‏ John 12

HOMÉLIE LXV.

MAIS L’UN D’EUX, NOMMÉ CAÏPHE, QUI ÉTAIT LE GRAND PRÊTRE DE CETTE ANNÉE-LÀ, LEUR DIT : VOUS N’Y ENTENDEZ RIEN. – ET VOUS NE CONSIDÉREZ PAS QU’IL VOUS EST AVANTAGEUX QU’UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE, ETC. (VERS. 49, 50, JUSQU’AU VERS. 9 DU CHAP. XII)

ANALYSE.

  • 1. Prophétie involontaire du grand prêtre Caïphe.
  • 2. Jésus-Christ fuit d’une manière humaine. – Jésus chez Lazare.
  • 3. Quel mal c’est que l’avarice. – Description des maux qu’elle cause à ceux qui en sont infectés. – L’avarice est une idolâtrie, en quoi et comment ? – Quel est son empire ?

1. « Les nations se sont elles-mêmes engagées dans la fosse qu’elles m’avaient creusée. « Leur pied a été pris dans le même piège », qu’ils avaient tendu en secret ». (Psa 9,15-16) Voilà, mes frères, voilà ce qui est arrivé aux Juifs. Ils disaient : Il faut faire mourir Jésus, de peur que ; les Romains ne viennent et ne ruinent notre ville et notre nation. Ils l’ont fait mourir, et aussitôt ces calamités sont tombées sur eux : et ce qu’ils avaient, fait pour les éviter est justement ce qui les leur a attirées. Mais ce Jésus qu’ils ont immolé à leur crainte et à leur fureur, vit dans le ciel, et ceux qui ont assouvi leur haine et leur passion, ont été précipités dans l’enfer ; tout autre, cependant, avait été leur pensée. Depuis ce jour, dit l’évangéliste, les Juifs cherchaient à faire mourir Jésus ; car ils disaient : « Les Romains viendront et ruineront notre nation. Mais l’un d’eux, nommé Caïphe, qui était le grand prêtre de cette année-là, leur dit : Vous n’y entendez rien ». Celui-ci était plus impudent que les autres ; les autres doutaient, et proposant leurs avis, disaient : « Que faisons-nous ? » Maïs celui-ci jette le masque, il ne ménage rien : il s’écrie effrontément : « Vous n’y entendez rien, et vous ne considérez pas qu’il vous est avantageux qu’un seul homme pleure et que toute la nation ne périsse point. Or, il ne disait pas ceci de lui-même mais, étant grand prêtre cette, année-là, il prophétisa (51) ». Voyez-vous, mes frères, combien est grande la puissance sacerdotale ? Caïphe, pour avoir été élevé par le sort au pontificat, encore qu’il en fût indigne, prophétisa sans savoir ce qu’il disait. La grâce se servit seulement de sa bouche ; mais elle ne toucha point à son cœur impur. Plusieurs autres ont aussi prédit ce qui devait arriver, quoiqu’ils fussent des indignes, comme Nabuchodonosor, Pharaon, Balaam, là raison, pour tous, en est évidente.

Mais voici ce que veut dire ce pontife : vous demeurez tranquillement assis sur vos sièges, vous traitez bien mollement une affaire de cette conséquence ; vous ne pensez pas que, quand il s’agit du salut commun de tout un peuple, là vie d’un seul homme n’est à compter pour rien. Remarquez combien est grande la vertu de l’Esprit-Saint. D’un esprit impur', d’un méchant, il a pu tirer les paroles d’une prophétie admirable. Au reste, l’évangéliste appelle les nations enfants de Dieu, sur ce qui devait arriver, comme Jésus-Christ le prédit lui-même, en disant : « Et j’ai encore d’autres brebis » (Jn 10,16), les appelant de ce nom, parce qu’un jour elles deviendraient ses brebis. Que signifient ces paroles : « Étant le grand prêtre de cette année-là ? » Parmi bien d’autres coutumes corrompues, les Juifs avaient encore introduit celle-ci : le sacerdoce n’était plus à vie, il était seulement annuel. Par là les dignités étaient devenues vénales ; et néanmoins, dans cette corruption même où ils étaient tombés, le Saint-Esprit les assistait encore. Mais lorsqu’ils eurent mis la main sur Jésus-Christ, alors ce divin Esprit les abandonna, et se transporta sur les apôtres. Le voile du temple, qui se déchira en deux (Mat 27,51), fut une marque de cet abandon. Jésus-Christ a aussi fait entendre sa voix, en disant : « Le temps s’approche que votre maison demeurera déserte ». (Id 23,38) Et Josèphe, qui est venu quelque temps après, rapporte, dans son histoire, que les anges qui demeuraient avec eux leur avaient déclaré que s’ils ne changeaient de vie et ne devenaient meilleurs, ils se retireraient. Tant que la vigne a subsisté, toutes choses se sont passées parmi eux selon qu’elles avaient coutume de se passer ; mais quand ils eurent tué l’héritier, il n’en a plus été de même, ils ont tous péri ; et Dieu ôtant en quelque sorte à ce fils ingrat, c’est-à-dire, aux Juifs, la robe brillante dont il l’avait revêtu, il l’a donnée à de bons serviteurs, aux gentils qui se sont convertis à la foi, et les Juifs, il les a laissés seuls et dans la nudité.

Au reste, ce n’était pas une chose peu merveilleuse et peu étonnante que ce fût un ennemi qui prophétisât un événement si considérable et si prodigieux. Une pareille prédiction était capable d’attirer et de gagner le peuple ; en effet, il arriva tout le contraire de ce que désirait lé pontife. Car, par cela même que Jésus-Christ est mort, les fidèles, ceux qui ont cru en lui, ont été délivrés du supplice auquel ils étaient condamnés. Que veulent dire ces paroles : « Pour rassembler et réunir ceux qui sont proches, et ceux qui sont éloignés (52) ? » Il les a tous réunis en un seul corps : celui qui est à Rome regarde les Indiens comme ses membres. Quoi de comparable à une pareille réunion ? et le chef de tous est Jésus-Christ. « Ils ne songèrent plus, depuis ce jour-là, qu’à trouver le moyen de le faire mourir (53) ». Auparavant ils cherchaient, car l’évangéliste dit : « Les Juifs donc cherchaient à le faire mourir ». (Jn 7,11) Et Jésus-Christ leur dit : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? » (Id 20) Mais alors ils cherchaient seulement (Id 5,18) ; et maintenant leur résolution est prise, et ils ont mis la main, à l’œuvre. « C’est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs (54) ». Ici encore Jésus pourvoit à sa sûreté d’une manière humaine, et souvent il fait de même.

2. J’ai déjà dit le sujet pour lequel Jésus-Christ s’est souvent enfui et s’est éloigné de ses ennemis. Maintenant il se retire à Ephrem, près du désert, et s’y tient avec ses disciples. Mais quel pensez-vous, mon cher auditeur, que fut le trouble des disciples, voyant leur Maître s’enfuir de la sorte, et pourvoir à sa sûreté d’une manière humaine ? Personne alors ne l’accompagna ; comme la Pâque était proche, tous les Juifs accouraient en foule à Jérusalem. Ainsi, lorsque tous étaient dans la joie, en fêtes et en réjouissances ; alors les disciples se cachaient et se voyaient en péril ; mais néanmoins ils demeuraient fermement attachés à leur Maître ; pendant que les Juifs célébraient la Pâque et la scénopégie, ils restaient cachés dans la Galilée. Mais aussi c’est alors qu’était seuls avec leur Maître, et obligés de fuir et de se cacher, ils avaient l’avantage de lui marquer tout leur attachement et leur amour. C’est pourquoi saint Luc rapporte que Jésus leur dit : « j’ai demeuré avec vous dans les tentations
On lit autrement ce passage, et dans le texte grec et dans le latin. Saint Chrysostome l’a apparemment lu de même dans son manuscrit, ou bien il l’a voulu accommoder à son sujet. Nos deux textes, le grec, et le latin disent : « C’est vous qui rites toujours demeurés fermes avec moi dans mes tentations ».
 » (Luc 22,28) ; voulant leur faire connaître que c’était sa grâce qui les fortifiait et les rendait si fermes.

« Car plusieurs de ce quartier-là allèrent à Jérusalem pour se purifier. Et les princes des prêtres et les pharisiens avaient donné ordre de le prendre (55, 56) ». Belle manière de se purifier avec une volonté délibérée de faire mourir Jésus, et de tremper les mains dans son sang ! « Et ils disaient « Que vous en semble-t-il ? viendra-t-il à la fête ? » (Id) Au grand jour de Pâques, ils tendaient des pièges à Jésus : d’un temps de fête et de joie, ils faisaient un temps de meurtre et de carnage ; c’est comme s’ils avaient dit : La fête l’appelle ici, il faut qu’il vienne tomber dans nos pièges. O quelle impiété ! Lorsqu’il fallait donner des marques d’une plus grande piété, et délivrer les plus grands criminels, alors même ils tâchent de prendre l’innocent. Mais de plus, ayant tenté d’autres fois de le prendre, non seulement ils ne l’avaient pu, mais encore ils s’étaient fait moquer d’eux. S’il s’est souvent échappé de leurs mains, lorsqu’ils croyaient le tenir ; s’il les a empêchés de le faire mourir, et les a laissés en doute et en suspens, c’était afin de les amener au repentir et à la componction, en leur faisant ainsi connaître sa vertu et sa puissance ; afin qu’ils sussent, quand ils l’auraient pris, que ce n’était point par leur propre force qu’ils le tenaient ; mais parce qu’il avait bien voulu se livrer volontairement à eux. En effet, il leur fut alors impossible de le prendre, quoiqu’il fût à Béthanie, proche de Jérusalem ; et lors même qu’ils l’eurent pris, il les renversa tous et les fit tomber par terre. (Jn 18,6)

« Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare, qu’il avait ressuscité d’entre les morts. (Chap 12,1) Et il mangea chez eux, Marthe servait et Lazare mangeait avec lui
Autrement : Lazare était un de ceux qui furent à table avec lui.
(2) ». Que Lazare, beaucoup de jours après sa résurrection, fût en vie et mangeât, c’était là un signe et un témoignage bien sûr d’une véritable résurrection. Du texte qui précède il résulte clairement que le repas avait lieu dans la maison de. Marthe ; Lazare et ses sueurs accueillent Jésus comme des personnes qui l’aiment et en sont aimées. Quelques-uns disent pourtant que le souper fut préparé dans une autre maison ; Marie ne servait point, uniquement occupée à écouter Jésus-Christ. Encore ici, elle montre des dispositions plus spirituelles. Elle s’abstient de servir, comme si elle n’était qu’invitée. Elle réserve pour Jésus-Christ seul son service et ses hommages, et ne se comporte point envers lui comme envers un homme, mais comme envers Dieu (3). Voilà pourquoi elle répandit des parfums sur ses pieds et elle les essuya de ses cheveux ; ce qui faisait visiblement voir qu’elle n’avait pas la même opinion de Jésus-Christ que les autres.

Mais Judas, par un feint scrupule de piété, lui en fit des reproches. Que répondit donc Jésus-Christ ? « Marie a fait une bonne œuvre », lorsqu’elle a répandu des parfums sur mon corps, « elle l’a fait pour m’ensevelir
Le mot : ἐνταφιασμος, que je lis dans mon texte ; ou le verbe ενταφιαζειν, qui est dans de Nouveau Testament grec, signifient préparer un corps pour l’ensevelir : « Marie a fait cette action pour prévenir ma sépulture », pour préparer mon corps à la sépulture, pour lui rendre les derniers devoirs : ou encore, pour faire mes funérailles.
(7) ». Pourquoi Jésus ne reprit-il pas son disciple d’avoir désapprouvé l’action de cette femme, et ne dit-il point, comme l’évangéliste, qu’il l’avait blâmée pour voler l’argent ? C’est parce qu’il voulut lui inspirer de la honte par sa patience. Mais Jésus connut Judas pour un traître, c’est de quoi on ne peut douter, puisqu’il l’avait déjà repris bien des fois, en disant : Tous ne croient pas, et « un de vous autres est un démon ». (Jn 6,71) Jésus fit donc connaître qu’il savait que Judas était un traître, mais il ne le réprimanda pas ouvertement ; il l’épargne et le traite avec douceur, parce qu’il voulait le détourner de son dessein. Mais pourquoi un autre évangéliste rapporte-t-il que tous les disciples avaient parlé de même ? Il est vrai, les disciples et celui-ci se choquèrent tous de cette action, mais non point dans une même pensée.

Que si, quelqu’un demande pourquoi Jésus-Christ confia la bourse des pauvres à un voleur, et en commit la dispensation à un avare, nous répondrons que Dieu seul connaît les choses secrètes. Mais de plus, s’il m’est permis de dire mon sentiment et de hasarder une conjecture, je répondrai que le Sauveur en usait de la sorte pour ôter à Judas tout sujet d’excuse. En effet, il ne pouvait même pas prétexter que c’était l’amour de l’argent qui le poussait à trahir son Maître, puisqu’ayant la bourse en sa disposition, il lui était aisé de satisfaire sa malheureuse cupidité ; mais il fallait qu’il confessât que son extrême méchanceté le portait à commettre ce crime, et c’est pour l’arrêter et le corriger que Jésus-Christ usait de tant d’indulgence à son égard. C’est encore pour cette raison qu’il ne le reprenait pas de ses larcins, quoiqu’il ne les ignorât point, et qu’il lui laissait les moyens d’assouvir sa misérable passion, pour lui ôter toute excuse.

« Laissez-la faire. », dit Jésus, « elle a répandu ce parfum pour m’embaumer », elle prévient ma sépulture de quelques jours. Le Sauveur, parlant ainsi de sa sépulture, avertit et reprend de nouveau le traître de son dessein. Mais cet avertissement ne le toucha point, cette parole n’amollit pas son cœur, quoiqu’elle fût pourtant capable d’inspirer de la compassion et de la pitié ; car Jésus semblait dire : Je vous suis à charge et incommode, mais patientez un peu et je vais m’en aller. Car, c’est ce qu’il a en en vue lorsqu’il a dit : « Vous ne m’avez pas pour toujours ». Mais rien de tout cela n’a pu fléchir cet homme féroce, ni arrêter sa fureur ; encore que Jésus eût dit et fait bien d’autres choses, qu’il, eût lavé ses pieds dans cette nuit et qu’il l’eût fait asseoir à sa table, ce qui aurait pu amollir le cœur même dès plus grands voleurs, et qu’il eût dit bien des paroles capables d’attendrir une pierre même ; et de plus, ce ne fut pas longtemps avant sa mort que le Sauveur fit et dit toutes ces choses, mais le jour même qu’il allait mourir, de peur que le temps ne les lui fît oublier. Cependant ce traître résiste à tout et se rend inutiles tous les bienfaits du Seigneur.

3. C’est que l’avarice est un horrible ; oui, un horrible fléau : elle ferme les yeux, elle bouche les oreilles de celui qui en est possédé et le rend plus cruel que les bêtes féroces : elle ne lui permet d’avoir nulle attention nulle considération pour quoi que ce soit, ni pour la conscience, ni pour l’amitié, ni pour la société, ni pour son propre salut ; elle le détache de tout pour l’asservir au joug pesant de sa propre autorité : Et ce, qu’il y a de pire clans cet esclavage, c’est qu’elle persuade à ceux dont elle fait ses esclaves qu’ils sont ses obligés ; c’est qu’on s’y complaît d’autant plus qu’on est plus asservi. Voilà par où l’avarice devient une maladie incurable : voilà par où cette bête sauvage est si difficile à prendre et à apprivoiser. Par elle, Giézi, de disciple et de prophète, devint lépreux ; elle perdit Ananie, elle fit un traître de Judas. L’avarice a corrompu les princes des prêtres et les sénateurs, leur a fait recevoir des présents, et les a mis au rang des voleurs : elle a engendré une multitude de maux, inondé les chemins de sang, rempli les villes de pleurs et de gémissements : c’est elle qui souille les repas et y introduit les mets défendus. Voilà pourquoi saint Paul appelle l’avarice une idolâtrie (Eph 5,5) : et encore, par cette qualification, il n’en a point détourné les hommes.

Mais pourquoi l’apôtre appelle-t-il l’avarice une idolâtrie ? C’est parce que bien des riches n’osent se servir de leurs richesses, qu’ils les gardent précieusement et les remettent à leurs neveux et à leurs héritiers sans y avoir, touché, qu’ils n’osent même pas y toucher, comme à des offrandes faites à Dieu. Et s’ils sont quelquefois obligés de s’en servir, ils le font avec réserve et avec respect, comme s’ils touchaient à des choses sacrées auxquelles il né leur serait point permis de toucher. Mais encore comme un idolâtre garde et honore son idole, vous de même vous enfermez votre or sous de bonnes portes et de fortes serrures ; votre coffre ; vous vous en faites un temple, vous vous en faites un autel où vous déposez : votre trésor et le mettez dans des vases d’or. Vous n’adorez pas l’idole comme lui, mais vous lui prodiguez les mêmes soins. Un homme ainsi préoccupé de la passion d’avarice, donnera plutôt ses yeux et sa vie que, son idole. Voilà ce que font les avares qui sont passionnés pour ; l’or.

Mais, direz-vous, je n’adore point l’or. Le gentil non plus n’adore point l’idole, mais le démon qui demeure en elle. Vous, de même, vous n’adorez pas votre or ; mais le démon qui, par vos yeux avidement fixés sur l’or et par votre cupidité, est entré dans votre âme, vous l’adorez. Car l’amour des richesses est pire que le démon : c’est un dieu à qui plusieurs obéissent avec plus de zèle que les gentils n’obéissent à leurs idoles. Ceux-ci n’obéissent pas aux leurs en bien des choses, mais les autres leur sont soumis en tout, et font aveuglément tout ce qu’elles leur prescrivent.

Que commande l’avarice ? Soyez, dit-elle, ennemi de tout le monde, oubliez les devoirs de la nature, négligez le service de Dieu vous-même, sacrifiez-vous à moi : et ils lui obéissent en tout. On immole aux idoles des bœufs et des moutons ; mais l’avarice veut un autre sacrifice ; elle dit : immolez-moi votre âme, et l’avare lui immole son âme. Ne voyez-vous pas quels autels on élève à l’avarice, quels sacrifices elle reçoit ? Les avares ne seront point héritiers du royaume de Dieu (1Co 6,70) ; et ils ne craignent et ils ne tremblent point. Mais toutefois cette passion est la plus faible de toutes : elle n’est point nés avec nous, elle ne nous est point naturelle : si elle venait de la nature, elle aurait établi son règne dès le commencement du monde. Or, au commencement il n’y avait point d’or, personne n’aimait l’or.

Mais voulez-vous savoir d’où naît cette passion ? comment elle a crû, comment elle s’est étendue ? Le mal s’est propagé parce que les hommes ont porté envie aux riches qui avaient vécu avant eux, et le spectacle de la prospérité d’autrui a stimulé jusqu’à l’indifférence. Voyant que d’autres ont eu de magnifiques maisons, de vastes domaines ; des troupes de valets, des vases d’argent, des armoires pleines d’habits, on n’épargne rien pour les surpasser ; de sorte que les premiers venus irritent la cupidité des seconds, et ainsi de suite. Mais, si les premiers avaient voulu vivre dans la modération et dans la frugalité, ils n’auraient pas servi de maîtres et de modèles à ceux qui. sont venus après eux. Toutefois, ceux qui les suivent, et qui imitent leur luxe, ne sont pas pour cela excusables, ils ont d’autres modèles ; il se trouvé encore des gens qui méprisent les richesses. Et qui est-ce qui, les méprise ? direz-vous. Effectivement, ce qui est le plus fâcheux, c’est que ce vice a tant de force et d’empire qu’il semble invincible : on croit que tout est soumis à ses lois, et qu’il n’est personne qui suie la vertu contraire, je veux dire la modération, la tempérance. Je pourrais néanmoins en compter plusieurs, et dans les villes et sur les montagnes : mais de quoi cela vous servirait-il ? Vous ne changeriez point, vous n’en deviendriez pas meilleurs. De plus je ne me suis pas proposé de traiter aujourd’hui cette matière, et je ne dis pas qu’il faille répandre ses richesses et s’en dépouiller. Je le voudrais pourtant bien, mais parce que cela paraît trop difficile, je ne vous y obligerai pas. Seulement je vous exhorte à ne point désirer le bien d’autrui, et à faire part aux pauvres des biens, que vous possédez.

Au reste, quand nous voudrons faire cette recherche, nous trouverons bien des gens qui ce contentent de ce qu’ils ont, qui ont soin de leur bien, et qui vivent d’un honnête travail. Pourquoi ne les imitons-nous pas, et ne suivons-nous pas leur exemple ? Rappelons dans notre mémoire ceux qui ont été avant nous. Leurs terres, leurs héritages, ne subsistent-ils pas, seuls monuments qui rappellent encore leurs noms ? Voilà, disons-nous, les bains d’un tel, voilà sa maison de campagne, son lieu de plaisance : aussitôt que nous voyons ces objets, ne poussons-nous pas quelques gémissements en nous représentant les soins et les peines qu’il s’est données, les rapines et les vols, dont il s’est rendu coupable ? Mais cet homme à disparu d’ici-bas ; d’autres à qui il n’aurait jamais pensé, et peut-être même ses ennemis ; jouissent de ses biens pendant qu’il souffre les plus cruels tourments : Un même sort nous attend : nous mourrons indubitablement, et nous aurons tous une même fin. Dites-moi, je vous prie, ces riches auxquels vous pensez maintenant ; lorsqu’ils étaient sur la terré, quelles haines ne se sont-ils pas attirées, quelles dépenses n’ont-ils pas faites, combien de, querelles et d’inimitiés n’ont-ils pas essuyées ? Et quel fruit leur en revient-il ? Un supplice éternel, nul espoir de consolation, des reproches de tout le monde, non seulement pendant leur vie, mais maintenant encore après leur mort.

Enfin, lorsque vous voyez dans les maisons les portraits de ces hommes opulents, quels sont, vos sentiments et vos pensées ? Admirons-nous, ou plutôt ne versons-nous pas des larmes ? Le prophète, a bien eu raison de le dire : « C’est en vain que se trouble et s’inquiète tout homme qui vit (Psa 39,9) » sur la terre : car le soin des choses de ce monde est véritablement un trouble et une inquiétude vaine et inutile, mais il en sera tout autrement dans les demeures et les tabernacles éternels. Ici l’un a travaillé, et l’autre jouit du fruit de son travail : mais là-haut chacun jouira de ses peines et de ses travaux, et en recevra une ample récompense. Faisons donc tous nos efforts, et n’épargnons rien pour acquérir cet héritage : préparons-nous-y des maisons ; afin que nous nous reposions avec Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient la gloire, et au Père et du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LXVI.

UNE GRANDE MULTITUDE DE JUIFS AYANT SU QU’IL ÉTAIT LÀ, Y VINRENT, NON-SEULEMENT POUR JÉSUS, MAIS AUSSI POUR VOIR LAZARE, QU’IL AVAIT RESSUSCITÉ D’ENTRE LES MORTS. (VERS. 9, JUSQU’AU VERS. 24)

ANALYSE.

  • 1. Les pharisiens ont la pensée de faire mourir Lazare. – Jésus, entrant à Jérusalem monté sur un ânon, réalise une prophétie et préfigure la conversion des gentils. – Ignorance des disciples avant la mort de Jésus-Christ.
  • 2. Des gentils venus pour assister à la fête demandent à voir Jésus. – Cette démarche cache un mystère.
  • 3. Ceux qui ne croient point à la résurrection des corps, sont sans excuse. – Preuves de la résurrection. – Celui qui a tiré toutes choses du néant, peut, à plus forte raison, ressusciter le corps. – La résurrection est nécessaire pour rendre à chacun selon ses mérites.- Pourquoi n’y aurait-il pas une résurrection des corps ? – Tout en prouve la nécessité. – Si la résurrection consiste dans la purification de l’âme, dans la rémission des péchés, dans l’impeccabilité, pourquoi Jésus-Christ est-il ressuscité ? – Ne pas s’exposer au combat avec les hérétiques, si l’on ne s’est bien muni des armes que fournissent les saintes Écritures. – Mœurs et coutumes des philosophes païens : leurs dogmes. – Un philosophe païen a écrit un livre sur la matière contre les chrétiens.

1. Comme les richesses ont coutume de perdre les hommes sans qu’ils y pensent, les dignités de même compromettent leur salut celles-là les rendent avares, celles-ci insolents. Chez les Juifs du moins, vous voyez le peuple obéissant et soumis à la foi, et les sénateurs rebelles et corrompus. Que le peuple crût en Jésus-Christ, c’est de quoi les évangélistes rendent témoignage à tout moment : « Plusieurs du peuple », disent-ils, « crurent en lui ». Les incrédules étaient des sénateurs. Aussi ce n’est pas le peuple, mais ce sont eux qui disent : « Y a-t-il quelqu’un des sénateurs qui ait cru en lui ? » (Jn 7,48, 49:) Et que disent-ils encore ? Pour cette populace qui ne connaît point Dieu, ce sont des gens maudits. Ceux qui croient, ils les appellent gens maudits, mais eux, qui veulent faire mourir Jésus-Christ, ils se disent prudents et sages. Ici encore, plusieurs du peuple qui avaient vu le miracle de la résurrection de Lazare, crurent en Jésus-Christ. Quant aux sénateurs, non seulement ils ne se contentaient pas des maux qu’ils commettaient tous les jours, mais ils cherchaient aussi à faire mourir Lazare. Qu’à cause des Romains que vous craignez, ô Juifs, vous cherchiez à faire mourir Jésus-Christ qui ne gardait pas le sabbat, qui se faisait égal à Dieu, cela se conçoit encore : mais dans Lazare, que trouvez-vous à reprendre, pour vouloir le faire mourir ? Quoi ! est-ce un crime à lui imputer que d’avoir reçu un bienfait ? Ne voyez-vous pas que ces âmes sanguinaires ne respirent que le carnage ? Jésus avait fait beaucoup de prodiges et de miracles, il avait guéri le paralytique, il avait rendu la vue à l’aveugle-né ; mais aucun de ces miracles ne les avait tant mis hors d’eux-mêmes, et transportés d’une si grande fureur que cette résurrection. En effet, elle était par sa nature beaucoup plus admirable, et Jésus l’avait opérée après plusieurs autres ; disons-le encore : il était bien étonnant de voir parler et marcher un homme mort depuis quatre jours.

En vérité, en un jour solennel commettre des meurtres, répandre le sang humain, n’était-ce, pas là une belle manière de célébrer la fête et d’en remplir les obligations ? De plus, ils accusaient Jésus-Christ d’avoir violé le sabbat, et sous ce prétexte ils excitaient le peuple contre lui ; mais ici, qu’ont-ils à dire ? Ils ne peuvent objecter aucun crime à Lazare, mais Jésus l’a ressuscité ; cela leur suffit pour méditer sa mort. Du moins, dans cette résurrection, ils ne pouvaient pas alléguer que Jésus avait été contraire à son Père, la prière qu’il avait faite les en empêchait. Ils n’ont donc plus ici ce sujet d’accusation qu’ils faisaient tant et si souvent valoir ; mais le miracle éclate et fait grand bruit, c’est là une assez forte raison pour qu’ils se portent au meurtre : et ils auraient fait de même à l’égard de l’aveugle, s’ils n’avaient eu à reprendre la violation du sabbat. D’ailleurs, c’était un homme de rien, ils se contentèrent de le chasser du temple : mais Lazare était d’une famille distinguée, comme cela se voit par cette quantité de juifs qui étaient allés consoler ses sœurs, et le miracle de sa résurrection avait été fait aux yeux de tout le monde et d’une manière étonnante. Voilà pourquoi ils accouraient tous en foule. Ce qui les piquait et les irritait, c’est que la fête étant proche, tous quittassent la ville pour courir à Béthanie. Ils cherchèrent donc à le faire mourir, et ils ne croyaient faire aucun mal, tant ils étaient sanguinaires.

Voilà pourquoi la loi commence par ces paroles : « Vous ne tuerez point (Exo 20,13), et néanmoins c’est de quoi le prophète les accuse. « Leurs mains », dit-il, « sont pleines de sang ». (Isa 1,15) Comment donc Jésus, qui ne se montrait plus en public parmi les Juifs (Jn 11,54) et s’était retiré dans le désert, entre-t-il encore dans la ville avec assurance ? Ayant apaisé leur colère par sa fuite, maintenant qu’ils sont tranquilles, il va les trouver. De plus, le peuple qui marchait devant et après lui, pouvait leur inspirer de la crainte : car rien ne l’avait tant touché et plus attiré auprès de Jésus, que la merveilleuse résurrection de Lazare. Enfin un autre évangéliste rapporte « qu’ils étendirent leurs vêtements sous ses pieds (Luc 19,36), et que toute la ville fut émue » (Mat 21,10), de le voir entrer dans Jérusalem avec tant d’éclat et de pompe. Au reste, le Sauveur agissait de la sorte pour prédire une chose et en accomplir une autre et la même action fut le commencement d’une prédiction et la réalisation d’une autre. Ces paroles : « Réjouissez-vous, voici votre roi qui vient à vous plein de douceur » (Isa 62,11 ; Zac 9,9), sont l’accomplissement d’une prophétie ; mais le fait d’être monté sur un ânon (Mat 21,5), figurait et prédisait une chose qui devait arriver ; savoir, que Jésus-Christ se soumettrait les gentils qui étaient une nation immonde.

Mais sur quoi les autres évangélistes rapportent-ils que Jésus avait envoyé ses disciples et leur avait dit : « Déliez l’ânesse et l’ânon » (Mat 21,2 ; Mrc 11,5) ; lorsque saint Jean ne dit rien de semblable, qu’il dit seulement : « qu’ayant trouvé un ânon, il monta dessus (14) ? » Il est à croire que l’un et l’autre arriva, et que les disciples amenant l’ânesse après l’avoir déliée, Jésus trouva un ânon sur lequel il monta. Ils prirent des branches de palmiers et d’oliviers, et ils étendirent leurs vêtements pour faire voir qu’ils avaient une plus grande et plus haute opinion de lui que d’un prophète. Et ils criaient : « Hosanna ! » Salut et gloire ! « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (13) ! » Faites-vous bien attention que ce qui chagrinait surtout les chefs et les sénateurs, c’était de voir tout le peuple persuadé que Jésus n’était point contraire à Dieu ? Et d’autre part, ce qui divisait le plus le peuple, c’était d’entendre dire à Jésus qu’il venait au nom de son Père.

Que signifient ces paroles : « Réjouissez-vous beaucoup, fille de Sion (15) ? » C’est que pour l’ordinaire tous leurs rois étaient méchants et ambitieux, et les livraient à leurs ennemis, ruinaient le peupla et le mettaient sous le joug de la servitude. « Ayez confiance », dit le prophète, celui-ci n’est pas de même, il est doux et débonnaire : vous le voyez bien, puisqu’il monte simplement sur une ânesse. Jésus n’entre point dans Jérusalem accompagné d’une armée, mais simplement monté sur une ânesse. « Ses disciples ne savaient pas
« Ne savaient pas », ce sont les paroles de mon texte ; pour dire selon le texte du Nouveau Testament, il faudrait : « Ils ne firent point d’abord attention : ils ne conçurent pas d’abord ».
que ces choses avaient été écrites de lui (16) ». Remarquez-vous que les disciples ont ignoré bien des choses, parce que Jésus-Christ ne les leur avait pas encore découvertes ? Lorsqu’il dit : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours » (Jn 2,19), les disciples ne comprirent point alors ce que cela voulait dire. Et un autre évangéliste rapporte que ce discours leur était caché (Luc 18,34)
« Leur », aux sénateurs. Le texte grec et celui de mon auteur l’insinue ainsi. Notre Vulgate dit : « Les pharisiens dirent entre eux : Vous voyez que nous ne gagnons rien ».
, et qu’ils ne comprenaient point que Jésus devait ressusciter d’entre les morts. Mais il était juste que ces choses leur fussent cachées ; c’est pourquoi saint Matthieu dit, qu’entendant parler de la passion du Sauveur et de tout ce qui lui devait arriver, ils en étaient Tristes et extrêmement affligés (Mat 17,32) ; ce qui venait de l’ignorance où ils étaient de sa résurrection. Au reste, c’était avec raison que leur Maître ne leur révélait pas encore ces sublimes vérités, parce qu’elles étaient au-dessus de leur portée et de leur intelligence. Mais l’histoire de cette ânesse, pourquoi leur était-elle cachée ? Parce qu’elle renfermait aussi un grand mystère.

2. Pour vous, mon cher auditeur, admirez cette philosophie, cet esprit de force et de sagesse, que fait paraître ici l’évangéliste, en ne rougissant point d’avouer l’ignorance des disciples. Véritablement ils savaient que toutes ces choses étaient écrites ; mais qu’elles étaient écrites de Jésus, ils l’ignoraient. Il n’y a nul doute que s’ils avaient su qu’étant roi, il devait souffrir tant d’outrages, être trahi et livré à ses ennemis, ils en auraient été choqués et scandalisés : mais alors même ils n’auraient pas aisément compris de quel royaume Jésus était roi. Un évangéliste confesse que les disciples avaient cru que Jésus parlait du royaume de ce monde. (Mat 20,21)

« Or, le peuple rendait témoignage que Jésus avait ressuscité Lazare (17) ». Un si grand nombre de Juifs ne seraient pas aussi promptement accourus au-devant de lui, s’il n’avait cru au miracle. « De sorte que les pharisiens leur dirent : voyez-vous que vous ne gagnez rien ? Voilà tout le monde qui court à lui (19) ». Il me semble que ce sont ceux qui avaient l’esprit sain et de bons sentiments, et qui n’osaient pas se déclarer publiquement, qui dirent ces paroles, et que, par ce qui se passait, ils réfutaient ceux qui étaient contraires à Jésus, leur faisant voir que c’était en vain et inutilement qu’ils tentaient et s’efforçaient de le décrier. Au reste, ils appellent ici monde cette multitude du peuple qui suivait Jésus. C’est la coutume de l’Écriture d’appeler monde et les créatures, et ceux qui vivent dans l’iniquité ; elle l’entend dans le premier sens lorsqu’elle dit : « Qui fait marcher le monde dans un si grand ordre », (Isa 40,26) Et dans le second, quand elle dit : « Le monde ne vous hait point, mais pour moi il me hait ». (Jn 6,7) Il faut savoir exactement ces choses, de peur que les hérétiques, abusant de la signification des noms, ne s’en servent pour soutenir leurs erreurs.

« Or il y eut quelques gentils de ceux qui étaient venus pour adorer au jour de la fête (20) », Ces païens étaient venus à la fête pour se faire prosélytes, et étonnés de la grande réputation de Jésus, disaient : « Nous voudrions bien voir Jésus (21) ». Philippe, alors, s’approche d’André, qui marchait devant, et lui apprend ce que demandaient ces gentils ; mais il le fait avec beaucoup de circonspection et ne veut rien prendre sur lui, parce qu’il avait entendu dire à son Maître : « N’allez point vers les gentils ». (Mat 20,5) Et c’est pour cela que, la chose une fois communiquée à André, André et Philippe en informèrent ensemble Jésus.

Mais que leur répondit-il ? « L’heure est venue que le Fils de l’homme doit être glorifié (23). Si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a jeté en terre, il demeure seul (24) ». Que signifie cela : « L’heure est venue ? » Jésus avait dit à ses disciples : « N’allez point vers les gentils », et il leur avait fait cette défense pour ôter aux Juifs tout sujet d’obstination. Mais, comme ils demeuraient et dans leur obstination et dans leur incrédulité, et qu’au contraire les gentils voulaient venir et s’approcher de lui, le temps, dit Jésus, est enfin venu qu’il faut que je me livre à la mort, puisque toutes choses sont accomplies. Si nous nous arrêtions à attendre toujours ces opiniâtres, et si nous refusions de recevoir ceux-ci, qui demandent de venir à nous, nous ferions une action indigne de notre bonté et de notre providence.

Comme donc Jésus, après sa passion, devait envoyer ses disciples vers les Gentils, les voyant déjà s’approcher eux-mêmes et venir à lui, il dit : Le temps est venu pour moi d’aller à la croix et de me livrer à la mort. Il n’avait pas permis auparavant à ses disciples d’aller vers les gentils, parce qu’il voulait que sa croix leur servît de témoignage. Avant que les Juifs l’eussent repoussé, avant qu’ils l’eussent attaché à la croix, il n’a point dit : « Allez et instruisez tous les peuples », mais : « N’allez point vers les gentils ». (Mat 28,19) Et : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues » (Id 15,24) ; et : « Il n’est pas juste de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens ». (Id 26) Les Juifs haïssant donc Jésus, et le haïssant jusqu’à se porter à le faire mourir, il eût été inutile de les attendre plus longtemps, eux qui le repoussaient avec tant d’opiniâtreté lorsqu’il se présentait à eux. En effet, ils le rejetèrent hautement, en disant : « Nous n’avons point d’autre roi que César ». (Jn 19,15) Alors enfin le Sauveur les abandonna, parce qu’ils l’avaient abandonné les premiers. Voilà pourquoi il dit : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, et tu ne l’as pas voulu ? » (Mat 23,37)

Que signifient ces paroles : « Si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a jeté en terre ? » Le Sauveur parle de sa croix, de sa mort. Afin que ses disciples ne se troublassent point, voyant et pensant qu’on avait fait mourir leur Maître, lors même que les gentils venaient à lui, il leur dit : C’est ma mort même qui les attire et les fait plus promptement venir à moi. C’est ma mort qui va répandre ma prédication et mon Évangile. Ensuite, comme il ne les persuadait pas aussi bien par les paroles que par les exemples, il recourt à une image de ce qui se passe dans la nature : Le froment, dit-il, s’il meurt, porte plus de fruit ; or, si cela arrive pour les semences, à plus forte raison la même chose arrivera-t-elle pour moi. Mais les disciples ne comprirent pas ces paroles. C’est pourquoi l’évangéliste répète souvent que les disciples n’avaient point compris ce que Jésus avait dit, afin d’excuser leur fuite au temps de la passion. Saint Paul, parlant de la résurrection des corps, produit le même exemple de la mort et de la résurrection des semences.

3. Quelle excuse auront donc ceux qui ne croient point à la résurrection, puisque nous pouvons tous les jours lavoir et la contempler dans les semences, dans les plantes et même dans la propagation de notre espèce ? Il faut premièrement que la semence se corrompe et pourrisse en terre, pour qu’ensuite elle s’élève et produise du fruit. Mais, en général, quand Dieu fait quelque chose, on n’a nullement besoin de la raison humaine, elle doit se taire ; et en effet, comment le Seigneur nous a-t-il tiré du néant ? C’est aux chrétiens que je parle maintenant, aux chrétiens qui font profession de croire aux Écritures. Mais je veux bien emprunter au raisonnement humain une autre preuve de la résurrection. Parmi les hommes il y en a de bons, il y en a de méchants ; combien de ceux qui sont méchants ont vécu dans la prospérité jusqu’à l’extrême vieillesse ; et au contraire, combien de justes ont passé leur vie dans la misère et dans l’affliction ? Quand donc et en quel temps chacun recevra-t-il ce qui lui revient selon son mérite, selon ses œuvres
Nous devons tous comparaître devant le Tribunal de Jésus-Christ, dit saint Paul, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura faites, pendant qu’il était revêtu de son corps.
 ? Cela est bon, dit-on, mais il n’y a point de résurrection des corps. Répondre de la sorte, ce n’est point écouter saint Paul, qui dit : « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l’incorruptibilité ». (1Co 15,53) L’apôtre ne le dit pas de l’âme, car l’âme ne se corrompt point et ne meurt point, et la résurrection n’est que pour ce qui est mort : or le corps seul meurt et se corrompt.

Pourquoi ne voulez-vous pas qu’il y ait une résurrection des corps ? Est-ce que Dieu n’a pas le pouvoir de les ressusciter ? Mais n’y aurait-il pas une folie extrême à le nier ? Mais, direz-vous, cette résurrection ne convient point ? Et pourquoi ne convient-il pas que ce corps corruptible, qui a essuyé tant de peines et de travaux, pendant sa vie, qui enfin a souffert la mort, participe un jour aux couronnes et aux récompenses de l’âme ? Si cela n’était pas juste, Dieu ne l’aurait pas créé au commencement, et Jésus-Christ n’aurait pas pris une chair. Or, qu’il en ait pris une et qu’il l’ait ressuscitée, ces paroles le prouvent visiblement : « Portez ici vos doigts », dit-il à Thomas, « voyez et considérez qu’un esprit n’a ni chair ni os ». (Luc 24,39 ; Jn 20,27) Pourquoi Jésus a-t-il ressuscité Lazare, s’il était mieux de ressusciter sans corps ? Pourquoi opère-t-il cette résurrection comme un miracle et un bienfait ? Pourquoi enfin nous a-t-il donné les moyens de nous nourrir ? (Mrc 5,43) Ne vous laissez donc pas séduire par les hérétiques, mes chers enfants ; il y a une résurrection, il y a un jugement. Ce sont là des vérités que refusent d’avouer ceux qui ne veulent point rendre compte de leurs œuvres. Il faut que notre résurrection soit semblable à celle de Jésus-Christ (1Co 15,20), car il est les prémices et le premier-né des morts. (Col 1,18)

Que si la résurrection consiste dans la purification de l’âme, dans la délivrance du péché, Jésus-Christ n’ayant point commis de péché, pourquoi est-il ressuscité ? Et si lui-même a péché, comment avons-nous été délivrés de la malédiction ? (Gal 3,13) Comment dit-il « Le prince de ce monde va venir, et il n’a rien en moi » (Jn 14,30) qui lui appartienne
Parce que le diable n’a droit que sur les pécheurs.
? car voilà ce qui marque son impeccabilité. Ainsi donc, selon ces hérétiques, ou Jésus-Christ n’a point ressuscité, ou, pour qu’il ait ressuscité, il faut qu’il ait péché avant sa résurrection ; mais il a ressuscité et il n’a commis aucun péché ; c’est donc une vérité constante que Jésus-Christ est ressuscité, et la mauvaise doctrine de ces hérétiques n’est qu’un fruit de leur vanité.

Évitons donc ces hommes empestés, car « les mauvais entretiens gâtent les bonnes mœurs
Selon la plupart des auteurs, ces paroles sont de Ménandre, quoique Socrate l’historien et Nicéphore les donnent à Euripide. Saint Paul a quelquefois cité les auteurs profanes. Saint Cyprien a dit de même : Les mauvais entretiens corrompent les bonnes inclinations ». (De Testim. 53, chap. 95)
 ». (1Co 15,33) Ce ne sont point là les dogmes des apôtres. Marcion et Valentin, voilà les inventeurs de ces nouveautés impies. Fuyons donc ces erreurs, mes bien-aimés, la bonne vie ne sert de rien sans la bonne doctrine, comme la bonne doctrine est inutile sans la bonne vie. Les gentils ont inventé et semé les premiers ces erreurs ; les hérétiques les ayant reçues des philosophes païens, les ont accrues et répandues, soutenant également avec eux que la matière est incréée, et bien d’autres semblables extravagances. Comme donc ayant enseigné que la matière était incréée, ils en ont conclu qu’il n’y avait point de créateur ; de même, voyant la mort et la corruption des corps, ils ont dit qu’il n’y avait point de résurrection.

Mais nous, mes frères, nous qui connaissons l’immense et souveraine puissance de Dieu, n’écoutons point leurs rêveries ; gardons-nous de leurs entretiens, c’est pour vous que je le dis. Car pour moi je ne refuserai point d’entrer en lice avec eux. Mais un homme nu et sans armes, encore qu’il soit en soi plus fort que ceux qui l’attaquent, sera facilement vaincu et terrassé. Si vous faisiez votre étude et votre méditation des saintes Écritures, si vous vous prépariez tous les jours au combat, je n’aurais garde de vous détourner de combattre contre eux ; au contraire, je vous conseillerais de leur livrer bataille, parce que la vérité est forte et puissante. Mais comme vous ne savez pas vous servir des Écritures, je crains le combat, je crains que, vous trouvant sans armes et sans défense, ils ne vous renversent. Rien, en effet, rien n’est plus faible que ceux qui sont dénués du secours de l’Esprit-Saint.

Que si ces faux sages affectent de faire paraître au-dehors de la sagesse et de la gravité, vous ne devez point vous en étonner, mais plutôt vous devez rire de les voir suivre des docteurs fous et insensés ; car leurs docteurs n’ont rien su penser de grand, de raisonnable, ni sur Dieu ni sur la créature ; ce que chez nous la moindre femme sait, Pythagore l’a parfaitement ignoré
Savoir : que l’âme est spirituelle et immortelle.
. Mais ces philosophes débitent fastueusement que l’âme est changée en arbrisseau, en poisson, en chair. Ne leur prêtez point l’oreille, je vous prie, et serait-ce raisonnable ? Ils sont ici de grands personnages, ils laissent croître leurs cheveux, les frisent, les ajustent et se parent d’un manteau ; voilà en quoi consiste toute leur philosophie. Si vous les regardez de près, ils ne sont que cendre et que poussière, il n’y a rien de sain chez eux, mais « leur gosier est comme un sépulcre ouvert » (Psa 5,11) ; en eux tout est ordure et corruption, et leurs dogmes, tels qu’un bois pourri, fourmillent de vers. Le premier de leurs philosophes a enseigné que Dieu était l’eau, celui qui est venu après lui a dit que c’était le feu, un autre que c’était l’air, et tous n’ont eu de Dieu que des idées corporelles. N’admirez donc pas, je vous prie, ces docteurs qui n’ont pas pu s’élever à la connaissance d’un Dieu incorporel. Que si dans la suite ils en ont eu quelque connaissance, ils la doivent aux entretiens qu’ils ont eus dans l’Égypte avec les nôtres. Mais, pour ne pas causer ici trop de désordre, finissons ce discours. Si nous voulions bien nous donner la peine de vous exposer leur doctrine, ce qu’ils ont dit de Dieu, de la matière, de l’âme et du corps, vous ne pourriez vous empêcher d’éclater de rire. D’ailleurs ils ne méritent pas qu’on les réfute, car ils se détruisent réciproquement eux-mêmes.

Le philosophe qui a écrit contre nous un livre sur la matière, se réfute lui-même. Ainsi donc, pour ne pas occuper inutilement votre temps, et ne nous pas embarquer dans un discours sales fin, laissons toutes ces choses, et disons qu’il faut s’appliquer à la lecture de l’Écriture sainte, au lieu de se jeter dans des disputes de paroles dont on ne retire aucun fruit. C’est l’avis que saint Paul donne à Timothée, à ce cher disciple qui était plein de sagesse, et qui avait reçu lé don des miracles. Suivons donc le conseil du grand apôtre, fuyons, rejetons toutes ces fables et ces puérilités (1Ti 4,7 ; 6,20 ; 2Ti 2,23) ; mettons la main à l’œuvre : je veux dire, exerçons-nous aux œuvres de charité envers nos frères, à l’hospitalité, et attachons-nous de toutes nos forces à faire l’aumône, afin que nous puissions acquérir les biens que Dieu nous a promis, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LXVII.

CELUI QUI AIME SA VIE, LA PERDRA ; MAIS CELUI QUI HAIT SA VIE EN CE MONDE, LA CONSERVE POUR LA VIE ÉTERNELLE. – SI QUELQU’UN ME SERT, QU’IL ME SUIVE. (VERS. 26, 26, JUSQU’AU VERS. 34)

ANALYSE.

  • 1. Qui est celui qui, aimant sa vie, la perdra ? – Pourquoi Jésus-Christ se troubla.
  • 2. Passer par la croix pour parvenir à la gloire. – Le diable chassé du monde par la mort de Jésus-Christ.
  • 3. Jésus prédit sa résurrection et sa victoire. – Glorifier Dieu : lui rendre gloire, et par la foi et par la bonne vie. – Dieu n’est point tant déshonoré par les païens que par les mauvais chrétiens. – Les péchés qui tendent à la ruine publique, sont ceux-là mêmes qui font le plus blasphémer contre Dieu ; des avares, et de ceux qui ravissent le bien d’autrui.

1. La vie présente est agréable et douce, elle est remplie de plaisirs et de voluptés ; non pour tous, mais seulement pour ceux-là qui s’y attachent et y fixent leur pensée. Que si, au contraire, on regarde le ciel et les biens qui y sont préparés, bientôt on la méprisera et l’on n’en fera aucun cas. On admire un beau corps, jusqu’à ce qu’il s’en présente un plus beau et plus admirable : alors, ce qui nous avait d’abord saisis et jetés dans l’admiration, nous le méprisons. Si donc nous voulons contempler la beauté divine et la figure du céleste royaume, nous romprons aussitôt les liens qui nous tiennent attachés aux choses de ce monde. Car c’est une chaîne que l’amour des choses terrestres. Jésus-Christ, voulant nous le faire entendre, nous dit : « Celui qui aime sa vie la perdra ; mais celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour la vie a éternelle. Si quelqu’un me sert, qu’il me suive : Et où je serai, là sera aussi mon serviteur ». On dirait que ce sont là, des énigmes, mais il n’en est rien ; au contraire, ces paroles sont pleines de lumière et de sagesse.

Mais qui est-ce qui, aimant sa vie, la perdra ? C’est celui qui cherche à satisfaire ses coupables désirs, celui qui donne à la vie plus qu’il n’est permis. Voilà pourquoi l’Écriture nous donne cet avis. « Ne vous laissez point aller à vos mauvais désirs » (Sir 18,29) ; c’est par là que vous perdrez la vie : une pareille conduite écarte du chemin qui mène à la vertu. Mais, au contraire, celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve. Qui est-ce qui hait sa vie ? Celui qui résiste aux mauvais conseils qu’elle lui donne. Et Jésus-Christ n’a point dit : Celui qui ne cède pas, mais celui qui hait. Comme, en effet, nous ne pouvons ni écouter volontiers, ni voir tranquillement les personnes qui nous sont odieuses ; de même aussi il faut avoir un extrême éloignement pour la vie, lorsqu’elle nous suggère des choses contraires à la volonté de Dieu. Jésus-Christ parlait alors de la mort à ses disciples, c’est-à-dire de sa mort ; et il prévoyait bien que cette nouvelle les jetterait dans la tristesse ; c’est pourquoi il parle avec cette force Pourquoi parler, dit-il, de là résignation que vous devez montrer au sujet de ma mort ? Si vous-mêmes vous ne mourez pas, vous n’avez aucun avantage à espérer. Remarquez, mes chers frères, de quelle manière le Sauveur mêle les paroles de consolation avec celles qui pouvaient paraître un peu dures. Il aurait été effectivement dur et fâcheux pour l’homme, qui aime si fort la vie, de s’entendre dire qu’il fallait mourir. Et pourquoi en irais-je chercher des exemples dans les siècles passés ; puisqu’aujourd’hui même nous trouvons tant de gens qui souffrent volontiers toutes choses pour jouir de cette vie ; encore qu’ils croient à un avenir, à une autre vie plus heureuse ? Voient-ils quelque édifice, quelque machine ingénieuse, ils disent, avec des larmes aux yeux : combien l’homme invente-t-il de choses pour mourir bientôt et être réduit en cendres ! Tant cette vie excite de passion.

Jésus-Christ donc, pour briser tous ces liens, dit : « Celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour l’autre ». Et ce qui suit fait visiblement connaître qu’il ne l’a dit que pour instruire ses disciples et dissiper leur crainte ; écoutez-le : « Que celui qui me sert me suive ». Parlant de sa mort il montre qu’il exige de ses disciples qu’ils le suivent par leurs œuvres, en mourant aussi eux-mêmes ; car un serviteur doit suivre partout le maître qu’il sert. Considérez en quel temps le Sauveur dit ces choses : il les dit, non quand ils étaient dans la persécution, mais lorsqu’ils étaient tranquilles et en paix, lorsqu’ils se croyaient en sûreté. « Et qu’il se charge de sa croix, et me suive » (Mat 16,24) ; c’est-à-dire, soyez toujours prêts aux périls, à la mort et à quitter la vie. Ensuite leur ayant fait envisager des choses dures et fâcheuses, il les relève par la promesse de la récompense. Quelle est cette récompense ? C’est qu’on le suit, c’est qu’on est avec lui ; par où il leur fait connaître que la mort sera suivie de la résurrection, car, dit-il : « Où je serai, là sera aussi mon serviteur ». Où est Jésus-Christ ? Dans le ciel. Élevons-y donc nos cœurs et nos esprits avant même la résurrection.

« Si quelqu’un me sert, mon Père l’aimera ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Je l’aimerai ? Parce que les disciples n’avaient pas encore de lui la juste opinion qu’ils en devaient avoir, et qu’ils en avaient une plus grande du Père. Ils ne savaient pas encore que, leur Maître ressusciterait, comment auraient-ils eu de lui une grande opinion ? C’est pourquoi il dit aux enfants de Zébédée : « Ce n’est point à moi à donner
« Ce n’est point à moi à donner », le mot « à vous », n’est ni dans saint Chrysostome, ni dans le grec.
, mais ce sera ceux à qui il a été préparé par mon Père » (Mrc 10,40) ; mais cependant c’est lui qui juge. Jésus-Christ déclare ici qu’il est le Fils légitime du Père : car le Père les recevra comme les serviteurs de son vrai et légitime Fils.

« Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Mon Père, délivrez-moi de cette heure (27) ». Mais ce n’est point là le langage de celui qui veut persuader qu’il faut aller volontiers à la mort ? Tel est, au contraire, le sens de ces paroles. Le Sauveur, afin qu’on ne dît pas qu’étant exempt des douleurs humaines, il lui était facile de philosopher sur la mort, et qu’il y exhortait, les autres, n’ayant rien à souffrir lui-même, fait voir ici que quoiqu’il la craignît, il ne la refusait pourtant point, parce qu’elle nous devait être très-utile et très-avantageuse. En un mot, ces paroles appartiennent à la chair qu’il a prise, et non à sa divinité. Voilà pourquoi il dit : « Maintenant mon âme est troublée ». S’il n’en était pas ainsi, quelle suite y aurait-il entre ces paroles et les suivantes. « Mon Père, délivrez-moi de cette heure ? » Le divin Sauveur est si troublé, qu’il demande à son Père de le délivrer de la mort, s’il peut l’éviter.

2. Ces paroles marquent la faiblesse de la nature humaine. Mais je ne puis rien alléguer, veut-il dire, pour demander à être délivré de la mort : « Car c’est pour cela que je suis venu en cette heure » ; c’est comme s’il disait : quels que puissent être notre trouble et notre abattement, ne fuyons pas la mort encore que je sois ainsi troublé, je dis qu’il ne faut point fuir la mort. Il faut souffrir ce qui nous arrive ; mais, mon « Père, glorifiez votre nom (28) ». Quoique le trouble où je suis m’ait fait prononcer ces paroles, je dis le contraire : « Glorifiez votre nom » ; c’est-à-dire, menez-moi à la croix : ce qui montre une faiblesse humaine, et l’infirmité de la nature qui ne veut point mourir, et fait voir que Jésus n’était pas exempt des sentiments humains. Comme on n’impute pas à crime d’avoir faim, ou d’avoir envie de dormir, de même aussi ce n’en est pas un de désirer la vie présente. Or, Jésus-Christ était exempt de tout péché, mais non des instincts naturels ; autrement son corps n’aurait pas été un vrai corps. Par ces paroles, le divin Sauveur nous a encore appris une autre chose. Et quoi ? Que s’il nous arrive d’être dans l’affliction et dans la crainte, nous ne devons pas pour cela nous laisser abattre, et changer de résolution.

Mon « Père, glorifiez votre nom ». Jésus-Christ fait voir qu’il meurt pour la vérité, ce qu’il appelle la gloire de Dieu, et cela est arrivé après sa mort. Car après sa mort tout le monde devait se convertir, connaître le nom de Dieu, l’adorer et le servir, et non seulement le nom du Père, mais encore le nom du Fils. Mais le Sauveur ne le dit pas ouvertement : « Au même temps on entendit une voix du ciel » qui dit : « Je l’ai glorifié, et je le glorifierai encore ». Quand l’a-t-il glorifié ? Auparavant
Auparavant : Dans son baptême, le Père fit entendre cette voix du ciel : C’est mon Fils bien-aimé, dans lequel j’ai mis toute mon affection.
 : Et je le glorifierai encore après qu’il aura été crucifié. « Ce n’est pas pour moi que cette voix est venue, mais pour vous (30) ». Mais « le peuple qui était là cru que c’était un coup de tonnerre, ou que c’était un ange qui lui avait parlé (29) ». Et sur quoi le crurent-ils ? La voix n’était-elle pas claire et intelligible ? Elle l’était, mais elle s’effaça aussitôt de leur mémoire, parce qu’ils étaient grossiers, charnels, lâches et engourdis. Les uns n’en retinrent que le son, les autres savaient bien que les paroles que la voix fit entendre, étaient articulées, mais ils ne savaient pas de même ce qu’elle avait dit. Que dit donc Jésus-Christ ? « Ce n’est pas pour moi que la voix est venue, mais pour vous ». Pourquoi le dit-il ? Parce qu’ils disaient souvent qu’il n’était pas envoyé de Dieu. Il ne se peut point que celui que Dieu glorifie ne soit pas envoyé de Dieu, dont il fait glorifier le nom. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit : Cette voix s’est fait entendre : « Ce n’est pas pour « moi qu’elle est venue, mais pour vous ». Ce n’est pas pour m’apprendre quelque chose que j’ignorasse auparavant, car je connais parfaitement mon Père : mais c’est pour vous qu’elle est venue. Comme ils disaient que c’était un ange qui liai avait parlé, ou que c’était un coup de tonnerre qui s’était fait entendre, et qu’ils n’y faisaient pas plus d’attention, Jésus-Christ leur dit : C’est pour vous que cette voix est venue du ciel, afin de vous exciter à demander ce qu’elle a dit. Mais ils sont si stupides et si étourdis, que, quoiqu’on leur apprenne que ce qu’a dit la voix les regarde, ils ne demandent point encore ce que c’est. Cette voix pouvait ne point paraître bien distincte à des gens qui ignoraient pour qui elle se faisait, entendre, et ce qu’elle annonçait. Voilà donc pourquoi Jésus-Christ leur dit : C’est pour vous que cette voix est venues ale remarquez-vous pas, mes frères, que c’est pour eux, que c’est à cause de leur faiblesse, que, se font ces choses basses et grossières, et non pour le Fils, qui n’avait nullement besoin de ce secours ?

« C’est maintenant que le monde va être jugé : c’est maintenant que le prince de ce monde va être chassé dans l’enfer (31) » : Ces paroles, comment s’accordent-elles avec celles-ci : « Je l’ai glorifié, et je le glorifierai ? » Parfaitement ; et elles sont tout à fait d’accord. Comme le Père a dit : « Je le glorifierai », le Fils fait connaître de quelle sorte de gloire le Père le glorifiera. Et quelle est cette gloire ? Le prince de ce monde va être chassé dehors. Que veut dire ceci : c’est maintenant que le monde va être jugé ? C’est comme s’il disait : Le jugement et la vengeance vont arriver comment ? Le diable, qui est le prince du monde, a fait mourir le premier homme, qu’il a trouvé coupable de péché ; car c’est par le péché que la mort est entrée dans le monde (Rom 5,12). En moi il n’a trouvé aucun péché. Pourquoi s’est-il donc jeté sur moi, et m’a-t-il livré à la mort ? pourquoi est-il entré dans l’âme de Judas pour me faire mourir ? Ne venez pas maintenant me dire que Dieu a dispensé ces choses de cette manière : car une telle dispensation ne saurait provenir que de – sa sagesse, et non du diable. Mais cependant examinons la conduite de cet esprit malin. Comment le monde sera-t-il jugé en moi ? On fera comparaître en jugement ce malin esprit comme devant un tribunal, et on lui dira : Que tu aies fait mourir tous les hommes, on te le passe ; c’est parce que tu les as trouvés coupables de péché ; mais Jésus-Christ, pourquoi l’as-tu fait mourir ? N’est-ce pas tout à fait injustement ? Tout le monde sera donc vengé en Jésus-Christ.

Pour vous rendre ceci plus clair et plus sensible, je me servirai d’un exemple. Supposons un cruel tyran qui accable de mille maux et fasse mourir tous ceux qui tombent entre ses mains : si, attaquant un roi ou le fils d’un roi, il l’a fait mourir injustement, son supplice pourra venger aussi tous les autres qu’il a fait mourir. Supposons encore un créancier, qui exige impitoyablement de ses débiteurs ce qu’ils lui doivent, qui les frappe et les jette en prison, et qu’ensuite avec la même insolence 'il fasse emprisonner un homme qui ne lui doit rien. Alors il sera puni des mauvais traitements qu’il a fait subir aux autres ; car celui-là le fera mourir.

3. Il en arrive de même à l’égard de Dieu. Le diable sera puni de ce qu’il a fait contre vous, par ce qu’il a osé faire contre Jésus-Christ. Faites bien attention aux paroles du Sauveur, et vous comprendrez que c’est là ce qu’il veut dire par ces paroles : « C’est maintenant que le prince de ce monde sera chassé dans l’enfer
« Dans l’enfer ». C’est ce que porte mon texte.
 », par ma mort.

« Et pour moi, quand j’aurai été élevé, j’attirerai tous les hommes
« Tous les hommes ». Le texte grec et mon auteur lisent de même. La Vulgate dit. « Tout ».
à moi (32) », c’est-à-dire, les gentils aussi. Et de peur que quelqu’un ne dît : Si le prince de ce monde a la victoire sur vous, comment sera-t-il chassé dans l’enfer ? Jésus prévient cette objection, et dit : Il ne me vaincra point ; car comment vaincrait-il celui qui attire les autres ? Et il ne parle point là de la résurrection, mais de ce qui est plus grand que la résurrection : « J’attirerai tous les hommes à moi ». Si le Sauveur eût dit : Je ressusciterai, il n’aurait pas fait connaître que tous croiront en lui. Mais en disant : Tous croiront, il déclare l’un et l’autre, et il assure qu’il ressuscitera. S’il était demeuré dans la mort, et s’il n’eût été qu’un homme, personne n’aurait cru en lui.

« J’attirerai tous les hommes à moi ». Pourquoi Jésus-Christ dit-il donc que le Père attire ? Parce que le Fils attirant, le Père attire aussi. Je les attirerai, dit-il, parce qu’ils sont tellement arrêtés par le tyran, qu’ils ne peuvent venir d’eux-mêmes, ni s’échapper des mains de celui qui les retient. En un autre endroit le Seigneur appelle cela un pillage : « Personne », dit-il, « ne peut piller les armes du fort, si auparavant il ne lie le fort, pour pouvoir ensuite piller ce qu’il possède ». (Mat 11,29) Et par ces expressions il marque sa violence. Ce qu’il appelle donc là « piller », ici il l’appelle « attirer ».

Instruits de ces vérités, réveillons-nous, sortons de notre engourdissement, glorifions Dieu, non seulement par la foi, mais encore par la bonne vie. Autrement ce ne serait point lui rendre gloire, mais blasphémer contre lui. Le saint nom de Dieu n’est point tant blasphémé par la perversité d’un gentil que par la corruption d’un chrétien. C’est pourquoi je vous en conjure, mes chers frères, faisons tout notre possible pour que Dieu soit infiniment glorifié. Car il dit : Malheur à ce serviteur par qui le nom de Dieu est blasphémé ! Or, quand Dieu dit : Malheur, il déclare que celui contre qui il prononce cette parole, sera condamné aux tourments et aux supplices les plus rigoureux. Mais aux contraire : Bienheureux est celui par qui son nom est honoré ! Ne vivons donc pas comme si nous étions encore dans les ténèbres, mais fuyons toutes sortes de péchés, et surtout ceux qui tendent à la perte commune : car c’est par ceux-là principalement que Dieu est blasphémé.

En effet, quel pardon obtiendrons-nous, si le Seigneur nous ayant fait un précepte de donner de notre propre bien aux autres, nous ravissons le bien d’autrui ? Quelle espérance de salut aurons-nous ? Vous serez puni, si vous ne donnez point à manger à celui qui a faim ; si vous allez jusqu’à dépouiller celui qui est vêtu, quel pardon obtiendrez-vous ? Nous ne cesserons point de vous répéter souvent ces vérités ; peut-être que ceux qui ne les écoutent pas aujourd’hui, les écouteront demain ; ceux qui n’y sont point attentifs aujourd’hui, demain pourront y faire attention. Que s’il se trouve parmi vous quelqu’un d’incorrigible, du moins, il n’y aura pas de notre faute, et nous ne serons point responsable, puisque nous aurons rempli notre ministère. Fasse le ciel, et que nous ne soyons pas remplis de confusion au sujet de nos paroles, et que vous ne soyez pas couverts de honte, mais que nous puissions tous paraître avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ, de telle sorte que nous puissions nous-mêmes nous glorifier de vous, et recevoir une consolation de nos peines ; je veux dire, vous voir glorifiés et couronnés par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient la gloire, et au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LXVIII.

LE PEUPLE LUI RÉPONDIT : NOUS AVONS APPRIS DE LA LOI, QUE LE CHRIST DOIT DEMEURER ÉTERNELLEMENT. COMMENT DONC DITES-VOUS QU’IL FAUT QUE LE FILS DE L’HOMME SOIT ÉLEVÉ EN HAUT ? QUI EST CE FILS DE L’HOMME ? (VERS. 34, JUSQU’AU VERS. 42)

ANALYSE.

  • 1. La mort n’empêche point Jésus-Christ de demeurer éternellement.
  • 2. Les prophéties ne nécessitent point qu’il ne faut pas prendre à la lettre diverses manières de parler de la sainte Écriture.
  • 3. Faire tous ses efforts pour ne se point séparer de Dieu : s’appliquer pour cela à toutes sortes de bonnes œuvres. – Douceur, charité envers le prochain. – Tâcher d’adoucir les plaies qu’on ne peut guérir.

1. Le mensonge est faible et facile à démasquer, quand bien même il se couvre au-dehors de mille couleurs. Comme ceux qui crépissent des murs ruineux, ne les rendent pas pour cela plus solides ; de même les menteurs sont aisément confondus. Voilà précisément ce qui arrive ici aux Juifs. Jésus-Christ leur disant : « Quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai a tous les hommes à moi » ; ils répondent « Nous avons appris de la loi que le Christ demeure éternellement. Comment donc dites-vous qu’il faut que le Fils de l’homme soit élevé en haut ? Qui est ce Fils de l’homme ? » Donc ils savaient que le Christ était immortel, et que sa vie n’aurait point de fin ; donc ils comprenaient ce que disait Jésus-Christ. En effet, on trouve en mille endroits des Écritures et la passion et la résurrection. Isaïe les met ensemble : « Il a été mené à la mort », dit-il, « comme une brebis qu’on va a égorger » (Luc. 7), et tout le reste. David les joint dans le second psaume, et souvent aussi dans les autres. Le patriarche de même, lorsqu’il dit : « En se couchant, il s’est reposé comme un lion », et il a ajouté : « Il est comme un jeune lion ; qui osera le réveiller ? » (Gen 49,9) Par où il marque en même temps la passion et la résurrection. Mais ils n’avouent et ne confessent que le Christ doit demeurer éternellement, que dans la fausse confiance qu’ils ont, de lui imposer silence, et de faire manifestement voir qu’il n’est pas le Christ.

Et remarquez, mes frères, avec quelle malignité ils font cet aveu. Ils n’ont pas dit : Nous avons appris que le Christ ne doit point souffrir, ne doit point être crucifié, mais qu’il doit demeurer éternellement. Mais cette prédiction même n’était point contraire au Christ ; la passion, en effet, n’a point été un obstacle à l’immortalité. Par là, on peut voir que les Juifs comprenaient bien des choses en apparence douteuses, et qu’ils les ont volontairement altérées et corrompues. Comme le Sauveur avait auparavant parlé de sa mort, lui entendant dire ici qu’il devait être élevé, ils jetèrent adroitement ces paroles de défiance. Ensuite ils ajoutent : « Qui est ce Fils de l’homme ? » Et cela malicieusement. Ne croyez pas, disent-ils, que ce soit de vous que nous voulions parler, et ne dites pas que nous vous contredisons par animosité : nous ne savons pas de qui vous parlez, mais nous nous croyons bien fondés à vous représenter ce que la loi nous a appris. Que leur répond donc Jésus-Christ ? Il les réfute, et leur fait voir que sa passion, que sa mort n’empêche pas qu’il ne demeure éternellement.

« La lumière », dit-il, « est encore avec vous pour un peu de temps (35) », montrant par ces paroles que sa mort n’est : qu’une translation ; car la lumière du soleil ne s’éteint point, et si elle se retire pour un peu de temps, elle reparaît de nouveau. « Marchez pendant que vous avez la lumière » Quel temps cela marque-t-il ? Est-ce toute la vie présente ? est-ce le temps qui devait s’écouler jusqu’à sa mort ? Je crois que c’est l’un et l’autre. Car, par sa bonté ineffable, plusieurs, même après sa mort, ont cru en lui. Au reste, le divin Sauveur leur dit ces choses pour lest exciter à croire, comme il l’a déjà fait auparavant, en disant : « Je suis encore avec vous un a peu de temps ». (Jn 7,3)

« Celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va ». Combien de peines se donnent maintenant les Juifs sans savoir ce qu’ils font ! de même que s’ils marchaient dans les ténèbres, ils croient suivre le droit chemin, pendant qu’ils vont à l’opposé : ils gardent le sabbat et la loi, et les observances des viandes, et ils ne savent où ils vont. Voilà pourquoi Jésus leur disait : « Marchez dans la lumière, afin que vous soyez des enfants de lumière (36) » ; c’est-à-dire, mes enfants. Saint Jean dit, au commencement de son évangile : les enfants « ne sont point nés du sang ni de la volonté de la chair, mais de Dieu même » (Jn 1,3) ; c’est-à-dire, de mon Père. Mais ici il est marqué que c’est le Fils qui les engendre, pour vous apprendre que l’œuvre du Père et celle du Fils sont la même ; œuvre et une seule opération.

« Jésus parla de la sorte, et, se retirant, il se cacha d’eux ». Pour quelle raison se cacha-t-il alors ? Ils ne jetèrent point de pierres sur lui, ils ne blasphémèrent point, comme ils l’avaient fait auparavant. Pourquoi donc se cacha-t-il ? Voyant ce qu’il y avait de plus secret dans leurs cœurs, il savait qu’ils s’irritaient contre lui, quoiqu’ils ne dissent mot : il savait qu’ils étaient en fureur et qu’ils ne respiraient que le meurtre : et il n’attendit point qu’ils éclatassent au-dehors, mais il se cacha pour apaiser leur envie par son absence. Faites attention au grand soin qu’a l’évangéliste de l’insinuer, en ajoutant aussitôt : « Mais quoi qu’il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en lui (37) ». Quel est ce grand nombre de miracles ? Ceux dont l’évangéliste n’a point parlé, comme on le voit par ce qui suit. Car s’étant d’abord retiré, il revient auprès d’eux, et leur parle avec douceur en ces termes : « Celui qui croit en moi, ne a croit pas en moi, mais en celui qui m’a envoyé ». (Jn 12,44) Observez ce que fait. 1e, Sauveur : il commence à s’insinuer dans leur esprit par des – expressions grossières, s’appuyant dû Père : après il relève encore son discours, et lorsqu’il les voit s’animer et s’irriter, il se retire ; puis il reparaît de nouveau, et recommençant dans un langage encore approprié à leur faiblesse.

Et où Jésus-Christ fait-il cela ? Disons plutôt : où ne le fait-il pas ? Écoutez ce qu’il dit au commencement : « Je juge selon ce que j’entends ». (Jn 5,30) Après quoi, parlant, d’une manière plus élevée, il dit : « Car, comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ». (Id 21) Ensuite, se rabaissant encore, il dit : « Pour moi, je ne vous juge point, un autre me fera justice ». (Jn 8,15, 50) Et il se retire derechef, et après, se faisant voir à eux en Galilée : « Travaillez », pour avoir, leur dit-il, « non la nourriture qui périt ». (Id 6,27) Et après avoir parlé de soi d’une manière grande et élevée, avoir dit qu’il est descendu du ciel (Id 41), qu’il donne la vie éternelle (Id 10,28), il se retire encore. A la fête, dite des Tabernacles, il fait la même chose. (Id 7,2)

2. Faites-y attention, mes frères : vous verrez que le Sauveur varie continuellement ses discours et ses instructions par des expressions tantôt humaines, tantôt sublimes ; et que tantôt il se retire et se cache, tantôt il reparaît et se fait voir publiquement : il en usa de même en cette occasion. « Mais quoiqu’il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en lui », dit l’évangéliste. « Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : Seigneur, dit-il, qui a cru à la parole qu’il a entendue de nous, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé (38) ? » Et encore « Ils ne purent croire », dit l’évangéliste, « parce qu’Isaïe a dit : Vous écouterez de vos oreilles, et vous n’entendrez point. Isaïe a dit ces choses lorsqu’il a vu sa gloire, et qu’il a parlé de lui (41) ». Remarquez encore ici, comme nous vous l’avons fait observer ailleurs, que ces mots : « Parce que », et : « Il a dit », ne sont pas des particules causales, mais qu’ils marquent seulement l’événement, ou ce qui est arrivé. Car ce n’est pas parce qu’Isaïe l’a prédit, que les Juifs n’ont point cru, mais comme il devait arriver qu’ils ne croiraient point, Isaïe l’a prédit. Pourquoi donc l’évangéliste, ne s’explique-t-il pas de cette manière et laisse-t-il entendre que l’incrédulité des Juifs vient de la prédiction qui en a été faite, et non pas de la prédiction de l’incrédulité ? pourquoi s’exprime-t-il même dans la suite en des termes plus expressifs, et dit-il : « C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croire, parce qu’Isaïe a dit ? » C’est parce qu’il veut, par plusieurs exemples, faire parfaitement connaître la vérité de l’Écriture et montrer que les choses qu’elle a prédites ne sont point arrivées d’une autre manière qu’il ne les a rapportées. Afin qu’on ne dît pas : Pourquoi Jésus-Christ est-il venu ? Est-ce qu’il ne savait pas que les Juifs ne croiraient point ? il apporte le témoignage des prophètes, qui ont prédit leur incrédulité. Mais si Jésus-Christ est venu, c’est afin que les Juifs n’eussent aucune excuse de leur péché.

Le prophète n’a prédit ces choses que parce qu’elles devaient infailliblement s’accomplir, et il ne les aurait point prédites, si l’accomplissement n’en eût été sûr et infaillible. Or, ces choses devaient sûrement arriver, parce que les Juifs étaient incorrigibles. Ce mot : « Ils n’ont pas pu », signifie : ils n’ont pas voulu. Et n’en soyez pas surpris, car Jésus-Christ dit encore dans un autre endroit : « Qui peut comprendre ceci, le comprenne ». (Mat 19,12) Il a coutume de mettre ainsi souvent le pouvoir pour la volonté. Et encore : « Le monde ne peut vous haïr ; mais pour moi, il me hait ». (Jn 7,7)

Et même parmi nous, cette coutume où l’on est de dire : je ne puis aimer un tel ; cet homme ne peut devenir bon, ne marque que la force et l’empire qu’a sur nous la volonté. Et encore : que dit le prophète ? « Si un Éthiopien peut changer sa peau, et un léopard la variété de ses couleurs, ce peuple aussi pourra faire le bien, lui qui n’a appris qu’à faire le mal ». (Jer 13,23) Ce n’est pas qu’ils ne pussent point embrasser la vertu et faire le bien, mais c’est parce qu’ils ne le voulaient point, que le prophète dit qu’ils ne le pouvaient pas. Au reste, l’évangéliste, veut dire ici que le prophète ne pouvait point mentir ; ce n’est pas à dire qu’il leur fût impossible de croire. Il pouvait arriver que, quoiqu’ils crussent, le prophète fût véritable : car s’ils eussent dû croire, alors il n’aurait pas prédit qu’ils ne croiraient point. Pourquoi donc, direz-vous, ne s’est-il pas expliqué en ces termes ? Parce que l’Écriture a certaines façons de parler qui lui sont propres, et c’est à quoi il faut avoir égard. Enfin Isaïe a dit ces choses, lorsqu’il a vu sa gloire. La gloire de qui ? Du Père.

Pourquoi saint Jean parle-t-il du Fils, et saint Paul du Saint-Esprit ? Ce n’est pas pour confondre les personnes, mais c’est pour montrer que leur dignité est égale et la même. Ce qui est au Père, est au Fils, et ce qui est au Fils, est au Père. (Jn 17,10) Cependant Dieu a dit bien des choses par ses anges, et néanmoins personne ne dit : Comme – a dit l’ange ; mais bien : Dieu a dit ; parce que ce que Dieu a dit par ses anges, appartient à Dieu, et que ce qui est à Dieu n’appartient pas de même aux anges. Mais l’apôtre dit que les paroles qu’il prononce sont du Saint-Esprit.

« Isaïe a parlé de lui ». Qu’a-t-il dit ? « Je suis le Seigneur assis sur un trône sublime », etc. (Isa 6,1) II appelle donc ici cette vision une gloire : il a dit qu’il a vu de la fumée, qu’il a entendu de profonds mystères, qu’il a vu des séraphins sortir du trône, des éclairs que ces puissances mêmes ne pouvaient fixement regarder. « Et il a parlé de lui ». Qu’a-t-il dit ? Qu’il a entendu une voix qui disait : « Qui enverrai-je, et qui ira ? « Me voici, dis-je alors, envoyez-moi. Le Seigneur me dit : Vous écouterez de vos oreilles, et vous n’entendrez point, et voyant, vous verrez, et vous ne discernerez point. Car le Seigneur a aveuglé ses yeux et endurci son cœur, de peur que ses yeux ne voient, et que son cœur ne comprenne ». (Id 8, 9, 10) Il se présente ici une difficulté apparente, qui pourtant, si l’on y fait bien attention, n’en est point une. Car, ainsi que le soleil,.s’il fait fermer les yeux à ceux qui les ont faibles, ne les leur fait pas fermer par sa propre nature, mais parce qu’ils les ont faibles ; de même Dieu ne rend pas sourds ceux qui n’écoutent point sa parole. C’est ainsi, c’est en ce sens qu’il est dit que le Seigneur a endurci le cœur de Pharaon, et cela arrive également à ces esprits indociles et rebelles qui résistent à la parole de Dieu. Au reste, c’est là une façon de parler de l’Écriture, comme celles-ci : « Dieu les a livrés à un sens dépravé (Rom 1, 28) » ; et ces paroles : « Le Seigneur votre Dieu a distribué aux nations » (Deu 4,19 ; LXX) : c’est-à-dire, a permis, a laissé. L’Écriture, en cet endroit, ne fait point agir Dieu, mais elle marque que c’est par leur méchanceté que les nations ont fait le mal. Car, lorsque nous sommes abandonnés de Dieu, nous sommes livrés au diable ; étant livrés au diable, nous sommes accablés de toutes sortes de maux. C’est donc pour remplir l’auditeur d’effroi, que l’Écriture dit : « Le Seigneur a endurci », et : « il a livré ».

En effet, que non seulement Dieu ne livre point, mais encore qu’il n’abandonne point, si nous ne voulons nous-mêmes être abandonnés, en voici la preuve ; écoutez ce qu’il dit : « Ne sont-ce pas vos péchés qui font une séparation entre vous et moi ? » (Isa 59,2) Et encore : « Ceux qui s’éloignent de vous périront ». (Psa 73,26) Osée dit : « Vous avez oublié la loi de votre Dieu, et je vous oublierai aussi ». (Ose 4,6) Et Jésus-Christ dit lui-même dans son Évangile : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, et tu ne l’as pas voulu ! » (Luc 13,34) Isaïe dit encore : « Je suis venu, et je n’ai trouvé personne ; j’ai appelé, et personne ne m’a a entendu ». (Isa 50,2) L’Écriture dit ces choses, pour nous montrer que c’est nous-mêmes qui sommes les premiers auteurs et de notre abandon et de notre perte. Dieu non seulement ne veut point nous abandonner, mais encore il ne veut pas nous punir ; et quand il punit, il ne faut point s’en prendre à sa volonté : « Je ne veux point la mort du pécheur, dit le Seigneur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive ». (Eze 18,32) Jésus-Christ a versé des larmes sur la ruine de Jérusalem, de même que nous pleurons nos amis.

3. Ces vérités nous sont parfaitement connues, mes frères : faisons donc tous nos efforts pour ne nous point séparer de Dieu. Appliquons-nous à prendre soin de nos âmes, à exercer la charité fraternelle, et ne déchirons point nos membres : car déchirer ses membres, c’est l’action d’un furieux et d’un fou. Au contraire, ayons-en d’autant plus de soin que nous les voyons dans un état plus triste et plus fâcheux. Souvent, en effet, nous voyons des personnes attaquées de maladies douloureuses et incurables ; mais alors nous ne cessons point d’appliquer des remèdes à leurs maux. Et qu’y a-t-il de pire que d’avoir la goutte aux mains et aux pieds ? Coupons-nous pour cela ces membres ? Non certes : mais il n’est rien que nous ne fassions pour soulager du moins la douleur, si nous ne pouvons guérir le mal. Conduisons-nous de même à l’égard de nos frères dans les maladies spirituelles : sont-ils possédés d’une passion dangereuse, donnons-leur tous nos soins, et ne nous lassons pas : portons les fardeaux les uns des autres ; c’est ainsi que nous accomplirons la loi de Jésus-Christ (Gal 6,2), et que les biens qui nous sont promis, nous les obtiendrons, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire appartient, et au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit il.

HOMÉLIE LXIX.

PLUSIEURS NÉANMOINS DES SÉNATEURS MÊMES CRURENT EN LUI, MAIS A CAUSE DES PHARISIENS ILS N’OSAIENT LE RECONNAÎTRE PUBLIQUEMENT, DE CRAINTE D’ÊTRE CHASSÉS DE LA SYNAGOGUE. CAR ILS ONT PLUS AIMÉ LA GLOIRE DES HOMMES QUE LA GLOIRE DE DIEU. (VERS. 42, 43, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE XII)

Copyright information for FreChry