir encore. Le premier genre de consolation était un calmant, un topique sur votre âme blessée ; le second est un excitant qui ranime une âme affaiblie, relâchée, qui remue un cœur engourdi et terrassé déjà, et le tire d’une première et fâcheuse indécision. Et comme, d’ailleurs, le premier témoignage qu’il leur a rendu pourrait leur donner quelque orgueil, il croit à propos de leur dire cette seconde parole : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang, en combattant contre le péché, et vous avez oublié la consolation… » Et, sans poursuivre alors le fil de son discours, il leur a montré d’abord tous ces héros qui ont résisté jusqu’à l’effusion de leur sang ; il a ensuite ajouté que les souffrances de Jésus-Christ font notre gloire et la sienne ; et après ces préliminaires, il a pu librement continuer sa course et son exhortation entraînante. C’est dans le même sens qu’il écrivait aux Corinthiens : « Puissiez-vous n’être attaqués que par une tentation humaine » (1Co 10,13), c’est-à-dire petite et supportable. Car pour relever, pour redresser une âme, il suffit de lui inspirer la pensée qu’elle n’a pas encore gravi les plus hauts sommets de la vertu, et de l’en convaincre par les épreuves mêmes qu’elle a traversées déjà. Et voici bien, en effet, ce que dit l’apôtre : Vous n’avez pas encore subi la mort ; vous n’avez souffert que jusque dans vos biens et dans votre gloire, que jusqu’à l’exil. Jésus-Christ a pour nous répandu son sang ; vous ne l’avez pas même versé pour votre propre compte. Il a combattu, lui, jusqu’à la mort, pour la vérité, et dans votre seul intérêt ; et vous n’avez pas encore affronté, vous, des périls où la vie soit en jeu. « Et vous avez oublié la consolation »… ; c’est-à-dire, vous avez laissé tomber vos bras découragés, vous avez été brisés, bien que vous n’eussiez pas encore, ajoute-t-il, résisté jusqu’au sang dans ces combats contre le péché. Cette parole nous montre que le péché souffle comme l’orage, et qu’il est contre nous armé de toutes pièces. Car l’expression : « Vous avez résisté » s’adresse à des soldats fermes et debout. « La consolation que Dieu vous adresse comme à ses fils, en vous disant : Mon fils, ne négligez pas le châtiment dont le Seigneur vous corrige, et ne vous laissez pas abattre lorsqu’il vous reprend ». Non content de les avoir consolés par les faits, il les encourage surabondamment par les paroles, et leur apporte ce témoignage de l’Écriture : « Ne vous laissez pas abattre », dit-il, « lorsqu’il vous reprend ». Ces paroles sont donc de Dieu lui-même. Et ce n’est pas une mince consolation pour nous, sans doute, que de reconnaître ainsi dans les événements les plus fâcheux l’œuvre de Dieu, qui les permet, comme saint Paul l’atteste lui-même : « C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur, et il m’a répondu : Ma grâce vous suffit : car ma force éclate davantage dans la faiblesse ». (2Co 12,8) il est donc bien vrai que Dieu permet les épreuves. « Car le Seigneur châtie celui qu’il aime, et il frappe de verges celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants (6) ». On ne peut pas prétendre qu’un seul juste soit sans affliction ; car bien qu’au-dehors rien ne paraisse, nous ne savons pas les autres tribulations intimes qu’il subit. Il faut de toute nécessité que le juste passe par ce chemin. C’est la maxime de Jésus-Christ : que la route large et spacieuse conduit à la perdition ; tandis que la voie étroite et resserrée mène à la vie. (Mat 7,13) Si donc, par là seulement, on peut arriver à la vie, tandis qu’il est impossible d’y parvenir autrement, concluez que tous ceux qui sont parvenus à la vie, y sont arrivés par la voie étroite. « Si vous supportez cette rude discipline », continue-t-il, « Dieu vous regardera comme ses enfants. Car, qui est l’enfant que son père ne corrige point ? » S’il le forme et l’élève, assurément c’est pour le redresser, et non pour le punir, pour se venger de lui, pour le maltraiter. Saisissez cette idée de l’apôtre. Les événements mêmes qui leur auraient fait croire à l’abandon de Dieu, doivent, selon lui, les convaincre qu’ils ne sont point abandonnés de Dieu. C’est comme s’il leur disait : Parce que vous avez subi de si rudes épreuves, vous croyez que Dieu vous a délaissés et qu’il vous hait. Au contraire, si vous n’aviez pas ainsi souffert, vous devriez avoir ce soupçon décourageant. Car si Dieu frappe de verges celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants, il se peut qu’on ne soit pas de ce nombre ; si l’on n’est pas ainsi frappé. – Mais quoi ? direz-vous : les méchants ne sont-ils donc jamais atteints ? – Ils éprouvent aussi des maux, vous répondrai-je : car pourquoi seraient-ils épargnés ? Aussi ne vous dit-on pas : Quiconque est frappé est son enfant ; mais seulement : Tout enfant est frappé. Vous ne pouvez donc faire cette objection. Car si les coups tombent sur un grand nombre de méchants mêmes, comme sont les homicides, les brigands, les escrocs, les profanateurs de sépultures, ces misérables sont punis pour leurs crimes ; et loin d’être flagellés comme de vrais fils, ils sont châtiés comme scélérats. Vous l’êtes, vous, à titre d’enfants. Voyez-vous comme l’apôtre emprunte partout ses arguments consolants ? Il en trouve dans les faits de la sainte Écriture, dans les textes sacrés, dans leurs propres idées, dans les exemples ordinaires de la vie, dans la coutume universelle. 2. « Et si vous êtes en dehors du châtiment disciplinaire, dont tous les autres ont eu leur part, vous n’êtes donc pas du nombre des enfants, mais des bâtards (8). ». Voyez-vous comme l’apôtre confirme ce que j’ai dit précédemment : qu’il n’est point possible d’être enfant sans être châtié ? Le cas présent suit cette loi générale de la famille, où nous voyons, en effet, qu’un père n’a point souci des bâtards, lors même ; qu’ils n’apprennent rien et qu’ils n’acquièrent aucune illustration, tandis que, pour ses fils légitimes, il craint de les voir se livrer à la paresse et au marasme. Si donc cette privation d’éducation vigoureuse est une note d’illégitimité, il faut se réjouir de subir la discipline, puisqu’on l’applique seulement aux enfants de légitime naissance. Dieu à votre égard se montre comme à ses véritables fils. C’est pour appuyer ce raisonnement que saint Paul ajoute : « Que si nous avons eu du respect pour les pères de notre corps, lorsqu’ils nous ont châtiés, combien plus devons-nous être soumis à celui qui est le Père des esprits, afin de jouir de la vie (9) ? » Nouvel et consolant appel aux souffrances que les Hébreux ont subies personnellement il avait dit plus haut : « Souvenez-vous de vos anciens jours » ; il redit ici dans le même sens : Dieu agit envers nous comme envers des fils. Il n’y a pas à répondre : nous ne pouvons suffire à la peine ! Il nous traite comme ses fils, et comme ses fils bien-aimés. Et puisque ceux-ci vénèrent toujours leurs pères selon la chair, comment n’auraient-ils pas la même vénération pour le Père céleste ? – Et cette circonstance de dignité ne fait pas la seule différence ; il n’y a pas seulement non plus, une différence de personnes ; vous en trouvez aussi dans la cause et dans la nature même de la discipline. Non, Dieu ne vous redresse pas pour le même motif que l’ont fait vos pères. Car, ajoute l’apôtre : « Nos pères nous châtiaient comme il leur plaisait et pour quelques jours (10) » ; c’est-à-dire que souvent ils se donnaient à eux-mêmes cette satisfaction, sans envisager toujours notre véritable intérêt. Mais, ici, on ne peut faire ce reproche. Dieu n’agit point, en frappant, pour son avantage personnel, mais pour vous, et uniquement pour votre bien. Vos parents ont voulu, avant tout, vous forcer à leur être utiles ; souvent même ils ont sévi sans motif. Mais, ici, rien de semblable. Voyez-vous encore comme l’apôtre les console ? En effet, notre amitié se donne bien plus volontiers aux personnes qui nous commandent ou nous conseillent sans aucune idée d’intérêt égoïste, et surtout avec un zèle tout dévoué à notre bonheur. Nous reconnaissons l’affection sincère, la seule réelle affection à nous voir ainsi aimés, lorsque, nous sommes hors d’état d’être utiles à la personne qui nous aime, qui nous chérit non pour recevoir, mais pour donner. Dieu nous forme, Dieu fait tout, Dieu veut tout au monde, pour nous rendre capables de recevoir ses biens infinis. « Nos pères nous ont châtiés pour cette vie éphémère seulement et pour leur bon plaisir : mais Dieu nous châtie autant qu’il est utile, pour nous rendre capables de participer à sa sainteté ». Qu’est-ce que cette sainteté ? C’est la pureté de cœur ; qui selon nos forces nous rendra dignes de Lui. Lui-même désire vous la faire accepter, et fait tout pour vous la donner : et vous n’auriez, vous, aucun zèle pour la recevoir ? « J’ai dit au Seigneur », chantait le Prophète, « vous êtes mon Dieu, parce que vous n’avez aucun besoin de mes biens ». (Psa 16,2) Puis, dit l’apôtre, nous avons eu dans nos pères selon la chair des maîtres sages et fermes, et nous les avons respectés : combien plus devons-nous, pour trouver la vie, obéir au Père des esprits, c’est-à-dire au Père des grâces, de la prière, des puissances immatérielles ! Si nous mourons sous cet empire de l’obéissance, alors nous vivrons. Et saint Paul remarque avec raison que nos parents ne nous ont formés que pour une vie éphémère et selon leur bon plaisir. Ici, le bon plaisir et l’utile ne se rencontrent pas toujours : tandis que l’utile est nécessairement dans la pensée de Dieu. 3. Ainsi l’éducation par la souffrance est dans notre intérêt ; ainsi nous fait-elle entrer en participation de la sainteté. C’est le grand moyen par excellence. En effet, quand la souffrance exclut toute lâcheté, toute convoitise mauvaise, tout amour de ces choses qui nous enchaînent à la vie présente ; quand elle nous change le cœur, jusqu’à nous donner la force de réprouver toutes les vanités de ce monde, et tel est l’effet des souffrances, n’est-il pas vrai que la douleur alors est sainte, et qu’elle arrache au ciel toutes ses grâces ? Rappelons-nous plutôt et toujours l’exemple des saints et le côté par lequel tous ont brillé. Au premier rang, Abel, Noé n’ont-ils pas été illustres par la douleur ? Comment celui-ci n’aurait-il pas souffert en se voyant seul au milieu de cette innombrable multitude de pécheurs ? Car, l’Écriture le dit : « Noé étant seul parfait dans son siècle, plut à Dieu ». (Gen 6,9) Réfléchissez, en effet, je vous prie, et dites : Si, trouvant aujourd’hui par milliers et des pères et des maîtres, dont la vertu nous sert d’exhortation et d’exemple, nous sommes toutefois désolés à ce point, combien a dû être affligé ce juste isolé dans cette masse immense de perdition ? – Mais comme j’ai parlé déjà de ce déluge étrange et incroyable, ne dois-je pas plutôt vous raconter Abraham et ses fréquents pèlerinages, et le rapt de son épouse, et ses dangers, et ses guerres, et ses tentations ? Ou bien encore et tous les maux terribles qu’il a soufferts, banni de tout pays, travaillant en vain, et dépensant pour d’autres tous ses labeurs ? Non, il n’est pas besoin de dénombrer toutes ses épreuves ; mais son témoignage s’offre de lui-même à l’appui de nos raisonnements ; puisqu’il disait à Pharaon : « Mes jours sont courts et mauvais ; ils n’ont pas atteint en nombre ceux de mes pères ». (Gen 47,9) – Faut-il plutôt vous citer Joseph, ou Moïse, ou Josué ou David, ou Samuel, Élie, Daniel, tous les prophètes ? Vous les verrez tous s’illustrant par les souffrances : et vous, dites-moi, voulez-vous chercher la gloire dans le loisir, le repos, les plaisirs ? C’est chercher l’impossible. Maintenant, vous parlerai-je des apôtres ? Mais eux aussi ont surpassé par les souffrances tous leurs devanciers. Pourquoi traiterais-je ce sujet, déjà traité par Jésus-Christ ? « Vous aurez », leur disait-il, « l’affliction en ce monde ». Et ailleurs « Vous pleurerez et vous gémirez, tandis que le monde se réjouira ». (Jn 16,33 ; Mat 7,74) La voie qui conduit à la vie est étroite et rude, c’est le Maître de la voie lui-même qui le déclare ; et toi, chrétien, tu cherches la voie large ? N’est-ce pas absurde ? Aussi, par cette route différente tu trouveras non la vie, mais la mort ! Toi-même as fait choix du chemin qui doit y conduire. Mais préférez-vous que je vous cite, que j’énumère devant vous tant de pécheurs qui ont passé leur vie dans les délices ? Remontons des plus rapprochés de nous, jusqu’aux plus anciens. Expliquez-moi la perte du mauvais riche plongé dans son abîme de feu ; la perte des juifs qui vécurent pour le ventre dont ils faisaient leur Dieu, ne cherchant au désert même que loisir et repos ; la perte des hommes encore de l’époque de Noé. N’ont-ils, pas péri pour avoir choisi une vie de bonne chère et de dissolution ? Ceux de, Sodome ne furent-ils pas victimes de leur gourmandise ? « Ils se jouaient », dit l’Écriture, « dans l’abondance de leur pain ». (Eze 16,49) Que si l’abondance du pain amena une telle catastrophe, que dirons-nous de tant d’autres inventions de la friandise et de la bonne chère ? – Esaü ne vivait-il pas dans le loisir et la fainéantise ? N’était-ce pas le crime aussi de ces enfants de Dieu qui admirèrent la beauté des femmes et coururent ainsi aux précipices de l’enfer ? N’était-ce pas la vie de ceux qui se livrèrent à des passions folles et furieuses contre nature ? Et tous ces rois païens de Babylone ou d Égypte n’ont-ils pas tristement fini ? Ne sont-ils pas dans les supplices ? Or, dites-moi, nos mœurs d’aujourd’hui sont-elles donc différentes ? Écoutez la parole de Jésus-Christ : « Ceux qui se couvrent de vêtements somptueux, sont dans les palais des rois » (Mat 11,8) ; et ceux qui ne s’habillent point ainsi, sont dans les cieux. Un vêtement de mollesse amollit, brise, corrompt un cœur même austère ; quand bien même il couvrirait un corps rude et sauvage, il l’aurait bientôt énervé et affaibli sous son tissu voluptueux. Quelle autre cause que celle-là, dites-moi, amollit ainsi les femmes ? Serait-ce leur sexe seulement ? Non, mais bien leur manière de vivre et leur éducation. Cette façon de les élever à l’ombre, ces loisirs, ces bains, ces onctions, ces parfums de tout genre, ces lits mollets et délicats, font une femme ce que vous voyez ! Et pour vous en convaincre, écoutez une comparaison Dans quelque oasis du désert, parmi les arbres battus des vents, prenez-moi un rejeton quelconque, et transplantez-le dans un lieu humide et ombragé, vous le verrez bientôt indigne du lieu où il a pris naissance. Que ce fait se vérifie chez nous, les femmes des champs en sont la preuve : plus vigoureuses même que les hommes des villes, on en a vu qui en terrassaient plusieurs dans la lutte. Or, quand le corps s’est ainsi amolli, il faut bien que l’âme en partage la ruine ; les forces de l’un sont, en grande partie, attaquées de la même manière que les facultés de l’autre. C’est ainsi que dans les maladies nous sommes tout changés, parce que nous sommes affaiblis ; et quand la santé revient, il se fait en nous une nouvelle révolution. Quand les cordes d’une lyre se détendent et ne rendent plus qu’un son faible et faux, tout le talent de l’artiste est paralysé, parce qu’il est comme asservi et lié à cet instrument désaccordé : ainsi l’âme souffre maints dommages, subit maintes nécessités sous l’empire de son enveloppe corporelle. Celle-ci a tant besoin de soins absorbants, que l’âme en doit souffrir un rude esclavage. Je vous en supplie donc : créons-nous un corps vigoureux et robuste, et gardons-nous de le rendre faible et maladif. Ici je ne parle pas seulement aux hommes, mais aux femmes aussi. Pourquoi, ô femmes, énerver vos membres par les délices, et les rendre ainsi chétifs et misérables ? Pourquoi, par l’embonpoint excessif, leur ôter toute vigueur ? Cet excès n’est point une force, vous le savez, mais une cause d’affaiblissement. Au contraire, laissez toutes délices, conduisez-vous tout différemment, et la beauté physique s’ensuivra au gré de vos désirs, dès que le corps se retrouvera solide et fort. Que si vous aimez mieux l’assiéger de maladies sans nombre, il y perdra sa fleur, il y compromettra tout son tempérament : car alors, vous serez dans un perpétuel chagrin. Or, vous savez que, comme une maison déjà belle, s’embellit encore au souffle riant du zéphyr, ainsi un beau visage doit gagner en beauté, lorsque votre âme lui prête un reflet de sa joie ; tandis que, livrée à la tristesse et au chagrin, elle devra l’enlaidir. Les maladies et les souffrances engendrent la tristesse ; et les maladies viennent de ce qu’on délicate trop le corps. Pour cette raison au moins, croyez-moi, fuyez les délices. 4. Mais, direz-vous, on éprouve du plaisir à s’y livrer. – Oui, mais on y trouve encore plus de peines. Le plaisir ne va pas au-delà de votre langue, de votre palais. Une fois la table enlevée et les mets engloutis, vous n’êtes pas plus heureux que si vous n’aviez pas eu part au banquet ; vous êtes même beaucoup plus mal, puisque vous emportez de ces excès, la pesanteur, l’embarras, une tète alourdie, un sommeil semblable à la mort, souvent même l’insomnie, triste fruit de la satiété, la suffocation, les éructations. Mille fois sans doute, vous avez maudit votre estomac, lorsque vous ne deviez maudire que l’intempérance. N’engraissons donc point notre corps, et plutôt écoutons la parole de saint Paul : « N’ayez point de souci de votre chair dans ses mauvais désirs ». (Rom 13,14) C’est avec raison qu’il signale ainsi les mauvais désirs : car l’aliment de ces convoitises se trouve précisément dans les délices. L’homme qui se livre à leur attrait, fût-il le plus fervent adepte de la sagesse, doit nécessairement subir cette influence du vin et des mets exquis ; nécessairement il s’y énerve, nécessairement il allume en son cœur une flamme maudite ; de là, les prostitutions, de là les adultères. L’amour coupable ne s’engendre pus dans un estomac maté par la faim, pas même dans celui qui sait se borner à une nourriture simplement suffisante, tandis que les penchants obscènes naissent et se forment dans celui qui se livre à la bonne chère. Les vers pullulent dans un sol profondément humide, dans un fumier largement mouillé et arrosé : au contraire, purgée de cette humidité, débarrassée de cet excès, la terre se couvre de fruits ; sans culture même, elle se revêt d’herbages ; cultivée, elle donne toutes sortes de productions : c’est là notre image. Gardons-nous donc de rendre notre chair inutile ou même nuisible ; plantons-y des semences utiles et productives, des arbres qui portent leurs fruits un jour, et gardons-nous de la stériliser par les délices, dont la triste pourriture, au lieu d’une moisson, n’enfanterait que des vers. Telle est, en effet, notre concupiscence native, que si nous l’inondons de délices, elle produit de honteuses, d’infâmes délectations. Peste véritable, que nous arracherons de toute manière, afin de pouvoir gagner lesbiens qui nous sont promis, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc. HOMÉLIE XXX.
TOUTE DURE DISCIPLINE, QUAND ON LA SUBIT, SEMBLE ÊTRE UN SUJET DE TRISTESSE ET NON DE JOIE, MAIS ENSUITE ELLE FAIT RECUEILLIR LES FRUITS PACIFIQUES DE LA JUSTICE A CEUX QUI ONT ÉTÉ AINSI EXERCÉS. (CHAP. 12,11-13) Analyse.
- 1-3. L’amour du prochain, vrai caractère du christianisme. – Jésus-Christ est mort pour tous et polir chacun de nous. – Le péché est une véritable amertume, sans compensation ni douceur. – La gourmandise d’Esaü lui fait sacrifier son droit d’aînesse : tout esclave du ventre – l’imite et s’avilit. – L’inutile pénitence d’Esaü doit faire trembler les justes, mais ne doit pas décourager les pécheurs. – Double langage de l’apôtre à ce sujet.
- 3 et 4. Vraie et fausse pénitence, prouvée par la conduite subséquente de saint Pierre et de David, d’une part ; et de Judas, d’Esaü, de Cam, d’autre part. – La vraie pénitence se reconnaît aussi dans le souvenir continuel du péché qu’on a une fois commis – La pénitence se prouve par la confession à Dieu et au juge. – Par le souvenir et l’aveu de nos péchés, nous obtenons l’oubli et l’amnistie de Dieu, qui, autrement, manifestera publiquement nos fautes. – Tableau saisissant de cette manifestation solennelle du jugement dernier.
1. Le vrai christianisme se reconnaît à plusieurs caractères ; mais plus que tout autre, mieux qu’aucun, la paix entre nous, l’amour réciproque le révèle évidemment. Aussi Jésus-Christ a-t-il dit : « Je vous donne ma paix » ; et encore : « Tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». (Jn 14,27 ; 13, 35) C’est là ce qui fait dire à saint Paul : « Efforcez-vous d’avoir la paix avec tout le monde, et la sainteté », c’est-à-dire l’honnêteté, « sans laquelle personne ne verra Dieu ». « Veillant à ce que personne ne manque à la grâce de Dieu (15) ». Pareils aux voyageurs qui cheminent en grande caravane pour une route très-longue, veillez, dit-il, à ce que personne ne reste en arrière. Je ne vous demande pas seulement que vous marchiez vous-même, mais encore que vous ayez l’œil sur les autres pour qu’aucun ne manque à la grâce de Dieu. Il appelle grâce de Dieu les biens à venir, la foi à l’Évangile, la vie chrétienne et parfaite : car tout cela est un don de la divine grâce. Et ne me dites pas, continue-t-il, qu’après tout c’est un seul homme qui périt : pour ce seul homme même, Jésus-Christ est mort ; et vous ne tiendriez pas compte de celui qui a coûté la vie à votre Sauveur ? « Veillant », c’est le mot de l’apôtre ; entendez : examinant avec scrupule, considérant, cherchant à savoir, comme on aime à s’enquérir des santés faibles, et vous observant en tout et toujours « de peur que quelque racine amère poussant en haut ses rejetons, n’empêche » la bonne semence. C’est une citation du Deutéronome (29, 18), empruntée d’ailleurs par métaphore au règne végétal. Gardez-vous, dit-il, de toute racine d’amertume, dans le même sens qu’il écrit ailleurs : « Un peu de levain aigrit toute la pâte ». (1Co 5,6) Je ne réprouve pas seulement le péché même, mais aussi la ruine spirituelle qui en dérive. Ainsi, supposé qu’il se montre semblable racine, ne permettez pas qu’elle pousse un seul rejeton ; tranchez au vif, pour l’empêcher de produire ses fruits, et d’infecter, de souiller le prochain. « Gardez donc », dit-il, « qu’aucune racine d’amertume poussant en haut ses rejetons, n’empêche » la bonne semence, « et ne souille » l’âme de « plusieurs ». Qu’il a raison d’appeler le péché une amertume ! Rien de plus amer, en effet, que le péché. Ils le savent ceux qui, après l’avoir commis, sèchent et se consument de remords, et ressentent une amertume affreuse, si affreuse même qu’elle pervertit en eux le jugement et l’intelligence. Car c’est la nature de l’amertume de vous ôter tout autre sentiment. Racine d’amertume est une expression aussi très-exacte : il ne dit pas, en effet, racine amère, mais d’amertume. En effet, il se peut qu’une racine amère porte des fruits suaves, tandis que jamais on n’en recueillera sur une racine d’amertume, sur ce qui est le principe, la base même de l’amertume. Ici, tout est nécessairement amer, sans douceur aucune ; tout porte avec soi une sensation désagréable et repoussante, tout est odieux et abominable. – « Et ne souille l’âme de plusieurs », c’est-à-dire, prévenez le mal, retranchez de votre société les gens sans pudeur. « Qu’il ne se trouve aucun fornicateur, ou aucun profane, comme Esaü, qui vendit son droit d’aînesse pour un seul repas (46) ». Esaü fut-il donc jamais fornicateur ? Il ne le fut pas positivement ; cette expression est placée ici par opposition à ce mot précédent : « Tendez à la sainteté ». Quant à la qualification de profane, elle semble bien atteindre Esaü. Que nul donc ne soit, comme lui, un profane, c’est-à-dire un esclave du ventre et de l’appétit, un être charnel, capable de vendre les biens spirituels, « puisqu’il vendit », en effet, « son droit d’aînesse pour un seul repas » ; sacrifiant ainsi bassement cet honneur qu’il tenait de Dieu, et livrant en échange d’un plaisir misérable l’honneur et la gloire la plus insigne. Pareille honte doit peser sur tous les hommes qui sont ainsi abominables, ainsi grossiers et impurs. Le débauché n’est donc pas le seul impur au monde ; l’être glouton et esclave du ventre ne l’est pas moins. Lui aussi subit l’esclavage de sa passion ; lui aussi, pour y satisfaire, s’assujettit à l’avarice, au vol, à mille actions basses et déshonorantes ; abaissé sous la tyrannie de ce vice, souvent il blasphème, et ne tient aucun compte de son droit d’aînesse, puisque tout entier à son bonheur charnel, il sacrifie jusqu’à ce droit sublime. Concluez que le droit d’aînesse nous appartient, et non plus aux Juifs. Cette comparaison, d’ailleurs, se rapporte, dans la pensée de l’apôtre, à l’épreuve qu’ont subie ces chers Hébreux. Il leur fait entendre que le premier est devenu le dernier, et que le second a gagné le premier rang. L’un est monté par sa fermeté et sa patience : l’autre est descendu par sa lâche sensualité. 2. « Car sachez que désirant, mais trop tard, son héritage de bénédiction, il fut réprouvé. Il ne trouva pas, en effet, lieu au repentir, bien qu’ayant demandé avec larmes à être bénit (17) ». Que signifie ce texte ? Faut-il y voir la pénitente même réprouvée ? Non, sans doute. Mais alors, comment Esaü ne trouva-t-il point place au repentir ? Comment cette place ne s’est-elle point trouvée pour lui, s’il s’est condamné lui-même, s’il a poussé d’amers sanglots ? C’est que toutes ces démonstrations n’étaient point la pénitence, pas plus que ne le fut cette douleur de Caïn, évidemment démentie par son fratricide ; ainsi les cris d’Esaü n’étaient pas ceux du repentir, comme ses idées de meurtre en donnèrent la preuve. Lui aussi, dans son cœur du moins, fut l’assassin de Jacob. « Le temps de la mort de mon père viendra », disait-il, « et je tuerai mon frère Jacob ». (Gen 27,14) Ses larmes ne purent donc pas lui donner un vrai repentir. L’apôtre ne dit pas absolument qu’il n’obtint rien par sa pénitence, mais qu’avec ses larmes mêmes, il ne trouva point place à la pénitence. Pourquoi ? C’est qu’il ne fit pas pénitence selon les conditions essentielles à un vrai repentir. La pénitence est là tout entière, en effet ; il ne s’est point repenti comme il l’aurait fallu. Les paroles de l’apôtre ne peuvent autrement s’expliquer. En effet, (si la pénitence est inutile), pourquoi exhorter à la conversion les Hébreux attiédis ? Comment les réveiller, dès qu’ils étaient devenus chancelants, languissants, découragés ? Car tous ces symptômes annonçaient une chute commencée. L’apôtre me paraît faire allusion ici à certains fornicateurs qui auraient existé parmi les Hébreux, bien que pour le moment il ne veuille pas les désigner et les reprendre ; il feint même de ne rien savoir, afin qu’eux-mêmes se corrigent. Car il faut d’abord feindre d’ignorer le mal, et n’apporter la réprimande que plus tard et s’ils y persévèrent, de façon à ne pas leur ôter la pudeur du crime. C’est la conduite que tint Moise à l’égard de Zambri et de Chasbitis. « Il ne trouva point place à la pénitence » ; il ne trouva pas la pénitence. Est-ce parce qu’il commit de ces péchés qui sont trop énormes pour qu’on en fasse pénitence ? Est-ce plutôt parce qu’il ne fit pas une digne pénitence ? Il est donc, en effet, quelques péchés trop grands pour qu’un en puisse faire pénitence. C’est ce que l’apôtre dit ailleurs : Ne tombons point par une chute incurable. Tant que notre malheur se borne à une marche boiteuse, le boiteux facilement se redresse mais si nous sommes renversés complètement, quelle ressource nous est laissée ? – Ainsi parle l’apôtre avec ceux qui ne sont pas encore tombés ; il les épouvante avant la chute, et affirme que celui qui est tombé n’a plus de consolation à attendre. Mais à ceux qui sont tombés toutefois, il tient un langage tout contraire, de peur qu’ils ne se précipitent dans le désespoir : « Mes chers petits enfants », leur crie-t-il, « vous que j’enfante de nouveau avec douleur, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous ! » Et ailleurs : « Vous qui cherchez votre justification dans la loi (de Moïse), vous êtes déchus de la grâce ». (Gal 4,19 ; 5,4) Voilà qu’il atteste leur entière déchéance. – C’est qu’en effet le fidèle qui est debout, dès qu’il entend proclamer que le pardon est impossible à celui qui tombe, devient plus ardent au bien, plus ferme, plus stable dans sa résolution. Mais si vous tenez un langage aussi énergique à l’égard de l’homme tombé, jamais il ne se relèvera. Que peut-il espérer, en se convertissant ? « Esaü », ajoute l’apôtre, « non seulement pleura, mais il chercha la pénitence ». Ainsi la pénitence n’est pas réprouvée dans le texte où il dit qu’il n’a pas trouvé place au repentir. II veut seulement les prémunir, les rendre fermes et stables, pour qu’ils ne tombent jamais. Maintenant, que ceux qui ne croient pas à l’enfer, se souviennent de ce trait ; que ceux qui n’ont pas foi à la punition du péché, réfléchissent ici et se demandent pourquoi Esaü n’obtint pas son pardon ? C’est qu’il ne fit point pénitence comme il l’aurait fallu. 3. Voulez-vous un exemple de pénitence parfaite ? Écoutez celle de Pierre après son reniement. L’évangéliste nous raconte sa conduite par un seul trait : « Il sortit,», dit-il, « et pleura amères ment ». Un péché aussi énorme lui fut donc remis, parce qu’il fit pénitence comme il le devait. Et pourtant le sacrifice sanglant n’avait pas encore été offert ; la victime n’avait pas encore été immolée ; le péché n’avait pas encore été détruit, et continuait à exercer son règne et sa tyrannie. Mais il faut que vous sachiez que ce reniement fut l’effet moins de sa lâcheté que de l’abandon de Dieu, qui voulut le dresser à connaître la juste mesure des forces humaines, à ne jamais résister aux paroles que lui adressait son maître, à ne jamais s’élever au-dessus des autres ; à savoir que sans Dieu nous ne pouvons rien faire, et « Que si le Seigneur ne bâtit point la maison, en vain travaillent ceux qui la construisent ». (Psa 127,1) Écoutez donc comment Jésus-Christ l’avertit spécialement, l’admoneste nommément et seul « Simon, Simon, Satan a demandé de te cribler, comme on crible le froment ; mais moi j’ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille point ▼▼En lisant ce passage tout entier, on en tirera la conclusion toute contraire à celle qu’y a cherchée le Jansénisme. On dira, avec saint. Augustin, parlant du Dieu juste et bon :
Non deserit, nisi deseratur. Et la prière spéciale de Jésus-Christ pour Simon prouvera encore que cet abandon de Dieu n’est certes point un refus de la grâce.
». (Luc 22,31-32) Car, comme très-probablement Pierre se complaisait en lui-même et s’élevait en son cœur, parce qu’il avait la conscience d’avoir plus que ses frères l’amour pour Jésus-Christ ; pour cette raison, Dieu permet qu’il pèche et renie son Maître. Mais aussi, pour ce fait, il pleure amèrement ; et la conduite qu’il tient ensuite, se conforme à ses pleurs amers. Car que n’a-t-il pas fait en ce sens ? Il s’est jeté dans des périls sans nombre, et a donné mille preuves de sa force d’âme et de la solidité de son courage. Judas aussi a fait pénitence, mais d’une façon déplorable, puisqu’il a fini par une strangulation volontaire. Esaü aussi a fait pénitence, comme je l’ai dit ; ou plutôt il n’a point fait pénitence, puisqu’il a versé des larmes d’orgueil et de fureur plutôt que de repentir, comme sa conduite subséquente l’a trop prouvé. Le bienheureux David a fait pénitence, et ses paroles nous le déclarent : « Je laverai chaque nuit mon lit de mes pleurs ; j’arroserai ma couche de mes larmes » (Psa 6,7) et le péché ancien qu’il avait une seule fois commis, il le pleurait après tant d’années, après tant de générations, comme si son malheur avait été d’hier. C’est qu’en effet le vrai pénitent ne doit point se livrer à la colère, à la fureur, mais garder l’attitude brisée d’un condamné de la veille, qui n’a plus le droit d’ouvrir la bouche, dont la sentence est prononcée, que la miséricorde seule peut sauver encore, qui reconnaît son ingratitude publique envers le souverain bienfaiteur, et s’avoue enfin un réprouvé digne de tous les supplices imaginables. Rempli de ces pensées, il n’éprouvera ni colère, ni indignation ; mais il s’épanchera en pleurs, en gémissements, en sanglots et le jour et la nuit. Le vrai pénitent, encore, ne devra jamais oublier son péché, mais prier Dieu de vouloir bien ne plus se souvenir de cette faute, dont il gardera, lui, toujours la mémoire. Ici, en effet, si nous nous souvenons, Dieu oubliera ; sachons, oui, nous accuser franchement et nous punir sévèrement, et nous apaiserons notre Juge. Le péché que vous aurez confessé, déjà s’atténue ; il s’aggrave au contraire, si vous n’en faites l’aveu. Que le péché se double, en effet, d’ingratitude et d’effronterie, dès lors ses progrès sont irrésistibles car comment pourrait-on veiller à ne point faire de chute nouvelle, si l’on ignore même qu’on ait péché dans une première occasion ? Ainsi, je vous en prie, gardons-nous de nier nos péchés ; évitons pareille impudence, de peur de la payer à regret et bien chèrement un jour. Caïn entendit cette parole de Dieu : « Où est ton frère Abel ? » Il y répondit : « Je ne sais ; suis-je donc le gardien de mon frère ? » (Gen 4,9) Voyez-vous comme il aggrava son crime ? Ainsi n’avait pas agi son malheureux père, qui, interrogé par le Seigneur en ces termes : Adam, où es-tu ? avait répondu en tremblant : « J’ai entendu votre voix, et j’ai craint parce que je suis nu, et je me suis caché », (Gen 3,9) C’est un grand bien que de se souvenir constamment de ses péchés ; aucun remède n’est plus efficace contre une faute commise que d’en garder toujours la mémoire ; et d’ailleurs, rien ne contribue davantage à vous arrêter sur le chemin du vice. La conscience ici regimbe, je le sais, et ne se laisse point ainsi flageller par le souvenir de ses misères : mais sachez dompter votre cœur et lui serrer le frein. Pareil au coursier sauvage, difficilement il se soumet ; il ne veut pas se persuader qu’il ait péché : et dans cette répugnance, évidemment on reconnaît l’œuvre de Satan. Mais nous, convainquons-le de ses crimes, pour le décider aussi à faire pénitence, et pour le sauver du supplice par l’acceptation de ce remède salutaire. Comment espérez-vous, dites-moi, mériter le pardon de vos péchés, si vous ne les avez pas encore confessés ? Certes, par son état même, le pécheur est trop digne de pitié et de miséricorde. Mais, si vous n’avez pas même l’intime persuasion que vous ayez péché, comment croiriez-vous devoir implorer miséricorde, lorsque jusque dans vos crimes, vous gardez l’impudence ? Persuadons-nous bien que nous avons péché. Ne le disons pas de bouche seulement, mais de cœur et de conviction. Non contents même de nous avouer pécheurs, examinons nos fautes en détail, déclarons – les toutes et chacune spécialement. Je ne vous dis pas de vous affliger en les déclarant, ni de vous accuser en face de vos frères mais simplement d’obéir à cette parole du Prophète : « Déclarez à Dieu toutes vos voies ». (Psa 37,5) Confessez donc vos péchés à Dieu ; confessez vos péchés au Juge, avec une prière, sinon des lèvres, au moins du souvenir, et implorez ainsi sa miséricorde. Si vous gardez ainsi constamment la mémoire de vos péchés, jamais vous n’aurez de haine contre le prochain, jamais vous ne conserverez le ressentiment des injures. Je ne dis pas seulement Si vous avez l’intime persuasion que vous êtes un pécheur ; cette pensée ne vous donne pas, à beaucoup près, l’humilité et le mépris de vous-même, autant que le fera un examen personnel et spécial de chacune de vos fautes. Grâce à ce perpétuel souvenir de vos misères, vous ne haïrez plus, vous ne garderez point rancune, vous n’aurez ni colère, ni expressions de malédictions ; vous ne serez plus orgueilleux ; vous n’éprouverez plus de rechutes dans les mêmes fautes ; vous serez plus ardent au bien. 4. Voyez-vous combien d’avantages découlent de ce souvenir de nos péchés ? Gravons-les donc dans nos cœurs. Notre âme, je le sais, ne soutire pas volontiers un souvenir si amer ; mais contraignons-la de l’accepter ; faisons-lui en cela violence. Mieux vaut pour elle éprouver maintenant le remords inséparable de cette pensée, que de subir le châtiment réservé au dernier des jours. Oui, si vous en avez mémoire, aujourd’hui, et si vous les offrez constamment à Dieu avec une prière persévérante pour en être délivrés, vous les aurez bientôt détruits. Mais si vous les oubliez maintenant, alors et malgré vous, il faudra vous en souvenir, quand ils seront déclarés publiquement, quand ils seront produits solennellement à la face du monde entier, dés amis comme des ennemis, en présence même des anges. Car ce n’est pas à David seulement que l’Esprit-Saint a dit : « Ce que tu as fait en secret, moi je le manifesterai à tous ». (2Sa 12,12) Dieu, ici, nous parlait à tous et à chacun. Tu as craint les hommes, nous dira-t-il, et tu les a respectés plus que Dieu même ; sans souci du Dieu qui te voyait, tu as rougi seulement des regards humains. Car ces yeux des hommes, ajoute-t-il, c’était la crainte des hommes. Aussi, et pour ce sentiment même, tu seras puni ; je serai ton accusateur, je mettrai tes crimes sous les yeux du monde entier. Que telle soit la vérité, qu’en ce grand jour nos péchés doivent être produits aux regards de tous comme sur un théâtre, à moins que dès maintenant nous ne les effacions par un souvenir persévérant ; vous le comprendrez, rien qu’à savoir comment sera solennellement accusée la cruauté, l’inhumanité de ceux qui n’auront pas eu pitié de leurs frères. « J’ai eu faim », dit Jésus-Christ, « et vous ne m’avez pas donné à manger ». (Mat 25,42) Quand est-ce que retentiront ces paroles ? Est-ce dans quelque recoin obscur ? Est-ce en secret ? Non, non ! Quand sera-ce donc ? C’est à l’époque où le Fils de l’homme viendra dans toute sa gloire, quand il aura rassemblé devant lui toutes les nations, quand il aura séparé ceux-ci d’avec ceux-là, c’est alors que, devant le monde comme témoin, il prononcera, et qu’il placera les uns à sa droite et les autres à sa gauche, d’après l’arrêt. « J’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire ». Voyez encore comme, en présence de tous, il prononce contre les vierges folles : « Je ne vous « connais pas ». Car ce partage de cinq vis-à-vis de cinq autres ne doit pas être pris à la lettre de ce chiffre ; il désigne encore les vierges méchantes, cruelles, inhumaines, toutes celles enfin de semblable catégorie. Ainsi encore, en face de tout le monde, et spécialement en présence de ses deux compagnons qui avaient reçu, celui-ci deux talents, celui-là jusqu’à cinq, l’enfouisseur de son talent unique s’entend appeler : « Serviteur mauvais et paresseux » (Mat 25,26) ; et le maître fait connaître ces dépositaires, non seulement par les paroles qu’il leur adresse, mais par le traitement qu’il leur inflige. Dans le même sens, l’évangéliste a écrit : « Ils verront celui qu’ils ont percé ». (Jn 19,37) Car à la même heure tous, justes et pécheurs, ressusciteront ; à la même heure aussi Jésus-Christ se montrera pour les juger. Pensez donc à ce que deviendront alors ceux sur qui pèsera la honte, la douleur ; ceux qui se verront traînés en enfer, au moment où les autres recevront la couronne. « Venez », dit-il aux uns, venez, les bénis de mon père ; possédez le « royaume qui vous a été préparé depuis la création du monde ». Et aux autres, au contraire « Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu qui a été préparé pour le démon et pour ses anges. (Mat 25,34-41) Non contents d’entendre ces arrêts, plaçons sous nos yeux ce tableau, figurons-nous que le rt juge est là, qu’il prononce la sentence, qu’il nous envoie à ce redoutable feu. Quels seront alors nos sentiments ? Quelle sera notre consolation ? Que nous dira cette séparation effrayante ? Que répondrons-nous quand on nous accusera de rapine et de vol ? Quelle excuse pourrons-nous apporter ? Quelle apologie honnête présenter ? Aucune. Mais fatalement il faudra nous voir enchaînés, le front courbé de honte, traînés à la bouche de ces fournaises ardentes, à ce fleuve de feu, à ces ténèbres, à ce supplice éternel, sans pouvoir invoquer personne pour nous délivrer. Car « on ne peut », est-il écrit, « on ne peut passer d’ici là » ; entre nous et les élus, l’abîme est immense (Luc 16,26) ; le voulussent-ils, il ne leur serait pas permis de le franchir ni de nous tendre la main ; il faut de toute nécessité souffrir à tout jamais, sans que personne vous soit en aide, fût-il votre père, votre mère, quel qu’il soit enfin, quand même il jouirait d’un grand crédit auprès de Dieu. « Car le frère » ; dit le Prophète, « ne rachète point son frère : un homme en rachèterait-il un autre ? » (Psa 49,8) Puis donc qu’il ne nous est permis d’attendre notre salut de personne, si ce n’est de nous-mêmes, aidés toutefois d’abord de la bonté et de l’a miséricorde de Dieu, je vous en prie, faisons tout au monde pour que notre vie soit pure et parfaitement réglée, exempte surtout d’une première tache ; sinon, après une première tache même, ne nous endormons point ; et plutôt, persévérons dans la pénitence, les larmes, les prières, l’aumône, pour effacer nos souillures. Mais que ferai-je, dira quelqu’un, si je n’ai pas de quoi donner l’aumône ? – Si pauvre que vous soyez, vous avez bien sans doute un verre d’eau froide ; vous avez bien deux oboles ; vous avez deux pieds pour visiter les malades et pénétrer dans les prisons ; vous avez un toit pour recevoir les étrangers. Car il n’y a pas, non, il n’y a pas de pardon pour qui ne fait point l’aumône, pour qui ne sait pas user de miséricorde. Nous vous le répétons constamment, afin que nos constantes redites produisent enfin quelque mince effet. Nous tenons ce langage moins dans l’intérêt de ceux à qui vous ferez du bien, que pour votre avantage à vous-mêmes ; vous ne leur donnez que des biens présents, tandis que vous recevez les biens célestes. Puissions-nous les acquérir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel appartiennent au Père, dans l’unité du Saint-Esprit, la gloire, l’honneur, etc. HOMÉLIE XXXII.
VOUS NE VOUS ÊTES PAS APPROCHÉS MAINTENANT D’UNE MONTAGNE SENSIBLE ET TERRESTRE, NI D’UN FEU BRÛLANT, D’UN NUAGE OBSCUR ET TÉNÉBREUX, DES TEMPÊTES, ETC. (CHAP. 12,18-20). Analyse.
- 1 et 2. Caractère de la loi antique : majestueuse terreur qui accompagne la promulgation de la loi, et fait trembler le peuple et Moïse lui-même. – Sens mystérieux et symbolique de cet appareil déployé au mont Sinaï. – Raison de chaque circonstance. – La loi nouvelle plus grande, bien que plus accessible. – Circonstances qui l’accompagnent et qui se révéleront surtout dans les splendeurs de l’éternité.
- 3. Le monde passe, le sol tremble ; nous passons plus vite encore que ce monde si menacé : bâtissons ailleurs une maison permanente, dont les pauvres, assistés par nous, seront les constructeurs. – L’aumône est comparée à une reine qui entre librement dans le ciel, à la colombe dont Dieu admire la beauté ; à l’aigle endormi au pied du trône royal, et qui nous protège contre le jugement de Dieu. – L’aumône est un devoir, puisque Dieu nous a fait miséricorde à nous-mêmes. – D’ailleurs, toujours possible, elle peut offrir le denier de la veuve aussi bien et mieux que l’or du riche. – Offrande des chevelures pour le temple.
1. Il était vraiment grand et terrible, ce Saint des Saints qu’abritait l’ancien temple ; terrible avait été de même l’appareil déployé au mont Sinaï, ce feu, ces ténèbres, cette sombre nuée, cette tempête dont l’Écriture a dit que le Seigneur se montra sur le Sinaï au milieu des flammes, de la tempête et des nuées épaisses. Le Nouveau Testament ne fut publié avec aucune circonstance semblable ; Dieu le donna simplement par la parole. Voyez toutefois comme l’apôtre compare le cortège même extérieur des deux alliances ; et comme, avec raison, il donne tout l’avantage des circonstances mêmes à notre sainte loi. Déjà, quant au fond même, il a surabondamment prouvé, il a évidemment démontré la différence des deux Testaments, et la réprobation de l’Ancien ; dès lors, quant aux circonstances mêmes, il arrive à les juger facilement. Or, que dit-il ? « Vous n’avez pas approché, en effet, aujourd’hui, au pied d’une montagne visible, auprès d’un feu ardent, d’un tourbillon, d’une sombre nuée, d’une tempête ; vous n’avez pas entendu le son de la trompette et le retentissement des paroles, que ceux qui les entendirent refusèrent d’écouter, en suppliant que la voix n’ajoutât pas un mot de plus. Car il ne pouvait supporter la rigueur de cette menace : Si une bête même touche la montagne, elle sera lapidée (18-20) » : Terrible appareil, dit l’apôtre, si terrible même, qu’Israël ne put se résigner à en être témoin et qu’aucun animal même n’osa gravir la montagne. Mais toutes ces circonstances redoutables n’étaient pas comparables à celles que l’avenir devait révéler. En effet, qu’est-ce que le Sinaï comparé au ciel ? Qu’est-ce que ce feu sensible en comparaison du Dieu qui échappe à nos sens ? Car notre Dieu à nous, dit l’Écriture, est un feu dévorant. – « Que Dieu ne nous parle pas, criait ce peuple ; que ce soit plutôt Moïse qui nous parle ». (Exo 9,19) « Car ils ne pouvaient supporter », dit l’apôtre, « ce terrible arrêt : Qu’une bête même qui touchera la montagne, soit lapidée ; et le spectacle qui s’offrait était si terrible, que Moïse dit lui-même : Je suis tout tremblant et tout effrayé (21) ». Étonnez-vous encore que l’Écriture attribue au peuple ce même sentiment, lorsque le législateur même qui avait pénétré dans la nuée sombre où Dieu habitait, s’écriait à son tour : Je suis effrayé et tout tremblant ! « Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, de la ville du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, d’une troupe innombrable d’anges, de l’Église des premiers-nés qui sont écrits dans le ciel, de Dieu qui est le juge de tous, des esprits des justes qui sont dans la gloire ; de Jésus qui est le médiateur de la nouvelle alliance, et de ce sang dont l’aspersion parle plus avantageusement que le sang d’Abel (22-24) ». Vous voyez par quels traits il montre la supériorité de la nouvelle alliance à l’égard de l’ancienne. – Au lieu de la Jérusalem terrestre, la céleste Jérusalem : vous vous êtes approchés, vous, de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste. – Au lieu de Moïse, Jésus : Jésus, dit-il, est le médiateur de la nouvelle alliance. – Au lieu du peuple israélite, les anges : L’innombrable multitude des anges, dit-il. – Mais, quels premiers-nés désigne-t-il par l’expression : L’Église des premiers-nés ? Il entend tous les chœurs des fidèles, qu’il appelle aussi les esprits des justes parfaits. Ainsi, poursuit-il, ne vous livrez pas au chagrin ; voilà ceux avec qui vous serez un jour. Mais quel est le sens de la phrase : « De ce sang dont l’aspersion parle plus avantageusement que celui d’Abel ? » Le sang d’Abel a-t-il donc parlé ? Certainement, répond-il, et comment ? Paul encore vous le dit : « C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu une hostie plus excellente que celle de Caïn, et que grâce à cette victime, il fut déclaré juste ; c’est à cause de sa foi, qu’il parle encore après sa mort ». Dieu lui-même le dit : « La voix du sang de ton frère crie jusqu’à moi ». Tel est donc le sens du texte, à moins qu’on ne lui donne celui-ci : le sang d’Abel est encore célébré dans le monde, mais bien moins toutefois que celui de Jésus-Christ. Car le sang divin a purifié le monde, et il fait entendre une voix d’autant plus éclatante et plus significative, que la réalité l’emporte sur la figure, en fait de témoignage. « Prenez garde de ne pas mépriser celui qui vous parle ; car si ceux qui ont méprisé celui qui leur parlait sur la terre, n’ont pu échapper à la punition, bien moins l’éviterons-nous, si nous rejetons celui qui nous parle du ciel ; lui dont la voix alors ébranla la terre, et qui a fait pour le temps où nous sommes, une nouvelle promesse, en disant : J’ébranlerai encore une fois, non seulement la terre, mais aussi le ciel. Or, en disant. Encore une fois, il déclare qu’il fera cesser les choses muables, comme étant faites pour un temps, afin qu’il ne demeure que celles qui sont pour toujours. C’est pourquoi commençant déjà à posséder ce royaume, qui n’est sujet à, aucun changement, conservons la grâce, par laquelle nous puissions rendre à Dieu un culte qui lui soit agréable, étant accompagné de respect et d’une sainte frayeur. Car notre Dieu est un feu dévorant (25-29) ». Si l’appareil an tique est terrible, le nouveau est beaucoup plus admirable et plus glorieux. Nous n’y voyons plus les ténèbres, les nuées sombres, la tempête. Et si l’on demande pourquoi Dieu se montrait alors par le feu, il me semble que cette circonstance indiquait figurément l’obscurité de l’Ancien Testament, et cette loi mosaïque si voilée, si enveloppée d’ombres épaisses. On comprenait par là d’ailleurs que le législateur doit, au besoin, être terrible et capable de punir les transgresseurs. 2. Mais pourquoi le son de la trompette ? C’était l’occasion nécessaire, puisqu’elle retentit d’habitude pour annoncer un roi. Elle doit se faire entendre encore, bien certainement, au second avènement du Seigneur. Nous serons tous, dit l’apôtre, réveillés par la trompette, de sorte que la puissance de Dieu produira cette résurrection générale. Au reste, ce son de la trompette ne signifie qu’un fait ; c’est que tous, nous devrons ressusciter. Mais, en Israël, tout était réellement tableaux et voix ; tandis que dans l’avenir qui devait suivre, tout est pour l’intelligence seule, tout invisible. – Le feu n’avait non plus d’autre sens, sinon que Dieu même est un feu. Car, dit l’apôtre, « notre Dieu est un feu dévorant ». – La nuée sombre, les ténèbres, la fumée, montrent aussi qu’il s’agit d’une loi redoutable ; c’est dans la même pensée qu’Isaïe a dit : « Le temple fut rempli de fumée ». – Pourquoi la tempête du Sinaï ? Pour montrer la paresse et la lâcheté du genre humain. Il lui fallait de ces coups de tonnerre pour le réveiller ; aussi, ne se trouvait-il aucun homme assez stupide, assez alourdi, pour ne pas relever son âme vers les idées célestes, à l’heure où se produisaient ces faits terribles, alors que Dieu portait sa loi. – Enfin, Moïse parlait, et, Dieu lui répondait. Il fallait, en effet, que cette, voix de Dieu se fit entendre ; voulant présenter, sa loi par l’organe de Moïse, il devait d’abord montrer ce Prophète comme digne de foi. D’ailleurs, on n’apercevait point Moïse à cause de cette sombre nuée ; on ne pouvait non plus l’entendre à cause de la faiblesse de sa voix. Que restait-il donc, sinon que Dieu parlât lui-même, que sa voix s’adressât au peuple et fit écouter ses lois divines ? Mais rappelons-nous notre premier texte : « Car, vous ne vous êtes point approchés d’une montagne sensible, d’un feu ardent, du son de la trompette, et de cette voix que ceux qui l’entendirent s’excusèrent d’entendre, ne voulant plus qu’elle prononçât un mot ». Les Israélites furent donc cause que Dieu se montra dans notre chair. Car que disaient-ils ? « Que Moïse nous parle, et que Dieu cesse de nous parler ». Les orateurs qui procèdent par comparaisons, rabaissent plus que de droit les sujets étrangers, pour montrer que le leur est bien plus grand. Je me plais à croire au contraire, que ces faits de l’Ancien Testament sont admirables, puisqu’ils sont les œuvres de Dieu et les démonstrations de sa puissance ; et cependant je démontre que notre histoire, à nous, présente plus et mieux à notre admiration. Nos mystères sont doublement grands, puisqu’ils sont plus glorieux et plus nobles, et toutefois d’un accès bien plus facile. C’est ce que saint Paul écrit aux Corinthiens : « Nous voyons, nous, à face découverte, la gloire du Seigneur » ; tandis que Moïse couvrait son visage d’un voile. Ainsi, dit l’apôtre, nos pères n’ont pas été honorés à l’égal de nous. Car, quel honneur leur fut accordé ? Celui de voir ces ténèbres et cette nuée, et d’entendre la voix divine. Vous l’avez entendue, vous aussi, cette voix, non pas à travers la nue, mais par l’organe d’un Dieu fait chair. Loin d’être troublés et bouleversés alors, vous êtes restés de bout devant sa face, vous avez conversé avec votre médiateur. D’ailleurs, par les ténèbres du Sinaï, l’Écriture nous montre quelque chose de tout à fait invisible : « Une noire nuée », dit-elle, « était sous ses pieds ». Alors Moïse même tremblait ; main tenant, il n’est personne qui tremble. Alors, le peuple se tint au bas de la montagne ; mais nous, loin de rester en bas, : nous montons au-delà des cieux, nous approchons de Dieu même, à titre d’enfants, mais non pas comme Moïse. – Là, on ne voit que désert ; chez nous, c’est la cité, c’est l’assemblée de milliers d’anges ; c’est la joie et l’allégresse qu’on nous montre, au lieu de ces nuages, de ces ténèbres, de cette tempête ; c’est « l’Église des premiers-nés qui sont inscrits dans les cieux ; c’est Dieu, juge de tous les hommes ». Là n’approchèrent jamais les Israélites ; ils se tinrent bien loin en arrière, Moïse comme les autres : vous, au contraire, vous vous êtes approchés. – Toutefois, l’apôtre leur imprime la crainte, en ajoutant : Vous voici aux pieds du Dieu ; juge de tous les hommes, de celui dont le tribunal s’élève, non seulement pour les juifs et pour, les fidèles, Mais pour le monde entier. « Les esprits des justes parfaits » désignent ici les âmes de tous les bons. – « Jésus, médiateur du. Nouveau Testament, et l’aspersion de son sang », rappellent notre justification du péché : – « De ce sang qui parle mieux que celui d’Abel ». Si le sang même peut parler, à plus forte raison peut et doit vivre votre Sauveur mis à mort autrefois. Mais quel est son langage ? L’Esprit, répond saint Paul, « l’Esprit parle par des gémissements ineffables ». (Rom 8,26) Comment donc s’ex prime-t-il ? C’est qu’en descendant au fond d’un cœur sincère, il le réveille, et lui prête même une voix. « Gardez-vous de refuser d’entendre ce langage », c’est-à-dire, ne le repoussez jamais. « Car, si ceux qui ont méprisé celui qui leur parlait sur la terre… » De qui parle ici saint Paul ? Il semble désigner Moïse, et faire ce raisonnement : Si ceux qui ont méprisé un législateur terrestre, n’ont pu échapper au châtiment, comment nous soustraire nous-mêmes à celui qui, du haut du ciel, nous impose ses lois ? Toutefois, il n’enseigne pas, Dieu nous garde de le croire ! que ces législateurs soient différents ; il ne nous en montre pas deux dans ce texte, mais seulement que l’un apparaît terrible, quand sa voix tombe des hauteurs célestes. Au fond, c’est le même, pour Israël et pour nous ; mais, chez les Juifs, il est avant tout redoutable. L’apôtre nous montre donc la différence, non pas de donateur, mais seulement de donation. Et quelle est la preuve de ce fait ? C’est la suite même des paroles apostoliques. Car, dit-il, si pour avoir refusé d’entendre celui qui leur parlait sur la terre, ils n’ont pas échappé au châtiment, bien moins éviterons-nous celui qui nous parle du haut du ciel. Mais quoi ? Celui-ci est-il donc autre que le premier ? Non, car autrement, comment l’apôtre dirait-il que la « voix » du premier « ébranlait alors la terre même ? » Et de fait, la voix du législateur antique ébranla la terre. « Et c’est lui qui a fait pour le temps où nous sommes une nouvelle promesse, en disant : « J’ébranlerai encore une fois, non seulement la terre, mais aussi le ciel ». Or, en disant : « Encore une fois », il déclare qu’il fera cesser les choses muables, comme étant faites pour un temps. Ainsi tout le rite antique devra disparaître de la scène, et se transformer en une loi meilleure par l’œuvre d’en haut. C’est ce que le texte donne à comprendre ici. Pourquoi donc, ô fidèle, te désoler de souffrir sur celle terre non permanente, et d’être affligé dans un monde qui passe si vite ? Si les derniers jours de ce monde devaient être ceux de la paix et du bonheur, on concevrait qu’à la vue de cette fin heureuse, on fût affligé et impatient. – « Afin », dit saint Paul, « que les choses immuables demeurent seules enfin ». Quelles sont ces choses immuables ? Celles de l’avenir éternel. 3. Agissons donc uniquement et en tout pour acquérir cette vie ineffable, pour jouir de ces biens infinis. Oui, je vous en prie et vous en conjure, n’ayons pas d’autre ambition. Personne ne voudrait bâtir dans une ville dont la ruine serait certaine et prochaine. Répondez-moi, en effet : si l’on venait vous prédire que telle cité sera ruinée dans un an, et telle autre jamais, bâtiriez-vous dans celle qui devrait périr ? C’est pourquoi je vous dis maintenant. N’édifions rien en ce monde ? Tout y doit bientôt tomber et périr. Mais que parlé-je de cette ruine d’objets extérieurs ? Avant cette ruine nous périrons nous-mêmes, nous serons rudement frappés, nous sortirons de ce monde si menacé. Pourquoi bâtir sur le sable ? Bâtissons sur le roc ; quel que soit dès lors le choc imminent, notre édifice demeure irrésistible ; il se dresse inexpugnable. Rien de plus sûr, en vérité : car dans ce lieu suprême, il n’est point d’accès aux attaques ennemies, tandis que ce triste séjour de la terre y est constamment exposé. Ici, en effet, les tremblements de terre, les incendies, les irruptions des ennemis, nous arrachent tout vivants au monde, et souvent nous emportent dans sa ruine. Que si le sol qui nous porte reste intact, il y a toujours quelque maladie pour nous enlever bientôt, ou pour nous empêcher de jouir si nous y restons. Car quel plaisir peut-on goûter dans ce séjour des maladies, des calomnies, des jalousies, des complots incessants ? Fussions-nous à l’abri de ces maux, souvent nous sommes peinés et désolés de n’avoir point d’enfants, de sorte qu’à défaut de ces chers héritiers à qui nous laisserions nos propriétés, nous souffrons cruellement de travailler pour d’autres. Souvent même notre héritage échoit à nos ennemis, non seulement après notre décès, mais même de notre vivant. Est-il donc rien de plus malheureux que de travailler pour des ennemis, que d’amasser pour soi des péchés sans nombre afin de leur laisser, à eux, le bonheur d’une vie tranquille ? Nos cités offrent de nombreux exemples de ce genre, et je m’arrête de peur d’affliger ceux qui sont ainsi privés de postérité ; mais je pourrais en désigner plusieurs par leur nom ; je pourrais vous redire plus d’une triste histoire, et vous montrer – plusieurs maisons dont la porte s’est ouverte aux ennemis mêmes de ceux qui avaient sué pour les édifier et les embellir. Et ce ne sont pas seulement les maisons, mais les serviteurs, ruais souvent l’héritage tout entier qui est ainsi échu à des ennemis. Ainsi vont les choses humaines. Dans les cieux, au contraire, vous n’avez à redouter rien de semblable ; ainsi vous n’avez pas à craindre qu’après le décès d’un juste, son ennemi ne se présente et ne lui ravisse son héritage. Là, en effet, plus de mort, plus d’inimitié possible, rien enfin que les tabernacles éternels des saints ; et parmi ces bienheureux, tout est bonheur, joie, allégresse. Car, dit le Prophète, « les cris d’allégresse retentissent dans les tentes des justes ». (Psa 118,15) Leurs demeures sont éternelles et ne connaissent point de fin ; elles n’éprouvent ni le ravage des temps, ni les changements de propriétaires ; mais elles s’élèvent dans une jeunesse et une beauté perpétuelles. La raison le proclame en effet, là, rien de corruptible ni que la mort puisse attaquer ; tout est immortel et inaccessible aux coups du trépas. Pour un tel édifice, versons à pleines mains notre argent. Il n’est besoin ni d’architectes ni d’ouvriers. Les mains des pauvres nous édifient ces palais, bien qu’ils soient boiteux, aveugles, mutilés : ils sont ici les constructeurs. N’en soyez pas surpris, puisque ce sont eux qui nous gagnent un trône même, et nous procurent l’entière confiance en Dieu. L’aumône en effet, est, de tous les arts, le meilleur et le plus utile à ceux qui savent l’employer. Amie de Dieu, toujours proche de lui, elle est admise facilement à tout demander pour ceux qu’elle adopte, pourvu que nous ne lui fassions pas d’injustice à elle-même. Or, c’est lui faire injure, que d’être aumôniers de biens volés. Que si, au contraire, l’aumône est pure et véritable, elle communique à ceux qui savent l’épancher, une merveilleuse confiance : tant est grande sa puissance, pour ceux mêmes qui ont péché ! Elle brise leurs fers, dissipe les ténèbres, éteint le feu, tue le ver rongeur, et leur épargne les grincements de dents. Devant elle, les portes des cieux s’ouvrent en toute sécurité. Et comme, lorsqu’une reine fait son entrée, aucun des gardes qui veillent aux portes du palais n’osera jamais s’enquérir de cette majesté ni de ses démarches, et qu’au contraire tous lui feront un humble accueil ; ainsi est reçue l’aumône, parce qu’elle est une véritable reine et qu’elle rend les hommes semblables à Dieu, selon qu’il est écrit : « Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste est miséricordieux ». (Luc 6,36) Prompte et légère, armée de ses ailes d’or, l’aumône peut prendre un vol qui réjouit les anges. C’est d’elle que le Prophète a dit, « que le plumage de la colombe est argenté ; et que son dos reflète l’éclat de l’or pâlissant ». (Psa 68,14) Semblable à cette colombe vivante et illuminée d’or, elle prend son essor ; son aspect est souriant, son regard est plein de douceur, et d’une beauté que rien ne dépasse au monde. Le paon lui-même, avec ses splendeurs incontestables, n’est rien auprès d’elle, tant cette habitante des cieux est belle et ravit l’admiration. Son regard toujours s’élève au ciel ; Dieu l’entoure de sa gloire ineffable ; c’est une vierge aux ailes d’or, splendidement parée, et dont les traits respirent la candeur et la mansuétude. C’est l’aigle, aussi puissant que léger, et qui dort au pied du trône royal ; dès que Dieu nous juge, elle retrouve son vol et se montre pour nous couvrir de ses ailes et nous sauver du supplice. L’aumône ! Dieu la préfère aux sacrifices. Souvent il en parle, tant il l’aime : « Elle recueillera », dit-il, « la veuve, l’orphelin et le pauvre ». Dieu aime à emprunter d’elle son plus doux nom, d’après David qui appelle le Seigneur bon, miséricordieux, patient, clément à l’infini, toujours vrai ». (Psa 146,9 ; 102, 8 ; 145, 8) Tandis qu’un autre Prophète s’écrie. : « La miséricorde de Dieu règne sur la terre ; c’est elle qui a sauvé le genre humain ». (Psa 57,12) En effet, s’il n’avait eu pitié de nous, tout aurait péri. Cette miséricorde nous a réconciliés avec lui quand nous étions ses ennemis ; elle nous a comblés de grâces innombrables ; elle a décidé le Fils même de Dieu à se faire esclave, à s’anéantir pour nous. Ah ! saintement jaloux, mes frères, imitons une vertu qui nous a sauvés ; aimons-la ; estimons-la plus que l’argent, et, si l’or nous manque, ayons du moins le cœur miséricordieux. Bien ne caractérise le chrétien, autant que l’aumône ; rien n’est admiré de l’incrédule, ou pour mieux dire, de tout le monde, comme notre charité miséricordieuse. Nous-mêmes, d’ailleurs, nous avons besoin de cette miséricorde, puisque chaque jour nous disons à Dieu : « Ayez pitié de nous selon votre grande miséricorde ». (Psa 25,7) Commençons par la pratiquer nous-mêmes ; mais non ! jamais nous ne commençons, puisque Dieu d’abord a montré sa miséricorde envers nous : mais, bien chers frères, suivons cette trace divine. Car si les hommes aiment à rendre pitié pour pitié à celui même qui s’est couvert de crimes, mais qui a été miséricordieux, le Seigneur, bien plus que nous, adopte cette conduite. Écoutez la parole du Prophète : « Pour moi », dit-il, « je suis dans la maison de Dieu comme l’olivier qui porte son fruit ». (Psa 52,10) Rendons-nous semblables à l’olivier. De tous côtés les préceptes divins nous pressent : il ne suffit pas qu’on soit l’olivier, il faut être celui encore qui porte son fruit. Il y a des gens qui ont quelque miséricorde, qui, dans l’intervalle de toute une année, donnent une fois, ou qui sont aumôniers chaque semaine seulement, ne donnant presque rien. Par leurs actes de miséricorde, voilà des oliviers, sans doute ; mais à des actes aussi peu larges, aussi peu généreux, vous ne reconnaissez pas des oliviers féconds. Quant à nous, soyons fertiles toujours ! Je l’ai dit souvent, et je le répète aujourd’hui : ce n’est pas l’importance absolue de ce qu’on donne qui constitue la grandeur de l’aumône, mais bien la volonté et le cœur de celui qui donne. Vous connaissez l’histoire de la veuve ; car il est toujours utile de rappeler cet exemple, afin que le pauvre ne désespère pas de lui-même, à la vue de cette femme qui laissait tomber dans le tronc ses deux oboles. Quand on rebâtit le temple, on vit des gens offrir leurs cheveux mêmes, et ces humbles donateurs ne furent point repoussés. Si possédant de l’or, ils avaient fait cette offrande de leur chevelure seulement, ils méritaient d’être maudits ; mais s’ils n’ont fait ce sacrifice que parce que cette aumône seule leur était possible, Dieu les a bénis. C’est ainsi que Caïn fut réprimandé, non pas pour avoir offert des choses sans valeur, mais parce qu’il offrit ce qu’il avait de moindre dans ses propriétés. Car « maudit soit », dit un Prophète, « celui qui possède une victime mâle et « sans défaut, et qui offre à Dieu une bête malade ». (Mal 1,14) Il ne réprouve pas absolument celui qui présente peu, mais celui qui possède et se montre avare. Donc, celui qui ne possède rien n’est point non plus coupable ; que dis-je ? sa moindre aumône a droit à la récompense. Car est-il plus pauvre sacrifice que celui de deux oboles ? Est-il un don plus misérable que celui d’une chevelure ? Est-il offrande plus vile que celle d’une petite mesure de farine ? Et cependant ces présents ne furent pas moins appréciés de Dieu que les veaux et l’or. Chacun est agréé de Lui en proportion de ce qu’il a, et non en proportion de ce qu’il n’a pas : car, dit l’Écriture, soyez bienfaisant selon ce que votre main possède. Je vous en prie donc, épanchons sur les pauvres, avec un cœur joyeux, nos biens, si chétifs qu’ils soient. Nous recevrons la même récompense que ceux qui auront donné davantage ; que dis-je ? nous serons récompensés plus que ceux qui auront prodigué l’or. Si nous suivons cette conduite, nous aurons droit aux trésors ineffables de Dieu ; pourvu que non contents d’écouter, nous agissions ; non contents de louer, nous nous mettions à l’œuvre. Puissions-nous y arriver tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec lequel, etc. Voir le début du chap. 13.