Isaiah 7
CHAPITRE SEPTIÈME.
1. « ET IL ARRIVA PENDANT LES JOURS D’ACHAZ, FILS DE JOATHAN, FILS D’OZIAS, ROI DE JUDA. »ANALYSE.
- 1. Dieu se sert des prophéties déjà accomplies pour faire croire à celles qui ne recevront que dans un temps éloigné leur accomplissement. Quelquefois, comme dans le Nouveau Testament, il unit un miracle et une prophétie, afin que ceux qui voient le miracle ajoutent foi à la prophétie, et que ceux qui seront témoins de la réalisation de la prophétie croient aussi au miracle opéré en union avec la prophétie.
- 2 et 3. Prédiction de la ruine d’Ephraim et de la Syrie.
- 4-7. Promesse de l’Emmanuel : C’est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe. Voici que la Vierge concevra dans son sein et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, etc. Commentaire très-intéressant de cet important passage.
- 8-9. Prédiction de l’invasion des Assyriens.
▼Il manque ici quelque chose très probablement.
. Comme Achaz était très-grossier, très-incrédule, voyez combien Dieu montre de condescendance. Lui – même l’attire et l’excite à lui demander un miracle ; certes ce n’était pas déjà un petit prodige que d’avoir révélé ses secrets, d’avoir dévoilé toutes ses pensées, d’avoir manifesté toute son hypocrisie. Quand le Prophète lui eut dit : Demande un miracle, cet impie fit le croyant et dit : Je n’en demanderai pas et je ne tenterai pas le Seigneur ; voyez avec quelle véhémence le Prophète le reprend ; et c’est à bon droit qu’après avoir montré son hypocrisie, il l’accuse avec plus de sévérité. C’est pourquoi il ne le juge même pas digne d’une réponse et s’adressant au peuple il dit : « Écoutez donc, maison de David : Est-ce peu pour vous de lasser la patience des hommes, sans lasser celle de Dieu ? » Et comment lassez-vous celle de Dieu ? Cela est obscur ; aussi faisons tous nos efforts pour éclaircir ce mot. Voici donc ce qu’il veut dire : sont-ce mes paroles ? Sont-ce mes pensées ? Si c’est une faute digne de blâme que de refuser sans aucun motif, sans aucune raison, de croire les hommes, combien plus de croire Dieu ! Lasser la patience, ce n’est donc pas autre chose qu’être incrédule. Est-ce là, dit-il, un faible crime ? Est-ce une légère faute que de refuser de croire les hommes ? Mais si cela est grave, combien plus de refuser de croire Dieu ! 5. Le Prophète a parlé ainsi pour apprendre à tous qu’il n’avait pas été trompé, et qu’il jugeait non d’après les paroles qu’il avait entendues, mais d’après les pensées d’Achaz. C’est ce que le Christ a fait bien souvent aussi dans l’Évangile. Avant de se manifester par des miracles, il reproche aux Juifs leur méchanceté bien qu’ils ne l’eussent pas encore montrée au dehors : c’est ce qui arriva par exemple lors de la guérison du paralytique. En effet, après lui avoir dit : « Mon fils, aie confiance ; tes péchés te sont remis », comme ils disaient en eux-mêmes : « Celui-ci blasphème », le Christ, avant de raffermir le paralytique, leur adresse ces paroles : « Pourquoi pensez-vous mal en vos cœurs ? » (Mat 9,2, 3, 4) Il leur donne ainsi de sa divinité la preuve la plus grande en leur montrant qu’il connaît les pensées secrètes. « Car il est écrit, seul vous connaissez les cours. » (1Ro 8,39) Et David dit encore : « Dieu qui scrute les cœurs et les reins. » (Psa 7,10) Dieu donna souvent cette connaissance aux prophètes pour montrer que leurs paroles n’avaient rien d’humain, mais qu’elles leur venaient d’en-haut, du ciel. C’est pourquoi cet Isaïe à la grande voix, après avoir montré tant de douceur en parlant au roi, l’avoir retiré du danger, l’avoir rassuré pour le présent, et lui avoir donné pour gage de la vérité de sa prophétie la révélation des desseins formés par l’ennemi, la découverte d’une trahison, l’annonce d’une ruine entière et absolue pour Israël, la détermination précise de l’époque, Isa. dis-je, sans se contenter de cela, va plus loin encore, il n’attend pas que le roi lui demande un miracle, il l’y exhorte malgré son excessive incrédulité ; bien plus, il le laisse maître du choix : il ne lui dit pas « tel ou tel miracle », mais bien « celui que tu veux. » Le Maître est riche, son pouvoir infini, sa force indicible. Le veux-tu dans le ciel, rien ne s’y oppose ; sur la terre, aucun obstacle. C’est ce que signifient ces mots « ou au fond de la terre ou au plus haut des cieux. » Comme cela même ne le décidait pas, le Prophète, loin de se taire, ajoute un blâme sévère, et cela, pour convertir le roi, pour lui montrer qu’il n’avait pas réussi à tromper, à donner le change sur ses sentiments, et il annonce un événement ineffable, il prophétise le salut de la terre et la rénovation de toutes choses, et il dit que ce signe ne sera pas pour le seul Achaz, mais pour tout le peuple. Au commencement il adressait la parole au roi ; mais quand il eut dévoilé son indignité, il parla à tout le peuple : « Aussi, dit-il, il donnera un signe, non pas à loi, mais à vous. » À vous, à qui donc ? A vous qui êtes dans la maison de David. C’est de là comme d’une tige que sortira ce signe. Et quel signe ? « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel. » Il faut observer, comme je l’ai dit plus haut, que ce n’est plus à Achaz qu’est donné ce signe. Ce n’est pas là une conjecture : car voyez les accusations et les blâmes du Prophète : « Est-ce peu pour vous que de lasser la patience des hommes? » et il ajoute : « C’est pourquoi le Seigneur vous donnera un signe. Voici que la vierge concevra. » Si elle n’eût pas été vierge, ce n’eût pas été un signe. Car un signe doit sortir de l’ordre habituel des choses, du cours ordinaire de la nature, avoir quelque chose d’insolite, d’étrange même, pour être remarqué par chacun de ceux qui le voient et l’entendent. C’est pour cela qu’on l’appelle signe, parce qu’il signifie. Or il ne signifierait pas, s’il restait caché dans l’ordre habituel des choses. Aussi si le Prophète avait parlé d’une femme enfantant selon le cours ordinaire de la nature, pourquoi appeler « signe » une chose qui arrive tous les jours ? Aussi il ne dit pas au commencement, voici qu’une vierge, mais « voici que la vierge », voulant marquer par l’addition de l’article que cette vierge était remarquable et seule entre toutes. Que cette addition ait bien la signification indiquée, nous pouvons le voir dans l’Évangile. Lorsqu’en effet les Juifs envoyèrent demander à Jean : « Qui es-tu ? » ils ne lui dirent pas : « Es-tu Christ », mais bien : « Es-tu le Christ ? » Ils ne dirent pas : « Tu es prophète », mais : « Es-tu le Prophète ! » (Jn 1,19-25) C’est-à-dire le Christ, le Prophète par excellence. Saint Jean ne dit pas en commençant sors Évangile : « Au commencement était un Verbe », mais : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu. » (Jn 1,1) De même ici, Isaïe ne dit pas : Voici qu’une vierge, mais « Voici que la vierge », et il met en tête, comme il était digne d’un prophète de le faire, « Voici que. » Ces événements en effet, il les voyait presque, il se les représentait par l’imagination, ils étaient pour lui évidents tes prophètes voyaient les événements futurs plus clairement que nous ne voyons ce qui se passe sous nos yeux. Nos sens peuvent se tromper ; la grâce de l’Esprit-Saint les éloignait de toute erreur. 6. Et pourquoi ne pas ajouter que cette conception aurait lieu par la vertu de l’Esprit-Saint ? C’était une prophétie et il fallait parler d’une manière obscure, comme je l’ai dit souvent, à cause de la grossièreté des auditeurs, de peur qu’une connaissance exacte des choses ne les portât à brûler les Livres saints. S’ils n’ont pas épargné les prophètes, à plus forte raison n’eussent-ils pas épargné leurs livres. Ceci n’est pas une simple conjecture car un autre roi, du temps de Jérémie, déchire la Bible et la livre aux flammes (Jérémie, 36,23) Voyez-vous cette folie intolérable, cette colère insensée ? Il ne lui suffit pas de faire disparaître le livre, il le brûle pour satisfaire une passion délirante. Toutefois cet admirable prophète, même en restant obscur, a su tout indiquer. Une vierge, tout en restant vierge, comment peut-elle concevoir si ce n’est par la vertu de l’Esprit-Saint ? Car enfreindre les lois de la nature ne saurait appartenir qu’à celui qui les a faites. Ainsi, en disant que la vierge enfantera, le Prophète a tout dévoilé. Après cet enfantement, il prédit le nom de l’enfant, non celui qui lui fut donné, mais celui qui lui convenait. De même qu’il appelle Jérusalem ville de la justice, non pas qu’elle ait jamais porté ce nom, mais parce que toutes les choses le lui donnaient, parce qu’elle devait se changer et devenir meilleure et accomplir toute justice, de même encore qu’il l’appelle prostituée, non qu’elle ait été ainsi désignée, mais parce que sa perversité lui méritait ce nom, comme sa vertu celui de ville de justice, de même, pour le Christ, il lui donne le nom que la nature des choses indiquait. Car c’est alors que Dieu fut avec nous, lorsqu’il parut sur la terre, conversant avec les hommes, et leur montrant la plus grande affection. Ce n’est pas un ange, ce n’est pas un archange qui se fait notre compagnon, mais c’est le Maître lui-même qui descend et vient tout redresser, qui parle aux courtisanes, qui mange avec les publicains, qui entre dans les maisons des pécheurs, qui permet tus larrons de lui parler avec confiance, qui attire à lui les mages, qui va partout et réforme tout, et s’unit notre nature. Or le Prophète annonce tout et cet enfantement et les biens ineffables, immenses, qui en découlent. En effet, lorsque Dieu est avec les hommes, il n’y a plus à craindre, à trembler, mais tout nous devient rassurant : c’est ce qui nous est arrivé. Ces maux anciens et inguérissables nous ont été enlevés, cette sentence portée contre tout le genre humain a été effacée, le péché a perdu toute force et le démon toute tyrannie ; le paradis fermé à tous s’est ouvert pour la première fois à un meurtrier et à un brigand, les voûtes des cieux nous ont livré passage, l’homme s’est mêlé ; aux chœurs des anges, notre nature a été conduite jusqu’au trône du roi ; la prison de l’enfer est devenue inutile ; de la mort il n’est plus resté que le nom, la chose a disparu ; les chœurs des martyrs, des femmes ont brisé l’aiguillon de l’enfer. C’est dans la prévision de ces événements que le Prophète tressaillait de joie et d’allégresse, et d’une parole il nous indique tout, en nous annonçant l’Emmanuel. « Il mangera le beurre et le miel ; avant de connaître ou de choisir le mal, il choisira le bien. Car avant de distinguer le bien et le mal, l’enfant s’éloignera du mal, pour rechercher le bien (15, 16). » Comme cet enfant ne devait pas être simplement un homme, ni seulement un Dieu, mais un Dieu dans un homme, c’est avec raison que le Prophète présente la chose sous plusieurs faces, tantôt sous celle-ci, tantôt sous celle-là, et parle de choses étranges, de peur que la grandeur du miracle n’empêche d’y croire. Après avoir dit que la Vierge enfantera, ce qui déjà est au-dessus de la nature, que cet enfant sera appelé Emmanuel, ce qui est au-dessus de toute attente, il veut empêcher qu’en entendant ce mot Emmanuel, on n’aille embrasser sur l’Incarnation les erreurs de Marcion et de Valentin, et il donne de l’Incarnation la meilleure preuve, il la tire du besoin de nourriture auquel sera assujetti le Dieu homme. Que dit-il en effet ? « Il mangera le beurre et le miel. » Cela ne convient pas à la divinité, mais bien à notre nature. C’est encore pour la même raison que le Verbe ne forma pas immédiatement un homme pour habiter en lui, mais qu’il se renferma dans le sein d’une femme, et cela pendant neuf mois, qu’il naquit, fut enveloppé de langes, fut nourri comme on l’est dans le premier âge, pour fermer la bouche à ceux qui essayeraient de nier l’Incarnation. Éclairé par la grâce divine, le Prophète voyait tout cela ; mais au lieu de parler seulement de cette naissance et de cet enfantement miraculeux, il parle de la nourriture que prendra l’homme-Dieu dans son premier âge, encore revêtu de ses langes, nourriture semblable à celle des autres hommes, et qui n’aura rien d’extraordinaire. En lui tout n’était pas différent de nous, mais tout n’y était pas semblable. Naître d’une femme, c’est notre condition ; d’une vierge, c’est au-dessus de notre nature. Prendre de la nourriture selon les lois ordinaires de la nature et la même nourriture que les autres hommes, c’est notre condition ; mais être étranger à tout vice, n’avoir jamais donné la moindre marque de perversité, voilà qui est extraordinaire, étonnant et qui ne convient qu’à lui. C’est pourquoi le Prophète mentionne l’une et l’autre chose. Ce n’est pas, dit-il, après avoir goûté le mal qu’il s’en éloigne, mais dès l’origine et parla vertu d’en haut il a pratiqué toute vertu. C’est ce que le Christ a dit lui-même : « Qui de vous me convaincra de péché ? » et encore : « Le prince de ce monde vient et il n’a rien en moi. » (Jn 8,46 et 14,30) 7. Le Prophète même que nous expliquons n’a-t-il pas dit : « Il n’a point commis l’iniquité et le mensonge ne s’est point trouvé dans sa bouche ? » (Isa 59,9) C’est aussi ce qu’il dit dans le passage actuel qu’avant même de connaître ou de choisir le mal, lorsqu’il sera encore dans cet âge de l’innocence, au commencement de sa vie, il embrassera la vertu et n’aura rien de commun avec le vice. « Car, avant de distinguer le bien et le mal, l’enfant s’éloignera du mal pour rechercher le bien. » Il répète dans les mêmes termes la même pensée et insiste sur la même idée. Comme ses paroles annonçaient une chose sublime, il s’efforce, en la répétant, de la faire croire. Ce qu’il a dit plus haut : avant de connaître ou de choisir le mal, c’est ce qu’il redit en ces termes : « L’enfant, avant de distinguer. » Et il insiste encore en disant : « Le bien et le mal, s’éloignera du mal pour rechercher le bien. » Ce fut là le caractère distinctif de l’enfant-Dieu. C’est celui que saint Paul fait continuellement remarquer, et saint Jean, en voyant le Christ, élève la voix pour crier : « Voici l’Agneau de Dieu, celui qui ôte le péché du monde. » (Jn 1,29) Mais celui qui enlève le péché des autres est à plus forte raison sans péché lui-même. C’est aussi ce caractère sur lequel, comme je l’ai dit plus haut, saint Paul insiste continuellement. Comme le Christ devait mourir, l’Apôtre, de peur qu’on ne crût que cette mort était la punition de son péché, rappelle sans cesse son innocence, pour montrer que sa mort était la rançon de notre péché. Aussi il dit : « Le Christ, ressuscité d’entre les morts, ne meurt plus : car s’il est mort, c’est pour le a péché qu’il est mort. » (Rom 6,9-10) Et cette mort, veut-il dire, il ne l’a pas endurée comme y étant soumis et à cause de son péché, mais à cause des péchés de tous. Si donc il n’était pas soumis à la première, il est plus que démontré qu’il ne mourra plus. « Le pays pour lequel tu trembles devant ces deux rois sera abandonné. » Ce que le Prophète fait en toute circonstance, il le fait ici encore. Après avoir annoncé les événements futurs, il revient aux présents. J’ai longuement montré qu’il en avait agi, à propos des séraphins, comme il agit ici. Il prophétise d’abord les biens que la terre entière devait recevoir, et ensuite il s’adresse au roi. C’est pourquoi il dit : « Le pays sera abandonné. » Qu’est-ce à dire, « abandonné ? » Il ne sera pas attaqué, il sera libre, il n’aura rien à craindre, rien à souffrir des maux de la guerre. « Le pays pour lequel tu trembles », pour lequel tu es dans la terreur et les angoisses « devant ces deux rois » de Syrie et d’Israël. Mais pour que l’annonce d’événements heureux n’amollisse pas le roi, et que la paix ne le rende pas indolent, le Prophète jette dans son âme une nouvelle inquiétude partes paroles : « Mais le Seigneur fera venir sur toi, sur ton peuple, sur la maison de ton père des jours tels qu’il n’y en a pas eu de semblables depuis qu’Ephraïm a fait venir de Juda le roi d’Assyrie (17). » Par là il indique cette invasion dans laquelle les barbares renversèrent la ville de fond en comble et enlevèrent tous les habitants captifs. Et il l’annonce, non pour qu’elle arrive, mais pour que la crainte les rendant meilleurs, ils éloignent ces maux de leur tête. Comme en effet rien n’avait pu les corriger, ni les biens qui leur avaient été départis sans aucun mérite de leur part (ce que montre la disposition d’esprit du roi et l’excès de son incrédulité), ni la menace de dangers effrayants, et qu’ils avaient résisté à ces deux remèdes salutaires, Isaïe annonce désormais un désastre plus profond, et cela pour retrancher toute corruption et guérir ces malades incurables. Que veulent dire ces mots, « depuis le jour où Ephraïm aura fait venir de Juda le roi d’Assyrie ? » Les barbares vinrent dans le dessein d’enlever toute la nation ; mais ils laissèrent Juda et ses deux tribus pour se jeter sur Israël. Voici donc ce que veut dire le Prophète : A partir du jour où les dix tribus attireront sur elles, par l’énormité de leurs fautes, l’armée des barbares qui sera venue d’abord contre vous, et où elles seront emmenées captives, à partir de ce jour il vous faut craindre et trembler : car cette armée s’avancera et viendra contre vous, si vous ne changez. Et il dit : A partir de ce jour Dieu les amènera. Car ce ne fut pas en même temps que les Israélites que les deux tribus furent enlevées ; mais l’intervalle ne fut pas long. 8. Voici donc ce qu’il dit : Ces jours étaient fixés ; mais Dieu attendait, prenait patience bien que leurs fautes méritassent dès lors châtiment : souvent, quand le jour de la punition est fixé, Dieu attend, il temporise encore, preuve bien évidente de sa charité pour les hommes, signe bien manifeste contre ceux qui ne veulent pas profiter de sa longanimité. Déjà, dit le Prophète, la menace est faite, déjà la sentence est portée, déjà la colère de Dieu s’allume, il leur montre la vengeance, pour ainsi dire, à leurs portes, pour les exciter au repentir, les rendre meilleurs, leur imprimer une vive crainte par la ruine des autres, et pour empêcher qu’en se voyant épargnés par le châtiment qui en avait frappé d’autres ils ne devinssent encore plus négligents que par le passé. « Et en ce jour-là, le Seigneur fera venir d’un coup de sifflet les mouches qui dominent sur l’extrémité du fleuve de l’Égypte (18). » Vous le voyez, j’avais raison en disant que c’est pour augmenter leur frayeur que Dieu leur fait dès ce jour ses menaces. Ce qui suit produit le même effet, il accroît par ses paroles leur terreur en leur montrant ces armées qu’ils redoutaient tant, cette invasion si facile (ce qui devait les épouvanter), le grand nombre de ces barbares, ce qui devait leur faire perdre toute assurance ; toutes ces choses, il les indique dans ce qui va suivre. Voyez : « En ce jour-là le Seigneur fera venir d’un coup de sifflet les mouches. » Il appelle mouches les Égyptiens, à cause de leur impudeur et de leur effronterie, et aussi parce que repoussés continuellement ils revenaient continuellement à la charge, sans les laisser respirer, leur tendant mille pièges, les harcelant sans cesse dans l’infortune, comme les mouches s’attaquent aux blessures. Dieu, dit-il, les amènera. Mais au lieu de dire il les amènera, il dit : « Il les fera venir d’un coup de sifflet », pour faire voir combien sera facile cette invasion, combien est invincible la puissance de Dieu, à qui il suffit de faire signe pour que tout le suive. Et c’est avec raison qu’il profite de cela pour les menacer des maux qu’ils ont éprouvés déjà. « Et l’abeille qui est au pays d’Assur. » Le syrien et l’hébreu lisent, diton, non pas les « abeilles, mais les guêpes. » Comme les Juifs ne connaissaient pas bien ces peuples, le Prophète leur imprime par cette figure une plus vive crainte, leur faisant voir par cet animal combien les ennemis seront terribles, effrayants, inévitables, combien leurs blessures seront profondes et leur présence soudaine. « Ils viendront et se reposeront tous dans les gorges de ce pays, dans les creux des rochers, dans les cavernes, dans tous les trous, sur tous les arbres (19). » Après avoir annoncé combien la présence des ennemis sera effrayante et leur marche rapide, il dit quelle sera leur multitude. Il ne dit pas, ils camperont, mais « ils se reposeront », non comme s’ils étaient venus dans un pays ennemi, mais comme s’ils habitaient leurs propres demeures, non comme s’il leur fallait travailler et combattre, mais comme s’ils couraient au-devant d’une victoire certaine et d’un butin assuré. C’est pour cela qu’il dit : « Ils viendront et se reposeront », ce qui ne convient qu’à des vainqueurs, à des hommes qui ont remporté une victoire, et qui reposent après des luttes et des fatigues nombreuses. Et ce ne sera pas dans les plaines seulement qu’ils se reposeront ; mais comme cette multitude est innombrable et que le pays ne suffit pas à la contenir, abîmes, rochers, montagnes, forêts, tout, en un mot, est un asile pour ces barbares. Quand même les ennemis ne seraient pas si terribles ni les Juifs si faibles, il suffirait de ce grand nombre pour les effrayer ; mais quand ces deux choses se trouvent réunies, la multitude et la puissance, quand (chose plus redoutable encore) c’est la colère de Dieu qui les conduit, quel espoir de salut peut-on conserver ? Ces mots « dans tous les trous, sur tous les arbres » renferment une hyperbole : car ils n’allaient pas se reposer sur des arbres ; mais, comme je l’ai indiqué plus haut, il y a tout à la fois hyperbole et continuation de la métaphore tirée des guêpes. « En ce jour-là le Seigneur se servira comme d’un rasoir enivré (20). » Il vient d’imprimer une vive crainte de ces armées ; il la renouvelle maintenant, en faisant agir le ciel même, en montrant que ce ne sont pas quelques barbares Égyptiens ou Perses, mais Dieu lui-même qui combat contre les Juifs. Il appelle rasoir sa colère devant laquelle rien ne peut résister, que personne ne peut soutenir, qui s’avance et ruine tout sans éprouver la moindre difficulté. De même que les cheveux ne peuvent supporter le tranchant du rasoir, mais qu’ils cèdent et tombent aussitôt, de même les Juifs ne pourront nullement résister à la colère de Dieu. 9. Ce rasoir enivré désigne donc la colère d’un Dieu plein de fureur, prêt à se venger, une sentence qui va s’exécuter. « Au-delà du fleuve du roi des Assyriens », c’est-à-dire au-delà de l’Euphrate, comme était la Judée et toute la Palestine par rapport à ceux qui viennent de la Perse. Tout cela, dit-il, sera détruit entièrement. Par ces mots tête, cheveux, barbe, pieds, il désigne tout le pays sous une métaphore empruntée du corps humain, et il embrasse dans ces paroles la contrée tout entière, comme il l’a fait au commencement lorsqu’il disait : « Toute tête est languissante et tout cœur abattu. Des pieds jusqu’à la tête, il n’y a rien d’intact en lui (Isa 1,5-6) ; » là il parlait non d’un homme, mais de tout le pays qu’il comparait à un seul corps. C’est encore ce qu’il veut dire ici, savoir que toute la terre aura à subir un châtiment exemplaire. Il emprunte d’un côté ses images à un rasoir, de l’autre côté au corps humain, pour montrer que l’arrêt porté par Dieu produira un effet plus terrible que le rasoir, qu’il fera disparaître les hommes et tout ce que porte la terre, pour la laisser déserte et inhabitée. Il se sert encore d’une autre image pour exprimer cette désolation. Il le fait pour que la crainte grandisse toujours et reste, et pour éviter que la terreur ne diminue par suite d’un si long discours. Il semble à quelques-uns que ces paroles renferment la promesse de certains biens ; mais un examen plus profond fait voir qu’il n’y a que la description d’une désolation extrême. Que dit-il en effet ? « En ce temps-là un homme nourrira une vache et deux brebis, et à cause de l’abondance de leur lait, il se nourrira de beurre ; car tous ceux qui auront été laissés sur la terre mangeront le beurre et le miel (21, 22). » Cela indique, comme je l’ai dit plus haut, une grande solitude. En effet, la terre qui produit du blé et de l’orge, étant dépourvue d’habitants fournira aux animaux une nourriture abondante et si abondante que deux brebis et une vache s’en nourrissant donneront à leur possesseur des fontaines de lait. Ainsi l’abondance de vivres pour les animaux est une marque évidente que les hommes auront disparu. Et voici ce qu’indique le miel ; les abeilles aiment ordinairement à habiter dans les lieux déserts parce qu’elles y trouvent une nourriture abondante et que personne ne les trouble. Et pour mieux vous convaincre que le Prophète parle d’une solitude extrême, voyez la suite : « Et en ce temps, dans les lieux où l’on avait vendu mille pieds de vigne mille sicles, il ne croîtra que des ronces et des épines. On n’entrera qu’avec l’arc et les flèches, parce que les ronces et les épines couvriront toute la terre (23-24). » C’est la marque d’un grand malheur quand non seulement les montagnes et les forêts, mais la terre arable elle-même et celle qui n’attend que la culture produit des ronces. Ce n’est pas sans raison qu’il a parlé du prix des vignes, c’est pour nous montrer la fertilité de la terre et les soins des cultivateurs. Eh bien ! dit-il, même ces lieux si fertiles, si dignes des soins des laboureurs seront tellement abandonnés qu’ils produiront au lieu de vignes des épines, et causeront à ceux qui les aborderont tant de terreur que nul n’osera y entrer sans défense et sans armes. Ces paroles marquent combien le lieu sera désert et comme les bêtes féroces y habiteront. Après avoir porté le trouble dans les âmes et jeté la crainte dans les cœurs, le Prophète s’adoucit un peu, pour annoncer aussi des événements heureux, la prospérité qui suivra, et faire comprendre par l’une comme par l’autre situation la puissance de Dieu. Mais il insiste suc les choses effrayantes et ne fait qu’effleurer les heureuses. Pourquoi cela ? Parce que c’était surtout par là réprimande que le peuple avait besoin d’être traité à ce moment : aussi après avoir administré sans ménagement ce remède, voulant laisser respirer quelque peu les auditeurs et les exciter encore par là à la vertu, il annonce des événements heureux en disant : « Toute montagne sera cultivée par la charrue. » De même en effet que, pendant la colère de Dieu, même la terre arable a été abandonnée, de même quand il sera apaisé, la terre dure deviendra comme la terre meuble, et comme elle, sera labourée et ensemencée. Quand ces choses arriveront, leurs conséquences se produiront aussi, la paix, l’abondance, la confiance, la sécurité, en un mot, l’état d’autrefois, « La crainte sera bannie. Cette terre infertile et couverte de ronces se changera en pâturages pour les brebis et sera foulée par les bœufs (25). » Par ces détails le Prophète indique encore l’abondance, comme il dira plus loin. « Heureux qui ensemence toutes les eaux et qui envoie le bœuf et l’âne dans ses pâturages. » (Isa 32,20) En effet, de même que pour dépeindre la solitude, il parle de sirènes et d’onocentaures, de même, pour dépeindre la paix et la tranquillité, il ne parle que d’animaux domestiques et apprivoisés, propres au travail des champs ; il les montre remplissant tous les lieux, pour faire entendre par là la culture et ses conséquences.
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