John 14
HOMÉLIE LXXIII.
SIMON PIERRE LUI DIT : SEIGNEUR, OU ALLEZ-VOUS ? JÉSUS LUI RÉPONDIT : VOUS NE POUVEZ MAINTENANT ME SUIVRE OU JE VAIS, MAIS VOUS ME SUIVREZ APRÈS. (VERS. 36, JUSQU’AU VERS. 7 DU CHAP. XIV)ANALYSE.
- 1. Vivacité et ardeur de saint Pierre. – L’amour n’est rien sans la grâce. – Chute de saint Pierre prédite. – Saint Pierre, Coryphée ou chef du collège apostolique.
- 2. Jésus-Christ, pour ne pas attrister ses disciples, leur cachait certaines choses. – Jésus-Christ montre une fois de plus qu’il est égal au Père – Vision se prend pour connaissance.
- 3. Avoir grand soin de laver toutes les souillures de l’âme : premièrement, c’est le baptême qui les efface, ensuite plusieurs autres moyens. – Le premier, l’aumône. – Qualité qu’elle doit avoir pour être bonne, juste et utile. – Offrir à Dieu une oblation de ses rapines, c’est lui offrir son péché, c’est souiller l’autel et les âmes des saints. – Autel de pierre. – La moindre rapine infecte toutes les richesses. – On se lavait les mains en entrant dans l’église. – Il est indifférent de prier sans avoir lavé les mains. – On fait avec grand soin les petites choses, on néglige les plus grandes. – Faire l’aumône de rapines, c’est un crime. – Il vaut mieux ne point faire des œuvres de miséricorde, que de les faire de nos vols et de nos concussions.
▼Ce passage n’est pas tout à fait de même, ni dans les Septante ni dans la Vulgate. Saint Chrysostome en a seulement pris le sens.
» (Sir 3,33) ; je dis l’aumône qui n’est point faite d’un bien mal acquis, car celle-ci n’est point une aumône, mais une inhumanité et une cruauté. En effet, que peut-on gagner à dépouiller l’un pour vêtir l’autre ? Il faut commencer par la miséricorde, et c’est là de l’inhumanité. Quand même nous donnerions tout le bien d’autrui, nous n’en retirerions aucun fruit. Zachée nous l’apprend, il dit qu’il apaise la colère de Dieu en restituant au quadruple tout le bien qu’il a pris. (Luc 19,8) Mais nous, qui commettons mille rapines, nous croyons, par quelques aumônes, apaiser la colère de Dieu, et nous ne voyons pas que nous l’irritons davantage. Dites-moi, je vous prie, si, prenant dans un carrefour un âne mort et puant, vous le traîniez à l’autel pour en faire un sacrifice, tout le monde ne vous lapiderait-il pas comme un impie et un sacrilège ? Eh bien ! si je prouve qu’un sacrifice fait d’un bien volé est plus exécrable, quelle excuse aurons-nous ? Supposons un bijou, un meuble dérobé n’est-il pas plus infect que cet âne mort ? Voulez-vous l’apprendre, combien est grande l’infection du péché ? Écoutez ce que dit le prophète : « Mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture ». (Psa 28,5) Pour vous, vous priez Dieu des lèvres d’oublier vos crimes, et par vos fraudes et vos rapines vous faites qu’il s’en souvient toujours, mettant votre péché sur l’autel ▼▼« Mettant votre péché sur l’autel », parce que l’offrande que vous nous présentez pour être mise sur l’autel, et offerte à Dieu, est une offrande de rapine et de péché : offrir de pareilles hosties, c’est offrir à Dieu son péché ; quel sacrilège, quelle abomination !
. Mais ce n’est point là le seul péché que vous commettez ; ce qui est pire, c’est que vous souillez les âmes des saints ▼▼C’est-à-dire : Vous souillez les reliques des saints, vous déshonorez les saints, dont les reliques sont sur l’autel.
. L’autel est de pierre, et il est sanctifié : les âmes des saints portent continuellement Jésus-Christ, et vous ne craignez pas d’offrir des oblations si impures ? Nullement, direz-vous : ce n’est point de cet argent que je les offre, mais d’un autre. Excuse absurde et ridicule. Eh ! ne savez-vous pas encore que si une goutte d’injustice tombe sur une masse d’argent, elle la corrompt entièrement ? Comme, si l’on jette du fumier dans une fontaine d’eau pure, on gâte toute l’eau ; de même si, dans les richesses, il se mêle de la rapine, cette rapine les infecte totalement. Quoi donc ? nous nous lavons les mains en entrant dans l’église, et nous ne purifions pas notre cœur ? Sont-ce les mains qui parlent, qui prononcent les cantiques de louanges ? c’est au cœur à proférer ces saintes paroles, c’est lui que Dieu regarde : s’il est souillé, la pureté du corps ne sert de rien. Quel fruit, quel avantage retirerons-nous de laver les mains du corps, si nous laissons dans l’impureté les mains de l’âme ? Voici ce qui est étonnant, et à quoi vous devez faire attention voici ce qui renverse tout, et met tout dans la confusion : c’est que, nous attachant scrupuleusement à faire avec soin les petites choses, nous négligeons les plus grandes. Prier, sans avoir lavé ses mains, certes, cela est indifférent : mais prier, sans avoir purifié sa conscience, c’est le plus horrible de tous les maux. Écoutez ce que dit le prophète aux Juifs, qui étaient fort soigneux de laver ces sortes de souillures corporelles : « Purifiez votre cœur « de sa corruption. Jusques à quand les pensées de vos travaux ▼▼« De vos travaux ». C’est la leçon des Septante et de mon texte. Aquila dit : « De votre perte, de votre malheur ». Et saint Jérôme l’a suivi. Symmaque traduit : « De votre injustice », ce qui vient à notre Vulgate, qui dit : « Vos mauvaises pensées ».
demeureront-elles en vous ? » (Jer 4,14) Purifions-nous ainsi nous-mêmes, non avec la boue, mais avec l’eau pure ; par l’aumône, non par l’avarice. Commencez par vous abstenir de toute rapine, et alors vous ferez l’aumône. « Détournons-nous du mal, et faisons le bien a. (Psa 37,28) Retenez vos mains loin de la rapine, et ensuite étendez-les, ouvrez-les pour faire l’aumône. Mais si des mêmes mains avec lesquelles nous dépouillons les uns, nous revêtons les autres, quand bien même nous n’userions pas pour cela des biens que nous avons pillés, nous n’éviterons point pour cela le supplice. Car, de cette façon, la matière du sacrifice de propitiation ▼▼« De propitiation ». C’est-à-dire, du sacrifice que vous offrez pour vous rendre Dieu propice.
devient matière d’iniquité. Sûrement il vaut mieux ne point faire d’œuvres de miséricorde, que de les faire de cette sorte. Il eût été plus avantageux à Caïn de ne rien offrir du tout. Or, si Caïn, pour avoir offert ce qu’il avait de moindre prix, a offensé Dieu, celui qui fait l’aumône du bien d’autrui, comment n’irritera-t-il pas sa colère ? Je vous ai défendu, dit le Seigneur, de ravir le bien d’autrui, et vous voulez m’honorer en m’offrant vos rapines ? Quels sentiments avez-vous de moi ? Croyez-vous que de pareilles offrandes me puissent être agréables ? Le Seigneur vous dira donc : « Vous avez cru, ô homme plein d’iniquité, que je vous serai semblable. Je vous reprendrai sévèrement, et je mettrai vos péchés devant vos yeux ▼▼« Je mettrai vos péchés devant vos yeux ». Saint Chrysostome, Théodoret, et plusieurs bibles grecques et latines, lisent de même. Saint Jérôme, sur Isaïe, dit : « J’exposerai devant vos yeux tous vos crimes ». La Vulgate : « Je vous exposerai vous-même devant votre face ».
». (Psa 50,22) Mais à Dieu ne plaise qu’aucun de vous entende une parole si terrible ? fasse plutôt le ciel, qu’après avoir distribué aux pauvres des aumônes pures et saintes, portant dans nos mains des lampes brillantes, nous entrions tous dans la chambre nuptiale, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles l Ainsi soit-il. HOMÉLIE LXXIV.
PHILIPPE LUI DIT : SEIGNEUR, MONTREZ-NOUS VOTRE PÈRE, ET IL NOUS SUFFIT. – JÉSUS LUI RÉPONDIT : PHILIPPE, IL Y A SI LONGTEMPS QUE JE SUIS AVEC VOUS, ET VOUS NE AIE CONNAISSEZ PAS ENCORE ? CELUI QUI ME VOIT, VOIT MON PÈRE. (VERS. 8, 9, JUSQU’AU VERS. 14)ANALYSE.
- 1. Jésus-Christ proclame sa consubstantialité avec le Père.
- 2. Autorité et puissance de Jésus-Christ.
- 3. Suivre Jésus-Christ et porter sa croix. – Le sacrifice de la nouvelle loi beaucoup plus excellent que celui de l’ancienne. – Sacrifice du chrétien ; en quoi il consiste. – Les passions et les mauvais désirs étouffent la divine parole. – Ce n’est pas l’amour des richesses qui est notre tyran, c’est notre Acheté. – On a été longtemps sans connaître l’or et l’argent, d’où naît en nous l’amour des richesses. – Différents désirs : naturels, nécessaires, superflus. – Omettre de faire ce qui est facile, c’est s’ôter toute excuse. – Ne faire pas au moins quelques légères aumônes, c’est se rendre inexcusable.
▼Le Père n’agit pas séparément de moi, il ne fait pas une autre ouvre que celle que je fais : ce qu’il fait, je le fais ; ce que je fais, il le fait : Car Nous sommes une même chose.
. Car il est écrit ailleurs que le Père agit également : « Mon Père ne cesse a point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi a incessamment ». (Jn 5,17) Là, Jésus-Christ fait voir qu’entre les œuvres du Père et les œuvres du Fils, il n’y a nulle différence ; ici il déclare que le Père et le Fils sont une même chose. Que si ces paroles présentent d’abord quelque chose de bas, ne vous en étonnez point. Le Sauveur ayant dit auparavant : « Vous ne croyez pas », il a parlé ensuite dans ces termes, pour vous faire connaître qu’il n’a tempéré ses paroles de cette manière, qu’afin d’amener ses disciples à la foi. Jésus-Christ était dans leur cœur, il voyait tout ce qui s’y passait. « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est dans moi (11) ? » Sûrement il fallait, dit le Sauveur, qu’ayant entendu nommer le Père et le Fils, vous n’allassiez rien chercher de plus : il fallait aussitôt reconnaître que la substance est égale et la même. Que si cela n’est pas pour vous une suffisante démonstration de l’égalité de rang et de la consubstantialité, apprenez-le encore par les œuvres, que la substance et la dignité sont égales. Et si Jésus-Christ, en disant « Celui qui me voit, voit » mon « Père », avait voulu parler des œuvres, il n’aurait pas ensuite ajouté : « Croyez-le au moins à cause des œuvres » que je fais. Après quoi, voulant montrer que, non seulement il pouvait faire ces choses, mais aussi de beaucoup plus grandes, il s’élève et parle hyperboliquement. Car il ne dit pas : Je puis faire de plus grandes œuvres, mais, ce qui est beaucoup plus admirable : Je puis, dit-il, je puis donner aux autres le pouvoir d’en faire de plus grandes. « En vérité, en vérité, je vous le dis : Celui « qui croit en moi, fera lui-même les œuvres que je fais, et en fera encore de plus grandes, parce que je m’en vais à mon Père (12) ». C’est-à-dire, ce sera à vous désormais à faire les miracles, car je m’en vais. Ensuite, ayant fini d’expliquer ce que demandait la suite de son discours, le Sauveur dit : « Quoi que ce soit que vous demandiez en mon nom, vous l’obtiendrez, et je le ferai, afin que mon Père soit glorifié en moi (13) ». Ne le remarquez-vous pas, mes frères, que c’est encore le Fils qui fait les œuvres ? Je le ferai, dit-il ; et il n’a point dit : « Je prierai mon Père » ; mais : « Afin que le Père soit glorifié en moi ». Et cependant il avait dit ailleurs : « Dieu glorifiera son Fils en lui-même » (Jn 8,54) ; mais ici il dit : Le Fils glorifiera le Père. Comme on verra que le Fils a le pouvoir de faire de grandes œuvres, son Père en sera glorifié. Que veut dire cette parole : « En mon nom ? » Ce que disaient les apôtres : « Au nom de Jésus-Christ, levez-vous et marchez ». (Act 3,6) Car tous les miracles que faisaient les apôtres, c’était lui-même qui les opérait. Et « La main du Seigneur était avec eux ». (Act 11,21) « Je le ferai », dit-il. Ne voyez-vous pas son autorité ? Ce que font les autres, c’est lui-même qui le fait ; et ce qu’il voudra faire par lui-même, il ne le pourra pas, si le Père ne lui en donne la vertu et le pouvoir ? Qui oserait proférer une pareille absurdité ? « Je le ferai » : pourquoi ne le dit-il qu’après ? C’est afin de confirmer ce qu’il a dit d’abord, et de faire connaître qu’il a parlé d’abord le langage de la condescendance. « Je m’en vais à mon père ». Par ces paroles, Jésus-Christ veut faire entendre ceci à ses disciples : Je ne mourrai point, mais je demeure dans toute ma dignité, et je suis dans le ciel. Au reste, le Sauveur disait toutes tels choses à ses apôtres pour leur consolation. Comme il était vraisemblable que, n’ayant pas encore une pleine connaissance de la résurrection, il leur venait dans l’esprit bien des idées tristes et affligeantes, leur Maître leur promet qu’ils auront le pouvoir de faire à d’autres les mêmes choses qu’il a faites lui-même, qu’il aura toujours soin d’eux ; il leur fait connaître qu’il demeure toujours, et que non seulement il demeure, mais encore qu’il leur donnera des marques sensibles d’une plus grande vertu et d’un plus grand pouvoir. 3. Suivons donc Jésus-Christ et portons sa croix. Encore qu’aujourd’hui il n’y ait point de persécution, nous avons en perspective un autre genre de mort. « Faites mourir », dit l’apôtre, « les membres de l’homme terrestre qui est en vous ». (Col 3,5) Faisons donc mourir la concupiscence, la colère, l’envie. C’est là le vivant sacrifice : et un sacrifice qui ne se réduit point en cendres, qui ne se dissipe point en fumée, qui n’a besoin ni de bois, ni de feu, ni d’épée : le feu et l’épée, il les a en soi ; et c’est le Saint-Esprit. Servez-vous de cette épée pour couper, pour retrancher tout ce qu’il y a d’étranger et de superflu dans votre cœur, et pour ouvrir vos oreilles qui sont bouchées. Les maladies de l’âme, les passions et les mauvais désirs ferment l’entrée à la divine parole. Le désir des, richesses ne nous permet pas d’entendre la parole qui nous excite à faire l’aumône, l’envie étouffe la parole qui nous exhorte à la charité : d’autres maladies encore rendent notre âme lâche et paresseuse en tout. Arrachons donc de nos cœurs les mauvais désirs : il suffit de vouloir, et tout s’éteint. En effet, ne considérons pas, je vous prie, que l’amour des richesses est un tyran : n’imputons cette tyrannie qu’à notre lâcheté. Bien des gens disent qu’ils ne savent pas ce que c’est que l’argent. Ce désir ne nous est pas naturel : les désirs naturels sont nés avec nous dès le commencement, et on a longtemps ignoré ce que sont l’or et l’argent. D’où s’est-il donc produit en nous ce désir des richesses ? De la vaine gloire et de notre extrême paresse. Parmi les désirs qui se trouvent dans l’homme, les uns sont nécessaires, d’autres sont naturels : et il y en a qui ne sont ni l’un ni l’autre. Par exemple : il y a des désirs qui, s’ils ne sont remplis, font mourir l’animal, et ceux-là sont naturels et nécessaires, comme le désir de manger, de boire, de dormir. La concupiscence de la chair est naturelle, mais n’est point nécessaire : plusieurs l’ont maîtrisée et domptée et n’en sont point morts. L’amour des richesses n’est ni naturel, ni nécessaire, mais superflu. Si nous le voulons, nous secouerons le joug de sa tyrannie. Et certes, Jésus-Christ, parlant de la virginité, dit : « Qui peut comprendre ceci, le comprenne ». (Mat 19,12) Mais sur les richesses, il ne parle pas de même ; et que dit-il ? « Quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il a, ne peut être mon disciple ». (Luc 14,33) À l’égard de ce qui est facile, le Sauveur use d’exhortation tout en laissant à la volonté ce qui surpasse les forces de plusieurs. Pourquoi nous rendons-nous donc inexcusables ? Celui qui est attaqué d’une forte et violente maladie, ne sera pas rigoureusement puni ; mais celui qui n’est atteint que d’une faible et légère infirmité, reste sans excuse. Qu’aurons-nous à répondre à Jésus-Christ, quand il nous dira : « Vous m’avez vu avoir faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ? » (Mat 25,42) Quelle excuse aurons-nous ? Prétexterons-nous notre pauvreté ? Mais nous ne sommes pas plus pauvres que cette veuve de l’Évangile, qui, pour avoir donné deux oboles (Mrc 12,42), surpassa tout le monde. Dieu n’exige pas de nous de grandes offrandes ni de grandes aumônes ; il ne mesure que notre bonne volonté. Et en cela même éclate sa providence. Admirons donc cette infinie bonté du Seigneur, et offrons-lui ce que nous pouvons, afin que dans cette vie et dans l’autre, nous puissions attirer sur nous sa grande miséricorde, et obtenir les biens qu’il nous a promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. HOMÉLIE LXXV.
SI VOUS M’AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS. – ET JE PRIERAI MON PÈRE, ET IL DONNERA UN AUTRE CONSOLATEUR, AFIN QU’IL DEMEURE ÉTERNELLEMENT AVEC VOUS, L’ESPRIT DE VÉRITÉ. – QUE LE MONDE NE PEUT RECEVOIR, PARCE QU’IL NE LE VOIT POINT. (VERS. 15, 16, 17, JUSQU’AU VERSET 30)ANALYSE.
- 1. Dieu veut être aimé par les œuvres. – Contre les sabelliens et ceux qui nient le Saint-Esprit. – Pourquoi, Jésus-Christ étant présent, le Saint-Esprit n’est point descendu.
- 2. Combien était grande, dans les apôtres, la vertu du Saint-Esprit.
- 3. Jésus-Christ raffermit ses disciples.
- 4. Mon Père est plus grand que moi : encore une parole de condescendance. – En quoi le Père est plus grand que le Fils.
- 5. Combien la grâce du Saint-Esprit est forte, puissante et efficace. – Description des effets qu’elle produit dans l’âme. – Tout ce qui est spirituel procure de grands biens ; tout ce qui est terrestre et charnel cause de grandes pertes. – L’homme peut n’être pas inférieur aux anges. – Les natures incorporelles ne sont pas invincibles au vice : il s’est trouvé des anges plus méchants que les hommes et les brutes. – La chair ne rend point la vertu impossible : la multitude des saints le prouve. – S’excuser sur la chair ; excuse frivole. – On peut lier le corps, on ne saurait nous ôter la liberté. – Ce n’est point le corps qui produit le vice, c’est la lâcheté de l’âme. – Les vices ne sont point naturels. – Soumettre la chair à l’esprit, c’est le moyen d’acquérir les biens éternels.
▼Je viens, texte grec. Le latin dit : Je viendrai.
à vous (18) ». Ne craignez point, dit-il, ne vous abattez point : je ne vous ai pas dit que je vous enverrai un autre consolateur pour vous laisser toujours. Je ne vous ai pas dit : Il demeure avec vous pour ne vous plus voir sûrement, je viens aussi à vous, « je ne vous laisserai point orphelins ». Les ayant d’abord appelés : « Mes petits enfants », il leur dit maintenant : « Je ne vous laisserai point orphelins ». 2. Au commencement donc, Jésus-Christ a dit à ses disciples : « Vous viendrez où je vais » ; et : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père ». Mais comme il y avait longtemps à attendre, maintenant il leur donne le Saint-Esprit. Et comme ils ne comprirent point ce qu’il leur disait, ils n’en reçurent pas une assez grande consolation ; c’est pourquoi le Sauveur ajoute : « Je ne vous laisserai point orphelins : » et c’est là ce qu’ils désiraient le plus. Mais encore ce mot : « Je viens à vous », marquant sa présence, de peur qu’ils ne demandent encore une présence sensible, telle qu’ils l’avaient eue auparavant, Jésus-Christ, à la vérité, ne leur explique pas clairement de quelle manière il leur sera présent, mais il le leur insinue. Après avoir dit : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus (19) », il ajoute : Mais pour vous, vous me verrez ». C’est comme s’il disait : véritablement, je viens à vous, mais non pour demeurer toujours avec vous comme auparavant. Et de peur qu’ils ne lui fissent cette objection : Pourquoi donc avez-vous dit aux Juifs : « Vous ne me verrez plus ? » il la prévient et la résout, en disant : « Je viens à vous » seulement. L’Esprit-Saint sera aussi de même. « Parce que je vis, et que vous vivrez aussi ». La croix, ma mort ne nous séparera pas pour toujours, mais elle ne me cachera que pour un temps fort court. Il me semble que le Sauveur ne parle pas seulement ici de la vie présente, mais encore de la vie future. « En ce jour-là vous connaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi, et moi en vous ». En mon Père, par ma substance ; en vous, par mon union avec vous et par le secours que vous recevrez d’en haut. Comment, et de quelle manière, je vous prie, Jésus-Christ sera-t-il avec ses disciples ? Comment et de quelle manière dès choses contraires peuvent-elles convenir et s’allier ensemble ? Car il y a une grande, ou plutôt une infinie distance entre Jésus-Christ et ses disciples. Ne vous étonnez pas d’entendre les mêmes paroles et les mêmes expressions. L’Écriture, en parlant de Dieu et des hommes, a coutume de se servir des mêmes paroles et des mêmes termes, mais elle en fait une application très-différente ; elle nous donne le nom de dieux et d’enfants de Dieu ▼, mais ces noms et ces titres n’ont pas, quand on nous les applique, la même force et le même sens que quand on les donne à Dieu. L’Écriture appelle aussi le Fils image et gloire comme nous, mais il y a une grande différence entre l’une et l’autre. Et elle dit encore : « Et vous, vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu ». (1Co 3,23) Mais toutefois Jésus-Christ n’est pas de même à Dieu que nous sommes à Jésus-Christ. Enfin, quel est le sens de ces paroles ? Le voici : Lorsque je serai ressuscité, alors vous saurez que je ne suis jamais séparé de mon Père, et que j’ai la même vertu et le même pouvoir ; vous connaîtrez que je suis toujours avec vous, les œuvres mêmes que vous ferez rendront un témoignage public et de mon secours, et de mon assistance continuelle vous le connaîtrez, que je suis toujours avec vous, parce que vous verrez vos ennemis renversés et humiliés ; parce que vous agirez avec confiance et parlerez avec liberté, parce que je vous délivrerai de ceux qui vous chagrineront et vous affligeront ; vous le connaîtrez, que je suis avec vous, parce que vous verrez la prédication tous les jours plus florissante et que tout le monde se soumettra à la sainte et pieuse doctrine que vous répandez. « Comme mon Père m’a envoyé, je vous ai aussi envoyés ». (Jn 17,18) Ne remarquez vous pas encore ici, mes frères, que la même expression n’a pas, dans ces deux membres, la même force ni la même signification ? Si nous la prenions dans le même sens, il n’y aurait point de différence entre les apôtres et Jésus-Christ. Et enfin, pourquoi le Sauveur dit-il : « Vous connaîtrez alors ? » C’est parce qu’alors ils ont vu que leur Maître était ressuscité, et qu’il demeurait avec eux c’est parce qu’alors ils ont reçu la plénitude de la foi, ils ont appris la véritable doctrine, car la vertu du Saint-Esprit était grande et puissante en eux ; c’était elle qui leur enseignait toutes choses. « Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime (21) ». Il ne suffit pas seulement de les avoir, mais il faut encore les garder exactement. Mais pourquoi Jésus-Christ répète-t-il cela si fréquemment à ses disciples, comme quand il leur dit : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements (15) » ; et : « Celui qui a mes commandements et qui les garde ; et : « Ssi quelqu’un écoute ma parole et la garde, c’est a celui-là qui m’aime. Celui qui ne m’écoute pas ne m’aime point ? » Je crois qu’il fait allusion à leur tristesse. Comme il leur avait fait de longs discours sur la mort, disant : « Celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour la vie éternelle » (Jn 12,25) ; et : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi » (Mat 10,38) ; et qu’il devait beaucoup encore leur en parler, il leur fait cette réprimande : Vous croyez que c’est votre amour pour moi qui vous rend tristes ; ne vous point attrister, ce serait m’en donner un plus grand témoignage et une plus grande preuve. Voulant donc produire cet effet dans leur cœur, il résume par là ce qu’il leur a dit. « Car si vous m’aimiez », leur dit-il, « vous vous réjouiriez de ce que je m’en vais à mon Père (28) ». Maintenant donc, ce n’est point l’amour, c’est la crainte qui vous rend tristes. Vous abattre et vous attrister de la sorte, est-ce me marquer que vous vous souvenez de mes commandements ? Si vous m’aimiez véritablement, vous courriez de vous-mêmes à la croix et à la mort, puisque ma doctrine vous exhorte à ne rien craindre de la part de ceux qui tuent le corps. (Mat 10,28) Voilà ceux que mon Père aime et que j’aime aussi. « Et je me découvrirai moi-même à eux (22) ». Alors « Jude lui dit : D’où vient que vous vous découvrirez vous-même à nous ? » 3. Ne le voyez-vous pas, mes chers frères, que l’âme des disciples était accablée de crainte et de frayeur ? Jude est tout ému et tout troublé ; il s’imagine qu’il verra son Maître comme nous voyons les morts, en songe. Jésus-Christ donc, pour effacer de son esprit ces sortes d’idées, lui répond : « Mon Père et moi nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure (23) ». C’est comme s’il disait : Ainsi que mon Père se découvre lui-même, ainsi, je me découvrirai moi-même. Et le Sauveur ne se contente pas de tirer Jude de ses fausses idées par cette parole : « Mon Père et moi nous viendrons » ; mais en ajoutant encore : « Et nous ferons en lui notre demeure », il les chasse absolument. En effet, ce séjour exclut l’idée d’un songe. Pour vous, mon cher auditeur, considérez, je vous prie, ce disciple qui, dans son agitation et son trouble, n’ose pas ouvertement déclarer ce qu’il pense et ce qu’il aurait bien voulu demander. Il n’a point dit : Malheur à nous ! vous allez mourir, et vous vous ferez voir à nous, comme les morts apparaissent. Non, il ne s’est pas expliqué de cette manière, mais il a dit : « D’où vient que vous vous découvrirez vous-même à nous, et non pas au monde ? » Jésus-Christ leur dit donc : « Je vous aime, parce que vous gardez mes commandements ». Il les prévient et leur prédit ces choses, afin qu’ils ne croient pas voir un fantôme, lorsqu’ils le verront dans la suite ; et de peur qu’ils ne s’imaginent qu’il leur apparaîtra de la manière que j’ai dite, il leur explique la raison pour laquelle il demeurera avec eux. C’est, dit-il, parce que vous gardez mes commandements ; il leur prédit encore que le Saint-Esprit se fera voir à eux, et demeurera avec eux de la même manière que lui. Que si les apôtres, après avoir si longtemps demeuré et conversé avec Jésus-Christ, ne peuvent pas le voir sans effroi dans sa substance spirituelle, ni même comprendre ce que c’est, ils en auraient été bien plus en peine, et dans une plus grande terreur, si au commencement il leur était apparu de même et dans cette forme spirituelle ? Voilà pourquoi il mange avec eux, de peur qu’ils ne le prennent pour un fantôme. Si, le voyant marcher sur les eaux, ils crurent que c’était un fantôme (Mrc 6,49), encore qu’il eût le même visage et la même figure, et qu’il ne fût pas bien loin d’eux ; dans quels soupçons et quelles imaginations ne seraient-ils pas tombés, s’ils l’avaient vu ressusciter aussitôt après qu’ils l’avaient vu prendre et ensevelir ? Si donc il leur dit souvent qu’il leur apparaîtra, et comment, et pour quelle raison ; c’est afin qu’ils ne regardent pas sa résurrection comme une illusion, et qu’ils ne le prennent pas pour un fantôme. « Celui qui ne m’aime point, ne garde point mes paroles : et la parole que vous avez entendue, n’est point ma parole, mais celle de celui qui m’a envoyé (24) ». C’est pourquoi celui qui ne garde point ces paroles, n’aime ni mon Père, ni moi ; si l’observance des commandements est le témoignage et la preuve de l’amour, et si ces commandements sont de mon Père, celui qui les garde n’aime pas seulement le Fils, mais encore le Père. Mais comment la parole peut-elle être votre parole et ne l’être point ? Cela signifie : Je ne dis rien sans mon Père ; je ne dis rien quine soit conforme à sa volonté. « Je vous ai dit ceci, demeurant encore avec vous (25) ». Ces paroles étaient obscures ; les disciples ne comprenaient point les unes, et doutaient sur le plus grand nombre. Jésus-Christ, pour les empêcher de se troubler encore, et de dire : Quels sont ces commandements que vous nous donnez ? les tire de toute inquiétude, en ajoutant : « Mais le Consolateur que mon Père enverra en a mon nom, sera celui qui vous enseignera « (26). » Peut-être, ce que je vous dis maintenant est obscur ; mais ce docteur vous enseignera clairement toutes choses. Et ce mot : « L’Esprit-Saint demeurera avec vous », leur insinue qu’il doit s’en aller. Après, de peur qu’ils ne s’attristent, il leur dit que tant qu’il demeurera avec eux, et que le Saint-Esprit ne viendra point, ils ne pourront s’élever à rien de grand et de sublime. Jésus-Christ leur dit ces choses pour les disposer à supporter courageusement son départ et une absence qui leur doit procurer de si grands biens. Il nomme souvent le Consolateur, à cause de la tristesse et de l’affliction où il les voit maintenant. Comme donc ce qu’ils ont entendu, comme la pensée de tant d’afflictions, de guerres et du départ de leur Maître les agite et les trouble, voyez, mes frères, voyez comment le divin Sauveur les console de nouveau, en disant : « Je vous laisse la paix (27) ». Et c’est de même que s’il leur disait : Quelle perte, quel dommage peuvent vous causer les guerres et les troubles de ce monde, si vous avez ma paix ? Cette paix est bien différente des autres. La paix du monde est souvent inutile et pernicieuse, elle ne nous apporte aucun bien. Mais moi, je vous en donne une qui vous fera vivre dans une concorde mutuelle, une paix qui vous rendra plus fermes et plus courageux. Et encore comme cette expression : « Je vous donne la paix », marquait son départ, et pouvait les troubler, il leur dit de nouveau : « Que votre cœur ne se trouble point, et qu’il ne soit point saisi de frayeur ». Vous le voyez bien, mes frères, que le trouble des disciples venait en partie de leur amour et en partie aussi de leur crainte. « Vous m’avez ouï dire : Je m’en vais à mon Père, et je reviens à vous. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m’en vais à mon Père, parce que mon Père « est plus grand que moi (28) ». Quelle joie, quelle consolation cette parole ne devait-elle pas répandre dans leur cœur ? 4. Que veut dire cette parole : « Mon Père est plus grand que moi ? » Elle nous apprend que les disciples n’avaient nulle connaissance encore de la résurrection, et qu’ils n’avaient point de Jésus-Christ l’opinion qu’il en fallait avoir. Et comment auraient-ils eu cette opinion, eux qui ne savaient même pas qu’il ressusciterait ? Mais, au contraire, ils croyaient que le Père était grand. Voici donc ce que veut dire le Sauveur à ses disciples : Si vous craignez pour moi, comme si je ne pouvais pas seul me défendre et me soutenir contre mes ennemis, et si vous n’espérez pas que je puisse me faire voir à vous après mon crucifiement, après ma mort, néanmoins m’entendant dire que je vais à mon Père, vous devez enfin vous réjouir, puisque je vais à celui qui est plus grand, et capable de porter remède à tous les maux que je vous ai prédits. « Vous avez ouï que je vous ai dit » : Pourquoi Jésus-Christ a-t-il ajouté ces paroles ? Pour dire : J’ai tant de confiance à mes œuvres, que je ne crains pas de vous faire ces prédictions. « Je vous dis ceci dès maintenant, et je vous l’ai prédit avant qu’il arrive, afin que lorsqu’il arrivera, vous me « reconnaissiez » pour « ce que je suis ▼▼Ce passage est composé et de ce verset 29, chap. 14, et du verset 29 du chap. XIII.
(29) ». C’est comme s’il disait : Le sauriez-vous, si je ne vous le disais pas ? Et je ne vous le dirais pas, si je n’avais confiance ▼▼Si je n’avais de la confiance en vous, c’est-à-dire : Si je ne savais que mes œuvres vous ont fait connaître qui je suis.
. Ne le voyez-vous pas, que ce discours est accommodé à la portée des auditeurs ? Lorsque Jésus-Christ dit : « Croyez-vous que je ne puisse pas prier mon Père, et qu’il ne m’enverrait pas ici en même temps plus de douze légions d’anges ? » (Mat 26,53), il parle selon l’opinion de ses auditeurs. Il faudrait avoir perdu l’esprit, pour dire que Jésus-Christ n’aurait pas pu se secourir lui-même, et qu’il avait besoin des anges. Mais comme ils le croyaient un homme, il a dit que son Père lui enverrait douze légions d’anges. Et cependant, par une seule question qu’il a faite à ceux qui étaient venus pour le prendre, il les a tous fait tomber à la renverse. Si quelqu’un dit que le Père est plus grand, comme principe du Fils ▼▼Comme principe du Fils. C’est là la seule raison et le seul endroit par lequel on peut dire le Père plus grand, ou plutôt, ou pas plus grand, mais Premier, comme chacun le voit visiblement. Le Père n’est pas par sa nature plus grand que son Fils, mais il est seulement Premier. Voilà le sentiment de saint Chrysostome, et ce qu’il veut nous faire entendre, dit ici le R. P. Dom Bernard de Montfaucon.
, nous ne le contredirons point : mais cela ne dit pas que le Fils soit d’une autre substance. Quand le Fils dit : « Mon Père est plus grand que moi », voici ce qu’il nous veut faire entendre ; tant que je serai ici avec vous, vous pouvez raisonnablement croire que nous sommes en péril ; mais si je m’en vais, ayez cette confiance que nous sommes en sûreté : car personne ne peut ni surmonter, ni vaincre celui à qui je vais. Jésus-Christ disait tontes ces choses, pour se proportionner à la faiblesse de ses disciples. Pour moi, dit-il, je suis dans une pleine assurance, je ne crains rien, je ne me soucie point de la mort. Voilà pourquoi il ajoute : « Je vous dis maintenant ces choses avant qu’elles arrivent (30) ». Comme vous ne pouvez point encore comprendre le discours que je vous tiens là-dessus, je vous console par mon Père, que vous appelez grand. Le Sauveur, après avoir donc consolé ses disciples, va encore les entretenir de choses tristes et affligeantes. Je ne vous parlerai plus guère. Pourquoi ? « Car le prince du monde va venir, et il n’a rien en moi qui lui appartienne » ▼▼Il n’a rien en moi : c’est-à-dire : Il n’a aucun droit sur moi, n’ayant droit que sur les pécheurs.
. Jésus-Christ appelle le diable le prince du monde, et par monde il entend les méchants. Le prince du monde ne commande pas dans le ciel ni sur la terre ; s’il y régnait, il renverserait tout, il mettrait tout dans le désordre et dans la confusion. Il domine seulement sur ceux qui se sont livrés à lui : c’est pourquoi le Sauveur l’appelle le prince des ténèbres de ce siècle, et ici il appelle ténèbres les mauvaises œuvres. Quoi donc ! Est-ce le diable qui vous fait mourir ? Non : il ne peut rien sur moi. Pourquoi donc les Juifs vous font-ils mourir ? Parce que je le veux bien : « Et afin que le monde connaisse que j’aime mon Père (31) ». Je souffre la mort, non que j’y sois sujet, non que je doive quelque chose au prince du monde ; mais à cause de l’amour que j’ai pour mon Père. Jésus-Christ dit ces choses, afin de relever le cœeur de ses disciples et de les encourager de nouveau, afin qu’ils sachent qu’il ne va point à la mort malgré lui, mais volontairement, mais parce qu’il méprise le diable. Il ne lui suffit pas d’avoir dit : « Je suis encore avec vous un peu de temps » (Jn 7,33) ; mais il le répète souvent, quoique ce discours fût triste et affligeant. D’ailleurs, comme de juste, jusqu’à ce qu’il les y ait habitués, il y mêle des choses plus douces et plus agréables ; c’est pourquoi tantôt il dit : « Je m’en vais et je viens » ; tantôt : « Afin que là où je suis, vous y soyez aussi » ; tantôt : « Vous ne pouvez maintenant me suivre, mais vous me suivrez après ». Et encore : « Je m’en vais à mon Père » ; et : « Mon Père est plus grand que moi » ; et aussi : « Je vous le dis maintenant avant que cela arrive » ; et derechef : « Je ne souffre point la mort par nécessité, mais pour l’amour de mon Père ». Le Sauveur dit donc toutes ces choses, pour faire connaître à ses disciples que la mort n’a rien de fâcheux pour lui, rien de nuisible, puisque son Père veut qu’il meure, quoiqu’il l’aime et qu’il en soit aimé. Il fait souvent mention de sa passion, de sa mort, de ces tristes objets, en y mêlant des idées consolantes, pour préparer leur esprit. Ces paroles : « L’Esprit-Saint demeurera avec vous » ; et : « Il vous est utile que je m’en aille », sont de vraies paroles de consolation. C’était encore pour consoler ses disciples qu’il leur avait dit auparavant bien des choses touchant le Saint-Esprit, savoir : « Il est dans vous » ; et : « Le monde ne peut le recevoir » ; et : « Il vous fera ressouvenir de toutes choses ». Et : « C’est l’Esprit de vérité, c’est l’Esprit-Saint, et le Consolateur ». Et encore : « Il vous est utile que je m’en aille », afin qu’ils ne tombassent point dans l’abattement, comme des gens délaissés et dépourvus de toute aide et de tous secours. Jésus-Christ dit qu’il leur est utile qu’il s’en aille, et par là il leur fait connaître qu’il les rendra spirituels. 5. Et certes, nous le voyons de nos yeux, ce prodigieux changement : ces disciples, qui étaient auparavant si timides et si craintifs, ayant dans la suite reçu le Saint-Esprit, se jetaient au milieu des périls, des épées, des bêtes féroces, des mers, et s’exposaient hardiment à toutes sortes de supplices ; des gens sans littérature ni étude, des hommes du commun du peuple parlaient avec tant de constance et de fermeté, qu’ils étonnaient leurs auditeurs. (Act 4,13) En effet, de boue qu’ils étaient auparavant, l’Esprit-Saint les rendit de fer, en fit des aigles, et ne permit pas que rien d’humain fût capable de les renverser. Telle est la grâce de l’Esprit-Saint : telle est sa force et son efficace. Si dans un cœur elle trouve de la tristesse, elle la dissipe ; si elle y trouve de mauvais désirs, elle les consume et les éteint. Elle bannit la pusillanimité, et ne soutire pas que nous ayons désormais la moindre crainte, mais elle nous élève jusqu’au ciel, pour ainsi dire, en rendant toutes les choses célestes présentes à nos regards. Voilà pourquoi les disciples disaient qu’ils n’avaient rien (Act 2,41 et suiv) : voilà pourquoi ils possédaient toutes choses en commun, ils persévéraient dans les prières avec joie et simplicité de cœur : c’est là surtout ce que demande le Saint-Esprit. Car « les fruits de l’Esprit sont la joie, la paix, la foi, la douceur ». (Gal 5,22) Cependant, direz-vous, souvent les hommes spirituels sont dans la tristesse : mais cette tristesse est plus douce et plus agréable que la joie. Caïn a été attristé, mais la tristesse qu’il a eue était toute mondaine. Paul aussi a été attristé, mais la tristesse qu’il a eue a été selon Dieu. Tout ce qui est spirituel produit de grands biens ; tout ce qui est terrestre cause de très-grands dommages. Attirons donc sur nous, mes frères, la grâce invincible et toute-puissante du Saint-Esprit. Nous l’attirerons en nous par l’observation des commandements, et nous ne serons en rien inférieurs aux anges ; les anges, quoiqu’incorporels, ne sont point invincibles ; s’ils l’étaient, aucune nature incorporelle n’eût été méchante. Mais partout, et parmi les anges comme parmi les hommes, la volonté et le libre arbitre sont la cause du dérèglement et de tous les désordres. Voilà pourquoi, parmi même les natures incorporelles, il s’en est trouvé de pires et de plus méchantes que les hommes, et que les brutes mêmes ▼. Voilà pourquoi, parmi les natures corporelles, il s’en est trouvé plusieurs meilleures que les incorporelles. Tous les justes habitaient la terre, vivaient dans des corps, quand ils ont fait leurs bonnes œuvres ; c’est qu’ils habitaient la terre comme étrangers, et le ciel comme citoyens. Ne dites donc pas : Je suis environné de chair, je ne puis vaincre, je ne puis entreprendre des travaux pour la vertu : gardez-vous d’accuser le Créateur ; si la chair rend la vertu impossible, nous ne sommes point coupables ; mais que la chair ne rend point la vertu impossible, la multitude des saints le démontre visiblement. La nature charnelle n’a point empêché Paul d’être aussi grand et aussi vertueux qu’il l’a été, ni Pierre de recevoir les clefs du ciel. Enoch, malgré la chair dont il était revêtu, a été transporté et n’a plus reparu. Élie a aussi été enlevé de même en dépit de la chair ; Abraham, Isaac et Jacob ont brillé dans la chair ; Joseph, revêtu d’une chair, a vaincu une femme impudique. Et que dis-je, la chair ? Les chaînes mêmes qui peuvent la garrotter ne sont point un obstacle. « Encore que je sois dans les chaînes », dit saint Paul, « la parole de Dieu n’est point enchaînée ». (2Ti 2,9) Mais, que dis-je encore, les liens et les chaînes ? Ajoutez encore les prisons, les clefs et les verrous, rien de tout cela n’est un obstacle à la vertu : l’apôtre nous l’apprend par son exemple. Le lien qui lie l’âme, ce n’est point une chaîne de fer, c’est la crainte, c’est le désir des richesses, et une infinité d’autres maladies. Voilà ce qui nous enchaîne, notre corps fût-il en liberté. Mais, direz-vous, ces maladies, ces sortes de chaînes, c’est le corps qui les produit : frivoles excuses, vains prétextes. Si ces maladies venaient du corps, tous en seraient infectés. Comme nous ne pouvons éviter la lassitude, le sommeil, la faim, la soif, parce que ces choses sont naturelles ; de même, si ces sortes de maladies étaient véritablement telles que vous le prétendez, personne ne serait exempt de leur tyrannie. Que si plusieurs s’en garantissent, il est évident que ces vices naissent de la lâcheté de l’âme. Arrachons-les donc, et n’accusons point la chair, mais soumettons-la à l’empire de l’âme, afin que, l’ayant accoutumée à obéir, nous acquérions les biens éternels, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
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