John 10
HOMÉLIE LIX.
ET ILS LE CHASSÈRENT DEHORS. JÉSUS APPRIT QU’ILS L’AVAIENT AINSI CHASSÉ, ET L’AYANT RENCONTRÉ, IL LUI DIT : CROYEZ-VOUS AU FILS DE DIEU ? – IL LUI RÉPONDIT : QUI EST-IL, SEIGNEUR, AFIN QUE JE CROIE EN LUI ? (VERS. 35, 36, JUSQU’AU VERS. 13 DU CHAP. X)ANALYSE.
- 1. Jésus-Christ vient au-devant de l’aveugle-né comme pour le complimenter de sa confession courageuse, il lui accorde une nouvelle grâce.
- 2. À quelles différentes marques on reconnaît le voleur et le pasteur.
- 3. Jésus est le vrai Pasteur et le vrai Christ.
- 4. Nous devons demeurer sous la conduite de Jésus-Christ, notre vrai Pasteur ; entendre sa voix. – Ce qu’il faut faire pour être sous la garde du Pasteur. – Amour de notre Pasteur : il a donné sa vie pour nous. – Il est tout-puissant, il nous aime, nous nous perdons par notre faute. – Comment on se perd. – Nul ne peut servir Dieu et les richesses. – Leur tyrannie, leur empire est plus cruel qu’aucun autre ; c’est le plus dur et le plus horrible de tous les esclavages : description des maux qu’il produit : l’homme qui s’attache aux richesses se dégrade et s’avilit. – Le pauvre est de même condition que nous, il participe à la même naissance spirituelle. – Recommandation de l’aumône.
▼L’Agonothète, titre d’un magistrat qu’on choisissait chez les Grecs pour présider aux jeux sacrés : il en faisait la dépense, il déclarait aussi vainqueurs ceux qui l’avaient mérité, et leur distribuait les prix proposés dans ses jeux.
, reçoit cet athlète qui sort du combat victorieux et triomphant. Et que lui dit-il ? « Croyez-vous au Fils de Dieu ? » Que veut dire cela ? Après avoir si longtemps disputé contre les Juifs, après tant de paroles qu’il a dites pour la défense de la vérité, Jésus lui demande s’il croit ; ce n’est pas qu’il l’ignore, mais c’est parce qu’il veut se faire connaître, et montrer combien il estime la foi de cet homme. Un si grand peuple, dit-il, m’a chargé d’injures, je n’en fais point de cas ; la seule chose que je désire, c’est que vous croyiez en moi, car un seul homme qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux qu’une grande multitude de prévaricateurs ▼▼Un seul homme qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux qu’une multitude de prévaricateurs. Le saint Docteur fait sans doute allusion à ce passage de l’Ecclésiastique : « Un vaut mieux que mille », auquel il ajoute en plusieurs endroits où il le cite, le mot : δίχαιος, unus justus ; un seul homme juste, comme on peut le voir dans la vingt-quatrième et la trente-neuvième homélie sur la Genèse. Nous remarquons que la bible de Complute a suivi la même leçon. Et ce même sens se trouve aussi dans notre Vulgate, qui dit : Un seul enfant qui craint Dieu, vaut mieux que mille qui sont méchants. Melior est unus timens Deum, quam mille filii impii. Loc cit. (Sir 16,3, selon les Septante)
. « Croyez-vous au Fils de Dieu ? » Jésus l’interroge comme étant lui-même le Fils de Dieu, lui qui est présent à ses yeux, et il commence par lui inspirer le désir de le connaître. Car il ne lui a point dit : Croyez sur-le-champ ; mais il l’a interrogé sur sa créance. Que répond-il donc ? « Et qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? » Réponse d’un homme qui souhaite et désire ardemment : il ne connaît pas celui pour qui il a tant parlé, et en cela même il vous fait connaître la grandeur de son amour pour la vérité : la faveur ni l’intérêt ne l’avaient point fait parler, puisqu’il n’avait pas encore vu son bienfaiteur. « Jésus lui dit : Vous l’avez vu, et c’est celui-là même qui parle à vous (37) ». Il ne dit point : c’est moi ; usant encore de ménagement, il lui répond. « Vous l’avez vu ». Ces paroles étaient obscures, c’est pourquoi il en ajoute de plus claires, et il dit : « C’est celui-là même qui parle à vous ». L’aveugle répondit : « Je crois, Seigneur : et, se prosternant » aussitôt, « il l’adora (38) ». Le Sauveur ne lui dit pas non plus : C’est moi qui vous ai guéri, c’est moi qui vous ai dit : allez vous laver dans la piscine de Siloé ; mais passant ces choses sous silence, il lui dit : « Croyez-vous au Fils de Dieu ? » Sur quoi l’aveugle se prosterna incontinent et l’adora avec une grande démonstration d’amour et d’affection ce que firent un petit nombre seulement de ceux qu’il avait guéris, comme les lépreux et quelques autres peut-être. Jésus lui découvrit ensuite sa divine puissance ; car, afin qu’on ne crût pas que c’étaient là de simples paroles, il y joignit le témoignage des œuvres. Et comme l’aveugle était encore prosterné à ses pieds pour l’adorer, il ajouta : « Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (39) ». Saint Paul dit la même chose : « Que conclurons-nous donc ? Que les gentils qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice, et une justice qui vient de la foi en Jésus-Christ ▼▼C-à-d ils ont été justifiés par la foi en Jésus-Christ, et non par les œuvres de la Loi.
; qu’au contraire, les Israélites qui recherchaient la justice de la loi, ne sont point parvenus à cette justice ». (Rom 9,30) Quand Jésus-Christ a dit : « Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement », il a affermi l’aveugle dans la foi, et il y a invité ceux qui le suivaient, à savoir : les pharisiens. Et ce mot : « un jugement », signifie un plus grand supplice ; par là il montre que ceux qui le condamnaient étaient eux-mêmes condamnés ; et que ceux qui l’appelaient un pécheur étaient eux-mêmes réprouvés comme tels. De plus, le Sauveur déclare ici qu’il y a deux sortes de vues à recouvrer, et deux aveuglements : l’un sensible, l’autre spirituel. Alors quelques-uns de ceux qui le suivaient lui dirent : « Sommes-nous donc aveugles (40) ? » Et comme, dans une autre occasion, ils avaient dit. « Nous n’avons jamais été esclaves de personne » (Jn 8,33) ; et : « Nous ne sommes pas des enfants bâtards » (Id 41) : maintenant de même ils n’ont d’yeux et d’oreilles que pour les choses sensibles, et telle est la cécité à laquelle ils rougiraient d’être en proie. Après quoi Jésus-Christ, pour leur faire connaître qu’il vaudrait mieux pour eux d’être aveugles que de voir, leur dit : « Si vous étiez et aveugles, vous n’auriez point de péché (41) ». Les Juifs regardant donc comme une ignominie le malheur d’être aveugles, Jésus-Christ rétorque leur discours contre eux, et leur dit : c’est là ce qui vous rendrait moins coupables, et vous ne seriez pas si sévèrement punis. Ainsi le Sauveur écarte toujours les sentiments humains et charnels, et il élève l’âme en lui inspirant des pensées grandes et admirables. Vous dites donc maintenant que vous voyez. Comme Jésus-Christ leur avait dit ailleurs : Vous dites qu’il est votre Dieu ; de même il leur dit ici : « Mais maintenant vous dites que vous voyez » ; car dans la vérité vous ne voyez point. Ici Jésus-Christ montre aux Juifs que ce qu’ils regardaient comme un très-grand sujet de gloire et de louanges, serait la cause du rigoureux supplice auquel ils seraient condamnés. Il console de sa cécité l’aveugle de naissance. Ensuite il parle de leur aveuglement ; car, de peur qu’ils ne disent : si nous ne vous suivons pas, si nous ne vous croyons point, ce n’est pas que nous soyons aveugles, mais c’est parce que nous vous avons en horreur comme un séducteur ; il ne les entretient que de ce sujet. 2. Et ce n’est pas sans raison que l’évangéliste a marqué que quelques pharisiens, qui étaient avec Jésus, comprirent ces paroles et lui dirent : « Sommes-nous donc aussi aveugles ? » C’est pour vous faire ressouvenir que ce sont les mêmes qui s’étaient auparavant retirés de sa suite, et qui avaient jeté des pierres sur lui. Car quelques-uns le suivaient par manière d’acquit ; aussi ils le quittaient et se tournaient facilement contre lui. Par où Jésus-Christ prouve-t-il donc qu’il n’est pas un imposteur et un charlatan, mais le pasteur ? C’est en opposant les unes aux autres les marques et du pasteur et du charlatan, qu’il leur donne le moyen d’examiner et de connaître la vérité. Et premièrement, il montre ce que c’est qu’un fourbe et un larron, le qualifiant ainsi par les Écritures mêmes. « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie des brebis, mais qui y monte par un autre endroit, est un voleur et un larron ». (Chap 10,1) Observez, mes frères, les marques du larron : premièrement, il n’entre pas de jour, ni publiquement ; en second lieu, il n’entre pas par l’autorité des Écritures, car, entrer par les Écritures, c’est entrer par la porte. Au reste, le Sauveur désigne ici les faux prophètes, les faux pasteurs qui l’avaient précédé, et ceux qui devaient le suivre : l’Antechrist, les faux christs, Judas, Théodas (Act 5,36), et tous les autres de cette espèce ; et c’est avec justice qu’il appelle les Écritures la porte. Ce sont elles qui nous mènent à Dieu et nous le font connaître : ce sont elles qui font les brebis : ce sont elles qui les gardent et qui ferment l’entrée aux loups. En effet, les Écritures, comme une porte sûre, empêchent les hérétiques d’entrer, nous garantissent la possession de tout ce que nous tenons à conserver, et nous préservent de toute erreur. Et si nous n’ouvrons pas nous-mêmes cette porte, nos ennemis ne pourront pas facilement nous prendre. Par là nous discernerons et nous connaîtrons ceux qui sont véritablement pasteurs, et ceux qui ne le sont pas. Mais que signifie ce mot : « Dans la bergerie ? » il fait allusion aux brebis et à leur garde. Car, celui qui n’entre pas par la sainte Écriture, mais qui monte par un autre endroit, c’est-à-dire, celui qui se fraye un chemin différent de celui que les Écritures ont tracé et nous ont ouvert, celui-là, dis-je, est un voleur. Ne le remarquez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ, en invoquant le témoignage des Écritures, montre de cette façon son union avec le Père ? C’est pourquoi il disait aux Juifs : « Lisez avec soin les Écritures » (Jn 5,39) ; c’est pourquoi il a pris Moïse à témoin, et aussi tous les prophètes. « Tous ceux », dit-il, « qui écoutent les prophètes, viendront à moi ». Et : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi ». (Jn 5,46) Mais ici il dit ces choses métaphoriquement. Et lorsqu’il a dit : « Qui monte par un autre endroit », il a désigné les scribes, qui transgressaient la loi, enseignant les opinions des hommes comme la vraie doctrine et les préceptes du Seigneur. Jésus-Christ leur en fait un reproche, en disant : « Nul de vous n’accomplit la loi ». (Jn 7,19) Le divin Sauveur a fort bien dit : « Qui monte », et non pas qui entre : ce qui marque l’action d’un voleur qui fait ses efforts pour franchir une cloison et ne cesse pas de s’exposer au péril. Voyez-vous ce portrait du voleur ? A présent, observez ce qui désigne le pasteur. « Celui qui entre par la porte, est le pasteur des brebis (2). C’est à celui-là que le portier ouvre, et les brebis entendent sa voix : il appelle les brebis par leur nom (3). Et lorsqu’il a fait sortir ses propres brebis, il va devant elles (4) ». Jésus-Christ a fait le portrait et du pasteur et du larron ; voyons de quelle sorte il leur applique les paroles qui suivent : « C’est à celui-là », dit-il, « que le portier ouvre ». Il continue la métaphore pour donner plus de force et d’énergie à ses paroles. Que si vous voulez examiner en particulier chaque terme de la parabole, rien ne nous empêche d’entendre ici Moïse sous ce nom de portier, car c’est à lui que Dieu a confié ses oracles ; c’est sa voix que les brebis entendent, « et c’est lui qui appelle ses propres brebis par leur nom ». En effet, comme les scribes et les pharisiens appelaient souvent Jésus un séducteur, et confirmaient le peuple dans cette opinion par leur incrédulité, disant : « Y a-t-il quelqu’un a des sénateurs qui ait cru en lui ? » (Jn 7,48), il leur fait voir, et leur dit qu’il n’est pas un séducteur parce qu’ils le croient tel, mais que c’est eux-mêmes qu’il faut appeler séducteurs et méchants, parce qu’ils ne l’écoutent pas et ne croient point en lui ; et aussi que, pour cette raison, ils sont justement chassés de la bergerie. S’il est du pasteur d’entrer par la vraie porte, et si c’est par là que Jésus est entré, tous ceux qui le suivent pourront être des brebis ; ceux au contraire qui se sont séparés, n’ont pas pour cela fait tort au pasteur, mais ils s’en sont fait à eux-mêmes en se séparant de la société des brebis. Que si ensuite il se dit lui-même la porte, ne vous troublez pas : il se dit lui-même et le pasteur et la brebis, selon les différentes fonctions qu’il s’attribue. Ainsi quand il nous offre à son Père, il se dit la porte ; quand il prend soin de nous, il se dit le pasteur. Et il se dit le pasteur, afin que vous ne croyiez pas que nous offrir à son Père, ce soit là toute son œuvre. « Et les brebis entendent sa voix, et il appelle ses propres brebis, et il va devant elles ». Cependant, dans l’usage commun, c’est tout le contraire, les pasteurs suivent les brebis. Mais Jésus-Christ, pour montrer qu’il mènera tous les hommes à la vérité, agit contre la coutume des pasteurs ; de même que, quand il a fait sortir ses brebis, il ne les a pas éloignées des loups (Mat 10,16), mais il les a envoyées au milieu d’eux le soin pastoral chez le divin pasteur est bien différent de ce qu’il est chez nous ; il est autrement admirable. 3. Au reste, il me semble que c’est l’aveugle qui est ici désigné, puisque Jésus l’a appelé lorsqu’il était au milieu des Juifs, et que celui-ci a entendu sa voix et l’a reconnu. « Et elles ne suivent point un étranger, parce qu’elles ne connaissent point la voix des étrangers (5) ». En cet endroit Jésus-Christ parle de ceux qui ont suivi Théodas ou Judas (Act 5,36), dont il est écrit que tous ceux qui ont cru en eux, se sont dissipés, ou encore des faux christs qui devaient séduire bien des gens dans la suite. Et de peur que les pharisiens ne disent qu’il était un de ces faux christs, il fait voir qu’il est bien différent d’eux. La première différence qu’il apporte consiste en ce que sa doctrine provenait des Écritures, et que c’est par là qu’il conduisait ses brebis : or, les autres ne faisaient pas de même. La seconde, c’est l’obéissance de ses brebis. Ses brebis n’ont pas seulement cru en lui, lorsqu’il vivait, mais aussi après sa mort ; au lieu que les autres brebis se sont incontinent séparées de leurs pasteurs. Nous pouvons en ajouter une encore, qui n’est pas des moins considérables : c’est que ces faux christs, ces faux prophètes agissant en tyrans, faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour exciter le peuple à la révolte : mais Jésus-Christ était si éloigné de cette conduite, qu’il s’enfuit lorsque le peuple voulut le faire roi (Jn 6,15) ; et que quand on vint lui demander s’il était permis de payer le tribut à César, il répondit qu’il fallait le payer (Mat 22,17), et le paya lui-même. (Id 17,26) De plus, il est venu pour le salut de ses brebis, afin qu’elles aient la vie et qu’elles l’aient abondamment (Jn 10,10) ; mais les autres leur ont même ôté cette vie présente. Ceux-là ont trahi les brebis qui s’étaient confiées à eux, et ont pris la fuite ; mais Jésus-Christ est demeuré si ferme, et les a si courageusement défendues, qu’il a donné sa vie pour elles. Ceux-là ont souffert malgré eux et à contre-cœur ; mais Jésus-Christ n’a rien souffert que librement et volontairement. « Jésus leur dit cette parabole : mais ils ne comprirent point ce qu’il disait (6) ». Pour quoi donc leur parlait-il d’une manière obscure ? C’était polir les rendre plus attentifs. Mais aussitôt après il ôte toute obscurité par ces paroles : « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il entrera, il sortira, et il trouvera des pâturages » ; c’est-à-dire il vivra en sûreté et en liberté. Jésus-Christ appelle ici pâturages la nourriture des brebis, et la puissance et l’autorité qu’il leur donne c’est-à-dire la brebis demeure dans le bercail, et personne ne pourra l’en faire sortir. Et c’est là aussi ce qui est arrivé aux apôtres, qui entraient et sortaient librement comme maîtres de tout le monde, et personne n’a pu les chasser. « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des larrons, mais les brebis ne les ont point écoutés (8) ». Jésus. Christ ne parle point là des prophètes, comme le prétendent les hérétiques : car les brebis les ont écoutés, et c’est par eux qu’ont cru en Jésus-Christ, tous ceux qui ont cru en lui ; mais il parle de Théodas, de judas et des autres séditieux. De plus, ces paroles : les brebis ne les ont point écoutés, il les dit à la louange des brebis. Or, jamais il ne loue ceux qui n’ont point écouté les prophètes ; au contraire, il les blâme et les reprend fortement : d’où il est évident que c’est de ces séditieux que le Sauveur dit que les brebis ne les ont point écoutés. « Le voleur ne vient que pour voler, pour égorger et pour perdre (10) ». Comme il arriva dans la sédition de Théodas, où tous furent égorgés et massacrés. « Mais pour moi, à je suis venu, afin que » les brebis « aient la « vie, et qu’elles l’aient plus abondamment ». Qu’est-ce, je vous prie, qu’une vie plus abondante ? C’est le royaume des cieux. Mais il ne le dit pas encore, et il se sert du nom de vie, comme désignant une chose qui leur est connue. « Je suis le bon pasteur (11) ». Ici enfin Jésus-Christ parle de sa passion, il fait voir qu’il souffrira pour le salut du monde, et qu’il n’ira point à la mort malgré lui. Après cela le divin Sauveur apporte encore un moyen de reconnaître le pasteur et le mercenaire. « Car le bon pasteur », dit-il, « donne sa vie pour ses brebis. Mais le mercenaire, et celui qui n’est point pasteur et à qui les brebis n’appartiennent pas, voyant venir le loup, abandonne les brebis et s’enfuit : et le loup vient et les ravit (12) ». Par ces paroles Jésus-Christ montre qu’il est égal à son Père en puissance et – en autorité ; car il est lui-même le pasteur, à qui les brebis appartiennent. Ne remarquez-vous pas, mon cher auditeur, que dans les paraboles Jésus-Christ parle d’une manière plus élevée, parce que le discours y est plus enveloppé et plus obscur, et n’y donne pas manifestement prise aux critiques des auditeurs ? « Le mercenaire voit venir le loup et il abandonne les brebis ; et le loup vient et les ravit ». C’est là ce qu’ont fait les faux christs ; mais le vrai Christ a fait tout le contraire ; lorsqu’on l’a pris, il a dit : « Laissez aller ceux-ci », afin que cette parole fût accomplie : « Nul d’eux ne s’est perdu ». (Jn 17,12) On peut aussi en cet endroit entendre le loup spirituel, à qui Jésus n’a point permis de ravir les brebis. Celui-là n’est pas seulement un loup, mais encore un lion : « Car le démon, notre ennemi, tourne autour de nous comme un lion rugissant ». (1Pi 5,8) Il est le serpent et le dragon : « Foulez aux pieds les serpents et les scorpions ». (Luc 10,19) 4. C’est pourquoi je vous conjure ; mes chers frères, de demeurer sous la conduite du pasteur. Nous y demeurerons, si nous écoutons sa voix, si nous lui obéissons, si nous ne suivons point un étranger. Et quelle est la voix qu’il fait entendre ? « Bienheureux les pauvres d’esprit : bienheureux ceux qui ont le cœur pur : bienheureux ceux qui sont miséricordieux ». (Mrc 5,3, 7, 8) Si nous observons ces choses nous demeurerons sous la garde du pasteur, et le loup ne pourra point trouver d’entrée dans nous : mais quand même il se jetterait sur nous, ce serait à sa confusion et à sa perte. Car nous avons un pasteur qui nous aune si fort, qu’il a donné sa vie pour nous, Puis donc que notre pasteur est tout-puissant et nous aime, qu’y a-t-il qui puisse nous en pêcher de faire notre salut ? Rien, si nous ne faisons pas nous-mêmes défection. Et en quoi consisterait cette défection ? Écoutez-le, il vous l’apprend : « Vous ne pouvez servir deux maîtres, Dieu et les richesses ». (Mat 6,24) Si donc nous servons Dieu, nous échapperons à la tyrannie des richesses. Rien de plus tyrannique, en effet, que l’amour des richesses : il ne nous laisse aucun plaisir, mais il nous plonge dans les inquiétudes, dans l’envié ; il nous fait tomber dans des pièges, il suscite les haines, les calomnies, et mille choses qui sont autant d’obstacles pour la vertu ; il nous jette dans l’oisiveté, dans la mollesse, dans l’avarice, dans l’ivrognerie, dans tous ces vices qui changent les hommes libres en esclaves, et les rendent plus misérables que les esclaves : oui, dis-je, ils les rendent esclaves, non des hommes, mais de la plus terrible de toutes les maladies de l’âme. Celui qui est atteint de cette maladie n’hésite plus à faire mille choses qui déplaisent à Dieu et aux hommes, et il ne craint rien tant que quelqu’un ne le délivre de son esclavage. O dure servitude ! ô domination diabolique ! En effet, est-il un état plus affreux et plus misérable ? Nous sommes accablés d’une infinité de maux et nous en avons de la joie ; nous sommes dans les fers et nous aimons nos chaînes. Logés dans une obscure prison, nous refusons la lumière qu’on nous présente ; loin de là, nous cherchons à accumuler nos maux et nous nous réjouissons de notre maladie. C’est pourquoi, nous ne pouvons point recouvrer la liberté et nous sommes de pire condition que ceux qui sont condamnés aux mines, puisque, accablés de travaux et de misères, nous n’en recueillons aucun fruit, et ce qu’il y a encore de plus terrible, c’est que si quelqu’un veut nous tirer de cette cruelle servitude, nous ne le souffrons pas et même nous nous fâchons et nous nous mettons en colère. Nullement différents des fous, ou plutôt encore bien plus misérables qu’eux, nous ne voulons point guérir de notre folie. Mais, ô homme, est-ce pour cela que vous êtes venu au monde ? Est-ce pour travailler aux mines et amasser de l’or que Dieu vous a fait homme ? Non, certes, ce n’est point à cette fin que le Seigneur vous a formé à son image, mais c’est afin que vous vous rendiez agréable à sa divine Majesté, afin que vous acquériez les biens futurs, afin qu’un jour vous soyez associé aux concerts des anges. Pourquoi vous dégradez-vous d’une si haute dignité et vous laissez-vous tomber dans un avilissement si honteux et si infâme ? Celui qui est né du même enfantement que vous, je parle de l’enfantement spirituel, se consume de faim, et vous, vous regorgez de toutes sortes de biens. Votre frère marche tout nu dans les rues, et vous, vous entassez habits sur habits comme une pâture préparée pour les vers ; ne serait-il pas beaucoup mieux d’en couvrir le corps des pauvres ? De cette sorte, ces habits ne seraient point perdus, vous seriez délivrés de bien des soins, et les pauvres vous procureraient la vie éternelle. Si vous ne voulez pas que vos habits soient dévorés des vers, donnez-les aux pauvres, ils sauront fort bien les secouer et les garantir des vers. Le corps de Jésus-Christ est de plus grand prix et plus sûr que toutes vos armoires. Non seulement il conserve les habits, mais encore il les rend plus magnifiques. Pour peu que votre coffre soit emporté avec tous les vêtements que vous y gardiez, c’est pour vous une perte très-considérable. Mais le dépôt dont je parle, la mort même ne peut l’endommager, ni le ravir. Vous n’avez ici nullement besoin ni de portes, ni de serrures, ni de valets qui veillent, ni d’aucune autre précaution. Ce qui est caché dans le ciel est pleinement à couvert de toutes sortes de dangers ; nulle injustice ne peut approcher de ce lieu. Nous ne cessons point de vous dire ces choses, vous les écoutez et vous n’en profitez pas. En voici la raison : nous avons l’âme basse, rampante et attachée uniquement aux choses terrestres. Mais, à Dieu ne plaise que je vous condamne tous également, comme si vous étiez tous malades sans espoir de guérison ! Quand même ceux qui s’enivrent de leurs richesses se boucheraient les oreilles pour ne me point entendre, ceux du moins qui passent leur vie dans la pauvreté pourront m’écouter. Et en quoi, dira-t-on, ce que vous prêchez intéresse-t-il les pauvres, qui n’ont, ni or, ni argent, ni coffres pleins d’habits ? Mais ils ont du pain et de l’eau froide ; ils ont deux oboles, des pieds pour aller visiter les malades ; ils ont une langue et la parole pour consoler celui qui est dans l’affliction ; ils ont une maison et un toit pour recevoir l’étranger. Des pauvres, nous n’exigeons pas tant et tant de talents d’or : c’est aux riches que nous demandons cela. Que si ; le Seigneur vient à la porte du pauvre, du mendiant, il n’aura point de honte de recevoir même une petite obole (Mrc 12,43) ; au contraire, il dira qu’il a plus reçu de lui que de ceux qui lui ont beaucoup donné. Combien de gens aujourd’hui voudraient avoir été au monde dans le temps que Jésus. Christ, revêtu de notre chair, allait de côté et d’autre sur la terre, pour avoir part à ses entretiens et manger à sa table. Maintenant, oui maintenant, ce désir, il ne tient qu’à nous de le satisfaire nous pouvons l’inviter à notre table, nous pouvons manger avec lui et, avec plus d’avantage et de profit, car plusieurs de ceux qui ont mangé avec lui se sont perdus comme Judas et ceux de sa sorte. Mais quiconque maintenant l’invitera à entrer dans sa maison pour le loger et le faire manger à sa table, sera comblé de bénédictions. « Venez », dit-il, « venez, vous qui avez été bénis par mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. (Mat 25,34) Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’ai eu besoin de logement et vous m’avez logé ; j’ai été malade et vous m’avez visité (35) ; j’étais en prison et vous m’êtes venu voir (36) ». Afin donc qu’un jour nous nous entendions dire ces paroles, revêtons celui qui est nu, logeons l’étranger, nourrissons celui qui a faim, donnons à boire à celui qui a soif, visitons celui qui est malade, celui qui est en prison. Voilà, mes frères, le plus sûr moyen de paraître avec confiance devant Jésus-Christ, d’obtenir la rémission de ses péchés, d’acquérir ces biens qui surpassent toutes nos paroles et toute notre intelligence ; veuille le ciel nous les départir à tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire et l’empire appartiennent, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. HOMÉLIE LX.
JE SUIS LE BON PASTEUR, ET JE CONNAIS MES BREBIS, ET MES BREBIS ME CONNAISSENT. – COMME MON PÈRE ME CONNAÎT, JE CONNAIS MON PÈRE : ET JE DONNE MA VIE POUR MES BREBIS. (VERS. 14, 15, JUSQU’AU VERS. 21)ANALYSE.
- 1. Des mauvais pasteurs. – L’égalité du Fils avec le Père de nouveau affirmée.
- 2. Allusion à la vocation des Gentils. – Comment Jésus-Christ a le pouvoir de quitter sa vie et la reprendre.
- 3. Il s’élève parmi les Juifs une contestation au sujet de Jésus-Christ ; admirable patience du Sauveur.
- 4 et 5. Imiter Jésus-Christ, il est notre modèle : suivre les exemples de douceur et de patience qu’il nous a donnés. – Devoirs de ses disciples : douceur et patience. – La douleur des péchés efface toute autre douleur. – Un cœur contrit n’est occupé que de sa douleur, et n’est susceptible d’aucune passion. – Cette vie est un temps de pleurs et de gémissements. – On rit des vérités que les prédicateurs annoncent. – On pèche, et ors demeure dans son péché, et on tombe dans la fournaise qu’on a soi-même allumée. – Donner à manger et à boire à Jésus-Christ, non pendant quelques jours, mais pendant tout le temps qu’on est en ce monde. – Exemple des vierges folles, exclues des noces. – Faire une bonne provision d’huile, donner largement aux pauvres. – Être miséricordieux envers le prochain autant qu’on le peut. – Grande miséricorde, donner de son nécessaire. – Ne point faire l’aumône, c’est s’ôter toute espérance de salut : tout fidèle qui croit en bien, quel qu’il soit, a droit de participer à tous nos biens. – Les obligations du chrétien sont aisées et faciles à remplir. – Plus les commandements du Seigneur sont faciles, plus aussi seront grands les supplices à quoi seront condamnés ceux qui ne les servent pas. – Visiter les prisonniers : triste peinture de leur état et de leurs souffrances : rien n’est plus capable d’amollir le cœur et de faire penser aux jugements de Dieu. – Les puissances viennent de Dieu : le Seigneur leur a commis la garde et la sûreté des lois. – La crainte et les châtiments sont nécessaires pour retenir les hommes. – Avantage que l’on retire de la visite des prisonniers : et au contraire dangers que murent ceux qui fréquentent le théâtre. – Celui qui aura suivi en ce monde la bonne philosophie, entendra en l’autre des paroles bien consolantes. – Humanité et charité pour les prisonniers. – N’examiner pas à la rigueur ce que font les autres, mais plutôt ce que nous avons fait nous-mêmes. – Il se trouve quelquefois des gens de bien dans les prisons : Joseph en est un exemple. – Bonté de Jésus-Christ à recevoir les pécheurs : modèle de l’humanité que nous devons avoir pour eux. – Il y a hors des prisons des gens plus méchants et plus grands voleurs que ceux qui y sont enfermés. – Souvent on vole dans le petit, et par le menu, ce qu’on n’oserait pas voler en gros. – Ne pas donner le juste prix d’une marchandise ou la surfaire, c’est voler. – Ne pas s’établir juge des autres, mais de soi. – Ce que Dieu a fait pour nous, lors même que nous étions enfants de colère, nous apprend ce que nous devons faire pour notre prochain. – Il y a plus de mérite et plus de gloire à recevoir chez soi un pauvre et un malheureux, qu’à y recevoir un grand, un homme qui est dans la fortune, pourquoi. – Grandes récompenses pour ceux qui vont consoler les prisonniers.
HOMÉLIE LXI.
OR, ON FAISAIT A JÉRUSALEM LA FÊTE DE LA DÉDICACE, ET C’ÉTAIT L’HIVER. – ET JÉSUS SE PROMENANT DANS LE TEMPLE, DANS LA GALERIE, DE SALOMON, LES JUIFS S’ASSEMBLÈRENT AUTOUR DE LUI ET LUI DIRENT : JUSQUES A QUAND NOUS TIENDREZ-VOUS L’ESPRIT EN SUSPENS ? (VERS. 22, 23, 24, JUSQU’À LA FIN DU CHAP. X)ANALYSE.
- 1. Duplicité et incrédulité obstinée des Juifs. Lorsque Jésus-Christ les instruit par ses paroles, ils lui demandent des œuvres, et lorsqu’il fait des miracles, ils lui demandent des paroles.
- 2. La puissance du Père et du Fils est la même. – Les Juifs comprennent que Jésus se dit Dieu, et Jésus les laisse, comme toujours, dans cette pensée. – Jésus affirme donc sa divinité. – Saint Chrysostome revient très-souvent à ce raisonnement.
- 3 et 4. Jésus, repoussé par les Juifs, se retire au lieu où Jean lui avait rendu témoignage. – Dieu, dans l’ancienne Loi, a séparé son peuple de la société des méchants : il l’a mené dans le désert pour le former et l’instruire dans la voie de ses commandements. – Le Seigneur nous exhorte aussi de fuir le bruit et le tumulte du monde, et de faire nos prières en un lieu retiré. L’âme, qui est exempte des soins du siècle, demeure tranquille comme un vaisseau dans le port : – Devoirs des femmes : elles doivent être plus appliquées à la philosophie que les hommes ; pourquoi : pouvoir d’une femme pieuse et prudente. – La femme est la compagnie de l’homme : elle sait polir l’homme le plus grossier. – L’homme sage et réglé s’attache tendrement à la femme. – Portrait d’une femme chrétienne. – Quels sont les ornements dont elle se doit parer pour plaire à son mari. – Défigurer le corps, parer l’âme. – Contre le luxe des femmes.
▼De Perse : saint Chrysostome nomme souvent la Perse pour la Babylonie et l’Assyrie.
. Jésus-Christ était à cette fête. Aux approches de sa mort, il allait souvent dans la Judée. « Les Juifs s’assemblèrent donc autour de lui, et lui dirent : Jusques à quand nous tiendrez-vous l’esprit en suspens ? Si vous êtes le Christ, dites-le-nous clairement ». Le Sauveur n’a point dit : Quelle demande me faites-vous ? Vous m’avez souvent appelé possédé, fou, samaritain : vous me croyez contraire à Dieu, et un séducteur, et dernièrement encore vous disiez : « Vous vous rendez témoignage à vous-même, ainsi et votre témoignage n’est point véritable ». (Jn 8,13) Pourquoi m’interrogez-vous donc et voulez-vous apprendre de moi qui je suis, puisque vous rejetez mon témoignage ? Jésus ne dit rien de tout cela, quoiqu’il connût bien leur mauvaise intention. Et en effet, à juger d’eux par la manière dont ils s’étaient assemblés autour de lui, et avaient dit : « Jusques à quand nous tiendrez-vous l’esprit en suspens ? » ils semblaient avoir quelque amour pour lui, et on aurait pu croire qu’un sincère désir de connaître la vérité les portait à lui faire cette demande. Mais ces faiseurs de questions étaient de méchants esprits et des fourbes. Comme il ne leur était pas facile de calomnier les œuvres de Jésus-Christ, ils cherchaient à le surprendre dans ses paroles, ils en détournaient le sens et lui adressaient de fréquentes questions, espérant le réfuter et le confondre par son propre langage ; et comme il n’y avait pas moyen de blâmer ses œuvres, ils cherchaient l’occasion de le censurer sur ses paroles ; c’est pourquoi ils disaient : « Dites-nous ». Mais ce que vous demandez, il l’a souvent déclaré ; il a formellement, dit à la Samaritaine : « C’est moi qui vous parle » (Jn 4,26) ; il a dit à l’aveugle : « Vous l’avez vu ; et c’est celui-là même qui vous parle ». (Jn 9,37) Il le leur a dit aussi à eux-mêmes, mais en d’autres termes. Et s’ils avaient eu du bon esprit et du sens ; s’ils avaient bien voulu examiner la chose, ils auraient reconnu et confessé pour le Christ celui qui ; par ses œuvres, leur avait souvent prouvé qu’il l’était. Considérez maintenant leur méchanceté. Quand il prêche et les instruit par ses paroles, ils disent : « Quel miracle faites-vous ? » Et lorsque, par ses œuvres et ses miracles, il découvre et manifeste ce qu’il est, ils lui disent : « Si vous êtes le Christ, dites-le-nous clairement ». Lorsque les œuvres le crient et le publient, ils demandent des paroles, et lorsque les paroles le leur annoncent, ils demandent des œuvres ; ainsi ils ne sont point d’accord avec eux-mêmes. Mais la suite a bien fait voir, qu’ils ne l’avaient pas interrogé pour s’instruire et connaître la vérité, car ils jettent incontinent des pierres à celui même qu’ils font mine de vouloir croire sur son propre témoignage, si seulement il ouvre la bouche pour se le rendre. C’est donc avec un esprit malin et par une mauvaise intention qu’ils s’assemblent autour de lui et le pressent de se déclarer. La manière aussi dont ils l’interrogent montre une grande animosité : « Dites-nous clairement si vous êtes le Christ ». Mais il leur parlait publiquement dans leurs fêtes solennelles où il se trouvait toujours, et il ne disait rien en secret ; c’est pour cela qu’ils lui disent d’une manière flatteuse : « Jusques à quand nous tiendrez-vous l’esprit en suspens ? » pour tâcher de tirer quelque chose de sa bouche, qui leur donne lieu de l’accuser. Ce n’est pas seulement par là qu’on prouve qu’ils l’interrogeaient malicieusement, non pour s’instruire, mais pour le surprendre dans ses paroles, et avoir de quoi le calomnier. On le prouve encore par bien d’autres endroits. Lorsqu’ils lui envoyèrent faire cette question : « Nous est-il libre de payer le tribut à César, ou de ne le pas payer ? » (Mat 22,17) Lorsqu’ils vinrent lui demander s’il était permis à un homme de répudier sa femme (Mat 19,3) ; et lorsqu’ils l’interrogèrent sur, la femme qu’on disait avoir eu sept maris (Mat 22,25), ils firent assez connaître qu’ils ne lui avaient fait toutes ces questions que par malice, et dans le dessein de le surprendre et non de s’instruire. Mais alors Jésus les reprit, en leur disant : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous ? » (Mat 22,13) Faisant connaître qu’il voyait ce qui se passait dans le secret de leur cœur. Mais ici il ne leur dit rien de semblable, pour nous apprendre qu’il ne faut pas toujours faire des reproches à ceux qui nous tendent des pièges, et qu’il faut souffrir bien des choses avec douceur et avec résignation. Comme donc il y avait de la folie à demander le témoignage de la parole, là où les œuvres parlaient d’elles-mêmes, et publiaient hautement ce qu’il était ; voici de quelle manière leur répond Jésus-Christ, faites-y attention, mon cher auditeur. D’abord, il leur insinue que c’est sans sujet qu’ils lui font cette demande, et non pour s’instruire et connaître la vérité ; ensuite il leur montre que par ses œuvres il leur a plus clairement déclaré ce qu’il est, qu’il ne le ferait par ses paroles mêmes. Car il dit : « Je vous l’ai souvent dit, et vous ne me croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père, rendent témoignage de moi (25) ». Jésus leur fait cette réponse, parce que ceux qui parmi eux étaient les plus doux et les plus modérés, se disaient souvent les uns aux autres : « Car un méchant homme ne peut pas faire de tels prodiges » (Jn 9,16) ; et encore : « Le démon ne peut pas ouvrir les yeux des aveugles ». (Jn 10,21) Et derechef : « Personne ne saurait faire de si grands miracles, si Dieu n’est avec lui ». (Jn 3,2) Et aussi voyant les miracles qu’il faisait, ils disaient : « Ne serait-ce point le Christ ? » Mais d’autres disaient : « Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n’en fait celui-ci ? » (Jn 7,31) Au reste, ces mêmes Juifs, qui demandaient le témoignage de la parole, ont voulu croire en lui sur celui de ses œuvres, disant : « Quel miracle faites-vous, afin que, le voyant, nous vous croyions ? » 2. Comme ils faisaient donc semblant alors qu’ils croiraient sur sa parole, eux qui n’avaient point cru à tant et de si grandes œuvres, Jésus-Christ leur reproche leur malice et leur méchanceté, en disant : « Si vous ne croyez pas à mes œuvres, comment croirez-vous à mes paroles ? » C’est pourquoi la demande que vous me faites est vaine et inutile. « Mais je vous ai déclaré qui je suis », dit-il, et vous ne me croyez point, parce que vous « n’êtes pas de mes brebis (26) ». Le devoir de pasteur, je l’ai entièrement rempli ; mais si vous ne me suivez pas, votre refus ne vient point de ce que je ne suis point le pasteur, mais de ce que vous n’êtes pas de mes brebis. Car « mes brebis, », dit-il, « entendent ma voix, et me suivent (27) : et je leur donne la vie éternelle (28) » : et elles ne périront jamais, « et nul ne peut les ravir d’entre mes mains, parce que mon Père, qui me les a données, est plus grand que toutes choses, et personne ne les saurait ravir de la main de mon Père (29). Mon Père et moi, nous sommes une même chose (30) ». Remarquez, mes chers frères, cette grande miséricorde de Jésus-Christ : en rejetant ces malheureux, il les exhorte pourtant encore à le suivre. « Vous ne m’écoutez pas », leur dit-il, « parce que vous n’êtes pas de mes brebis » : mais celles qui me suivent sont de ma bergerie. Et il leur parlait de la sorte, afin qu’ils tâchassent d’être de ses brebis. Ensuite, après, leur avoir exposé le bien et l’avantage qu’il leur en reviendrait, le Sauveur les excite et les anime, pour leur inspirer le désir de le suivre. Quoi donc ! dira-t-on, si c’est à cause de la puissance du Père que nul ne ravit les brebis, s’ensuit-il que vous, vous n’ayez pas le pouvoir ou le talent de les garder ? Non, certes, ce n’est point là le sens de ces paroles ; Jésus-Christ, pour vous apprendre qu’il a dit : « Mon Père qui me les a données », afin que les Juifs ne l’accusassent pas de nouveau d’être contraire à Dieu ; Jésus-Christ, dis-je, après avoir dit : « Nul ne les ravira de mes mains », continue son discours, faisant connaître et déclarant que sa main et celle de son Père ne sont qu’une seule main. Si cela n’était pas ainsi, il devait dire : Mon Père, qui me les a données, est plus grand que toutes choses, et personne ne peut les ravir d’entre mes mains. Or, il n’a pas dit ainsi, mais : « Et personne ne les saurait ravir de la main de mon Père ». Après quoi, de peur que vous ne pensiez qu’il n’a pas la force de garder lui-même les brebis, et que c’est par la puissance de son Père qu’elles sont en sûreté, il a ajouté : « Mon Père et moi, nous sommes une même « chose » ; comme s’il disait : Je n’ai pas dit que personne ne les ravirait à cause de la puissance de mon Père, comme si je n’avais pas moi-même la puissance de les garder. « Car mon Père et moi, nous sommes une même chose », c’est-à-dire, ici, quant à la puissance. En effet, c’était là de quoi il parlait alors. Or, si la puissance est la même, il est évident que la substance est la même. En vain les Juifs recourent à tous les moyens, complots, exclusions de la synagogue, Jésus-Christ dit que c’est en vain qu’ils ont machiné toutes ces choses ; car les brebis sont entre les mains de son Père, comme dit le prophète : « J’ai représenté sur mes mains, vos murs ». (Isa 49,16) Et pour montrer qu’il n’y a qu’une seule main, Jésus dit tantôt ma main, tantôt la main de mon Père. Lorsque vous entendez parler de main, ne vous figurez rien de sensible, mais entendez qu’il s’agit de la vertu, de la puissance. Au reste, si personne n’avait ravi les brebis des mains de Jésus-Christ que parce que le Père lui avait communiqué la puissance de les garder, il aurait été inutile d’ajouter : « Mon Père et moi nous sommes une même chose ». Si le Fils était moins grand que le Père, ce serait là une parole vaine et téméraire. Certainement, par ces paroles, Jésus-Christ ne déclare autre chose que l’égalité de puissance : les Juifs l’ayant bien compris, le lapidaient pour cela même qu’il se faisait égal à son Père ; et Jésus ne dit rien pour leur ôter cette pensée. Cependant, s’il l’avait faussement imaginé, il aurait dû le leur faire connaître et leur dire : Pourquoi me traitez-vous de la sorte ? Je n’ai point dit cela pour m’attribuer une puissance égale à celle de mon Père. Au contraire, lors même qu’ils sont le plus en fureur et le plus animés contre lui, il confirme ce sentiment et le prouve. Il ne se justifie pas d’avoir mal parlé, ni d’avoir dit une chose fausse ; au contraire, il les reprend de ce qu’ils n’ont pas de lui la juste opinion qu’ils en doivent avoir. Car, comme ils disaient : « Ce n’est pas pour aucune bonne œuvre que nous vous lapidons, mais à cause de votre blasphème, et parce qu’étant homme, vous vous faites Dieu (33) » ; Jésus leur repartit, écoutez-le bien : « Si l’Écriture appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu était adressée (35), pourquoi dites-vous que je blasphème, parce que j’ai dit que je suis Fils de Dieu (36) ? » C’est-à-dire, si l’on ne blâme pas de se dire, dieux, ceux qui, par grâce, ont reçu ce titre, de quel droit et pour quelle raison me faites-vous un crime de me dire Dieu, à moi qui suis Dieu par ma nature ? Mais le Sauveur n’a point parlé ainsi, c’est plus tard qu’il établit ce point, après avoir préalablement modéré et atténué sort langage, en disant : « Moi que mon Père a sanctifié et envoyé » c’est après avoir apaisé leur fureur, qu’il en vient à une affirmation expresse : mais en attendant, afin qu’ils écoutassent et crussent ce qu’il disait, il a parlé plus simplement et plus grossièrement ; c’est plus tard qu’il élève leur esprit à des idées plus hautes et plus sublimes, en leur disant : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas (31). Mais si je les fais, quand vous ne me voudriez pas croire, croyez à mes œuvres (38) ». Faites-vous bien attention à la manière dont Jésus-Christ prouve, comme j’ai dit, qu’il n’est en rien moins grand que le Père, et qu’il lui est tout à fait égal ? Comme on ne pouvait pas voir sa substance, il démontre et manifeste son égalité de puissance par l’égalité et « l’identité » de ses œuvres. 3. Mais, je vous prie, que croirons-nous ? Nous croirons ce que dit Jésus-Christ : « Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi (38) ». Car, dit-il, je ne suis rien autre chose, sinon ce qu’est le Père, tout en demeurant Fils ; et le Père n’est rien autre chose, sinon ce qu’est le Fils, tout en demeurant Père. Et celui qui me connaît, connaît aussi le Père, et il sait ce qu’est le Fils. Que si la puissance du Fils était moins grande, nous ne connaîtrions par lui le Père que d’une manière trompeuse ; car, soit puissance, soit substance, on ne peut pas connaître une chose par une autre. « Les Juifs tâchèrent alors de le prendre, mais il s’échappa de leurs mains (39), et s’en alla au-delà du Jourdain, au lieu même où Jean d’abord avait baptisé (40). Plusieurs vinrent l’y trouver, et ils disaient : Jean n’a fait aucun miracle (41). Et tout ce que Jean a dit de celui-ci s’est trouvé véritable (42) ». C’est la coutume de Jésus-Christ de se retirer aussitôt après qu’il a dit quelque chose d’élevé et de sublime : cédant à la fureur des Juifs, pour l’apaiser et l’étouffer par son absence. C’est ce qu’il fait encore dans cette occasion. Mais pourquoi l’évangéliste marque-t-il le lieu où alla Jésus-Christ ? C’est afin de vous apprendre qu’il fut en cet endroit pour rappeler aux Juifs la mémoire de ce que Jean avait fait, de ce qu’il avait dit, du témoignage qu’il avait rendu. Ils se souvinrent donc de Jean aussitôt qu’ils furent arrivés en ce lieu ; c’est pourquoi ils disent : « Jean n’a fait aucun miracle ». Autrement, de quoi aurait-il servi de rapporter cette circonstance ? C’est donc parce que le lieu les fit souvenir de Jean-Baptiste et de son témoignage, que l’évangéliste la rapporte. Au reste, il est à remarquer que leur raisonnement est juste et très vrai. Jean, disent-ils, n’a fait aucun miracle : celui-ci en fait, donc en cela même, se montre visiblement la supériorité de celui-ci, et son excellence au-dessus de l’autre. Si donc nous avons cru celui qui ne faisait aucun miracle, à plus forte raison devons-nous croire celui-ci ? Ensuite, comme Jean qui avait rendu témoignage ; n’avait point fait de miracles, de peur que pour cela seul on ne le regardât comme indigne de rendre témoignage, ils ajoutent : quoique Jean n’ait point fait de miracles, néanmoins tout ce qu’il a dit de Jésus-Christ s’est trouvé véritable. De sorte que ce n’est plus Jésus-Christ qui est jugé digne de foi sur le témoignage de Jean ; c’est Jean dont les œuvres de Jésus-Christ établissent la véracité. « Il y en eut beaucoup qui crurent en lui (42) ». Plusieurs choses les attiraient : le souvenir des paroles de Jean-Baptiste, de ce qu’il avait dit de Jésus qu’il était plus grand et plus puissant que lui ; qu’il était la lumière, la vie, la vérité, et le reste ; comme aussi le souvenir de la voix qui s’était fait entendre du haut du ciel, du Saint-Esprit qui s’était montré en forme de colombe, et qui l’avait fait connaître à tous. À quoi il y avait encore à ajouter l’évidente preuve résultant des miracles, laquelle confirmait tout le reste. S’il faut croire Jean disaient-ils, à plus forte raison faut-il croire Jésus : si nous avons cru à celui-là, sans qu’il ait fait aucun miracle, nous devons à plus forte raison ajouter foi à celui-ci qui a pour lui, outre le témoignage de Jean la preuve qui résulte des miracles. Ne remarquez-vous pas de quelle utilité leur a été ce lieu, combien il leur a été avantageux de s’être séparé des méchants ? Voilà pourquoi Jésus les retire souvent de cette société. Dans l’ancienne loi, Dieu a de même retiré son peuple de la société des méchants : il a séparé les Juifs des Égyptiens ; il les a conduits dans le désert pour les former, les instruire de ses lois et de ses préceptes. Il nous exhorte aussi à faire de même, et il nous ordonne de fuir les places publiques, le tumulte et la foule, et à nous enfermer dans notre chambre (Mat 6,6), pour y faire tranquillement nos prières. Un vaisseau, qui n’est point agité de la tempête, fait une heureuse navigation, et l’âme qui est exempte de tous soins vit dans la paix et la tranquillité, comme si déjà elle était arrivée au port. Voilà pourquoi les femmes qui gardent généralement la maison devraient être plus appliquées à la philosophie, à la contemplation des choses célestes que les hommes. Voilà pourquoi, qui demeurait dans sa maison, loin du tumulte, était un homme plus simple qu’Esaü : car ce n’est pas sans intention que l’Écriture dit de lui, qu’« il demeurait dans la tente de son père ». (Gen 25,27) Mais, direz-vous, il y a aussi dans la maison beaucoup de tumulte. Oui, et la femme, si elle le veut, peut s’y attirer bien des soins et des embarras pour l’homme qui ne quitte guère la place publique et les tribunaux ; il est agité de mille préoccupations étrangères, comme un vaisseau en pleine mer, qui est battu des flots et des vents. La femme, au contraire, assise dans sa maison comme dans une école de philosophie, peut recueillir son esprit, s’appliquer et à la prière et à la lecture, et aux autres exercices de la philosophie. Et de même que ceux qui demeurent au désert ne sont troublés par personne, ainsi la femme, qui est toujours enfermée dans sa maison, peut jouir d’un repos continuel. Si quelquefois elle est obligée de sortir et d’aller en ville, elle n’est pas pour cela exposée à des troubles d’esprit : sans doute, soit pour venir à l’église, soit pour aller au bain, il lui est souvent nécessaire de sortir, mais aussi polir l’ordinaire elle est sédentaire et garde la maison. Elle peut s’y exercer à l’étude de la sagesse et calmer l’esprit agité de son mari, lorsqu’il revient chez lui ; elle peut l’adoucir et dissiper ses inutiles et chagrinantes pensées qui le tourmentent, et le renvoyer ensuite débarrassé des soins et des affaires dont il a fatigué sa tête au-dehors, emportant avec lui ce qu’il a appris de bon auprès de sa femme. Rien, en effet, rien sûrement n’a plus de force et de vertu pour régler et conduire l’homme que sa femme, lorsqu’elle est pieuse et prudente, et aussi pour tourner son esprit où elle veut, et comme il lui plaît. Il aura moins de confiance à ses amis, à des docteurs, et même à des princes, qu’aux avis, aux conseils de sa femme. Car l’extrême tendresse qu’un mari a pour sa femme, lui fait toujours recevoir ses exhortations avec plaisir. Je pourrais ici vous produire l’exemple de bien des hommes rudes et indisciplinés, que leurs femmes ont polis et civilisés. La femme est la compagne de l’homme, à table, au lit, dans la procréation des enfants : c’est elle qui est la confidente de ses secrets, de ses démarches, que sais-je encore ? attachée en tout 'à son mari, elle lui est aussi unie que l’est le corps à la tête. Elle rendra plus de services à son mari que personne, si elle est honnête et sensée. 4. C’est pourquoi j’exhorte les femmes de s’attacher à ce que je viens de dire, et de donner de bons et de salutaires avis à leurs maris ; car, si la femme est très-capable d’exciter son mari à la vertu, elle peut de même le porter au vice. C’est une femme qui a perdu Absalon, c’est une femme qui a perdu Ammon ; une femme a tâché de perdre Job : c’est la femme de Nabal qui l’a préservé de la mort ; une femme a sauvé tout un peuple ▼▼Esther, etc.
. Débora, Judith, et plusieurs autres, ont parfaitement bien rempli la fonction de général d’armée. Saint Paul dit : « Que savez-vous, ô femme, si vous ne sauverez point votre mari ? » (1Co 7,16) Et l’Écriture nous apprend que dans l’heureux siècle des apôtres, les Perside, les Marie, les Priscille (Rom 16) se sont courageusement exposées aux combats apostoliques. Rom 16) se sont courageusement exposées aux combats apostoliques. Imitez ces saintes femmes : édifiez et instruisez vos maris, non seulement par vos paroles, mais encore par vos bons exemples. Et comment l’instruirez-vous, votre mari, par vos œuvres et vos exemples ? Lorsqu’il ne verra en vous ni malice, ni méchanceté, ni curiosité, ni amour pour les ornements et les parures, ni désir, ni goût pour les dépenses superflues, et qu’au contraire vous vous contenterez simplement de ce que vous avez, alors il vous écoutera avec plaisir, il recevra avec joie vos conseils : mais si vous n’êtes sages qu’en paroles, et si vous faites le contraire de ce que vous dites, alors il vous accusera de bavardage. Mais si vos œuvres sont d’accord avec vos paroles, si vous instruisez en même temps et par vos paroles et par vos œuvres ▼▼« Jésus a fait et enseigné ». Voilà l’abrégé de tout l’Évangile : il fait faire avant d’enseigner. Il faut que les œuvres ne démentent pas les paroles.
, votre mari vous écoutera alors avec plaisir, et vous cédera volontiers, lors, par exemple, que vous ne rechercherez point l’or, les pierres précieuses et la magnificence des habits ; et qu’au lieu de cela vous vous ferez un trésor de modestie, de tempérance, de douceur et de bonté : lors donc que vous vous présenterez à votre époux, ornée de ces vertus, vous serez en droit de les exiger de même de lui. Car si une femme doit faire quelque chose pour plaire à son mari, c’est son âme qu’elle doit parer, et son corps qu’elle ne ferait ainsi que défigurer. En effet, l’or et les parures ne vous rendront pas si aimable à votre mari, que la tempérance et la douceur, et d’être prête à donner votre vie pour lui. Voilà ce qui gagne le cœur et toute l’affection d’un époux. Les ajustements superflus lui déplaisent : ils demandent des soins, ils causent de la dépense et de la gêne ; mais ce que je viens de dire attache le mari à sa femme, parce qu’une volonté droite et bien disposée, l’amitié, l’attachement ne demandent ni soin, ni dépense ; ou plutôt, à proprement parler, c’est là de quoi enrichir une maison. Les parures, on s’en dégoûte par l’habitude : mais les ornements de l’âme répandent tous les jours un nouvel éclat, et allument dans le cœur une flamme plus pure et plus grande. C’est pourquoi, voulez-vous plaire à votre mari ? ornez votre âme de chasteté et de piété, ayez soin du ménage. Ce sont là les choses qui attachent le plus, et qui ne cessent jamais d’attacher : la vieillesse ne détruit pas cet ornement, la maladie ne le ternit point. C’est le contraire pour la beauté du corps : le grand âge la flétrit, la maladie la consume, et bien d’autres choses la ruinent. Mais les biens de l’âme surpassent tous ceux du corps. La beauté du corps excite l’envie et la jalousie : la beauté de l’âme n’est sujette à aucune maladie, ni à la vaine gloire. En vous attachant de la sorte à parer votre âme, et non votre corps, vous conduirez plus aisément votre ménage, et vos revenus seront plus abondants, si l’or ; dont vous pourriez charger votre corps et vos membres, vous l’employez à des usages nécessaires, comme à la nourriture de vos esclaves et de vos domestiques, à donner à vos enfants l’éducation que vous leur devez, et à d’autres choses raisonnables. Que si vous étalez cet or aux yeux de votre mari, tandis que son cœur est dans la peine, quel fruit, quel avantage en retirerez-vous ? Non, la douleur ne permet pas que les regards soient charmés. Vous le savez, mon cher auditeur, sûrement vous le savez : qu’on vienne à rencontrer la femme la mieux ajustée et la plus parée, on n’y saurait trouver du plaisir, si le cœur est dans l’affliction et dans la tristesse. Pour se réjouir d’une chose, il faut être gai, il faut avoir le cœur content. Or, si tout l’argent est dépensé à parer le corps de la femme, la gêne régnera dans le ménage, et le mari ne pourra goûter ni joie, ni plaisir. Si vous voulez plaire au vôtre, étudiez-vous à lui donner de la satisfaction, et vous lui en donnerez si vous retranchez la superfluité des parures, si vous rejetez tous les vains ajustements. Ces choses semblent faire quelque plaisir les premiers jours des noces ; mais peu de temps après elles deviennent fades et insipides. Et en effet, si le ciel qui est si beau, si le soleil qui est si brillant, que vous n’oseriez lui comparer aucun corps, nous ne les admirons pas autant que nous le devrions par la coutume où nous sommes de les voir, comment pourrions-nous longtemps admirer un corps paré de beaux vêtements ? Je dis ceci, parce que le désire que vous vous pariez de ces vrais ornements que saint Paul vous prescrit : « Non avec des ornements d’or », dit-il, « ni des perles, ni des habits somptueux ; mais avec de bonnes œuvres, comme le doivent des femmes qui font profession de piété ». (1Ti 2,9-10) Mais vous voulez plaire aux hommes, et vous attirer leurs regards et leurs compliments ? Ah ! certes, ce n’est point là le désir d’une femme chaste ! mais encore, si vous voulez, vous vous en ferez aimer par là, et ils seront les panégyristes de votre chasteté. Nul homme sensé, nul homme qui sait sainement juger des choses, n’aimera et ne louera une femme éprise de la parure, mais seulement les débauchés et ceux qui vivent dans la mollesse : ou plutôt ceux-ci même ne la loueront point ; au contraire, ils médiront d’elles, tandis que leurs regards céderont à l’attrait du faste impudique étalé sur sa personne. Mais la femme chaste et modeste, ceux-là, ceux-ci, tous l’estimeront et la loueront, parce qu’elle ne leur est point un sujet de chute et de scandale, et qu’elle leur donne, au contraire, une leçon de sagesse et de piété : les hommes en feront tous de grands éloges, et Dieu lui donnera une grande récompense. Étudions-nous à parer nos âmes de ces précieux ornements, afin que nous vivions ici en paix et en liberté, et que nous acquérions un jour les biens futurs, que je vous souhaite à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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