‏ Hebrews 7

HOMÉLIE XII.

CAR CE MELCHISÉDECH, ROI DE SALEM, PRÊTRE DU DIEU TRÈS-HAUT, QUI VINT AU-DEVANT D’ABRAHAM LORSQUE CELUI-CI REVENAIT DE LA DÉFAITE DES ROIS, QUI LE BÉNIT, A QUI ABRAHAM DONNA LA DÎME DE TOUT CE QU’IL AVAIT PRIS, QUI S’APPELLE, SELON L’INTERPRÉTATION DE SON NOM, PREMIÈREMENT ROI DE JUSTICE, PUIS ROI DE SALEM, C’EST-A-DIRE ROI DE PAIX, QUI EST SANS PÈRE ET SANS MÈRE, SANS GÉNÉALOGIE, QUI N’A NI COMMENCEMENT DE SES JOURS NI FIN DE SA VIE, ÉTANT AINSI L’IMAGE DU FILS DE DIEU, DEMEURE PRÊTRE POUR TOUJOURS. (VII, 1, 2, 3, JUSQU’À 10)

Analyse.

  • 1 et 2. Résumé de l’épître aux Hébreux : comment s’échelonnent les raisonnements de saint Paul. – Melchisédech, parle silence mystérieux de l’Écriture sur sa naissance et sa mort, était la figure de Jésus comme Verbe éternel. – Décimateur d’Abraham qu’il bénit, il est, à ce double titre, plus grand qu’Abraham ; si telle est la figure, quelle sera la vérité ? Lévi même a payé la dîme au roi de Salem, abaissant ainsi son pontificat devant lui : combien plus devant Jésus, dont Melchisédech n’est que la figure ?
  • 3 et 4. Part de notre libre arbitre dans nos bonnes œuvres, de l’aveu des saintes Écritures. – Mauvais usage de notre volonté, qui ne s’instruit pas à l’école du malheur d’autrui, et se profane par le péché. – Saint usage de notre liberté par la conversion. – Retour à Dieu qui nous appelle, nous aide, et nous purifiera.

1. Saint Paul voulant montrer la différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament, dissémine, en plusieurs passages, ses instructions à ce sujet, pour y amener par des préludes, par des essais, qui préparent d’avance les esprits de ses auditeurs. Dès le début de son épître, il a jeté comme une base fondamentale cette vérité : que Dieu a parlé aux anciens dans les prophètes, tandis qu’à nous, c’est dans son Fils ; à eux, de plusieurs manières et en divers temps, à nous, parce Fils adorable. Ensuite il a dit quel est ce Fils et quelle est son œuvre ; il a exhorté à lui obéir, pour éviter de partager le malheur des Juifs insoumis ; il a dit que Jésus est prêtre, selon l’ordre de Melchisédech ; il a voulu aborder toutefois la question de cette différence essentielle ; et après maintes préparations prudentes, après des reproches adressés, à leur faiblesse, mêlés à des encouragements et à des consolations capables de leur rendre confiance ; après les avoir mis en état d’écouter avec docilité ses enseignements, il entreprend enfin de leur expliquer la différence entre Jésus-Christ et leur grand prêtre. Car une âme abaissée et découragée ne peut facilement écouter, comme peut vous en convaincre l’Écriture quand elle dit. « Et ils n’écoutèrent pas Moïse à cause de leur abattement ». L’apôtre a donc eu soin de guérir cette maladie de leur âme par ses paroles tantôt terribles, tantôt calmes et charitables ; en sorte qu’il peut maintenant aborder la question de la différence entre les deux rois. Voici donc ce qu’il dit : « Car ce Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Dieu très-Haut ». Chose admirable ! dans le-type même qu’il choisit, il montre déjà combien est grande la différence. Car, comme je l’ai dit, il emprunte toujours une figure pour concilier la foi à la vérité ; il se sert du passé pour affirmer le présent, à cause de la faiblesse de ses auditeurs. Donc : « Ce Melchisédech, roi de Salem, et prêtre du Dieu Très-Haut, qui vint au-devant d’Abraham, lorsqu’il revenait de la défaite des rois, et le bénit ; à qui Abraham donna la dîme de tout ce qu’il avait pris ». Après avoir résumé tout le récit du Livre saint, il l’interprète mystiquement. C’est d’abord le nom de Melchisédech qui attire son attention. « Qui s’appelle, selon l’interprétation de son nom, premièrement Roi de Justice ». En effet, « Sédech » veut dire justice et « Melchi » ; roi ; d’où Melchisédech, roi de justice. Voyez-vous, jusque dans les noms, quel choix et quelle exactitude ? Or, quel est le roi de justice, sinon Notre-Seigneur Jésus-Christ ? – Puis : « Roi de Salem », nom de sa cité ; le sens est roi de paix, car telle est la traduction de Salem : encore un trait du Christ. Car c’est lui qui nous à faits justes et qui a pacifié tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre. Quel homme est vraiment roi de justice et de paix ? Aucun, à l’exception du seul Jésus-Christ Notre-Seigneur. – Il ajoute bientôt une autre différence : « Sans père, sans mère, sans généalogie, qui n’a ni commencement, ni fin de sa vie, étant ainsi l’image du Fils de Dieu, qui demeure prêtre a pour toujours ». Mais ici se présentait un texte qu’on pouvait objecter : « Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech », parce que celui-ci était mort, et n’était pas prêtre pour l’éternité. Voyez donc à quel point de vue élevé se place l’apôtre. On va lui objecter : Comment parler ainsi d’un homme ? Aussi, dit-il, je ne prends pas cette parole au pied de la lettre, mais voici ce que je veux dire : Nous ne savons quel père ni quelle mère eut ce prince ; nous ne le voyons ni naître, ni mourir. – Eh bien ! alors, que conclure, dira-t-on ? De ce que nous ne savons rien, s’ensuit-il qu’il ne soit pas mort, qu’il n’ait pas eu de parents ? – Non, vous avez raison d’affirmer qu’il est mort, qu’il a eu des parents. – Comment donc est-il sans père ni mère ? Comment n’a-t-il ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie ? Comment ? En ce sens que l’Écriture n’en dit rien. – Et où va cette remarque ? – A dire que ce prince est sans père, parce qu’on ne donne pas sa généalogie, mais que Jésus-Christ possède ce privilège réellement et en toute vérité.

2. Voici donc un roi qui n’a ni commencement ni fin ; c’est-à-dire, que comme nous ignorons et son commencement et sa fin, parce que ces faits n’ont pas été écrits, ainsi les ignorons-nous de Jésus, non parce que l’Écriture n’en dit rien, mais parce qu’en réalité il n’a ni l’un ni l’autre. Parce que le premier est la figure, l’Écriture se tait sur son commencement et sa fin ; et parce que le second est la vérité, il n’a réellement ni commencement ni fin. Ainsi en est-il de leurs noms ; pour l’un, sa royauté de justice et de paix n’est qu’un pur titre sans réalité ; pour Jésus-Christ, il est tout cela véritablement. Comment donc a-t-il un principe ? Vous voyez que le Fils est sans principe, non dans ce sens qu’il existe sans cause, car c’est impossible : il a un père, autrement comment serait-il Fils ? Mais il est sans principe ἄωαρχος, en ce sens que sa vie n’a ni commencement ni fin. « Melchisédech est semblable au Fils de Dieu ». Où est la ressemblance ? C’est que de l’un comme de l’autre, nous ne savons ni le commencement ni la fin ; de l’un, il est vrai, parce que ces dates n’ont pas été écrites, et de l’autre, au contraire, parce que ces termes n’existent pas : voilà la ressemblance. Que si cette ressemblance portait sur tous les points, vous ne verriez pas d’un côté la figure, et de l’autre la vérité ; tous deux seraient figures. C’est ainsi que dans les portraits et images, vous trouvez et ressemblance et différence. Les traits et le dessin reproduisent la ressemblance ; mais les couleurs une fois posées, la différence s’accuse évidemment, on voit similitude ici, et là, dissemblance.

« Considérez donc combien grand il devait être, puisque Abraham même lui donna la dîme de ce qu’il y avait de meilleur (4) ». Il a fait ressortir la justesse de la figure. Enhardi dès lors, il montre qu’elle est plus glorieuse que les réalités juives elles-mêmes. Or, si par cela seul que ce roi portait en lui la figure de Jésus-Christ, il se trouvait ainsi plus grand et plus remarquable non seulement que les prêtres, mais même que cet Abraham, d’où sortait la tribu des prêtres, que direz-vous de la Vérité ? Voyez-vous comme il prouve surabondamment la supériorité de Jésus-Christ ? – « Regardez », dit-il, « combien est grand celui à qui Abraham donna la dîme de ce qu’il y avait de meilleur ». Cette expression « de meilleur », fait allusion aux dépouilles. Et l’on ne peut dire qu’Abraham les ait partagées avec lui, parce qu’il aurait pris part au combat. Paul a soin de vous faire observer que le patriarche était revenu de la défaite des rois, quand il le rencontra. Ainsi, nous dit-il, le prince était chez lui, quand Abraham lui donna les prémices du butin conquis par ses travaux.

« Aussi ceux qui, étant de la race de Lévi, entrent dans le sacerdoce, ont droit, selon la loi, de prendre la dîme du peuplé, c’est-à-dire de leurs frères, quoique ceux-ci soient sortis d’Abraham aussi bien qu’eux (5) ». Telle est la dignité du sacerdoce, dit-il, que des hommes égaux à d’autres par les ancêtres, n’ayant avec eux qu’un seul et même père et principe de leur commune famille, se trouvent cependant préférés et privilégiés de beaucoup à l’égard des autres, puisqu’ils prélèvent la dîme sur eux. Or, si vous trouvez un personnage qui reçoive la dîme de dès privilégiés eux-mêmes, n’est-il pas vrai que ceux-ci descendent dès lors au rang des laïques, et que lui prend place parmi les prêtres ? Il y a plus : le roi de Salem n’avait pas, du côté de la naissance, l’égalité d’honneur avec eux ; il était d’une autre race. Aussi Abraham n’eût-il point donné la dîme à un étranger, s’il n’avait reconnu en lui une grande supériorité d’honneur. Mais, ô ciel ! Que vient de démontrer le grand apôtre ? Une vérité incroyable, plus étonnante que celle qu’il a énoncée dans l’épître aux Romains. Car dans cette épître, il se contente de déclarer qu’Abraham est le chef et le premier père de notre religion, comme de celle des Juifs. Mais ici il ose plus encore à l’égard de ce patriarche, il montre qu’un incirconcis l’emporte sur lui de beaucoup. Et quelle preuve en donne-t-il ? C’est que Lévi a donné la dîme. Abraham, dit-il, en a fait l’offrande. – Et que nous importe, à nous, diront les Juifs ? – Mais beaucoup, sans doute, car vous ne pouvez prétendre que les lévites soient au-dessus d’Abraham. « Or, celui qui n’a point de place dans leur généalogie, prit la dîme sur Abraham ». Et pour ne point passer légèrement sur ce fait, il ajoute : « Et il bénit celui qui avait reçu les promesses ». Ces promesses étaient incontestablement la gloire des Juifs : saint Paul montre qu’ils sont inférieurs à cet étranger, en honneur et en gloire, et cela au jugement de tout le monde. « Or ; il est incontestable que celui qui reçoit la bénédiction, est inférieur à celui qui la donne », c’est-à-dire, d’après l’estimation commune, ce qui est moindre est béni par ce qui est plus grand. Donc ce roi, figure de Jésus-Christ, est plus grand que le dépositaire même des promesses.

« En effet, dans la loi, ceux qui reçoivent la dîme sont des hommes mortels ; au lieu que celui qui la reçoit ici n’est représenté que comme vivant (8) ». Mais pour qu’on ne lui dise pas Pourquoi invoquer ces siècles si lointains ? Que fait à nos prêtres, qu’Abraham ait donné la dîme ? Parlez de ce qui nous regarde nous-mêmes ? il continue et ajoute : « Et pour ainsi dire » (Paul fait bien de ne pas parler affirmativement, de peur de blesser trop ses lecteurs), « pour ainsi dire, Lévi l’a payée aussi lui-même dans la personne d’Abraham, lui qui la reçoit des autres ». Comment l’a-t-il payée ? – « Parce qu’il était encore dans Abraham son aïeul, lorsque Melchisédech vint au-devant de ce patriarche ». Entendez : Lévi était en lui, bien qu’il ne fût pas encore né, et par son père, il a payé la dîme. Remarquez : il ne dit pas : « Les lévites », mais : « Lévi », choisissant ainsi ce qu’il y a de plus grand pour mieux faire ressortir la supériorité de Melchisédech.

Avez-vous compris quelle distance sépare Abraham de Melchisédech, qui n’est cependant que la figure de notre pontife ? Encore l’apôtre nous y fait-il voir une prééminence de pouvoir, et non de nécessité. L’un, en effet, donné la dîme qui est un droit sacerdotal, l’autre donne la bénédiction qui prouve un pouvoir de supériorité et d’excellence. Cette prééminence a – passé jusqu’aux descendants. Et voilà comme Paul, par une victoire admirable et glorieuse, renverse l’édifice du judaïsme. Voilà pourquoi il leur disait : « Vous êtes devenus faibles ». (Heb 5,11) C’était une précaution qu’il prenait pour ne pas les faire regimber, en leur montrant trop brusquement la vérité. Telle est la prudence de Paul ; il n’aborde les questions qu’après y avoir préparé les esprits. Car l’esprit humain est difficile à persuader ; il demande pour être redressé plus de précautions que les plantés. On ne trouve en celles-ci que la nature des éléments et de la terre, qui obéit aux plains des laboureurs ; mais chez nous se rencontre la libre volonté de choisir, qui prend à son gré mille formes changeantes, et opte tantôt pour une chose, tantôt, pour l’autre, et qui a toujours une grande pente pour le mal.

3. Il nous faut donc constamment veiller sur nous-mêmes, pour ne jamais sommeiller. « Car », dit le Prophète, « il ne sommeillera pas, il ne dormira pas, celui qui garde Israël. N’exposez donc pas votre pied à chanceler ». (Psa 121,4) Il n’a pas dit : Ne soyez pas ébranlés, mais n’exposez pas, ne donnez pas : donner, exposer, cela dépend de nous, à l’exclusion de toute autre puissance. Car si nous voulons nous maintenir fermes, debout, immobiles, nous ne serons pas ébranlés. Ces paroles du Prophète insinuent ce sens.

Mais quoi ? La puissance même de Dieu n’a-t-elle ici aucune action ? – Certainement tout au monde est soumis à la divine puissance, mais de telle sorte que, notre libre arbitre n’en est aucunement, blessé. – Mais alors, si tout dépend de Dieu, direz-vous, pourquoi nous attribue-t-il la faute ? – Aussi bien ai-je dit : De telle sorte cependant que notre libre arbitre n’en est point blessé. L’œuvre dépend donc à la fois et de son pouvoir et de notre pouvoir. Il faut, en effet, que nous choisissions d’abord le bien, et après notre choix fait, Dieu apporte son concours. Il ne prévient pas nos volontés, pour ne pas anéantir notre liberté. Mais quand nous avons choisi, aussitôt il nous apporte un secours abondant.

Comment donc alors, si tel est notre pouvoir, Paul affirme-t-il que « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui « fait miséricorde ? » (Rom 9,16) – Je réponds d’abord que saint Paul ne donne pas ici son sentiment personnel, mais il conclut d’après le but qu’il se propose et d’après les prémisses qu’il a posées. Il vient de dire : « Il est écrit : Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j’aurai pitié de celui de qui il me plaira d’avoir pitié » ; il conclut : « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut, ni de celui qui court ; mais de Dieu qui fait miséricorde ». – Pourquoi donc alors Dieu nous blàme-t-i1, objecterez-vous ?

C’est qu’il est permis de dire du principal auteur d’une couvre qu’il a fait l’œuvre tout entière. Oui, le premier choix, la volonté est notre fait à nous. Parfaire et conduire l’œuvre à sa fin, est la part de Dieu. Or, comme cette part, qui est de beaucoup la plus importante, se trouve être la sienne, Paul lui attribue tout, et en cela il se conforme à nos idées et à notre langage humain ; nous ne faisons pas autrement, en effet. Par exemple, nous voyons un édifice admirablement construit, nous le rapportons en entier à l’architecte, et cependant la construction n’est pas entièrement de lui, mais des ouvriers aussi, mais du propriétaire qui fournit les matériaux, mais d’une foule d’autres agents. Mais comme l’architecte a plus contribué que personne, nous le disons auteur du tout. C’est ce qui arrive ici. – De même encore, en présence d’une foule où il y a beaucoup de monde, nous disons Tout le monde est là ; et s’il y a peu de monde, nous disons qu’on ne voit personne. C’est ainsi que Paul a dit dans ce passage : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court ; mais de Dieu, qui fait miséricorde ». II nous donne ainsi deux grandes et magnifiques leçons. La première, que nous ne devons pas nous enorgueillir de nos bonnes œuvres ;.la seconde, qu’il convient d’attribuer à Dieu la cause de nos saintes actions. Malgré votre course empressée, dit-il, malgré le zèle que vous déployez, ne regardez pas comme vôtre l’œuvre saintement faite. Car si vous n’obtenez pas le secours d’en haut, tout est vain. Toutefois, il est évident qu’avec cette aide puissante, vous atteindrez le but de votre effort : mais à la condition que vous saurez et courir et vouloir. L’apôtre ne dit pas : En vain courez-vous ! mais : En vain courez-vous, si vous croyez que tout dépend dé votre course, si vous n’attribuez encore plus le, succès à Dieu. Dieu n’a pas voulu que tout fût son couvre à lui seul, pour n’avoir pas l’air de nous couronner au hasard ; ni que tout vint de nous, pour ne pas nous exposer à l’orgueil. Car si, lorsque nous n’avons que la moindre part, nous concevons déjà un sentiment d’orgueil, un vain contentement de nous-mêmes, que ne ferions-nous pas si tout était en notre pouvoir ? Dieu a pris toutes les précautions possibles pour prévenir notre orgueil, Et d’ailleurs de combien de faiblesses sa main adorable nous a entourés, pour briser ainsi notre vaine gloire ? De combien de monstres il nous a environnés ? Car lorsque bien des gens s’écrient : Pourquoi ceci ? A quoi bon cela ? ils parlent contre les desseins de Dieu. Il vous a placés au sein de mille terreurs, et malgré cet état, vous n’avez pas encore d’humbles sentiments de vous-mêmes ; mais au moindre succès qui vous arrive, votre cœur s’enfle jusqu’au ciel !

4. Et voilà ce qui explique ces perpétuelles révolutions et ces misérables chutes, qui ne servent pas même à nous corriger. Voilà pourquoi les morts prématurées, bien que fréquentes, nous laissent encore l’orgueilleuse idée que personnellement nous sommes immortels, comme si le coup fatal ne devait jamais nous atteindre. De là nos rapines, nos attentats à la propriété d’autrui, comme si nous ne devions jamais en rendre compte. Ainsi nous bâtissons, comme si nous avions ici-bas une demeure permanente et éternelle, et ni la parole de Dieu qui retentit tous les jours à nos oreilles, ni les faits journaliers eux-mêmes ne nous servent de leçons. Il n’est pas un jour, pas une heure qui ne nous donne le spectacle de quelques convois funèbres. C’est en vain ! Rien ne peut toucher notre insensibilité. Nous ne pouvons, nous ne voulons même pas nous amender par les malheurs d’autrui. Alors seulement nous rentrons en nous-mêmes, quand seuls nous avons à gémir ; et si Dieu retient la main qui nous frappe, nous relevons aussitôt la nôtre pour commettre le mal.

Personne n’a de goût pour les choses spirituelles ; personne ne méprise la terre, personne ne regarde le ciel. Mais semblables à l’animal immonde dont l’œil abaissé cherche la terre, que son ventre y incline, qui se roule dans la fange, des hommes, et en, grand nombre, et sans même en être affectés, se souillent d’une boue sans nom ; car mieux vaut se souiller de fange que de péché. Ainsi souillé ; on peut être lavé bientôt et redevenir semblable à celui qui ire s’est pas d’abord plongé dans le bourbier. Mais celui qui se précipite dans le cloaque du péché, y contracte une souillure que l’eau ne saurait effacer, et qui exige bien du temps, une pénitence parfaite, des larmes et des sanglots, plus de gémissements et de plus amers que ceux que vous faites entendre sur les têtes les plus chères. Il est, en effet, telle ordure qui nous arrive du dehors et dont nous sommes bientôt débarrassés ; mais celles-ci naissent au-dedans de nous, et c’est à peine si tous nos efforts nous en purifient.

« C’est du cœur en effet », a dit Jésus-Christ, « que sortent les mauvaises pensées, les fornications, les adultères, les vols, les faux témoignages ». (Mat 15,19) Aussi le Prophète s’écriait : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu ». (Psa 1,12) Et un autre : « Lave les vices de ton cœur, ô Jérusalem ! » (Jer 4,14) Vous voyez ici encore que le bien dépend et de nous et Dieu. Et ailleurs : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ». (Mat 5,8) Faisons tous nos efforts pour nous rendre purs ; lavons nos péchés. Et comment peut-on les laver, le Prophète nous l’enseigne, en disant : « Lavez-vous, soyez purs ; ôtez vos vices de vos âmes devant mes yeux ». (Isa 1,16) Devant mes yeux, qu’est-ce à dire ? C’est que plusieurs paraissent être exempts de vices, mais devant les hommes ; au contraire, aux yeux de Dieu, ils ne sont que des sépulcres blanchis. Et c’est pourquoi il dit : Ôtez-les tels que je les vois. « Apprenez à « faire le bien, cherchez la justice, rendez-la au « petit et au pauvre, et puis venez et discutons « ensemble, dit le Seigneur. Et quand vos péchés « seraient comme la pourpre, je vous blanchirai « comme la neige ; et quand même ils seraient « comme l’écarlate, je vous rendrai blancs comme « la laine ». (Isa 1, 17-18) Vous voyez que nous devons commencer à nous purifier, et alors Dieu nous purifiera. Car après avoir dit d’abord : « Soyez purs », il ajoute:« Et moi je vous blanchirai ». Que nul donc, parmi ceux qui sont arrivés au faîte du crime, ne désespère de lui-même. Car, dit le Seigneur, quand même vous auriez revêtu le vêtement et presque la nature même du vice, ne craignez pas. Il ne s’agit pas de couleurs fugitives et sans consistance, mais de celles qui font partie de l’essence même du corps ; or, ceux qui en sont imprégnés peuvent retrouver un état tout contraire, car il ne parle pas seulement de les laver, mais de les blanchir comme la neige et comme la laine, afin de nous donner bon espoir.

Quelle est donc la vertu de la pénitence, puisqu’elle nous rend beaux comme la neige, blancs comme la laine, quand bien même le péché aurait déjà envahi et imprégné nos âmes ? Étudions-nous donc à devenir purs ; Dieu n’a pas fait un commandement difficile : rendez justice à l’orphelin, et traitez la veuve selon le droit. Vous voyez comment Dieu tient compte partout et toujours de la miséricorde et de la protection donnée à ceux qui sont sous le poids de l’injustice. Abordons ces bonnes œuvres et nous pourrons obtenir aussi par la grâce de Dieu les biens à venir. Puissions-nous tous en devenir dignes en Jésus-Christ Notre-Seigneur ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIII.

SI LE SACERDOCE DE LÉVI, SOUS LEQUEL LE PEUPLE A REÇU LA LOI, AVAIT PU RENDRE LES HOMMES PARFAITS, EUT-IL ÉTÉ BESOIN QU’IL PARUT UN AUTRE PRÊTRE, APPELÉ PRÊTRE SELON L’ORDRE DE MELCHISÉDECH, ET NON PAS SELON L’ORDRE D’AARON ? (VII, 11, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse.

  • 1-3. Le sacerdoce lévitique n’a rien perfectionné : aussi l’Ancien Testament lui-même annonçait un sacerdoce nouveau et éternel. – La tribu de Juda est appelée au sacerdoce dans la personne de Jésus-Christ ; elle se trouve désormais tribu royale et sacerdotale ; mais le pontificat n’a plus de succession charnelle. – La loi de crainte est abrogée et fait place à une loi de meilleure espérance. – Nous n’avons qu’un pontife désormais ; il est donc immortel et toujours prie pour nous. – Nous n’avons qu’un seul sacrifice ; encore Jésus ne l’a-t-il pas offert pour lui-même, puisqu’il était impeccable.
  • 4 et 5. Beaucoup différaient de recevoir le baptême, et le retardaient jusqu’à leur mort : conduite dangereuse, vrai mépris de la vertu en elle-même. – En se sauvant à la dernière heure, on n’arrive qu’à la dernière place au ciel : quelle honte ! – Pourquoi tarder d’accomplir des commandements si doux, que souvent les vices contraires sont plus pénibles même à la nature ?

1. « Si donc la perfection était l’œuvre du sacerdoce lévitique », dit l’apôtre, etc. Après avoir parlé de Melchisédech, et avoir montré qu’elle était sa prééminence sur Abraham, après avoir ainsi établi une grande différence, il continue à prouver la distance qui sépare les deux Testaments, dont l’un était imparfait, tandis que l’autre est la perfection même. Toutefois, il ne va pas au cœur même de son sujet ; il ne raisonne et ne combat d’abord que par la comparaison du sacerdoce et dé l’alliance ; car pour les incrédules d’alors ces preuves étaient plus saisissables, puisque la démonstration allait porter sur le dépôt même qu’ils avaient reçu.

Il a donc montré que Lévi et Abraham restent bien en arrière de Melchisédech, lequel, même de leur aveu, a eu rang parmi les prêtres. Il part maintenant d’une autre preuve ; et d’où ? Du sacerdoce chrétien comparé à celui des juifs. Et voyez ; je vous prie, son incomparable habileté ! La raison même qui, selon toute vraisemblance, devait exclure du sacerdoce Melchisédech qui n’était pas de la race d’Aaron, lui sert au contraire à l’y maintenir et à détrôner les autres. Et pour arriver à cette conclusion, il se pose à lui-même un doute : Pourquoi n’est-il pas dit (prêtre) selon l’ordre d’Aaron ? Et voici la solution qu’il donne : Et moi aussi, je me demande pourquoi il n’a pas été selon l’ordre d’Aaron ; car c’est ainsi qu’il faut entendre ce qu’il dit : « Si donc la perfection eût été l’œuvre du sacerdoce lévitique, etc. », et cette parole encore : « Pourquoi dès lors a-t-il été nécessaire », etc, phrase extrêmement significative. En effet, si Jésus-Christ était venu d’abord selon la chair pour être prêtre selon l’ordre de Melchisédech, et qu’après lui fût survenue la loi avec le sacerdoce d’Aaron, on aurait eu raison de conclure que le second fait était un perfectionnement qui anéantissait le premier, puisqu’il lui succédait. Mais si Jésus

Christ, au contraire, est postérieur à la loi, s’il a adopté un autre type sacerdotal, il est évident que tout le lévitisme est imparfait ; car supposons un instant, dit l’apôtre, que le sacerdoce antérieur à Jésus-Christ, celui d’Aaron, était parfait et ne laissait rien à désirer ; pourquoi donc dès lors l’Écriture nous parle-t-elle d’un prêtre selon l’ordre de Melchisédech et non selon l’ordre d’Aaron ? Pourquoi laisser Aaron et introduire un autre sacerdoce, à savoir, celui de Melchisédech, si la perfection se trouvait dans le sacerdoce lévitique, c’est-à-dire, si ce sacerdoce lévitique avait, au complet, toute la doctrine et de la foi et des mœurs ? Et remarquez, comme sans dévier d’un pas, l’apôtre avance

Il avait dit « selon l’ordre de Melchisédech » et avait montré que ce sacerdoce était le plus grand, parce que Melchisédech était plus grand qu’Abraham. Puis, il prouve encore la même chose par la considération du temps, en disant que, puisque le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech a paru après celui d’Aaron, c’est qu’il est plus grand.

Mais que signifient ces paroles qui suivent immédiatement : « Sous lequel [sacerdoce] le peuple a reçu la loi ? » Que veut dire « sous lui ? » C’est que par lui le peuple marche, le peuple fait tout par lui : on ne peut dire qu’il ait été donné à d’autres qu’à lui. C’est sous lui que le peuple a reçu la loi, c’est-à-dire, grâce à son ministère. Et l’on ne peut dire que la loi était parfaite, mais non imposée au peuple. Le peuple, dit l’apôtre, a reçu la loi sous lui, c’est-à-dire par son organe et intermédiaire. Qu’était-il donc besoin d’un autre sacerdoce, si celui-là était parfait ? « Car le sacerdoce étant transféré, il faut aussi que la loi le soit ». Si donc un autre prêtre, ou plutôt un autre sacerdoce est devenu nécessaire, il faut aussi nécessairement une autre loi. Ceci est à l’adresse de ceux qui disent : Qu’était-il besoin d’un Nouveau Testament ? Il aurait pu prouver ce besoin par les prophètes eux-mêmes : « Voici », disent-ils, « le testament, l’alliance que j’ai faite avec vos « pères ». Pour le moment, il n’argue que d’après le sacerdoce. Et voyez comme il brillait d’arriver à cette conclusion. Il a dit : Selon l’ordre de Melchisédech : c’était rejeter déjà le sacerdoce d’Aaron. Car si un autre sacerdoce a été introduit depuis lors, il a bien fallu aussi qu’il vint un autre testament. Car il est impossible qu’un prêtre soit sans testament, ni lois, ni préceptes ; ou qu’en recevant son sacerdoce, il se serve de l’antique alliance.

On pourrait lui objecter : Comment fut donc prêtre celui qui n’était pas lévite ? Mais comme il a établi plus haut comme vérité fondamentale la maxime contraire, il ne veut pas même résoudre une telle objection, et ne lui jette qu’en passant cette réponse : Je vous ai dit que le sacerdoce a été transféré ; donc aussi le testament ; et Dieu ne l’a pas seulement changé dans son mode et dans ses règles, mais même dans la tribu. Comment ? C’est que le sacerdoce est transféré d’une tribu à me autre, de la tribu sacerdotale à la tribu royale, de sorte qu’à l’avenir elle réunit sacerdoce et royauté. Or, voyez le mystère. De royale qu’elle était d’abord, elle est maintenant devenue sacerdotale. Ainsi s’est-il fait en Jésus-Christ. Lui qui fut toujours roi, a été fait prêtre quand il prit notre chair, quand il offrit le sacrifice. Voyez-vous le changement ? Ce qu’on lui présentait comme une objection, l’apôtre l’établit précisément et par la seule logique des faits. « En effet, celui dont ces choses ont été prédites », nous dit-il, « est d’une autre tribu dont personne n’a jamais servi à l’autel ; puisqu’il est manifeste que Notre-Seigneur est sorti de Juda, tribu à laquelle Moïse n’a jamais attribué le sacerdoce (13, 14) ». L’apôtre dit donc équivalemment : Et moi aussi je sais qu’il n’a eu aucune part à votre sacerdoce ; que nul de cette tribu ne l’a exercé, comme le montre évidemment cette affirmation : « Nul n’a jamais servi à l’autel ». Tout est donc transféré. Ainsi était-il nécessaire que la loi ancienne et l’Ancien Testament fussent transférés, puisque la tribu [sacerdotale] elle-même a été changée.

2. Or, voyez comme il va dévoiler une autre différence que celle que lui fournit déjà ce changement de tribu. Il ne lui suffit pas de montrer la différence immense qui résulte de la tribu, de la personne, de la manière, du testament, mais il va la prouver par le personnage figuratif. « Lequel [Melchisédech] n’est point établi selon la disposition d’une loi charnelle, mais par la puissance de sa vie immortelle (16) ». – Il a été fait prêtre, dit-il, non pas selon la disposition d’une loi charnelle ; car cette loi, dans sa plus grande partie, n’était point légitime ; et l’apôtre a raison de l’appeler une loi charnelle ; car tous ses règlements étaient charnels. Car voici ce qu’elle commandait : Coupez votre chair, oignez votre chair, lavez votre chair, purifiez votre chair, tondez votre chair, liez votre chair, nourrissez votre chair, donnez le repos à votre chair ; ne sont-ce pas, je vous prie, autant de lois charnelles ? Que si vous voulez savoir quels biens elle promettait, écoutez : Longue vie à votre chair, était-il dit, à votre chair lait et miel, paix à votre chair, plaisir à votre chair. C’est d’une telle loi qu’Aaron reçut le sacerdoce, mais non pas certes Melchisédech.

« Et ceci parait encore plus clairement, en ce qu’il se lève un autre prêtre selon l’ordre de Melchisédech (15) ». Qu’est-ce qui parait clairement ? La différence qui est très-grande entre les deux sacerdoces, et l’incontestable prééminence du personnage qui n’a pas été fait prêtre par la disposition d’une loi charnelle. Et qui est celui-ci ? Est-ce Melchisédech ? Non, mais Jésus-Christ, qui l’est par la vertu de sa vie immortelle ; ainsi que l’Écriture le déclare par ces mots : « Vous êtes le Prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech (17) », c’est-à-dire, non pour un temps, non pour finir, mais selon la vertu d’une vie immortelle. Par ces paroles, il nous montre que Jésus a été fait prêtre par sa vertu et par celle de son Père, par sa vie qui n’a point de fin. Toutefois, ceci ne s’ensuit pas logiquement de ce qui a été dit plus haut : « il n’a pas été fait prêtre par la disposition d’une loi charnelle » ; le raisonnement exigeait : Il l’a été par une loi spirituelle. Mais, par « charnel » l’apôtre entend plutôt temporel, comme quand il dit ailleurs : Ces lois ne devaient durer que jusqu’à un temps meilleur, elles n’étaient que des justifications charnelles, en attendant la vertu de la vie ; c’est-à-dire, en attendant celui qui vit par sa propre vertu. Après avoir dit que la loi subit un changement, et montré la nature de ce changement, il en cherche la cause, satisfaisant ainsi l’esprit humain, qui aime à savoir la cause de tout, et gagnant d’ailleurs ainsi notre confiance, puisqu’il nous apprend la cause et la raison de cette mutation.

« Car la première loi est réprouvée comme étant impuissante et inutile (18) ». Ici les hérétiques s’élèvent contre nous et nous disent : Voilà Paul qui déclare la loi mauvaise ! Mais soyez attentifs et remarquez qu’il ne dit pas : Elle est rejetée comme vicieuse et dépravée, mais comme impuissante et inutile. Il a déjà montré ailleurs cette impuissance, quand il disait par exemple : « Dans cette loi on était infirme par la chair » ; nous étions donc infirmes, et non pas la loi.

« Car la loi n’a rien conduit à la perfection (19) ». Qu’est-ce à dire, elle n’a rien conduit à la perfection ? Elle n’a rendu parfait aucun homme, parce qu’aucun ne lui obéit ; et quand bien même on l’eut écoutée, elle n’aurait pu produire la perfection, la vraie vertu. Pour le moment, il n’affirme pas même cela, et se contente de dire qu’elle n’a pas eu de force. Et c’est' vrai ; c’était la condition des lettres sacrées mêmes : Faites ceci, ne faites pas cela ; elles ne pouvaient que proposer, sans apporter en même temps la force et le pouvoir d’accomplir le précepte. Telle n’est pas la véritable espérance. Pourquoi dit-il « réprouvée ? » Comprenez : Rejetée. Et sur quoi porte ce rejet, il l’indique : « Sur la loi précédente », désignant ainsi la loi [mosaïque] qui a été rejetée à cause de son impuissance. La réprobation, c’est l’abrogation, la destruction de règles qui jusque-là avaient force et vigueur. C’est assez dire que la loi eut dans un temps vigueur et force, mais que plus tard elle fut vouée au mépris, pour n’avoir rien produit. La loi n’a donc servi de rien ? Au contraire, elle eut son utilité, sa grande utilité même, mais elle ne servit aucunement à créer des hommes parfaits ; car elle-même n’a rien perfectionné. L’apôtre dit que la loi n’a rien parfait, parce que sous son règne tout était figure, tout était vaine ombre, circoncision, sacrifice, sabbat. Ces institutions n’ont pu arriver jusqu’aux âmes, et partout elles cèdent et se retirent.

« Mais voici que s’introduit une espérance meilleure par laquelle nous nous approchons de Dieu. Et de plus, ce sacerdoce n’est pas établi sans serment ». Vous voyez qu’ici encore le serment a été nécessaire, et ceci vous explique pourquoi, précédemment, il a discuté avec tant de sagesse cette question du serment de Dieu, et la raison qui le détermine à jurer pour que notre conviction soit plus certaine et plus pleine. – Voici « l’introduction d’une meilleure espérance » qu’est-ce à dire ? La loi aussi avait une espérance, mais non telle que celle-ci,-ses observateurs espéraient posséder la terre et ne pas trop souffrir. Et nous, nous espérons qu’en faisant la volonté de Dieu, nous posséderons non pas la terre, mais le ciel ; que dis-je ? nous espérons bien mieux encore : c’est que nous serons auprès de Dieu, que nous arriverons jusqu’à ce trône de notre Père, et que nous le servirons avec les anges. Car Paul disait plus haut : « Nous entrons jusqu’au-delà du voile » ; mais ici : « Par elle nous approchons jusqu’à Dieu ».

« Et de plus, ce n’est pas sans un serment de sa part ». Qu’est-ce à dire : « Et de plus, ce n’est pas sans un serment ? » C’est cela même : non sans un serment ; et voilà une autre différence ; car nos promesses ne sont pas sans raison, dit-il, « Car au lieu que les autres prêtres ont été établis sans serment, celui-ci l’a été avec serment, Dieu lui ayant dit : Le Seigneur a juré, et son serment demeurera immuable : Vous êtes le Prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech ; tant il est vrai que l’alliance dont Jésus est le médiateur est plus parfaite que la première ; aussi y a-t-il eu autrefois successivement plusieurs prêtres, parce que la mort les empêchait de l’être toujours ; mais comme celui-ci demeure éternellement, il possède un sacerdoce qui est éternel (21-24) ».

L’apôtre établit deux différences le sacerdoce nouveau, contrairement au sacerdoce légal, n’a pas de fin et s’appuie sur, un serment. Il le prouve par Jésus-Christ qui le reçoit et en remplit les fonctions, en effet, selon la vertu d’une vie immortelle. Il démontre le second point par le serment qu’il cite et par la nature même du pontificat ; le précédent a été rejeté pour cause d’impuissance ; celui-ci reste et demeure parce qu’il est puissant et fort ; le prêtre nouveau lui fournit aussi une preuve, et comment ? C’est qu’il est seul et unique ; et il ne serait pas seul, s’il n’était immortel. Car comme les prêtres ne sont nombreux que parce qu’ils sont sujets à la mort, ainsi dans le cas pré sent, le prêtre est unique parce qu’il est immortel. Et Jésus est devenu le garant d’une alliance d’autant meilleure, que Dieu lui a juré de le maintenir prêtre à jamais, serment qu’il n’est point fait, si Jésus n’était vivant.

3. « C’est pourquoi il est toujours en état de sauver ceux qui s’approchent de Dieu par son entremise,.étant toujours vivant afin d’intercéder pour nous (25) ». Vous voyez qu’en parlant ; ainsi, Paul considère Jésus dans son humanité. En le montrant comme prêtre, il le déclaré aussi, tôt notre intercesseur. Nous affirmer qu’il intercède pour nous, c’est sous-entendre qu’alors il agit comme prêtre. Car de celui qui, à son gré, ressuscite les morts et qui donne la vie comme le Père, comment dit-on qu’il intercède, lorsqu’il devrait sauver ? Comment intercède Celui à qui appartient tout jugement ? Comment intercède Celui qui envoie les anges pour jeter ceux-ci dans la fournaise et sauver ceux-là ? Aussi l’apôtre dit : « Il peut sauver », et il sauve, parce que lui-même ne meurt point. Et parce qu’il ne meurt pas et qu’il vit à jamais, il n’a pas, selon l’apôtre, de successeur. Et s’il n’a pas de successeur, c’est qu’il, peut défendre tous les hommes. Car, en Israël, le pontife, bien qu’admirable, ne durait qu’autant que sa vie même ; ainsi Samuel, ainsi tous ceux qui revêtirent cette dignité ; ensuite, ils n’étaient plus rien, puisqu’ils mouraient. Pour le nôtre, c’est l’opposé, il sauve à tout jamais. Qu’est-ce à dire : « À tout jamais ? » Ceci donne à entendre quelque grand mystère. Ce n’est pas ici-bas seulement, nous répond saint Paul, c’est dans l’autre vie aussi qu’il sauve tous ceux qui par lui s’approchent de Dieu. Comment les sauve-t-il ? C’est qu’il est toujours vivant afin d’intercéder pour eux. Remarquez-vous l’humilité de sa très-sainte humanité ? Car il ne dit pas qu’une fois par hasard il remplira ce rôle ; mais toujours, mais tant qu’il sera besoin, il prie pour eux à tout jamais. Que signifie encore « à tout jamais ? » non seulement dans le temps présent, mais jusque dans la vie future. Il a donc toujours besoin de prier ? Et par quelle convenance s’y soumet-il ? Souvent des justes, par une seule prière, ont tout obtenu : et lui doit toujours prier ? Pourquoi donc est-il assis sur un trône ? Voyez-vous que c’est par condescendance que l’apôtre tient ce langage humble ? Voici ce que saint Paul veut nous faire comprendre : Ne craignez pas, dit-il ; et ne dites pas : Certainement il nous aime, et il a toute liberté de parler à son Père, mais il ne peut pas toujours vivre. Au contraire, il vit toujours.

« Car il était convenable que nous eussions un « pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé, des pécheurs (26) ». Vous voyez que tout cela est dit de son humanité. Mais quand je dis l’humanité, je parle d’une humanité qui possède la divinité ; ne partageant pas Jésus, mais vous donnant facilité de mieux comprendre ce qui convient. Avez-vous vu la différence de pontifes ? Il résume ce qu’il a dit plus haut. « Il a été éprouvé de toutes manières, sauf par le péché, pour nous ressembler ». Tel convenait-il que fût notre pontife, saint, innocent. Qu’est-ce à dire, « innocent ? » Ni méchant, ni trompeur ; ce qu’un autre Prophète exprime ainsi : « Le mensonge n’a pas été trouvé sur ses lèvres ». Qui parlerait ainsi de Dieu, et ne rougirait de dire qu’un Dieu n’est ni menteur ni fourbe ? Mais de Jésus selon la chair il convient de déclarer qu’il est saint. « Sans tache » : vous ne direz rien de pareil de Dieu, parce que sa nature est telle qu’elle ne peut être souillée. « Séparé des pécheurs », Ceci n’indique-t-il qu’une différence, et ne rappelle-t-il pas son sacrifice ? Oui, son sacrifice aussi, et comment ?

« Qui ne fût point obligé, comme les autres prêtres, d’offrir tous les jours des victimes, premièrement pour ses péchés, et ensuite pour ceux du peuple ; ce qu’il a fait une fois en s’offrant lui-même (27) ». Ces paroles sont comme l’introduction à ce qu’il dira touchant l’excellence du sacrifice spirituel. Déjà il u marqué la différence de prêtre et la différence de testament. Il ne l’a pas traitée entièrement : mais il l’a indiquée déjà cependant. Ici, il donne en quelque sorte le prélude du sacrifice même. N’allez pas croire, quand vous entendez parler de Jésus comme prêtre, qu’il remplisse toujours la fonction du sacerdoce. Il a rempli cette charge dé sacrificateur une fois, et maintenant il s’est assis pour toujours. Ne pensez pas que parmi les habitants de la cour céleste,.il soit debout, agissant comme ministre. C’est là l’œuvre de l’incarnation. En devenant esclave, il devint aussi prêtre et ministre. Mais de même que devenu esclave, il n’est pas demeuré esclave ; de même s’il s’est fait ministre, il n’est pas resté ministre : la marque du serviteur, eu effet, ce n’est pas d’être assis, mais debout. Ces paroles marquent donc la grandeur de son sacrifice qui, bien qu’unique, a suffi cependant ; et bien qu’offert une seule fois, eut une valeur que n’ont pas eue tous les sacrifices du monde. Mais nous n’avons pas encore à traiter ce sujet.

« Il l’a donc fait une fois », ce sacrifice, dit saint Paul. Lequel ? Le sacrifice « nécessaire », nous répond-il encore ; il lui a fallu trouver une offrande aussi ; « non pas pour lui-même » : comment offrirait-il pour lui, étant impeccable ? Mais « pour le peuple ». Que dites-vous, ô Paul ! Il n’a pas besoin d’offrir pour lui-même, et telle est sa puissance ? Certainement, nous répond-il. Car pour vous empêcher de croire que cette affirmation : « Il l’a fait une fois », s’applique aussi à lui, écoutez ce que l’apôtre ajoute : « Car la loi établit pour pontifes des hommes faibles », c’est pourquoi ils offrent toujours pour eux-mêmes ; mais celui-là, qui est si puissant, qui n’a pas même de péché, pourquoi offrirait-il pour lui-même ? Donc ce ne fut pas pour lui-même, mais pour le peuple qu’il offrit, et qu’il n’offrit qu’une fois.

« Mais la parole de Dieu, confirmée par le serment qu’il a fait depuis là loi, établit pour pontife le Fils qui est parfait à jamais ». Parfait, qu’est-ce à dire ? Paul n’établit pas d’antithèses rigoureuses. Il disait des autres prêtres qu’ils sont faibles, il ne dit pas que le Fils est puissant, mais « parfait », ce qui comprend la puissance ; et vous pourriez ajouter : Voyez-vous que le nom de Fils est ici rappelé par opposition à esclave ? Par faiblesse, ici, il entend ou le péché ou la mort. – Mais que veut dire : « A jamais parfait ? » Inaccessible à tout péché, non seulement maintenant, mais toujours. Si donc il est parfait, s’il ne pèche jamais, s’il est toujours vivant, pourquoi offrirait-il pour nous plusieurs sacrifices ? Mais il n’insiste pas sur ce point ; il s’appesantit seulement sur cette vérité : qu’il n’offre pas pour lui-même.

Puis donc que nous avons un tel pontife, imitons-le, marchons sur ses traces. Plus d’autre sacrifice que le sien : un seul nous a purifiés ; au-delà, il n’y a plus que l’enfer et le feu. C’est pour cela que Paul remue ciel et terre pour nous répéter que nous n’avons qu’un prêtre, qu’un sacrifice ; de peur que s’imaginant qu’il y en a plusieurs, quelqu’un ne pèche avec assurance.

4. Nous tous donc qui avons été admis à la dignité de chrétiens, et qui avons reçu le caractère baptismal, nous tous qui avons eu part au sacrifice, nous tous qui avons participé à la table immortelle ; conservons intacte notre noblesse et notre honneur : car une chute ne serait pas sans u' immense danger. Quant à ceux qui n’ont pas été ennoblis par de semblables honneurs, qu’ils n’aient pas pour cela une triste confiance. Quand un homme pèche, en effet, avec l’idée de recevoir le baptême au dernier soupir, souvent il ne reçoit pas cette grâce. Croyez-moi : ce n’est pas pour vous épouvanter que je poursuis ce que j’ai à dire. J’en connais plusieurs à qui ce malheur est arrivé ; dans l’espoir et l’attente de ce sacrement de l’illumination, ils péchaient beaucoup ; et au terme de leurs jours, ils sont partis vides et nus. Car c’est pour briser les chaînes du péché et non pour les multiplier, que Dieu a donné le baptême. S’en servir pour pécher plus à l’aise, c’est se créer des raisons de lâcheté et de négligence. Si le bain sacré n’existait pas, tel vivrait avec plus de précaution, parce qu’il n’aurait pas de pardon à espérer. Vous connaissez le détestable principe : Faisons le mal pour que le bien s’ensuive ; c’est nous qui pratiquons ce principe et voulons qu’on le répète ! Aussi, je vous en prie, vous qui n’avez pas encore été initiés aux saints mystères, réveillez-vous. Que nul n’aborde la pratique de la vertu en vrai mercenaire, en véritable ingrat ; que personne n’y entre comme dans une entreprise pénible et ennuyeuse. Non ! mais approchons avec un cœur allègre, une âme joyeuse ! Quand bien même, en effet, on ne nous proposerait aucune récompense, ne faudrait-il pas être vertueux ? Soyons-le donc encore avec l’espoir d’une récompense. N’est-ce pas ici une honte et le comble du déshonneur ? Si vous ne me donnez point de salaire, dites-vous, je ne veux être ni modeste ni tempérant. Eh bien ! moi, j’ose vous dire que vous ne serez jamais tempérants ni modestes, si vous voulez l’être pour un salaire. Vous n’estimez point la vertu, si vous ne l’aimez pas. Et toutefois Dieu, à cause de notre infirmité, a bien voulu y attacher une récompense ; et nous, même à ce prix, nous n’en essayons point.

Or, supposons, si vous le voulez, qu’un homme meure, après avoir commis des péchés sans nombre, et cependant après avoir reçu le baptême, ce qui, à mon sens, n’arrivera pas de sitôt. Comment cet homme partira-t-il pour le ciel ? S’il n’est plus accusé du mal qu’il aura commis ; il est certain cependant qu’il ne jouira pas d’une grande confiance. Car après avoir vécu un siècle, il ne montre dans sa conduite qu’un bien, c’est qu’il n’a plus de péchés ; je me trompe, il ne peut même montrer si peu ; il est sauvé uniquement par la grâce : or, quand il verra les autres élus couronnés, glorieux, environnés d’honneur et d’estime, quoiqu’il ne tombe pas en enfer, supportera-t-il, dites-moi, l’angoisse et la honte qui tourmenteront son âme ?

Un exemple éclaircira ma pensée. Voici deux soldats ; l’un est voleur, habitué à l’injustice, ravisseur du bien d’autrui ; l’autre, au contraire, se conduit en brave, s’illustre par des hauts faits, se couvre de trophées en trempant ses mains dans le sang des ennemis. Plus tard, quand le moment est venu, on vient le prendre dans le rang où était avec lui le soldat voleur, on le conduit soudain au trône impérial, on le revêt de pourpre ; tandis que l’autre est maintenu à sa place vulgaire, et ne doit qu’à la clémence du souverain de n’être pas puni de ses crimes ; mais il reste au dernier plan, mais on lui assigne sa place loin de l’empereur : supportera-t-il, dites-moi, le poids de son chagrin et de ses remords, quand il verra ainsi son compagnon d’armes élevé au faîte des dignités, parvenu au comble de la gloire, dictant des lois au monde entier, lorsque lui-même reste au plus bas degré, et ne peut même s’honorer d’avoir échappé au supplice, cet honneur appartenant tout entier à la clémence et au pardon de son prince ! Ah ! quand bien même le souverain l’aurait relâché et lui aurait pardonné ses crimes, il ne vivra que couvert de honte et d’ignominie ; il ne sera pas, certes, admiré des autres, car dans le cas d’une grâce semblable, on n’admire pas celui qui la reçoit, mais celui qui l’accorde ; plus est grand le don octroyé, plus est affreuse la honte de celui qui en est l’objet, puisqu’il suppose de grands crimes commis.

De quels yeux donc un tel chrétien pourra-t-il voir ceux qui sont dans la cour céleste, et qui montrent et leurs blessures et leurs travaux innombrables, lorsque lui-même ne pourra rien montrer, lorsqu’il ne devra qu’à la bonté et à la clémence de Dieu d’être relâché sain et sauf ? Tel qu’un homicide, un voleur, un adultère prêt à marcher au dernier supplice, et qu’un haut personnage s’est fait donner à discrétion, et qu’il fait tenir à la porte de son palais : le misérable n’osera, d’ailleurs, regarder personne en face, bien qu’après tout il ait échappé au coup fatal : tel sera ce chrétien.

5. Car de ce qu’on appelle ce séjour la cour céleste, n’allez pas croire que tous y occupent le même rang. Dans les cours de nos princes, vous voyez des premiers officiers, et tous ceux qui font cortège au souverain, et toutes sortes de bas officiers, et jusqu’à ces licteurs qui occupent l’emploi appelé de Décan ; tous s’y rencontrent, bien, qu’entre le licteur et le grand officier, la distance soit immense. Bien plus grandes encore seront les différences dans la cour céleste. Et je ne dis pas cela de moi-même, car saint Paul établit une autre différence bien autrement considérable que. toutes celles-là. Les différences qui se remarquent entre les astres, depuis le soleil jusqu’à la lune, jusqu’aux étoiles, jusqu’à la moins brillante de celles-ci, ne sont pas en plus grand nombre ni plus grandes que celles qui existent entre les habitants de la cour divine. Or, qu’entre le grand officier et le licteur il y ait une distance bien moindre qu’entre le soleil et la moindre étoile, c’est chose évidente à tous les yeux ; car le soleil éclaire à la fois et réjouit la terre tout entière, et, sa lumière éclipse la lune et les étoiles ; et telle petite étoile ne parait peut-être même jamais et reste perdue dans les ténèbres, car il est bien des étoiles que nous n’apercevons même pas.

Quand donc nous verrons les autres devenir des soleils, tandis que nous irons prendre la place des moindres étoiles, de celles qui ne se devinent même pas, quelle consolation nous restera-t-il ? Ah ! je vous en prie, ne soyons pas ainsi tardifs ; lourds et lâches ; ne traitons pas l’affaire du salut dont Dieu est l’enjeu, de façon à la changer en œuvre de loisir ; exerçons sur elle un saint négoce, sachons la faire valoir et la multiplier. Car enfin chacun ici, fût-ce un catéchumène, chacun connaît cependant Jésus-Christ, chacun apprécie la foi, entend la divine parole, approche plus ou moins de la connaissance de Dieu, et sait la volonté de son maître.

Pourquoi ces délais, ces hésitations, ces retards ? Rien n’est – meilleur qu’une vie vertueuse polar ce monde comme pour l’autre, pour les fidèles baptisés et pour les catéchumènes. Car, je vous le demande, quel est le commandement qui soit pour nous lourd et intolérable ? Ayez, Dieu le dit, ayez une épouse et soyez modéré et continent : est-ce donc difficile ? Comment le prétendre, lorsque tant de personnes même sans épouse savent être chastes, non seulement parmi les chrétiens, mais parmi les gentils ? Une passion que le gentil domine par vanité, ne sauriez-vous l’éviter, vous, par crainte de Dieu ? – « Donnez », Dieu le dit, « donnez aux pauvres suivant vos moyens » : est-ce un devoir lourd et intolérable ? Maïs ici encore les gentils nous accusent, eux qui, par vaine gloire, jettent parfois leur fortune entière à pleines mains. – Ne tenez point de discours obscènes. Est-ce difficile ? Ne devrions-nous pas nous conduire assez honnêtement pour y voir notre propre déshonneur ? C’est le contraire, c’est ; veux-je dire, tenir des discours dés honnêtes qui est une difficulté, et vous le voyez avec évidence, par ce fait qu’on a la honte au cœur et la rougeur au front, lorsqu’on a laissé échapper des paroles de ce genre, qu’on ne prononcera pas, à moins d’être ivre. Pourquoi, en effet, une fois assis sur la place publique, n’y faites-vous plus ce que vous vous permettez peut-être à la maison ? N’êtes-vous pas retenu par les témoins qui sont là ? Pourquoi ne le feriez-vous pas même en présence de votre femme ? N’est-ce as de peur de la couvrir de honte ? Or, ce que vous ne faites pas par respect pour votre épouse, comment ne rougissez-vous pas de le faire en outrageant Dieu ? car il est présent partout, il entend tout. – Gardez-vous de vous enivrer c’est simple et beau. L’ivresse par elle-même n’est-elle pas un supplice ? Dieu ne vous dit pas : Disloquez votre corps ; mais quoi ? Ne vous enivrez pas, c’est-à-dire ne le dégradez pas au point de faire perdre à l’âme sa royauté. Quoi donc ? Faut-il refuser tous les soins à son corps ? Arrière cette doctrine ; je ne la prêche pas ; Paul a formulé ainsi le précepte : « N’ayez aucun souci de la « chair dans ses mauvais désirs » (Rom 13,14) ; ne vous prêtez jamais à sa concupiscence. – Ne ravissez pas ce qui n’est point à vous ; gardez-vous d’envahir par avarice le bien d’autrui ; ne commettez point de parjure. Faut-il, pour accomplir ces devoirs, beaucoup travailler, beaucoup suer ? N’accusez pas, est-il dit, ne calomniez pas : est-ce donc pénible ? C’est le contraire qui est pénible. Car lorsque vous prononcez une parole de détraction, vous êtes en danger ; vous tremblez d’avoir été entendu par la personne, considérable ou chétive, dont vous avez ainsi parlé. Si c’est un grand de ce monde, vous êtes de fait en danger ; si c’est un petit selon le siècle ; il vous rendra la pareille, il vous paiera même avec usure, il vous attaquera par des discours plus malveillants. – Non, sachons vouloir, et aucun précepte ne sera pour nous lourd ni difficile. Mais si nous n’avons pas de volonté, tout ce qui est le plus facile nous paraîtra malaisé. – Quoi de plus facile que de manger ? Mais telle est la mollesse de quelques gens, qu’ils trouvent même cette fonction pénible. Et j’entends plusieurs personnes dire que manger est un travail. Aucune fonction n’est laborieuse, si vous le voulez, car avec la grâce céleste tout repose sur votre volonté. Veuillons donc le bien, afin de gagner aussi les biens éternels, par la grâce et la bonté, etc.
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