John 5
HOMÉLIE XXXVI.
CE FUT LA LE SECOND MIRACLE QUE JÉSUS FIT, ÉTANT REVENU DE JUDÉE EN GALILÉE. (VERS. 54, JUSQU’AU VERS. 5 DU CHAP. V)ANALYSE.
- 1. La piscine des brebis, figure du baptême.
- 2. Le paralytique de trente-huit ans, beau modèle de patience. – Persévérer dans la prière : – Qualités de la prière. – Pour quoi la vie de l’homme, est pénible et laborieuse. – Pourquoi la loi. – Le travail est nécessaire : l’homme ne peut soutenir la, vie oisive. – Pourquoi le plaisir accompagne le vice, et la peine la vertu. – Vrais chastes, qui ? – La chasteté, en quoi elle consiste. – Il faut combattre pour remporter la victoire. – Trois genres d’eunuques, Jésus-Christ n’en récompense qu’un. – Artisans du vice, qui ? – On ne fait pas le bien sans peine, pourquoi. – Peines mêlées dans la vertu. – On admire plus ceux qui sont bons par leur volonté que ceux qui le sont par tempérament. – Point de travail, point de modération. – Nager dans les délices, rien de plus méprisable. – Agir ou travailler, la différence. – Dieu ne cesse point d’agir. – Le plaisir que procure le vice est court ; la joie que donne la vertu est éternelle. – Nulle volupté dans ce monde : la vraie volupté est dans le ciel.
HOMÉLIE XXXVII.
JÉSUS LUI DIT : VOULEZ-VOUS ÊTRE GUÉRI ? – LE MALADE LUI RÉPONDIT : OUI, SEIGNEUR : MAIS JE N’AI PERSONNE POUR ME JETER DANS LA PISCINE APRÈS QUE L’EAU A ÉTÉ TROUBLÉE. (VERS. 6, 7, JUSQU’AU VERS. 13) ANALYSE. DOUZIÈME HOMÉLIE. SUR LE PARALYTIQUE ET SUR CE TEXTE : MON PÈRE AGIT JUSQU’À PRÉSENT ET J’AGIS AUSSI. JEAN, 5, 17.
Cette Homélie et les dix qui précédent ont été traduites par M. l’abbé L. A***, professeur au collège de Saint-Dizier. ANALYSE. Le prédicateur comparé au laboureur. – Pourquoi Jésus-Christ se montre aux Juifs les jours de fête. – Guérison du paralytique. – Pourquoi Jésus-Christ interroge le malade. – Éloge du paralytique. – Pourquoi Jésus-Christ lui ordonne d’emporter son lit. – Jésus-Christ est égal au Père en puissance. – Exhortation à assister aux assemblées de l’Église. 1. Dieu soit béni ! à chaque assemblée je vois la moisson grandir, les épis mûrir, les gerbes se multiplier et l’aire se remplir. Il y a quelques jours seulement que nous avons jeté la semence, et déjà germent les fruits abondants de l’obéissance. Évidemment ce n’est pas la puissance de l’homme, mais la grâce de Dieu qui féconde l’Église. Telle est la nature de la semence spirituelle ; elle n’attend pas le temps, le nombre des jours, le retour des mois, des saisons ni des années ; dans le même jour, on peut jeter la semence et recueillir une moisson des plus riches. Le laboureur est obligé de beaucoup travailler et d’attendre longtemps. Il faut attacher les bœufs au joug, tracer de profonds sillons, répandre la semence à pleine main, aplanir la surface de la terre, recouvrir tout ce qu’on a jeté, attendre les pluies favorables, faire beaucoup d’autres travaux, et patienter encore de longs jours avant de recueillir les fruits. Ici au contraire, en été comme en hiver, on peut semer et moissonner, et souvent même dans un seul jour, surtout quand l’âme que l’on cultive est bien disposée. Telles sont vos âmes. Aussi est-ce avec une grande joie que nous venons à cette assemblée, semblable au laboureur qui travaille avec un zèle particulier le champ qui souvent a rempli son aire. Parmi vous une légère fatigue nous procure des fruits abondants. C’est pourquoi nous venons avec empressement vous distribuer les restes de nos premiers entretiens. Nous avons parlé, la dernière fois, de la gloire du Fils unique de Dieu ; nous avons emprunté nos preuves à l’Ancien Testament. Nous continuerons aujourd’hui. Nous avons cité cette parole du Christ : Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi. (Jn 5, 46) Aujourd’hui, nous examinerons ce texte de Moïse : Le Seigneur Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi. Écoutez-le. (Deu 18, 15 ; Act 3, 22) Jésus-Christ renvoie donc les Juifs à Moïse, pour les attirer à lui par le moyen de ce prophète ; et en effet Moïse annonce aux Hébreux le Maître à qui ils doivent obéir ponctuellement. Que tout soit donc un enseignement pour nous, ses actes, ses paroles, et aussi le miracle que l’on vient de vous lire. Quel est-il ? C’était un jour de fête des Juifs, et Jésus monta à Jérusalem. Or il y a à Jérusalem la piscine paralytique appelée en hébreu Bethsaïde ; elle a cinq portiques. (Jn 5, 1) L’ange du Seigneur, dit l’Évangile, y descendait à certain temps, ce qu’annonçait l’agitation de l’eau. Le premier qui y entrait après que l’eau avait été ainsi agitée était guéri, quelque maladie qu’il eût. Sous les portiques étaient couchés un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux et d’autres qui avaient des membres desséchés, et tous attendaient l’agitation de l’eau. Pourquoi Jésus-Christ choisit-il toujours Jérusalem de ses plus grandes œuvres, et se montre-t-il aux Juifs de préférence les jours de fêtes ? C’est qu’alors le peuple était réuni ; c’était le lieu et le temps de rencontrer les malades. Car ces infortunés désiraient moins ardemment leur guérison que le médecin lui-même. Quand la foule est nombreuse, l’assemblée considérable, Jésus-Christ se présente pour procurer le salut. Il y avait donc une grande multitude de malades attendant l’agitation de l’eau ; le premier qui descendait alors était guéri, mais non le second. La puissance du remède était épuisée, l’eau restait sans vertu, et la maladie du premier malade descendu lui avait enlevé toute sa force. Et il devait en être ainsi, car c’était une grâce d’esclave. Mais à l’avènement du Seigneur, il n’en est plus de même. Le premier qui descend dans la piscine des eaux du baptême n’est pas seul guéri. Le premier, le second, le troisième, le quatrième, le dixième, le centième, le sont aussi. Et quand il y en aurait dix mille, cent mille, une multitude innombrable, quand toute la terre descendrait dans la piscine, la grâce ne serait pas diminuée, elle resterait la même et aussi puissante. Telle est la différence entre le pouvoir de l’esclave et l’autorité du maître. L’un ne guérit qu’un malade, l’autre toute la terre ; l’un ne guérit qu’une fois l’an, l’autre chaque jour et des millions d’infirmes. L’un descend et agite l’eau ; pour l’autre, il suffit de prononcer son nom sur l’eau afin de lui communiquer cette admirable vertu. L’un guérit les corps, l’autre les âmes. Quelle immense différence sous tous rapports ! 2. Il y avait donc une grande multitude attendant l’agitation de l’eau. Car il s’opérait là des guérisons miraculeuses. Dans un hôpital on voit des malades, des estropiés, des infirmes de toute espèce qui attendent l’arrivée du médecin ; de même on voyait là une multitude nombreuse. Sous ces portiques était un homme malade depuis trente-huit ans. Jésus l’ayant vu couché par terre et sachant qu’il était malade depuis longtemps, lui dit : Voulez-vous être guéri ? Le malade lui répondit : Oui, Seigneur ; mais je n’ai personne pour me jeter dans la piscine après que l’eau a été troublée, et pendant le temps que je mets à y aller, un autre descend avant moi. (Jn 5, 5) Pourquoi Jésus-Christ, laissant tous les autres, vient-il à celui-ci ? Pour montrer tout en semble sa puissance et sa bonté : sa puissance, puisque la maladie était si grave et qu’il n’y avait plus d’espoir de guérison ; sa bonté, parce que, bon et miséricordieux, Jésus daigna regarder de préférence celui qui était le plus digne de pitié et de compassion. Le lieu, le nombre de trente-huit ans de maladie, tout est à bien considérer. Écoutez, vous tous qui luttez contre la pauvreté et la maladie, qui êtes accablés par les difficultés et les inquiétudes de cette vie, et éprouvés par des catastrophes imprévues. Il y a dans l’exemple du paralytique de quoi consoler toutes les infortunes humaines. Qui donc, en considérant cet exemple, aurait assez peu d’esprit et de cœur pour ne pas supporter avec courage et avec générosité les accidents de cette vie ? Vingt ans, dix et même cinq ans, n’était-ce pas assez pour lasser sa constance ? Et il attend trente-huit ans sans se décourager, et avec la plus grande patience. Cette persévérance vous étonne ; écoutez ses paroles, et vous admirerez encore davantage sa sagesse et sa vertu. Jésus s’approche et lui dit : Voulez-vous être guéri ? Qui doute qu’il ne le désire ? Pourquoi donc l’interroger ? Ce n’est pas par ignorance, car celui qui connaît les pensées les plus secrètes n’ignore pas ce qui est clair et évident pour tous. Pourquoi donc l’interroger ? Ailleurs, quand Jésus dit au centurion : J’irai et je le guérirai (Mat 8, 7) : il n’ignorait pas sa réponse ; mais tout en la prévoyant et la connaissant parfaitement, il voulait lui donner l’occasion de manifester sa foi jusqu’alors cachée, et de dire : Non, Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison. Il en est de même pour le paralytique. Quoique sûr de sa réponse, le Sauveur lui demande s’il veut être guéri, non qu’il en doute, mais pour lui fournir le moyen d’exposer son malheur et de montrer sa constance. S’il l’avait guéri sans rien dire, t’eût été pour nous une grande perte, puisque nous n’aurions pas connu la générosité de cette âme. Jésus-Christ s’occupe non-seulement du présent, mais aussi de l’avenir. En l’obligeant à répondre à cette question : Voulez-vous être guéri, il le présente au monde entier comme un modèle de patience. Que répond le paralytique ? Il ne se laisse point aller à la colère ou à l’indignation, il ne dit point à Jésus-Christ : Vous me voyez paralysé, vous savez que depuis longtemps j’ai cette maladie, et vous me demandez si je veux être guéri ? Êtes-vous venu insulter à mon malheur et rire de l’infortune d’autrui ? – Vous connaissez le caractère difficile des malades cloués sur leur lit depuis une année seulement. Mais trente-huit ans de maladie, n’est-ce pas assez pour lasser la vertu la plus robuste ? Cependant telle ne fut point sa réponse ni sa pensée ; avec la plus grande douceur, il dit : Oui, Seigneur, mais je n’ai personne pour me jeter dans la piscine après que l’eau a été troublée. Voyez que de maux assiègent cet homme en même temps : la maladie, la pauvreté, la privation de tout secours. Pendant le temps que je mets à y aller, un autre descend avant moi. Misère extrême, capable de toucher un cœur de pierre. Il me semble voir cet homme se traînant chaque année à l’entrée de la piscine, et chaque année frustré dans son espérance, et, pour comble de malheur, cette souffrance dure non deux ou trois ans, mais trente-huit ans. Il montre le plus grand zèle et il ne recueille aucun fruit ; il parcourt la carrière, et un autre reçoit le prix de la course, et cela pendant de longues années. Et, ce qui est encore plus pénible, il voit les autres guéris. Car vous savez que nos maux nous deviennent à charge, surtout quand nous en voyons d’autres, qui étaient affligés comme nous, délivrés de leurs maux. Ainsi le pauvre, à la vue d’un, riche, sent plus vivement sa misère ; ainsi le malade souffre davantage en voyant d’autres se guérir, tandis que tout espoir de guérison s’évanouit pour lui. Le bonheur d’autrui nous montre plus clairement notre infortune. C’est ce qui avait lieu pour le paralytique. Il lutte longtemps contre la maladie, la pauvreté, l’abandon ; il voit les autres guéris, et, malgré ses efforts continuels, il n’obtient rien, il ne lui reste plus même l’espoir d’être délivré. Cependant il persévère sans se décourager et revient chaque année. Pour nous, si notre prière n’est pas exaucée promptement, nous murmurons et nous tombons dans l’abattement ; alors nous cessons de prier et tout notre zèle s’éteint. Pouvons-nous assez louer le paralytique et condamner notre lâcheté ? Quelle excuse nous reste ? quel pardon pouvons-nous espérer ? Le paralytique persévère pendant trente-huit ans, et nous, nous abandonnons si vite nos résolutions ! 3. Que fait ensuite Jésus-Christ ? Il vient de montrer que ce malade mérite sa guérison ; puis s’étant approché de lui plutôt que des autres, il lui dit : Levez-vous, prenez votre lit et marchez. Cette attente de trente-huit ans ne lui fut pas inutile, parce qu’il supporta ses maux avec patience. Pendant ce long temps, son âme, éprouvée par le malheur comme par le feu, fit de grands progrès dans la vertu, et sa guérison fut plus glorieuse. Car ce n’est pas un ange, mais le Seigneur des anges qui le guérit. Pourquoi lui commande-t-il d’emporter son lit ? C’est d’abord et surtout pour porter les Juifs à s’affranchir des observances légales. Quand le soleil paraît, une lampe n’est plus nécessaire ; quand la vérité se manifeste, il faut laisser la figure. Devant faire cesser le sabbat, il opère un grand miracle en ce jour, afin qu’en frappant la foule par la grandeur du prodige, il détruise peu à peu cette observance superstitieuse. C’est ensuite pour fermer la bouche aux téméraires. Les Juifs critiquaient méchamment ses miracles et tâchaient d’en obscurcir l’éclat ; en faisant emporter le lit, il leur donne une preuve invincible de la guérison, et les Juifs ne pouvaient plus dire ici ce qu’ils disaient de l’aveugle : C’est lui, ce n’est pas lui, c’est lui-même. (Jn 9, 8) Ici ils n’ont rien à objecter ; le paralytique, emportant ainsi son lit, met un frein à leur impudence. Il y a encore une troisième raison non moins importante. Pour nous apprendre que c’est la puissance divine, et non la science humaine, qui a tout fait, il lui ordonne d’emporter son lit ; ce qui prouve évidemment une guérison pleine et entière ; alors ces blasphémateurs ne peuvent plus dire que c’est un artifice, et que le paralytique a essayé de marcher, par complaisance pour Jésus-Christ. Voilà pourquoi il lui ordonne d’emporter un fardeau sur ses épaules. Car si ses membres n’avaient pas été bien rétablis, ses articulations bien libres, il n’aurait pu porter son fardeau. De plus cette guérison montre encore que, sur une simple parole de Jésus-Christ, la maladie se retire, la santé revient. Les médecins chassent aussi les maladies, mais ils ne rendent pas subitement la santé, il leur faut du temps pour expulser peu à peu du corps les restes du mal. Il n’en est pas ainsi de Jésus-Christ ; dans un clin d’œil, il fait fuir la maladie, et ramène la santé ; le temps ne lui est pas nécessaire ; au moment où la parole s’échappe de ses lèvres bénies, la maladie quitte le corps ; la parole opère et soudain toute infirmité disparaît. Un esclave en révolte aperçoit-il son maître, il s’arrête aussitôt, et rentre dans l’ordre accoutumé. C’est ce qui arrive ici : la maladie comme un esclave séditieux troublait le corps du paralytique, mais à la vue du Seigneur, elle rentre dans l’ordre, et l’harmonie se rétablit. La parole a tout opéré ; car ce n’est pas une parole ordinaire, mais la parole de Dieu dont il est dit : Les œuvres de sa parole sont puissantes. (Jol 2, 11) Elle a créé l’homme qui n’existait pas ; à plus forte raison peut-elle guérir un paralytique. Que ceux qui scrutent l’essence de Dieu, me permettent ici une question. Comment ces membres se sont-ils fortifiés ? Comment ces os se sont-ils consolidés ? Comment cet estomac délabré s’est-il rétabli ? Comment les nerfs affaiblis ont-ils repris leur énergie ? Comment la force détruite est-elle revenue ? Ils ne le savent. Admirez donc ce prodige sans vouloir en scruter le mode. Le paralytique obéit et prit son lit. À cette vue les Juifs dirent : C’est le sabbat, il ne vous est pas permis d’emporter votre lit. (Jn 5, 10) Il fallait adorer l’auteur et admirer l’œuvre ; les Juifs disputent sur le sabbat, rejetant un moucheron et avalant un chameau. Que répond le paralytique ? Celui qui m’a guéri m’a dit : Emportez votre lit et marchez. Voyez la gratitude de cet homme ! Il avoue son médecin, et déclare que son bienfaiteur est pour lui un législateur digne de foi. Il raisonne contre eux, comme l’aveugle. Comment raisonnait l’aveugle ? On lui objecte : Cet homme n’est point de Dieu, puisqu’il ne garde pas le sabbat. (Jn 9, 16) Il répond : Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs; or celui-ci m’a ouvert les yeux. (Id 30) C’est-à-dire : s’il a transgressé la loi, il a péché ; s’il a péché, il n’a pas un tel pouvoir, car le péché, l’exclut absolument. Or Jésus-Christ a ce pouvoir, il n’a donc pas péché même en transgressant la loi. Le paralytique raisonne de même. Par ces mots, celui qui m’a guéri, il indique que celui qui a déployé une semblable puissance, ne peut être accusé d’avoir violé la loi. Les Juifs reprennent : Où est l’homme qui vous a dit : Emportez votre lit et marchez ? (Jn 5, 12) Voyez quel aveuglement insensé ! voyez quelle arrogance ! les envieux ne voient pas ce qui est bien, mais seulement ce qui leur fournit une occasion de nuire. De même les Juifs. Le paralytique proclame deux choses sa guérison et l’ordre d’emporter son lit. Les Juifs cachent l’une et publient l’autre. Ils voilent le prodige, et objectent la violation du sabbat. Car ils ne demandent pas : Où est celui qui vous a guéri ? Ils se taisent sur ce point et disent : Où est celui qui vous a dit. Emportez votre lit et marchez ? Celui-ci ne le connaissait pas. Car Jésus s’était retiré de la foule qui était là. (Jn 5, 13) Ceci fait l’éloge du paralytique et en même temps donne une preuve de la sollicitude de Jésus-Christ pour les hommes. Si ce paralytique ne reçoit pas le Sauveur comme le centenier ; s’il ne s’écrie pas : Dites une parole et mon serviteur sera guéri (Mat 8, 8), ne l’accusez pas d’infidélité, puisqu’il ne le connaissait pas, il ne savait pas qui il était. Comment aurait-il connu celui qui voyait pour la première fois ? Voilà pourquoi il lui répondit : Je n’ai personne pour me jeter ; dans la piscine. (Jn 5, 7) S’il l’avait connu, il ne lui eût pas parlé de le descendre dans la piscine ; il l’aurait prié de le guérir, comme il fut guéri en effet. Il le prenait pour un homme ordinaire, et c’est pour cela qu’il mentionne le remède accoutumé. C’est aussi une preuve de la prudence de Jésus-Christ que de quitter le paralytique guéri sans s’en faire connaître. Car alors les Juifs ne peuvent soupçonner la véracité de ce témoin, ni prétendre qu’il est gagné ou suborné par Jésus-Christ ; son ignorance et l’absence de Jésus-Christ ne permettent pas ce soupçon. L’Évangile dit en effet : Il ne savait qui il était. 4. Jésus-Christ le laisse aller seul, afin que les Juifs, le prenant à part, examinent le fait à leur gré, et une fois bien convaincus de la vérité répriment leur colère ridicule. Voilà pourquoi Jésus-Christ se tait ; pour preuve il leur présente les faits, témoignage évident et irréfutable. Que peut-on en effet opposer à ces paroles : Celui qui m’a guéri, m’a dit : Emportez votre lit et marchez? (Jn 5, 11) Le paralytique devient évangéliste, docteur des infidèles, médecin et héraut pour leur honte et leur condamnation. Il guérit les âmes non par des paroles, mais par des exemples. Il apporte un argument invincible et son corps proclame la vérité de son discours. Depuis Jésus le rencontra et lui dit : Vous voilà guéri. Ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis. (Jn 5, 14) Admirez la science, le zèle du médecin. Il ne délivre pas seulement de la maladie présente, il prémunit encore pour l’avenir, et avec raison. Quand le paralytique est étendu sur son lit, Jésus-Christ ne lui dit rien de tel, il ne lui rappelle pas ses péchés ; car l’esprit des malades est aigri et chagrin. Mais une fois la maladie expulsée et la santé rétablie, une fois la puissance de Jésus-Christ et sa sollicitude prouvées par les œuvres, alors le moment est – favorable pour les avis et les conseils ; le paralytique les recevra ; Jésus-Christ a gagné sa confiance. Pourquoi le paralytique, en s’en allant, fait-il connaître aux Juifs son bienfaiteur ? C’est qu’il voulait les rendre participants de la vraie doctrine. – Mais c’est pour cela même que les Juifs haïssaient Jésus-Christ et le persécutaient. – Soyez attentifs ; c’est ici le point décisif. Ils le persécutaient parce qu’il faisait ces choses le jour du sabbat. (Jn 5, 16) Voyons comment Jésus-Christ se défend. Car sa manière de se défendre nous montrera s’il est sujet ou indépendant, serviteur ou maître. Son action paraissait une transgression considérable. Autrefois un homme ayant ramassé du bois le jour du sabbat, fut lapidé pour avoir en ce jour porté ce fardeau. (Nom 15, 32) On reprochait le même crime à Jésus-Christ, il avait violé le sabbat. Voyons d’abord s’il demande grâce comme un esclave et un sujet, ou s’il ne se donne pas comme ayant puissance et autorité ; comme maître, au-dessus de la loi, et auteur des commandements ? Comment se défend-il ? Mon Père agit jusqu’à présent, et j’agis aussi. (Jn 5, 17) Voyez-vous l’autorité ? S’il était inférieur au Père, cette parole, loin d’être une apologie, serait un crime encore plus grand et un nouveau motif d’accusation. Si quelqu’un usurpe les fonctions d’un supérieur, et que, pour répondre à l’accusation, il dise : J’ai fait cela parce que le supérieur l’a fait, loin de se laver des crimes qu’on lui reproche, il se rend plus répréhensible et plus coupable. Car c’est de l’orgueil et de l’arrogance que d’ambitionner des fonctions au-dessus de son mérite. Si donc Jésus-Christ est au-dessous de son Père, il ne se justifie pas, il se condamne ; mais parce qu’il est égal au Père, il n’y a pas de crime. Un exemple éclaircira ce que je dis. Il n’appartient qu’à l’empereur de porter la pourpre et le diadème. Si un sujet usurpait ces insignes, et si, amené devant le tribunal, il disait : parce que l’empereur porte ces ornements, je les porte aussi, loin de se justifier, il ne ferait qu’aggraver son crime et son supplice. De même il n’appartient qu’à la clémence impériale de gracier les grands scélérats, comme les homicides, les brigands ; ceux qui violent les tombeaux, et autres semblables. Si un juge renvoyait un condamné sans attendre la sentence impériale, et s’il s’excusait en disant : Parce que le roi pardonne, je pardonne aussi, loin de se justifier, il s’attirerait une peine plus grande, et il doit en être ainsi. Un inférieur, dans un excès, s’insurge contre l’autorité, et cherche dans ses actes des motifs d’excuse ; n’est-ce pas faire injure à ceux qui lui ont confié sa dignité ? Aussi un inférieur ne se défend jamais de la sorte. Mais s’il est empereur, s’il a une dignité égale : il lui sera permis de s’exprimer ainsi. Ayant la même dignité, il a la même puissance. Quiconque par conséquent se justifie de cette manière, a nécessairement la même dignité que celui dont il invoque l’autorité. Quand donc Jésus-Christ se défend ainsi devant les Juifs, il nous prouve clairement qu’il est égal à son Père. Comparons, si vous le voulez, cet exemple aux paroles et aux actions de Jésus-Christ. Porter la pourpre et le diadème et gracier les coupables, c’est la même chose que de ne pas observer le sabbat. La première prérogative appartient au roi seul et non au sujet ; quiconque la possède justement, est nécessairement roi. Il en est de même ici ; Jésus-Christ agit avec autorité ; puis accusé, il invoque son Père en disant : Mon Père agit jusqu’à présent. (Jn 5, 17) Il est donc nécessairement égal au Père qui agit aussi avec autorité. S’il n’était pas égal à lui, il ne se défendrait pas ainsi. Rendons encore ceci plus clair. Les apôtres avaient violé le sabbat en arrachant des épis pour manger ; Jésus-Christ le viole maintenant, les Juifs l’accusent, comme ils avaient accusé les disciples. Voyons comment il les justifie, et se justifie lui-même ; la différence vous montrera quelle est la valeur de son apologie. Comment les défend-il ? N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu’il fut pressé de la faim? (Mat 12, 3) Quand il défend les serviteurs, il apporte l’exemple d’un serviteur, de David. Quand il se justifie lui-même, il invoque son Père. Mon Père agit, et j’agis aussi. Et que fait-il ? demandez-vous, car après six jours Dieu se reposa de tous ses ouvrages. (Gen 2, 2) Il exerce sa Providence de chaque jour. Il n’a pas seulement créé, il conserve encore les créatures, les anges, les archanges, les puissances d’en haut, en un mot, toutes les choses visibles et invisibles sont réglées par sa Providence ; sans ce secours efficace tout s’en va, se dissipe et périt. Jésus-Christ voulant montrer qu’il gouverne par, sa Providence et n’est pas gouverné, qu’il est créateur et non créature, dit : Mon Père agit, et j’agis aussi ; il indique par là qu’il est égal au Père. 5. Souvenez-vous de ces vérités ; conservez-les avec soin ; à une doctrine pure, joignez une conduite irréprochable. Je vous rappelle ce que je vous ai déjà dit, et je vous le redirai encore. Un moyen puissant pour acquérir la sagesse et la vertu, c’est de venir souvent ici. Une terre inculte que personne n’arrose, se couvre de ronces et d’épines ; travaillée par la main du laboureur, elle germe, fleurit, et produit des fruits abondants. Ainsi, l’âme qui est arrosée par la parole divine, germe, fleurit et produit en abondance les fruits du Saint-Esprit ; mais l’âme inculte, délaissée, privée de la rosée céleste, se couvre d’épines et de plantes sauvages, c’est-à-dire de péchés. Or les épines sont le repaire des dragons, des serpents, des scorpions et de toutes les puissances infernales. Si ces paroles ne vous convainquent pas, comparons-nous à ces âmes délaissées, et vous verrez quelle différence. Ou plutôt examinons ce que nous sommes quand nous jouissons de la grâce, et ce que nous valons quand nous en sommes privés depuis longtemps. Ne perdons pas cet avantage ; l’assistance à l’église nous procure toute sorte de biens. Au retour, l’homme paraît plus respectable à sa femme, et la femme plus aimable à son mari. Car c’est la vertu de l’âme et non la beauté du corps qui rend une femme aimable, c’est la tempérance, la douceur, la crainte de Dieu et non le fard, l’or ou les vêtements précieux. C’est ici dans cette sainte assemblée, que nous pouvons acquérir cette beauté spirituelle ; ici les prophètes et les apôtres purifient, ornent, éloignent la vieillesse du péché, ramènent la vigueur de la jeunesse, font disparaître toutes les rides, toutes les taches de nos âmes. Hommes et femmes, efforçons-nous donc tous d’obtenir cette beauté. La beauté du corps, la maladie la flétrit, le temps la ternit, la vieillesse la détruit peu à peu, la mort l’anéantit complètement ; pour celle de l’âme, ni le temps, ni la maladie, ni la vieillesse, ni la mort, rien ne peut l’enlever : elle est immortelle. Celle du corps est souvent une occasion de péché ; celle de l’âme conduit à Dieu, comme dit le Prophète en s’adressant à l’Église : Écoutez, ma fille, et voyez, et prêtez l’oreille ; oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le Roi sera épris de votre beauté. (Psa 45, 11) Afin de mériter l’amitié de Dieu, ayons bien soin de conserver cette beauté ; enlevons toutes les taches par la lecture des saintes Écritures, par la prière, par l’aumône et la concorde. Alors le roi, charmé de la beauté de notre âme, nous donnera le royaume céleste. Puissions-nous l’obtenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Cette Homélie et les dix qui précédent ont été traduites par M. l’abbé L. A***, professeur au collège de Saint-Dizier. tome 6 475/489HOMÉLIE XXXVIII.
DEPUIS, JÉSUS TROUVA CET HOMME DANS LE TEMPLE, ET IL LUI DIT : VOUS VOYEZ QUE VOUS AVEZ ÉT1 GUÉRI, NE PÉCHEZ PLUS A L’AVENIR, DE PEUR QU’IL NE VOUS ARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE. (VERS. 14, JUSQU’AU VERS. 21)ANALYSE.
- 1. Dieu châtie le corps pour les péchés de l’âme. – La plupart des maladies viennent du péché.
- 2 et 3. Reconnaissance du paralytique. – Jésus se compare à Dieu son Père, et se déclare son égal.
- 4. Cette parole : Le Fils ne peut rien faire de lui-même, marque la parfaite égalité et la parfaite union du Père et du Fils. – Contre l’ambition et la passion de s’élever sur les autres. – Fuir la vaine gloire, maux qu’elle produit : chercher la gloire qui vient de Dieu. – Gloire qui vient des hommes, gloire qui vient de Dieu ; leur différence.
▼L’exemple que rapporte le saint Docteur ne se trouve point dans la sainte Écriture, où il n’est nulle part fait mention de goutte, mais la vérité qu’il avance n’en est pas moins constante : Dieu a quelquefois visiblement frappé de maladie le pécheur en punition de son péché. Entre une infinité d’autres exemples qu’on pourrait facilement tirer des Livres saints, celui d’Ozias est bien mémorable Ce prince a la témérité de mettre la main à l’encensoir, et, sur-le-champ, il est frappé de lèpre. (2Ch 26,1 ss) L’avarice et le mensonge de Giezi sont punis de la même maladie. (2Ro 5,26-27, etc)
. Il nous en envoie encore pour nous éprouver et nous rendre plus illustres ; c’est pourquoi Dieu dit à Job : « Ne croyez pas que je vous aie traité de cette manière à autre intention que de faire connaître et de publier votre justice ? » (Job 11,3, LXX) Mais pourquoi, quand il s’agit de la guérison de ces paralytiques, Jésus-Christ publie-t-il leurs péchés ? Car à celui dont parle saint Matthieu, il dit : « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis » ; et à celui-ci : « Voyez, vous avez été guéri, ne péchez plus à l’avenir ». (Mat 9,2) Je sais que quelques-uns accusent ce paralytique d’avoir mal parlé de Jésus-Christ, et qu’ils disent que c’est pour cela que le Sauveur lui dit : « Ne péchez plus ». Mais que répondrons-nous sur l’autre dont saint Matthieu fait mention ? Jésus ; Christ lui a dit aussi : « Vos péchés vous sont remis ». D’où l’on voit clairement que ce n’est point là la raison pour laquelle il lui a fait cette remontrance. Et ce qui suit le fait même plus clairement connaître. « Depuis », dit l’évangéliste, « Jésus trouve cet homme dans le temple » ; c’était là sûrement une marque de piété ; il n’allait pas à la place publique, ni aux lieux de promenade, il ne se livrait pas aux plaisirs de la table, ni à la paresse, mais il se tenait au temple : encore qu’il dût prévoir que tout le monde l’en chasserait, rien pourtant ne fut capable de l’en faire sortir. Jésus-Christ l’ayant donc rencontré après s’être entretenu avec les Juifs, ne fit pourtant aucune allusion de ce genre ; or, s’il eût voulu lui faire des reproches à ce sujet, il lui aurait dit : Quoi, vous persistez encore dans les mêmes fautes, et après avoir recouvré la santé, vous n’avez point changé de conduite, vous n’êtes pas devenu meilleur ? Mais il ne lui dit rien de semblable, seulement il le confirme pour l’avenir. 2. Mais pourquoi, quand il guérit les boiteux et les estropiés, ne leur dit-il rien de la rémission des péchés ? Pour moi, il me semble que chez ceux-là la maladie était la peine du péché, et chez ceux-ci une simple infirmité corporelle. Si cela n’était pas, Jésus-Christ leur aurait fait une pareille remontrance. Et de plus, de toutes les maladies, la paralysie étant la plus grande et la plus fâcheuse, en y apportant le remède, il l’applique également aux moindres. De même qu’en guérissant un autre lé preux, il lui ordonna d’aller rendre gloire à Dieu (Mat 8,4), et ne donna pas cet avertissement à lui seul, mais par lui à tous ceux qui seraient guéris de leurs infirmités ; ainsi par ceux-là il exhorte tous les autres, et il donne à chacun ces salutaires avis. A quoi il faut ajouter encore que Jésus-Christ avait vu sa grande persévérance ; c’est pourquoi il l’avertit d’observer ce qu’il lui prescrit comme le pouvant, bien, et tant par le bienfait de sa guérison que par la crainte des maux à venir, il le retient et l’engage à être sage. Remarquez, mes frères, combien Jésus-Christ est éloigné de toute vanité. Il n’a point dit : Vous voyez que je vous ai guéri, mais : « Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus a l’avenir ». Il n’a pas dit non plus : De peur que je ne vous punisse, mais : « De peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pire », Nulle part il ne fait mention de sa personne ; il lui montre aussi que s’il a recouvré la santé c’est plutôt une grâce que l’effet de son mérite. Car il n’a pas dit qu’il a été délivré de ses peines pour son mérite, mais qu’il a été sauvé et guéri par la miséricorde de Dieu. Si cela n’était pas ainsi, il aurait dit : Vous voyez que vous avez été puni de vos péchés comme vous le deviez, prenez garde à vous à l’avenir. Or il ne lui parle point de la sorte, mais comment : « Vous voyez que vous avez été guéri, ne péchez plus à l’avenir ». Disons-le-nous souvent, mes frères, et quoique châtiés, quoique dans l’affliction, que chacun de nous se dise à soi-même : « Vous voyez que vous avez été e guéri, désormais ne péchez plus ». Que si, persévérant dans les mêmes fautes, nous n’en sommes point châtiés, répétons-nous ces paroles de l’apôtre : « La bonté de Dieu vous a invite à la pénitence. Et cependant, par notre « dureté et par l’impénitence de notre cœur, a nous nous amassons un trésor de colère ». (Rom 2,4-5) Et non seulement en rétablissant son corps, mais encore autrement, Jésus-Christ donna au paralytique un grand témoignage de sa divinité. Car, en lui disant : « Ne péchez plus à l’avenir » ; il lui fit voir qu’il connaissait tous les péchés qu’il avait commis auparavant, et par conséquent qu’il devait désormais le juger digne de foi et croire en lui. « Cet homme s’en alla donc trouver les Juifs et leur dit que c’était Jésus qui l’avait guéri (15) ». Observez cette nouvelle marque de la reconnaissance de ce paralytique. Car il n’a point dit : C’est Jésus qui m’a dit : « Emportez votre lit ». En effet, comme les Juifs lui objectaient continuellement ce qui paraissait blâmable, lui, toujours il leur répond ce qui relevait la gloire de son médecin, et devait les gagner et les attirer. Il n’était ni assez stupide, ni assez ingrat pour trahir son bienfaiteur et parler malignement contre lui, après en avoir reçu une si grande grâce, et une grâce jointe à un avis si salutaire. Eût-il été barbare et inhumain comme une bête féroce, eût-il eu un cœur de pierre, le bienfait et la crainte auraient retenu sa langue. La menace que lui avait faite Jésus-Christ lui aurait encore fait craindre qu’il ne lui arrivât quelque chose de pire, ayant surtout éprouvé par lui-même jusqu’où pouvait aller le pouvoir d’un si grand médecin. D’ailleurs, s’il eût voulu le charger, le rendre blâmable, il aurait tu et caché sa guérison et il n’aurait parlé que de la violation du sabbat ; mais, au contraire, avec beaucoup de fermeté et d’assurance, avec un cœur reconnaissant, il célèbre la gloire de son bienfaiteur, en quoi il ne diffère point de l’aveugle qui disait : « Il a fait de la boue avec sa salive et il en a oint mes yeux » (Jn 9,6) ; celui-ci dit tout de même : « C’est Jésus qui m’a guéri ». « Et c’est pour cela que les Juifs persécutaient Jésus et voulaient le faire mourir, parce qu’il faisait ces choses le jour du sabbat (16) ». Que répondit donc Jésus-Christ ? Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi incessamment ». (Jn 5,17) Quand il s’agissait de défendre ses disciples, Jésus produisait aux Juifs le témoignage de David, leur compagnon : « N’avez-vous point lu », leur disait-il, « ce que fit David, se voyant pressé de la faim ? » (Mat 12,3) Mais quand il parle pour lui-même, il cite l’exemple de son Père, montrant par l’un et par l’autre qu’il est égal à son Père, et lorsqu’il le nomme son propre Père, et lorsqu’il fait voir qu’il opère les mêmes œuvres que lui. Et pourquoi Jésus ne rapporte-t-il pas les miracles qu’il a faits auprès de Jéricho ? (Mat 12,29) Il les voulait tirer de leurs idées charnelles et grossières, et faire qu’ils ne le regardassent plus comme « purement » homme, mais qu’ils vinssent et recourussent à lui comme à Dieu et à leur Législateur. Car s’il n’était pas Fils de Dieu et de la même substance, la défense qu’il, produisait était pire que l’accusation. En effet, si un magistrat, accusé d’avoir transgressé la loi de son roi, s’excusait sur ce que le roi l’aurait lui-même transgressée, il ne serait pas pour cela absous de son crime, mais au contraire il serait regardé comme plus coupable et plus digne de châtiment ; mais ici, où la dignité est égale, la défense est tout à fait juste et légitime : pour la même raison que vous justifiez Dieu, justifiez-moi. Voilà pourquoi, avant toutes choses, le Sauveur dit : « Mon Père », afin de les forcer malgré eux de reconnaître en lui une même autorité et une même puissance, en l’honorant comme vrai Fils de Dieu. Que si quelqu’un dit : Et où est-ce que le Père agit, lui qui s’est reposé le septième jour (Gen 2,2) après ses ouvrages ? Qu’il apprenne de quelle manière Dieu agit. Comment donc agit-il ? Il gouverne et conserve ses ouvrages par sa providence. Lors donc que vous voyez le lever du soleil, le cours de la lune, les étangs, les fontaines, les fleuves, les pluies et le mouvement de la nature, soit dans les semences, soit dans nos corps, soit dans ceux, des bêtes, et de toutes les autres choses qui composent ce monde, reconnaissez-y l’action continuelle du Père, « qui fait lever son soleil », dit l’Écriture, « sur les bonnes sur les « méchants ». (Mat 5,45) Et encore : « Si donc Dieu a soin de vêtir de cette sorte une herbe des champs, qui est aujourd’hui et qui sera demain jetée au feu ». (Mat 6,30) Et derechef, sur les oiseaux : « Votre Père céleste les nourrit ». (Mat 6,29) 3. Ainsi, tout ce qu’a fait Jésus-Christ le jour du sabbat, il l’a fait par sa parole, sans rien de plus. Quant au crime dont on l’accusait, il s’en est justifié par ce qui se faisait dans le temple (Mat 12,5), et par l’exemple même de ses accusateurs ; mais quand il commande de travailler, comme d’emporter le lit (ce qui, sûrement, n’est pas un travail bien considérable, mais tel néanmoins qu’il marque clairement l’inobservance du sabbat), alors il parle plus haut, il leur apporte des preuves plus relevées, pour les confondue et leur imposer silence par la dignité de son Père, et les élever à de plus grands sentiments. C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit du sabbat, il ne se justifie pas comme homme seulement, ni comme Dieu seulement, mais tantôt d’une façon, tantôt de l’autre. Car il voulait qu’on crût à la fois, et à l’abaissement de son incarnation, et à la dignité, à la majesté de sa divinité. Voilà pourquoi maintenant il se justifie comme Dieu. En effet, s’il leur eût toujours parié humainement, toujours ils auraient eu de lui des sentiments bas et grossiers ; c’est donc pour les tirer de leur opinion et les éclairer, qu’il nomme sou Père. Au reste, les créatures elles-mêmes agissent au jour du sabbat : le soleil poursuit son cours, les fleuves roulent leurs eaux, les fontaines coulent, les femmes accouchent ; mais afin que vous sachiez que le Fils de Dieu n’est pas du nombre des créatures ; il n’a point dit J’agis aussi, car les créatures agissent, mais quoi ? J’agis aussi, car mon Père agit : « Mais les Juifs cherchaient encore avec plus d’ardeur à le faire mourir, parce que non seulement il ne gardait pas le sabbat, mais qu’il « disait même que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu (18) ». Et il ne le démontra pas seulement par ses paroles, mais encore plus par ses œuvres. Pourquoi par ses œuvres ? Parce que, de ses paroles, ils pouvaient prendre texte pour lui faire des reproches, pour l’accuser d’orgueil et de vanité ; mais en voyant la vérité et la réalité des choses et des œuvres, qui manifestaient et publiaient sa puissance, alors ils ne pouvaient même pas ouvrir la bouche contre lui. Ceux qui ne veulent pas croire pieusement ces vérités, disent : Jésus-Christ ne s’est pas fait égal à Dieu, mais seulement les Juifs l’en soupçonnaient : c’est pourquoi, revenons sur ce qui a été dit plus haut. Dites-moi : les Juifs persécutaient-ils Jésus-Christ ; ou ne le persécutaient-ils pas ? Certainement ils le persécutaient ; personne ne l’ignore. Le persécutaient-ils pour cette raison qu’il se faisait égal à Dieu, ou pour une autre ? c’était sûrement pour cette raison, comme tous le reconnaissent. Gardait-il le sabbat, ou non ? il ne le gardait pas, nul n’osera le nier. Disait-il que Dieu était son Père, ou ne le disait-il pas ? certes, il le disait. Donc tout le reste s’ensuit de même : comme les faits d’appeler Dieu son Père, de ne pas garder le sabbat, d’être persécuté des Juifs pour la première de ces raisons ; et encore plus pour l’autre, sont des vérités parfaitement établies ; quand il s’égalait à Dieu, il ne faisait que parler encore dans le même esprit : et ceci est encore plus évident par ce qui est rapporté ci-dessus ; car dire ces paroles. « Mon Père agit, et j’agis aussi », c’était la même chose que de se faire égal à Dieu. Jésus-Christ ne montre aucune différence entre ces paroles. Il n’a point dit : Il agit, et moi je le sers, je l’aide ; mais : comme il agit, j’agis aussi moi-même ; et il fait voir une grande égalité. Que si, cette égalité, Jésus-Christ n’avait pas voulu la montrer, et si les Juifs l’en avaient vainement soupçonné, il n’aurait pas permis qu’ils gardassent cette fausse opinion de lui, mais il l’aurait corrigée. Et l’évangéliste ne l’aurait point passée sous silence, mais il aurait publiquement déclaré que les Juifs avaient eu ce soupçon, mais que Jésus-Christ ne s’était pas fait égal à Dieu ; c’est ainsi qu’il en use ailleurs, lorsqu’il voit que ce qui a été dit dans un sens, on le prend dans un autre ; par exemple, à propos de cette phrase : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours » (Jn 2,19), qui concernait sa chair. Mais les Juifs, ne comprenant pas ce qu’avait dit Jésus-Christ, et croyant qu’il parlait de leur temple, disaient : « Ce temple a été quarante-six ans à bâtir, et vous le rétablirez en trois jours ? » (Jn 2,20) Comme donc Jésus-Christ avait dit une chose, et que les Juifs en avaient pensé une autre, que ce qu’il avait dit de sa chair, ils l’avaient entendu de leur temple, l’évangéliste, pour le taire remarquer, ou plutôt pour corriger cette fausse opinion, a ajouté : « Mais il entendait parler du temple de son corps ». (Jn 2,21) De même, si en cet endroit Jésus-Christ ne s’était pas fait égal à son Père, sûrement l’évangéliste aurait redressé la pensée des Juifs qui le croyaient, et il aurait dit : Les Juifs croyaient que Jésus-Christ se faisait égal à Dieu, mais il ne parlait pas de cette égalité. Et non seulement notre évangéliste en use ainsi dans l’endroit que nous avons cité, mais un autre aussi fait de même ailleurs. Jésus-Christ ayant dit à ses disciples : « Ayez soin de vous garder du levain des Pharisiens et des Sadducéens », et les disciples ayant pensé et dit entre eux : « Nous n’avons point pris de pain » (Mat 16,6) ; comme le Sauveur voulait dire une chose, appelant levain leur doctrine, et les disciples en entendaient une autre, pensant que c’était du pain que Jésus parlait, il rectifie cette pensée : et même ici ce n’est pas l’évangéliste, c’est Jésus-Christ lui-même qui la corrige, en disant : « Comment ne comprenez-vous point que ce n’est pas du pain que je vous ai parlé ? » (Mat 16,11) Mais dans le passage sur lequel roule la dispute, on ne voit nulle correction. Mais, dira quelqu’un, Jésus-Christ ruine cette interprétation, en ajoutant : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même ». Que dites-vous ? c’est tout le contraire : loin de nier l’égalité par ces mêmes paroles que vous alléguez, il l’établit et la confirme. Renouvelez votre attention, mes frères, la question est très-considérable et très-importante. Cette expression : « De lui-même », se rencontre souvent dans l’Écriture, où elle s’applique, et à Jésus-Christ, et au Saint-Esprit ; il en faut donc connaître la valeur et la force, pour ne pas tomber dans de très-grandes et de très-grossières erreurs. En effet, si vous la prenez dans le premier sens qu’elle présente, quelles absurdités ne s’en suivra-t-il pas ? Faites-y attention. L’Écriture n’a point dit que Jésus-Christ pouvait faire certaines choses de lui-même, et qu’il n’en pouvait pas faire d’autres ; mais elle dit en général : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même (19) ». 4. Nous ferons donc cette demande à notre contradicteur : Jésus-Christ, selon vous, ne peut donc rien faire de lui-même ? S’il répond Non, nous repartirons : Mais il a fait le plus grand de tous les biens par lui-même ; saint Paul le crie et le publie hautement : « Qui étant l’image de Dieu », c’est de Jésus-Christ qu’il parle, « n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation d’être égal à Dieu : mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la « forme de serviteur ». (Phi 2,6-7) Et encore : Jésus-Christ lui-même dit ailleurs : « J’ai le pouvoir de quitter la vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre, et personne ne me la ravit : c’est de moi-même que je la quitte », (Jn 10,18) Ne voyez-vous pas que celui qui s’est anéanti lui-même, en prenant de lui-même notre chair, a en son pouvoir et la mort et la vie ? Et que dis-je de Jésus-Christ ? Nous qui sommes ce qu’il y a de plus vil et de plus abject, nous faisons toutefois bien des choses de nous-mêmes ; de nous-mêmes nous choisissons le vice, de nous-mêmes nous pratiquons la vertu. Que si nous ne faisons pas ce choix de nous-mêmes, et si nous n’en avons pas le pouvoir, le péché ne saurait nous précipiter dans l’enfer ; ni les bonnes œuvres nous ouvrir le royaume des cieux. Donc, cette parole : « Jésus-Christ ne peut rien faire de lui-même », ne signifie autre chose, sillon qu’il ne peut rien faire de contraire à son Père, rien d’opposé, rien d’étranger : ce qui marque justement l’égalité et une parfaite union. Et pourquoi Jésus-Christ n’a-t-il pas dit le Fils ne fait rien de contraire, mais : il ne peut pas faire ? c’est encore pour montrer par là une parfaite égalité. Car par cette expression l’Écriture ne désigne pas une faiblesse, mais elle fait voir sa grande puissance. En effet, saint Paul aussi parle ailleurs du Père en ces mêmes termes : « Afin qu’étant appuyés sur ces deux choses inébranlables, par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe ». (Heb 6,18) Et derechef : « Si nous le renonçons ▼▼« Si nous le renonçons ». Mon texte le porte de même. Saint Chrysostome le prend du verset précédent. Ainsi que nous lisons dans les textes grec et latin du Nouveau Testament, il faudrait dire : Si nous sommes infidèles. Mais la pensée est toujours le même.
, il demeure fidèle ; car il ne peut pas se contredire lui-même ». (2Ti 2,13) Ce mot : « Il est impossible », ne marque nullement une faiblesse, mais un pouvoir et une puissance ineffable. Et voici ce que cela signifie. Cette substance n’admet et ne souffre aucune de ces sortes de choses, aucune de ces imperfections. Comme lorsque nous disons : Il est impossible que Dieu pèche, nous ne lui attribuons pas un défaut, ou une faiblesse, mais nous témoignons, au contraire, de sa puissance ineffable ; de même aussi, lorsque Jésus-Christ dit : « Je ne puis rien faire de moi-même », cela signifie : il est absolument impossible que je fasse rien de contraire à mon Père. Mais, afin que vous puissiez vous convaincre que c’est ainsi qu’il faut entendre ce, passage, examinons ce qui suit et voyons de quel côté est Jésus-Christ, ou du vôtre, ou du nôtre. Vous dites que ces paroles marquent un défaut de pouvoir, une limitation d’autorité et de puissance : et moi je soutiens, au contraire, qu’elles montrent évidemment une égalité entière et parfaite, et que tout se fait comme par une même volonté et une même puissance. Interrogeons Jésus-Christ lui-même, et par ses réponses nous jugerons si les paroles sur lesquelles nous disputons, il les explique selon votre opinion ou selon la nôtre. Que dit-il donc ? « Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui ». Ne voyez-vous pas qu’il renverse et détruit absolument votre opinion, au lieu qu’il établit et confirme la nôtre ? En effet, si le Fils ne fait rien de lui-même, le Père aussi ne fera rien de lui-même, puisque tout ce que fait le Père, le Fils le fait également. Et s’il n’en était pas ainsi, il s’ensuivrait une autre absurdité. Car Jésus-Christ n’a point dit : Le Fils fait ce qu’il a vu faire au Père, mais : il ne fait rien, s’il ne le voit faire au Père ; comprenant ainsi tous les temps dans son affirmation : or, selon vous, il apprendra toujours à, faire les mêmes choses. Sentez-vous combien est élevée et sublime cette pensée qui, quoiqu’enveloppée d’expressions basses et grossières, force pourtant, malgré eux, les hommes les plus impudents et les plus téméraires, d’éloigner de leur esprit toutes basses idées, tous sentiments indignes d’une si grande majesté ? Et qui serait assez misérable et assez malheureux pour dire que le Fils apprend chaque jour ce qu’il doit faire ? Alors, comment serait vrai ce que dit le prophète-roi : « Mais pour vous, vous êtes toujours le même, et vos années ne passeront point ? » (Psa 102,28) Et comment ceci le sera-t-il ? « Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui » (Jn 1,3), si ce que fait le Père, le Fils l’imite en le voyant ? Ne remarquez-vous pas comme son autorité et sa puissance se découvrent et se manifestent, et par ce qu’on a dit ci-dessus, et par ce qu’on va dire encore ? Que si Jésus-Christ emploie quelquefois des expressions tout humaines, ne vous en étonnez pas. Comme les Juifs, pour l’avoir entendu parler en des termes plus élevés, le persécutaient et le prenaient pour un, ennemi de Dieu, il commence par s’exprimer d’une manière un peu basse et grossière, seulement quant aux expressions ; puis il s’élève, il parle d’une manière plus sublime, ensuite il redescend, baisse le ton ; variant ainsi son discours et ses instructions, afin que les plus endurcis puissent aisément croire en lui. Voyez ; après avoir dit : « Mon Père agit, et j’agis aussi », et s’être montré égal à Dieu, il dit encore : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne fait que ce qu’il voit faire au Père ». Ensuite, il s’énonce en des termes plus élevés, et il dit : « Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui ». Après quoi, il s’abaisse de nouveau : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait ; et il lui montrera des œuvres encore plus grandes que celles-là (20) ». Peut-on voir un plus grand abaissement ? Non, certes, car ce que j’ai dit, et ce que je ne cesserai point de dire, je vais le répéter maintenant. Lorsque Jésus-Christ veut dire quelque chose d’une manière basse et humble, il ne craint point l’excès, de telle sorte que la grossièreté des paroles persuade même les plus méchants de recevoir avec piété ce qu’ils entendent. En effet, si ce n’était point là l’intention du divin Sauveur, considérez combien seraient absurdes ses paroles ; pour s’en convaincre, il suffit de les examiner. Quand il dit : « Il lui montrera des œuvres encore plus grandes que celles-ci », il paraît n’avoir pas encore appris beaucoup de choses, ce qu’on ne peut pas même dire des apôtres ; car dès que les apôtres eurent reçu la grâce du Saint-Esprit, ils reçurent aussitôt toutes les connaissances et tous les pouvoirs qui leur étaient nécessaires ; mais, de cette manière, il se trouverait que le Fils n’avait pas encore appris bien des choses qu’il lui était nécessaire de savoir. Que pourrait-on imaginer de plus absurde qu’une pareille idée ? Que veulent donc dire ces paroles ? Le voici : Comme, après avoir guéri le paralytique d’une manière si éclatante, il devait ressusciter un mort, il use de ces expressions comme pour dire : Vous êtes remplis d’admiration : de m’avoir vu guérir sur-le-champ un paralytique, vous verrez des œuvres encore plus grandes que celles-ci. Néanmoins, il n’a pas si clairement expliqué sa pensée, mais il l’a enveloppée d’expressions plus simples et plus grossières, pour apaiser la fureur des Juifs. Mais, pour connaître que ce mot : « Il lui montrera », ne doit pas se prendre à la lettre, voyez ce qui suit : « Car, comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut ». Or ces paroles : « il ne peut rien faire de lui-même », sont contraires à celles-ci : « A qui il veut ». Car, s’il donne la vie à qui il veut, il peut faire quelque chose de lui-même. En effet, le vouloir suppose le pouvoir. Et s’il né peut rien faire de lui-même, il ne donne donc pas la vie à qui il lui plaît ; ce mot : « Comme le Père ressuscite », prouve une égale vertu ; et celui-ci : « A qui il veut », montre un pouvoir égal. Par où vous voyez que ces paroles : « Il ne peut rien faire de lui-même », loin de rien ôter à son pouvoir, marquent, au contraire, une puissance égale et une même volonté. Ce mot : « Il lui montrera », entendez-le de même. Car le Fils dit ailleurs : « Je le ressusciterai au dernier jour. » (Jn 6,40) Et encore, pour montrer que cette vertu, que ce pouvoir d’agir, il ne l’a pas reçu, il dit : « Je suis la résurrection et la vie ». (Jn 11,25) Ensuite, afin que vous ne disiez pas qu’il ressuscite les morts et qu’il donne la vie à qui il lui plaît, mais que les autres choses, il ne les fait pas de même, il prévient l’objection et la résout par ces paroles : « Tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi comme lui », déclarant que tout ce que le Père fait, il le fait aussi comme lui, savoir, qu’il ressuscite les morts, qu’il forme les corps, leur rend la vie, qu’il remet les péchés, et qu’il fait toutes les autres choses de même que le Père les fait. 5. Mais ceux qui négligent leur salut ne font nulle attention à ces choses, tant est grand le marque produit l’amour de la domination. C’est lui qui a enfanté les hérésies ; c’est lui qui a établi l’idolâtrie des gentils. Dieu voulait que ses perfections invisibles devinssent visibles par la création du monde (Rom 1,20) ; mais les gentils ont fermé les yeux à la lumière, ils ont rejeté cette doctrine et se sont eux-mêmes frayé un autre chemin ; voilà pourquoi ils se sont égarés de la droite voie. Les Juifs n’ont point cru, parce qu’ils ont, aspiré à la gloire qui dent des hommes, et qu’ils n’ont point recherché celle qui vient de Dieu. (Jn 5,44) Mais nous, mes très-chers frères, fuyons cette passion avec un très-grand soin, et de toutes nos forces. Eussions-nous fait une infinité de belles actions et de bonnes œuvres, le venin de la vaine gloire les gâtera toutes. Si nous avons donc en vue les louanges, recherchons celles qui viennent de Dieu. La louange des hommes, de quelque nature qu’elle soit, s’évanouit aussitôt qu’elle paraît ; et quand même elle ne s’évanouirait pas, sûrement elle ne nous procurerait aucun avantage ; d’ailleurs, souvent elle vient d’un jugement corrompu. Qu’a-t-elle de si admirable, la gloire humaine, cette gloire dont jouissent de jeunes danseurs, des femmes impudiques, des avares, des voleurs ? Mais celui que Dieu loue est admiré, non avec ces sortes de gens, mais avec les saints ; savoir avec les prophètes et les apôtres, avec les hommes qui ont mené une vie angélique. Que si nous aimons à amasser la foule autour de nous et à nous faire regarder, examinons bien ce que c’est que cela, et nous trouverons que rien n’est plus vil ni plus méprisable. En un mot, si vous, aimez la foule, attirez à vous une grande troupe d’anges, rendez-vous redoutables aux démons ; par là, vous ne ferez nul cas des hommes ; par là, vous foulerez même aux pieds, comme de la fange et de la boue, tout ce qui paraît briller, et vous connaîtrez clairement alors que rien n’avilit tant l’âme que l’amour de la gloire. Non, certes, non, il ne se peut pas – que l’amateur de la vaine gloire ne traîne une vie pleine d’amertumes, de même qu’il est impossible que celui qui la méprise, ne foule aux pieds une infinité de vices. Celui qui est victorieux de la vaine gloire, vaincra aussi l’envie, l’amour des richesses et les autres maladies les plus cruelles. Et comment, direz-vous, la vaincrons-nous ? Nous en triompherons si, dans tout ce que nous faisons, nous avons l’autre gloire en vue, je veux dire la gloire céleste, dont celle-ci s’efforce de nous chasser. C’est elle qui, dans cette vie, nous rend illustres, et qui nous suit dans l’autre ; c’est elle qui nous délivre de toute servitude charnelle. Attachés à la terre et aux choses terrestres, maintenant nous sommes misérablement esclaves de la chair. Soit que vous alliez vous promener sur la place publique, soit que vous entriez dans votre maison, soit que vous alliez dans les rues, dans les lieux d’assemblées, dans les hôtelleries ; si vous montez sur un vaisseau pour naviguer, si vous allez dans une île, ou dans les palais des rois, si vous suivez le barreau, ou si vous allez au sénat, partout vous trouverez les sollicitudes de ce siècle, et vous verrez s’occuper, avec mille fatigues, des choses de ce monde, les voyageurs, les citoyens, les navigateurs, les laboureurs, ceux qui demeurent à la campagne, ceux qui habitent la ville ; en un mot, tous les hommes. Quelle espérance pouvons-nous avoir de notre salut, nous qui, habitant la terre de Dieu, ne songeons nullement aux choses de Dieu ? La Loi nous commande de vivre ici en étrangers, et nous sommes étrangers à l’égard du ciel, et habitants du monde. N’est-ce pas là une stupidité monstrueuse ? Tous les jours on nous parle du jugement et du royaume des cieux, et nous ne craignons pas d’imiter ceux qui vivaient au temps de Noé, et les habitants de Sodome (Mat 24,37 ; Gen 13,13 ; 18,19) ; nous attendons l’expérience pour nous instruire. Mais si toutes ces choses sont écrites, c’est afin que celui qui ne croit pas ce qui doit arriver apprenne du passé à lire dans l’avenir. Méditons donc ces vérités, mes frères, tant celles qui ont eu leur accomplissement, que celles qui s’accompliront infailliblement un jour, et secouons un peu le joug rigoureux de, notre servitude : ayons quelque soin de notre âme, afin que nous acquérions les biens présents et les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, dans tous les siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE PRONONCÉE DANS LA GRANDE ÉGLISE, APRÈS QUELQUES PAROLES SUR CE PASSAGE DE L’ÉVANGILE : LE FILS NE FAIT RIEN DE LUI-MÊME, QU’IL N’AIT VU FAIRE A SON PÈRE. (JEAN, 5,19)
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.
Cette magnifique homélie a été pour la première fois tirée de l’oubli par le savant Eric Benzel, et publiée par lui à Upsal, en 1708, d’après un manuscrit anglais, vicieux en beaucoup de passages Nous avons eu le bonheur de la retrouver dans un manuscrit du cardinal Ottoboni à Rome, et nous avons pu combler les lacunes et corriger les fautes. Cette homélie, qui est toute de controverse fut prononcée à l’occasion d’une objection des Anoméens. Saint Chrysostome, dan : son discours précédent avait cité ce mot de l’Évangile : Mon Père agit toujours et moi j’agis également ; il avait démontré par là que le Fils est égal au Père, ainsi, ajoute-t-il, que le déclare l’Évangéliste en ces termes : C’est pourquoi ils le poursuivaient davantage, non seulement parce qu’il rompait le sabbat, mais encore parce qu’il nommait Dieu sort Père, se faisant légal de Dieu ; c’était par là qu’il avait terminé son discours. Mais les hérétiques Anoméens opposèrent à ce raisonnement un autre passage de saint Jean (5, 19) : Le Fils ne fait rien de lui-même, qu’il n’ait vu faire à son Père. L’objection pouvait troubler ses auditeurs ; il fallait donc réfuter ces subtilités des Anoméens : aussi l’évêque Flavien prononça-t-il quelques paroles, et sachant le peuple désireux d’entendre Chrysostome, comme le plus capable de repousser vigoureusement une telle attaque, il se tut bientôt et lui confia le soin de réfuter les hérétiques… Il est donc certain que ce discours fut prononcé à Antioche, dans la grande église, comme le dit le titre, et en présence de Flavien, lorsque Chrysostome était déjà en haute estime auprès des habitants d’Antioche… Les dix premières homélies contre les Anoméens sont de l’année même où il fut fait prêtre et commença à prêcher (386 et 387). Celle-ci et celle qui en fut l’occasion, furent prononcées plus tard, quand des prédications continuelles eurent donné à Chrysostome un grand nom à Antioche. Nous ignorons l’année.- 1. Hommage à l’évêque Flavien. – Appel à l’attention des auditeurs. – Importance du sujet.
- 2. II expose l’objection des Anoméens, qui s’appuie sur une fausse interprétation du texte cité. – Il la réfute, parla nature même du Christ, par la théorie de la responsabilité humaine.
- 3. Par ses conséquences pour la création, et pour l’incarnation.
- 4 et 5. Par le témoignage de Jésus-Christ lui-même, et par des exemples de puissance tirés de sa vie terrestre.
- 6. Il établit le vrai sens du texte, qui est une preuve de consubstantialité : le fils ne peut rien sans le Père, le l’ère sans le Fils, parce qu’ils ne sont qu’un. – Preuves de cette interprétation tirées de l’Évangile et des paroles mêmes du Christ.
- 7. Conclusion : le Père et le Fils ont une égale puissance.
▼Nous renvoyons le commentaire sur le prophète Daniel à notre dernier volume, afin de pouvoir le traduire sur un meilleur texte, récemment découvert.
ô tyrannie ! notre maître, qui vient de parler avant moi, ne nous a permis, alors qu’il avait sa coupe pleine, d’y tremper que le bout des lèvres ; et ce n’est pas faute d’instruction à nous verser : les paroles ne découlent-elles pas toujours de sa bouche comme d’une source abondante ? Mais, compte je le disais en commençant, il a voulu, mes chers frères, mettre dans tout son jour la tyrannie dont vous faites preuve si souvent envers votre serviteur indigne. Voilà pourquoi il a été si prompt à se taire, à terminer son discours : il a voulu satisfaire à vos désirs, et pour cela il m’a remis l’obligation d’achever le paiement de sa dette. Puis donc qu’il m’a cédé la parole et que je vous vois suspendus à mes lèvres, il faut enfin que je me dispose pour la lutte ; mais venez à mon aide, tendez-moi la main : que vos prières délient rua langue, et qu’une attention intelligente rende votre instruction plus facile ; puisque le prophète ne demande pas seulement la sagesse chez qui conseille, mais aussi l’intelligence chez qui écoute. (Isa 3,3) Car nous n’avons pas aujourd’hui à engager un combat de peu d’importance : mais il réclame de tous, beaucoup de prières ; de vous qui écoutez beaucoup d’attention ; de moi qui parle, beaucoup d’efforts, pour que ma parole soit exacte et juste, et qu’elle pénètre dans vos âmes, mes chers frères, et s’y fixe solidement. Il vous faut non seulement m’entendre, mais vous instruire, non seulement vous instruire, mais enseigner ; non seulement recevoir vous-mêmes la vérité, mais la transmettre. Nous aurons en effet un plus brillant théâtre ; une plus nombreuse réunion, quand ce que vous aurez entendu vous aura servi à amener de nouveaux fidèles. Dans notre précédente assemblée, vous ayant cité cette parole de l’Évangile : « Mon Père agit toujours, et moi j’agis également (Jn 5,17) », je vous ai montré partant de là que le Fils est l’égal du Père, conséquence que l’Évangéliste avait déjà explicitement énoncée, en disant : « Ils le poursuivaient davantage, non seulement parce qu’il rompait le sabbat, mais parce qu’il appelait Dieu son père, se faisant l’égal de Dieu (Jn 5, 18) », et j’ai ainsi terminé mon discours. Aujourd’hui il me faut ruiner les objections que soulèvent les hérétiques à ce propos. Car, quoique en face d’une foule amie, je dois parler avec assez de justesse pour que mon langage soit irréprochable, inattaquable, fût-ce même par-devant des ennemis. En effet, comme je vous l’ai dit déjà, je ne veux pas seulement que vous m’écoutiez, mais aussi que vous instruisiez vos frères. Aussi me suis-je efforcé de vous abriter de toutes parts sous des armes spirituelles, pour qu’aucun de vos membres n’apparaisse à découvert, et ne reçoive une blessure mortelle. Oui, la parole nous est une arme : elle garantit les nôtres, et frappe nos adversaires ; elle les frappe non pour les abattre, mais pour les relever de terre, dans les combats que noirs livrons, c’est pour le salut de l’ennemi que s’élèvent nos trophées. Pour obtenir cet heureux triomphe, prêtez-moi donc votre attention ; rejetez toute pensée mondaine ; tenez votre esprit en éveil, et suivez-moi d’un mil pénétrant. Que le riche ne se laisse pas énerver par la noblesse ; que le pauvre ne plie pas sous les soucis de sa misère ; mais que chacun, bannissant de sa pensée les inégalités du monde, se prépare à entendre : car le sujet que nous avons à traiter est grave. Et si je reviens sur ces recommandations, c’est que je sais sur quel abîme nous nous avançons. Mais ne tremblez pas à ce mot d’abîme : avec l’Esprit-Saint pour guide, plus de ténèbres sur les eaux, mais partout une route facile, si du moins vous suivez la voie où je vous appelle. Pas de trouble, pas d’effroi. Assurément la question que nous devons agiter aujourd’hui peut commencer par troubler un auditeur d’un esprit superficiel, et par soulever en lui des doutes ; mais s’il attend la fin, quand il verra une solution d’accord avec sa foi, il jouira d’une heureuse paix) et il pourra faire aborder son âme dans un port saris orages. Donc, pour qu’il en soit ainsi, pas de trouble, pas d’effroi ; mais suivez en toute patience, en toute assurance, la voie que vous enseigne ma parole. Quelles sont les objections de nos contradicteurs ? « Le Fils ne peut rien de lui-même, disent-ils, qu’il n’ait vu faire à son Père. » (Jn 5, 9) Tel est bien le texte de l’Écriture. Comment donc nous opposent-ils ces paroles ? C’est qu’ils ne les citent pas dans le sens de l’Écriture. En effet, que veulent-ils en conclure ? Voyez-vous, disent-ils, comme le Fils de Dieu repousse toute pensée d’égalité ? Comme les Juifs le soupçonnaient de se prétendre l’égal de Dieu, il leur répond par ces mots : « le Fils ne peut rien de lui-même. » 2. Avais-je tort de dire que ces paroles pouvaient vous troubler, et tout d’abord inquiéter qui les entend ? Mais attendez et vous verrez nos adversaires accablés sous leurs propres armes. Avant tout il ne s’agissait pas d’un soupçon des Juifs ; c’est ce que je vous ai démontré en toute évidence dans notre précédent entretien ; pour ne pas remettre ce point en avant, je vous renvoie à mon dernier discours, et je vais m’efforcer de réfuter ce qu’on nous objecte aujourd’hui, en montrant que Jésus parle ainsi, non pour repousser ce soupçon des Juifs, mais pour confirmer leur opinion de tous points, et nous fournir la preuve de sa ressemblance, de son union étroite, de son entente parfaite avec son Père. Oui, je m’appuie avec tant de confiance sur cette parole, que j’y vois une démonstration de sa communauté de nature avec le Père, de sa consubstantialité. Ne soyez pas troublés par les raisonnements des hérétiques. Des épées, des lances, des javelots en peinture ne sauraient épouvanter un guerrier à l’aspect redoutable, à la mine résolue. Tout cela n’est qu’ombre et vaine image, et non pas réalité. Ainsi des raisonnements des hérétiques : pour les réfuter, attachons-nous au texte lui-même ; retournons-le sans relâche, et demandons-leur comment ils le veulent interpréter. Car il ne suffit pas de lire. Si c’était assez, pourquoi Philippe disait-il à l’eunuque : « Comprends-tu ce que tu lis ? » (Act 8,30) Par où l’on voit qu’il lisait, mais sans comprendre ce qui était écrit. Aussi répondit-il « De qui, je te prie, parle le prophète ? De lui-même, ou d’un autre ? » (Id 5,34) S’il suffisait de lire, comment se fait-il que les Juifs, en lisant l’Ancien Testament, et les prédictions sur la naissance du Christ, sur les signes et les miracles qui l’accompagneraient, le lieu, le temps, la croix, l’ensevelissement, la résurrection, l’ascension, la place à la droite de son Père, la descente du Saint-Esprit, la dispersion des Apôtres, la réprobation de la synagogue, la noblesse de l’Église, ne croient pas encore aujourd’hui ? Il ne suffit donc pas de lire, si l’on ne comprend de surcroît. Qu’un homme mange sans digérer, il ne peut vivre ; de même, qu’un homme lise sans comprendre, il ne rencontrera pas ta vérité. Ne me présentez donc pas seulement le texte de l’Évangile, mais interprétez-le. Voilà ce que je leur demande, afin d’écarter leurs fausses interprétations, et de jeter ensuite les fondements de la vérité. Ainsi font les architectes, ils ne jettent pas les fondations, avant d’avoir enlevé tout ce qui est mouvant, afin de bâtir avec solidité. Imitons-les. Répondez-moi donc : ainsi le Fils ne peut absolument rien faire de lui-même ? Car il n’a pas dit qu’il pût faire des hommes, mais non des anges ; ou bien des anges, mais non des archanges ; il a dit : rien. C’est donc un aveu d’impuissance ? puisqu’à votre sens, il ne peut rien, enchaîné qu’il est par une sorte de force invincible ; puisqu’il ne fait rien de lui-même, mais seulement ce qu’il a vu faire à son Père. Voyez quelle nouvelle doctrine, en complet désaccord avec sa substance pure, immortelle, inénarrable, inexplicable, incompréhensible ! Et pourquoi parler du Christ ? Moi chétif, moi misérable, moi ver de terre, nul ne saurait dire de moi que je ne puis rien par moi-même ; nul ne le saurait dire de vous, ni d’aucun homme. Car, s’il en était ainsi, l’enfer, l’expiation, le châtiment, vains mots ! vains mots, les couronnes, les récompenses, la félicité ! Non, nous ne serons pas punis pour nos fautes, nous ne serons pas récompensés pour nos bonnes actions, si nous ne faisons rien de nous-mêmes ! La récompense n’est pas promise à l’action elle-même, mais à l’intention. Ainsi, quand un homme fait de lui-même une bonne action, il est félicité, il est récompensé : non pas s’il la fait purement et simplement, mais avec intention, de dessein prémédité. Et voyez la vérité de mes paroles : « Il y a des eunuques, dit saint Matthieu, qui ont été faits eunuques par les hommes ; et il y a des eunuques, qui se sont faits eunuques eux-mêmes en vue du royaume des cieux. » (Mat 19,12) Il entend ici par eunuques, non ceux qui retranchent leurs membres, mais ceux qui se défont des pensées mauvaises et déréglées, non avec le fer, mais avec le raisonnement, et la sagesse et l’aide de Dieu. Ainsi il y a deux sortes d’eunuques, les uns mutilés par l’homme en leurs corps, les autres mutilés par la piété en leurs mauvaises pensées. Mais quoique leur mutilation diffère dans ses causes, ils n’en vivent pas moins également les uns et les autres loin du commerce de la femme. Également, ai-je dit, non par l’intention, mais par le fait matériel. Ni l’eunuque ne peut voir une femme, ni le moine, qui s’est fait eunuque lui-même. Le fait est le même, non pas la fin. Ceux que l’Évangéliste a dit mutilés par la main des hommes, il ne leur accorde aucune récompense ; c’est pour eux affaire d’incapacité physique, et non de lutte. Mais tes autres, il leur décerne la couronne céleste, en disant « en vue du royaume des cieux. » Pourtant ni l’un ni l’autre n’a commerce avec la femme, mais l’un s’abstient forcément par impuissance ; l’autre est chaste par la puissance de sa volonté, il veut et il triomphe. Et, quand les hommes peuvent par eux-mêmes de telles choses, quand ils peuvent raisonner, parler, accomplir tant d’autres actes, le Maître des anges ne pourra par lui-même absolument rien ? Qui supporterait un pareil langage ? N’entendez-vous pas saint Paul disant : « Dans une grande maison ne se trouvent pas seulement des vases d’or et d’argent, mais il y en a de bois et de terre, les uns pour l’honneur, les autres pour l’ignominie ; si quelqu’un se garde pur de ces choses, il sera un vase d’honneur, sanctifié et propre au service du Seigneur. » (2Ti 2,20-21) 3. Voyez-vous encore que c’est par eux-mêmes qu’ils se corrigent ? Car c’est là le sens du mot : « Si quelqu’un se garde pur. » Que signifie donc l’objection qui nous est faite ? Si je ne m’adressais qu’à des frères, j’aurais déjà tiré la conclusion ; mais puisque, j’ai affaire à des adversaires, à des ennemis, il me faut encore renverser leurs arguments. Examinons derechef la parole évangélique, pour en rendre le sens manifeste. Que nous puissions par nous-mêmes et agir et parler, c’est ce que le raisonnement a assez démontré. Car s’il n’en était ainsi, nous ne serions pas récompensés pour nos bonnes œuvres. Interrogeons de nouveau l’hérétique. Que veut-il dire : « S’il n’a vu son Père faire quelque chose, il ne peut rien faire de lui-même ? » De cette parole prise à la lettre, mais non de son interprétation, ou plutôt non pas même de cette parole, mais de la fausse interprétation qu’en donnent les hérétiques, il résulte nécessairement qu’il a dû y avoir deux créations. – Comment ? Pourquoi ? – S’il n’a vu son Père faire quelque chose, disent-ils, il ne peut rien faire. Il faut donc de toute nécessité que les œuvres du Père aient été d’abord achevées, et puis qu’il y en ait d’autres du Fils, qu’il crée après avoir vu les premières. Car s’il n’a vu faire, il ne faut pas, disent-ils. Or, pour qu’il voie, il faut qu’il y ait des œuvres. Eh bien, je vous prie, répondez-moi ! Je ne vois qu’un soleil, pourriez-vous m’en montrer deux, afin que j’attribue l’un au Père, l’autre au Fils ? Montrez-moi deux lunes, deux terres, deux mers, et ainsi du reste ? Vous ne le pourriez. Car il n’y a qu’un soleil. En quel sens donc ne fait-il rien, qu’il n’ait vu faire à son Père ? De qui voulez-vous que le soleil soit l’ouvrage ? Du Père ? Où est le soleil du Fils ? Du Fils ? Où est le soleil du Père, le modèle sur lequel le Fils en a fait un semblable ? Comment maintenir ce mot : « Tout a été fait par lui et sans lui rien n’a été fait ? » (Jn 1,3) Car si tout a été fait par lui, quel moment assigner à cette division de l’œuvre ? Voyez-vous quels raisonnements ! Comme vous vous percez de vos propres armes ! Comme le mensonge se dénonce lui-même ! Voilà comment, en exposant leur interprétation, je l’ai montrée se ruinant elle-même. Mais je leur demanderais volontiers encore Lequel a revêtu notre chair, et est descendu dans le sein d’une vierge ? Le Père ou le Fils ? Répondez. N’est-il pas clair pour tous que c’est le Fils unique de Dieu ? Paul dit : « Soyez dans le même sentiment où a été Jésus-Christ qui ayant la forme de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation d’être égal à Dieu, mais il s’est anéanti lui-même en prenant la forme de serviteur. » (Phi 2,5-7) Et : « Dieu a envoyé son Fils unique, né d’une femme, né sous la loi. » (Gal 4, 4) Toute l’Écriture, Ancien et Nouveau Testament, est remplie de témoignages à ce sujet, et les faits crient que le Fils unique s’est fait chair, et non pas le Père. Est-ce donc après avoir vu son Père prendre un corps, que le Fils unique a pris un corps ? Car il ne l’aurait pu s’il ne l’avait vu le faire. « Il ne peut rien faire de lui-même qu’il ne l’ait vu faire à son Père. » Quand donc aurait-il vu son Père prendre un corps ? Vous ne le pourriez dire. Et ne prétendez pas que ce soit là peu de chose. Car le fondement de notre salut est l’incarnation du Fils unique, sa descente au milieu de nous. Avant qu’il se fût fait homme, le mal régnait sur le monde, la nuit la plus profonde enveloppait tout, de tous côtés ce n’étaient que temples et autels pour les idoles, qu’odeur et fumée de sacrifices, que torrents de sang, et de sang non seulement de brebis et de bœufs, mais même d’hommes. « Ils sacrifiaient leurs fiels et leurs filles aux démons. » (Psa 106,3) Et ces crimes, qui les commettait ? Le peuple qui possédait des prophètes, qui connaissait la loi, qui avait joui de la vue de Dieu, qui avait été nourri au milieu de miracles sans nombre. S’il en était ainsi du peuple privilégié, demandez-vous ce qu’étaient les autres contrées de la terre, possédées des démons, soumises au mal, esclaves de toutes les passions, elles qui honoraient des morceaux de bois, adoraient des pierres, des montagnes, des collines, des forêts, des arbres, des lacs, des sources, des fleuves ? À quoi bon en dire davantage ? Les crimes des Juifs suffisent à nous faire juger du débordement du mal chez les autres nations. « C’étaient des chevaux en rut, et chacun d’eux hennissait après la femme de son voisin. » (Jer 5,8) « Le bœuf a reconnu son possesseur, l’âne l’étable de son maître, mais Israël ne m’a pas reconnu. » (Isa 1,3) « Des chiens muets, qui ne pouvaient aboyer. » (Isa 56,10) « Tu as pris la figure d’une courtisane ; tu as dépouillé publiquement toute pudeur. » (Jer 3, 3) « Il n’en est pas un qui comprenne, pas un qui cherche Dieu : tous ont détourné leurs regards, et aussitôt ils sont devenus « inutiles. » (Psa 14,2, 23) Et un autre : « En vain le fondeur fond l’argent au creuset leurs iniquités n’ont pas disparu. » (Jer 6,29) Un autre encore : « L’imprécation, le mensonge, le vol, le meurtre, l’adultère se sont répandus sur la terre, et le sang se mêle au sang. » (Ose 4,2) Un autre encore : « Si l’Éthiopien change sa peau, la panthère son pelage tacheté, ce peuple aussi pourra juger, ayant appris à discerner le mal. » (Jer 13,23) Et celui-ci : « Malheur, ô mon âme ! L’homme pieux a disparu de la terre, et le juste ne se rencontre plus parmi les hommes : tous jugent les mains dans le sang. » (Mic 7,2) Puis c’est Dieu : « Je hais, je repousse vos fêtes, et je n’accepterai pas l’odeur des victimes que vous immolez dans vos assemblées. » (Amo 5,4) Élie dit : « Ils ont renversé tes autels, et tué tes prophètes, et je suis resté seul, et ils me cherchent pour me tuer. » (1Ro 19,10) Et Dieu encore : « J’ai quitté ma maison, j’ai abandonné mon héritage, j’ai remis ma vie aux mains de mes ennemis. » (Jer 12,7) fuis David : « Ils ont immolé leurs fils et leurs filles aux démons, et ils ont versé un sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles. » (Psa 107,37.36) 4. Avez-vous vu la tyrannie du mal ? Ils sont devenus semblables à des chiens, à des chevaux, plus déraisonnables que des ânes, plus inintelligents que des bœufs, et leur folie a outragé la nature même. Mais après l’Incarnation du Christ, que dit l’Écriture : « Notre Père, qui êtes dans les cieux. » (Mat 6,9) Auparavant elle disait : « Va-t’en vers la fourmi ; paresseux (Pro 6,6) ; » mais après nous avons été élevés au rang, de fils, inscrits au ciel, et nous nous mêlons aux chœurs des anges, et nous prenons part à leurs chants, et nous rivalisons avec les puissances incorporelles. Les autels ont disparu, les temples ont été détruits. Les pierres nous ont paru des pierres, le bois, du bois ; les arbres, des arbres ; les sources, des sources. Le soleil de la justice a brillé (Mal 4,2) ; il nous a dévoilé la nature, ensevelie jusque-là dans la nuit par les ténèbres de l’erreur, et les ombres profondes de l’ignorance, qui troublaient et offusquaient notre vue. Depuis que de ses rayons le Soleil de la justice a dissipé les nuages épais de l’erreur, partout, règnent la lumière et le jour, ou plutôt l’étincelante clarté du plein midi. Les Perses, qui épousaient leurs mères, observent maintenant la virginité ! Ceux qui méconnaissaient leurs enfants et les égorgeaient, sont devenus des modèles de bonté, d’humanité ! Les loups ont pris la douceur des brebis ! Oui, et ceux mêmes qui étaient plus cruels que des loups ! Car le loup ne renie pas la nature : il reconnaît son petit ; or les hommes étaient plus féroces que les loups. Mais depuis l’Incarnation du Fils unique, et la dispensation de ses grâces, ils ont dépouillé leur férocité, et sont revenus à leur ancienne noblesse ; que dis-je, ils se sont élevés à la vertu des anges ! Auparavant les villes étaient pleines d’impiété : aujourd’hui le désert même apprend la sagesse avec les cabanes des moines, qui, dans les montagnes et les forêts, imitent la vie des anges, après avoir dépouillé la vie du siècle. Et qu’est-il besoin de paroles étudiées, quand les faits parlent eux-mêmes, et montrent avec une lumière plus éclatante que le soleil, les bienfaits qui ont inondé la terre après ce miraculeux et saint enfantement d’une vierge, après la rédemption du genre humain et l’Incarnation du Sauveur. Eh bien ! cette œuvre si grande et si belle, il l’a faite de lui-même, et Paul nous le proclame, en disant : « Jésus-Christ, qui ayant la forme de Dieu n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation d’être égal à Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la forme de serviteur. » (Phi 2,6, 7) Entendez-vous, hérétiques ? « Il s’est anéanti lui-même. » Et dans un autre passage : « De même que le Christ nous a aimés, et s’est livré lui-même pour nous comme victime offerte à Dieu en odeur de suavité. » (Eph 5,2) Et il a été crucifié de sa propre volonté, et il s’est immolé lui-même ; aussi disait-il : « J’ai le pouvoir de déposer ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me l’enlève : je la dépose de moi-même. » (Jn 10,18) Que répondez-vous à cela, hérétiques, vous qui détournez du vrai sens le mot de l’Évangile : « Le Fils ne peut rien de lui-même ? » Le voilà en personne disant : « Je dépose la vie de moi-même, et je la reprends de moi-même. » Parole non de grande valeur, mais du plus grand poids ! Et du Père aussi, il est dit qu’il a pouvoir sur la vie et sur la mort. Voyez-vous comment vous êtes tombés dans vos propres filets ? Qu’avez-vous à répondre à ce mot : « Je la dépose de moi-même, et je la reprends de moi-même. » Comment donc entendez-vous qu’il ne fait rien de lui-même ? Certes, comme je l’ai dit, si j’avais seulement à discuter avec les hérétiques, après les avoir ainsi mis dans l’embarras et pris dans leurs filets, je me retirerais, avec une victoire assez belle et un triomphe assez éclatant, dans la démonstration complète de leurs folies ! Mais je ne veux pas me borner à fermer la bouche à nos contradicteurs, je veux aussi instruire nos frères et fortifier les membres de notre Église : je ne m’en tiendrai donc pas là, je m’efforcerai d’aller plus avant ; je produirai un nouveau fait pour confondre l’impudence de nos adversaires. Que lisons-nous en effet ? « Le Père ne juge personne, c’est le Fils qui juge tous les hommes. » (Jn 5,22) 5. Je le demande donc aux hérétiques, si le Père ne juge personne, si c’est le Fils qui juge, comment juge-t-il ? Car s’il ne peut rien faire par lui-même, qu’il n’ait vu faire auparavant à son Père, si d’autre part, le Père ne jugeant pas, le Fils juge tous les hommes, comment peut-il faire ce qu’il n’a pas vu ? Et ne passons pas légèrement sur ce point : ce n’est pas une considération sans importance, mais un argument de la plus haute valeur. Songez en effet quelle œuvre immense ! Tous les hommes depuis Adam jusqu’à la consommation des siècles, Grecs, Juifs, hérétiques, fidèles égarés, les faire comparaître tous au jour suprême, et découvrir tout ce qu’ils ont tenu secret, actions, paroles, ruses, perfidies, et jusqu’à leurs plus mystérieuses pensées : et cela non par des témoignages, ni par des preuves, ni par dès figures, ni par des renseignements, ni par rien de ce genre : mais ne recourir qu’à sa propre puissance pour les confondre ! Et pourtant cette œuvre immense, il l’accomplit lui-même, sans avoir vu l’exemple de son Père, sans l’imiter ; car « le Père ne juge personne. » Voyez-le encore en d’autres circonstances agir de sa propre autorité, soit pour opérer des miracles, soit pour porter des lois, soit pour tant d’autres choses. Quand il est monté sur la montagne, au moment de donner le Nouveau Testament, il dit : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : vous ne tuerez pas ; et celui qui aura tué méritera d’être, condamné par le jugement. Mais moi, je vous le dis : Tout homme qui se sera mis en colère sans raison contre son frère, méritera d’être condamné par le jugement. Vous avez appris qu’il a été dit œil pour œil, dent pour dent » « Mais moi je vous dis de ne pas rendre la pareille au méchant ; si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, tendez-lui l’autre. » (Mat 5,21-22, 38, 30) Qu’est-ce que ce langage ? – Celui qui ne fait rien par lui-même, redresse les paroles de soir Père, et améliore ses lois ? Et quand je dis : améliore, ne voyez pas dans ce, mot un blasphème, une atteinte à la puissance de Dieu. Si la loi première est moins bonne, ce n’est pas du fait de Dieu, mais du l’ait de ceux – qui ont reçu la loi. Du reste l’Ancien Testament est aussi l’œuvre du Fils unique, comme le Nouveau est aussi celle du Père : comment, dites-moi, ne fait-il rien de lui-même, lui qui ajoute à l’Ancien Testament et qui déploie une telle puissance ? En vérité, y a-t-il rien de plus faible que l’hérésie ! Les Juifs demeuraient frappés de, stupeur, parce qu’il leur donnait ses enseignements : « comme ayant la puissance, et non à la manière des scribes et des pharisiens. » (Mat 7,28) Ainsi les Juifs rendent témoignage de sa puissance, et les hérétiques viennent protester qu’il rie peut rien de lui-même. Et les Juifs n’ont pas dit, comme devant avoir la puissance, mais bien : « comme ayant la puissance. » Car la puissance ne lui est pas venue dans la suite, mais il l’avait entière, sans qu’il y manquât rien. Aussi, interrogé sur son règne, disait-il : « Je suis né pour régner. » (Jn 18,37) Une autre fois on lui présente le paralytique, et, après lui avoir remis ses fautes : « Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a la puissance de remettre les péchés sur la terre, prends toit lit, lui dit-il, et va-t’en dans ta demeure. » (Mat 9,6) La foule disait : il fait tout, comme ayant la puissance ; mais lui : « Le Fils de l’homme a la puissance de remettre les péchés sur la terre », et encore. « J’ai la puissance de déposer ma vie, et la puissance de la reprendre. » (Jn 10,18) Ainsi, il a la puissance de porter des lois, il a la puissance de remettre les péchés, il a la puissance sur la vie et sur la mort, et vous prétendez qu’il ne peut rien par lui-même ? – Est-il rien de plus éclatant que notre triomphe ? 6. Maintenant que nous en avons fini avec les hérétiques, si vous le voulez, arrivons à la conclusion : je veux vous montrer tout d’abord que ce mot : « Il ne peut », appliqué à Dieu, est une preuve, non de faiblesse, mais de force. Quelque surprenante que vous paraisse cette assertion, je ne vous en donnerai pas moins une démonstration éclatante. Si je dis que Dieu ne peut faillir, je ne l’accuse pas de faiblesse, mais je porte témoignage de sa puissance infinie. Si je dis que Dieu ne peut mentir, c’est encore même témoignage. Ainsi, Paul disait : « Si nous persévérons, nous régnerons avec lui ; si nous cessons de croire, lui-même demeure fidèle, car il ne peut se démentir. » (2Ti 2,11-13) Voyez-vous que ce mot : « il ne peut » est une marque de sa puissance. Et pourquoi parler de Dieu ? Les choses matérielles elles-mêmes viennent à l’appui de mon raisonnement. Si je dis que le diamant ne peut se briser, est-ce de sa faiblesse ou de sa grande force que je témoigne ainsi ? Alors donc que vous entendez dire que Dieu ne peut faillir, que Dieu ne peut mentir ni se démentir, ne voyez pas dans cette parole une accusation de faiblesse, mais l’aveu d’une puissance infinie : c’est dire que son essence n’admet pas le mal, qu’elle est incorruptible, immaculée, supérieure. Puisque voilà cette difficulté bien tranchée, tournons maintenant, sur notre propre sujet, l’effort de notre discours. « Le Fils ne peut rien faire par lui-même. » Que veut dire ce « par lui-même ? » Si vous l’entendez en son vrai sens, vous y verrez l’étroite union de Jésus avec son Père, l’identité de leur substance, en un mot la consubstantialité du Père et du Fils. Que signifie donc « Il ne peut rien par lui-même ? » Qu’il ne peut rien faire qui lui soit propre en dehors de son Père, rien de personnel, de distinct, rien d’étranger au Père, rien d’autre enfin que ce que fait le Père : car ce que fait l’un, l’autre le fait aussi. Donc le mot, il ne peut rien faire par lui-même, n’est la négation ni de sa liberté, ni de sa puissance, mais la manifestation de l’union du Père et du Fils, le témoignage de leur accord, de leur étroite union, le signe enfin de leur identité. Car, comme il rompait le sabbat, et que les Juifs l’accusaient de violer la loi, en disant le Seigneur a ordonné une chose, et tu en fais une autre, il abat leur impudence par ces mots : Je n’ai rien fait que n’ait fait mon Père, je ne lui suis ni opposé, ni ennemi. S’il ne s’est pas exprimé en ces termes, s’il a revêtu sa pensée d’une enveloppe plus terrestre et plus épaisse, songez qu’il parlait à des Juifs, qui le prenaient pour l’ennemi de Dieu. Aussi pour qu’on ne pût le croire tel, ajoute-t-il aussitôt : « Les actes qu’il fait, le Fils les fait également. » (Jn 5,19) Or, s’il ne fait rien par lui-même, comment les fait-il également ? Faire n’est rien ; les apôtres faisaient à son exemple, ils réveillaient les morts, ils guérissaient les lépreux, mais non pas également, comme lui. Comment donc faisaient-ils ? Pourquoi vous attacher à nous, disent-ils, comme si nous avions fait marcher cet homme de notre propre autorité, par notre propre puissance ? (Act 3,12) Et Jésus ? « Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a la puissance de remettre les péchés sur la terre (Mrc 2,10 ; Luc 5,24) », et quand il s’agit de la résurrection des morts : « Comme le Père réveille les morts et les ressuscite, de même aussi le Fils ressuscite ceux qu’il veut. » (Jn 5,21) Il aurait suffi de dire : « de même ; » mais de surcroît pour rabaisser l’impudence de ses contradicteurs, il ajoute : « ceux qu’il veut », comme preuve de sa pleine puissance. C’est pour cela qu’après avoir dit : « Les actes que fait le Père », il n’ajoute pas, « le Fils les fait également. » « Car tout a été fait par lui, et sans lui rien ne s’est fait. » (Jn 1,3) Voyez-vous comme Jésus s’applique à faire comprendre l’accord, la liaison, l’union parfaite du Père et du Fils, en disant, non pas « des choses semblables », mais « les mêmes » que le Père, et « également. » Aussi, même lorsqu’il a voulu se représenter sous un langage modeste, s’est-il encore exprimé avec les plus grandes précautions. Car il n’a pas dit, « S’il ne l’a appris de son Père », afin que vous n’alliez pas croire qu’il apprenne ; il n’a pas dit non plus, « S’il n’en a reçu l’ordre », afin que vous ne le soupçonniez pas d’avoir rang de serviteur, mais « s’il n’a vu son Père le faire. » Et cette parole même indique une étroite union avec le Père. Car s’il peut voir son Père agir, et comprendre comment il agit, il a la même substance. Nous avons bien souvent déjà démontré que nul ne peut voir une substance, ni la connaître pleinement, s’il n’est de même nature. Un ange apparaissant dans sa pure substance, est demeuré invisible à un homme, et encore était-ce un homme d’une grande vertu, Daniel. Aussi Jésus proclamait-il la vision de Dieu comme un privilège de sa nature. « Nul n’a jamais vu Dieu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, voilà celui qui a raconté Dieu. » (Jn 1,18) Et ailleurs : « Car personne n’a vu le Père, si ce n’est celui qui vient de Dieu, et celui-là l’a vu. » (Jn 6,46) Et pourtant combien d’autres, des prophètes, des patriarches, des justes, des anges l’ont vu ; mais il parle d’une vue parfaite. Ne disons donc pas qu’il agit, lorsqu’il voit le Père agir : car que signifierait : « Tout a été fait par lui, et sans lui rien ne s’est fait ? (Jn 1,3) » et ceci : « Ce qu’il fait, le Fils le fait également ? » (Jn 5,19) Car s’il le fait également, comment ne le fait-il qu’après avoir vu le Père ? Il faudra donc, d’après votre raisonnement, que le Père lui-même ne fasse, qu’après avoir vu faire un autre : mais c’est le comble de la déraison et de la folie. 7. Mais pour ne pas prolonger notre discours à réfuter ces misérables absurdités, voici ce que nous ajouterons : C’est parce qu’il parlait à des Juifs qui l’accusaient d’être l’ennemi de Dieu et l’adversaire de ses lois, et qui tiraient cette accusation de ses actes, qu’il a donné à son langage une figure plus terrestre et plus matérielle, laissant aux oreilles intelligentes à y trouver un sens digne de Dieu, et redressant ceux qui comprenaient d’une manière plus grossière : Voilà pourquoi il a dit : « Les actes « qu’il fait, le Fils les fait également. » Ce n’est pas qu’il attende pour agir, jusqu’à ce qu’il ait vu agir son Père ; ce n’est pas qu’il ait besoin d’apprendre ; mais il voit l’essence même de son Père, et il la connaît complètement : « Comme mon Père me connaît, moi je connais mon Père. » (Jn 10,15) Et il fait et exécute tout de sa propre autorité, par l’intelligence et la sagesse qui lui appartiennent, sans avoir besoin d’apprendre ni de voir d’abord. Comment en aurait-il besoin, lui, l’image parfaite de son Père, lui qui fait tout de même que son Père, également, avec la même puissance ? Car en parlant de sa puissance, il a dit : « Mon Père et moi, nous sommes un. » (Jn 10,30) Ainsi instruits et éclairés par tout ce qui a été dit, évitons donc les réunions des hérétiques, demeurons à jamais attachés à la vraie foi, réglons avec soin notre vie et notre conduite sur les enseignements de la religion, pour obtenir les biens de la vie future, par la grâce et les bontés de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Fils, soient la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ! HOMÉLIE XXXIX.
LE PÈRE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A DONNÉ AU FILS TOUT POUVOIR DE JUGER. – AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS, COMME ILS HONORENT LE PÈRE. (VERS. 22, 23, JUSQU’AU VERS. 30)ANALYSE.
- 1. Craindre le jugement dernier.
- 2. Pourquoi Jésus-Christ use de paroles simples. – Sabellien enseignait qu’il n’y a qu’une seule personne en Dieu.
- 3. Jésus-Christ parle souvent du jugement de la vie, de la résurrection, pourquoi ?
- 4. Deux volontés en Jésus-Christ, comment?
- 5. Dans l’étude de l’Écriture sainte ne rien passer, examiner les circonstances, sonder, peser tout, ne pas s’excuser sur son ignorance, sur sa simplicité. – Il est ordonné d’être prudent. – Pardonner aux autres, afin que le Seigneur nous pardonne : refuser le pardon aux autres, c’est se le refuser à soi-même. – Pardonner de môme que Jésus-Christ nous a pardonné. – Ce qu’il faut faire pour acquérir la vie éternelle. – Recommandation de l’aumône.
▼i e. Condamné.
», de peur qu’on ne crût qu’il suffisait de croire pour être sauvé, il ajoute qu’on rendra compte de la vie : ceux qui auront fait de bonnes œuvres ; ressusciteront pour la vie : ceux qui en auront fait de mauvaises, ressusciteront pour, être condamnés. Comme donc il avait dit que tout le monde lui rendrait compte, et qu’à sa voix tous ressusciteraient, vérité jusqu’alors certainement inconnue, à laquelle on ne s’attendait, pas, à laquelle encore aujourd’hui plusieurs ne croient point, même parmi ceux qui semblent y croire, et à plus forte raison les Juifs de ce temps : comme donc Jésus-Christ avait dit que tous lui rendraient compte, que, tous ressusciteraient, écoutez et observez de quelle manière il l’annonce pour s’accommoder à la faiblesse de ses auditeurs : « Je ne puis », dit-il, « rien faire de moi-même, je juge selon ce que j’entends, et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé (30) ». Toutefois il n’avait pas donné une faible preuve de la résurrection, lorsqu’il guérit le paralytique. C’est pourquoi il n’en, a parlé qu’après avoir opéré cette guérison, qui ne différait pas beaucoup d’une résurrection : Quant au jugement, il y a fait allusion après avoir rétabli le corps du paralytique, en disant : « Vous voyez que vous êtes guéri, ne, péchez plus à l’avenir, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pire ». (Jn 5,14) Cependant il prédit, et la résurrection particulière de Lazare, et la résurrection générale. Et ayant prédit ces deux résurrections, celle de Lazare qui devait bientôt arriver, et celle de tous les hommes qui ne devait arriver que très-longtemps après, il confirme la proximité de la première par la guérison du paralytique, en disant : « L’heure vient, et elle est déjà venue », et il annonce la résurrection générale par celle de Lazare, exposant aux yeux des hommes une image des choses à venir dans celles qui se sont déjà passées. Nous le voyons agir ainsi constamment : lorsqu’il fait deux ou trois prédictions ; celle dont l’événement est le plus éloigné, il la persuade par ce qui est déjà arrivé. 4. Jésus-Christ, connaissant donc que les Juifs étaient extrêmement faibles et grossiers, ne s’est point contenté des premières instructions qu’il leur avait déjà données, ni des premières œuvres qu’il avait opérées devant eux ; mais, pour vaincre leur obstination et leur dureté, il ajoute à cela de nouvelles paroles, et dit : « Je ne puis rien faire de moi-même : Je juge selon ce que j’entends, et mon jugement est juste ; parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé ». Mais sa doctrine devait paraître nouvelle, étrangère, différente de celle que les prophètes avaient enseignée ; car les prophètes disaient que c’est Dieu qui juge toute la terre, c’est-à-dire le genre humain : David le publie partout : « Il jugera », dit-il, « les peuples dans l’équité » (Psa 96,12) ; et « Dieu est un juge » également « juste, fort et patient » (Psa 7,12) ; tous les prophètes et Moïse le déclarent de même. Jésus-Christ, au contraire, disait : « Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout pouvoir de juger ». Comme donc cette doctrine pouvait troubler le Juif qui l’entendait, et le porter à soupçonner Jésus d’être contraire à Dieu, voilà, dis-je, pourquoi il se rabaisse si fort, c’est-à-dire autant que le demandait leur faiblesse, afin d’arracher jusqu’à la racine ce pernicieux soupçon de leur esprit ; voilà pourquoi il dit : « Je ne puis, rien, faire de moi-même » ; c’est-à-dire, vous ne me verrez rien faire, ou vous ne m’entendrez rien dire qui soit contraire à la volonté du Père, qui soit différent de ce qu’il veut. De plus, comme il a dit auparavant qu’il était le Fils de l’homme et montré que les Juifs le prenaient pour un homme pur et simple, il fait de même en cet endroit. Comme donc encore, lorsqu’il dit ci-dessus : « Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu » (Jn 3,11) ; et saint Jean : « Il rend témoignage de ce qu’il a vu, et personne ne reçoit son témoignage » (Id 32) ; il parle d’une connaissance certaine et intime du Père à l’égard du Fils, et du Fils à l’égard du Père, et non pas simplement de celle qu’on acquiert par l’ouïe et par la vue ; de même ici, par l’ouïe il n’entend autre chose, sinon qu’il ne peut faire que ce que veut le Père. Mais il ne l’a pas expliqué si clairement, parce que s’il l’avait ouvertement déclaré, les Juifs auraient été incapables encore d’ajouter foi à ses paroles. Mais de quelle manière s’énonce-t-il ? En des termes très-simples et très-humains : « Je juge selon ce que j’entends », il ne fait pas mention d’enseignement de la doctrine ; il ne dit pas : selon ce qu’on m’enseigne, mais : « selon ce que j’entends ». Et encore ce n’est pas qu’il ait besoin d’entendre ; car non seulement il n’avait pas besoin d’être instruit, mais pas même d’entendre. Par ces paroles donc, il ne montre autre chose, sinon la parfaite union qui est entre le Père et le Fils, et l’identité de leur jugement ; c’est comme s’il disait : je juge de même que si c’était le Père qui jugeât. Après quoi Jésus-Christ ajoute : « Et je sais que mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé (30) ». Que dites-vous, Seigneur ? Avez-vous une autre volonté que la volonté du Père ? Ailleurs, vous avez dit : « Comme vous et moi nous sommes un ». (Jn 17,21-22) Et encore, parlant de la volonté et de l’union : « Comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous ; qu’ils soient de même un en nous (Id) », c’est-à-dire, par la foi en nous. Ne remarquez-vous pas, mes frères, que ce qui paraît le plus simple, renferme sous cette écorce un sens sublime et très-élevé ? Voici ce que Jésus-Christ nous apprend : il nous fait connaître que la volonté du Père n’est point différente de la sienne : la volonté du Père ; dit-il, et la mienne sont aussi bien une que celle d’une seule âme est une. Et ne vous étonnez pas s’il dit que cette union est étroite à ce point, puisque saint Paul, parlant du Saint-Esprit, se sert du même exemple, et dit : « Qui des hommes connaît ce qui est en l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? Ainsi nul ne tonnait ce qui est en Dieu, que l’Esprit de Dieu ». (1Co 2,11) Jésus-Christ ne veut donc dire autre chose, sinon ceci : Je n’ai point de volonté propre, ni d’autre volonté que la volonté du Père mais s’il veut quelque chose, je le veux aussi, et si je veux quelque chose, il le veut de même. Comme donc personne ne peut blâmer le Père dans ses jugements, personne ne peut me blâmer dans les miens : la même pensée forme et produit l’un et l’autre jugement. Que si, en disant ces choses, Jésus-Christ emprunte la manière de parler des hommes, n’en soyez pas surpris ; c’est parce que les Juifs le prenaient pour un homme ordinaire. C’est pourquoi, dans ces endroits, il ne faut pas seulement faire attention aux paroles, mais encore à l’opinion des hommes, et regarder la réponse comme étant donnée en conformité de cette opinion : autrement il s’ensuivrait bien des absurdités. Observez ceci, je vous prie. Le Sauveur a dit : « Je ne cherche point ma volonté ». Il a donc une autre volonté, et de beaucoup inférieure ; et non seulement inférieure, mais aussi moins utile. Si cette volonté est salutaire et conforme à celle du Père, pourquoi ne la cherchez-vous pas ? Les hommes peuvent dire cela avec justice, eux qui ont plusieurs volontés contraires à la volonté de Dieu : mais vous, pourquoi parlez-vous de la sorte, vous qui êtes en tout égal et semblable au Père ? Ce langage ne convient pas même à un homme parfait, à un crucifié. Saint Paul se lie et s’unit si étroitement à la volonté de Dieu, qu’il dit : « Je vis, « ou plutôt ce n’est plus moi qui vis ; mais « c’est Jésus-Christ qui vit en moi ».(Gal 2,20) ; comment le Maître de tout le monde a-t-il pu dire : « Je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé », comme s’il s’agissait d’une autre volonté ? Quelle explication donc faut-il donner à ces paroles ? Celle-ci : Jésus-Christ parle comme homme, et selon l’opinion de ses auditeurs. Comme il a parlé ci-dessus tantôt comme Dieu, et tantôt comme homme, il dit encore ici, comme homme : « Mon jugement est juste ». Et d’où cela parait-il ? De ce qu’il dit : « Parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé ». En effet, comme on ne peut justement accuser un homme qui est exempt de passion d’avoir jugé contre les règles de la justice ; de même à présent vous ne pouvez nie faire aucun reproche. Que celui qui veut établir sa fortune, on le soupçonne d’avoir foulé aux pieds la justice, peut-être y a-t-il quelque raison, quelque fondement ? mais celui qui ne cherche pas ses propres intérêts, quelle raison mirait-il de juger injustement ? Servez-vous donc de ce raisonnement pour juger de ma doctrine et de mes œuvres. Encore si je disais que je n’ai pas été envoyé par le Père, et si je ne lui rapportais pas la gloire de mes actions, peut-être quelqu’un de vous pourrait-il penser que je me vante, et que je ne dis pas la vérité ? Mais si tout ce que je fais, je le rapporte à un autre, pourquoi ma parole vous serait-elle suspecte ? Ne voyez-vous pas où en vient Jésus-Christ, et comment il prouve que son jugement est juste par un argument d’un usage vulgaire et général ? Ne voyez-vous pas avec quelle clarté et quelle lumière se montre ce que j’ai souvent dit ? Et qu’est-ce que j’ai dit ? Que l’excès même de grossièreté qu’il y a souvent dans les paroles du Sauveur est justement ce qui porte les hommes de sens à ne point s’arrêter aux basses idées qu’elles présentent d’abord, et à les expliquer dans un sens plus élevé et plus sublime ; par là, ceux qui maintenant rampent à terre, sont amenés peu à peu, et sans peine, à s’élever plus haut. 5. Faisons attention à toutes ces choses, je vous prie, et, dans la lecture de l’Écriture sainte, n’omettons rien, ne passons pas la moindre parole ; mais examinons tout avec soin, et considérons bien la raison de chaque parole. Ne croyons pas pouvoir nous excuser sur notre ignorance ou sur notre simplicité. Jésus-Christ ne nous a pas seulement ordonné d’être simples, mais encore d’être prudents (Mat 10,16) Usons donc de simplicité, mais joignons à cela la prudence, soit dans l’étude de la doctrine, soit dans nos actions, et jugeons-nous nous-mêmes, afin qu’au jour du jugement nous ne soyons pas condamnés avec ce monde (1Co 11,31-32). Tels que nous désirons que Notre-Seigneur soit à notre égard, tels soyons nous-mêmes à l’égard de nos serviteurs. « Remettez-nous nos dettes », dit l’Écriture, « comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ». (Mat 6,12) Je le sais fort bien, que le cœur ne souffre pas volontiers les injures ; mais si nous faisons réflexion qu’en les supportant courageusement, ce n’est pas pour celui qui nous offense que nous agissons, mais pour nous-mêmes, promptement nous chasserons le poison de la colère. En voici un exemple : Celui qui ne remit pas à son débiteur sa dette de cent deniers (Mat 18,24), ne fit pas tort au prochain, mais il se rendit lui-même débiteur de cent mille talents dont on venait de lui remettre la dette. Ainsi, lorsque nous ne pardonnons pas aux autres, c’est à nous-mêmes que nous refusons le pardon. Ne disons donc pas seulement à Dieu : Seigneur, ne vous souvenez point de nos offenses ; mais disons-nous aussi chacun de nous à nous-mêmes : Ne nous souvenons pas des offenses de nos compagnons. Vous êtes votre premier juge, Dieu ne l’est qu’après vous. Vous-même vous écrivez la loi qui vous absout ou qui vous condamne : vous-même vous prononcez la sentence d’absolution ou de condamnation ; il dépend donc de vous que Dieu se souvienne de vos péchés, ou qu’il ne s’en souvienne pas. Voilà pourquoi saint Paul commande de remettre et de pardonner, si l’on a quelque grief contre quelqu’un (1Co. 6) ; et non seulement de tout remettre, de tout oublier, mais encore d’étouffer tout ressentiment, en sorte qu’il n’en reste pas la moindre étincelle. Jésus-Christ non seulement n’a pas publié nos péchés, mais il ne nous en a même pas rappelé le souvenir ; il ne nous a pas dit : Vous avez péché en cela et en cela ; mais il nous à pardonné, il a effacé la cédule qui nous était contraire (Col 2,14), il n’a pas même tenu compte de nos péchés, comme le déclare saint Paul. Faisons de même, mes frères ; effaçons tout de notre esprit. Si celui qui nous a offensés nous a fait quelque bien, n’ayons égard qu’à ce bienfait ; s’il nous a fait du mal, éloignons-en le pénible souvenir, effaçons-le, qu’il n’en reste pas la moindre trace dans notre mémoire. S’il ne nous a jamais fait aucun bien, et que nous lui pardonnions alors généreusement son offense, la récompense et la louange que nous obtiendrons en retour en seront d’autant plus grandes. D’autres expient leurs péchés par les veilles, en couchant sur la dure, et par mille autres macérations ; pour vous, vous pouvez laver tous vos crimes par une voie plus aisée, à savoir, par l’oubli des injures. Pourquoi, comme un furieux et un insensé, vous plongez-vous le poignard dans le sein, et vous excluez-vous vous-même de la vie éternelle, au lieu de faire tous vos efforts pour l’acquérir ? Si la vie actuelle vous paraît si désirable, que direz-vous donc de celle d’où sont bannies là douleur, la tristesse, les larmes (Apo 20,4) ? où l’on n’a point à craindre la mort, ni la perte des biens que l’on possède ? Heureux, et trois fois heureux ceux qui jouissent de ce bienheureux partage ! Malheureux, et mille fois malheureux ceux qui se privent eux-mêmes de ce bonheur ! Et qu’est-ce qui nous procurera cette vie ? demanderez-vous. Écoutez ce que répondit notre juge à un jeune homme qui lui faisait cette question : « Quel bien faut-il que je fasse « pour acquérir la vie éternelle ? » (Mat 19,16) Jésus-Christ, après lui avoir énuméré les autres commandements, finit par celui de l’amour du prochain. Peut-être quelqu’un de mes auditeurs me répondra comme cet homme riche : Nous avons gardé tous ces commandements, nous n’avons point dérobé, nous n’avons point tué, nous n’avons point commis d’adultère : mais vous ne pourrez pas dire que vous ayez aimé votre prochain, comme vous le deviez ; car, ou vous lui avez porté envie, ou vous l’avez outragé, ou vous ne l’avez pas secouru quand on l’a maltraité, ou vous ne lui avez pas fait part de vos biens : vous ne l’avez pas aimé. Au reste, ce n’est point là seulement ce que Jésus-Christ commande ; il y a une autre chose encore, et quoi ? « Vendez tout ce que vous avez et le donnez aux pauvres : puis venez et suivez-moi ». (Mat 19,21) C’est-à-dire : Imitez-moi dans votre conduite. Qu’apprenons-nous de là ? Premièrement, que celui qui n’a pas toutes ces qualités et ne possède pas toutes ces vertus, ne pourra point être placé dans le royaume des cieux au rang des premiers. Ce jeune homme ayant répondu : J’ai gardé tous ces commandements, comme s’il lui manquait encore quelque chose de grand pour atteindre à la perfection, Jésus lui dit : « Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres : puis venez et suivez-moi ». Voilà donc ce qu’il faut premièrement, apprendre ; secondement, que Jésus le reprit de s’être donné de vaines louanges. En effet, cet homme qui avait de grands biens, et qui laissait les pauvres dans la détresse, comment aurait-il aimé son prochain ? Il ne disait donc pas vrai. Mais nous, sachons remplir toutes nos obligations, et répandons tous nos biens pour acquérir le ciel. Si quelques-uns prodiguent tous leurs biens pour se procurer une dignité séculière, une dignité, dis-je qu’on ne peut posséder que dans cette vie, et encore fort peu de temps : car longtemps avant leur mort plusieurs ont été dépouillés de leur magistrature ; d’autres, à l’occasion de cette charge, ont même perdu la vie ; on le sait, et toutefois on emploie tout pour s’y élever : si donc il n’est rien, qu’on ne tente pour acquérir ces sortes de dignités, quoi de plus misérable que nous, qui ne voulons pas faire la moindre dépense, ni donner ce que nous allons perdre dans peu et laisser ici-bas, pour acquérir une dignité permanente, éternelle, et qu’on ne pourra jamais nous ravir ? Quelle étrange manie ! ce qu’on va nous arracher malgré nous, nous ne voulons pas le donner de bon gré, et l’emporter avec nous ? Ah ! certes, si quelqu’un, nous conduisant à la mort, nous proposait de racheter notre vie pour tous nos biens, nous l’accepterions bien vite, et nous ferions encore de grands remerciements. Et maintenant que, près d’être plongés dans les abîmes de l’enfer, on nous propose de nous en racheter, en donnant seulement la moitié de nos biens, nous aimons mieux être ensevelis dans ce lieu de supplices, et garder inutilement ce qui ne nous appartient pas, pour perdre ce qui est véritablement à nous. Quelle excuse aurons-nous à donner ? Quelle pitié, quelle compassion mériterons-nous, si, ayant négligé d’entrer dans ce chemin aisé et facile ; qui se présentait si heureusement à nous, nous aimons mieux nous précipiter dans la fatale route qui conduit à l’abîme, et nous priver nous-mêmes de tous les biens de cette vie et de tous ceux de la vie future, lorsque nous aurions pu librement jouir et des uns et des autres ? Mais si, jusqu’à présent, nous n’avons point réfléchi sur ces importantes vérités, rentrons du moins maintenant en nous-mêmes, et faisons sagement une juste dispensation des biens présents, afin que nous puissions facilement acquérir les biens à venir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XL.
SI JE RENDS TÉMOIGNAGE DE MOI, MON TÉMOIGNAGE N’EST PAS VÉRITABLE. – IL Y EN A UN AUTRE QUI REND TÉMOIGNAGE DE MOI : ET JE SAIS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VÉRITABLE. (VERS. 31, 32, JUSQU’AU VERS. 38)ANALYSE.
- 1. Explication très-simple et très-satisfaisante d’un texte qui, au premier abord, semble difficile.
- 2. Témoignage de, Jean en faveur de Jésus-Christ, et témoignage des œuvres de Jésus-Christ.
- 3. Témoignage de Dieu le Père.
- 4. Combattre les hérétiques par les saintes Écritures. – L’avarice est la racine de tous les maux : belle peinture des maux que cause ce vice. – Nul ne peut servir deux maîtres : Dieu et les richesses. – De quelle manière il faut faire l’aumône. – Combien le jugement dernier sera rigoureux pour ceux qui ont été inhumains et cruels envers les pauvres.
HOMÉLIE XLI.
LISEZ AVEC SOIN LES ÉCRITURES, PUISQUE. VOUS CROYEZ Y TROUVER LA VIE ÉTERNELLE : ET CE SONT ELLES QUI RENDENT TÉMOIGNAGE DE MOI. – MAIS VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI POUR AVOIR LA VIE ÉTERNELLE. (VERS. 39, JUSQU’À LA FIN DU CHAP)ANALYSE.
- 1. Il ne faut pas lire l’Écriture sainte seulement en courant et à la légère.
- 2. Les Juifs auront pour accusateur Moise lui-même.
- 3. Réfutation des prétextes et vaines excuses des Juifs : leur malice et leur méchanceté. – Description d’un fourbe et de la malignité. – La vertu produit la prudence. – Description de la vertu. – Le péché naît de la folie. – Celui qui a la crainte de Dieu est très-sage : celui qui ne l’a pas est un insensé.
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