‏ John 5

HOMÉLIE XXXVI.

CE FUT LA LE SECOND MIRACLE QUE JÉSUS FIT, ÉTANT REVENU DE JUDÉE EN GALILÉE. (VERS. 54, JUSQU’AU VERS. 5 DU CHAP. V)

ANALYSE.

  • 1. La piscine des brebis, figure du baptême.
  • 2. Le paralytique de trente-huit ans, beau modèle de patience. – Persévérer dans la prière : – Qualités de la prière. – Pour quoi la vie de l’homme, est pénible et laborieuse. – Pourquoi la loi. – Le travail est nécessaire : l’homme ne peut soutenir la, vie oisive. – Pourquoi le plaisir accompagne le vice, et la peine la vertu. – Vrais chastes, qui ? – La chasteté, en quoi elle consiste. – Il faut combattre pour remporter la victoire. – Trois genres d’eunuques, Jésus-Christ n’en récompense qu’un. – Artisans du vice, qui ? – On ne fait pas le bien sans peine, pourquoi. – Peines mêlées dans la vertu. – On admire plus ceux qui sont bons par leur volonté que ceux qui le sont par tempérament. – Point de travail, point de modération. – Nager dans les délices, rien de plus méprisable. – Agir ou travailler, la différence. – Dieu ne cesse point d’agir. – Le plaisir que procure le vice est court ; la joie que donne la vertu est éternelle. – Nulle volupté dans ce monde : la vraie volupté est dans le ciel.

1. Comme tout homme expert dans l’art d’extraire l’or des mines qui le renferment ne néglige pas la moindre veine, sachant bien qu’il en peut tirer de grandes richesses, de même, dans les divines Écritures, vous ne sauriez, sans grand dommage, passer un seul « iota » ni un seul point ; il faut tout observer, tout examiner : car c’est le Saint-Esprit qui en a dicté toutes les paroles, et elles ne contiennent rien d’inutile. Considérez donc ici ce que dit l’évangéliste : « Ce fut là le second miracle que Jésus fit, étant revenu de Judée en Galilée ». Ce mot de « second », il ne l’a point ajouté sans sujet ; mais il le met là pour célébrer encore la conversion que l’admiration avait opérée chez les Samaritains ; faisant voir que les Galiléens, même après un second miracle, n’ont point atteint à cette sublime élévation, à laquelle sont arrivés les Samaritains, sans avoir vu aucun miracle.

« Après cela, la fête des Juifs étant arrivée, « Jésus s’en alla à Jérusalem (Chap 5,1) ».

« Après cela, c’était la fête des Juifs ». Quelle fête ? La Pentecôte, comme il me semble. Et « Jésus s’en alla à Jérusalem ». Souvent Jésus-Christ allaita Jérusalem passer les jours de grandes solennités, et afin que les Juifs l’y vissent célébrer leurs fêtes avec eux, et pour attirer à lui le petit peuple qui est simple. Car à ces fêtes accouraient principalement ceux qui sont les plus simples de cœur et d’esprit.

« Or il y avait à Jérusalem la piscine des brebis, qui s’appelle en hébreu Bethsaïda, qui a cinq galeries (2), dans lesquelles étaient couchés un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux et de ceux qui avaient les membres desséchés, qui tous attendaient que l’eau fût remuée (3) ».

Quelle était cette manière de guérir les malades ? Quel mystère nous propose-t-on ? Ce n’est pas sans sujet que ces choses sont écrites. Dans cette figure, dans cette image, l’Écriture peint en quelque sorte et expose à nos yeux ce qui doit arriver, afin que nous y soyons préparés, et que quand il arrivera quelque chose d’étonnant, à quoi l’on ne s’attendait point, la foi de ceux qui le verront n’en soit nullement ébranlée, mais demeure ferme. Qu’est-ce donc qu’elle nous présente, que nous prédit-elle ? Le baptême que nous devions recevoir, ce baptême plein de vertu, qui devait apporter et répandre une abondance de grâces, qui devait laver tous les péchés, et rendre la vie aux morts. Ces grands prodiges sont donc peints et représentés comme sur un tableau, et dans la piscine, et dans plusieurs autres figures. Dieu donna d’abord une eau propre à laver les taches et les souillures, non les véritables, mais seulement celles qu’on regardait comme véritables, à savoir, les souillures qu’on contractait par les funérailles, par la lèpre et autres semblables, qu’on peut voir dans l’ancienne loi, et qui étaient purifiées par l’eau.

Mais reprenons notre sujet. Premièrement donc, comme nous l’avons dit, l’eau lavait les taches du corps, et en second lieu, elle guérissait plusieurs maladies différentes. Dieu, pour nous approcher de la grâce du baptême et nous la faire voir de plus près, a voulu que la piscine ne lavât pas seulement alors les taches, mais qu’elle guérît aussi les maladies. En effet, les figures les plus voisines en date de la vérité, ou du temps du baptême, de la passion et des autres mystères, sont plus claires et plus lumineuses que les plus anciennes. Et comme les gardes qui approchent de près la personne du roi, sont plus élevés en dignité que ceux qui en sont plus éloignés, ainsi les figures qui sont venues dans un temps plus proche et plus voisin des choses qu’elles marquaient, sont plus claires et plus brillantes.

« Et l’ange descendant dans cette piscine, en remuait l’eau (4) », et lui communiquait 1a vertu de guérir les malades ; afin que les Juifs apprissent qu’à plus forte raison le Seigneur des anges peut guérir toutes les maladies de l’âme. Mais comme l’eau de cette piscine n’avait pas en elle-même et par sa nature la vertu de guérir simplement les maladies, car alors elle les aurait toujours et continuellement guéries, mais l’acquérait par l’opération de fange ; de même, en nous l’eau n’opère pas simplement et par sa propre vertu, mais après qu’elle a reçu la grâce du Saint-Esprit, elle lave, elle efface alors tous les péchés.

« Autour de cette piscine étaient couchés un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux et de ceux qui avaient les membres « desséchés, qui tous attendaient que l’eau fût remuée (3) ». Alors la maladie était elle-même un obstacle à la guérison du malade, elle empêchait, de se guérir celui qui le voulait mais maintenant chacun a le pouvoir d’approcher et de venir à la piscine. Ce n’est point un ange qui en remue l’eau ; c’est le Seigneur des anges qui opère tout qui fait tout. Et nous ne pouvons pas dire : « Pendant le temps que je mets à y aller, un autre descend avant moi (7) ». Quand même tout le monde entier y viendrait, la grâce ne s’épuise point, ni sa vertu ; elle demeure toujours la même. Et : de même que les rayons du soleil éclairent tous les jours le monde sans s’épuiser, et ne perdent rien de leur lumière pour se répandre en plusieurs endroits de la terre ; ainsi, à plus forte raison, la grâce du Saint-Esprit ne diminue point par la multitude de ceux qui la reçoivent. Or Dieu a opéré ce prodige afin que ceux qui apprendraient que l’eau a le pouvoir de guérir les maladies du corps, et qui en auraient eux-mêmes fait l’épreuve depuis longtemps, eussent plus de facilité à croire que les maladies de l’âme pouvaient aussi se guérir.

Mais pourquoi donc Jésus-Christ, laissant tous les autres malades, s’approcha-t-il de celui qui l’était depuis trente-huit ans ? Pourquoi lui fait-il cette question : « Voulez-vous être guéri (5, 6) ? » Ce n’était pas pour l’apprendre qu’il lui fit cette demande, elle aurait été inutile ; mais c’était pour faire connaître la persévérance de cet homme, et pour nous montrer que c’était là la raison pour laquelle, préférablement aux autres, il était venu à celui-là. Que dit donc le malade ? « Il lui répondit : Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine après que l’eau a été troublée : et pendant le temps que je mets, à y aller, un autre y descend avant moi (7) ». Jésus l’interrogea donc, et lui dit : « Voulez-vous être guéri ? » Afin que nous apprissions ces circonstances. Et il ne lui dit pas : Voulez-vous que je vous guérisse ? parce qu’on n’avait pas encore de lui une si grande opinion, mais : « Voulez-vous être guéri ? » Certes, elle est tout à fait admirable la persévérance de ce paralytique : depuis trente-huit ans, espérant chaque année d’être délivré de sa maladie, il demeura dans ce lieu et n’en sortit point. Mais s’il n’eût été très-patient, quand même des années d’attente ne l’auraient point lassé, la perspective d’une attente nouvelle ne l’aurait-elle pas rebuté ? Pensez avec quel soin veillaient les autres malades ; car on ne savait pas le temps où l’eau serait troublée. Les boiteux et les estropiés pouvaient observer le moment ; quant aux aveugles, ils en étaient peut-être informés par l’agitation générale.

2. Rougissons donc, mes très-chers frères, rougissons et répandons des larmes sur notre prodigieuse lâcheté. Cet homme a persévéré pendant trente-huit ans, sans obtenir la guérison qu’il désirait, il ne l’obtenait point, et toutefois il ne renonçait point, et s’il n’obtenait point cette grâce, ce n’était point faute de soin ou de bonne volonté : mais c’est parce que d’autres l’en empêchaient, et usaient de violence à son égard : cependant il ne s’est point découragé. Nous, au contraire, si nous persévérons dix jours à prier pour obtenir quelque grâce, et que nous ne l’obtenions pas, nous nous engourdissons, nous nous décourageons aussitôt, nous n’avons plus ni la même ardeur ni le même zèle. Nous qui passons tant d’années à capter la faveur d’un homme, qui ne craignons point, pour cela, d’aller à la guerre exposer notre vie, de passer nos jours dans l’affliction et dans la misère, de nous appliquer à des œuvres basses ; et serviles, et qui souvent à la fin sommes frustrés de nos belles espérances, nous n’avons ni la force, ni le courage de persévérer auprès de Notre-Seigneur avec tout le zèle et toute l’ardeur que nous devrions avoir ; quoique la récompense promise soit beaucoup plus grande que ne le sont les travaux eux-mêmes ; car « cette espérance », dit l’Écriture, « n’est point trompeuse ». (Rom 5,5) Et de quel supplice ne nous rendons-nous pas dignes par une telle conduite ? En effet, n’eussions-nous rien à attendre, nulle récompense à recevoir, le bonheur de s’entretenir souvent avec Dieu n’en est-il pas une qui égale, qui surpasse tous les biens imaginables ?

Mais, direz-vous, la prière continuelle n’est-elle pas une chose pénible ? Et quoi ! dans l’exercice de la vertu tout n’est-il pas pénible ? Que la volupté accompagne le vice, et la peine la vertu, voilà, direz-vous encore, qui m’inspire mille doutes. C’est là de quoi, si je ne me trompe, plusieurs recherchent la cause. Quelle en est donc la cause ? En nous créant, Dieu nous a donné une vie exempte d’inquiétudes et de peines : nous avons abusé de ce don, et nous étant privés d’un si grand bien par notre lâcheté, nous avons perdu le paradis. Voilà pourquoi le Seigneur a rendu la vie de l’homme pénible et laborieuse, et on peut dire qu’il se justifie auprès du genre humain de cette manière : Au commencement je vous ai donné les délices, mais vous êtes devenus plus méchants par la bonté que j’ai eue pour vous ; voilà pourquoi je vous ai condamné à vivre dans le travail et dans les sueurs. (Gen 3,19) Et comme ce travail ne vous empêchait pas de faire le mal, il vous a encore donné la loi, qui contient beaucoup de préceptes, comme on met un frein et des entraves à un cheval fougueux et indomptable qu’on ne peut manier ; car c’est ainsi qu’en usent les écuyers pour retenir et dresser les chevaux. Il nous est donc ordonné de mener une vie laborieuse ; parce que l’oisiveté a coutume de nous corrompre. En effet, notre nature ne peut soutenir une vie oisive, mais aisément elle tombe de l’inaction dans le vice. Supposons qu’un homme tempérant et vertueux n’ait pas besoin de travailler, et que tout lui arrive en dormant, cette vie aisée, à quoi aboutira-t-elle ? ne nous rendra-t-elle pas vains et insolents ?

Mais pourquoi, direz-vous, tant de plaisirs accompagnent-ils le vice, tant de peines et de sueurs suivent-elles la vertu ? Et quel mérite auriez-vous, à quelle récompense auriez-vous droit, si la vertu n’était pas pénible et laborieuse ? Que de gens je pourrais citer, qui naturellement haïssent les femmes et fuient leur commerce comme quelque chose de détestable ! dites, je vous prie, sont-ce là ceux que nous appellerons chastes, ou à qui nous donnerons des louanges et des couronnes ? Non sûrement ; car la chasteté est une continence, une victoire sur la volupté, remportée à la suite d’un combat. À la guerre, là où le combat est le plus animé, là sont aussi les plus glorieux trophées ; mais quand personne ne résiste, c’est tout le contraire. Il est bien des hommes qui sont par nature lâches et indolents : dirons-nous que ces sortes de gens sont doux ? Nullement : c’est pourquoi Jésus-Christ ayant distingué trois sortes d’eunuques, en laisse deux sans couronnes, sans récompenses, et fait entrer l’autre dans son royaume. (Mat 19,12)

Mais, direz-vous, à quoi le vice est-il bon ? Et moi je dis : Qui en est l’artisan ? En est-il un autre que la paresse, qui part de la volonté ? Mais, direz-vous, il faudrait qu’il n’y eût que des gens de bien. Et qu’est-ce qui lui est propre, à l’homme de bien ? N’est-ce pas de veiller constamment sur soi-même, ou est-ce de dormir et de ronfler dans son lit ? Et pourquoi, direz-vous, n’a-t-il pas ainsi été établi dans la nature, que nous fissions tous le bien sans peine et sans travail ? paroles vraiment dignes des bêtes et de tous ceux qui font leur Dieu de leur ventre. Mais, afin que vous sachiez que ce sont là les discours des lâches et des paresseux, répondez-moi : Supposons ici un roi et un général d’armée, et que, tandis que le roi est à boire, à s’enivrer, à dormir, le général se soit élevé des trophées par un grand travail, à qui attribuerons-nous la victoire ? Qui des deux recevra les éloges de cette belle action, qui en goûtera les fruits ? Ne le remarquez-vous pas, que le cœur s’attache davantage à ce qui a coûté plus de sueurs et, de peines ? Le Seigneur a mêlé des peines à la vertu, à laquelle il veut accoutumer l’âme. C’est pour cette raison que nous admirons la vertu, encore que nous ne la suivions pas ; et le vice, quoique très doux, nous le condamnons.

Que si vous dites : Pourquoi n’admirons-nous pas plutôt ceux qui sont naturellement bons que ceux qui le sont par leur volonté ? Parce qu’il est juste de préférer celui qui travaille à celui qui ne travaille point. Et pourquoi, dites-vous, travaillons-nous maintenant ? C’est que vous n’avez point su résister aux tentations du repos. De plus, si on l’examine de près, on trouvera que la paresse nous perd d’une autre manière, et nous cause bien des peines et du travail. Si vous le voulez, tenons un homme enfermé, nourrissons-le seul, engraissons-le, ne lui permettons pas de se promener, ni de rien faire ; mais faisons-le jouir des plaisirs de la table et du lit ; faisons-le nager dans, les délices sans interruption : y aurait-il une vie plus misérable ? Mais autre chose est d’agir, direz-vous, autre de travailler : et au commencement, sans 'travailler, l’homme pouvait agir. Le pouvait-il ? Sûrement, il le pouvait, et Dieu le voulait ainsi. Mais c’est vous qui avez troublé cet ordre, car. Dieu vous avait établi pour cultiver le paradis, il vous avait donné votre tâche ; mais saris y mêler le travail. Si au commencement l’homme avait travaillé, Dieu ne lui aurait pas, dans la suite, imposé cette peine : l’homme, de même que les anges, peut en même temps et agir et ne point travailler. En effet, que les anges agissent, le prophète vous l’apprend, écoutez-le : « Anges du Seigneur, qui êtes puissants et remplis de force, qui faites ce qu’il vous dit » (Psa 103,20) : certes, maintenant la diminution des, forces rend l’activité pénible, Mais alors nous étions dans un état bien différent : « Car celui qui est entré dans son repos », dit l’Écriture, « s’est reposé de ses œuvres, comme Dieu s’est reposé après ses ouvrages ». (Heb 4,4, 10) Par ce repos, l’Écriture n’entend pas l’inaction, mais l’absence de travail. En effet, encore maintenant. Dieu agit, comme dit Jésus-Christ : « Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi incessamment ».

C’est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, chassant toute paresse, suivons, embrassons la vertu. Le plaisir que procure le vice est court, mais la douleur qu’il cause est éternelle : au contraire, la joie que donne la vertu est immortelle, et le travail passager. La vertu, avant de distribuer ses couronnes à son disciple, le soulage et le nourrit par l’espérance : le vice, au contraire, avant même la condamnation au supplice, tourmente son sectateur, bourrelle sa conscience de remords, de craintes, de mille inquiétudes. Or, ces peines ne sont-elles pas pires que tous les travaux et toutes les sueurs ensemble ? Et quand même on pourrait s’en délivrer et ne sentir que la volupté seule, est-il rien de plus vil et de plus méprisable que cette volupté ? Elle paraît et disparaît aussitôt ; elle se flétrit ; avant qu’on la tienne, elle s’enfuit : vantez, exaltez tant qu’il vous plaira la volupté du corps, la volupté de la table, la volupté des richesses, chaque jour, à chaque instant elle s’use et se perd. Et comme à toutes ces choses doit s’ajouter le supplice et les tourments, est-il quelqu’un de plus malheureux et de plus misérable que celui qui recherche ces plaisirs ? Instruits de ces vérités, souffrons tout pour la vertu ; c’est ainsi que nous jouirons de la vraie volupté, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXVII.

JÉSUS LUI DIT : VOULEZ-VOUS ÊTRE GUÉRI ? – LE MALADE LUI RÉPONDIT : OUI, SEIGNEUR : MAIS JE N’AI PERSONNE POUR ME JETER DANS LA PISCINE APRÈS QUE L’EAU A ÉTÉ TROUBLÉE. (VERS. 6, 7, JUSQU’AU VERS. 13)

ANALYSE. 

DOUZIÈME HOMÉLIE. SUR LE PARALYTIQUE ET SUR CE TEXTE : MON PÈRE AGIT JUSQU’À PRÉSENT ET J’AGIS AUSSI. JEAN, 5, 17.

Cette Homélie et les dix qui précédent ont été traduites par M. l’abbé L. A***, professeur au collège de Saint-Dizier. ANALYSE. Le prédicateur comparé au laboureur. – Pourquoi Jésus-Christ se montre aux Juifs les jours de fête. – Guérison du paralytique. – Pourquoi Jésus-Christ interroge le malade. – Éloge du paralytique. – Pourquoi Jésus-Christ lui ordonne d’emporter son lit. – Jésus-Christ est égal au Père en puissance. – Exhortation à assister aux assemblées de l’Église.

1. Dieu soit béni ! à chaque assemblée je vois la moisson grandir, les épis mûrir, les gerbes se multiplier et l’aire se remplir. Il y a quelques jours seulement que nous avons jeté la semence, et déjà germent les fruits abondants de l’obéissance. Évidemment ce n’est pas la puissance de l’homme, mais la grâce de Dieu qui féconde l’Église. Telle est la nature de la semence spirituelle ; elle n’attend pas le temps, le nombre des jours, le retour des mois, des saisons ni des années ; dans le même jour, on peut jeter la semence et recueillir une moisson des plus riches. Le laboureur est obligé de beaucoup travailler et d’attendre longtemps. Il faut attacher les bœufs au joug, tracer de profonds sillons, répandre la semence à pleine main, aplanir la surface de la terre, recouvrir tout ce qu’on a jeté, attendre les pluies favorables, faire beaucoup d’autres travaux, et patienter encore de longs jours avant de recueillir les fruits. Ici au contraire, en été comme en hiver, on peut semer et moissonner, et souvent même dans un seul jour, surtout quand l’âme que l’on cultive est bien disposée. Telles sont vos âmes. Aussi est-ce avec une grande joie que nous venons à cette assemblée, semblable au laboureur qui travaille avec un zèle particulier le champ qui souvent a rempli son aire. Parmi vous une légère fatigue nous procure des fruits abondants. C’est pourquoi nous venons avec empressement vous distribuer les restes de nos premiers entretiens.

Nous avons parlé, la dernière fois, de la gloire du Fils unique de Dieu ; nous avons emprunté nos preuves à l’Ancien Testament. Nous continuerons aujourd’hui. Nous avons cité cette parole du Christ : Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi. (Jn 5, 46) Aujourd’hui, nous examinerons ce texte de Moïse : Le Seigneur Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi. Écoutez-le. (Deu 18, 15 ; Act 3, 22) Jésus-Christ renvoie donc les Juifs à Moïse, pour les attirer à lui par le moyen de ce prophète ; et en effet Moïse annonce aux Hébreux le Maître à qui ils doivent obéir ponctuellement. Que tout soit donc un enseignement pour nous, ses actes, ses paroles, et aussi le miracle que l’on vient de vous lire. Quel est-il ? C’était un jour de fête des Juifs, et Jésus monta à Jérusalem. Or il y a à Jérusalem la piscine paralytique appelée en hébreu Bethsaïde ; elle a cinq portiques. (Jn 5, 1) L’ange du Seigneur, dit l’Évangile, y descendait à certain temps, ce qu’annonçait l’agitation de l’eau. Le premier qui y entrait après que l’eau avait été ainsi agitée était guéri, quelque maladie qu’il eût. Sous les portiques étaient couchés un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux et d’autres qui avaient des membres desséchés, et tous attendaient l’agitation de l’eau.

Pourquoi Jésus-Christ choisit-il toujours Jérusalem de ses plus grandes œuvres, et se montre-t-il aux Juifs de préférence les jours de fêtes ? C’est qu’alors le peuple était réuni ; c’était le lieu et le temps de rencontrer les malades. Car ces infortunés désiraient moins ardemment leur guérison que le médecin lui-même. Quand la foule est nombreuse, l’assemblée considérable, Jésus-Christ se présente pour procurer le salut. Il y avait donc une grande multitude de malades attendant l’agitation de l’eau ; le premier qui descendait alors était guéri, mais non le second. La puissance du remède était épuisée, l’eau restait sans vertu, et la maladie du premier malade descendu lui avait enlevé toute sa force. Et il devait en être ainsi, car c’était une grâce d’esclave. Mais à l’avènement du Seigneur, il n’en est plus de même. Le premier qui descend dans la piscine des eaux du baptême n’est pas seul guéri. Le premier, le second, le troisième, le quatrième, le dixième, le centième, le sont aussi. Et quand il y en aurait dix mille, cent mille, une multitude innombrable, quand toute la terre descendrait dans la piscine, la grâce ne serait pas diminuée, elle resterait la même et aussi puissante. Telle est la différence entre le pouvoir de l’esclave et l’autorité du maître. L’un ne guérit qu’un malade, l’autre toute la terre ; l’un ne guérit qu’une fois l’an, l’autre chaque jour et des millions d’infirmes. L’un descend et agite l’eau ; pour l’autre, il suffit de prononcer son nom sur l’eau afin de lui communiquer cette admirable vertu. L’un guérit les corps, l’autre les âmes. Quelle immense différence sous tous rapports !

2. Il y avait donc une grande multitude attendant l’agitation de l’eau. Car il s’opérait là des guérisons miraculeuses. Dans un hôpital on voit des malades, des estropiés, des infirmes de toute espèce qui attendent l’arrivée du médecin ; de même on voyait là une multitude nombreuse. Sous ces portiques était un homme malade depuis trente-huit ans. Jésus l’ayant vu couché par terre et sachant qu’il était malade depuis longtemps, lui dit : Voulez-vous être guéri ? Le malade lui répondit : Oui, Seigneur ; mais je n’ai personne pour me jeter dans la piscine après que l’eau a été troublée, et pendant le temps que je mets à y aller, un autre descend avant moi. (Jn 5, 5) Pourquoi Jésus-Christ, laissant tous les autres, vient-il à celui-ci ? Pour montrer tout en semble sa puissance et sa bonté : sa puissance, puisque la maladie était si grave et qu’il n’y avait plus d’espoir de guérison ; sa bonté, parce que, bon et miséricordieux, Jésus daigna regarder de préférence celui qui était le plus digne de pitié et de compassion. Le lieu, le nombre de trente-huit ans de maladie, tout est à bien considérer.

Écoutez, vous tous qui luttez contre la pauvreté et la maladie, qui êtes accablés par les difficultés et les inquiétudes de cette vie, et éprouvés par des catastrophes imprévues. Il y a dans l’exemple du paralytique de quoi consoler toutes les infortunes humaines. Qui donc, en considérant cet exemple, aurait assez peu d’esprit et de cœur pour ne pas supporter avec courage et avec générosité les accidents de cette vie ? Vingt ans, dix et même cinq ans, n’était-ce pas assez pour lasser sa constance ? Et il attend trente-huit ans sans se décourager, et avec la plus grande patience. Cette persévérance vous étonne ; écoutez ses paroles, et vous admirerez encore davantage sa sagesse et sa vertu. Jésus s’approche et lui dit : Voulez-vous être guéri ? Qui doute qu’il ne le désire ? Pourquoi donc l’interroger ? Ce n’est pas par ignorance, car celui qui connaît les pensées les plus secrètes n’ignore pas ce qui est clair et évident pour tous. Pourquoi donc l’interroger ? Ailleurs, quand Jésus dit au centurion : J’irai et je le guérirai (Mat 8, 7) : il n’ignorait pas sa réponse ; mais tout en la prévoyant et la connaissant parfaitement, il voulait lui donner l’occasion de manifester sa foi jusqu’alors cachée, et de dire : Non, Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison. Il en est de même pour le paralytique. Quoique sûr de sa réponse, le Sauveur lui demande s’il veut être guéri, non qu’il en doute, mais pour lui fournir le moyen d’exposer son malheur et de montrer sa constance. S’il l’avait guéri sans rien dire, t’eût été pour nous une grande perte, puisque nous n’aurions pas connu la générosité de cette âme. Jésus-Christ s’occupe non-seulement du présent, mais aussi de l’avenir. En l’obligeant à répondre à cette question : Voulez-vous être guéri, il le présente au monde entier comme un modèle de patience.

Que répond le paralytique ? Il ne se laisse point aller à la colère ou à l’indignation, il ne dit point à Jésus-Christ : Vous me voyez paralysé, vous savez que depuis longtemps j’ai cette maladie, et vous me demandez si je veux être guéri ? Êtes-vous venu insulter à mon malheur et rire de l’infortune d’autrui ? – Vous connaissez le caractère difficile des malades cloués sur leur lit depuis une année seulement. Mais trente-huit ans de maladie, n’est-ce pas assez pour lasser la vertu la plus robuste ? Cependant telle ne fut point sa réponse ni sa pensée ; avec la plus grande douceur, il dit : Oui, Seigneur, mais je n’ai personne pour me jeter dans la piscine après que l’eau a été troublée. Voyez que de maux assiègent cet homme en même temps : la maladie, la pauvreté, la privation de tout secours. Pendant le temps que je mets à y aller, un autre descend avant moi. Misère extrême, capable de toucher un cœur de pierre. Il me semble voir cet homme se traînant chaque année à l’entrée de la piscine, et chaque année frustré dans son espérance, et, pour comble de malheur, cette souffrance dure non deux ou trois ans, mais trente-huit ans. Il montre le plus grand zèle et il ne recueille aucun fruit ; il parcourt la carrière, et un autre reçoit le prix de la course, et cela pendant de longues années. Et, ce qui est encore plus pénible, il voit les autres guéris. Car vous savez que nos maux nous deviennent à charge, surtout quand nous en voyons d’autres, qui étaient affligés comme nous, délivrés de leurs maux. Ainsi le pauvre, à la vue d’un, riche, sent plus vivement sa misère ; ainsi le malade souffre davantage en voyant d’autres se guérir, tandis que tout espoir de guérison s’évanouit pour lui. Le bonheur d’autrui nous montre plus clairement notre infortune. C’est ce qui avait lieu pour le paralytique. Il lutte longtemps contre la maladie, la pauvreté, l’abandon ; il voit les autres guéris, et, malgré ses efforts continuels, il n’obtient rien, il ne lui reste plus même l’espoir d’être délivré. Cependant il persévère sans se décourager et revient chaque année. Pour nous, si notre prière n’est pas exaucée promptement, nous murmurons et nous tombons dans l’abattement ; alors nous cessons de prier et tout notre zèle s’éteint. Pouvons-nous assez louer le paralytique et condamner notre lâcheté ? Quelle excuse nous reste ? quel pardon pouvons-nous espérer ? Le paralytique persévère pendant trente-huit ans, et nous, nous abandonnons si vite nos résolutions !

3. Que fait ensuite Jésus-Christ ? Il vient de montrer que ce malade mérite sa guérison ; puis s’étant approché de lui plutôt que des autres, il lui dit : Levez-vous, prenez votre lit et marchez. Cette attente de trente-huit ans ne lui fut pas inutile, parce qu’il supporta ses maux avec patience. Pendant ce long temps, son âme, éprouvée par le malheur comme par le feu, fit de grands progrès dans la vertu, et sa guérison fut plus glorieuse. Car ce n’est pas un ange, mais le Seigneur des anges qui le guérit. Pourquoi lui commande-t-il d’emporter son lit ? C’est d’abord et surtout pour porter les Juifs à s’affranchir des observances légales. Quand le soleil paraît, une lampe n’est plus nécessaire ; quand la vérité se manifeste, il faut laisser la figure. Devant faire cesser le sabbat, il opère un grand miracle en ce jour, afin qu’en frappant la foule par la grandeur du prodige, il détruise peu à peu cette observance superstitieuse. C’est ensuite pour fermer la bouche aux téméraires. Les Juifs critiquaient méchamment ses miracles et tâchaient d’en obscurcir l’éclat ; en faisant emporter le lit, il leur donne une preuve invincible de la guérison, et les Juifs ne pouvaient plus dire ici ce qu’ils disaient de l’aveugle : C’est lui, ce n’est pas lui, c’est lui-même. (Jn 9, 8) Ici ils n’ont rien à objecter ; le paralytique, emportant ainsi son lit, met un frein à leur impudence. Il y a encore une troisième raison non moins importante. Pour nous apprendre que c’est la puissance divine, et non la science humaine, qui a tout fait, il lui ordonne d’emporter son lit ; ce qui prouve évidemment une guérison pleine et entière ; alors ces blasphémateurs ne peuvent plus dire que c’est un artifice, et que le paralytique a essayé de marcher, par complaisance pour Jésus-Christ. Voilà pourquoi il lui ordonne d’emporter un fardeau sur ses épaules. Car si ses membres n’avaient pas été bien rétablis, ses articulations bien libres, il n’aurait pu porter son fardeau. De plus cette guérison montre encore que, sur une simple parole de Jésus-Christ, la maladie se retire, la santé revient. Les médecins chassent aussi les maladies, mais ils ne rendent pas subitement la santé, il leur faut du temps pour expulser peu à peu du corps les restes du mal. Il n’en est pas ainsi de Jésus-Christ ; dans un clin d’œil, il fait fuir la maladie, et ramène la santé ; le temps ne lui est pas nécessaire ; au moment où la parole s’échappe de ses lèvres bénies, la maladie quitte le corps ; la parole opère et soudain toute infirmité disparaît. Un esclave en révolte aperçoit-il son maître, il s’arrête aussitôt, et rentre dans l’ordre accoutumé. C’est ce qui arrive ici : la maladie comme un esclave séditieux troublait le corps du paralytique, mais à la vue du Seigneur, elle rentre dans l’ordre, et l’harmonie se rétablit. La parole a tout opéré ; car ce n’est pas une parole ordinaire, mais la parole de Dieu dont il est dit : Les œuvres de sa parole sont puissantes. (Jol 2, 11) Elle a créé l’homme qui n’existait pas ; à plus forte raison peut-elle guérir un paralytique.

Que ceux qui scrutent l’essence de Dieu, me permettent ici une question. Comment ces membres se sont-ils fortifiés ? Comment ces os se sont-ils consolidés ? Comment cet estomac délabré s’est-il rétabli ? Comment les nerfs affaiblis ont-ils repris leur énergie ? Comment la force détruite est-elle revenue ? Ils ne le savent. Admirez donc ce prodige sans vouloir en scruter le mode. Le paralytique obéit et prit son lit. À cette vue les Juifs dirent : C’est le sabbat, il ne vous est pas permis d’emporter votre lit. (Jn 5, 10) Il fallait adorer l’auteur et admirer l’œuvre ; les Juifs disputent sur le sabbat, rejetant un moucheron et avalant un chameau. Que répond le paralytique ? Celui qui m’a guéri m’a dit : Emportez votre lit et marchez. Voyez la gratitude de cet homme ! Il avoue son médecin, et déclare que son bienfaiteur est pour lui un législateur digne de foi. Il raisonne contre eux, comme l’aveugle. Comment raisonnait l’aveugle ? On lui objecte : Cet homme n’est point de Dieu, puisqu’il ne garde pas le sabbat. (Jn 9, 16) Il répond : Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs; or celui-ci m’a ouvert les yeux. (Id 30) C’est-à-dire : s’il a transgressé la loi, il a péché ; s’il a péché, il n’a pas un tel pouvoir, car le péché, l’exclut absolument. Or Jésus-Christ a ce pouvoir, il n’a donc pas péché même en transgressant la loi. Le paralytique raisonne de même. Par ces mots, celui qui m’a guéri, il indique que celui qui a déployé une semblable puissance, ne peut être accusé d’avoir violé la loi.

Les Juifs reprennent : Où est l’homme qui vous a dit : Emportez votre lit et marchez ? (Jn 5, 12) Voyez quel aveuglement insensé ! voyez quelle arrogance ! les envieux ne voient pas ce qui est bien, mais seulement ce qui leur fournit une occasion de nuire. De même les Juifs. Le paralytique proclame deux choses sa guérison et l’ordre d’emporter son lit. Les Juifs cachent l’une et publient l’autre. Ils voilent le prodige, et objectent la violation du sabbat. Car ils ne demandent pas : Où est celui qui vous a guéri ? Ils se taisent sur ce point et disent : Où est celui qui vous a dit. Emportez votre lit et marchez ? Celui-ci ne le connaissait pas. Car Jésus s’était retiré de la foule qui était là. (Jn 5, 13) Ceci fait l’éloge du paralytique et en même temps donne une preuve de la sollicitude de Jésus-Christ pour les hommes. Si ce paralytique ne reçoit pas le Sauveur comme le centenier ; s’il ne s’écrie pas : Dites une parole et mon serviteur sera guéri (Mat 8, 8), ne l’accusez pas d’infidélité, puisqu’il ne le connaissait pas, il ne savait pas qui il était. Comment aurait-il connu celui qui voyait pour la première fois ? Voilà pourquoi il lui répondit : Je n’ai personne pour me jeter ; dans la piscine. (Jn 5, 7) S’il l’avait connu, il ne lui eût pas parlé de le descendre dans la piscine ; il l’aurait prié de le guérir, comme il fut guéri en effet. Il le prenait pour un homme ordinaire, et c’est pour cela qu’il mentionne le remède accoutumé. C’est aussi une preuve de la prudence de Jésus-Christ que de quitter le paralytique guéri sans s’en faire connaître. Car alors les Juifs ne peuvent soupçonner la véracité de ce témoin, ni prétendre qu’il est gagné ou suborné par Jésus-Christ ; son ignorance et l’absence de Jésus-Christ ne permettent pas ce soupçon. L’Évangile dit en effet : Il ne savait qui il était.

4. Jésus-Christ le laisse aller seul, afin que les Juifs, le prenant à part, examinent le fait à leur gré, et une fois bien convaincus de la vérité répriment leur colère ridicule. Voilà pourquoi Jésus-Christ se tait ; pour preuve il leur présente les faits, témoignage évident et irréfutable. Que peut-on en effet opposer à ces paroles : Celui qui m’a guéri, m’a dit : Emportez votre lit et marchez? (Jn 5, 11) Le paralytique devient évangéliste, docteur des infidèles, médecin et héraut pour leur honte et leur condamnation. Il guérit les âmes non par des paroles, mais par des exemples. Il apporte un argument invincible et son corps proclame la vérité de son discours. Depuis Jésus le rencontra et lui dit : Vous voilà guéri. Ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis. (Jn 5, 14)

Admirez la science, le zèle du médecin. Il ne délivre pas seulement de la maladie présente, il prémunit encore pour l’avenir, et avec raison. Quand le paralytique est étendu sur son lit, Jésus-Christ ne lui dit rien de tel, il ne lui rappelle pas ses péchés ; car l’esprit des malades est aigri et chagrin. Mais une fois la maladie expulsée et la santé rétablie, une fois la puissance de Jésus-Christ et sa sollicitude prouvées par les œuvres, alors le moment est – favorable pour les avis et les conseils ; le paralytique les recevra ; Jésus-Christ a gagné sa confiance. Pourquoi le paralytique, en s’en allant, fait-il connaître aux Juifs son bienfaiteur ? C’est qu’il voulait les rendre participants de la vraie doctrine. – Mais c’est pour cela même que les Juifs haïssaient Jésus-Christ et le persécutaient. – Soyez attentifs ; c’est ici le point décisif. Ils le persécutaient parce qu’il faisait ces choses le jour du sabbat. (Jn 5, 16) Voyons comment Jésus-Christ se défend. Car sa manière de se défendre nous montrera s’il est sujet ou indépendant, serviteur ou maître.

Son action paraissait une transgression considérable. Autrefois un homme ayant ramassé du bois le jour du sabbat, fut lapidé pour avoir en ce jour porté ce fardeau. (Nom 15, 32) On reprochait le même crime à Jésus-Christ, il avait violé le sabbat. Voyons d’abord s’il demande grâce comme un esclave et un sujet, ou s’il ne se donne pas comme ayant puissance et autorité ; comme maître, au-dessus de la loi, et auteur des commandements ? Comment se défend-il ? Mon Père agit jusqu’à présent, et j’agis aussi. (Jn 5, 17) Voyez-vous l’autorité ? S’il était inférieur au Père, cette parole, loin d’être une apologie, serait un crime encore plus grand et un nouveau motif d’accusation. Si quelqu’un usurpe les fonctions d’un supérieur, et que, pour répondre à l’accusation, il dise : J’ai fait cela parce que le supérieur l’a fait, loin de se laver des crimes qu’on lui reproche, il se rend plus répréhensible et plus coupable. Car c’est de l’orgueil et de l’arrogance que d’ambitionner des fonctions au-dessus de son mérite. Si donc Jésus-Christ est au-dessous de son Père, il ne se justifie pas, il se condamne ; mais parce qu’il est égal au Père, il n’y a pas de crime. Un exemple éclaircira ce que je dis. Il n’appartient qu’à l’empereur de porter la pourpre et le diadème. Si un sujet usurpait ces insignes, et si, amené devant le tribunal, il disait : parce que l’empereur porte ces ornements, je les porte aussi, loin de se justifier, il ne ferait qu’aggraver son crime et son supplice. De même il n’appartient qu’à la clémence impériale de gracier les grands scélérats, comme les homicides, les brigands ; ceux qui violent les tombeaux, et autres semblables. Si un juge renvoyait un condamné sans attendre la sentence impériale, et s’il s’excusait en disant : Parce que le roi pardonne, je pardonne aussi, loin de se justifier, il s’attirerait une peine plus grande, et il doit en être ainsi. Un inférieur, dans un excès, s’insurge contre l’autorité, et cherche dans ses actes des motifs d’excuse ; n’est-ce pas faire injure à ceux qui lui ont confié sa dignité ? Aussi un inférieur ne se défend jamais de la sorte. Mais s’il est empereur, s’il a une dignité égale : il lui sera permis de s’exprimer ainsi. Ayant la même dignité, il a la même puissance. Quiconque par conséquent se justifie de cette manière, a nécessairement la même dignité que celui dont il invoque l’autorité. Quand donc Jésus-Christ se défend ainsi devant les Juifs, il nous prouve clairement qu’il est égal à son Père.

Comparons, si vous le voulez, cet exemple aux paroles et aux actions de Jésus-Christ. Porter la pourpre et le diadème et gracier les coupables, c’est la même chose que de ne pas observer le sabbat. La première prérogative appartient au roi seul et non au sujet ; quiconque la possède justement, est nécessairement roi. Il en est de même ici ; Jésus-Christ agit avec autorité ; puis accusé, il invoque son Père en disant : Mon Père agit jusqu’à présent. (Jn 5, 17) Il est donc nécessairement égal au Père qui agit aussi avec autorité. S’il n’était pas égal à lui, il ne se défendrait pas ainsi. Rendons encore ceci plus clair. Les apôtres avaient violé le sabbat en arrachant des épis pour manger ; Jésus-Christ le viole maintenant, les Juifs l’accusent, comme ils avaient accusé les disciples. Voyons comment il les justifie, et se justifie lui-même ; la différence vous montrera quelle est la valeur de son apologie. Comment les défend-il ? N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu’il fut pressé de la faim? (Mat 12, 3) Quand il défend les serviteurs, il apporte l’exemple d’un serviteur, de David. Quand il se justifie lui-même, il invoque son Père. Mon Père agit, et j’agis aussi. Et que fait-il ? demandez-vous, car après six jours Dieu se reposa de tous ses ouvrages. (Gen 2, 2) Il exerce sa Providence de chaque jour. Il n’a pas seulement créé, il conserve encore les créatures, les anges, les archanges, les puissances d’en haut, en un mot, toutes les choses visibles et invisibles sont réglées par sa Providence ; sans ce secours efficace tout s’en va, se dissipe et périt. Jésus-Christ voulant montrer qu’il gouverne par, sa Providence et n’est pas gouverné, qu’il est créateur et non créature, dit : Mon Père agit, et j’agis aussi ; il indique par là qu’il est égal au Père.

5. Souvenez-vous de ces vérités ; conservez-les avec soin ; à une doctrine pure, joignez une conduite irréprochable. Je vous rappelle ce que je vous ai déjà dit, et je vous le redirai encore. Un moyen puissant pour acquérir la sagesse et la vertu, c’est de venir souvent ici. Une terre inculte que personne n’arrose, se couvre de ronces et d’épines ; travaillée par la main du laboureur, elle germe, fleurit, et produit des fruits abondants. Ainsi, l’âme qui est arrosée par la parole divine, germe, fleurit et produit en abondance les fruits du Saint-Esprit ; mais l’âme inculte, délaissée, privée de la rosée céleste, se couvre d’épines et de plantes sauvages, c’est-à-dire de péchés. Or les épines sont le repaire des dragons, des serpents, des scorpions et de toutes les puissances infernales. Si ces paroles ne vous convainquent pas, comparons-nous à ces âmes délaissées, et vous verrez quelle différence. Ou plutôt examinons ce que nous sommes quand nous jouissons de la grâce, et ce que nous valons quand nous en sommes privés depuis longtemps. Ne perdons pas cet avantage ; l’assistance à l’église nous procure toute sorte de biens. Au retour, l’homme paraît plus respectable à sa femme, et la femme plus aimable à son mari. Car c’est la vertu de l’âme et non la beauté du corps qui rend une femme aimable, c’est la tempérance, la douceur, la crainte de Dieu et non le fard, l’or ou les vêtements précieux. C’est ici dans cette sainte assemblée, que nous pouvons acquérir cette beauté spirituelle ; ici les prophètes et les apôtres purifient, ornent, éloignent la vieillesse du péché, ramènent la vigueur de la jeunesse, font disparaître toutes les rides, toutes les taches de nos âmes. Hommes et femmes, efforçons-nous donc tous d’obtenir cette beauté.

La beauté du corps, la maladie la flétrit, le temps la ternit, la vieillesse la détruit peu à peu, la mort l’anéantit complètement ; pour celle de l’âme, ni le temps, ni la maladie, ni la vieillesse, ni la mort, rien ne peut l’enlever : elle est immortelle. Celle du corps est souvent une occasion de péché ; celle de l’âme conduit à Dieu, comme dit le Prophète en s’adressant à l’Église : Écoutez, ma fille, et voyez, et prêtez l’oreille ; oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le Roi sera épris de votre beauté. (Psa 45, 11) Afin de mériter l’amitié de Dieu, ayons bien soin de conserver cette beauté ; enlevons toutes les taches par la lecture des saintes Écritures, par la prière, par l’aumône et la concorde. Alors le roi, charmé de la beauté de notre âme, nous donnera le royaume céleste. Puissions-nous l’obtenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Cette Homélie et les dix qui précédent ont été traduites par M. l’abbé L. A***, professeur au collège de Saint-Dizier.

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HOMÉLIE XXXVIII.

DEPUIS, JÉSUS TROUVA CET HOMME DANS LE TEMPLE, ET IL LUI DIT : VOUS VOYEZ QUE VOUS AVEZ ÉT1 GUÉRI, NE PÉCHEZ PLUS A L’AVENIR, DE PEUR QU’IL NE VOUS ARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE. (VERS. 14, JUSQU’AU VERS. 21)

ANALYSE.

  • 1. Dieu châtie le corps pour les péchés de l’âme. – La plupart des maladies viennent du péché.
  • 2 et 3. Reconnaissance du paralytique. – Jésus se compare à Dieu son Père, et se déclare son égal.
  • 4. Cette parole : Le Fils ne peut rien faire de lui-même, marque la parfaite égalité et la parfaite union du Père et du Fils. – Contre l’ambition et la passion de s’élever sur les autres. – Fuir la vaine gloire, maux qu’elle produit : chercher la gloire qui vient de Dieu. – Gloire qui vient des hommes, gloire qui vient de Dieu ; leur différence.

1. Le péché est un grand mal, oui, un grand mal, et la perte de l’âme ; mais, de plus, il peut arriver que ce mal déborde jusque sur le corps. Comme, pour l’ordinaire, quand l’âme est malade, nous ne sentons aucune douleur, et, au contraire, si le corps est un peu incommodé, nous apportons tous nos soins pour le délivrer de son incommodité, Dieu pour cela même châtie le corps à cause des péchés de Pâme, afin de rendre la santé à la plus noble portion de l’homme par le châtiment de la moins noble. C’est ainsi que saint Paul corrigea l’incestueux de Corinthe (1Co 5,1 ss), il mortifia sa chair pour guérir son âme ; l’incision qu’il fit à son corps le guérit de son vice. En quoi il imita l’habite médecin qui, voyant que l’hydropisie ou le mal de rate ne cède point aux remèdes intérieurs, applique au-dehors et le fer et le feu. C’est ainsi qu’en usa Jésus-Christ à l’égard du paralytique, il le déclare lui-même, écoutez ce qu’il dit : « Vous voyez que vous avez été guéri, ne péchez plus à l’avenir, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pire. Que nous apprend-il donc par là ? Premièrement, que c’est du péché qu’était venue sa maladie ; secondement, qu’il faut véritablement croire qu’il y a un enfer ; troisièmement, que le supplice de l’enfer est éternel.

Qu’ils paraissent donc ici ceux qui disent Dans l’espace d’une heure j’ai tué, en un instant j’ai commis un adultère. Quoi ! pour un péché si court, je souffrirai une éternité de peines ? Mais voilà un homme dont le péché n’a pas duré aussi longtemps que la punition et qui a passé presque tout le cours d’une vie humaine dans la peine de son péché. En effet, les péchés ne sont pas mesurés au temps, mais à la nature même des crimes. De plus, vous avez à remarquer que, quoique nous soyons sévèrement punis des premiers péchés, nous le serons encore avec beaucoup plus de rigueur dans la suite, si nous retombons à l’avenir dans les mêmes fautes, et cela est très-juste. Car celui que le châtiment ne corrige pas sera désormais plus rigoureusement puni, comme titi homme incorrigible et endurci. Car le premier châtiment aurait dû suffire pour le rendre meilleur et l’empêcher de retomber. Si cette première punition ne le rend ni plus modéré, ni plus sage, et qu’il ne craigne pas de commettre les mêmes fautes, il mérite le supplice, il se l’est lui-même attiré. Or si, même ici-bas, les péchés de rechutes sont plus sévèrement punis que les autres, quand ici nous n’en recevons aucun châtiment, n’avons-nous pas extrêmement à craindre et à trembler qu’en l’autre monde nous n’ayons à souffrir des tourments insupportables ?

Et pourquoi, direz-vous, tous ne sont-ils pas punis de même ? Nous voyons beaucoup de scélérats dont l’embonpoint annonce la bonne santé, et qui jouissent d’une heureuse fortune. Je le crois, mais ne nous y fions pas, et plaignons-les comme étant les plus à plaindre de tous les hommes. S’ils ne souffrent rien ici, c’est pour eux un gage et des arrhes d’un plus rigoureux supplice qui leur est réservé. Saint Paul l’a déclaré par ces paroles : « Mais maintenant lorsque nous sommes jugés de la sorte, c’est le Seigneur qui nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde. » (1Co 11,32) Ici, c’est le lieu de l’avertissement, là du supplice.

Quoi donc ! direz-vous, est-ce que toutes les maladies viennent des péchés ? Non toutes, mais plusieurs. Il y en a qui tirent leur origine de la paresse ; l’intempérance, l’ivrognerie, l’oisiveté, engendrent des maladies corporelles. Au reste, dans tout ce qui nous arrive, nous avons une chose à observer, c’est de souffrir toutes sortes de plaies et d’afflictions avec actions de grâces. Le Seigneur nous envoie aussi des maladies pour nous punir de nos péchés. Nous lisons dans les livres des Rois qu’un homme fut attaqué de la goutte en punition de ses fautes
L’exemple que rapporte le saint Docteur ne se trouve point dans la sainte Écriture, où il n’est nulle part fait mention de goutte, mais la vérité qu’il avance n’en est pas moins constante : Dieu a quelquefois visiblement frappé de maladie le pécheur en punition de son péché. Entre une infinité d’autres exemples qu’on pourrait facilement tirer des Livres saints, celui d’Ozias est bien mémorable Ce prince a la témérité de mettre la main à l’encensoir, et, sur-le-champ, il est frappé de lèpre. (2Ch 26,1 ss) L’avarice et le mensonge de Giezi sont punis de la même maladie. (2Ro 5,26-27, etc)
. Il nous en envoie encore pour nous éprouver et nous rendre plus illustres ; c’est pourquoi Dieu dit à Job : « Ne croyez pas que je vous aie traité de cette manière à autre intention que de faire connaître et de publier votre justice ? » (Job 11,3, LXX) Mais pourquoi, quand il s’agit de la guérison de ces paralytiques, Jésus-Christ publie-t-il leurs péchés ? Car à celui dont parle saint Matthieu, il dit : « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis » ; et à celui-ci : « Voyez, vous avez été guéri, ne péchez plus à l’avenir ». (Mat 9,2) Je sais que quelques-uns accusent ce paralytique d’avoir mal parlé de Jésus-Christ, et qu’ils disent que c’est pour cela que le Sauveur lui dit : « Ne péchez plus ». Mais que répondrons-nous sur l’autre dont saint Matthieu fait mention ? Jésus ; Christ lui a dit aussi : « Vos péchés vous sont remis ». D’où l’on voit clairement que ce n’est point là la raison pour laquelle il lui a fait cette remontrance. Et ce qui suit le fait même plus clairement connaître. « Depuis », dit l’évangéliste, « Jésus trouve cet homme dans le temple » ; c’était là sûrement une marque de piété ; il n’allait pas à la place publique, ni aux lieux de promenade, il ne se livrait pas aux plaisirs de la table, ni à la paresse, mais il se tenait au temple : encore qu’il dût prévoir que tout le monde l’en chasserait, rien pourtant ne fut capable de l’en faire sortir. Jésus-Christ l’ayant donc rencontré après s’être entretenu avec les Juifs, ne fit pourtant aucune allusion de ce genre ; or, s’il eût voulu lui faire des reproches à ce sujet, il lui aurait dit : Quoi, vous persistez encore dans les mêmes fautes, et après avoir recouvré la santé, vous n’avez point changé de conduite, vous n’êtes pas devenu meilleur ? Mais il ne lui dit rien de semblable, seulement il le confirme pour l’avenir.

2. Mais pourquoi, quand il guérit les boiteux et les estropiés, ne leur dit-il rien de la rémission des péchés ? Pour moi, il me semble que chez ceux-là la maladie était la peine du péché, et chez ceux-ci une simple infirmité corporelle. Si cela n’était pas, Jésus-Christ leur aurait fait une pareille remontrance. Et de plus, de toutes les maladies, la paralysie étant la plus grande et la plus fâcheuse, en y apportant le remède, il l’applique également aux moindres. De même qu’en guérissant un autre lé preux, il lui ordonna d’aller rendre gloire à Dieu (Mat 8,4), et ne donna pas cet avertissement à lui seul, mais par lui à tous ceux qui seraient guéris de leurs infirmités ; ainsi par ceux-là il exhorte tous les autres, et il donne à chacun ces salutaires avis. A quoi il faut ajouter encore que Jésus-Christ avait vu sa grande persévérance ; c’est pourquoi il l’avertit d’observer ce qu’il lui prescrit comme le pouvant, bien, et tant par le bienfait de sa guérison que par la crainte des maux à venir, il le retient et l’engage à être sage.

Remarquez, mes frères, combien Jésus-Christ est éloigné de toute vanité. Il n’a point dit : Vous voyez que je vous ai guéri, mais : « Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus a l’avenir ». Il n’a pas dit non plus : De peur que je ne vous punisse, mais : « De peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pire », Nulle part il ne fait mention de sa personne ; il lui montre aussi que s’il a recouvré la santé c’est plutôt une grâce que l’effet de son mérite. Car il n’a pas dit qu’il a été délivré de ses peines pour son mérite, mais qu’il a été sauvé et guéri par la miséricorde de Dieu. Si cela n’était pas ainsi, il aurait dit : Vous voyez que vous avez été puni de vos péchés comme vous le deviez, prenez garde à vous à l’avenir. Or il ne lui parle point de la sorte, mais comment : « Vous voyez que vous avez été guéri, ne péchez plus à l’avenir ». Disons-le-nous souvent, mes frères, et quoique châtiés, quoique dans l’affliction, que chacun de nous se dise à soi-même : « Vous voyez que vous avez été e guéri, désormais ne péchez plus ». Que si, persévérant dans les mêmes fautes, nous n’en sommes point châtiés, répétons-nous ces paroles de l’apôtre : « La bonté de Dieu vous a invite à la pénitence. Et cependant, par notre « dureté et par l’impénitence de notre cœur, a nous nous amassons un trésor de colère ». (Rom 2,4-5) Et non seulement en rétablissant son corps, mais encore autrement, Jésus-Christ donna au paralytique un grand témoignage de sa divinité. Car, en lui disant : « Ne péchez plus à l’avenir » ; il lui fit voir qu’il connaissait tous les péchés qu’il avait commis auparavant, et par conséquent qu’il devait désormais le juger digne de foi et croire en lui. « Cet homme s’en alla donc trouver les Juifs et leur dit que c’était Jésus qui l’avait guéri (15) ». Observez cette nouvelle marque de la reconnaissance de ce paralytique. Car il n’a point dit : C’est Jésus qui m’a dit : « Emportez votre lit ». En effet, comme les Juifs lui objectaient continuellement ce qui paraissait blâmable, lui, toujours il leur répond ce qui relevait la gloire de son médecin, et devait les gagner et les attirer. Il n’était ni assez stupide, ni assez ingrat pour trahir son bienfaiteur et parler malignement contre lui, après en avoir reçu une si grande grâce, et une grâce jointe à un avis si salutaire. Eût-il été barbare et inhumain comme une bête féroce, eût-il eu un cœur de pierre, le bienfait et la crainte auraient retenu sa langue. La menace que lui avait faite Jésus-Christ lui aurait encore fait craindre qu’il ne lui arrivât quelque chose de pire, ayant surtout éprouvé par lui-même jusqu’où pouvait aller le pouvoir d’un si grand médecin. D’ailleurs, s’il eût voulu le charger, le rendre blâmable, il aurait tu et caché sa guérison et il n’aurait parlé que de la violation du sabbat ; mais, au contraire, avec beaucoup de fermeté et d’assurance, avec un cœur reconnaissant, il célèbre la gloire de son bienfaiteur, en quoi il ne diffère point de l’aveugle qui disait : « Il a fait de la boue avec sa salive et il en a oint mes yeux » (Jn 9,6) ; celui-ci dit tout de même : « C’est Jésus qui m’a guéri ».

« Et c’est pour cela que les Juifs persécutaient Jésus et voulaient le faire mourir, parce qu’il faisait ces choses le jour du sabbat (16) ». Que répondit donc Jésus-Christ ? Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi incessamment ». (Jn 5,17) Quand il s’agissait de défendre ses disciples, Jésus produisait aux Juifs le témoignage de David, leur compagnon : « N’avez-vous point lu », leur disait-il, « ce que fit David, se voyant pressé de la faim ? » (Mat 12,3) Mais quand il parle pour lui-même, il cite l’exemple de son Père, montrant par l’un et par l’autre qu’il est égal à son Père, et lorsqu’il le nomme son propre Père, et lorsqu’il fait voir qu’il opère les mêmes œuvres que lui. Et pourquoi Jésus ne rapporte-t-il pas les miracles qu’il a faits auprès de Jéricho ? (Mat 12,29) Il les voulait tirer de leurs idées charnelles et grossières, et faire qu’ils ne le regardassent plus comme « purement » homme, mais qu’ils vinssent et recourussent à lui comme à Dieu et à leur Législateur. Car s’il n’était pas Fils de Dieu et de la même substance, la défense qu’il, produisait était pire que l’accusation. En effet, si un magistrat, accusé d’avoir transgressé la loi de son roi, s’excusait sur ce que le roi l’aurait lui-même transgressée, il ne serait pas pour cela absous de son crime, mais au contraire il serait regardé comme plus coupable et plus digne de châtiment ; mais ici, où la dignité est égale, la défense est tout à fait juste et légitime : pour la même raison que vous justifiez Dieu, justifiez-moi. Voilà pourquoi, avant toutes choses, le Sauveur dit : « Mon Père », afin de les forcer malgré eux de reconnaître en lui une même autorité et une même puissance, en l’honorant comme vrai Fils de Dieu.

Que si quelqu’un dit : Et où est-ce que le Père agit, lui qui s’est reposé le septième jour (Gen 2,2) après ses ouvrages ? Qu’il apprenne de quelle manière Dieu agit. Comment donc agit-il ? Il gouverne et conserve ses ouvrages par sa providence. Lors donc que vous voyez le lever du soleil, le cours de la lune, les étangs, les fontaines, les fleuves, les pluies et le mouvement de la nature, soit dans les semences, soit dans nos corps, soit dans ceux, des bêtes, et de toutes les autres choses qui composent ce monde, reconnaissez-y l’action continuelle du Père, « qui fait lever son soleil », dit l’Écriture, « sur les bonnes sur les « méchants ». (Mat 5,45) Et encore : « Si donc Dieu a soin de vêtir de cette sorte une herbe des champs, qui est aujourd’hui et qui sera demain jetée au feu ». (Mat 6,30) Et derechef, sur les oiseaux : « Votre Père céleste les nourrit ». (Mat 6,29)

3. Ainsi, tout ce qu’a fait Jésus-Christ le jour du sabbat, il l’a fait par sa parole, sans rien de plus. Quant au crime dont on l’accusait, il s’en est justifié par ce qui se faisait dans le temple (Mat 12,5), et par l’exemple même de ses accusateurs ; mais quand il commande de travailler, comme d’emporter le lit (ce qui, sûrement, n’est pas un travail bien considérable, mais tel néanmoins qu’il marque clairement l’inobservance du sabbat), alors il parle plus haut, il leur apporte des preuves plus relevées, pour les confondue et leur imposer silence par la dignité de son Père, et les élever à de plus grands sentiments. C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit du sabbat, il ne se justifie pas comme homme seulement, ni comme Dieu seulement, mais tantôt d’une façon, tantôt de l’autre. Car il voulait qu’on crût à la fois, et à l’abaissement de son incarnation, et à la dignité, à la majesté de sa divinité. Voilà pourquoi maintenant il se justifie comme Dieu. En effet, s’il leur eût toujours parié humainement, toujours ils auraient eu de lui des sentiments bas et grossiers ; c’est donc pour les tirer de leur opinion et les éclairer, qu’il nomme sou Père.

Au reste, les créatures elles-mêmes agissent au jour du sabbat : le soleil poursuit son cours, les fleuves roulent leurs eaux, les fontaines coulent, les femmes accouchent ; mais afin que vous sachiez que le Fils de Dieu n’est pas du nombre des créatures ; il n’a point dit J’agis aussi, car les créatures agissent, mais quoi ? J’agis aussi, car mon Père agit : « Mais les Juifs cherchaient encore avec plus d’ardeur à le faire mourir, parce que non seulement il ne gardait pas le sabbat, mais qu’il « disait même que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu (18) ». Et il ne le démontra pas seulement par ses paroles, mais encore plus par ses œuvres. Pourquoi par ses œuvres ? Parce que, de ses paroles, ils pouvaient prendre texte pour lui faire des reproches, pour l’accuser d’orgueil et de vanité ; mais en voyant la vérité et la réalité des choses et des œuvres, qui manifestaient et publiaient sa puissance, alors ils ne pouvaient même pas ouvrir la bouche contre lui.

Ceux qui ne veulent pas croire pieusement ces vérités, disent : Jésus-Christ ne s’est pas fait égal à Dieu, mais seulement les Juifs l’en soupçonnaient : c’est pourquoi, revenons sur ce qui a été dit plus haut. Dites-moi : les Juifs persécutaient-ils Jésus-Christ ; ou ne le persécutaient-ils pas ? Certainement ils le persécutaient ; personne ne l’ignore. Le persécutaient-ils pour cette raison qu’il se faisait égal à Dieu, ou pour une autre ? c’était sûrement pour cette raison, comme tous le reconnaissent. Gardait-il le sabbat, ou non ? il ne le gardait pas, nul n’osera le nier. Disait-il que Dieu était son Père, ou ne le disait-il pas ? certes, il le disait. Donc tout le reste s’ensuit de même : comme les faits d’appeler Dieu son Père, de ne pas garder le sabbat, d’être persécuté des Juifs pour la première de ces raisons ; et encore plus pour l’autre, sont des vérités parfaitement établies ; quand il s’égalait à Dieu, il ne faisait que parler encore dans le même esprit : et ceci est encore plus évident par ce qui est rapporté ci-dessus ; car dire ces paroles. « Mon Père agit, et j’agis aussi », c’était la même chose que de se faire égal à Dieu. Jésus-Christ ne montre aucune différence entre ces paroles. Il n’a point dit : Il agit, et moi je le sers, je l’aide ; mais : comme il agit, j’agis aussi moi-même ; et il fait voir une grande égalité.

Que si, cette égalité, Jésus-Christ n’avait pas voulu la montrer, et si les Juifs l’en avaient vainement soupçonné, il n’aurait pas permis qu’ils gardassent cette fausse opinion de lui, mais il l’aurait corrigée. Et l’évangéliste ne l’aurait point passée sous silence, mais il aurait publiquement déclaré que les Juifs avaient eu ce soupçon, mais que Jésus-Christ ne s’était pas fait égal à Dieu ; c’est ainsi qu’il en use ailleurs, lorsqu’il voit que ce qui a été dit dans un sens, on le prend dans un autre ; par exemple, à propos de cette phrase : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours » (Jn 2,19), qui concernait sa chair. Mais les Juifs, ne comprenant pas ce qu’avait dit Jésus-Christ, et croyant qu’il parlait de leur temple, disaient : « Ce temple a été quarante-six ans à bâtir, et vous le rétablirez en trois jours ? » (Jn 2,20) Comme donc Jésus-Christ avait dit une chose, et que les Juifs en avaient pensé une autre, que ce qu’il avait dit de sa chair, ils l’avaient entendu de leur temple, l’évangéliste, pour le taire remarquer, ou plutôt pour corriger cette fausse opinion, a ajouté : « Mais il entendait parler du temple de son corps ». (Jn 2,21) De même, si en cet endroit Jésus-Christ ne s’était pas fait égal à son Père, sûrement l’évangéliste aurait redressé la pensée des Juifs qui le croyaient, et il aurait dit : Les Juifs croyaient que Jésus-Christ se faisait égal à Dieu, mais il ne parlait pas de cette égalité. Et non seulement notre évangéliste en use ainsi dans l’endroit que nous avons cité, mais un autre aussi fait de même ailleurs. Jésus-Christ ayant dit à ses disciples : « Ayez soin de vous garder du levain des Pharisiens et des Sadducéens », et les disciples ayant pensé et dit entre eux : « Nous n’avons point pris de pain » (Mat 16,6) ; comme le Sauveur voulait dire une chose, appelant levain leur doctrine, et les disciples en entendaient une autre, pensant que c’était du pain que Jésus parlait, il rectifie cette pensée : et même ici ce n’est pas l’évangéliste, c’est Jésus-Christ lui-même qui la corrige, en disant : « Comment ne comprenez-vous point que ce n’est pas du pain que je vous ai parlé ? » (Mat 16,11) Mais dans le passage sur lequel roule la dispute, on ne voit nulle correction.

Mais, dira quelqu’un, Jésus-Christ ruine cette interprétation, en ajoutant : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même ». Que dites-vous ? c’est tout le contraire : loin de nier l’égalité par ces mêmes paroles que vous alléguez, il l’établit et la confirme. Renouvelez votre attention, mes frères, la question est très-considérable et très-importante. Cette expression : « De lui-même », se rencontre souvent dans l’Écriture, où elle s’applique, et à Jésus-Christ, et au Saint-Esprit ; il en faut donc connaître la valeur et la force, pour ne pas tomber dans de très-grandes et de très-grossières erreurs. En effet, si vous la prenez dans le premier sens qu’elle présente, quelles absurdités ne s’en suivra-t-il pas ? Faites-y attention. L’Écriture n’a point dit que Jésus-Christ pouvait faire certaines choses de lui-même, et qu’il n’en pouvait pas faire d’autres ; mais elle dit en général : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même (19) ».

4. Nous ferons donc cette demande à notre contradicteur : Jésus-Christ, selon vous, ne peut donc rien faire de lui-même ? S’il répond Non, nous repartirons : Mais il a fait le plus grand de tous les biens par lui-même ; saint Paul le crie et le publie hautement : « Qui étant l’image de Dieu », c’est de Jésus-Christ qu’il parle, « n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation d’être égal à Dieu : mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la « forme de serviteur ». (Phi 2,6-7) Et encore : Jésus-Christ lui-même dit ailleurs : « J’ai le pouvoir de quitter la vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre, et personne ne me la ravit : c’est de moi-même que je la quitte », (Jn 10,18) Ne voyez-vous pas que celui qui s’est anéanti lui-même, en prenant de lui-même notre chair, a en son pouvoir et la mort et la vie ? Et que dis-je de Jésus-Christ ? Nous qui sommes ce qu’il y a de plus vil et de plus abject, nous faisons toutefois bien des choses de nous-mêmes ; de nous-mêmes nous choisissons le vice, de nous-mêmes nous pratiquons la vertu. Que si nous ne faisons pas ce choix de nous-mêmes, et si nous n’en avons pas le pouvoir, le péché ne saurait nous précipiter dans l’enfer ; ni les bonnes œuvres nous ouvrir le royaume des cieux. Donc, cette parole : « Jésus-Christ ne peut rien faire de lui-même », ne signifie autre chose, sillon qu’il ne peut rien faire de contraire à son Père, rien d’opposé, rien d’étranger : ce qui marque justement l’égalité et une parfaite union.

Et pourquoi Jésus-Christ n’a-t-il pas dit le Fils ne fait rien de contraire, mais : il ne peut pas faire ? c’est encore pour montrer par là une parfaite égalité. Car par cette expression l’Écriture ne désigne pas une faiblesse, mais elle fait voir sa grande puissance. En effet, saint Paul aussi parle ailleurs du Père en ces mêmes termes : « Afin qu’étant appuyés sur ces deux choses inébranlables, par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe ». (Heb 6,18) Et derechef : « Si nous le renonçons
« Si nous le renonçons ». Mon texte le porte de même. Saint Chrysostome le prend du verset précédent. Ainsi que nous lisons dans les textes grec et latin du Nouveau Testament, il faudrait dire : Si nous sommes infidèles. Mais la pensée est toujours le même.
, il demeure fidèle ; car il ne peut pas se contredire lui-même ». (2Ti 2,13) Ce mot : « Il est impossible », ne marque nullement une faiblesse, mais un pouvoir et une puissance ineffable. Et voici ce que cela signifie. Cette substance n’admet et ne souffre aucune de ces sortes de choses, aucune de ces imperfections. Comme lorsque nous disons : Il est impossible que Dieu pèche, nous ne lui attribuons pas un défaut, ou une faiblesse, mais nous témoignons, au contraire, de sa puissance ineffable ; de même aussi, lorsque Jésus-Christ dit : « Je ne puis rien faire de moi-même », cela signifie : il est absolument impossible que je fasse rien de contraire à mon Père.

Mais, afin que vous puissiez vous convaincre que c’est ainsi qu’il faut entendre ce, passage, examinons ce qui suit et voyons de quel côté est Jésus-Christ, ou du vôtre, ou du nôtre. Vous dites que ces paroles marquent un défaut de pouvoir, une limitation d’autorité et de puissance : et moi je soutiens, au contraire, qu’elles montrent évidemment une égalité entière et parfaite, et que tout se fait comme par une même volonté et une même puissance. Interrogeons Jésus-Christ lui-même, et par ses réponses nous jugerons si les paroles sur lesquelles nous disputons, il les explique selon votre opinion ou selon la nôtre. Que dit-il donc ? « Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui ». Ne voyez-vous pas qu’il renverse et détruit absolument votre opinion, au lieu qu’il établit et confirme la nôtre ? En effet, si le Fils ne fait rien de lui-même, le Père aussi ne fera rien de lui-même, puisque tout ce que fait le Père, le Fils le fait également. Et s’il n’en était pas ainsi, il s’ensuivrait une autre absurdité. Car Jésus-Christ n’a point dit : Le Fils fait ce qu’il a vu faire au Père, mais : il ne fait rien, s’il ne le voit faire au Père ; comprenant ainsi tous les temps dans son affirmation : or, selon vous, il apprendra toujours à, faire les mêmes choses. Sentez-vous combien est élevée et sublime cette pensée qui, quoiqu’enveloppée d’expressions basses et grossières, force pourtant, malgré eux, les hommes les plus impudents et les plus téméraires, d’éloigner de leur esprit toutes basses idées, tous sentiments indignes d’une si grande majesté ? Et qui serait assez misérable et assez malheureux pour dire que le Fils apprend chaque jour ce qu’il doit faire ? Alors, comment serait vrai ce que dit le prophète-roi : « Mais pour vous, vous êtes toujours le même, et vos années ne passeront point ? » (Psa 102,28) Et comment ceci le sera-t-il ? « Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui » (Jn 1,3), si ce que fait le Père, le Fils l’imite en le voyant ? Ne remarquez-vous pas comme son autorité et sa puissance se découvrent et se manifestent, et par ce qu’on a dit ci-dessus, et par ce qu’on va dire encore ?

Que si Jésus-Christ emploie quelquefois des expressions tout humaines, ne vous en étonnez pas. Comme les Juifs, pour l’avoir entendu parler en des termes plus élevés, le persécutaient et le prenaient pour un, ennemi de Dieu, il commence par s’exprimer d’une manière un peu basse et grossière, seulement quant aux expressions ; puis il s’élève, il parle d’une manière plus sublime, ensuite il redescend, baisse le ton ; variant ainsi son discours et ses instructions, afin que les plus endurcis puissent aisément croire en lui. Voyez ; après avoir dit : « Mon Père agit, et j’agis aussi », et s’être montré égal à Dieu, il dit encore : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne fait que ce qu’il voit faire au Père ». Ensuite, il s’énonce en des termes plus élevés, et il dit : « Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui ». Après quoi, il s’abaisse de nouveau : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait ; et il lui montrera des œuvres encore plus grandes que celles-là (20) ». Peut-on voir un plus grand abaissement ? Non, certes, car ce que j’ai dit, et ce que je ne cesserai point de dire, je vais le répéter maintenant. Lorsque Jésus-Christ veut dire quelque chose d’une manière basse et humble, il ne craint point l’excès, de telle sorte que la grossièreté des paroles persuade même les plus méchants de recevoir avec piété ce qu’ils entendent. En effet, si ce n’était point là l’intention du divin Sauveur, considérez combien seraient absurdes ses paroles ; pour s’en convaincre, il suffit de les examiner. Quand il dit : « Il lui montrera des œuvres encore plus grandes que celles-ci », il paraît n’avoir pas encore appris beaucoup de choses, ce qu’on ne peut pas même dire des apôtres ; car dès que les apôtres eurent reçu la grâce du Saint-Esprit, ils reçurent aussitôt toutes les connaissances et tous les pouvoirs qui leur étaient nécessaires ; mais, de cette manière, il se trouverait que le Fils n’avait pas encore appris bien des choses qu’il lui était nécessaire de savoir. Que pourrait-on imaginer de plus absurde qu’une pareille idée ? Que veulent donc dire ces paroles ? Le voici : Comme, après avoir guéri le paralytique d’une manière si éclatante, il devait ressusciter un mort, il use de ces expressions comme pour dire : Vous êtes remplis d’admiration : de m’avoir vu guérir sur-le-champ un paralytique, vous verrez des œuvres encore plus grandes que celles-ci. Néanmoins, il n’a pas si clairement expliqué sa pensée, mais il l’a enveloppée d’expressions plus simples et plus grossières, pour apaiser la fureur des Juifs.

Mais, pour connaître que ce mot : « Il lui montrera », ne doit pas se prendre à la lettre, voyez ce qui suit : « Car, comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut ». Or ces paroles : « il ne peut rien faire de lui-même », sont contraires à celles-ci : « A qui il veut ». Car, s’il donne la vie à qui il veut, il peut faire quelque chose de lui-même. En effet, le vouloir suppose le pouvoir. Et s’il né peut rien faire de lui-même, il ne donne donc pas la vie à qui il lui plaît ; ce mot : « Comme le Père ressuscite », prouve une égale vertu ; et celui-ci : « A qui il veut », montre un pouvoir égal. Par où vous voyez que ces paroles : « Il ne peut rien faire de lui-même », loin de rien ôter à son pouvoir, marquent, au contraire, une puissance égale et une même volonté. Ce mot : « Il lui montrera », entendez-le de même. Car le Fils dit ailleurs : « Je le ressusciterai au dernier jour. » (Jn 6,40) Et encore, pour montrer que cette vertu, que ce pouvoir d’agir, il ne l’a pas reçu, il dit : « Je suis la résurrection et la vie ». (Jn 11,25) Ensuite, afin que vous ne disiez pas qu’il ressuscite les morts et qu’il donne la vie à qui il lui plaît, mais que les autres choses, il ne les fait pas de même, il prévient l’objection et la résout par ces paroles : « Tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi comme lui », déclarant que tout ce que le Père fait, il le fait aussi comme lui, savoir, qu’il ressuscite les morts, qu’il forme les corps, leur rend la vie, qu’il remet les péchés, et qu’il fait toutes les autres choses de même que le Père les fait.

5. Mais ceux qui négligent leur salut ne font nulle attention à ces choses, tant est grand le marque produit l’amour de la domination. C’est lui qui a enfanté les hérésies ; c’est lui qui a établi l’idolâtrie des gentils. Dieu voulait que ses perfections invisibles devinssent visibles par la création du monde (Rom 1,20) ; mais les gentils ont fermé les yeux à la lumière, ils ont rejeté cette doctrine et se sont eux-mêmes frayé un autre chemin ; voilà pourquoi ils se sont égarés de la droite voie. Les Juifs n’ont point cru, parce qu’ils ont, aspiré à la gloire qui dent des hommes, et qu’ils n’ont point recherché celle qui vient de Dieu. (Jn 5,44) Mais nous, mes très-chers frères, fuyons cette passion avec un très-grand soin, et de toutes nos forces. Eussions-nous fait une infinité de belles actions et de bonnes œuvres, le venin de la vaine gloire les gâtera toutes. Si nous avons donc en vue les louanges, recherchons celles qui viennent de Dieu. La louange des hommes, de quelque nature qu’elle soit, s’évanouit aussitôt qu’elle paraît ; et quand même elle ne s’évanouirait pas, sûrement elle ne nous procurerait aucun avantage ; d’ailleurs, souvent elle vient d’un jugement corrompu. Qu’a-t-elle de si admirable, la gloire humaine, cette gloire dont jouissent de jeunes danseurs, des femmes impudiques, des avares, des voleurs ? Mais celui que Dieu loue est admiré, non avec ces sortes de gens, mais avec les saints ; savoir avec les prophètes et les apôtres, avec les hommes qui ont mené une vie angélique. Que si nous aimons à amasser la foule autour de nous et à nous faire regarder, examinons bien ce que c’est que cela, et nous trouverons que rien n’est plus vil ni plus méprisable. En un mot, si vous, aimez la foule, attirez à vous une grande troupe d’anges, rendez-vous redoutables aux démons ; par là, vous ne ferez nul cas des hommes ; par là, vous foulerez même aux pieds, comme de la fange et de la boue, tout ce qui paraît briller, et vous connaîtrez clairement alors que rien n’avilit tant l’âme que l’amour de la gloire.

Non, certes, non, il ne se peut pas – que l’amateur de la vaine gloire ne traîne une vie pleine d’amertumes, de même qu’il est impossible que celui qui la méprise, ne foule aux pieds une infinité de vices. Celui qui est victorieux de la vaine gloire, vaincra aussi l’envie, l’amour des richesses et les autres maladies les plus cruelles. Et comment, direz-vous, la vaincrons-nous ? Nous en triompherons si, dans tout ce que nous faisons, nous avons l’autre gloire en vue, je veux dire la gloire céleste, dont celle-ci s’efforce de nous chasser. C’est elle qui, dans cette vie, nous rend illustres, et qui nous suit dans l’autre ; c’est elle qui nous délivre de toute servitude charnelle.

Attachés à la terre et aux choses terrestres, maintenant nous sommes misérablement esclaves de la chair. Soit que vous alliez vous promener sur la place publique, soit que vous entriez dans votre maison, soit que vous alliez dans les rues, dans les lieux d’assemblées, dans les hôtelleries ; si vous montez sur un vaisseau pour naviguer, si vous allez dans une île, ou dans les palais des rois, si vous suivez le barreau, ou si vous allez au sénat, partout vous trouverez les sollicitudes de ce siècle, et vous verrez s’occuper, avec mille fatigues, des choses de ce monde, les voyageurs, les citoyens, les navigateurs, les laboureurs, ceux qui demeurent à la campagne, ceux qui habitent la ville ; en un mot, tous les hommes.

Quelle espérance pouvons-nous avoir de notre salut, nous qui, habitant la terre de Dieu, ne songeons nullement aux choses de Dieu ? La Loi nous commande de vivre ici en étrangers, et nous sommes étrangers à l’égard du ciel, et habitants du monde. N’est-ce pas là une stupidité monstrueuse ? Tous les jours on nous parle du jugement et du royaume des cieux, et nous ne craignons pas d’imiter ceux qui vivaient au temps de Noé, et les habitants de Sodome (Mat 24,37 ; Gen 13,13 ; 18,19) ; nous attendons l’expérience pour nous instruire. Mais si toutes ces choses sont écrites, c’est afin que celui qui ne croit pas ce qui doit arriver apprenne du passé à lire dans l’avenir. Méditons donc ces vérités, mes frères, tant celles qui ont eu leur accomplissement, que celles qui s’accompliront infailliblement un jour, et secouons un peu le joug rigoureux de, notre servitude : ayons quelque soin de notre âme, afin que nous acquérions les biens présents et les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE PRONONCÉE DANS LA GRANDE ÉGLISE, APRÈS QUELQUES PAROLES SUR CE PASSAGE DE L’ÉVANGILE : LE FILS NE FAIT RIEN DE LUI-MÊME, QU’IL N’AIT VU FAIRE A SON PÈRE. (JEAN, 5,19)

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Cette magnifique homélie a été pour la première fois tirée de l’oubli par le savant Eric Benzel, et publiée par lui à Upsal, en 1708, d’après un manuscrit anglais, vicieux en beaucoup de passages Nous avons eu le bonheur de la retrouver dans un manuscrit du cardinal Ottoboni à Rome, et nous avons pu combler les lacunes et corriger les fautes.

Cette homélie, qui est toute de controverse fut prononcée à l’occasion d’une objection des Anoméens. Saint Chrysostome, dan : son discours précédent avait cité ce mot de l’Évangile : Mon Père agit toujours et moi j’agis également ; il avait démontré par là que le Fils est égal au Père, ainsi, ajoute-t-il, que le déclare l’Évangéliste en ces termes : C’est pourquoi ils le poursuivaient davantage, non seulement parce qu’il rompait le sabbat, mais encore parce qu’il nommait Dieu sort Père, se faisant légal de Dieu ; c’était par là qu’il avait terminé son discours. Mais les hérétiques Anoméens opposèrent à ce raisonnement un autre passage de saint Jean (5, 19) : Le Fils ne fait rien de lui-même, qu’il n’ait vu faire à son Père. L’objection pouvait troubler ses auditeurs ; il fallait donc réfuter ces subtilités des Anoméens : aussi l’évêque Flavien prononça-t-il quelques paroles, et sachant le peuple désireux d’entendre Chrysostome, comme le plus capable de repousser vigoureusement une telle attaque, il se tut bientôt et lui confia le soin de réfuter les hérétiques…

Il est donc certain que ce discours fut prononcé à Antioche, dans la grande église, comme le dit le titre, et en présence de Flavien, lorsque Chrysostome était déjà en haute estime auprès des habitants d’Antioche… Les dix premières homélies contre les Anoméens sont de l’année même où il fut fait prêtre et commença à prêcher (386 et 387). Celle-ci et celle qui en fut l’occasion, furent prononcées plus tard, quand des prédications continuelles eurent donné à Chrysostome un grand nom à Antioche. Nous ignorons l’année.

  • 1. Hommage à l’évêque Flavien. – Appel à l’attention des auditeurs. – Importance du sujet.
  • 2. II expose l’objection des Anoméens, qui s’appuie sur une fausse interprétation du texte cité. – Il la réfute, parla nature même du Christ, par la théorie de la responsabilité humaine.
  • 3. Par ses conséquences pour la création, et pour l’incarnation.
  • 4 et 5. Par le témoignage de Jésus-Christ lui-même, et par des exemples de puissance tirés de sa vie terrestre.
  • 6. Il établit le vrai sens du texte, qui est une preuve de consubstantialité : le fils ne peut rien sans le Père, le l’ère sans le Fils, parce qu’ils ne sont qu’un. – Preuves de cette interprétation tirées de l’Évangile et des paroles mêmes du Christ.
  • 7. Conclusion : le Père et le Fils ont une égale puissance.

1. O violence !
Nous renvoyons le commentaire sur le prophète Daniel à notre dernier volume, afin de pouvoir le traduire sur un meilleur texte, récemment découvert.
ô tyrannie ! notre maître, qui vient de parler avant moi, ne nous a permis, alors qu’il avait sa coupe pleine, d’y tremper que le bout des lèvres ; et ce n’est pas faute d’instruction à nous verser : les paroles ne découlent-elles pas toujours de sa bouche comme d’une source abondante ? Mais, compte je le disais en commençant, il a voulu, mes chers frères, mettre dans tout son jour la tyrannie dont vous faites preuve si souvent envers votre serviteur indigne. Voilà pourquoi il a été si prompt à se taire, à terminer son discours : il a voulu satisfaire à vos désirs, et pour cela il m’a remis l’obligation d’achever le paiement de sa dette. Puis donc qu’il m’a cédé la parole et que je vous vois suspendus à mes lèvres, il faut enfin que je me dispose pour la lutte ; mais venez à mon aide, tendez-moi la main : que vos prières délient rua langue, et qu’une attention intelligente rende votre instruction plus facile ; puisque le prophète ne demande pas seulement la sagesse chez qui conseille, mais aussi l’intelligence chez qui écoute. (Isa 3,3) Car nous n’avons pas aujourd’hui à engager un combat de peu d’importance : mais il réclame de tous, beaucoup de prières ; de vous qui écoutez beaucoup d’attention ; de moi qui parle, beaucoup d’efforts, pour que ma parole soit exacte et juste, et qu’elle pénètre dans vos âmes, mes chers frères, et s’y fixe solidement. Il vous faut non seulement m’entendre, mais vous instruire, non seulement vous instruire, mais enseigner ; non seulement recevoir vous-mêmes la vérité, mais la transmettre. Nous aurons en effet un plus brillant théâtre ; une plus nombreuse réunion, quand ce que vous aurez entendu vous aura servi à amener de nouveaux fidèles.

Dans notre précédente assemblée, vous ayant cité cette parole de l’Évangile : « Mon Père agit toujours, et moi j’agis également (Jn 5,17) », je vous ai montré partant de là que le Fils est l’égal du Père, conséquence que l’Évangéliste avait déjà explicitement énoncée, en disant : « Ils le poursuivaient davantage, non seulement parce qu’il rompait le sabbat, mais parce qu’il appelait Dieu son père, se faisant l’égal de Dieu (Jn 5, 18) », et j’ai ainsi terminé mon discours. Aujourd’hui il me faut ruiner les objections que soulèvent les hérétiques à ce propos. Car, quoique en face d’une foule amie, je dois parler avec assez de justesse pour que mon langage soit irréprochable, inattaquable, fût-ce même par-devant des ennemis. En effet, comme je vous l’ai dit déjà, je ne veux pas seulement que vous m’écoutiez, mais aussi que vous instruisiez vos frères. Aussi me suis-je efforcé de vous abriter de toutes parts sous des armes spirituelles, pour qu’aucun de vos membres n’apparaisse à découvert, et ne reçoive une blessure mortelle. Oui, la parole nous est une arme : elle garantit les nôtres, et frappe nos adversaires ; elle les frappe non pour les abattre, mais pour les relever de terre, dans les combats que noirs livrons, c’est pour le salut de l’ennemi que s’élèvent nos trophées. Pour obtenir cet heureux triomphe, prêtez-moi donc votre attention ; rejetez toute pensée mondaine ; tenez votre esprit en éveil, et suivez-moi d’un mil pénétrant. Que le riche ne se laisse pas énerver par la noblesse ; que le pauvre ne plie pas sous les soucis de sa misère ; mais que chacun, bannissant de sa pensée les inégalités du monde, se prépare à entendre : car le sujet que nous avons à traiter est grave.

Et si je reviens sur ces recommandations, c’est que je sais sur quel abîme nous nous avançons. Mais ne tremblez pas à ce mot d’abîme : avec l’Esprit-Saint pour guide, plus de ténèbres sur les eaux, mais partout une route facile, si du moins vous suivez la voie où je vous appelle. Pas de trouble, pas d’effroi. Assurément la question que nous devons agiter aujourd’hui peut commencer par troubler un auditeur d’un esprit superficiel, et par soulever en lui des doutes ; mais s’il attend la fin, quand il verra une solution d’accord avec sa foi, il jouira d’une heureuse paix) et il pourra faire aborder son âme dans un port saris orages. Donc, pour qu’il en soit ainsi, pas de trouble, pas d’effroi ; mais suivez en toute patience, en toute assurance, la voie que vous enseigne ma parole.

Quelles sont les objections de nos contradicteurs ? « Le Fils ne peut rien de lui-même, disent-ils, qu’il n’ait vu faire à son Père. » (Jn 5, 9) Tel est bien le texte de l’Écriture. Comment donc nous opposent-ils ces paroles ? C’est qu’ils ne les citent pas dans le sens de l’Écriture. En effet, que veulent-ils en conclure ? Voyez-vous, disent-ils, comme le Fils de Dieu repousse toute pensée d’égalité ? Comme les Juifs le soupçonnaient de se prétendre l’égal de Dieu, il leur répond par ces mots : « le Fils ne peut rien de lui-même. »

2. Avais-je tort de dire que ces paroles pouvaient vous troubler, et tout d’abord inquiéter qui les entend ? Mais attendez et vous verrez nos adversaires accablés sous leurs propres armes. Avant tout il ne s’agissait pas d’un soupçon des Juifs ; c’est ce que je vous ai démontré en toute évidence dans notre précédent entretien ; pour ne pas remettre ce point en avant, je vous renvoie à mon dernier discours, et je vais m’efforcer de réfuter ce qu’on nous objecte aujourd’hui, en montrant que Jésus parle ainsi, non pour repousser ce soupçon des Juifs, mais pour confirmer leur opinion de tous points, et nous fournir la preuve de sa ressemblance, de son union étroite, de son entente parfaite avec son Père. Oui, je m’appuie avec tant de confiance sur cette parole, que j’y vois une démonstration de sa communauté de nature avec le Père, de sa consubstantialité. Ne soyez pas troublés par les raisonnements des hérétiques. Des épées, des lances, des javelots en peinture ne sauraient épouvanter un guerrier à l’aspect redoutable, à la mine résolue. Tout cela n’est qu’ombre et vaine image, et non pas réalité. Ainsi des raisonnements des hérétiques : pour les réfuter, attachons-nous au texte lui-même ; retournons-le sans relâche, et demandons-leur comment ils le veulent interpréter.

Car il ne suffit pas de lire. Si c’était assez, pourquoi Philippe disait-il à l’eunuque : « Comprends-tu ce que tu lis ? » (Act 8,30) Par où l’on voit qu’il lisait, mais sans comprendre ce qui était écrit. Aussi répondit-il « De qui, je te prie, parle le prophète ? De lui-même, ou d’un autre ? » (Id 5,34) S’il suffisait de lire, comment se fait-il que les Juifs, en lisant l’Ancien Testament, et les prédictions sur la naissance du Christ, sur les signes et les miracles qui l’accompagneraient, le lieu, le temps, la croix, l’ensevelissement, la résurrection, l’ascension, la place à la droite de son Père, la descente du Saint-Esprit, la dispersion des Apôtres, la réprobation de la synagogue, la noblesse de l’Église, ne croient pas encore aujourd’hui ? Il ne suffit donc pas de lire, si l’on ne comprend de surcroît. Qu’un homme mange sans digérer, il ne peut vivre ; de même, qu’un homme lise sans comprendre, il ne rencontrera pas ta vérité. Ne me présentez donc pas seulement le texte de l’Évangile, mais interprétez-le. Voilà ce que je leur demande, afin d’écarter leurs fausses interprétations, et de jeter ensuite les fondements de la vérité. Ainsi font les architectes, ils ne jettent pas les fondations, avant d’avoir enlevé tout ce qui est mouvant, afin de bâtir avec solidité. Imitons-les.

Répondez-moi donc : ainsi le Fils ne peut absolument rien faire de lui-même ? Car il n’a pas dit qu’il pût faire des hommes, mais non des anges ; ou bien des anges, mais non des archanges ; il a dit : rien. C’est donc un aveu d’impuissance ? puisqu’à votre sens, il ne peut rien, enchaîné qu’il est par une sorte de force invincible ; puisqu’il ne fait rien de lui-même, mais seulement ce qu’il a vu faire à son Père. Voyez quelle nouvelle doctrine, en complet désaccord avec sa substance pure, immortelle, inénarrable, inexplicable, incompréhensible ! Et pourquoi parler du Christ ? Moi chétif, moi misérable, moi ver de terre, nul ne saurait dire de moi que je ne puis rien par moi-même ; nul ne le saurait dire de vous, ni d’aucun homme. Car, s’il en était ainsi, l’enfer, l’expiation, le châtiment, vains mots ! vains mots, les couronnes, les récompenses, la félicité ! Non, nous ne serons pas punis pour nos fautes, nous ne serons pas récompensés pour nos bonnes actions, si nous ne faisons rien de nous-mêmes ! La récompense n’est pas promise à l’action elle-même, mais à l’intention. Ainsi, quand un homme fait de lui-même une bonne action, il est félicité, il est récompensé : non pas s’il la fait purement et simplement, mais avec intention, de dessein prémédité.

Et voyez la vérité de mes paroles : « Il y a des eunuques, dit saint Matthieu, qui ont été faits eunuques par les hommes ; et il y a des eunuques, qui se sont faits eunuques eux-mêmes en vue du royaume des cieux. » (Mat 19,12) Il entend ici par eunuques, non ceux qui retranchent leurs membres, mais ceux qui se défont des pensées mauvaises et déréglées, non avec le fer, mais avec le raisonnement, et la sagesse et l’aide de Dieu. Ainsi il y a deux sortes d’eunuques, les uns mutilés par l’homme en leurs corps, les autres mutilés par la piété en leurs mauvaises pensées. Mais quoique leur mutilation diffère dans ses causes, ils n’en vivent pas moins également les uns et les autres loin du commerce de la femme. Également, ai-je dit, non par l’intention, mais par le fait matériel. Ni l’eunuque ne peut voir une femme, ni le moine, qui s’est fait eunuque lui-même. Le fait est le même, non pas la fin. Ceux que l’Évangéliste a dit mutilés par la main des hommes, il ne leur accorde aucune récompense ; c’est pour eux affaire d’incapacité physique, et non de lutte. Mais tes autres, il leur décerne la couronne céleste, en disant « en vue du royaume des cieux. » Pourtant ni l’un ni l’autre n’a commerce avec la femme, mais l’un s’abstient forcément par impuissance ; l’autre est chaste par la puissance de sa volonté, il veut et il triomphe.

Et, quand les hommes peuvent par eux-mêmes de telles choses, quand ils peuvent raisonner, parler, accomplir tant d’autres actes, le Maître des anges ne pourra par lui-même absolument rien ? Qui supporterait un pareil langage ? N’entendez-vous pas saint Paul disant : « Dans une grande maison ne se trouvent pas seulement des vases d’or et d’argent, mais il y en a de bois et de terre, les uns pour l’honneur, les autres pour l’ignominie ; si quelqu’un se garde pur de ces choses, il sera un vase d’honneur, sanctifié et propre au service du Seigneur. » (2Ti 2,20-21)

3. Voyez-vous encore que c’est par eux-mêmes qu’ils se corrigent ? Car c’est là le sens du mot : « Si quelqu’un se garde pur. » Que signifie donc l’objection qui nous est faite ? Si je ne m’adressais qu’à des frères, j’aurais déjà tiré la conclusion ; mais puisque, j’ai affaire à des adversaires, à des ennemis, il me faut encore renverser leurs arguments. Examinons derechef la parole évangélique, pour en rendre le sens manifeste.

Que nous puissions par nous-mêmes et agir et parler, c’est ce que le raisonnement a assez démontré. Car s’il n’en était ainsi, nous ne serions pas récompensés pour nos bonnes œuvres. Interrogeons de nouveau l’hérétique. Que veut-il dire : « S’il n’a vu son Père faire quelque chose, il ne peut rien faire de lui-même ? » De cette parole prise à la lettre, mais non de son interprétation, ou plutôt non pas même de cette parole, mais de la fausse interprétation qu’en donnent les hérétiques, il résulte nécessairement qu’il a dû y avoir deux créations. – Comment ? Pourquoi ? – S’il n’a vu son Père faire quelque chose, disent-ils, il ne peut rien faire. Il faut donc de toute nécessité que les œuvres du Père aient été d’abord achevées, et puis qu’il y en ait d’autres du Fils, qu’il crée après avoir vu les premières. Car s’il n’a vu faire, il ne faut pas, disent-ils. Or, pour qu’il voie, il faut qu’il y ait des œuvres.

Eh bien, je vous prie, répondez-moi ! Je ne vois qu’un soleil, pourriez-vous m’en montrer deux, afin que j’attribue l’un au Père, l’autre au Fils ? Montrez-moi deux lunes, deux terres, deux mers, et ainsi du reste ? Vous ne le pourriez. Car il n’y a qu’un soleil. En quel sens donc ne fait-il rien, qu’il n’ait vu faire à son Père ? De qui voulez-vous que le soleil soit l’ouvrage ? Du Père ? Où est le soleil du Fils ? Du Fils ? Où est le soleil du Père, le modèle sur lequel le Fils en a fait un semblable ? Comment maintenir ce mot : « Tout a été fait par lui et sans lui rien n’a été fait ? » (Jn 1,3) Car si tout a été fait par lui, quel moment assigner à cette division de l’œuvre ? Voyez-vous quels raisonnements ! Comme vous vous percez de vos propres armes ! Comme le mensonge se dénonce lui-même !

Voilà comment, en exposant leur interprétation, je l’ai montrée se ruinant elle-même. Mais je leur demanderais volontiers encore Lequel a revêtu notre chair, et est descendu dans le sein d’une vierge ? Le Père ou le Fils ? Répondez. N’est-il pas clair pour tous que c’est le Fils unique de Dieu ? Paul dit : « Soyez dans le même sentiment où a été Jésus-Christ qui ayant la forme de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation d’être égal à Dieu, mais il s’est anéanti lui-même en prenant la forme de serviteur. » (Phi 2,5-7) Et : « Dieu a envoyé son Fils unique, né d’une femme, né sous la loi. » (Gal 4, 4) Toute l’Écriture, Ancien et Nouveau Testament, est remplie de témoignages à ce sujet, et les faits crient que le Fils unique s’est fait chair, et non pas le Père. Est-ce donc après avoir vu son Père prendre un corps, que le Fils unique a pris un corps ? Car il ne l’aurait pu s’il ne l’avait vu le faire. « Il ne peut rien faire de lui-même qu’il ne l’ait vu faire à son Père. » Quand donc aurait-il vu son Père prendre un corps ? Vous ne le pourriez dire. Et ne prétendez pas que ce soit là peu de chose. Car le fondement de notre salut est l’incarnation du Fils unique, sa descente au milieu de nous. Avant qu’il se fût fait homme, le mal régnait sur le monde, la nuit la plus profonde enveloppait tout, de tous côtés ce n’étaient que temples et autels pour les idoles, qu’odeur et fumée de sacrifices, que torrents de sang, et de sang non seulement de brebis et de bœufs, mais même d’hommes. « Ils sacrifiaient leurs fiels et leurs filles aux démons. » (Psa 106,3) Et ces crimes, qui les commettait ? Le peuple qui possédait des prophètes, qui connaissait la loi, qui avait joui de la vue de Dieu, qui avait été nourri au milieu de miracles sans nombre. S’il en était ainsi du peuple privilégié, demandez-vous ce qu’étaient les autres contrées de la terre, possédées des démons, soumises au mal, esclaves de toutes les passions, elles qui honoraient des morceaux de bois, adoraient des pierres, des montagnes, des collines, des forêts, des arbres, des lacs, des sources, des fleuves ? À quoi bon en dire davantage ? Les crimes des Juifs suffisent à nous faire juger du débordement du mal chez les autres nations. « C’étaient des chevaux en rut, et chacun d’eux hennissait après la femme de son voisin. » (Jer 5,8) « Le bœuf a reconnu son possesseur, l’âne l’étable de son maître, mais Israël ne m’a pas reconnu. » (Isa 1,3) « Des chiens muets, qui ne pouvaient aboyer. » (Isa 56,10) « Tu as pris la figure d’une courtisane ; tu as dépouillé publiquement toute pudeur. » (Jer 3, 3) « Il n’en est pas un qui comprenne, pas un qui cherche Dieu : tous ont détourné leurs regards, et aussitôt ils sont devenus « inutiles. » (Psa 14,2, 23) Et un autre : « En vain le fondeur fond l’argent au creuset leurs iniquités n’ont pas disparu. » (Jer 6,29) Un autre encore : « L’imprécation, le mensonge, le vol, le meurtre, l’adultère se sont répandus sur la terre, et le sang se mêle au sang. » (Ose 4,2) Un autre encore : « Si l’Éthiopien change sa peau, la panthère son pelage tacheté, ce peuple aussi pourra juger, ayant appris à discerner le mal. » (Jer 13,23) Et celui-ci : « Malheur, ô mon âme ! L’homme pieux a disparu de la terre, et le juste ne se rencontre plus parmi les hommes : tous jugent les mains dans le sang. » (Mic 7,2) Puis c’est Dieu : « Je hais, je repousse vos fêtes, et je n’accepterai pas l’odeur des victimes que vous immolez dans vos assemblées. » (Amo 5,4) Élie dit : « Ils ont renversé tes autels, et tué tes prophètes, et je suis resté seul, et ils me cherchent pour me tuer. » (1Ro 19,10) Et Dieu encore : « J’ai quitté ma maison, j’ai abandonné mon héritage, j’ai remis ma vie aux mains de mes ennemis. » (Jer 12,7) fuis David : « Ils ont immolé leurs fils et leurs filles aux démons, et ils ont versé un sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles. » (Psa 107,37.36)

4. Avez-vous vu la tyrannie du mal ? Ils sont devenus semblables à des chiens, à des chevaux, plus déraisonnables que des ânes, plus inintelligents que des bœufs, et leur folie a outragé la nature même. Mais après l’Incarnation du Christ, que dit l’Écriture : « Notre Père, qui êtes dans les cieux. » (Mat 6,9) Auparavant elle disait : « Va-t’en vers la fourmi ; paresseux (Pro 6,6) ; » mais après nous avons été élevés au rang, de fils, inscrits au ciel, et nous nous mêlons aux chœurs des anges, et nous prenons part à leurs chants, et nous rivalisons avec les puissances incorporelles. Les autels ont disparu, les temples ont été détruits. Les pierres nous ont paru des pierres, le bois, du bois ; les arbres, des arbres ; les sources, des sources. Le soleil de la justice a brillé (Mal 4,2) ; il nous a dévoilé la nature, ensevelie jusque-là dans la nuit par les ténèbres de l’erreur, et les ombres profondes de l’ignorance, qui troublaient et offusquaient notre vue. Depuis que de ses rayons le Soleil de la justice a dissipé les nuages épais de l’erreur, partout, règnent la lumière et le jour, ou plutôt l’étincelante clarté du plein midi. Les Perses, qui épousaient leurs mères, observent maintenant la virginité ! Ceux qui méconnaissaient leurs enfants et les égorgeaient, sont devenus des modèles de bonté, d’humanité ! Les loups ont pris la douceur des brebis ! Oui, et ceux mêmes qui étaient plus cruels que des loups ! Car le loup ne renie pas la nature : il reconnaît son petit ; or les hommes étaient plus féroces que les loups. Mais depuis l’Incarnation du Fils unique, et la dispensation de ses grâces, ils ont dépouillé leur férocité, et sont revenus à leur ancienne noblesse ; que dis-je, ils se sont élevés à la vertu des anges ! Auparavant les villes étaient pleines d’impiété : aujourd’hui le désert même apprend la sagesse avec les cabanes des moines, qui, dans les montagnes et les forêts, imitent la vie des anges, après avoir dépouillé la vie du siècle. Et qu’est-il besoin de paroles étudiées, quand les faits parlent eux-mêmes, et montrent avec une lumière plus éclatante que le soleil, les bienfaits qui ont inondé la terre après ce miraculeux et saint enfantement d’une vierge, après la rédemption du genre humain et l’Incarnation du Sauveur.

Eh bien ! cette œuvre si grande et si belle, il l’a faite de lui-même, et Paul nous le proclame, en disant : « Jésus-Christ, qui ayant la forme de Dieu n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation d’être égal à Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la forme de serviteur. » (Phi 2,6, 7) Entendez-vous, hérétiques ? « Il s’est anéanti lui-même. » Et dans un autre passage : « De même que le Christ nous a aimés, et s’est livré lui-même pour nous comme victime offerte à Dieu en odeur de suavité. » (Eph 5,2) Et il a été crucifié de sa propre volonté, et il s’est immolé lui-même ; aussi disait-il : « J’ai le pouvoir de déposer ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me l’enlève : je la dépose de moi-même. » (Jn 10,18) Que répondez-vous à cela, hérétiques, vous qui détournez du vrai sens le mot de l’Évangile : « Le Fils ne peut rien de lui-même ? » Le voilà en personne disant : « Je dépose la vie de moi-même, et je la reprends de moi-même. » Parole non de grande valeur, mais du plus grand poids ! Et du Père aussi, il est dit qu’il a pouvoir sur la vie et sur la mort. Voyez-vous comment vous êtes tombés dans vos propres filets ? Qu’avez-vous à répondre à ce mot : « Je la dépose de moi-même, et je la reprends de moi-même. » Comment donc entendez-vous qu’il ne fait rien de lui-même ?

Certes, comme je l’ai dit, si j’avais seulement à discuter avec les hérétiques, après les avoir ainsi mis dans l’embarras et pris dans leurs filets, je me retirerais, avec une victoire assez belle et un triomphe assez éclatant, dans la démonstration complète de leurs folies ! Mais je ne veux pas me borner à fermer la bouche à nos contradicteurs, je veux aussi instruire nos frères et fortifier les membres de notre Église : je ne m’en tiendrai donc pas là, je m’efforcerai d’aller plus avant ; je produirai un nouveau fait pour confondre l’impudence de nos adversaires. Que lisons-nous en effet ? « Le Père ne juge personne, c’est le Fils qui juge tous les hommes. » (Jn 5,22)

5. Je le demande donc aux hérétiques, si le Père ne juge personne, si c’est le Fils qui juge, comment juge-t-il ? Car s’il ne peut rien faire par lui-même, qu’il n’ait vu faire auparavant à son Père, si d’autre part, le Père ne jugeant pas, le Fils juge tous les hommes, comment peut-il faire ce qu’il n’a pas vu ? Et ne passons pas légèrement sur ce point : ce n’est pas une considération sans importance, mais un argument de la plus haute valeur. Songez en effet quelle œuvre immense ! Tous les hommes depuis Adam jusqu’à la consommation des siècles, Grecs, Juifs, hérétiques, fidèles égarés, les faire comparaître tous au jour suprême, et découvrir tout ce qu’ils ont tenu secret, actions, paroles, ruses, perfidies, et jusqu’à leurs plus mystérieuses pensées : et cela non par des témoignages, ni par des preuves, ni par dès figures, ni par des renseignements, ni par rien de ce genre : mais ne recourir qu’à sa propre puissance pour les confondre ! Et pourtant cette œuvre immense, il l’accomplit lui-même, sans avoir vu l’exemple de son Père, sans l’imiter ; car « le Père ne juge personne. »

Voyez-le encore en d’autres circonstances agir de sa propre autorité, soit pour opérer des miracles, soit pour porter des lois, soit pour tant d’autres choses. Quand il est monté sur la montagne, au moment de donner le Nouveau Testament, il dit : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : vous ne tuerez pas ; et celui qui aura tué méritera d’être, condamné par le jugement. Mais moi, je vous le dis : Tout homme qui se sera mis en colère sans raison contre son frère, méritera d’être condamné par le jugement. Vous avez appris qu’il a été dit œil pour œil, dent pour dent » « Mais moi je vous dis de ne pas rendre la pareille au méchant ; si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, tendez-lui l’autre. » (Mat 5,21-22, 38, 30) Qu’est-ce que ce langage ? – Celui qui ne fait rien par lui-même, redresse les paroles de soir Père, et améliore ses lois ? Et quand je dis : améliore, ne voyez pas dans ce, mot un blasphème, une atteinte à la puissance de Dieu. Si la loi première est moins bonne, ce n’est pas du fait de Dieu, mais du l’ait de ceux – qui ont reçu la loi. Du reste l’Ancien Testament est aussi l’œuvre du Fils unique, comme le Nouveau est aussi celle du Père : comment, dites-moi, ne fait-il rien de lui-même, lui qui ajoute à l’Ancien Testament et qui déploie une telle puissance ?

En vérité, y a-t-il rien de plus faible que l’hérésie ! Les Juifs demeuraient frappés de, stupeur, parce qu’il leur donnait ses enseignements : « comme ayant la puissance, et non à la manière des scribes et des pharisiens. » (Mat 7,28) Ainsi les Juifs rendent témoignage de sa puissance, et les hérétiques viennent protester qu’il rie peut rien de lui-même. Et les Juifs n’ont pas dit, comme devant avoir la puissance, mais bien : « comme ayant la puissance. » Car la puissance ne lui est pas venue dans la suite, mais il l’avait entière, sans qu’il y manquât rien. Aussi, interrogé sur son règne, disait-il : « Je suis né pour régner. » (Jn 18,37) Une autre fois on lui présente le paralytique, et, après lui avoir remis ses fautes : « Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a la puissance de remettre les péchés sur la terre, prends toit lit, lui dit-il, et va-t’en dans ta demeure. » (Mat 9,6) La foule disait : il fait tout, comme ayant la puissance ; mais lui : « Le Fils de l’homme a la puissance de remettre les péchés sur la terre », et encore. « J’ai la puissance de déposer ma vie, et la puissance de la reprendre. » (Jn 10,18)

Ainsi, il a la puissance de porter des lois, il a la puissance de remettre les péchés, il a la puissance sur la vie et sur la mort, et vous prétendez qu’il ne peut rien par lui-même ? – Est-il rien de plus éclatant que notre triomphe ?

6. Maintenant que nous en avons fini avec les hérétiques, si vous le voulez, arrivons à la conclusion : je veux vous montrer tout d’abord que ce mot : « Il ne peut », appliqué à Dieu, est une preuve, non de faiblesse, mais de force. Quelque surprenante que vous paraisse cette assertion, je ne vous en donnerai pas moins une démonstration éclatante. Si je dis que Dieu ne peut faillir, je ne l’accuse pas de faiblesse, mais je porte témoignage de sa puissance infinie. Si je dis que Dieu ne peut mentir, c’est encore même témoignage. Ainsi, Paul disait : « Si nous persévérons, nous régnerons avec lui ; si nous cessons de croire, lui-même demeure fidèle, car il ne peut se démentir. » (2Ti 2,11-13) Voyez-vous que ce mot : « il ne peut » est une marque de sa puissance.

Et pourquoi parler de Dieu ? Les choses matérielles elles-mêmes viennent à l’appui de mon raisonnement. Si je dis que le diamant ne peut se briser, est-ce de sa faiblesse ou de sa grande force que je témoigne ainsi ? Alors donc que vous entendez dire que Dieu ne peut faillir, que Dieu ne peut mentir ni se démentir, ne voyez pas dans cette parole une accusation de faiblesse, mais l’aveu d’une puissance infinie : c’est dire que son essence n’admet pas le mal, qu’elle est incorruptible, immaculée, supérieure.

Puisque voilà cette difficulté bien tranchée, tournons maintenant, sur notre propre sujet, l’effort de notre discours. « Le Fils ne peut rien faire par lui-même. » Que veut dire ce « par lui-même ? » Si vous l’entendez en son vrai sens, vous y verrez l’étroite union de Jésus avec son Père, l’identité de leur substance, en un mot la consubstantialité du Père et du Fils. Que signifie donc « Il ne peut rien par lui-même ? » Qu’il ne peut rien faire qui lui soit propre en dehors de son Père, rien de personnel, de distinct, rien d’étranger au Père, rien d’autre enfin que ce que fait le Père : car ce que fait l’un, l’autre le fait aussi. Donc le mot, il ne peut rien faire par lui-même, n’est la négation ni de sa liberté, ni de sa puissance, mais la manifestation de l’union du Père et du Fils, le témoignage de leur accord, de leur étroite union, le signe enfin de leur identité.

Car, comme il rompait le sabbat, et que les Juifs l’accusaient de violer la loi, en disant le Seigneur a ordonné une chose, et tu en fais une autre, il abat leur impudence par ces mots : Je n’ai rien fait que n’ait fait mon Père, je ne lui suis ni opposé, ni ennemi. S’il ne s’est pas exprimé en ces termes, s’il a revêtu sa pensée d’une enveloppe plus terrestre et plus épaisse, songez qu’il parlait à des Juifs, qui le prenaient pour l’ennemi de Dieu. Aussi pour qu’on ne pût le croire tel, ajoute-t-il aussitôt : « Les actes qu’il fait, le Fils les fait également. » (Jn 5,19) Or, s’il ne fait rien par lui-même, comment les fait-il également ? Faire n’est rien ; les apôtres faisaient à son exemple, ils réveillaient les morts, ils guérissaient les lépreux, mais non pas également, comme lui. Comment donc faisaient-ils ? Pourquoi vous attacher à nous, disent-ils, comme si nous avions fait marcher cet homme de notre propre autorité, par notre propre puissance ? (Act 3,12) Et Jésus ? « Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a la puissance de remettre les péchés sur la terre (Mrc 2,10 ; Luc 5,24) », et quand il s’agit de la résurrection des morts : « Comme le Père réveille les morts et les ressuscite, de même aussi le Fils ressuscite ceux qu’il veut. » (Jn 5,21) Il aurait suffi de dire : « de même ; » mais de surcroît pour rabaisser l’impudence de ses contradicteurs, il ajoute : « ceux qu’il veut », comme preuve de sa pleine puissance. C’est pour cela qu’après avoir dit : « Les actes que fait le Père », il n’ajoute pas, « le Fils les fait également. » « Car tout a été fait par lui, et sans lui rien ne s’est fait. » (Jn 1,3) Voyez-vous comme Jésus s’applique à faire comprendre l’accord, la liaison, l’union parfaite du Père et du Fils, en disant, non pas « des choses semblables », mais « les mêmes » que le Père, et « également. »

Aussi, même lorsqu’il a voulu se représenter sous un langage modeste, s’est-il encore exprimé avec les plus grandes précautions. Car il n’a pas dit, « S’il ne l’a appris de son Père », afin que vous n’alliez pas croire qu’il apprenne ; il n’a pas dit non plus, « S’il n’en a reçu l’ordre », afin que vous ne le soupçonniez pas d’avoir rang de serviteur, mais « s’il n’a vu son Père le faire. » Et cette parole même indique une étroite union avec le Père. Car s’il peut voir son Père agir, et comprendre comment il agit, il a la même substance. Nous avons bien souvent déjà démontré que nul ne peut voir une substance, ni la connaître pleinement, s’il n’est de même nature. Un ange apparaissant dans sa pure substance, est demeuré invisible à un homme, et encore était-ce un homme d’une grande vertu, Daniel. Aussi Jésus proclamait-il la vision de Dieu comme un privilège de sa nature. « Nul n’a jamais vu Dieu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, voilà celui qui a raconté Dieu. » (Jn 1,18) Et ailleurs : « Car personne n’a vu le Père, si ce n’est celui qui vient de Dieu, et celui-là l’a vu. » (Jn 6,46) Et pourtant combien d’autres, des prophètes, des patriarches, des justes, des anges l’ont vu ; mais il parle d’une vue parfaite.

Ne disons donc pas qu’il agit, lorsqu’il voit le Père agir : car que signifierait : « Tout a été fait par lui, et sans lui rien ne s’est fait ? (Jn 1,3) » et ceci : « Ce qu’il fait, le Fils le fait également ? » (Jn 5,19) Car s’il le fait également, comment ne le fait-il qu’après avoir vu le Père ? Il faudra donc, d’après votre raisonnement, que le Père lui-même ne fasse, qu’après avoir vu faire un autre : mais c’est le comble de la déraison et de la folie.

7. Mais pour ne pas prolonger notre discours à réfuter ces misérables absurdités, voici ce que nous ajouterons : C’est parce qu’il parlait à des Juifs qui l’accusaient d’être l’ennemi de Dieu et l’adversaire de ses lois, et qui tiraient cette accusation de ses actes, qu’il a donné à son langage une figure plus terrestre et plus matérielle, laissant aux oreilles intelligentes à y trouver un sens digne de Dieu, et redressant ceux qui comprenaient d’une manière plus grossière : Voilà pourquoi il a dit : « Les actes « qu’il fait, le Fils les fait également. » Ce n’est pas qu’il attende pour agir, jusqu’à ce qu’il ait vu agir son Père ; ce n’est pas qu’il ait besoin d’apprendre ; mais il voit l’essence même de son Père, et il la connaît complètement : « Comme mon Père me connaît, moi je connais mon Père. » (Jn 10,15) Et il fait et exécute tout de sa propre autorité, par l’intelligence et la sagesse qui lui appartiennent, sans avoir besoin d’apprendre ni de voir d’abord. Comment en aurait-il besoin, lui, l’image parfaite de son Père, lui qui fait tout de même que son Père, également, avec la même puissance ? Car en parlant de sa puissance, il a dit : « Mon Père et moi, nous sommes un. » (Jn 10,30) Ainsi instruits et éclairés par tout ce qui a été dit, évitons donc les réunions des hérétiques, demeurons à jamais attachés à la vraie foi, réglons avec soin notre vie et notre conduite sur les enseignements de la religion, pour obtenir les biens de la vie future, par la grâce et les bontés de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Fils, soient la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

HOMÉLIE XXXIX.

LE PÈRE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A DONNÉ AU FILS TOUT POUVOIR DE JUGER. – AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS, COMME ILS HONORENT LE PÈRE. (VERS. 22, 23, JUSQU’AU VERS. 30)

ANALYSE.

  • 1. Craindre le jugement dernier.
  • 2. Pourquoi Jésus-Christ use de paroles simples. – Sabellien enseignait qu’il n’y a qu’une seule personne en Dieu.
  • 3. Jésus-Christ parle souvent du jugement de la vie, de la résurrection, pourquoi ?
  • 4. Deux volontés en Jésus-Christ, comment?
  • 5. Dans l’étude de l’Écriture sainte ne rien passer, examiner les circonstances, sonder, peser tout, ne pas s’excuser sur son ignorance, sur sa simplicité. – Il est ordonné d’être prudent. – Pardonner aux autres, afin que le Seigneur nous pardonne : refuser le pardon aux autres, c’est se le refuser à soi-même. – Pardonner de môme que Jésus-Christ nous a pardonné. – Ce qu’il faut faire pour acquérir la vie éternelle. – Recommandation de l’aumône.

1. Il faut, mes très-chers frères, il faut en toutes choses user d’une grande attention ; car nous rendrons un compte exact, et de nos paroles et de nos œuvres. Nos affaires ne sont pas limitées dans tes bornes étroites de cette vie, mais une autre vie nous attend, et nous comparaîtrons tous au redoutable jugement du Seigneur. « Nous devons tous comparaître », dit saint Paul, « devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est « dû aux bonnes ou aux mauvaises œuvres « qu’il aura faites, pendant qu’il était revêtu « de son corps ». (1Co 5,10) Pensons toujours à ce tribunal ; c’est là le vrai moyen de nous appliquer toujours à la vertu. Comme celui qui écarte ce jour de son esprit, semblable à un cheval qui a pris le mors aux dents, se jette dans les précipices (le Psalmiste dit : « Ses voies sont souillées en tout temps », et il en donne la raison : « Vos jugements ne se présentent point devant sa vue ») (Psa 9,26) ; de même, celui qui craint le jugement, marchera avec modestie et sera retenu dans toutes ses actions : « Souvenez-vous de votre dernière fin », dit le Sage, « et vous ne pécherez point ». (Sir 7,40) Celui qui à présent nous remet nos péchés, alors sera notre juge ; celui qui est mort pour nous viendra juger ici tout le genre humain. Jésus-Christ « apparaîtra », dit encore saint Paul, « non pour expier le péché, « mais pour le salut de ceux qui l’attendent ». (Heb 9,28) C’est pourquoi le Sauveur dit ici : « Mon Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout pouvoir de juger, afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ». Quoi donc ! direz-vous, l’appellerons-nous le Père ? Dieu nous en garde ! Car il dit le Fils, afin que demeurant le Fils, nous l’honorions comme nous honorons le Père : celui au contraire qui l’appelle le Père, n’honore pas le Fils comme il honore le Père ; mais il confond tout. Comme donc les châtiments rappellent plutôt les hommes à leurs devoirs que les bienfaits, Jésus-Christ nous fait de terribles menaces, afin que du moins la crainte nous porte à l’honorer.

Lorsque Jésus-Christ dit : « Tout », il nous fait entendre qu’il a le pouvoir de punir et de récompenser, et de faire l’un et l’autre selon qu’il lui plaît. Il dit : « Il a donné », afin que vous ne pensiez pas qu’il n’est point engendré, et que vous ne croyiez pas qu’il y a deux Pères : car tout ce qu’est le Père, le Fils l’est aussi, demeurant engendré et Fils. Mais, pour ne vous laisser aucun, doute que ce mot : « Il a donné » signifie la même chose que : « il a engendré », il le déclare expressément ailleurs, en disant : « Comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d’avoir la vie en lui-même (26) ». Quoi donc ! le Père a-t-il premièrement engendré le Fils, et n’est-ce qu’ensuite qu’il lui a donné la vie ? Celui qui donne, donne à quelqu’un qui est : le Fils était-il donc engendré sans avoir là vie ? Mais les démons mêmes, tout démon qu’ils sont, ne sont point capables d’une pensée si abominable, où éclatent également et l’extravagance et l’impiété. Disons donc que, comme ce mot : « Il a donné la vie », est la même chose que : il l’a engendré vivant ; de même. « Il a donné le pouvoir de juger », signifie : il l’a engendré juge. Et de peur qu’entendant ces mots, qui marquent que le Père est le principe du Fils, vous ne pensiez qu’il y a une inégalité de substance entre l’un et l’autre, et une moindre dignité dans celui-ci, il vient lui-même vous juger, pour vous montrer son égalité. Car celui qui a le pouvoir de punir et de récompenser ceux qu’il veut, peut faire les mêmes choses que le Père. En effet, s’il n’avait pas un égal pouvoir, s’il n’avait reçu cet honneur que dans la suite, après avoir été engendré, quelle aurait été l’origine de cette élévation ? par quels degrés serait-il parvenu dans la suite à une si éminente dignité ? Ne rougissez-vous pas d’avoir des sentiments si bas et si charnels de cette nature immortelle qui ne peut recevoir aucun accroissement ?

Pourquoi, direz-vous, parle-t-il donc de la sorte ? Afin que les hommes croient plus facilement ce qu’il dit, et pour les préparer à entendre des choses plus élevées ; de là ce mélange des deux langages. Mais voyez et examinez bien comment il opère ce mélange, et pour cela il ne sera pas hors de propos de reprendre les choses dès le commencement. Il a dit « Mon Père agit, et j’agis aussi » ; et par là, il montre qu’il est égal à son Père et qu’il doit être également honoré : « Et les Juifs cherchaient à le faire mourir ». Que fait-il ensuite ? Il tempère, il adoucit ses paroles, mais il leur conserve le même sens, en disant : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même ». Après, il parle encore d’une façon plus élevée, et dit : « Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui ». Puis il baisse le ton : « Parce que le Père », dit-il, « aime le Fils et il lui montre tout ce qu’il fait, et il lui montrera des œuvres encore plus grandes que celles-ci ». Après quoi, il remonte : « Car comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ». Puis viennent des paroles basses mêlées avec des paroles élevées : « Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout a pouvoir de juger ». Ensuite le langage se relève : « Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ».

Ne remarquez-vous pas de quelle manière il varie son discours, par, l’admirable mélange des paroles et des idées élevées, avec des expressions et des choses plus basses et plus grossières, afin que les hommes d’alors les reçussent plus-facilement, et que ceux qui viendraient dans la suite des temps ne perdissent pas le fruit et l’avantage qu’ils en devaient retirer, mais qu’interprétant les expressions tout humaines au moyen de celles qui sont plus élevées et plus sublimes, ils eussent de Jésus-Christ l’opinion qu’on en doit avoir ? En effet, s’il n’en est pas ainsi ; si ce n’est point par condescendance que Jésus-Christ a parlé comme il l’a fait, comment expliquer les choses sublimes qui se trouvent mêlées à son langage ? Si celui qui doit parler de soi d’une manière grande et élevée reste au-dessous de ce qu’il pourrait dire, il donne lieu de croire que c’est par une sorte de ménagement qu’il en use ainsi. Mais si un homme qui doit parler de soi en des termes humbles et modestes, s’exprime avec pompe : pourquoi s’attribue-t-il, dira-t-on de lui, ce qui est au-dessus de sa nature et de sa condition ? Ce n’est plus esprit de ménagement, mais extrême impiété.

2. Si donc Jésus-Christ s’exprime quelquefois dans un langage si humble, nous pouvons en donner la juste raison, une raison convenable à sa divinité : nous dirons qu’il agit ainsi par condescendance, qu’il nous apprend de cette manière à être humbles et modestes, et que par là il pourvoit à notre salut ; il le déclare ailleurs par ces paroles : « Mais je dis ceci afin que vous soyez sauvés ». (Jn 5,34) Comme ne voulant point s’appuyer de son propre témoignage, ce qui eût été indigne, de sa grandeur et de sa dignité, il rapporte celui de Jean-Baptiste, il explique en même temps la raison pour laquelle il se sert de termes pareils, en disant : « Mais je dis ceci afin que vous soyez sauvés ».

Mais vous, qui prétendez qu’il n’a pas un pouvoir égal à celui du Père, que répondrez-vous quand vous lui entendrez dire qu’il aune, vertu, une puissance, une gloire égales à celles du Père ? Si, comme vous le soutenez, il est beaucoup inférieur au Père, pourquoi veut-il être honoré comme lui ? Car il ne se contente pas de dire ce que nous venons de rapporter ci-dessus ; et il ajoute : « Celui qui n’honore point le Fils, n’honore point le Père qui l’a envoyé ». (Jn 5,23) Remarquez-vous comment il joint l’honneur qui doit être rendu au Fils avec celui qu’on doit rendre au Père ? Et qu’est-ce que cela prouve, dira quelqu’un, nous voyons qu’il en fait autant à l’égard des apôtres : « Celui qui vous reçoit », dit-il, « me reçoit ? » (Mat 10,40) Mais là, il parle de la sorte pour montrer qu’il regarde comme fait pour lui ce qu’on fait pour ses serviteurs ; ici, il veut dire que la substance est la même et la gloire égale. De plus, il n’a point dit des apôtres qu’il faut les honorer ; mais, parlant de soi, il a dit formellement : « Celui qui n’ho« more point le Fils, n’honore point le Père ». Si de deux monarques régnant ensemble on en offense un, l’offense rejaillit aussi sur l’antre, et surtout si celui qui est offense est son fils ; que dis-je ? C’est outrager le roi que d’outrager un de ses soldats ; mais c’est l’outrager indirectement et non de la même manière. Ici, au contraire, tout est personnel. Si donc Jésus-Christ a pris soin de dire : « Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père » ; c’est pour que, lorsqu’il dira ensuite : « Celui qui n’honore point le Fils n’honore point le Père », vous compreniez qu’il s’agit d’un même honneur, d’un culte égal. Car il n’a pas dit simplement : Celui qui n’honore point ; mais : celui qui n’honore point en la manière que j’ai dis, n’honore point le Père.

Et comment, direz-vous, celui qui envoie et celui qui est envoyé sont-ils de – la même substance ? Quoi 1 vous revenez encore aux idées humaines et terrestres, et vous ne faites pas attention que Jésus-Christ n’a dit toutes ces choses que pour nous faire connaître le principe, pour nous empêcher de tomber dans l’erreur de Sabellius, et pour guérir, par ce remède, la maladie des Juifs, qui étaient tentés de voir en lui un ennemi de Dieu ; car ils disaient de lui : « Cet homme n’est point de Dieu ; cet homme n’est pas venu de Dieu ? » C’est donc pour leur ôter ce soupçon qu’il ne se servait point tant de paroles élevées que de paroles humaines et grossières. S’il disait souvent qu’il avait été envoyé ; ce n’était pas pour vous donner lieu de croire qu’il est inférieur au Père ; mais pour fermer la bouche aux Juifs. Voilà pourquoi souvent il s’autorise de son Père, tout en mêlant à ce témoignage sa propre autorité. S’il eût toujours parlé d’une manière conforme à sa dignité, les Juifs n’auraient point reçu sa parole, puisque souvent même, pour quelques paroles plus dignes de sa grandeur, ils le persécutaient et jetaient des pierres sur lui. Que si, en vue d’eux, il eût toujours dit des choses grossières et humiliantes, plusieurs, dans la suite, s’en seraient scandalisés, et cela aurait été préjudiciable à leur salut ; c’est pour cette raison que le Sauveur mêle dans sa doctrine du grand et du simple : du simple, comme j’ai dit, pour imposer silence aux Juifs ; du grand, pour dévoiler la dignité de sa personne et retirer de la basse idée qu’on avait de lui, ceux qui avaient du sens et de la raison, faisant assez connaître que les choses humaines et grossières qu’il disait, ne lui convenaient nullement : car être envoyé marque un passage d’un lieu à un autre. ET DIEU EST PARTOUT.

Pourquoi dit-il donc qu’il a été envoyé ? Jésus-Christ use de paroles plus grossières lorsqu’il veut montrer sors unité de sentiment et de volonté avec le Père. Et c’est pour la même raison qu’il tempère ce qui suit : « En vérité, en vérité je vous dis que celui qui entend ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle (24) ». Ne remarquez-vous pas que, pour détruire entièrement ce soupçon des Juifs, qu’il était contraire à Dieu, il répète très-souvent la même chose qu’ici, et dans ce qui suit, et par les menaces, et par les promesses, il leur ôte tout lieu de contester et de chicaner ; et qu’encore ici il se rabaisse extrêmement par la simplicité et la grossièreté des expressions dont il se sert ? Il n’a point dit : Celui qui entend ma parole et qui croit en moi ; ils auraient regardé ces paroles comme fastueuses et dictées par une vaine jactance. En effet, si, après leur avoir donné tout le temps de le connaître, après avoir opéré tant de miracles, il s’exposait, en usant de paroles élevées, à se faire accuser par eux d’orgueil et de vanité, à combien plus forte raison en eût-il été de même alors. C’est pourquoi ils lui disaient : « Abraham est mort et les prophètes aussi ; comment dites-vous : « Celui qui gardera ma parole ne mourra jamais ? » (Jn 8,51) Écoutez donc ce qu’il dit pour les empêcher de se laisser emporter à la colère : « Celui qui entend ma parole et qui croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». Ils devaient être plus disposés à écouter, en l’entendant dire que ceux qui l’écoutaient croyaient au Père : admettant cela volontiers, ils devaient être plus portés dès lors à croire tout le reste. C’est ainsi qu’en disant quelque chose de simple et d’aisé à comprendre, Jésus préparait le chemin aux vérités plus élevées et plus sublimes.

Jésus-Christ dit : « Il a la vie éternelle » ; à quoi il ajoute aussitôt : « Et il ne vient point en jugement, mais il est déjà passé de la mort à la vie ». Joignant ainsi ces deux choses ensemble, il gagne la confiance, il persuade, et parce qu’il disait qu’il fallait croire au Père, et parce qu’à celui qui croirait il lui promettait de grands biens. Au reste, ces paroles : « Il ne vient point en jugement », signifient : il n’est point condamné, il n’est point puni ; la « mort » ne doit point s’entendre de la mort naturelle, mais de la mort éternelle ; et de même pour la vie, il ne s’agit point de la vie terrestre, mais de la vie immortelle.

« En vérité, en vérité, je vous dis que l’heure vient et qu’elle est déjà venue, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et que ceux qui l’entendront vivront (2) ». Jésus-Christ prouve ce qu’il dit par les œuvres mêmes, car ayant dit : « Comme le Père ressuscite les morts et leur rend là vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît » ; afin qu’on ne pense pas que c’est par orgueil et par vanité qu’il parle de la sorte ; ce qu’il avance, il le prouve par les œuvres en disant : « L’heure vient ». Ensuite, pour que vous ne croyiez pas qu’il y aura beaucoup à attendre, il ajoute : « Et elle est déjà venue, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et que ceux qui l’entendront vivront ». Ne voyez-vous pas ici, mes frères, cette autorité et cette puissance ineffable ? Ce qui arrivera dans la résurrection, dit-il, arrivé de même dès maintenant. Alors la voix éclatante de celui qui commande s’étant fait entendre, tous ressusciteront. « Au signal que Dieu aura donné », dit l’Écriture, « les morts ressusciteront ». (1Th 4,46) Et qu’est-ce qui prouve, direz-vous, que ce ne sont point là de vaines et de fastueuses paroles ? Ce qui suit : « L’heure est déjà venue ». Si Jésus-Christ n’avait prédit que des choses éloignées, on aurait été dans le doute et dans la défiance ;.mais il fournit le moyen de vérifier ce qu’il avance. Moi demeurant, vivant avec vous, dit-il, cela arrivera. S’il n’eût pas eu le pouvoir de réaliser sa promesse, il n’aurait pas promis, de peur de paraître ridicule à tout le monde. Ensuite, ce qu’il a dit, il l’explique par ces paroles : « Car, comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d’avoir la vie en lui-même (26) »

3. Faites bien attention à ceci, mes frères, que Jésus-Christ établit l’égalité et met cette seule différence entre le Père et le Fils, que l’un est le Père, l’autre le Fils ; car ce mot : « Il a donné », met seul cette différence ; mais il montre que tout le reste est égal et pareil. D’où il est visible que Jésus-Christ fait tout avec la même puissance et par la même vertu que le Père, et qu’il n’emprunte point d’ailleurs cette vertu. En effet, la vie, qu’il a, il l’a de même que le Père. Voilà pourquoi il ajoute encore ce qui suit, pour nous le faire comprendre. Quoi ? « Et il lui a donné le pouvoir de juger (27) ».

Et pourquoi Jésus-Christ parle-t-il si fréquemment de la résurrection et du jugement ? « Car » ; dit-il, « comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ». Et, encore : « Le Père ne juge personne : mais il a donné au Fils tout pouvoir de juger ». Et derechef « Comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d’avoir la vie en lui-même ». Et : « Ceux qui entendront la voix du Fils de Dieu, vivront ». Et en cet endroit-ci : « Il lui a donné même le pouvoir de juger ». Pourquoi donc parle-t-il si souvent de ces choses, à savoir, du jugement, de la vie, de la résurrection ? Parce que c’est là principalement ce qui peut toucher et amollir le cœur le plus dur et le plus obstiné. Celui, en effet, qui croit qu’il doit ressusciter, et qu’il sera puni de ses crimes, cette foi seule à la résurrection et au jugement, à défaut de tout témoignage visible, suffira sans doute pour qu’il accourre à Jésus-Christ, afin de se rendre son juge propice et favorable.

« Ne vous étonnez point que ce soit le Fils de l’homme (27) ». Paul de Samosate ne lit pas de même ; voici comme il lit : « Il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu’il est le Fils de l’homme ». Mais le texte, lu de cette façon, n’a ni suite ni sens. Jésus-Christ n’a pas reçu ce pouvoir de juger, parce qu’il est homme. Autrement, qu’est-ce qui empêcherait que tous les hommes ne fussent juges ? Mais le Fils est engendré de l’ineffable substance du Père ; voilà pourquoi, il est juge. Voici donc comment il faut lire : « Ne vous étonnez point que ce soit le Fils de l’homme ». Jésus-Christ paraissait à ses auditeurs dire des choses qui se contredisaient, et ils ne le regardaient que comme un homme ;, toutefois, ses paroles leur semblaient être au-dessus de l’homme, ou plutôt au-dessus des anges, et ne pouvoir venir que d’un Dieu ; pour résoudre donc l’objection et la détruire, il a ajouté : « Ne vous étonnez point que ce soit le Fils de l’homme, car le temps vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du, Fils de Dieu (28) : Et « ceux qui auront fait de bonnes œuvres sortiront des tombeaux pour ressusciter à la vie ; mais ceux qui en auront fait de mauvaises en sortiront pour ressusciter à leur condamnation ».

Et pourquoi n’a-t-il pas dit : Ne vous étonnez point que ce soit le Fils de l’homme, car il est, aussi le Fils de Dieu ; et n’a-t-il parlé que de la résurrection ? La qualité de Fils de Dieu, il, l’avait déjà établie plus haut en disant : « Ils entendront la voix du Fils de Dieu ». S’il ; l’omet ; ici, n’en soyez pas surpris. Ayant parlé d’une œuvre qui et propre à Dieu, il a laissé à ses auditeurs à inférer de là qu’il est et Dieu et Fils de bien. S’il t’eût souvent répété, il les aurait rebutés et rendus plus opiniâtres ; mais confirmant ainsi sa doctrine par ses miracles, il amenait les Juifs à la recevoir avec moins de peine. C’est ainsi que souvent, dans le raisonnement, lorsqu’il suffit de poser les prémisses pour convaincre, on ne tire pas soi-même la conclusion, on dispose mieux l’auditeur, on remporte une plus glorieuse victoire, en forçant l’adversaire à tirer lui-même la conséquence : de cette Façon, ceux qui soutenaient l’opinion opposée ont moins de peine à donner raison à leur contradicteur.

Lorsque Jésus-Christ a parlé de la résurrection de Lazare, il n’a point fait mention du jugement, parce que ce n’est point pour ce sujet qu’il l’a ressuscité. Au contraire, lorsqu’il a parlé de la résurrection générale des morts, il a ajouté ceci : que ceux qui auront fait de bonnes œuvres, ressusciteront pour vivre éternellement ; mais que ceux qui en auront fait de mauvaises, ressusciteront pour être condamnés. Saint Jean a stimulé de même son auditeur ; soit en lui rappelant le jugement dernier, soit en disant que celui qui ne croit pas au Fils, ne verra point la vie, mais que la colère de Dieu demeurera sur lui. (Jn 3,26) De même Jésus-Christ a dit à Nicodème « Celui qui croit au Fils n’est pas condamné : mais celui qui ne croit pas est déjà condamné ». (Id 18) De même, ici encore, il fait mention et du jugement et du supplice auquel seront condamnés ceux qui auront fait le mal. Comme il avait dit auparavant : « Celui qui écoute ma parole, et qui croit à celui qui m’a envoyé, n’est point jugé
i e. Condamné.
», de peur qu’on ne crût qu’il suffisait de croire pour être sauvé, il ajoute qu’on rendra compte de la vie : ceux qui auront fait de bonnes œuvres ; ressusciteront pour la vie : ceux qui en auront fait de mauvaises, ressusciteront pour, être condamnés. Comme donc il avait dit que tout le monde lui rendrait compte, et qu’à sa voix tous ressusciteraient, vérité jusqu’alors certainement inconnue, à laquelle on ne s’attendait, pas, à laquelle encore aujourd’hui plusieurs ne croient point, même parmi ceux qui semblent y croire, et à plus forte raison les Juifs de ce temps : comme donc Jésus-Christ avait dit que tous lui rendraient compte, que, tous ressusciteraient, écoutez et observez de quelle manière il l’annonce pour s’accommoder à la faiblesse de ses auditeurs : « Je ne puis », dit-il, « rien faire de moi-même, je juge selon ce que j’entends, et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé (30) ». Toutefois il n’avait pas donné une faible preuve de la résurrection, lorsqu’il guérit le paralytique. C’est pourquoi il n’en, a parlé qu’après avoir opéré cette guérison, qui ne différait pas beaucoup d’une résurrection : Quant au jugement, il y a fait allusion après avoir rétabli le corps du paralytique, en disant : « Vous voyez que vous êtes guéri, ne, péchez plus à l’avenir, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pire ». (Jn 5,14) Cependant il prédit, et la résurrection particulière de Lazare, et la résurrection générale. Et ayant prédit ces deux résurrections, celle de Lazare qui devait bientôt arriver, et celle de tous les hommes qui ne devait arriver que très-longtemps après, il confirme la proximité de la première par la guérison du paralytique, en disant : « L’heure vient, et elle est déjà venue », et il annonce la résurrection générale par celle de Lazare, exposant aux yeux des hommes une image des choses à venir dans celles qui se sont déjà passées. Nous le voyons agir ainsi constamment : lorsqu’il fait deux ou trois prédictions ; celle dont l’événement est le plus éloigné, il la persuade par ce qui est déjà arrivé.

4. Jésus-Christ, connaissant donc que les Juifs étaient extrêmement faibles et grossiers, ne s’est point contenté des premières instructions qu’il leur avait déjà données, ni des premières œuvres qu’il avait opérées devant eux ; mais, pour vaincre leur obstination et leur dureté, il ajoute à cela de nouvelles paroles, et dit : « Je ne puis rien faire de moi-même : Je juge selon ce que j’entends, et mon jugement est juste ; parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé ». Mais sa doctrine devait paraître nouvelle, étrangère, différente de celle que les prophètes avaient enseignée ; car les prophètes disaient que c’est Dieu qui juge toute la terre, c’est-à-dire le genre humain : David le publie partout : « Il jugera », dit-il, « les peuples dans l’équité » (Psa 96,12) ; et « Dieu est un juge » également « juste, fort et patient » (Psa 7,12) ; tous les prophètes et Moïse le déclarent de même. Jésus-Christ, au contraire, disait : « Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout pouvoir de juger ». Comme donc cette doctrine pouvait troubler le Juif qui l’entendait, et le porter à soupçonner Jésus d’être contraire à Dieu, voilà, dis-je, pourquoi il se rabaisse si fort, c’est-à-dire autant que le demandait leur faiblesse, afin d’arracher jusqu’à la racine ce pernicieux soupçon de leur esprit ; voilà pourquoi il dit : « Je ne puis, rien, faire de moi-même » ; c’est-à-dire, vous ne me verrez rien faire, ou vous ne m’entendrez rien dire qui soit contraire à la volonté du Père, qui soit différent de ce qu’il veut. De plus, comme il a dit auparavant qu’il était le Fils de l’homme et montré que les Juifs le prenaient pour un homme pur et simple, il fait de même en cet endroit. Comme donc encore, lorsqu’il dit ci-dessus : « Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu » (Jn 3,11) ; et saint Jean : « Il rend témoignage de ce qu’il a vu, et personne ne reçoit son témoignage » (Id 32) ; il parle d’une connaissance certaine et intime du Père à l’égard du Fils, et du Fils à l’égard du Père, et non pas simplement de celle qu’on acquiert par l’ouïe et par la vue ; de même ici, par l’ouïe il n’entend autre chose, sinon qu’il ne peut faire que ce que veut le Père. Mais il ne l’a pas expliqué si clairement, parce que s’il l’avait ouvertement déclaré, les Juifs auraient été incapables encore d’ajouter foi à ses paroles.

Mais de quelle manière s’énonce-t-il ? En des termes très-simples et très-humains : « Je juge selon ce que j’entends », il ne fait pas mention d’enseignement de la doctrine ; il ne dit pas : selon ce qu’on m’enseigne, mais : « selon ce que j’entends ». Et encore ce n’est pas qu’il ait besoin d’entendre ; car non seulement il n’avait pas besoin d’être instruit, mais pas même d’entendre. Par ces paroles donc, il ne montre autre chose, sinon la parfaite union qui est entre le Père et le Fils, et l’identité de leur jugement ; c’est comme s’il disait : je juge de même que si c’était le Père qui jugeât. Après quoi Jésus-Christ ajoute : « Et je sais que mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé (30) ». Que dites-vous, Seigneur ? Avez-vous une autre volonté que la volonté du Père ? Ailleurs, vous avez dit : « Comme vous et moi nous sommes un ». (Jn 17,21-22) Et encore, parlant de la volonté et de l’union : « Comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous ; qu’ils soient de même un en nous (Id) », c’est-à-dire, par la foi en nous.

Ne remarquez-vous pas, mes frères, que ce qui paraît le plus simple, renferme sous cette écorce un sens sublime et très-élevé ? Voici ce que Jésus-Christ nous apprend : il nous fait connaître que la volonté du Père n’est point différente de la sienne : la volonté du Père ; dit-il, et la mienne sont aussi bien une que celle d’une seule âme est une. Et ne vous étonnez pas s’il dit que cette union est étroite à ce point, puisque saint Paul, parlant du Saint-Esprit, se sert du même exemple, et dit : « Qui des hommes connaît ce qui est en l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? Ainsi nul ne tonnait ce qui est en Dieu, que l’Esprit de Dieu ». (1Co 2,11) Jésus-Christ ne veut donc dire autre chose, sinon ceci : Je n’ai point de volonté propre, ni d’autre volonté que la volonté du Père mais s’il veut quelque chose, je le veux aussi, et si je veux quelque chose, il le veut de même. Comme donc personne ne peut blâmer le Père dans ses jugements, personne ne peut me blâmer dans les miens : la même pensée forme et produit l’un et l’autre jugement. Que si, en disant ces choses, Jésus-Christ emprunte la manière de parler des hommes, n’en soyez pas surpris ; c’est parce que les Juifs le prenaient pour un homme ordinaire. C’est pourquoi, dans ces endroits, il ne faut pas seulement faire attention aux paroles, mais encore à l’opinion des hommes, et regarder la réponse comme étant donnée en conformité de cette opinion : autrement il s’ensuivrait bien des absurdités.

Observez ceci, je vous prie. Le Sauveur a dit : « Je ne cherche point ma volonté ». Il a donc une autre volonté, et de beaucoup inférieure ; et non seulement inférieure, mais aussi moins utile. Si cette volonté est salutaire et conforme à celle du Père, pourquoi ne la cherchez-vous pas ? Les hommes peuvent dire cela avec justice, eux qui ont plusieurs volontés contraires à la volonté de Dieu : mais vous, pourquoi parlez-vous de la sorte, vous qui êtes en tout égal et semblable au Père ? Ce langage ne convient pas même à un homme parfait, à un crucifié. Saint Paul se lie et s’unit si étroitement à la volonté de Dieu, qu’il dit : « Je vis, « ou plutôt ce n’est plus moi qui vis ; mais « c’est Jésus-Christ qui vit en moi ».(Gal 2,20) ; comment le Maître de tout le monde a-t-il pu dire : « Je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé », comme s’il s’agissait d’une autre volonté ? Quelle explication donc faut-il donner à ces paroles ? Celle-ci : Jésus-Christ parle comme homme, et selon l’opinion de ses auditeurs. Comme il a parlé ci-dessus tantôt comme Dieu, et tantôt comme homme, il dit encore ici, comme homme : « Mon jugement est juste ». Et d’où cela parait-il ? De ce qu’il dit : « Parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé ». En effet, comme on ne peut justement accuser un homme qui est exempt de passion d’avoir jugé contre les règles de la justice ; de même à présent vous ne pouvez nie faire aucun reproche. Que celui qui veut établir sa fortune, on le soupçonne d’avoir foulé aux pieds la justice, peut-être y a-t-il quelque raison, quelque fondement ? mais celui qui ne cherche pas ses propres intérêts, quelle raison mirait-il de juger injustement ? Servez-vous donc de ce raisonnement pour juger de ma doctrine et de mes œuvres. Encore si je disais que je n’ai pas été envoyé par le Père, et si je ne lui rapportais pas la gloire de mes actions, peut-être quelqu’un de vous pourrait-il penser que je me vante, et que je ne dis pas la vérité ? Mais si tout ce que je fais, je le rapporte à un autre, pourquoi ma parole vous serait-elle suspecte ? Ne voyez-vous pas où en vient Jésus-Christ, et comment il prouve que son jugement est juste par un argument d’un usage vulgaire et général ? Ne voyez-vous pas avec quelle clarté et quelle lumière se montre ce que j’ai souvent dit ? Et qu’est-ce que j’ai dit ? Que l’excès même de grossièreté qu’il y a souvent dans les paroles du Sauveur est justement ce qui porte les hommes de sens à ne point s’arrêter aux basses idées qu’elles présentent d’abord, et à les expliquer dans un sens plus élevé et plus sublime ; par là, ceux qui maintenant rampent à terre, sont amenés peu à peu, et sans peine, à s’élever plus haut.

5. Faisons attention à toutes ces choses, je vous prie, et, dans la lecture de l’Écriture sainte, n’omettons rien, ne passons pas la moindre parole ; mais examinons tout avec soin, et considérons bien la raison de chaque parole. Ne croyons pas pouvoir nous excuser sur notre ignorance ou sur notre simplicité. Jésus-Christ ne nous a pas seulement ordonné d’être simples, mais encore d’être prudents (Mat 10,16) Usons donc de simplicité, mais joignons à cela la prudence, soit dans l’étude de la doctrine, soit dans nos actions, et jugeons-nous nous-mêmes, afin qu’au jour du jugement nous ne soyons pas condamnés avec ce monde (1Co 11,31-32). Tels que nous désirons que Notre-Seigneur soit à notre égard, tels soyons nous-mêmes à l’égard de nos serviteurs. « Remettez-nous nos dettes », dit l’Écriture, « comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ». (Mat 6,12) Je le sais fort bien, que le cœur ne souffre pas volontiers les injures ; mais si nous faisons réflexion qu’en les supportant courageusement, ce n’est pas pour celui qui nous offense que nous agissons, mais pour nous-mêmes, promptement nous chasserons le poison de la colère. En voici un exemple : Celui qui ne remit pas à son débiteur sa dette de cent deniers (Mat 18,24), ne fit pas tort au prochain, mais il se rendit lui-même débiteur de cent mille talents dont on venait de lui remettre la dette.

Ainsi, lorsque nous ne pardonnons pas aux autres, c’est à nous-mêmes que nous refusons le pardon. Ne disons donc pas seulement à Dieu : Seigneur, ne vous souvenez point de nos offenses ; mais disons-nous aussi chacun de nous à nous-mêmes : Ne nous souvenons pas des offenses de nos compagnons. Vous êtes votre premier juge, Dieu ne l’est qu’après vous. Vous-même vous écrivez la loi qui vous absout ou qui vous condamne : vous-même vous prononcez la sentence d’absolution ou de condamnation ; il dépend donc de vous que Dieu se souvienne de vos péchés, ou qu’il ne s’en souvienne pas. Voilà pourquoi saint Paul commande de remettre et de pardonner, si l’on a quelque grief contre quelqu’un (1Co. 6) ; et non seulement de tout remettre, de tout oublier, mais encore d’étouffer tout ressentiment, en sorte qu’il n’en reste pas la moindre étincelle. Jésus-Christ non seulement n’a pas publié nos péchés, mais il ne nous en a même pas rappelé le souvenir ; il ne nous a pas dit : Vous avez péché en cela et en cela ; mais il nous à pardonné, il a effacé la cédule qui nous était contraire (Col 2,14), il n’a pas même tenu compte de nos péchés, comme le déclare saint Paul.

Faisons de même, mes frères ; effaçons tout de notre esprit. Si celui qui nous a offensés nous a fait quelque bien, n’ayons égard qu’à ce bienfait ; s’il nous a fait du mal, éloignons-en le pénible souvenir, effaçons-le, qu’il n’en reste pas la moindre trace dans notre mémoire. S’il ne nous a jamais fait aucun bien, et que nous lui pardonnions alors généreusement son offense, la récompense et la louange que nous obtiendrons en retour en seront d’autant plus grandes. D’autres expient leurs péchés par les veilles, en couchant sur la dure, et par mille autres macérations ; pour vous, vous pouvez laver tous vos crimes par une voie plus aisée, à savoir, par l’oubli des injures. Pourquoi, comme un furieux et un insensé, vous plongez-vous le poignard dans le sein, et vous excluez-vous vous-même de la vie éternelle, au lieu de faire tous vos efforts pour l’acquérir ? Si la vie actuelle vous paraît si désirable, que direz-vous donc de celle d’où sont bannies là douleur, la tristesse, les larmes (Apo 20,4) ? où l’on n’a point à craindre la mort, ni la perte des biens que l’on possède ? Heureux, et trois fois heureux ceux qui jouissent de ce bienheureux partage ! Malheureux, et mille fois malheureux ceux qui se privent eux-mêmes de ce bonheur !

Et qu’est-ce qui nous procurera cette vie ? demanderez-vous. Écoutez ce que répondit notre juge à un jeune homme qui lui faisait cette question : « Quel bien faut-il que je fasse « pour acquérir la vie éternelle ? » (Mat 19,16) Jésus-Christ, après lui avoir énuméré les autres commandements, finit par celui de l’amour du prochain. Peut-être quelqu’un de mes auditeurs me répondra comme cet homme riche : Nous avons gardé tous ces commandements, nous n’avons point dérobé, nous n’avons point tué, nous n’avons point commis d’adultère : mais vous ne pourrez pas dire que vous ayez aimé votre prochain, comme vous le deviez ; car, ou vous lui avez porté envie, ou vous l’avez outragé, ou vous ne l’avez pas secouru quand on l’a maltraité, ou vous ne lui avez pas fait part de vos biens : vous ne l’avez pas aimé. Au reste, ce n’est point là seulement ce que Jésus-Christ commande ; il y a une autre chose encore, et quoi ? « Vendez tout ce que vous avez et le donnez aux pauvres : puis venez et suivez-moi ». (Mat 19,21) C’est-à-dire : Imitez-moi dans votre conduite.

Qu’apprenons-nous de là ? Premièrement, que celui qui n’a pas toutes ces qualités et ne possède pas toutes ces vertus, ne pourra point être placé dans le royaume des cieux au rang des premiers. Ce jeune homme ayant répondu : J’ai gardé tous ces commandements, comme s’il lui manquait encore quelque chose de grand pour atteindre à la perfection, Jésus lui dit : « Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres : puis venez et suivez-moi ». Voilà donc ce qu’il faut premièrement, apprendre ; secondement, que Jésus le reprit de s’être donné de vaines louanges. En effet, cet homme qui avait de grands biens, et qui laissait les pauvres dans la détresse, comment aurait-il aimé son prochain ? Il ne disait donc pas vrai.

Mais nous, sachons remplir toutes nos obligations, et répandons tous nos biens pour acquérir le ciel. Si quelques-uns prodiguent tous leurs biens pour se procurer une dignité séculière, une dignité, dis-je qu’on ne peut posséder que dans cette vie, et encore fort peu de temps : car longtemps avant leur mort plusieurs ont été dépouillés de leur magistrature ; d’autres, à l’occasion de cette charge, ont même perdu la vie ; on le sait, et toutefois on emploie tout pour s’y élever : si donc il n’est rien, qu’on ne tente pour acquérir ces sortes de dignités, quoi de plus misérable que nous, qui ne voulons pas faire la moindre dépense, ni donner ce que nous allons perdre dans peu et laisser ici-bas, pour acquérir une dignité permanente, éternelle, et qu’on ne pourra jamais nous ravir ? Quelle étrange manie ! ce qu’on va nous arracher malgré nous, nous ne voulons pas le donner de bon gré, et l’emporter avec nous ? Ah ! certes, si quelqu’un, nous conduisant à la mort, nous proposait de racheter notre vie pour tous nos biens, nous l’accepterions bien vite, et nous ferions encore de grands remerciements. Et maintenant que, près d’être plongés dans les abîmes de l’enfer, on nous propose de nous en racheter, en donnant seulement la moitié de nos biens, nous aimons mieux être ensevelis dans ce lieu de supplices, et garder inutilement ce qui ne nous appartient pas, pour perdre ce qui est véritablement à nous. Quelle excuse aurons-nous à donner ? Quelle pitié, quelle compassion mériterons-nous, si, ayant négligé d’entrer dans ce chemin aisé et facile ; qui se présentait si heureusement à nous, nous aimons mieux nous précipiter dans la fatale route qui conduit à l’abîme, et nous priver nous-mêmes de tous les biens de cette vie et de tous ceux de la vie future, lorsque nous aurions pu librement jouir et des uns et des autres ? Mais si, jusqu’à présent, nous n’avons point réfléchi sur ces importantes vérités, rentrons du moins maintenant en nous-mêmes, et faisons sagement une juste dispensation des biens présents, afin que nous puissions facilement acquérir les biens à venir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XL.

SI JE RENDS TÉMOIGNAGE DE MOI, MON TÉMOIGNAGE N’EST PAS VÉRITABLE. – IL Y EN A UN AUTRE QUI REND TÉMOIGNAGE DE MOI : ET JE SAIS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VÉRITABLE. (VERS. 31, 32, JUSQU’AU VERS. 38)

ANALYSE.

  • 1. Explication très-simple et très-satisfaisante d’un texte qui, au premier abord, semble difficile.
  • 2. Témoignage de, Jean en faveur de Jésus-Christ, et témoignage des œuvres de Jésus-Christ.
  • 3. Témoignage de Dieu le Père.
  • 4. Combattre les hérétiques par les saintes Écritures. – L’avarice est la racine de tous les maux : belle peinture des maux que cause ce vice. – Nul ne peut servir deux maîtres : Dieu et les richesses. – De quelle manière il faut faire l’aumône. – Combien le jugement dernier sera rigoureux pour ceux qui ont été inhumains et cruels envers les pauvres.

1. Si un homme ignorant dans l’art de fouiller dans les mines, s’avise d’en ouvrir une et d’y vouloir travailler, au lieu de s’enrichir, il ne fera que tout brouiller au hasard, et son travail sera infructueux, ou plutôt très-nuisible : de même, ceux qui ne connaissent pas l’enchaînement des choses que contiennent les livres sacrés, qui n’examinent point la propriété des paroles et du langage, et n’observent pas les règles, mais qui se contentent de tout parcourir uniformément, ceux-là mêlent l’or avec la terre, et ne trouveront jamais le trésor qu’elle garde en dépôt dans son sein.

Je dis ceci, mes frères, parce que le texte qu’on nous propose est à la vérité tout d’or ; mais cet or, loin d’être apparent, est, au contraire, caché à de grandes profondeurs. C’est pourquoi il faut, en fouillant et en déblayant, tâcher de pénétrer jusqu’au vrai sens. Qui est-ce, en effet, qui ne sera pas sur-le-champ saisi et tout troublé en entendant Jésus-Christ dire : « Si je rends témoignage de moi, mon « témoignage n’est pas véritable ? » En effet, il rend souvent témoignage de lui-même : il a dit à la Samaritaine : « C’est moi-même qui vous parle » (Jn 6,26) ; il a dit à l’aveugle-né : « C’est celui-là même qui parle à vous » (Jn 9,37) ; et faisant une réprimande aux Juifs, il leur dit : « Pourquoi dites-vous que je blasphème, parce que j’ai dit que je suis Fils de Dieu ? » (Jn 10,36), et de même en plusieurs autres endroits. Or, si toutes ces choses étaient des mensonges, quelle espérance pourrions-nous avoir de nous sauver ? où donc trouverons-nous la vérité, puisque celui qui est la vérité même, dit : « Mon témoignage n’est pas véritable ? » Et ce n’est pas seulement ce texte qui semble en contradiction avec le précédent ; il y en a un autre encore qui ne le paraît pas moins. Jésus-Christ dit, dans la suite : « Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable ». (Jn 8,24) Lequel donc de ces deux textes recevrai-je ? Lequel des deux croirai-je aux ? Si nous les admettons indifféremment sans examiner quelle est la personne qui parle, quel est le sujet, et toutes les autres circonstances, ils se trouveront faux l’un et l’autre. Si le témoignage de Jésus-Christ n’est pas véritable, ceci ne l’est pas non plus ; et le premier texte, pas plus que le second.

Quel est donc ici le sens ? Nous avons besoin de beaucoup de vigilance et d’attention, ou plutôt de la grâce de Dieu, pour ne pas nous arrêter à l’écorce et à la lettre toute nue. C’est ainsi que se trompent les hérétiques, faute d’examiner quel est le but, quelle est l’intention de celui qui parle ; et aussi quel est l’esprit, quelles sont les dispositions de ceux à qui l’on adresse la parole. Si nous ne faisons donc attention à ces deux choses, à la personne qui parle et à ceux à qui on parle, et même à d’autres encore, comme au temps, au lieu, à l’esprit et aux dispositions des auditeurs, il s’ensuivra bien des absurdités. Que signifient donc ces paroles qu’on vient d’exposer ? Les Juifs ne pouvaient manquer de dire : « Si vous rendez témoignage de vous-même, votre témoignage n’est pas véritable ». Voilà pourquoi Jésus-Christ les arrête tout court et les prévient, en leur disant, à peu de choses près Vous me direz sans doute, nous ne vous croyons point : car parmi les hommes nul ne croit celui qui se rend témoignage à lui-même. Il ne faut donc pas passer légèrement sur ce mot : « Il n’est pas véritable », mais il faut sous-entendre : selon leur opinion ; c’est comme s’il disait : selon vous, il n’est pas véritable. Jésus-Christ ne dit donc rien de contraire à sa dignité, mais il parle selon leur opinion. Et quand il dit : « Mon témoignage n’est pas véritable », il leur reproche leur sentiment, et prévient l’objection qu’ils lui allaient faire. Mais lorsqu’il dit : « Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable », il découvre la vérité, telle qu’elle est, à savoir, qu’étant Dieu, il faut le croire digne de foi, lors même qu’il se rend témoignage à lui-même. Ayant prédit la résurrection des morts et le jugement, ayant dit que celui qui croit en lui n’est pas condamné, mais qu’il est déjà passé de la mort à la vie, qu’assis à son tribunal il fera rendre compte à tous les hommes de toutes leurs œuvres, et qu’il a la même puissance et la même vertu que le Père, pour confirmer toutes ces vérités par de nouveaux arguments, il est dans l’obligation d’exposer premièrement l’objection des Juifs.

Et voici comment il le fait : j’ai dit que « comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ». (Jn 5,21) J’ai dit que « le Père ne juge personne ; mais qu’il a donné au Fils tout pouvoir de juger ». (Jn 5,22) J’ai dit qu’ « il faut honorer le Fils comme on honore le Père ». (Jn 5,23) J’ai dit que « celui qui n’honore point le Fils, n’honore « point le Père ». (Jn 5,23) J’ai dit que « celui qui entend ma parole, et qui y croit, ne mourra point, mais qu’il est déjà passé de la mort à la vie ». (Jn 5,24) J’ai dit que ma voix ressuscitera les morts, dès maintenant et dans la suite (Jn 5,25). J’ai dit que je ferai rendre compte de tous les péchés (Jn 5,28, 29). J’ai dit que je jugerai justement, et que je récompenserai ceux qui auront fait de bonnes œuvres (Jn 5,30) : Comme donc Jésus-Christ avait dit tout ce que nous venons d’exposer ; comme tout ce qu’il avait dit était certainement grand et important, et qu’il n’en avait néanmoins point encore donné de preuves claires et évidentes, mais qu’il avait tout laissé dans l’obscurité ; il propose d’abord ce qu’on objectait, pour venir ensuite à la véritable preuve de ce qu’il a avancé ; c’est comme s’il parlait ainsi, quoiqu’en d’autres termes : Peut-être direz-vous vous dites toutes ces choses, mais vous n’êtes pas un témoin digne de foi, vous qui vous rendez témoignage à vous-même.

Voilà donc comment Jésus-Christ résout d’abord la difficulté que faisaient les Juifs : il la résout en leur découvrant ce qu’ils voulaient opposer, en leur faisant connaître qu’il voit ce qu’il y a de plus caché dans leur cœur, et en leur donnant cette première preuve de sa vertu et de sa puissance ; enfin, après avoir exposé leur objection et y avoir satisfait, il leur apporte d’autres preuves claires, évidentes et invincibles ; c’est en leur présentant trois témoins : ses œuvres, le témoignage du Père et la prédication de Jean-Baptiste. De ces trois témoignages, il leur présente le plus faible le premier, savoir : celui de Jean-Baptiste. Il avait dit : « Il y en a un autre qui rend témoignage de moi : et je sais que son témoignage est véritable (31) » ; il ajoute : « Vous avez envoyé vers Jean ; et il a rendu témoignage à la vérité (33) ». Mais si votre témoignage n’est pas véritable, comment dites-vous vous-même : le témoignage de Jean est véritable : « Et il a rendu témoignage à la vérité ? » Cela seul, mes frères, ne vous fait-il pas clairement voir que Jésus-Christ a dit : « Mon témoignage n’est pas véritable », en se plaçant au point de vue des Juifs ?

2. Mais, direz-vous, n’est-ce point par complaisance que Jean a rendu témoignage ? Jésus-Christ ôte ce soupçon, et il empêche les Juifs de tenir ce langage. Voyez comment : il n’a point dit d’abord : Jean a rendu témoignage de moi ; mais auparavant il a dit : Vous avez envoyé à Jean ; or, vous n’auriez pas député vers lui, si vous ne l’eussiez jugé digne de foi. Et ce qui est encore plus grand et plus considérable, c’est qu’ils ne l’envoyèrent pas questionner sur Jésus-Christ, mais sur lui-même ; or, celui qu’ils regardaient comme un homme digne de foi, dans le témoignage qu’il porterait de lui-même, à plus forte raison le tenaient-ils pour tel dans celui qu’il rendrait d’un autre. Il est de coutume, parmi nous autres mortels, de ne pas croire autant ceux qui parlent d’eux-mêmes, que ceux qui parlent d’autrui. Mais pour Jean-Baptiste, ils le croyaient si sincère et si digne de créance, que lors même qu’il parlait de foi, il n’avait besoin d’aucun autre témoignage. Et en effet, les députés ne lui firent pas cette demande Que dites-vous de Jésus-Christ ? Mais. « Qui êtes-vous ? Que dites-vous de vous-même ? » Tant était grande leur considération et leur admiration pour lui ! Jésus-Christ donc fait allusion à tout cela, en disant : « Vous avez envoyé à Jean ». Voilà pourquoi aussi l’évangéliste ne dit pas seulement que les Juifs avaient envoyé à Jean ; mais encore il marque, en termes exprès, que les députés étaient des prêtres et des pharisiens, des hommes considérables, incapables de se laisser corrompre ou tromper, et parfaitement en état de bien entendre sa réponse.

« Pour moi ce n’est pas d’un homme que je reçois le témoignage (34) ». Pourquoi recevez-vous donc le témoignage de Jean ? C’est que sûrement son témoignage n’était pas le témoignage d’un homme. « Celui », dit Jean-Baptiste, « qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit ». (Jn 1,33) Ainsi le témoignage de Jean était le témoignage de Dieu : ce qu’il disait, il l’avait appris de Dieu. Mais afin que les Juifs ne disent pas : où est la preuve que ce que Jean a dit ? il l’a appris de Dieu, et que de là ils ne prissent occasion d’une nouvelle dispute, Jésus-Christ leur ferme absolument la bouche, en se plaçant encore au point de vue de leur opinion. Car il n’y avait nulle apparence que bien des gens connussent que Jean était l’organe de Dieu ; mais ils l’écoutaient comme parlant de lui-même sans autre impulsion. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit : « Pour moi, ce n’est pas d’un homme que je reçois le témoignage ».

Mais si vous ne deviez pas recevoir le témoignage d’un homme, et si vous ne vouliez pas vous en servir, pourquoi avez-vous produit ce témoignage ? De peur donc que les Juifs ne lui fissent cette objection, il la prévient, voyez comment : Après avoir dit : « Ce n’est pas d’un homme que je reçois le témoignage », il ajoute : « Mais je dis ceci afin que vous soyez sauvés ». C’est-à-dire : Je n’avais pas besoin du témoignage d’un homme, étant Dieu ; mais comme vous n’avez des yeux et des oreilles que pour Jean que vous le croyez le plus digne de foi de tous les hommes ; que vous accourez à lui comme à un prophète (toute la ville allait en foule le trouver auprès du Jourdain), et que moi, vous ne m’avez pas cru, lors même que j’ai opéré des miracles : voilà pourquoi je vous apporte ce témoignage.

« Jean était une lampe ardente et luisante, et vous avez voulu vous réjouir pour un peu de temps à la lueur de sa lumière(35)». De peur que les Juifs ne répliquassent : Et bien, Jean a rendu témoignage de vous, mais nous n’avons pas reçu son témoignage ; Jésus-Christ fait voir qu’ils l’ont reçu. Car il n’avait pas député à Jean des hommes du commun, mais des prêtres et des pharisiens ; tant ils admiraient cet homme, et étaient incapables de résister à ses paroles ! Ce mot : « Pour un peu de temps », marque leur légèreté et leur extrême inconstance, en ce qu’ils l’avaient si tôt quitté et si promptement oublié.

« Mais pour moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean (36) ». Si vous vouliez recevoir la foi en considérant l’admirable enchaînement des choses qui se passent devant vous, je vous y aurais bien mieux et plus facilement amenés par mes œuvres ; mais comme vous ne le voulez pas, je vous renvoie à Jean non que j’aie besoin de son témoignage, mais parce que je fais tout pour procurer votre salut : J’ai dans mes œuvres un témoignage plus grand que celui de Jean. Mais je ne cherche pas seulement, pour me recommander à vous, des témoins dignes de foi, mais encore des témoins connus et vénérés parmi vous. Ainsi, après les avoir repris par ces paroles : « Vous avez voulu vous réjouir pour un peu de temps à la lueur de sa lumière », et leur avoir fait connaître que leur zèle n’avait été qu’un feu volage et passager, il appelle Jean une lampe, pour leur montrer que la lumière qu’il avait ne venait pas de lui, mais de la grâce du Saint-Esprit. Toutefois, il n’a pas encore marqué en quoi il différait de Jean à savoir qu’il était lui-même le soleil de justice ; mais l’ayant seulement insinué, il les réprimande vivement et fait voir que s’ils n’avaient pas su croire en lui, cela provenait de la même disposition d’esprit et de cœur, qui les avait portés à mépriser Jean. Car ils n’avaient admiré Jean que « pour un peu de temps » : s’ils n’avaient pas été si légers et si inconstants, Jean les aurait bientôt amenés à Jésus-Christ.

Après avoir ainsi montré que les Juifs sont tout à fait indignes de pardon, Jésus-Christ ajoute : « Mais pour moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean ». Lequel ? Celui des œuvres. « Car les œuvres », dit-il, « que mon Père m’a donné pouvoir de faire, les œuvres », dis-je, « que je fais, rendent témoignage de moi que c’est mon Père qui m’a envoyé ». Par là, il rappelle la guérison du paralytique et de plusieurs autres. A l’égard du témoignage de Jean peut-être quelqu’un aurait-il pu le soupçonner d’emphase et de complaisance, bien qu’il ne convînt guère de parler ainsi de Jean de cet homme si sage, si appliqué à la philosophie, qui excitait parmi eux tant d’admiration ? mais les œuvres ne pouvaient donner prise aux mêmes soupçons, même de la part des hommes les plus insensés. Voilà pourquoi Jésus-Christ apporté un autre témoignage en disant : « Les œuvres que mon Père m’a donné pouvoir de faire, les œuvres », dis-je, « que je fais, rendent témoignage de moi que c’est mon Père qui m’a envoyé ». Ici Jésus-Christ repousse et anéantit l’accusation de n’avoir pas gardé le sabbat. (Jn 9,16) Les Juifs disaient : Comment cet homme serait-il de Dieu, puisqu’il ne garde pas le sabbat ? Voilà pourquoi il dit : « Les œuvres que mon Père m’a donné pouvoir de faire », quoiqu’il agît par sa propre autorité ; mais il voulait prouver plus fortement qu’il ne faisait rien de contraire au Père ; c’est pourquoi il ne craint point d’employer ce langage qui le rabaisse.

3. Et pourquoi, direz-vous, n’a-t-il pas dit : Les œuvres que mon Père m’a donné pouvoir de faire rendent témoignage que je suis égal au Père ? Certainement par les œuvres on pouvait facilement connaître ces deux vérités, et qu’il ne faisait rien de contraire à son Père, et qu’il était égal à son Père ; ce qu’il prouve ailleurs quand il dit : « Si vous ne me croyez pas, croyez à mes œuvres, afin que vous sachiez et que vous croyiez que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi » (Jn 10,38) ; ses œuvres donc rendaient témoignage de ces deux choses, et qu’il était égal à son Père, et qu’il ne faisait rien de contraire à son Père. Pourquoi donc n’a-t-il pas ouvertement déclaré tout ce qu’il est, et a-t-il omis ce qu’il y a de plus grand en lui pour ne découvrir que ce qui l’est moins ? Parce que c’était premièrement là de quoi il s’agissait. Quoiqu’il fût beaucoup moins grand pour lui qu’on le crût envoyé de Dieu, qu’égal à Dieu (les prophètes, en effet, avaient prédit sa mission, mais non son égalité), toutefois il a grand soin d’insister sur ce titre inférieur, sachant bien que ce point, une fois accordé, le reste sera désormais admis sans difficulté ; il omet donc ce qu’il y a da plus grand, et parle seulement de ce qui l’est moins, afin que la première de ces choses passât à l’a faveur de l’autre. Après quoi, il ajoute encore : « Mon Père qui m’a envoyé a rendu lui-même témoignage de moi (37) ». Où l’a-t-il rendu, ce témoignage ? Sur le Jourdain, lorsqu’il a dit : « C’est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ». (Mat 3,17) Mais ce témoignage n’était pas bien clair, il avait besoin de quelque explication ; celui de Jean au contraire, était manifeste : les Juifs avaient eux-mêmes député vers lui, et ils ne pouvaient le nier ; les miracles aussi étaient évidents : ils les avaient eux-mêmes vu opérer ; ils avaient ouï parler de la guérison du paralytique, et ils y avaient cru ; c’est même pour cela qu’ils accusaient Jésus-Christ de n’avoir pas gardé le sabbat. Enfin il ne manquait plus que d’apporter le témoignage du Père ; pour le produire Jésus-Christ a ajouté : « Vous n’avez jamais ouï sa voix ». Comment donc Moïse dit-il.: Dieu parlait, Moïse a répondu ? (Exo 20,19) Comment David dit-il : « Il entendit une voix qui lui était inconnue ? » (Psa 81,6) Moïse dit encore : S’il y a un « peuple qui ait entendu la voix de Dieu ». (Deu 4,33)

« Ni vu sa figure ». Et toutefois il est écrit d’Isaïe, de Jérémie, d’Ezéchiel et de plusieurs autres qu’ils ont vu Dieu. Que fait donc maintenant Jésus-Christ ? Il élève ses disciples à la plus haute et à la plus sublime philosophie, leur montrant insensiblement que dans Dieu il n’y a ni voix, ni figure, et qu’il est au-dessus et des sons, et de ces sortes de figures qu’ils imaginaient ; comme en disant : « Vous n’avez jamais ouï sa voix », il ne veut pas dire que le Père parle et qu’on ne l’entend pas ; de même, lorsqu’il dit : « Vous n’avez point vu sa figure », il ne veut pas dire qu’ira une figure, et que néanmoins on ne la voit pas, mais il entend que Dieu n’a pas plus de figure que de voix, ni quoi que ce soit de pareil. Afin donc que les Juifs ne disent pas : C’est vainement que vous vous vantez, Dieu n’a parlé qu’à Moïse seul (ils disaient en effet : « Nous savons que Dieu a parlé à Moïse, mais pour celui-ci nous ne savons d’où il est » (Jn 9, 29) ; Jésus-Christ dit ces choses pour leur apprendre qu’en Dieu il n’y a ni voix, ni figure. Mais que dis-je ? non seulement vous n’avez point entendu sa voix, ni vu sa figure, mais encore ce dont vous vous glorifiez tant, ce dont vous êtes si fiers, à savoir, d’avoir reçu ses commandements, et, de les observer, vous ne pouvez pas même vous en prévaloir, et voilà pourquoi il ajoute : « Et sa parole ne demeure point en vous (38) » ; c’est-à-dire, ses commandements, ses préceptes, sa loi, ses prophètes. Véritablement Dieu a donné ces choses, mais elles ne demeurent point en vous, puisque vous ne croyez pas en moi. Partout et à tous moments les Écritures répètent qu’il faut croire en moi, et vous, cependant, vous n’en faites rien ; il est donc évident que sa parole s’est retirée de vous ; aussi, Jésus-Christ ajoute encore : « Parce que vous ne croyez point à celui qu’il a envoyé ».

Ensuite, de peur que les Juifs ne répliquent Si nous n’avons pas entendu sa voix, comment a-t-il rendu témoignage de vous ? Jésus-Christ dit : « Lisez avec soin les Écritures, car ce sont « elles qui rendent témoignage de moi. (39) » ; par où il leur insinue que c’est dans les Écritures que Dieu a rendu témoignage de lui. En effet, et sur le Jourdain, et sur là montagne, ce témoignage avait été rendu ; mais Jésus-Christ ne rapporte point les paroles que le Père fit entendre, peut-être ne l’auraient-ils pas cru. Car la voix que le Père avait fait entendre sur la montagne, ils ne l’avaient pas ouïe, et celle qu’il avait fait entendre sur le Jourdain, s’ils l’avaient ouïe, ils n’y avaient point fait d’attention. Voilà pourquoi il les renvoie aux Écritures, leur faisant connaître que c’est là qu’ils trouveront le témoignage du Père. Mais auparavant il détruit leurs anciennes prétentions, comme d’avoir vu Dieu, ou d’avoir entendu sa voix. Jésus-Christ donc renvoie les Juifs au témoignage des Écritures, parce qu’il était vraisemblable qu’ils ne croiraient pas à la voix du Père qu’il leur citait, et qu’ils s’imagineraient qu’il voulait parler de ce qui était arrivé sur le mont Sina. Mais auparavant il corrige le sentiment qu’ils pouvaient s’être formé à ce sujet, en leur faisant connaître que Dieu en avait usé de la sorte par condescendance et par bonté.

4. Nous aussi, mes frères, lorsque nous avons à combattre les hérétiques et à nous armer pour défendre la vérité contre eux, prenons nos armes dans les saintes Écritures. « Car », dit l’apôtre, « toute Écriture qui est inspirée de Dieu est utile, pour instruire, pour reprendre, pour corriger et pour conduire à la piété et à la justice, afin que l’homme de Dieu soit parfait ; étant propre et parfaitement préparé à tout bien ». (2Ti 3,16-17) Mais il ne faut pas que l’athlète qui doit entrer en lice n’ait qu’une seule partie des armes, et soit dépourvu de l’autre ; il ne serait pas alors parfaitement préparé. De quelle utilité serait-il, je vous le demande, de prier assidûment et de ne pas donner largement l’aumône ? ou de répandre libéralement ses biens, et de ravir et voler le bien d’autrui, même de faire l’aumône par ostentation et par vaine gloire ? ou de distribuer véritablement ses aumônes avec les dispositions requises, et selon la volonté de Dieu, mais de s’en prévaloir ensuite et de s’en vanter ? ou d’être à la vérité humble et de jeûner, mais d’être néanmoins avare, usurier, attaché aux choses terrestres, et d’introduire dans son âme la mère de tous les maux ? car « l’avarice est la racine de tous les maux ». Ayons-la en horreur, fuyons ce vice.

C’est l’avarice qui renverse tout le monde c’est elle qui trouble tout et met tout en confusion : c’est elle qui nous fait sortir de l’aimable et très-heureuse servitude de Jésus-Christ. « Vous ne pouvez », est-il écrit, « servir Dieu et les richesses » (Mat 6,24), qui ordonnent le contraire de ce que Jésus-Christ commande. Jésus-Christ dit : donnez aux pauvres ; les richesses disent : ravissez le bien des pauvres. Jésus-Christ dit : pardonnez à ceux qui vous dressent des embûches et à ceux qui vous offensent ; les richesses disent au contraire : à ceux qui ne vous ont nullement offensés, tendez-leur des pièges. Jésus-Christ dit : soyez doux, soyez bons ; celles-ci disent au contraire : soyez inhumains, soyez cruels, ne faites aucune attention aux larmes des pauvres, pour nous rendre notre Juge sévère au grand jour de son jugement. En effet, alors toutes nos œuvres se présenteront à nous, et ces malheureux que nous aurons outragés, dépouillés et mis à nu, nous fermeront la bouche et nous ôteront toute défense. Si Lazare, à qui le riche n’avait fait aucun tort, mais aussi qu’il n’avait point secouru, fut pour lui, au grand jour, un terrible accusateur, et l’empêcha d’obtenir le pardon de sa dureté, quelle excuse, je vous prie, apporteront ceux qui ravissent le bien d’autrui, au lieu de distribuer le leur aux pauvres, et qui renversent la maison de l’orphelin ? Si ceux qui ne donnent pas à manger à Jésus-Christ lorsqu’il a faim (Mat 25,42), amassent tant de charbons de feu sur leurs têtes, ceux qui volent le bien de leur prochain, qui suscitent mille procès et qui envahissent les richesses de tout le monde, quelle consolation, quelle commisération peuvent-ils espérer ?

Chassons donc, mes frères, chassons cette passion. Nous l’arracherons de nos cœurs, si nous pensons au sort qu’ont eu les hommes avares et injustes qui ont été avant nous et qui sont morts. D’autres ne jouissent-ils pas de leurs richesses, du fruit de leurs travaux, et eux-mêmes ne sont-ils pas condamnés à un supplice, à un tourment, à des maux insupportables ? Ne serait-il pas d’une extrême folie de se tourmenter pour se charger, dans cette vie, de soins et de peines, et quand nous en sortirons être ensuite livrés à des supplices, à des tourments insupportables, lors même qu’il ne tient qu’à nous de vivre, même ici-bas, dans les délices ? Rien en effet ne procure une si grande joie que l’aumône, qu’une conscience pure et nette, que de se voir à la mort délivrés de tous maux, et d’acquérir des biens ineffables et infinis. Comme le vice, avant même de précipiter dans l’enfer ceux qui s’y livrent, a coutume de les accabler dès à présent de mille peines et de mille travaux ; la vertu, de même, avant d’ouvrir la porte du royaume des cieux à ceux qui l’exercent, remplit leur âme de mille délices par la bonne espérance et la joie continuelle. qu’elle répand sur toute la vie. Afin donc de nous procurer cette joie, et dans cette vie, et dans la vie future, exerçons-nous aux bonnes œuvres ; c’est de cette manière que nous obtiendrons ces couronnes immortelles que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLI.

LISEZ AVEC SOIN LES ÉCRITURES, PUISQUE. VOUS CROYEZ Y TROUVER LA VIE ÉTERNELLE : ET CE SONT ELLES QUI RENDENT TÉMOIGNAGE DE MOI. – MAIS VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI POUR AVOIR LA VIE ÉTERNELLE. (VERS. 39, JUSQU’À LA FIN DU CHAP)

ANALYSE.

  • 1. Il ne faut pas lire l’Écriture sainte seulement en courant et à la légère.
  • 2. Les Juifs auront pour accusateur Moise lui-même.
  • 3. Réfutation des prétextes et vaines excuses des Juifs : leur malice et leur méchanceté. – Description d’un fourbe et de la malignité. – La vertu produit la prudence. – Description de la vertu. – Le péché naît de la folie. – Celui qui a la crainte de Dieu est très-sage : celui qui ne l’a pas est un insensé.

1. Ayons grand soin, mes très-chers frères, de rechercher les choses spirituelles, et ne croyons pas qu’il nous suffise, pour le salut, d’y donner une part quelconque de notre application. Si, dans les affaires terrestres de ce monde, nul ne fait de grands profits, lorsqu’il s’y applique mollement et légèrement, à plus forte raison en sera-t-il ainsi dans les choses spirituelles et célestes, parce que celles-ci requièrent et plus de soin et plus de vigilance. Voilà pourquoi Jésus-Christ, quand il renvoie les Juifs aux Écritures, ne les y renvoie pas pour en faire une simple lecture, mais pour les étudier avec soin et avec attention. Car il n’a point dit : lisez les Écritures, mais approfondissez les Écritures. Pour y découvrir le témoignage qu’elles rendent de lui, il fallait beaucoup chercher, beaucoup travailler. En effet, à l’égard des Juifs, ces témoignages étaient cachés sous des ombres et des figures. C’est pour cette raison que Jésus-Christ leur commande de fouiller et de creuser dans les Écritures, afin qu’ils puissent trouver ce qu’elles recèlent dans leur profondeur. Ces témoignages ne sont pas à la surface ni apparents, ils sont très-profondément cachés comme un trésor. Or, celui qui veut découvrir un trésor profondément enfoui, ne le trouvera jamais sans beaucoup de soin et de peine. Voilà pourquoi Jésus-Christ, après avoir dit : « Lisez avec soin les Écritures », a ajouté : « puisque vous croyez y trouver la vie éternelle ». Il n’a point dit : vous pouvez, mais, vous croyez y trouver. Par où il leur montre qu’ils ne feront pas un grand profit, tant qu’ils croiront pouvoir acquérir le salut par la seule lecture ; sans la foi. C’est comme s’il disait : N’admirez-vous pas les Écritures, ne les regardez-vous pas comme des sources de vie ? C’est sur elles maintenant que je me fonde moi-même, car ce sont elles qui rendent témoignage de moi ; mais vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie éternelle.

Jésus-Christ avait donc raison de dire : « Vous croyez » ; puisqu’ils ne voulaient pas écouter sa doctrine, et qu’ils tiraient vanité de la lecture simple qu’ils faisaient des Écritures. Ensuite, de peur qu’on ne le soupçonnât de vaine gloire, à cause du grand soin qu’il avait de se faire connaître, et qu’on ne pensât que, dans son désir d’inspirer la foi en lui, il avait en vue ses propres intérêts (car il avait cité le témoignage de Jean et celui de Dieu le Père, il avait fait mention de ses œuvres ; et il avait promis la vie éternelle, se servant de toutes ces choses pour les attirer et les gagner) comme, dis-je, il était croyable que plusieurs le soupçonneraient de rechercher la gloire, voici ce qu’il a ajouté, faites-y attention : « Je ne tire point ma gloire des hommes (41) » ; c’est-à-dire, je n’en ai point besoin ; je ne suis pas de nature à avoir besoin de la gloire qui vient des hommes. Si la lumière du soleil ne reçoit point d’accroissement de celle d’une lampe, moi, je dois avoir bien moins besoin de la gloire humaine. Mais si vous n’en avez point besoin, pourquoi avez-vous apporté ces témoignages ? « Afin que vous soyez sauvés ». Jésus-Christ l’avait déclaré ci-dessus, ici encore il l’indique par ces paroles : « Afin que vous ayez la vie éternelle ». Il apporte même une autre raison, que voici : « Mais je vous connais : je sais que vous n’avez point en vous l’amour de Dieu (42) ». Comme, sous prétexte de zèle et d’amour de Dieu, souvent ils le persécutaient, parce qu’il se prétendait égal à Dieu ; comme il savait aussi qu’ils ne croiraient point en lui, il a voulu les prévenir et les empêcher de dire : Pourquoi parlez-vous de la sorte ? Je le fais, leur dit-il, pour vous reprendre, parce que ce n’est pas l’amour de Dieu qui vous porte à me persécuter. Car Dieu rend témoignage de moi, et par les œuvres et par les Écritures. Si donc, dans la pensée que j’étais contraire à Dieu, auparavant vous me chassiez, vous me persécutiez, maintenant que je vous ai fait connaître la vérité, vous devriez vous empresser de venir à moi, pour peu que vous eussiez d’amour pour Dieu ; mais vous ne l’aimez pas véritablement. J’ai dit ces choses pour vous prouver que l’orgueil et la vanité vous animent, et que vous ne cherchez qu’à couvrir l’envie que vous me portez. Voilà ce que Jésus-Christ démontre, non seulement par ce qu’il vient de dire, mais encore par ce qu’il ajoute ensuite, car il dit : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas : si un « autre vient en son propre nom, vous le recevrez (43) ». Vous voyez, mes frères, que si partout Jésus-Christ dit qu’il a été envoyé, qu’il a reçu du Père le pouvoir de juger, et qu’il ne peut rien faire de lui-même, c’est pour ôter tout prétexte à l’endurcissement des Juifs.

Mais de qui dit-il qu’il viendra en son propre nom ? De l’Antéchrist, et il démontre la malice et la méchanceté des Juifs par des preuves incontestables. Si c’est effectivement l’amour de Dieu qui vous porte à me persécuter, vous devrez donc, à plus forte raison, persécuter l’Antéchrist. L’Antéchrist ne vous prêchera pas une doctrine semblable à la mienne ; il ne dira pas que : le Père l’a envoyé, ni qu’il vient de sa part et par son ordre. Mais, au contraire, il exercera un empire tyrannique, usurpant ce qui ne lui appartient pas, et s’annonçant comme le Dieu de tout l’univers, selon les paroles de saint Paul : « il s’élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, voulant lui-même passer pour Dieu ». (2Th 2,4) Car c’est là venir en son propre nom. Pour moi, je ne parle pas de même ; mais je déclare que je suis venu au nom de mon Père. Or, qu’après un tel aveu, qu’après avoir si manifestement déclaré qu’il était envoyé du Père, ils ne le reçussent pas, cette obstination suffisait seule pour faire voir à tout le monde qu’ils n’aimaient point Dieu. Et maintenant, par le contraste de l’accueil qu’ils devaient faire à l’Antéchrist, il met au jour leur impudente malignité. Car, puisqu’ils ne recevaient pas celui qui se déclarait envoyé de Dieu, et qu’ils devaient adorer celui qui ne connaîtrait point Dieu, mais qui se vanterait d’être le Dieu de tout l’univers, il était visible que leurs persécutions contre Jésus-Christ partaient de leur envie et de la haine contre Dieu. C’est pourquoi Jésus-Christ donne deux raisons de ce qu’il a dit ; d’abord, la meilleure : « Afin que vous soyez sauvés, afin que, vous ayez la vie » ; mais, sachant qu’ils riraient et se moqueraient de lui, il leur en expose une seconde, plus forte que celle-là, à savoir, que s’ils ne se soumettent pas et s’ils n’obéissent pas à sa parole, Dieu ne cessera point pour cela d’agir en toutes choses selon sa coutume.

2. Saint Paul, parlant prophétiquement de l’Antéchrist, dit : « Dieu leur enverra une opération d’erreur, afin que ceux qui, au lieu d’ajouter foi à la vérité, ont consenti à l’iniquité, soient tous condamnés ».(2Th 2,11-12) Le Sauveur ne dit pas que l’Antéchrist viendra ; mais « s’il vient », s’abaissant ainsi à la portée de ses auditeurs ; leur iniquité n’était pas encore arrivée à son comble ; c’est pourquoi il a tu la raison de cet avènement. Mais saint Paul l’a ouvertement déclarée polir ceux qui sont intelligents : c’est l’Antéchrist qui ôte aux Juifs toute excuse. Jésus-Christ découvre ensuite la cause de leur incrédulité, en disant : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns aux autres, et qui ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? (44) » Par où il montre encore qu’ils n’avaient pas en vue les intérêts de Dieu, mais qu’ils couvraient de ce prétexte leurs propres passions. Ils étaient, en effet, si éloignés de faire ce qu’ils faisaient pour la gloire de Dieu, qu’ils recherchaient moins sa gloire que celle des hommes : Comment auraient-ils donc conçu un si grand zèle pour la gloire de Dieu, eux qui la méprisaient si fort ; qu’ils lui préféraient même la gloire humaine ? Puis, après avoir dit que les Juifs n’avaient point d’amour de Dieu, et le leur avoir prouvé par deux raisons : l’une, par ce qu’ils avaient fait contre lui ; l’autre, par ce qu’ils feraient pour l’Antéchrist, et leur avoir démontré clairement qu’ils étaient indignes de tout pardon, Jésus-Christ fait comparaître Moïse pour prononcer contre eux une nouvelle accusation.

« Ne pensez pas que ce soit moi qui vous doive accuser devant le Père : vous avez un accusateur, qui est Moïse, en qui vous espérez (45).

« Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce que c’est de moi qu’il a écrit (46).

« Que si vous ne croyez pas ce qu’il a écrit ; comment croirez-vous ce que je vous dis ? (47) ». C’est-à-dire, dans ce que vous faites contre moi, c’est Moïse que vous outragez avant moi : le refus que vous faites de croire atteint Moïse plus que moi-même. Vous voyez de quelle manière il les pousse jusque dans leurs retranchements ; et leur ôte tout moyen de justification. Lorsque vous me persécutiez, vous alléguiez l’amour que vous avez pour Dieu ? Or, j’ai fait voir que c’est la haine de Dieu qui vous a poussés à agir de la sorte. Vous m’accusez de ne point garder le sabbat et de violer la loi ? Je me sais justifié de cette accusation. Vous assurez que vous marquez votre fidélité à Moïse dans ce que vous avez la hardiesse de faire contre moi ? Et moi je montre que c’est là principalement en quoi vous désobéissez à Moïse. Et tant s’en faut que je m’oppose à la loi ; que vous n’aurez point d’autre accusateur que celui-là même qui vous a donné la loi. Comme donc, parlant des Écritures, Jésus-Christ disait : « Vous croyez y trouver la vie éternelle » ; maintenant de même, parlant de Moïse, il dit : « En qui vous espérez » : où l’on voit que le Sauveur les prend en tout par leurs propres paroles. Et par où saurons-nous, diront les Juifs, que Moïse doit être notre accusateur, et que vous ne parlez pas en l’air ? Qu’y a-t-il de commun entre vous et Moïse ? vous n’avez point gardé le sabbat qu’il a ordonné de garder : comment donc se portera-t-il pour accusateur contre nous ? Et comment, prouverez-vous que nous croirons en un autre qui viendra en son propre nom ? Toutes ces choses vous les dites sans témoins et sans preuves. Bien au contraire, elles trouvent toutes leurs preuves dans ce que j’ai dit ci-dessus : puisque, par mes œuvres, par le témoignage de Jean par celui du Père, il est évident et certain que c’est Dieu qui m’a envoyé, sûrement il l’est aussi que Moïse sera votre accusateur. En effet, qu’a dit Moïse ? « S’il vient quelqu’un qui fasse des prodiges et des miracles, qui amène à Dieu, et qui prédise véritablement l’avenir, ne faudra-t-il pas le croire ? (Deu 13,1) Jésus-Christ n’a-t-il pas fait toutes ces choses ? Il a opéré de vrais miracles dont on ne peut contester la vérité, il a attiré tous les hommes à Dieu, il a confirmé ses prédictions par l’accomplissement des choses qu’il a prédites. Mais où est la preuve que les Juifs croiront à un autre ? En ce qu’ils ont haï et persécuté Jésus-Christ. Ceux qui se déclarent contre celui qui vient avec l’aveu de Dieu recevront sans doute celui qui est son ennemi. Au reste, si le Sauveur, après avoir dit : « Ce n’est pas d’un homme que je reçois le témoignage », cite maintenant Moïse, ne vous en étonnez pas, ce n’est point à Moïse qu’il renvoie les Juifs, mais à la sainte et divine Écriture : et parce qu’ils la craignaient moins que leur législateur, il le leur présente en personne comme leur accusateur, pour leur inspirer plus de crainte et d’effroi. Après quoi il réfute un à un tous leurs discours.

Donnez à ceci, mes frères, toute votre attention : les Juifs disaient qu’ils persécutaient Jésus pour l’amour de Dieu ; et Jésus-Christ leur montre que c’est par haine de Dieu qu’ils le persécutent. Les Juifs se vantaient d’être attachés à Moïse, et le Sauveur leur prouve que leur persécution venait de ce qu’ils ne croyaient point à Moïse ;, car s’ils étaient zélés pour la loi, ils devaient recevoir celui qui accomplissait la loi. S’ils aimaient Dieu, ils auraient dû croire à celui qui attirait à Dieu ; s’ils croyaient à Moïse ; il fallait qu’ils adorassent celui qu’il a lui-même prédit. Puisqu’avant de refuser de me croire, vous avez refusé de croire à Moïse ; que maintenant vous me chassiez, moi qu’il vous a annoncé ; c’est de quoi on ne doit nullement s’étonner. Comme donc Jésus-Christ fait voir que ceux qui admiraient Jean le méprisaient eux-mêmes en se déclarant contre lui, Jésus, et le persécutant ; de même, il prouve que ces mêmes Juifs, lorsqu’ils s’imaginaient croire Moïse, ne le croyaient point ; et il rétorque contre eux tout ce qu’ils alléguaient pour se justifier. Je suis si éloigné, dit-il, de vous détourner de la loi ; que j’appelle à témoin contre vous votre législateur même. Jésus-Christ déclare donc que les Écritures rendent ce témoignage : mais où ? il ne le marque pas, et c’est pour leur inspirer plus de crainte et de terreur, et les engager à chercher, à examiner et à l’interroger. S’il leur avait marqué les endroits, sans qu’ils l’eussent demandé, ils auraient rejeté le témoignage. Mais pour peu qu’ils fissent attention à ce que leur disait Jésus-Christ, avant toutes choses ils l’interrogeraient et s’instruiraient auprès de lui. Voilà pourquoi, non seulement il leur donne des preuves et des témoignages clairs et évidents, mais souvent aussi il leur fait des reproches et des menaces, pour les ramener du moins par la crainte : et cependant ils gardent le silence. Telle, en effet, est la malice.: quoi qu’on dise ou qu’on fasse, elle ne change point, elle conserve toujours son venin.

3. C’est pourquoi il faut, mes frères, se dépouiller de toute malice et se garder d’user d’artifice et de déguisement. « Car Dieu envoie », dit l’Écriture, « des voies perverses « aux pervers ». (Pro 21,8, LXX) Et : « L’Esprit-Saint, qui est le maître de la science, fuit le déguisement, et il se retire des pensées qui sont sans intelligence ». (Sag 1,5) Rien ne rend l’homme si fou que la malice. Un fourbe, un homme pervers, ingrat (car tout cela tient à la malice), un homme qui persécute ceux qui ne l’offensent pas, qui emploie contre eux l’artifice et le déguisement, ne donne-t-il pas les marques d’une extrême folie.

Rien, au contraire, n’inspire plus de prudence que la vertu : elle rend l’homme reconnaissant, honnête, miséricordieux, doux, humble, modeste : c’est elle qui produit toutes les sortes de biens. Et qu’est-il de plus sage que celui dont l’âme est dans de si heureuses dispositions ? En effet, la vertu est véritablement la source et la racine de la prudence : la malice au contraire est la fille de la folie. L’homme superbe, arrogant et colère, n’est infecté de tous ces maux que parce que la prudence lui manque. C’est pourquoi le prophète disait : « Ma chair est toute malade… mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture, à cause de mon extrême folie » (Psa 38,3, 5) : par où il montre que le péché, de quelque nature qu’il soit, naît de la folie ; et que celui qui est doué de vertu et qui craint Dieu, est le plus sage de tous les hommes. Voilà pourquoi le Sage dit : « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse ». (Pro 1, 7) Or, si celui qui craint Dieu possède la sagesse, le méchant, qui ne le craint point, en est donc absolument dépourvu : et puisqu’il est privé de la vraie sagesse, il est le plus fou de tous les hommes. Cependant, plusieurs respectent les méchants comme pouvant leur nuire et leur faire du mal, et ils ne voient pas, ils ne comprennent pas, qu’il les faut regarder comme les plus malheureux de tous les hommes, parce que c’est dans leur propre sein qu’ils plongent leur épée, lorsqu’ils croient en frapper les autres : signe visible d’une étrange folie, que de se percer soi-même, sans le savoir, et de se tuer, en pensant faire du mal à autrui.

Voilà pourquoi saint Paul qui savait parfaitement que lorsque nous voulons frapper les autres, nous nous tuons nous-mêmes, disait : « Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt les injustices ? Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu’on vous trompe ? » (1Co 6,7) Car celui qui n’offense personne n’est point offensé, et celui qui ne fait point de mal n’en reçoit point : je : d soutiens, quoique cela puisse paraître une énigme et un paradoxe à la foule incapable de raisonner : Sachant cela, mes frères, disons malheureux, et plaignons, non ceux qui sont offensés et outragés, mais ceux qui offensent et qui outragent. C’est véritablement se faire tort à soi-même que d’attaquer Dieu et lui déclarer la guerre, d’ouvrir la bouche à mille accusateurs, et de se faire une mauvaise réputation en ce monde, en se préparant des supplices immenses dans l’autre : comme, au contraire, souffrir courageusement les injures et les outrages, c’est de quoi se rendre Dieu propice et favorable, et s’attirer la pitié, l’approbation et les louanges de tout lé monde : ceux donc qui donnent un si grand et si bel exemple de philosophie chrétienne, seront illustres et célèbres en cette vie, et ; en l’autre ils jouiront des biens éternels, que je prie Dieu de nous accorder à tous ; par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles ! Ainsi soit-il. 
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