‏ Hebrews 13

HOMÉLIE XXXIII.

C’EST POURQUOI, COMMENÇANT À POSSÉDER CE ROYAUME IMMUABLE, CONSERVONS-LA GRACE, PAR LAQUELLE NOUS PUISSIONS RENDRE A DIEU UN CULTE QUI LUI SOIT AGRÉABLE, ÉTANT ACCOMPAGNÉ DE RESPECT ET DE PIÉTÉ. CAR NOTRE DIEU EST UN FEU DÉVORANT. (CHAP. 12,28 ET 29 JUSQU’A XIII, 16)

Analyse.

  • 1 et 2. Avis spirituels : Faire son salut avec crainte. – Exercer l’hospitalité, la charité, la pureté. – Obéir à l’autorité, qui représente Jésus-Christ et sa doctrine toujours invariables. – Sens mystique de l’immolation de certaines victimes hors du camp d’Israël. – Jésus, aussi, a souffert hors de Jérusalem ; sortons de ce monde et suivons-le jusqu’au calvaire. – Saint Jean Chrysostome revient sur chacun des avis spirituels déjà donnés. Il insiste sur la licité du mariage et de ses droits, sur la confiance en Dieu, sur l’avantage infini que la foi possède vis-à-vis du raisonnement.
  • 3 et 4. Sortons de ce monde, comme Jésus sort de Jérusalem, portant la croix ; offrons par lui nos souffrances à Dieu. – Rendons-lui en grâces, comme d’autant d’occasions de vertu. – La voie du ciel est étroite, on n’y entre qu’en se rapetissant par l’humilité, en se détachant de tout par la résignation.

1. « C’est pourquoi commençant à posséder ce royaume immuable ». Saint Paul déjà disait ailleurs :« Les choses visibles sont temporelles ; mais les invisibles sont éternelles » (2Co 4,18) ; et de cette réflexion il tirait un motif de nous consoler dans les maux que nous supportons durant la vie présente : c’est la même pensée, c’est la même conclusion qu’il fait valoir ici. « Conservons la grâce », c’est-à-dire, rendons grâces à Dieu, et demeurons fermes et fidèles ; car non seulement nous ne devons pas murmurer à raison du présent, mais nous sommes obligés de garder la plus vive reconnaissance à raison de l’avenir promis. « La grâce, par laquelle nous puissions rendre à Dieu un culte qui lui soit agréable ». Comprenez : c’est ainsi qu’il nous faut servir Dieu, nous efforçant de lui plaire, lui rendant grâces en toutes choses, comme dit ailleurs l’apôtre : « Agissez en tout sans murmure et sans dispute ». (Phi 2,14) Car ce qu’on fait en murmurant, on en retranche le mérite, on en perd le salaire, comme il est arrivé aux Israélites ; car vous savez comme ils ont été punis à cause de leurs murmures ; et c’est ce qui lui fait dire : « Ne murmurez point ! » Il vous est donc impossible de servir Dieu de manière à lui être agréables, si vous ne lui rendez grâces de tout événement, des jours d’épreuves comme des temps de calme. « Avec crainte et respect », c’est-à-dire, sans jamais nous permettre une parole d’orgueil ou d’impudence, mais au contraire nous maîtrisant toujours sous la loi et la pratique du respect. C’est ce que nous recommande cette expression : « Avec crainte et respect ».

« Conservez toujours la charité avec vos frères. « Ne négligez pas d’exercer l’hospitalité ; car c’est en la pratiquant que quelques-uns ont reçu pour hôtes des anges, sans le savoir ». (Chap 13,1, 2) Voyez-vous comme l’apôtre leur recommande de garder leur ligne actuelle de conduite, sans leur enjoindre autre chose ? Ainsi, il ne dit pas : Aimez vos frères, mais : « Conservez votre charité à l’égard de vos frères ». Et il ne dit pas non plus Soyez hospitaliers, comme s’ils ne l’étaient pas déjà ; mais seulement : « N’oubliez pas la sainte hospitalité ! » car la tribulation fait négliger trop facilement ce devoir. Puis, ajoutant un motif bien capable de les exciter à le remplir, il ajoute : « C’est en la pratiquant que quelques-uns ont reçu pour hôtes des anges, sans le savoir ». Comprenez-vous quel fut pour eux et l’honneur et l’avantage ? Qu’est-ce à dire : « Sans le savoir ? » c’est-à-dire que sans reconnaître les anges, ils leur donnèrent l’hospitalité. Ainsi c’était pour Abraham une grande récompense déjà d’avoir reçu, sans qu’il s’en doutât, des anges mêmes pour hôtes. S’il les avait connus comme tels, sa conduite n’aurait rien d’admirable. Quelques interprètes pensent que l’apôtre en ce passage fait aussi allusion à Loth.

Souvenez-vous de ceux qui sont dans les « chaînes, comme si vous étiez vous-mêmes enchaînés avec eux ; et de ceux qui sont affligés, comme étant vous-mêmes dans un corps mortel. Que le mariage soit traité de tous avec honnêteté, et que le lit nuptial soit sans tache ; car Dieu condamnera les fornicateurs et les adultères. Que votre vie soit exempte d’avarice ; soyez contents de ce que vous avez (3-5) ». Vous voyez comme saint Paul aime à parler fréquemment de la sainte continence. Soyez, a-t-il dit déjà, soyez zélés polir la paix et l’honnêteté. Et ailleurs : Point de fornicateurs, point de profanes parmi vous ! Et ici : Dieu jugera les fornicateurs et les adultères. Partout la défense est accompagnée d’une sanction pénale ; vous en serez convaincus en étudiant la suite de son discours. Ainsi, quand il a dit : « Soyez zélés pour garder avec tout le monde la paix et l’honnêteté », il ajoute aussitôt : « Sans cette vertu, personne ne verra Dieu ». (Heb 12,14) Et de même ici : « Dieu jugera les fornicateurs et les adultères », dit-il, après avoir établi d’abord : que le mariage doit être traité par tout le monde avec honnêteté, et que le lit nuptial doit être sans tache ; le châtiment dont il menace les transgresseurs, justifie la loi qu’il vient de promulguer. Car si le mariage est une concession divine, Dieu est en droit de punir la débauche, Dieu a le devoir de châtier l’adultère. L’apôtre combat ici, d’ailleurs, les hérétiques. Remarquez toutefois encore qu’il ne dit pas : Qu’il n’y ait point de fornicateurs parmi vous ! Il s’est servi d’une expression plus générale ; il n’a donné qu’une exhortation qui n’a pas l’air de s’adresser aux Hébreux spécialement, mais « tout le monde. Que votre vie soit exempte d’avarice ; soyez contents de ce que vous avez ». Il ne dit pas : Ne possédez, rien ; mais seulement :

N’ayez point d’avarice dans votre conduite ; c’est-à-dire : Que votre cœur soit libre ; que tous montrent une âme haute et sage ; et nous la montrerons telle, si loin de chercher le superflu, nous nous attachons uniquement au nécessaire. Il leur avait déjà rendu témoignage en ce point : « Vous avez subi avec joie », disait-il, « le pillage de vos biens ». (Heb 10,34) Autant d’avis pour prévenir en eux l’avarice. « Soyez contents », ajoute-t-il, « de ce que vous avez » ; et aussitôt il ajoute une parole consolante, afin que jamais l’espérance ne leur manque : car c’est Dieu même qui a dit : « Je ne vous délaisserai point, je ne vous abandonnerai point. C’est pourquoi nous disons avec confiance : Le Seigneur est mon secours ; je ne « craindrai point ce que les hommes pourront me faire (6) ». C’est une nouvelle consolation dans leurs épreuves. « Souvenez-vous de vos guides ». C’est un avis que l’apôtre brillait déjà de leur faire entendre, et qui lui faisait dire : Gardez la paix avec tous. C’était l’avertissement qu’il adressait de : même aux Thessaloniciens, leur recommandant de traiter leurs conducteurs avec grand honneur. Donc, dit-il, « souvenez-vous de vos conducteurs qui vous ont prêché la parole de Dieu ; et considérant quelle a été la fin de leur vie, imitez leur « foi (7) ». Quelle est ici la suite du raisonnement ? Elle est évidente et parfaite. Considérez, dit-il, leur conduite, c’est-à-dire leurs vie et mœurs, et imitez leur foi : car la foi vient de la pureté de la vie et se démontre par là. On peut, entendre aussi par cette foi, la fidélité et fa fermeté dé la conduite. Comment cela ? C’est que leur croyance ferme aux récompenses à venir les a maintenus dans cette droiture de vie et de mœurs. Car ils n’auraient jamais montré une telle pureté de vie, s’ils n’avaient eu pour les réalités à venir que doute et hésitation d’esprit. Aussi l’apôtre leur recommande-t-il une foi semblable.

2. « Jésus-Christ était hier, il est aujourd’hui, et il sera le même dans tous les siècles. Ne vous laissez pas emporter à une diversité d’opinions et à des doctrines étrangères. Car il est bon d’affermir son cœur par la grâce, au lieu de s’appuyer sur des discernements de viandes, qui n’ont point servi à ceux qui les ont observés (8, 9) ». Jésus-Christ était « hier » ; entendez.: pendant tout le temps passé ; il est « aujourd’hui », c’est le temps actuel ; « dans tous les siècles », c’est l’avenir et l’éternité. Comprenez encore : vous l’avez entendu nommer Pontife, mais non pas Pontife pour cesser de l’être jamais : car il est toujours le même. Peut-être certains hommes oseront prétendre que le crucifié n’est pis le Christ qui est attendu, qu’un autre que lui viendra : mais saint Paul nous dit que le Christ d’hier et d’aujourd’hui est le même pour tous les siècles ; c’est déclarer évidemment que le Messie déjà venu, viendra de nouveau, que le même était, est et sera dans l’éternité. A l’heure même où nous sommes, les juifs prétendent qu’un autre viendra, et comme ils se sont eux-mêmes privés du Christ véritable, ils tomberont dans les filets de l’antéchrist. « Ne vous laissez pas aller à des doctrines toujours variables et étrangères ». Les fausses doctrines varient, et, de plus, sont étrangères. L’apôtre savait, en effet, qu’à ces deux titres le danger et la ruine doivent naître sous les pas de ceux qui se laissent entraîner. « Car il est bon d’affermir son cœur par la grâce, au lieu de s’appuyer sur des discernements de viandes, qui n’ont point servi à ceux qui les ont observés ». L’apôtre indiqué ici certaines gens qui introduisaient des distinctions dans les aliments. La foi, rend tout aliment pur : il est besoin de foi, et non de telle ou telle nourriture.

« Car nous avons un autel dont ceux qui servent dans le tabernacle n’ont pas pouvoir de manger ». Nous avons une victime, nous aussi, et qui ne ressemble pas à celle du judaïsme, tellement que le grand pontife d’Israël n’a pas le droit d’y participer. L’apôtre venait de dire : N’observez plus de distinction d’aliments, et semblait un démolisseur de son autel même. Mais il reprend cette défense en sous-œuvre. Croyez-vous, dit-il, que nous ne, sachions pas discerner nous-même entre une viande et une autre ? Nous discernons, et avec plus de soin que personne ; et nous ne donnerions pas même à vos prêtres notre aliment sacré.

« Car les corps des animaux, dont le sang est porté par le pontife dans le sanctuaire, pour l’expiation du péché, sont brûlés hors du camp. Et c’est pour cette raison que Jésus, devant sanctifier tout le peuple par son sang, a souffert hors de la ville (11, 12) ». Voyez-vous ce type lumineux ? « Hors du camp, hors de la ville ». Oui, les victimes qu’on offrait pour le péché, n’étaient que figuratives, et toutefois on les brûlait en holocauste hors du camp ; Jésus par conséquent a dit souffrir hors de la ville, puisqu’il s’offrit pour nos péchés. A nous donc aussi d’imiter celui qui pour nous voulut subir la mort ; à nous de sortir de ce monde, ou plutôt des vaines affaires de ce monde ; en d’autres termes, soyons étrangers au monde ;. vivons en dehors des choses de la terre. C’est dans ce sens que l’apôtre ajoute clairement : « Sortons donc, aussi hors du camp, et allons à lui, en portant l’ignominie de sa croix (13) », c’est-à-dire en souffrant comme lui, et nous mettant en communion de tribulations avec lui. Pareil au condamné à mort, il a été traîné hors de Jérusalem au supplice ; n’ayons pas honte nous-mêmes de sortir de ce monde. C’est ce que l’apôtre laisse à entendre dans ces expressions : Sortir hors du camp, hors de la ville. « Car », dit-il, « nous n’avons pas ici-bas de demeure permanente ; mais nous cherchons celle où nous devons habiter un jour. Offrons donc par lui sans cesse à Dieu une hostie de louange, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui rendent gloire à son nom (14, 15) ». – « Par lui », dit-il, comme par les mains d’un pontife, car il l’est comme homme et dans sa chair. – « Des lèvres », ajoute-t-il, « qui glorifient son nom » : comme s’il disait : N’ayons aucune parole de malédiction, d’insolence, de présomption, d’impudence, d’orgueil ; mais que la pudeur et les convenances règlent tous nos discours et toutes nos actions. Au reste, l’apôtre ne fait point sans motif de telles recommandations aux Hébreux ; il sait que leurs cœurs sont livrés à l’affliction, et que, sous cette influence, l’âme souvent rejette tout espoir, dépouille toute pudeur. Et c’est, dit-il, ce que nous ne ferons jamais ; répétant ainsi une pensée que plus haut il exprimait ainsi : « N’abandonnez point nos réunions » ; tel est, en effet, le moyen d’agir en tout avec pudeur et sagesse ; car il est plus d’un péché que nous évitons de commettre, ne fût-ce que par respect de nos semblables.

3. « Enfin souvenez-vous d’exercer la bienfaisance et la communion des biens (16) ». C’est ce que Paul disait alors, et c’est aussi ce que je vous répète aujourd’hui, et je ne m’adresse pas seulement aux frères ici rassemblés, mais aux absents eux-mêmes. Personne n’a pillé vos biens. Or l’apôtre dit : Supposé même que l’on vous ait ainsi dépouillés, montrez-vous encore hospitaliers avec ce qui vous reste. Quelle excuse aurons-nous donc à l’avenir, quand ces disciples entendent un tel langage après ce pillage de leurs biens ? Et remarquez que l’apôtre dit ici : « N’oubliez pas d’exercer la bienfaisance », après avoir dit : « L’hospitalité » ; n’indiquant pas, par conséquent, tantôt un précepte, tantôt un autre, mais un seul et même précepte sous des expressions différentes. Il ne dit pas : N’oubliez pas de recevoir les étrangers, mais : N’oubliez pas l’hospitalité ; c’est-à-dire non seulement recevez, mais aimez l’étranger. Il n’a pas parlé non plus ici d’une récompense à venir et déposée par avance au ciel ; craignant qu’une simple expectative ne les endorme davantage, il parle d’une récompense déjà donnée : grâce à l’hospitalité, dit-il, plusieurs, à leur insu, ont accueilli des anges.

Mais revenons sur nos pas. « Le mariage », dit saint Paul, « est honorable en tout, ainsi qu’un lit nuptial sans tache ». Comment le mariage est-il honorable ? C’est, répond-il, qu’il maintient et conserve le fidèle dans la chasteté. Il condamne ici implicitement les juifs, qui regardaient comme impure l’union des corps, disant que l’homme qui sort ainsi de la couche nuptiale ne peut être pur. L’œuvre de la nature ne peut être abominable, ô Juif ingrat et sans raison ; le péché ne peut être que l’œuvre de la volonté libre et consentante. Que si le mariage est honorable et pur, comment l’usage de ses droits pourrait-il souiller l’homme ? « Que nos mœurs soient exemptes d’avarice ». Un trop grand nombre de gens, après avoir épanché généreusement tous leurs biens, veulent les retrouver sous forme d’aumône ; c’est pourquoi l’apôtre dit : Point d’avarice ! Ne cherchez rien au-delà du besoin, du nécessaire ! – Mais quoi ? Peut-être n’avons-nous pas même cet indispensable nécessaire ? – Mensonge, dit l’apôtre, mensonge évident : car Dieu même a dit, et il ne peut nous tromper : « Je ne vous délaisserai point, je ne vous abandonnerai point » ; de sorte que nous puissions dire aussi : « Le Seigneur est mon pro« lecteur ; je ne craindrai point ce que l’homme « voudrait me faire ! » (Psa 118,6) Comme si (apôtre disait : Vous avez une promesse divine, ne doutez pas un instant ! Il s’est engagé : Ne chancelez pas ! Et cette parole : Je ne vous abandonnerai pas, comprend non seulement les besoins d’argent, mais tous les besoins. « Le Seigneur est mon protecteur ; et je ne craindrai pas ce que l’homme voudrait me faire » : parole du prophète, que l’apôtre emprunte avec raison pour mettre comme un sceau à sa propre affirmation, et pour redoubler en nous cette confiance qui rend le désespoir impossible. Répétons donc, nous aussi, ces assurances divines dans toutes nos épreuves. N’ayons pour les choses humaines qu’un sourire de mépris ; tant que nous aurons la faveur de Dieu, personne ne nous pourra vaincre. Comme l’amitié de tous les hommes nous serait inutile, si Dieu est notre ennemi ; par contre, avec sa seule amitié, le monde entier peut nous faire la guerre, sans que nous soyons même atteints. Aussi, continue le Prophète, « je ne craindrai pas ce que l’homme peut me faire ».

« Souvenez-vous de vos conducteurs qui ont « annoncé la parole de Dieu ». Je crois que l’apôtre recommande encore ici la charité reconnaissante et secourable ; c’est là que tend cette remarque : Ils vous ont annoncé la parole de Dieu ; – « Et considérant quelle a été la fin de leur vie, imitez leur foi ». – « Considérant », qu’est-ce à dire ? étudiant constamment, examinant avec réflexion, avec raisonnement, avec scrupule, avec toute ardeur et bonne volonté. L’apôtre choisit à bon droit l’expression : « Examinant la fin de leur vie », c’est-à-dire une vie jusqu’au bout sage et pure, une vie qui mérite une fin heureuse. « Jésus-Christ était hier, il est aujourd’hui et sera le même dans tous les siècles ». C’est-à-dire : N’allez pas croire qu’il ait fait des miracles, et qu’il n’en fasse plus aujourd’hui. Il est toujours le même ; et parce qu’il est le même, on ne pourrait assigner aucun temps où pareille puissance ne soit plus à lui. C’est peut-être à cette perpétuité du Christ que pensait l’apôtre en écrivant : « Souvenez-vous de vos conducteurs ; et ne vous laissez pas entraîner par des doctrines variées et étrangères ». – « Étrangères », entendez : à des doctrines différentes de celles que nous vous avons enseignées ; « variées », comprenez à des enseignements de tous genres ; qui, en effet, n’ont rien de stable, mais qui se contredisent, surtout quand il s’agit des aliments purs ou noie. L’apôtre ajoute, en vue de ce dernier point : « Car il est bon d’affermir son cœur par la grâce, et non par tels aliments » : car ici surtout est la variété, ici l’étrangeté de doctrine. Il invective donc contre ces discernements de viandes, et montre que cette vaine observance a précipité les Hébreux dans une véritable hétérodoxie, puisqu’elle les a portés à admettre des enseignements contradictoires et nouveaux. Remarquez toutefois qu’il n’ose pas les accuser expressément, mais seulement par insinuation. Car lorsqu’il dit : « Ne vous laissez pas entraîner à des doctrines variées et étrangères » ; et : « Il est bon, en effet, d’affermir son cœur par la grâce et non par tels ou tels aliments », il ne fait que répéter équivalemment la maxime de Jésus-Christ : « Ce n’est pas ce qui entre dans l’homme qui souille l’homme » (Mat 15,11) ; démontrant que c’est la foi, au contraire, qui est tout au monde, et que si elle vous affermit, elle vous met le cœur en sûreté. Oui, la foi seule donne à l’âme force et fermeté ; tandis que les raisonnements n’y jettent que le trouble : c’est qu’aussi le raisonnement est l’opposé de la foi.

« Ces vaines observances », continue-t-il, « n’ont point servi à ceux qui les ont pratiquées ». A quoi sert, en effet, une vaine observance, sinon, surtout, à vous perdre, sinon à placer sous le joug du péché celui qui la pratique ? S’il faut des observances, cherchez et suivez celles qui peuvent être utiles à qui les embrasse. Une bonne observance, ce sera la fuite du péché, la droiture du cœur, la piété envers Dieu, la foi vraie et pure. – « Celles-là n’ont point servi à ceux qui les ont suivies », c’est-à-dire, gardées même le plus constamment. L’unique observance doit être de s’abstenir du péché. À quoi sert tout le reste, si quelques-uns même des plus zélés se rendent assez criminels pour ne pouvoir participer aux sacrifices ? Voilà donc des hommes que rien ne sauvait devant Dieu, malgré ce zèle ardent pour leurs pratiques religieuses ; aucune ne leur servait absolument, parce qu’ils n’avaient pas la foi. – L’apôtre continue en déclarant l’abolition du sacrifice d’après son Caractère purement figuratif, et revenant ainsi à son grand principe. « Car », dit-il, « les corps des animaux » dont le sang est porté par le pontife dans « le sanctuaire pour l’expiation du péché, sont bridés hors du camp ; et c’est pour cette raison que Jésus, devant sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte de la ville ». Ainsi les sacrifices anciens n’étaient que la figure des nôtres, et Jésus-Christ a tout accompli, en souffrant hors de Jérusalem. L’apôtre fait entendre aussi dans ce passage que Jésus-Christ a souffert de son plein gré ; d’ailleurs ces sacrifices anciens n’étaient pas institués simplement pour eux-mêmes, ils n’étaient que figuratifs, et l’économie de la divine Passion hors des murs de la cité sainte s’y peignait d’avance. Ainsi notre Maître a souffert hors de la ville : mais son sang a été porté jusqu’aux cieux.

4. Vous le voyez : nous communions au sang qui était porté dans le sanctuaire, dans le vrai Saint des saints, au sacrifice dont seul le grand Pontife avait droit de jouir ; nous avons part à la Vérité même. Prenons garde, toutefois, que si, sans participer aux outrages de notre divin Maître, nous avons notre part de salut et de sainteté, ces outrages, cependant, ont été les vraies causes de notre sanctification. Donc, comme il a subi l’opprobre, attendons-nous à le subir ; et si, avec lui, nous « sortons dehors », avec lui un jour nous ne ferons qu’un. Mais qu’est-ce que cet avis : « Sortons dehors, et allons à lui ? » – Partageons ses souffrances, supportons ses opprobres. Ce n’est pas sans mystère qu’il a souffert « hors' de la « porte », mais pour nous apprendre à porter sa croix, nous aussi, à demeurer en dehors du monde, à nous faire un devoir d’en rester ainsi éloignés ; à nous soumettre enfin aux outrages qu’il a subis comme un condamné vulgaire.

« Et par lui, offrons un sacrifice à Dieu ». Quel est ce sacrifice ? L’apôtre même l’interprète « du fruit des lèvres qui rendent gloire à son nom », c’est-à-dire de prières, d’hymnes, d’actions de grâces, car tel est le fruit des lèvres. Les juifs offraient des brebis, des bœufs et des veaux et les donnaient au prêtre. Quant à nous, n’offrons rien de semblable ; mais l’action de grâces, et s’il se peut, en toutes choses, l’imitation de Jésus-Christ. Que tel soit le produit de nos lèvres. « Souvenez-vous d’exercer la charité et de faire part aux autres de vos biens : car c’est par de semblables hosties qu’on se rend Dieu favorable ». Mettons ce sacrifice aux mains de Notre-Seigneur, pour qu’il les offre au Père ; l’offrande ne peut parvenir, en effet, que « par le Fils », ou plutôt par le cœur contrit. Cette recommandation s’accommode à la faiblesse de fidèles encore peu instruits. Car, bien évidemment, au Fils même la grâce appartient autrement comment aurait-il droit à l’égalité d’honneur avec son Père ? Or, dit Jésus-Christ, « il faut que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ». (Jn 5,23) Si donc la gloire du Père peut se séparer de la glorification du Fils, ou est l’égalité d’honneur ?

« Le fruit des lèvres qui glorifient son nom », c’est l’action de grâces à lui rendues, en mémoire de tout ce qu’il a souffert pour nous. Supportons avec reconnaissance, pauvreté, maladie, tout au monde enfin ; lui seul connaît ce qui est de notre intérêt véritable. En effet, « nous ne savons ce que nous devons demander à Dieu ». (Rom 8,26) Que si nous ignorons quel doit être l’objet même de nos demandes, comment, à moins que, l’Esprit de Dieu ne nous le » suggère, connaîtrions-nous nos vrais intérêts ? Efforçons-nous donc d’offrir en toutes choses l’action de grâces, de supporter tous les événements avec générosité de cœur. Quand nous sommes en proie à la pauvreté, à la maladie, rendons grâces à Dieu ! Rendons-lui grâces, quand la calomnie nous assaille, quand l’injustice nous éprouve. Voilà, en effet, autant de moyens qui nous rapprochent de Dieu, qui font même de Lui notre débiteur, tandis que le bonheur et les joies nous rendent ses débiteurs et ses obligés. D’ailleurs, les chances heureuses nous procurent souvent un jugement plus sévère, taudis que les épreuves contribuent à expier nos péchés. Celles-ci forcément nous inclinent à la charité, à la pitié pour nos frères ; tandis que celles-là nous élèvent par l’orgueil, nous rabaissent par la paresse, nous disposent à sourire à mille fantômes de présomption en nous-mêmes, et enfin nous ôtent toute énergie. Aussi le Prophète s’écriait : « Il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne les ordonnances de votre justice ». (Psa 119,71) Lorsque Ezéchias se vit couvert des bienfaits de Dieu et délivré de tout mal, alors son cœur s’enfla : mais quand il devint malade, aussitôt il s’humilia, et dès lors se rapprocha de Dieu. – « Quand le Seigneur frappait son peuple », dit l’Écriture, « alors celui-ci le cherchait, se convertissait, lui faisait retour dès le matin » (Psa 78,34) ; « mais dès que Dieu eût comblé et engraissé de biens ce peuple chéri, il le vit récalcitrant ». (Deu 32,15) « En effet, on reconnaît Dieu quand il exécute son jugement ». (Psa 9,17)

C’est donc un grand bien que l’affliction : car la voie du salut est étroite, et c’est l’affliction qui nous met dans l’étroit sentier. Qui n’est point affligé ne peut entrer. Celui qui sait ainsi s’affliger et se réduire à l’étroit, est aussi celui qui jouit du vrai repos ; mais celui qui s’enfle, n’entrera jamais, et sera encore serré, si j’ose le dire, comme le bois sous l’effort du coin. Écoutez comme saint Paul entra de son gré dans cette voie étroite. « Je châtie mon corps », nous dit-il, « et je le réduis en servitude ». Châtie-le donc aussi, pour pouvoir entrer. – L’apôtre rendait à Dieu, dans toutes ses afflictions, de perpétuelles actions de grâces. Et toi, es-tu frappé dans ta fortune ? La ruine, au fond, t’a mis au large. Es-tu déchu de ta gloire ? Autre affranchissement. Es-tu victime de l’hypocrisie ; et, des crimes dont tu es innocent, ont-ils obtenu créance contre toi ? Sache te réjouir et l’applaudir. « Car », a dit le Seigneur, « vous serez bienheureux quand les hommes vous accableront d’opprobres et diront faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce qu’une grande récompense vous est réservée dans les cieux ». (Mat 5,12)

Pourquoi vous étonner des afflictions, et vouloir être délivrés des épreuves ? Paul aussi, demanda sa délivrance ; il en fit l’objet de nombreuses prières à Dieu, et ne l’obtint pas. Car en disant « Je l’ai demandée par trois fois », il veut dire, souvent. « Et Dieu m’a répondu », ajoute-t-il « Ma grâce vous suffit ; car ma force éclate dans les infirmités ». (1Co 12,8) Il appelle ici infirmités les souffrances. Or, qu’est-il arrivé ? Heureux d’avoir reçu cette réponse, l’apôtre supporta ses peines avec reconnaissance, et s’écria : « Aussi bien je suis fier dans mes infirmités mêmes », c’est-à-dire je place dans les afflictions, mon plaisir et mon repos. Ainsi, rendons grâces de toutes choses, heureuses ou affligeantes ; ne murmurons pas, ne soyons pas ingrats. Oui, mon frère, dis-le sincèrement, toi aussi : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, et nu je dois m’en aller un jour ». (Job 1,21) Tu n’es pas venu au monde avec la gloire ; ne cherche point la gloire ; car tu es entré dans la vie avec une complète nudité, non seulement de fortune, mais de gloire et de bonne renommée. Pense aux maux infinis que souvent a produits la richesse, ou plutôt écoute ici les oracles de Jésus-Christ : « Il est plus facile à un chameau d’entrer « par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer « dans le royaume des cieux ». (Mat 19,24) Vous voyez à quels biens infinis la richesse fait obstacle ! Et vous cherchez. à vous enrichir ! Et pauvres, vous n’ôtes pas heureux de voir pour vous l’obstacle renversé ! Oui, la voie qui conduit au royaume est étroite ; autant sont grandes les richesses, autant elles apportent et d’enflure et de tristes bagages. Aussi Jésus-Christ dit-il : « Vendez ce que vous avez » (Mat 19,21), pour que l’étroit sentier vous reçoive. Pourquoi désirer l’argent ? Dieu vous l’a retiré, pour vous affranchir d’un véritable esclavage. Un vrai père, souvent, quand il a constaté que son fils s’est perdu par une honteuse fréquentation, et que d’ailleurs il n’a pu par ses avis lui persuader de la rompre, agit lui-même et chasse cette créature bien loin. L’argent trop abondant est une attache de ce genre. Aussi prenant en main nos intérêts, et nous sauvant du malheur que l’or entraîne, le Seigneur nous enlève cet or maudit. Ne regardons pas, en conséquence, la pauvreté comme un mal : le seul mal, c’est le péché ; le seul bien, c’est de plaire à Dieu. Cherchons plutôt la pauvreté ; poursuivons-la avec amour. Ainsi saisirons-nous le ciel ; ainsi gagnerons-nous les biens promis. Puissions-nous y arriver tous, etc.

HOMÉLIE XXXIV.

OBÉISSEZ A VOS CONDUCTEURS ET SOYEZ-LEUR SOUMIS, AFIN QU’AINSI QU’ILS VEILLENT POUR LE BIEN DE VOS ÂMES, COMME DEVANT EN RENDRE COMPTE, ILS S’ACQUITTENT DE CE DEVOIR AVEC JOIE, ET NON EN GÉMISSANT ; CE QUI NE VOUS SERAIT PAS AVANTAGEUX. (XIII, 17 JUSQU’A LA FIN)

Analyse.

  • 1 et 2. Prélude sur l’obéissance en général. – Dangers de l’anarchie. – Distinction entre l’autorité et l’homme qui en est revêtu. – Les Hébreux n’ont que de bons chefs spirituels. – Ceux-ci, quand on leur désobéit, ont une seule et redoutable manière de se venger : c’est de gémir ; Dieu se fera leur vengeur. – Terrible passage sur le salut des prêtres parvenus par ambition. – Derniers vœux de saint Paul en faveur des Hébreux. – Il leur souhaite la concorde et la grâce de Dieu.
  • 3. Nous pouvons résister à la grâce ; elle n’habite pas dans un cœur avec l’esprit du monde. – La grâce est comme le vent qui enfle les voiles d’un navire ; mais il faut que la voilure soit tendue, et, de même, que notre cœur soit résolu. – Une demi-volonté n’est qu’une toile d’araignée ; tandis qu’un cœur ferme tient bon contre toutes les épreuves. – Rien ne résiste au feu rien non plus ne résiste à un cœur enflammé.

1. L’anarchie est partout un mal, une source de calamités infinies, un principe de désordre et de perturbation ; mais elle est d’autant plus pernicieuse dans l’Église en particulier, que chez elle le pouvoir est plus grand et plus sublime. Supprimez le chef d’orchestre, le chœur ne connaît plus l’harmonie ni le concert ; enlevez à une armée son général, l’ordre est brisé, la discipline anéantie dans les bataillons ; arrachez le pilote à sa barre, le vaisseau fera naufrage ; séparez du troupeau le pasteur, tout est dispersé : ainsi l’anarchie `est un mal, une cause de ruine. Mais, en retour, la désobéissance des sujets n’est pas un moindre mal ; car elle produit les mêmes malheurs. Un peuple qui n’obéit plus à son chef, ressemble à un peuple sans chef ; il est même pire encore. En effet, on pardonne, dans un cas, à ceux qui ne savent se garder du désordre et des excès ; dans l’autre cas, loin d’excuser, on punit.

Mais, objectera-t-on peut-être, il y a un troisième mal, c’est d’avoir un mauvais chef. Je le sais ; ce n’est pas un petit malheur ; c’est pis, alors, bien pis même que l’anarchie – Mieux vaut n’être conduit par aucun guide, que de l’être par un mauvais. Livré à soi-même, on peut se jeter dans le péril et l’on peut aussi y échapper ; mais, mal conduit, on ira nécessairement à la malheure, on sera entraîné au précipice.

Comment donc saint Paul dit-il : « Obéissez à vos conducteurs et soyez-leur soumis ? » ayant déclaré précédemment : « Considérant la fin de leur vie, imitons leur foi », c’est seulement après cela qu’il ajoute : Obéissez, soyez soumis ? – Donc, objecterez-vous, que faire ? Et si le chef est mauvais, faudra-t-il ne pas obéir ? – Mauvais, dites-vous ; mais en quel sens ? Si c’est : mauvais du côté de sa foi, fuyez-le, oui, évitez-le, non seulement s’il n’est qu’un homme, rirais quand même il serait un ange descendu du ciel ! Si c’est au contraire : mauvais du côté de sa conduite, n’approfondissez pas ce point. Ne croyez pas, du reste, que cette distinction m’appartienne ; je l’emprunte à la divine Écriture. Écoutez l’oracle de Jésus-Christ : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ». (Mat 23,2) C’est après avoir fait contre eux de graves accusations qu’il prononce ces paroles : « Ils sont assis sur la chaire de Moïse ; faites donc, tout ce « qu’ils vous disent ; mais ne faites pas ce qu’ils font ». Ils sont en dignité, vous dit-il, bien que leur vie soit impure ; vous, n’étudiez pas leurs mœurs, mais leur enseignement.

En effet, leurs mœurs ne peuvent causer aucun dommage spirituel à personne. Pourquoi ? c’est que, par elles-mêmes, elles sont évidemment mauvaises à tous les yeux ; et que ce maître, fût-il mille fois mauvais, n’enseignera jamais le mal. Du côté de la foi, au contraire, leur perversité est moins évidente pour les masses, et le docteur mauvais en ce genre ne craindra pas d’enseigner l’erreur. Aussi le précepte : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés », s’entend de la conduite, et non de la foi. Le contexte le prouve : « Car, pourquoi », dit Jésus-Christ, « voyez-vous une paille dans l’œil de votre frère, tandis que vous ne remarquez pas la poutre qui est dans votre œil ? Faites donc tout ce qu’ils vous disent ». (Mat 7,1) Faire est la fonction de la conduite et non de la foi. Voyez-vous que. Notre-Seigneur ne parle pas là des dogmes, mais de la vie et des œuvres ?

Quant aux maîtres des Hébreux, saint Paul les a loués, en disant : « Obéissez à vos conducteurs, et soyez-leur soumis ; car eux-mêmes veillent pour le bien de vos âmes, comme devant en rendre compte ». Que les chefs donc ici l’entendent aussi bien que les sujets : autant il est requis d’obéissance dans les gouvernés, autant les gouvernants doivent-ils se montrer vigilants et modérés. Car, enfin, répondez : le maître veille, lui, sa tête est menacée, il est exposé aux dangereuses conséquences de vos fautes, et c’est à cause de vous qu’il est soumis à des craintes si redoutables ; et vous, sujet, vous seriez assez lâche, assez dépourvu de cœur, assez misérable pour lui refuser l’obéissance ? Aussi l’apôtre ajoute : « Obéissez, afin que vos maîtres s’acquittent de leur devoir avec joie, et non pas en gémissant, ce qui ne vous serait pas avantageux ». Voyez-vous ici, qu’un maître, même méprisé, n’a pas le droit de se venger ? – Mais n’est-ce pas urne terrible vengeance contre vous que ses pleurs et ses gémissements ? – Sans doute. Car le médecin, méprisé de son malade, ne peut pas, il est vrai, se venger de lui ; mais il peut sur lui pleurer et gémir. Et si vous le faites gémir ainsi, c’est Dieu qui le vengera sur volis. Car si nous gagnons Dieu à notre cause lorsque nous pleurons nos péchés, combien plus quand nous gémissons sur l’insolence et le mépris des autres ? Or, voyez-vous toutefois que Dieu ne permet pas au maître d’éclater en injures ? Comprenez-vous la haute sagesse de cette loi ? On ne peut que gémir, bien qu’on soit ainsi méprisé, et foulé aux pieds, bien qu’on vous crache au visage. Ne doutez pas un instant que Dieu ne soit votre vengeur : le gémissement est plus redoutable qu’aucune vengeance ; car lorsque l’homme gémissant n’a rien gagné par ses pleurs, ceux-ci crient à Dieu ; et de même que quand un précepteur n’est plus écouté par un enfant, l’on appelle un autre homme qui saura bien le punir plans sévèrement ; ainsi en est-il au cas actuel.

Mais, ô ciel ! quel péril redoutable ! Et que dire aux misérables qui se précipitent vers cet abîme infini de supplices ? Pasteur, tu rendras compte de tous ceux que tu diriges, hommes, femmes, enfants ; c’est à ce terrible feu que tu exposes ta tête. Je m’étonne qu’un seul de ceux qui gouvernent puisse être sauvé, surtout qu’en présence de telles menaces d’une part, d’une telle lâcheté de l’autre, j’en vois quelques-uns accourir encore et se jeter sous ce redoutable fardeau du gouvernement de la maison de Dieu ! Car s’il n’est point d’excuse ni de pardon pour ceux-mêmes qui s’y sont laissés traîner par force, dès que d’ailleurs ils gouvernent mal ou avec négligence ; car Aaron fut traîné au pontificat par violence, et cependant il a été en péril ; car Moise, aussi, fut en danger, bien qu’ayant souvent refusé le pouvoir ; car Saül enfin, qui avait reçu un autre genre d’autorité malgré ses refus, joua son éternité aussi, pour avoir abusé de sa puissance : combien plus sont donc exposés ceux qui mettent tant d’âpreté à la conquérir, et qui ont eu l’audace de s’y précipiter ? Un ambitieux de cette espèce, bien plus que personne, se prive par avance du pardon. Il ne peut que craindre, que trembler, et sous le poids du remords, et sous le faix du pouvoir ; de telles gens ne doivent pas refuser pour une fois seulement, qu’on les traîne à l’autel, ou qu’on ne les y traîne pas ; ils ne peuvent que fuir en prévision de la grandeur d’une dignité pareille. Quant à ceux qui s’y sont laissés prendre malgré eux, toujours doivent-ils être pieux et vigilants ; qu’ils évitent tout excès de pouvoir ; qu’ils agissent en tout dans l’ordre et le droit. Je conclus : si vous pressentez le fardeau, fuyez, bien persuadés que vous êtes indignes d’un tel honneur ; et si vous l’avez reçu de vive force, n’en soyez ni moins vigilants, ni moins modestes ; montrez en tout un cœur pur et humble.

2. « Priez pour nous, car nous osons dire que notre conscience ne nous reproche rien, n’ayant point d’autre désir que de nous conduire saintement en toutes choses (18) ». Voyez-vous comme il prend ici le ton de l’apologie ? On dirait qu’il écrit à des gens indisposés contre lui, à des frères qui le méprisent et le regardent comme un transgresseur de la loi, et qui ne peuvent même entendre prononcer son nom. Lui, cependant, qui veut exiger de ces hommes dont il est haï, les mêmes sentiments que vous demanderiez à ceux qui vous aiment, il a soin de leur dire pour cette raison : « Nous osons dire que notre conscience ne nous reproche rien ». Non, dit-il, ne m’objectez aucun grief ; ma conscience ne me désapprouve en rien ; aucun remords ne me dit que je vous aie tendu le moindre piège. Nous osons dire que notre conscience est pure en tout ; n’ayant point d’autre désir que de nous conduire saintement, non seulement aux yeux des païens, mais même à vos yeux ; nous n’avons rien fait par duperie, rien par hypocrisie. Car il est vraisemblable que des calomnies de ce genre le poursuivaient. Qu’on l’eût, en effet, accusé faussement, saint Jacques même en est témoin, quand il dit « Ils ont entendu dire que vous enseigniez la désertion de la loi ». (Act 21,21) Ainsi, dit saint Paul, je ne vous écris pas ceci en ennemi, mais en ami sincère ; et il le prouve par ce qui suit : « Et je vous prie avec instance de le faire, afin que Dieu me rende plus tôt à vous (19) ». Une telle prière révélait dans l’apôtre un tendre amour pour eux ; d’autant plus que, non content dé prier simplement, il les suppliait en toute instance. – Afin que je vienne bientôt chez vous, disait-il. C’était faire preuve d’une conscience sans reproche, que de montrer un tel empressement à les revoir, et d’implorer aussi pour lui-même leurs prières. Pour le même motif, après s’être recommandé ainsi à leur piété, il leur souhaite à son tour toutes sortes de biens.

« Que le Dieu de paix… » C’est son premier mot, et il l’écrit parce que des dissensions s’élevaient parmi eux. Si donc ; dit-il, notre Dieu est un Dieu de paix, gardez-vous de faire schisme avec nous. – « Le Dieu qui a tiré du sein de la terre le Pasteur de toutes les brebis » : allusion à la résurrection. – « Le Pasteur si grand » : nouvelle qualification à Jésus-Christ. Ensuite son discours se poursuit de nouveau et s’achève en leur garantissant la résurrection : « Parle sang du Testament éternel, Jésus-Christ Notre-Seigneur (20) ».

« Que ce Dieu vous rende complètement disposés à toute bonne œuvre, afin que vous fassiez sa volonté, faisant en vous ce qui lui est agréable (21) ». L’apôtre leur rend encore un bien beau témoignage. Car ce qui ne doit être que complété, possède déjà un digne commencement et reçoit ensuite le complément. Il prie pour eux, ce qui indique un cœur affectueux et ami. Et remarquez que dans ses autres épîtres, il commence par où il finit ici, par la prière. « Qu’il fasse en vous ce qui est agréable à ses yeux, par Jésus-Christ, auquel est la gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il : Je vous supplie, mes frères, d’agréer ce que j’ai écrit pour vous consoler ; car je ne vous ai écrit qu’en peu de mots (22) ». Vous voyez qu’il leur écrit ce qu’il n’a écrit à personne. « Je vous ai », dit-il, « écrit en peu de mots » ; c’est-à-dire, je n’ai pas voulu vous fatiguer par de longs discours. Je pense que les Hébreux n’étaient pas fort mal disposés à l’égard de Timothée ; aussi l’apôtre le leur recommande : « Sachez », dit-il, « que votre frère Timothée a été renvoyé ; et s’il vient bientôt, j’irai vous voir avec lui (23) ». Timothée avait été « renvoyé » : d’où ? De la prison, je crois, où il avait été jeté ; sinon, d’Athènes, car les Actes ont consigné ce fait. « Saluez de ma part tous ceux qui vous conduisent et tous les saints. Nos frères d’Italie vous saluent. Que la grâce soit avec vous tous. Ainsi soit-il ».

Vous voyez comment l’apôtre nous montre que la vertu n’est pas produite ni par l’œuvre de Dieu absolument, ni par nous seulement. « Que Dieu « vous rende », dit-il, « accomplis en toute œuvre bonne », et le reste ; c’est assez dire : vous avez déjà la vertu, mais vous avez besoin de la posséder complète. En ajoutant d’ailleurs : « En toute parole et œuvre bonne », il fait entendre que tout doit être droit en nous, la vie et les croyances. – Que Dieu fasse en vous ce qui est agréable « devant lui », dit-il avec raison ; « devant lui », car faire ce qui plaît devant Dieu, c’est la perfection de la vertu, selon ce que dit aussi le prophète : « Selon la pureté de mes mains devant ses yeux ». (Psa 18,25) – Après avoir si abondamment écrit, il déclare qu’il a dit peu de choses encore, en comparaison de ce qu’il devait dire. C’est une remarque qu’il fait ailleurs : « Comme je vous ai déjà écrit en peu de paroles, où vous pourrez comprendre en les lisant quelle est l’intelligence que j’ai du mystère de Jésus-Christ ». (Eph 3,3) – Or, voyez sa prudence. Il ne dit pas : Je vous supplie de supporter une parole d’avertissement, mais « de consolation », c’est-à-dire d’encouragement, d’exhortation. – Personne, ajoute-t-il, ne pourra se dire fatigué de la longueur de mes discours. Quoi donc ? Était-ce donc là le motif qui leur avait fait prendre saint Paul en aversion ? Évidemment non. Aussi n’est-ce pas ce qu’il veut montrer ; il ne veut pas dire Vous êtes des esprits faibles et lâches ; car tel est le caractère de ceux qui ne peuvent supporter un long discours. – « Sachez que Timothée votre frère est renvoyé ; et s’il vient bientôt, j’irai vous voir avec lui ». Réflexion qui suffit à leur persuader d’être bien humbles, puisqu’il se prépare à leur rendre visite avec sort disciple. – « Saluez tous vos chefs et tous les saints ». Voyez combien il les honore en leur écrivant pour leurs supérieurs. – « Nos frères d’Italie vous saluent. « Que la grâce soit avec vous tous. Ainsi soit-il ». La grâce étant le bien commun de tous, il en fait son dernier souhait.

Or, comment la grâce est-elle avec nous ? C’est quand nous rie faisons point outrage à ce divin bienfait ; c’est quand nous ne sommes point lâches en face d’un don si précieux. Qu’est-ce que la grâce ? La rémission des péchés, notre purification, car elle-même est en nous. Que si quelqu’un lui fait outrage, peut-il dès lors la conserver ? Ne la perd-il pas aussitôt ? Par exemple, Dieu vous a pardonné vos péchés, mais comment avec vous demeurera cette grâce, cette estime de Dieu, cette opération de l’esprit, si vous ne la retenez pas par vos bonnes œuvres ? Car la cause de tous les biens en nous, c’est précisément cette habitation continuelle de la grâce du Saint-Esprit dans nos âmes ; c’est elle qui se fait notre guide en toutes choses, comme aussi, dès qu’elle nous échappe, elle nous laisse éperdus et comme dans un désert.

3. Gardons-nous donc de la repousser ; car il est en notre pouvoir qu’elle demeure ou qu’elle se retire. Elle reste, quand nos pensées ont trait au ciel ; elle s’en va, quand nos idées s’attachent aux choses de cette vie. C’est l’esprit « que le monde », dit Jésus-Christ, « ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le connaît pas ». (Jn 14,17) Il appelle « monde » une vie mauvaise et honteuse. Comprenez-vous qu’une vie mondaine ne peut le posséder ? Il nous faut donc dépenser beaucoup d’efforts pour le retenir en nous, de sorte qu’il soit l’intendant et le directeur de tous nos biens, et qu’il nous établisse dans une ferme tranquillité, dans une paix abondante.

Poussé par un vent favorable, un navire ne sent point d’arrêt, ne craint point de naufrage, tant que souffle cette aide puissante et persévérante. Rentré au port, il va rapporter et aux matelots et aux passagers une belle part de gloire ; aux uns, il octroie le repos et leur permet de ne plus se courber sur les rames ; aux autres, il fait oublier toutes les craintes, et leur laisse comme un magnifique spectacle, le souvenir de son fortuné voyage. Ainsi en est-il de l’âme secondée par le Saint-Esprit ; elle est plus forte que toutes les vagues que soulèvent les peines de la vie ; elle fend la route qui porte an ciel, avec plus de vitesse encore que l’heureux navire ; car elle n’est point poussée par le vent, mais elle a des voiles, des voiles pures que le Paraclet daigne gonfler ; elle chasse de sa pensée tout ce qui pourrait l’amollir et l’énerver. Car de même que le vent qui tombe sur une voile lâche et mal tendue, n’a sur elle aucune prise ; ainsi le Saint-Esprit, rencontrant une âme énervée, n’y accepte pas un long séjour : il exige, au contraire, du ton et de la vigueur.

Il nous faut donc acquérir cette ardeur de l’âme, cette vivacité, cette force résolue des œuvres. Ainsi, vaquons-nous à la prière ? Que ce soit avec une énergique tension de l’âme, déployant notre cœur vers le ciel, non pas avec des cordages matériels, mais à l’aide d’une ferme et vive résolution. Exerçons-nous la miséricorde avec les pauvres ? Ici encore, il faut une tension vigoureuse, pour que la voilure ne se relâche jamais sous le choc des soucis domestiques, de précautions pour les enfants, d’inquiétudes pour l’épouse, d’une crainte personnelle de la pauvreté. Que si nous raidissons notre cœur de tous côtés par la sainte espérance des biens immortels, il sera disposé dès lors à recevoir le souffle puissant de l’Esprit divin ; dès lors il ne sera plus frappé par les créatures éphémères et misérables d’ici-bas ; ou, s’il en subit encore le choc, loin d’en être blessé, il repoussera par sa fermeté, il abattra par sa résistance leur attaque impuissante.

Mais, répétons-le : il faut savoir nous raidir vigoureusement. Car nous aussi nous naviguons sur une mer immense et découverte, remplie de monstres, hérissée d’écueils, féconde pour nous en orages, et qui du calme le plus profond, passe subitement aux plus cruelles tempêtes. Si donc nous voulons faire une navigation facile et sans péril, il nous faut tendre nos voiles, c’est-à-dire, raidir notre libre arbitre.

Au reste, cette fermeté de vouloir, suffit à nous sauver. Abraham, en effet, dès qu’il eut ainsi dirigé vers Dieu tous ses désirs, dès qu’il se fut armé d’une volonté disposée à tout, Abraham eut-il besoin d’autre secours ? Non ; « mais il crut en Dieu, et sa foi lui fut réputée à justice ». (Gen 15,16) Or, la foi, c’est le propre caractère d’une volonté généreuse. Il offrit son Fils ; et bien qu’il ne l’ait pas immolé, il reçut la même récompense que s’il l’avait réellement sacrifié ; et quoique n’ayant pas accompli cette immolation, il en reçut le prix.

Procurons-nous donc une voilure immaculée et toujours neuve, et non pas usée et vieillie ; « car tout ce qui est ainsi vieux et fatigué touche déjà à une fin misérable ». (Heb 8,13) Point de ces voiles trouées qui laisseraient échapper souffle de l’Esprit. « Car l’homme animal n’est point capable », dit saint Paul, « des choses qui sont de l’Esprit de Dieu ». (1Co 2,4) Pas plus qu’une toile d’araignée ne peut supporter l’effort Auvent, une âme adonnée aux soucis de cette vie, un homme animal ne saurait recevoir la grâce de l’Esprit. Nos convictions flottantes n’offrent aucune différence d’avec ces toiles fragiles ; elles ont seulement, comme elles, un air de consistance, mais leur trame est privée de toute résistance.

Ah ! que plutôt, si nous sommes sages, nos âmes ne présentent rien de semblable ! Dès lors, quel que soit le choc, nous retenons tout le souffle de la grâce, et nous demeurons supérieurs à tout, plus forts que toute attaque. Donnez-moi un homme vraiment spirituel, et laissez tomber sur lui tous les maux les plus effrayants, aucun ne pourra l’abattre. Que dis-je ? Que sur lui fondent ensemble pauvreté, maladies, outrages, malédictions, opprobres, plaies et supplices de tout genre, dérisions et insultes de toute espèce ; vous le croirez vraiment en dehors et au-dessus de ce bas monde, et affranchi de toutes les souffrances du corps, tant il se rira de tout cet ouragan.

Que ce ne soient pas là des paroles en l’air, plusieurs exemples de nos jours mêmes m’en fourniraient certainement la preuve : dussé-je n’invoquer que ceux qui ont choisi la retraite au désert. – Ceux-là, direz-vous, n’ont rien d’étonnant. – Eh bien ! je réponds qu’il en est d’aussi héroïques, et que vous ne soupçonnez pas, jusqu’au sein des cités. Et, s’il vous plaisait, je pourrais vous en montrer quelques-uns parmi ceux qui ont vécu jadis. Pour vous en convaincre, rappelez-vous seulement saint Paul. Est-il une atrocité qu’il n’ait pas soufferte ? un mal qu’il n’ait pas subi ? Or, il supportait tout avec courage. Et nous aussi, étendons vers le ciel les efforts de notre âme ; remplissons-la de ce désir de Dieu ; précipitons-nous dans ce foyer de l’Esprit, sauvons-nous par cette flamme même. Armé d’une flamme, en effet, personne ne craindrait une rencontre d’homme, de bête féroce, de mille filets tendus ; tout reculerait, tout lui ferait place, aussi longtemps que durerait ce feu ; car la flamme est irrésistible, le brasier est insoutenable, tout s’y consume. Revêtons ce beau feu, et renvoyons toute gloire à Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel appartiennent au Père, en l’unité du Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. l’abbé COLLERY.

FIN DU ONZIÈME ET DERNIER VOLUME.

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