Isaiah 1
ABRÉGÉ DES CHOSES DITES PAR LE PROPHÈTE ISAÏE.
Accusation d’Israël, ses malheurs, ses sacrifices réprouvés, exhortation à une vie meilleure. Prophétie concernant l’Église et la paix à venir. Accusation d’Israël et futurs malheurs du siège. Reproches aux Juifs pour leur vie sensuelle et leur orgueil. Réprobation d’Israël caché sous la similitude de la vigne. Il reproche aux princes d’Israël leur avarice et les excès de l’ivresse, et il leur annonce la désolation future. Il menace ceux qui honorent les faux prophètes et non les vrais prophètes. Il annonce l’arrivée de leurs ennemis. Il a une vision dans laquelle ses lèvres sont purifiées. Le roi de Syrie fait la guerre à Jérusalem avec les Israélites, et Isaïe prophétise touchant le Christ, touchant la ruine de Jérusalem et la venue de Nabuchodonosor. Prophétie sur ceux qui croiront au Christ. De la puissance, de l’orgueil et de la ruine de l’Assyrien. De ceux qui ont foi dans le Christ, de sa génération selon la chair ; de la mansuétude de ceux qui croient en lui. Il prophétise la ruine de Babylone et des nations étrangères. Ruine des Moabites. Prophétie sur le Christ. Ruine de Damas ; calamités et salut d’Israël. Ruine de l’Égypte. Il annonce par allégorie les maux qui fondront sur les nations qui ne croiront pas au Seigneur et le châtiment de leur incrédulité. Isaïe reçoit l’ordre de se promener nu. Guerre des Mèdes et des Babyloniens contre l’Idumée et l’Arabie. Dernier siège de Jérusalem par Nabuchodonosor. Prophétie faite à Sobna, le trésorier, concernant sa ruine. Les trésoriers ou gardiens des richesses du temple étaient de la race sacerdotale. Ruine de Tyr et ensuite son salut ; paroles allégoriques concernant les églises. Ruine de Babylone par les Mèdes et, pour cet événement, grâces rendues à Dieu par le prophète. Prophétie sur ceux qui croient au Christ, sur la ruine future de l’empire de Satan par le Christ, sur son avènement selon la chair. De la foi au Christ. Accusation contre Israël parce qu’il a cessé de mettre en Dieu son espérance pour la placer dans les Égyptiens ; maux qui lui arriveront, prospérité qui suivra. Il prophétise en cet endroit sur l’Église du Christ, sur le retour des nations vers le Christ et sur la ruine de Jérusalem. Histoire de l’Église sous le nom de l’Idumée et de Jérusalem, c’est-à-dire, en recourant au sens anagogique, récit de la désolation des Juifs et de la prospérité de l’Église du Christ. Histoire de Sennachérib. Prophétie sur Jean le précurseur et ceux qui croiront au Christ. Démonstration de la puissance de Dieu. Accusation d’Israël à cause de son idolâtrie, et énumération des bienfaits accordés au peuple. De la constitution de l’Église ; de la faiblesse des idoles et de leur impuissance. Prophétie concernant le Christ et ceux qui croiront en lui. Reproches faits à Israël, à cause de ses péchés. Il déclare que leur désobéissance a attiré sur eux les calamités qui les ont accables. De la foi au Christ. Que le Seigneur a permis au peuple de ne pas sacrifier et qu’il ne demande pas le culte des sacrifices. Prophétie sur, ceux qui ont foi dans le Christ. Démonstration de la faiblesse des idoles et preuve de la puissance de Dieu. Ruine de Babylone ; démonstration de la dureté du cœur des Juifs ; prophéties heureuses. Prophétie concernant le Christ et consolation de Jérusalem. Prophétie sur les apôtres et sur le Christ. De la naissance du Christ selon la chair, de sa passion, de sa résurrection, de la multitude de ceux qui croiront en lui. Du Christ et d’Israël, selon l’histoire ; de ceux qui croiront au Christ, selon le sens anagogique. Accusation contre les Juifs à cause de leur idolâtrie. Condamnation de leurs jeûnes et annonce d’un jeûne plus agréable à Dieu. Reproches à cause de leurs œuvres perverses et de leurs conseils iniques ; prophétie sur ceux qui croient dans le Christ. Prophétie touchant le Christ et les guérisons du corps et de l’âme accomplies par lui ; des apôtres et des autres croyants. De sa passion. Confession du prophète au nom de tout le peuple ; confusion de leur incrédulité par le Seigneur. Élection de ceux qui croient en lui et accusation de l’idolâtrie des Juifs. De ceux d’entre les Juifs qui croient en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Accusation de ceux qui ne croient point à la vie future.COMMENTAIRE SUR ISAÏE.
AVERTISSEMENT.
Ce commentaire mérite d’être rangé non seulement parmi les œuvres authentiques, mais encore parmi les plus remarquables de saint Jean Chrysostome, tant pour le style et l’éloquence que pour les préceptes de morale et de conduite qu’il renferme. – Que ce commentaire ait été écrit et non prêché, c’est ce dont sa forme elle-même ne permet, guère de douter. – Tillemont conjecture avec assez de vraisemblance que saint Chrysostome composa ce commentaire à Antioche, soit dans le désert où il vécut quelque temps parmi les solitaires, soit peut-être après sa promotion au diaconat. – La division en chapitres que présente ce commentaire a été faite par quelque moderne d’après notre Vulgate, parce que la version des Septante que suivait l’auteur était divisée différemment.PRÉFACE.
Éloge du prophète Isaïe. – Que les saints et les prophètes sont animés d’un grand amour envers les peuples. Le mérite excellent de ce prophète se voit très bien dans ses œuvres, mais ce qui le fait voir non moins parfaitement, c’est le témoignage qu’en rend celui qui, plus que tout autre, était capable d’apprécier ses qualités. Je veux dire saint Paul dont l’Esprit-Saint lui-même dictait les paroles. Le langage franc d’Isaïe, sa pensée toujours libre, ses sentiments élevés, la clarté de ses prophéties sur le Christ, toutes ses qualités, l’Apôtre nous les montre par un seul mot, en disant : « Isaïe ne craint pas de dire j’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas. » Sa compassion pour les maux de ses frères est bien grande aussi il ne s’est pas seulement élevé contre la folie du peuple, il n’a pas seulement, dans un langage libre et avec une pensée élevée, annoncé aux Juifs les châtiments qui les puniraient, mais quand ce qu’il avait prédit est arrivé il souffre, il est tourmenté non moins que ceux que le malheur opprime et il gémit plus douloureusement que ces infortunés. C’est là du reste ce que presque tous les prophètes et les saints ont fait : leur affection pour ceux qu’ils étaient chargés de conduire surpassait la tendresse des pères pour leurs enfants ; la nature est moins forte que n’était leur charité. Il n’est point, non, il n’est point de père qui soit embrasé d’amour pour ses enfants comme ceux-là pour le peuple qu’ils dirigeaient : car pour lui ils étaient disposés à mourir, gémissant, se lamentant, partageant leur captivité et leurs infortunes, faisant et souffrant tout, pour mettre fin à la colère du ciel et aux malheurs qu’ils éprouvaient. Il n’y a rien qui nous rende plus aptes à commander que d’avoir une âme pleine de sagesse et de miséricorde. Aussi le grand Moïse ne fut placé par Dieu à la tête du peuple juif qu’après avoir manifesté par ses actions combien il aimait ce peuple, et plus tard il lui dit : « Si vous leur pardonnez leur faute, pardonnez-la-leur ; sinon, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit. » Et Isaïe lui-même voyant les Juifs périr s’écrie : « Laissez-moi aller, je répandrai des larmes amères ; ne vous mettez pas en peine de me consoler sur la ruine de la fille de mon peuple. » Jérémie fit entendre de longs gémissements, quand la ville eut été renversée. Ézéchiel partit avec les Juifs, regardant comme moins pénible d’habiter sur une terre étrangère que dans sa patrie, et trouvant que le plus grand adoucissement à ses maux c’était d’être auprès des malheureux et de diriger leurs affaires. Et Daniel pour obtenir leur retour resta sans manger pendant vingt jours et plus et montra tout son amour pour eux en suppliant Dieu de les délivrer de cette captivité. C’est par là en un mot que brillent tous les saints. Par exemple, quand David voit la colère du ciel fondre sur le peuple, c’est sur lui-même qu’il veut appeler ce fléau, disant : « C’est moi pasteur qui ai péché, c’est moi pasteur qui ai fait le mal, et ceux-ci, qui sont mon troupeau, qu’ont-ils fait ? Que votre main s’appesantisse sur moi et sur la maison de mon père. » Et Abraham, loin de tout danger, n’ayant pas à craindre de partager la punition des Sodomites, se mit, comme s’il avait été au milieu du péril, à invoquer et à supplier Dieu, et il n’aurait pas cessé d’employer et actions et paroles pour détourner ce terrible embrasement, si Dieu, après l’avoir congédié, n’était enfin parti. Les saints du Nouveau Testament montrèrent encore plus de vertu, parce qu’ils avaient reçu plus de grâces et qu’ils étaient appelés à de plus longs combats. C’est pour ce motif que Pierre, en entendant dire au Christ qu’il est bien difficile aux riches d’entrer dans le royaume des cieux, était dans l’anxiété, et tremblait et adressait cette question : « Qui peut donc être sauvé » ? Et cependant, pour ce qui le concernait, il devait être plein de confiance. C’est que ces saints considéraient moins leur intérêt propre qu’ils ne s’occupaient de toute la terre. Et saint Paul, dans tout le cours de ses épîtres, nous montre la même préoccupation, lui qui à la vision du Christ préférait le salut des hommes : « Mourir et être avec Jésus-Christ est le meilleur, mais rester dans ma chair est plus nécessaire à cause de vous. » (Phi 1,23, 24) C’est cette même vertu que montre le Prophète quand il expose les révélations de Dieu avec tant de franchise, quand il adresse ses reproches aux pécheurs, quand, dans des circonstances fréquentes et par de longs discours, il tâche d’apaiser Dieu irrité contre les Juifs : ce que l’on peut voir surtout à la fin de la prophétie. Mais enfin abordons le commencement de la prophétie.CHAPITRE PREMIER.
VISION D’ISAÏE.ANALYSE.
- 1. Le Prophète nomme sa prédiction une vision, pour signifier que c’est une vue anticipée des événements.
- 2. Le Prophète laissant de côté les hommes adresse la parole aux éléments : c’est une marque de l’indignation qui anime le Prophète et c’est en même temps un moyen d’inspirer aux hommes de la honte de ce qu’étant doués de raison, ils se sont ravalés par le péché au-dessous des créatures privées de sentiment.
- 3 et 4. Tableau de l’ingratitude et de la dépravation des Juifs. Dieu, par la bouche du Prophète, leur adresse de vifs reproches, où se remarque encore de la tendresse ; c’est le langage d’un ami outragé, mais qu’aucun outrage ne rebute. Les sacrifices de. l’Ancien Testament n’étaient pas agréables à Dieu par eux-mêmes. Raison de leur institution. Pourquoi l’ancienne loi permettait le divorce.
- 5. La prière ne sert de rien an pécheur qui reste dans son péché.
- 6 et 7. Pouvoir du libre arbitre, il est la condition essentielle de la vertu.
- 8. on pèche non pas seulement en faisant le mal, mais encore en omettant de faire le bien. – Réponse à une objection des Juifs. Turpitude et vanité de l’idolâtrie.
▼Le texte grec parait ici altéré : au lieu de διαφοράν le sens demanderait διαφθοράν corruption.
de la volonté. « Vous avez abandonné le Seigneur et vous l’avez irrité. » Il parle ainsi par emphase, car le nom seul de Dieu suffisait pour justifier l’accusation. Jérémie fait le même reproche en ces termes : « Parce qu’ils se sont éloignés de lui et qu’ils se sont attachés aux « démons. » (Bar 4,7-8) « Le saint d’Israël. » Voici encore qui aggrave l’accusation, c’est qu’ils le connaissaient bien comme le Maître de toutes choses. « Ils se sont retournés en arrière (5). Pourquoi vous frapper encore, vous qui ajoutez sans cesse à vos prévarications ? » Quel triste état lorsque les châtiments mêmes ne rendent pas meilleur ! Certes, c’est une des formes du bienfait que la punition. Ils ne pourront pas dire qu’il ne leur a accordé que des honneurs et des biens, et que, quand ils ont péché, il les a abandonnés ; mais par les honneurs il les a attirés, par la crainte des punitions il a voulu les amener à la pénitence, et dans l’un et l’autre cas ils se sont montrés incorrigibles. Il a employé tous les traitements, il a taillé, il a brûlé, et la maladie n’a pas disparu ; ce qui montre que la maladie est incurable, c’est qu’elle soit rebelle aux remèdes. « Toute tête est malade et tout cœur rempli de tristesse (6). Depuis les pieds jusqu’à la tête il n’y a rien de sain en lui, ni blessure, ni tumeur, ni plaie enflammée. » Il rappelle ensuite les punitions et les châtiments ; car ce n’est pas là une petite marque de l’amour qu’il leur porte et de l’honneur qu’il leur fait. Je les ai tous frappés, dit-il, je les ai tous accablés de douleur. Si a toute tète est malade », comment n’y a-t-il ni blessure, ni tumeur ? La blessure ne parait-elle que quand le reste d u corps est sain ; mais s’il est couvert de blessures, on ne pourra plus en distinguer une en particulier. Cela veut donc dire que tout le corps est couvert d’ulcères, qu’il n’y a pas un endroit sain à côté d’un autre malade, mais que tout est enflammé, que tout n’est qu’une tumeur. « On ne peut y appliquer rien d’adoucissant. » Voici qui est plus grave encore. Il est bien moins fâcheux d’être malade seulement que de ne pouvoir, étant malade, subir de traitement, surtout lorsque le médecin est si grand. « Ni huile, ni bandes. » C’est pour parler par emphase qu’il continue la métaphore ; c’est là le mérite de cette figure. « Votre terre est déserte (7). » Ces événements, il ne les raconte pas comme passés, il les annonce comme futurs, bien qu’il emploie le temps du passé. Les prophètes en usent ainsi et pour effrayer l’auditeur et pour montrer combien ce qu’ils prédisent est certain. De même que les choses passées ne peuvent pas ne pas avoir existé, de même les choses que les prophètes ont annoncées devoir exister, ne peuvent pas ne pas arriver, à moins que par hasard ceux qui devaient être punis ne se repentent. « Vos villes sont incendiées. » Il ne les a pas détruites entièrement, il a permis que des ruines échappées aux flammes des barbares restassent debout, parce qu’elles toucheraient davantage ceux qui les verraient. « Des étrangers dévorent votre pays sous vos yeux, et il est désert parce a qu’il a été ravagé par des peuples étrangers. » C’est le comble du malheur pour des hommes d’être spectateurs de maux qui les atteignent, au lieu de les apprendre par la renommée seulement. « La fille de Sion demeura abandonnée comme une tente dans une vigne et comme une cabane dans un champ de concombres (8). » 4. Les images font beaucoup, surtout celles de la sainte Écriture, pour rendre plus frappant ce qu’on dit. Le Prophète appelle Jérusalem fille de Sion parce qu’elle est placée au pied de cette montagne. « Comme une tente dans une vigne et comme une cabane dans un champ de concombres. » Le fruit une fois enlevé, et les vignerons emmenés, à quoi servent les bâtiments de la ville ? « Comme une « ville assiégée. » Cette expression figurée marque leur faiblesse et leur abandon. Car n’ayant plus personne qui vint à leur secours, ils étaient dans la nécessité de rester enfermés dans l’enceinte de leurs remparts qui faisaient maintenant toute leur sûreté. « Et si le Seigneur des armées n’en avait laissé quelques-uns de notre race, nous aurions été comme Sodome, et nous serions devenus semblables à Gomorrhe (9). » C’est une habitude constante des prophètes de dire non seulement ce que les pécheurs vont souffrir de maux, mais encore ce qu’ils mériteraient de souffrir afin que dans le temps même de leur châtiment ils rendent à Dieu de fréquentes actions de grâces de ce qu’il rie leur inflige qu’une punition fort inférieure à leurs crimes. C’est ce qu’Isaïe dit ici, que leurs péchés auraient mérité non les maux qu’il vient de rappeler, mais l’extinction complète de toute la race, comme il était arrivé à Sodome. Mais la miséricorde de Dieu ne l’a pas permis, elle n’a envoyé qu’une punition bien inférieure aux fautes. Et comme il y a beaucoup de rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament, saint Paul a usé du même moyen, et avec plus de raison que le prophète. Car de même qu’en ce temps-là, sans la miséricorde de Dieu, tous auraient péri, de même au temps du Christ, sans la charité, tous les hommes périssaient d’une manière encore plus affreuse. « Il nous en a laissé quelques-uns de notre race. » Il parle de ceux qui furent sauvés de la captivité. « Écoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome ; faites attention à la loi de notre Dieu, peuple de Gomorrhe (10). » Après avoir dit qu’ils étaient dignes du châtiment de Sodome, il montre que leurs crimes n’ont pas été moins audacieux que ceux de Sodome c’est pourquoi il les comprend avec eux dans une seule et même apostrophe. C’est bien là ce que veut dire le Prophète, autrement sa parole serait sans à propos. Par ce nom de princes de Sodome ce ne sont pas les habitants de cette dernière ville, mais les Juifs qu’il veut désigner ; ce qui va suivre l’indique clairement. Il parle de sacrifices, d’oblations, de tout ce culte légal, dont il n’y avait pas trace chez les Sodomites. Ces mots : la loi de notre Dieu, prouvent que tel est le sens. « Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices ? dit le Seigneur. J’ai assez des holocaustes de vos béliers ; la graisse des agneaux, le sang des taureaux et des boucs, je n’en veux plus (11). » Le psaume 49 tout entier ressemble à ces passages ; les termes diffèrent, mais les pensées sont les mêmes. Car ce verset du psaume, « Il appellera le ciel d’en haut et la terre pour juger son peuple », ressemble à celui-ci : « Écoute, ciel, et toi, terre, prête l’oreille, parce que le Seigneur a parlé ; » et le reste ne se ressemble pas moins. Si David dit : « Je ne vous reprendrai point pour vos sacrifices, car vos holocaustes sont toujours devant moi », Isaïe dit de même : « Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices ? dit le Seigneur. » David dit encore : « Je ne recevrai point avec plaisir de votre maison les veaux, ni de vos troupeaux les boucs. » Et Isaïe : « Les holocaustes des béliers, la graisse des agneaux, le sang des taureaux et des boucs, je n’en veux plus. » Comme on leur reprochait continuellement de manquer de vertu, et qu’ils répondaient pour toute justification qu’ils offraient continuellement des sacrifices, ces deux prophètes, ou plutôt tous les prophètes leur ôtent ce moyen de défense. D’où il est évident que ces sacrifices étaient institués non pour eux-mêmes, mais pour conduire les hommes à d’autres œuvres de vertu. Mais parce qu’ils négligeaient les choses nécessaires pour s’arrêter à ces observances, Dieu déclare qu’il ne les acceptera plus. « Pas même lorsque vous viendrez en ma présence (12). » Lorsque vous viendrez au temple, veut-il dire. « Car qui a réclamé ces choses de vos mains ? » Et cependant tout le Lévitique roule là-dessus et règle ce qui regarde les sacrifices. Et dans le Deutéronome comme en bien d’autres livres, on trouve çà et là quantité de lois sur ce sujet. Comment peut-il donc dire : « Quia réclamé ces choses de vos mains ? » C’est pour vous apprendre que Dieu n’avait pas fait cette législation pour ce qu’elle valait par elle-même, mais pour condescendre à la faiblesse des Juifs. De même qu’il ne voulait pas que la femme, une fois unie à l’homme, pût être répudiée, et qu’il le permit cependant pour éviter de plus grands maux, pour empêcher que les hommes ne tuassent leurs femmes, si, tout en les haïssant, ils étaient obligés de les garder chez eux ; de même ici, pour empêcher que les Israélites ne sacrifiassent aux démons, il voulut bien recevoir ce qui ne lui plaisait pas, afin que ce qui lui plaisait se fit. C’est ce que le prophète Amos nous montre par ces paroles : « M’avez-vous offert des sacrifices et des victimes pendant les quarante ans du désert ? » Jérémie dit aussi : « Ce n’est pas là ce que j’ai commandé à vos pères. » 5. Comme c’est de cette manière qu’on honorait les démons, c’est pour ôter aux faibles tout sujet de scandale qu’il parle ainsi par tous les prophètes. Les démons se fâchaient contre ceux qui ne leur offraient pas ces sacrifices, et toujours on nous les représente demandant la graisse et la fumée et disant : « C’est l’honneur qui nous est attribué ▼▼Τὸ γὰρ λὑ χομεω γέρας ἡμεῖς (Homère, 4,49)
. » Dieu au contraire ne demanda point dans le principe ces sacrifices, et quand il les ordonna, il fit voir que ce n’était pas pour lui-même qu’il les permettait, et une autre preuve encore, c’est qu’il y mit bientôt fin et que quand on les lui offrait, il ne les acceptait pas ; en un mot, il nous montra par tous les moyens possibles que ce mode d’adoration était indigne de la grandeur de son culte. Il nous veut donc dire maintenant : J’ai toléré ces choses à cause de vous, mais je n’en avais pas besoin. « Vous ne viendrez plus fouler mes parvis. » Ou bien il prédit la captivité, ou bien il leur défend d’entrer clans ses parvis, parce qu’ils ne le faisaient pas avec un cœur droit. « Si vous m’offrez de la farine, c’est inutile (13). » Car parmi les commandements, les uns ont leur raison d’être en eux-mêmes, les autres en d’autres choses ; par exemple, connaître Dieu, ne pas tuer, ne pas commettre d’adultère, etc, tous ces commandements nous sont ordonnés pour eux-mêmes et pour l’utilité qu’ils renferment ; au contraire, offrir des sacrifices, apporter de l’encens, garder le sabbat et autres choses semblables, tous ces commandements ne furent pas donnés simplement et absolument pour les choses qu’ils prescrivaient, mais pour que leur observation éloignât les Israélites du culte des démons. Mais puisqu’ils gardaient ces derniers préceptes sans en recueillir le fruit et qu’ils n’en étaient pas moins attachés aux démons, c’est avec raison que Dieu rejette ces observances ; car c’est avec raison que l’on abat un arbre, qui se charge de feuilles et de branches, mais qui ne porte point de fruits. Car si le cultivateur donne ses soins à un arbre, ce n’est pas pour l’écorce et le bois, mais pour le fruit qu’il en attend. « Votre encens m’est en abomination. » Le voyez-vous ? Il se réjouit moins de la nature de ce qu’on lui apporte que des dispositions de ceux qui offrent. Aussi il appelle la fumée et l’odeur qui s’élevaient du sacrifice de Noé un agréable parfum, et ici il donne à l’encens le nom d’abomination. Car comme je le disais, il regarde moins à la nature des dons qu’aux dispositions de ceux qui donnent. « Vos néoménies et vos sabbats « (14). » Remarquez qu’il ne rejette rien de ce qui est nécessaire, mais seulement ces rites que le Christ descendu parmi nous a fait disparaître. Aussi saint Paul, qui parlait avec véhémence lorsqu’il combattait les Juifs, rappelle non seulement ces choses, mais d’autres encore, et il dit que ceux qui n’ont en eux-mêmes aucune vertu, gardent inutilement ces observances. « Si tu portes le nom de juif et que tu te reposes sur la loi, et que tu te glorifies en Dieu, et que tu connaisses sa volonté ; et que, instruit par la loi, tu saches discerner ce qui est utile. » (Rom 2,17, 18). Et encore : « À la vérité, la circoncision est utile si tu observes la loi ; mais, si tu la violes, ta circoncision devient incirconcision. » (Id 25) Et il dit que, si la loi leur a été confiée, leur incrédulité n’en sera pas pour cela moins punie ; c’est aussi ce que David fait entendre en ces termes : « Dieu dit au pécheur : Pourquoi racontes-tu mes justices ? » (Psa 50,16) Les voyant s’enorgueillir d’entendre lire la loi, eux qui étaient vides de toute bonne œuvre, saint Paul abat leur orgueil en disant : « Toi qui instruis les autres, tu ne t’instruis donc pas toi-même ! Toi qui cries aux autres de ne pas voler, tu voles ! » (Rom 2,21) De même David quand il dit : « Si vous voyiez un voleur, vous couriez avec lui et vous faisiez alliance avec les adultères. » (Psa 50,18) « J’ai en abomination vos grands jours », La Pentecôte, veut-il dire, la fête des Tabernacles, la Pâque et les autres fêtes. « Vos jeûnes, votre repos, vos fêtes, mon âme les hait. » Il leur parle comme le ferait un homme. « Vous m’êtes devenus à charge », un objet de dégoût, de haine. Voyez son indicible longanimité, de les avoir supportés malgré leurs nombreux péchés et de ne s’être vengé que quand ces pécheurs l’eurent provoqué par l’excès de leurs iniquités. « Je ne pardonnerai plus vos péchés. » Je ne les souffrirai plus. David dit la même chose : « Vous avez fait ces choses et je me suis tu. »(Psa 50,21) « Lorsque vous étendrez vos mains vers moi, je détournerai mes yeux de vous, et lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point (15). » D’où il est évident que la prière ne sert de rien, quelque longue qu’elle soit, si celui qui prie reste dans ses péchés. Rien n’est égal à la vertu et au témoignage que rendent les couvres. « Vos mains sont pleines de sang », c’est-à-dire meurtrières ; mais au lieu de meurtrières, il a dit pleines de sang, pour montrer qu’ils font de l’iniquité leur occupation et toujours avec ardeur. 6. C’est encore une preuve de sa douceur, de le voir donner la raison de ces menaces ; car il dit pour quelles causes il regrette la prière. « Lavez-vous, soyez purs (16). » Comment, après avoir dit : « Je ne pardonnerai plus vos péchés », donne-t-il ce conseil et comment, après leur avoir montré qu’ils sont incorrigibles, demande-t-il qu’ils se corrigent ? Dieu, quand il menace, fait désespérer du salut, afin d’augmenter la crainte, et loin de garder le silence, ensuite, il tâche de rendre l’espérance pour amener ainsi au repentir. Partout on peut voir la même conduite. À l’égard des Ninivites, il fit la même chose non point par les paroles, mais par les effets. Dans ses paroles il n’avait rien promis de bon, au contraire, il n’avait laissé voir après la menace que le seul châtiment ; et quand ces barbares eurent donné ce qu’ils pouvaient, sa colère s’apaisa bientôt. C’est ce que dit encore David dans le psaume 49e ; car j’ai dit plus haut que ce psaume ressemble entièrement à ce début d’Isaïe ; et de même qu’Isaïe dit après avoir rappelé les menaces du Seigneur. « Lavez-vous, soyez purs », de même David, après avoir dit : « Je vous reprendrai, je placerai devant vous vos iniquités », ajoute : « Le sacrifice de louange m’honorera et c’est la voie par laquelle je leur montrerai le salut de Dieu (Psa 50,21, 23) », appelant louange la gloire qu’on lui rend par les œuvres et la connaissance des choses divines. Et afin que par ces mots « lavez-vous, soyez purs », ils n’entendent point leurs purifications habituelles, il ajoute : « Ôtez de devant mes yeux la corruption de vos âmes, et corrigez, « vous de vos péchés. » Il montre par là que la vertu est facile et que la volonté est libre, puisqu’il était en leur pouvoir de se convertir. « Apprenez à faire le bien (17). » Ainsi leur malice était si grande qu’ils ne connaissaient même plus la vertu. C’est ainsi que David dit : « Venez, enfants ; je vous enseignerai la crainte du Seigneur. » (Psa 34,12) De toutes les sciences c’est la plus sublime et celle qui demande le plus d’application, parce qu’elle a à surmonter bien des obstacles, les résistances de la nature, la torpeur de la volonté, les embûches du démon et le tumulte des affaires. Baruch dit de même : « Celui-ci est notre Dieu ; nul ne lui est comparable ; il a trouvé toutes les voies de la science. » « Recherchez la justice (Bar 3,36-37) ; » c’est-à-dire à venger ceux qui éprouvent des injustices, ce qui demande beaucoup de soins et une âme vigilante. C’est pourquoi il dit : « Recherchez. » Il y a bien des choses qui obscurcissent le droit, par exemple, les dons, l’ignorance, la puissance, la honte, la peur, l’acception des personnes : aussi faut-il beaucoup de vigilance, « Délivrez l’opprimé. » Ceci enchérit sur ce qui précède ; il demande non seulement qu’on se propose, mais qu’on exécute ce qui est juste. « Jugez l’orphelin, et faites justice à la veuve. » Dieu prend soin que personne ne soit maltraité, particulièrement parmi ceux qui, outre ces mauvais traitements, ont à supporter un autre malheur. La veuve et l’orphelin sont bien infortunés ; mais quand ils sont maltraités par les autres, c’est comme un double naufrage : « Venez et entrons ensemble en discussion ; dit le Seigneur (18). » Il est remarquable que partout dans les prophètes, Dieu ne cherche rien tant qu’à venger les opprimés. Il en est ainsi autre part encore que dans Isaïe par exemple dans Michée, lorsque les Juifs disent : « Lui sacrifierai-je pour mon impiété mon premier-né, et pour l’iniquité de mon âme, le fruit de mon sein ? » Le prophète ajoute : « Je vous dirai, ô homme, ce qui est bon, et ce que le Seigneur attend de vous, rien autre chose que d’agir selon la justice et d’aimer la miséricorde et d’être prêt à suivre le Seigneur votre Dieu. » Et le prophète David dit aussi : « Je chanterai devant vous la miséricorde et la justice, Seigneur. » « Venez. » Ce n’est qu’après les avoir munis des moyens de se justifier, qu’il les entraîne au tribunal, et qu’après leur avoir appris comment ils peuvent se dépouiller de leurs crimes, qu’il leur fait rendre compte, de peur que les trouvant sans excuse il ne soit obligé de les condamner. « Et entrons en discussion ; » comme s’il disait, commençons le jugement. Ce bon juge se fait avocat et médecin. Ensuite pour montrer que, quelles que soient nos bonnes actions, nous avons cependant toujours besoin de sa charité pour être délivrés de nos péchés, il dit : « Quand vos péchés seraient comme l’écarlate ; je vous rendrai blancs comme la neige ; » vous le voyez, il prend des qualités diamétralement opposées, et promet de changer l’une en l’autre. « Et quand « ils seraient comme du vermillon, je les rendrai blancs comme la laine. » Elle est donc bien méritoire la protection que l’on accorde aux veuves puisque d’une âme si corrompue qu’elle est comme teinte de l’iniquité elle fait une âme non seulement pure, mais brillante à ce point. « Si vous voulez m’écouter, vous mangerez les biens de la terre (19), et si vous ne voulez pas m’écouter, l’épée vous dévorera : car c’est le Seigneur qui l’a prononcée de sa bouche (20). » Parce que ces hommes grossiers regardaient comme moins désirable et moins doux de se délivrer de leurs péchés que de jouir des prétendus biens de la vie présente, avec la première chose il promet la seconde, et fait dépendre celle-ci de celle-là. 7. Ensuite pour montrer combien la vertu est facile, il la place dans la volonté seule. Mais comme l’espérance de ces biens aurait pu amollir les esprits, il termine par des choses effrayantes pour rendre plus frappante la puissance de celui qui a fait ces révélations. « Comment est-elle devenue une prostituée, la cité fidèle de Sion ? » Cette question montre et la douleur de celui qui la fait et l’insensibilité des Juifs et ce qu’il y a d’inattendu dans cet événement. Saint Paul fait aux Galates une question analogue : « Je m’étonne que vous changiez si vite », ce qui est comme une accusation et une exhortation pour porter à la vertu. Cette parole étonne sans doute : mais, comme elle est entremêlée de louanges, une nouvelle accusation vient fortifier l’autre. Nous ne cherchons pas tant à corriger ceux qui ne valent rien ; qui n’ont jamais mené qu’une vie abjecte, que ceux qui, après s’être montré d’abord vertueux, se sont ensuite tournés vers le mal. Il l’appelle prostituée, non qu’il veuille parler de la prostitution du corps, mais de l’ingratitude de l’âme, ce qui est bien pire que l’autre prostitution. Là c’est sur l’homme, ici sur Dieu que retombe l’injure. Et si Isaïe et les autres prophètes parlent ainsi, c’est que Dieu avait daigné se laisser regarder comme l’époux de cette ville pour montrer son ineffable charité pour les Juifs, et les prophètes parlent souvent du Seigneur et de Jérusalem comme d’un époux et d’une épouse, non pas pour abaisser leur discours jusqu’à la grossièreté humaine, mais pour amener les Juifs par des exemples familiers à la connaissance de l’amour de Dieu ; en même temps ils voulaient, par cette appellation honteuse de prostituée, les porter à rougir d’eux-mêmes. « Fidèle », c’est-à-dire religieuse et pleine de vertu : ce qui montre encore qu’il ne parle pas de la prostitution des corps, puisque autrement il aurait dû dire la ville chaste ; car ce mot eût été opposé à prostituée ; mais pour montrer que par prostitution il voulait désigner l’impiété, il se sert du mot opposé, la foi. « Pleine d’iniquité », c’est-à-dire de justice. Voici encore une bien grande accusation portée contre ce peuple, non seulement il s’était précipité dans toute sorte d’iniquités, mais il avait abandonné toutes les vertus, ce trésor précieux de tous les biens qu’il tenait dans ses mains, il l’avait rejeté pour se réduire aux plus affreuses misères. « Dans laquelle « habitait la justice. » Elle y restait, dit-il, elle y demeurait, c’est-à-dire, elle y était plantée, enracinée, et les citoyens mettaient toute leur ardeur à la garder. En insistant sur les louanges du passé, il fait mieux ressortir ce que, le changement avait de coupable, il rend en même temps de l’espoir puisqu’il montre aux pécheurs qu’il serait facile de regagner ce qu’ils ont perdu. « Et maintenant c’est la demeure des meurtriers ; » des homicides, veut-il dire. « Votre argent est impur (22) », c’est-à-dire de faux aloi, altéré, mélangé. « Vos marchands mélangent leur vin d’eau. » Couine dès l’abord il n’a pas signalé leur méchanceté dans chacune de ses espèces, mais qu’il leur a dit, d’une manière générale, qu’ils sont des contempteurs, une race perverse, dés fils impies, termes qui ressemblent plus à des injures qu’à une accusation, il indique ici les diverses espèces de leurs crimes, et place en premier lieu ce qui est au commencement, au milieu et à la fin des péchés, l’amour de l’argent et la fraude dans les contrats. Quelques-uns ne comprenant pas l’ineffable charité de Dieu, ont pris ce terme dans le sens apagogique. Jamais, disent-ils, le grand, le sublime Isaïe n’aurait parlé des tromperies des banquiers, des ruses des cabaretiers ; mais il appelle argent les oracles de Dieu, et vin sa doctrine qu’ils mélangeaient de leurs commentaires. Pour moi, sans rejeter cette interprétation, je dis que l’autre est plus vraie, non seulement il n’est pas indigne d’un prophète de parler de ces choses, mais cela est très-digne et de lui et de la charité de Dieu. Et pourquoi m’étendre sur ce point ? Lorsque le Fils unique de Dieu vint nous apporter ses enseignements sublimes et implanter sur notre terre la vie pure des anges, il parla bien souvent des mesures, et de choses qui paraissent plus petites encore, des salutations, de la place du milieu, du premier rang. Ces choses qui paraissent petites, si elles sont négligées, deviennent la source de grands péchés. Mais si toutes ces choses devaient être réglées dans le Nouveau Testament, à plus forte raison dans l’Ancien, alors que les auditeurs étaient plus grossiers, et que toute leur vie se bornait à suivre ces lois, puisqu’ils avaient été instruits surtout à s’éloigner de toute injustice, à ne faire aucun tort au prochain, à ne pas écraser la pauvreté des indigents par les mélanges frauduleux. 8. Le mépris de ces lois fut cause que souvent des villes furent renversées, des rois précipités du trône, des guerres implacables allumées, et leur observation amena plus d’une fois la paix, l’ordre et la sécurité nécessaire à la vertu. « Vos princes sont indociles (23). » C’est une preuve que la maladie, que la perversité est bien grande, quand les médecins même travaillent à l’augmenter. C’est aux rois de réprimer les mauvais instincts de leurs peuples, de les diriger vers le bien, et de les rendre soumis aux lois ; mais quand eux-mêmes les premiers ils les enfreignent, comment peuvent-ils enseigner aux autres la soumission ? En disant « sont indociles », il veut dire, n’obéissent pas à la loi, rejettent le joug des préceptes ; c’est aussi ce que leur reproche saint Paul en disant : « Toi qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ? » (Rom 2,21) Quand donc la racine est corrompue, qu’attendre de bon des rameaux ? « Ils sont les « complices des voleurs. » Voici qui aggrave la faute, c’est que, loin d’empêcher les crimes, ils les favorisent ; loin de faire la guerre aux voleurs, ils sont de connivence avec eux, et courent à une perversité entièrement opposée à la vertu des princes. « Aiment les présents. » Voici encore un nouveau vice engendré par l’amour de l’argent, vice qui, sous une apparence honnête, sous les dehors de la bienveillance, cache l’avarice la plus sordide. « Ne cherchent que le gain. » Gardent rancune à leurs ennemis, s’empressent de rendre le mal pour le mal, espèce de péché très-grave. Aussi et le Nouveau et l’Ancien Testament mettent-ils tous leurs soins à le réprimer. « Que nul, est-il dit, ne forme dans son cœur de mauvais desseins contre son frère. » (Zac 7,10) Car il faut que le peuple et à plus forte raison le prince soit pur de toute inimitié, lui qui doit avertir ses sujets de déposer en justice toute haine privée, de peur que le port ne devienne un écueil. « Ne rendent point justice aux orphelins. » C’est-à-dire ne les aident pas à obtenir justice. « Et la cause de la veuve n’a point d’accès auprès d’eux. » Remarquez que le Prophète signale comme un mal non seulement de faire de mauvaises actions, mais encore de ne pas en faire de bonnes, doctrine que nous retrouvons dans le Nouveau Testament. Car ceux qui n’ont pas nourri le pauvre dévoré par la faim, quoiqu’ils n’aient pas enlevé le bien d’autrui, mais uniquement parce qu’ils n’ont pas donné leurs biens à ceux qui étaient dans le besoin, sont envoyés au feu de l’enfer ; de même le Prophète blâmé les princes de Sion non de ce qu’ils sont ou avares ou tyrans, mais de ce qu’ils n’accordent pas leur protection à ceux qui en ont besoin. « Aussi voici ce que dit le Maître, le Seigneur des armées, le Fort d’Israël », c’est-à-dire du peuple. Ce n’est pas sans motif qu’il emploie ce terme, le Fort, mais bien pour leur rappeler les bienfaits qu’ils ont obtenus contre toute espérance et les châtiments terribles qu’ils ont endurés ; comme après avoir souvent et beaucoup péché, après avoir éprouvé la longanimité de Dieu, ils sont tombés dans la mollesse, il veut leur montrer que Dieu peut se venger quand il lui plaît, qu’il n’a pas besoin de temps favorables, de circonstances opportunes, que tout est sous sa main et à sa disposition. « Malheur à ceux qui commandent en Israël ! ma fureur contre mes ennemis n’aura pas de fin. » Quoi de plus malheureux que ceux qui ont Dieu pour ennemi ! « N’aura plus de fin », dit-il, non qu’il veuille les jeter dans le désespoir, mais pour qu’une crainte plus fortement imprimée les amène au repentir. Car ces mots « ma fureur n’aura point de fin », sont moins terribles que ceux-ci, « contre mes ennemis. » Il n’y a rien qui irrite Dieu, comme l’injustice faite aux pauvres. « Malheur à ceux qui commandent ! » dit-il, non pour condamner tout pouvoir, mais le pouvoir qui fait le mal. La force dont il parle ici ce n’est pas la force du corps, mais la force que donnent les circonstances. « Et je ferai justice de mes adversaires. » Je punirai mes ennemis : il appelle ses ennemis les ennemis des pauvres, ceux qui les maltraitent ; et il se sert de cette expression pour montrer la grandeur du méfait. « J’appesantirai ma main sur vous et je vous purifierai par le feu (25). » Apprenez de là que la colère et la vengeance de Dieu, quelles qu’elles soient, n’ont pas pour but le mal et la punition, mais l’amendement de ceux même qui sont châtiés. « Et je vous purifierai, dit-il, par « le feu. » Ce n’est donc pas quand nous sommes punis, c’est quand trous péchons qu’il faut pleurer, puisque dans le second cas nous nous souillons, tandis que dans le premier nous nous purifions. Quelle est la vertu de cette purification ? De faire qu’il n’y ait plus en vous trace de souillure ; car ce que le feu est à l’or, la punition l’est aux pécheurs. « Ceux qui désobéiront, je les perdrai, j’enlèverai du milieu de vous tous les impies et j’humilierai tous les superbes. » Les incorrigibles, veut-il dire, et ceux qui ne céderont pas auto châtiments, je les perdrai. Que sert qu’ils vivent puisqu’ils n’emploient leur vie qu’à procurer le mal et d’eux-mêmes et des autres ? Et ceux que le châtiment de ces endurcis pourra rendre meilleurs resteront. Il me semble qu’il fait ici allusion à la captivité. « Et je rétablirai vos juges comme ils étaient autrefois, et vos conseillers comme ils étaient dans le principe. » 9. Ici il annonce le retour. Quand les incorrigibles auront disparu, et que ceux qui sont capables de s’améliorer seront devenus meilleurs, il montre (et c’est le moment) comment il achèvera la guérison ; ce sera en donnant de bons chefs et de bons conseillers, afin que, tout le corps ayant ressenti l’effet des remèdes et de bons médecins continuant leurs soins, tous les membres reviennent de toutes parts à la santé. Ce n’est pas un léger bienfait que de procurer de bons princes. « Et après cela vous serez appelée la cité de la justice et Sion la ville fidèle. » Et cependant nous ne trouvons nulle part que ce nom ait été donné à la ville de Jérusalem. Que dirons-nous donc ? Que le Prophète le lui donne à cause des faits dont elle sera témoin. Ceci ne nous sera pas peu utile, quand les Juifs nous demanderont l’interprétation du nom d’Emmanuel. Comme Isaïe a prédit que le Christ s’appellerait ainsi et que nulle part il n’a reçu ce nom, nous leur dirons qu’il appelle « nom » l’événement lui-même, comme dans le passage que nous examinons. « C’est par la justice et la miséricorde qu’elle sera délivrée de sa captivité (27). » – « Par la justice », c’est-à-dire par la punition, le châtiment et la persécution que lui feront souffrir ses ennemis. « Par la miséricorde », c’est-à-dire par la charité. Il leur promet deux grandes faveurs, que captifs ils seront punis et qu’ils jouiront ensuite d’une grande paix, deux choses dont une seule suffirait par elle-même à rendre très-heureux, et qui réunies donnent une joie inénarrable. Et pour montrer encore d’une autre manière qu’après cette longue captivité, ils devraient leur retour non à ce qu’ils auraient par un châtiment proportionné, expié leurs fautes, mais à sa seule bonté, que leur salut serait l’œuvre de sa bonté et non le résultat d’une compensation et d’une sorte d’échange, il ajoute : « par la miséricorde. » – « Les méchants et les pécheurs seront brisés à la fois. » Troisième bienfait : il ne restera personne pour les séduire et les entraîner, les docteurs d’iniquité auront disparu. « Et ceux qui auront abandonné le Seigneur périront entièrement. » Ces impies, veut-il dire. « Car ces idoles qu’ils ont recherchées seront leur confusion (29). » Il y en a qui s’efforcent d’adapter ces paroles au temps présent ; pour moi, sans m’arrêter à les réfuter, je poursuis. C’est là ce qu’il prédit devoir arriver lors de l’incursion des ennemis. Et lorsque des barbares parcourront leurs pays, assiégeront leurs villes, les tiendront tous comme pris dans un filet, tandis que personne ne viendra les secourir et mettre fin à cette tempête parce qu’ils seront abandonnés de Dieu, c’est alors que la seule expérience couvrira de honte les serviteurs des idoles. « Qu’ils ont recherché » pour lesquelles ils ont montré tant de zèle. « Et ils rougiront de ces statues », qu’ils ont faites. Pour accuser, il lui suffit de raconter. Car il suffisait même avant que les malheurs fussent venus instruire ces impies, il suffisait pour les confondre de leur montrer que ces idoles sont l’ouvrage des hommes. Quoi de plus honteux en effet que de se faire un dieu ! « Et ils rougiront des jardins où ils se rendaient avec tant d’empressement » non seulement ils adoraient des statues, mais même des arbres dans les jardins. « Ils seront comme le térébinthe qui a perdu ses feuilles (30). » Ces idoles ou ceux qui habitent la ville. Il emprunte sa comparaison à cet arbre, parce qu’il croît dans ce pays et qu’il n’y est pas rare parce qu’il a beaucoup de fleurs et de feuillages dans la saison favorable, et qu’il est très-laid au contraire quand il a perdu ses feuilles. « Et comme un jardin sans eau. » Cette deuxième image est plus claire que la première et vient confirmer ce que j’ai dit touchant celle-là. Car il n’y a rien de plus agréable qu’un jardin verdoyant, et il n’y a rien de plus triste qu’un jardin dépouillé : or la ville de Sion a été dans ces deux conditions. De tout temps elle avait été bonne, brillante, ornée de mille beautés ; et elle est devenue plus vile, plus déshonorée que toute autre, ayant perdu tout d’un coup tant d’ornements. « Et leur force sera comme l’étoupe sèche (31). » Ses précédentes images ont montré la laideur, celle-ci la faiblesse, toutes sont bien énergiques, bien claires et bien frappantes. « Comme l’étoupe sèche », c’est-à-dire faible. « Et leurs œuvres comme une étincelle de feu. » Ici il montre que leurs maux viennent d’eux, qu’ils ont eux-mêmes attiré sur leurs têtes la captivité, qu’ils ont allumé eux-mêmes le feu qui les dévore. De même que des étincelles allument un incendie là où elles tombent, ainsi leurs péchés, à force de s’accumuler, ont enflammé la colère de Dieu. « Les méchants et les pécheurs brûleront ensemble sans qu’il y ait personne pour éteindre le feu. » S’il semble encore leur ôter tout espoir de salut, c’est toujours pour la même raison, non pour qu’ils désespèrent, mais pour que frappés d’une vive crainte, ils secouent leur mollesse. Et de là nous pouvons retirer une autre leçon, c’est qu’on ne peut vaincre sa puissance, et que, quand il punit et châtie, personne ne peut s’opposer à lui et faire cesser les maux.
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