John 8
HOMÉLIE LII.
LES GARDES RETOURNÈRENT DONC VERS LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES PHARISIENS QUI LEUR DIRENT POURQUOI NE L’AVEZ-VOUS PAS AMENÉ ? – LES GARDES LEUR RÉPONDIRENT : JAMAIS HOMME N’A PARLÉ COMME CET HOMME-LÀ. (VERS. 45, 46, JUSQU’AU VERS. 19 DU CHAP. VIII)
ANALYSE.
- 1. La vérité se découvre d’elle-même aux âmes droites et sincères, et se cache aux esprits infectés de malice.
- 2. Nicodème, un sénateur, prend la défense de Jésus-Christ contre les pharisiens.
- 3. Objection des hérétiques. – Réponse. – Jésus-Christ déclare qu’il est consubstantiel à son Père.
- 4. Blasphémer contre le Fils, c’est aussi blasphémer contre le Père. – Glorifier le Fils comme le Père, il est de même nature on ne peut connaître le Père sans connaître le Fils : s’il n’était pas de même substance, on pourrait connaître le Père sans connaître le Fils. – On ne peut connaître le Père sans connaître le Fils, parce qu’ils sont de même substance. – On connaît l’homme, et on ne connaît pas lange : on connaît la créature, et on ne connaît pas Dieu, parce que les substances sont différentes. – Glorifier le Fils et par la parole et par les œuvres. – Ce que Dieu demande d’un chrétien. – Laideur et puanteur du péché. – Rien n’est plus honteux, ni plus horrible que la rapine et l’avarice.
1. Rien n’est plus clair, rien n’est plus simple que la vérité, quand on la cherche avec un cœur droit et sincère : mais, s’il y a dans l’âme de la malice, rien n’est alors plus obscur ni plus impénétrable que cette même vérité. En voici un exemple Les scribes et les pharisiens, qui paraissaient les plus sages de tous les hommes, qui étaient toujours avec Jésus-Christ, pour lui tendre des pièges, quoiqu’ils vissent les miracles qu’il faisait, quoiqu’ils lussent les Écritures, n’en ont retiré aucun fruit, aucun profit, et que dis-je ? ils n’ont fait par, là que se nuire : au contraire, les gardes, privés de tous ces avantages, une seule prédication les a gagnés. Et ceux qui étaient venus prendre Jésus-Christ, ravis d’admiration, furent pris eux-mêmes. Nous ne devons pas seulement admirer leur sagesse pour avoir su se passer de miracles, et n’avoir eu besoin que de la doctrine seule, de la seule parole de Jésus-Christ pour se convertir (car ils n’ont point dit : Jamais homme n’a fait de si grands miracles, mais bien : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme-là ») : non seulement donc leur docilité est digne d’admiration, mais aussi la liberté avec laquelle ils répondent à ceux qui les avaient envoyés, aux pharisiens, à ceux qui persécutaient Jésus, et qui n’oubliaient rien pour assouvir l’envie qu’ils lui portaient. « Les archers retournèrent », dit l’évangéliste, « et les pharisiens leur dirent : Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ? » Être retournés, c’est plus que d’être demeurés : s’ils, n’avaient pas été rejoindre les pharisiens, ils se seraient dérobés à leur colère ; mais par leur retour, ils ont maintenant la gloire d’être prédicateurs de la sagesse de Jésus-Christ, et par là se manifeste mieux leur fermeté. Ils ne disent point : nous n’avons pas pu l’amener à cause du peuple qui l’écoute comme un prophète ; mais quelle est leur réponse ? « Jamais homme n’a si bien parlé ». Et certes, ils auraient pu alléguer l’autre excuse, mais leur cœur est droit, et ils le montrent. En effet, leur réponse n’est pas seulement un témoignage de leur admiration et de leur étonnement, mais aussi du reproche qu’ils font aux pharisiens de les avoir envoyés prendre et garrotter un homme qu’ils auraient plutôt dû eux-mêmes aller écouter. Cependant ils n’avaient entendu qu’une prédication fort courte. A une âme droite et sincère il ne faut pas de longs discours, la vérité a par elle-même assez de force. Que répliquèrent donc les pharisiens ? Lorsqu’ils auraient dû être touchés de componction, ils accusent au contraire ces gardes de s’être laissés séduire : « Êtes-vous donc aussi vous-mêmes séduits (47) ? » Ils les flattent encore et n’usent point de rudes paroles, de peur qu’ils ne les quittent tout à fait, mais toutefois, à travers cette circonspection, on entrevoit leur rage et leur fureur. Les pharisiens auraient dû demander ce qu’avait dit Jésus, et admirer ses réponses, et ils ne le font pas, dans la crainte d’être attirés comme les autres, mais ils répliquent par cet argument absurde : « Pourquoi nul des sénateurs n’a cru en lui (48) ? » Dites-moi : N’est-ce pas là faire plutôt un reproche aux incrédules qu’à Jésus-Christ ? « Car pour cette populace qui ne sait pas la loi, ce sont des gens maudits (49) ». Et voilà pourquoi vous êtes plus condamnables, vous qui êtes demeurés dans l’incrédulité, tandis que la populace croyait. Ces hommes du peuple se conduisaient comme des gens qui savaient la loi. Comment donc sont-ils maudits ? C’est vous qui n’observez pas la loi, qui êtes maudits, et non ceux qui l’observent : et l’incrédulité de ceux qui refusent de croire à Jésus-Christ n’est pas un argument qui puisse être employé contre lui. Ce procédé est très-blâmable ; vous-mêmes, vous n’avez pas cru à Dieu, comme dit saint Paul : « Car enfin, si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru, leur infidélité anéantira-t-elle la fidélité de Dieu ? Non, certes ». (Rom 3,3) Les prophètes aussi vous ont continuellement fait ce reproche, vous disant : « Écoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome » (Isa 1,10) ; et : « Vos princes n’observent point la loi ». Et derechef : « N’est-ce pas à vous de savoir ce qui est juste ? » (Mic 3,1) Et partout ils leur font encore de plus fortes réprimandes. Quoi donc ? Vous êtes infidèles, quelqu’un osera-t-il tirer de là un argument contre Dieu ? Loin, de nous ce blasphème, c’est uniquement votre faute : et quel autre témoignage faut-il, pour connaître que vous ne savez point la loi, que votre seule incrédulité ? Lors donc qu’ils eurent dit qu’aucun des sénateurs n’avait cru en Jésus, mais ceux-là seulement qui ne savaient point la loi, Nicodème les reprit fort à propos par ces paroles : « Notre loi permet-elle de condamner personne sans l’avoir oui auparavant (51) ? » Il fait voir par là qu’ils ne savent et n’observent point la loi. Car si la loi défend de faire mourir personne sans l’avoir ouï auparavant, et si avant d’avoir ouï Jésus, ils cherchaient à le faire mourir, ils étaient des violateurs de la loi : et comme ils avançaient qu’aucun des sénateurs n’avait cru en lui, l’évangéliste indique exprès que Nicodème était de leur corps, pour faire voir que des sénateurs mêmes avaient cru en lui. Sans doute ils ne l’avaient pas encore témoigné publiquement comme ils l’auraient dû, mais néanmoins ils étaient attachés à Jésus-Christ. Mais remarquez, mes frères, avec quelle modération et quelle retenue Nicodème les reprend. Il ne dit point : Vous voulez le faire mourir, et vous le condamnez sans raison comme séducteur. Il ne leur a point parlé en ces termes : il s’est servi de paroles plus douces et plus modérées pour réprimer l’excès de leur violence inconsidérée et sanguinaire. C’est pour cela qu’il invoque la loi en disant : « Sans avoir ouï avec soin et s’être bien informé de ses actions ». Voilà pourquoi il ne faut pas seulement ouïr, mais il faut ouïr avec soin ; car c’est là ce que signifient ces paroles : « Et sans s’être informé de ses actions », c’est-à-dire ce qu’il prétend. Quelle est son intention, son but, si sa conduite est celle d’un ennemi qui veut renverser la république ? Les pharisiens alors, déconcertés parce qu’ils avaient dit que nul des sénateurs ne croyait en Jésus-Christ, répondent faiblement à Nicodème, bien que sans ménagement. 2. Nicodème avait dit : « Notre loi ne condamne personne ». Lui répliquer : « Est-ce que vous êtes aussi galiléen ? » c’était une mauvaise réponse qui n’avait nul rapport à ce qu’il avait dit. Il fallait montrer, ou qu’ils n’avaient pas envoyé prendre Jésus sans jugement, ou qu’il n’était point nécessaire de l’entendre, et ils répondent durement et avec colère : « Lisez avec soin, et apprenez qu’il ne sort point de prophète de Galilée ». Mais, qu’avait dit Nicodème ? Que Jésus était un prophète ? Non, il avait dit qu’on ne devait condamner personne à mort, sans avoir auparavant instruit son procès, et les pharisiens lui font cette outrageante réponse, comme s’il eût absolument ignoré les Écritures ; c’est lui dire, aux termes près : Allez à l’école, allez étudier ; car tel est le sens de ces paroles : « Lisez avec soin, et apprenez ». Que répond donc Jésus-Christ ? Comme les pharisiens n’avaient jamais dans la bouche que les noms de galiléen et de prophète, le Sauveur, pour les éloigner absolument de cette fausse pensée et leur faire voir qu’il n’est pas un des prophètes, mais le Seigneur du monde, dit : « Je suis la lumière du monde (12) ». Non de Galilée, non de la Palestine, non de la Judée. Que répliquent les Juifs ? « Vous vous rendez témoignage à vous-même », ainsi « votre témoignage n’est point véritable (13) ». O folie ! le Sauveur les renvoie toujours aux Écritures, et ils disent : « Vous vous rendez témoignage à vous-même ». Mais quel témoignage a-t-il rendu ? « Je suis la lumière du monde ». C’est là une grande parole ; oui, certes, c’est là une grande parole. Mais ils ne s’en sont pas beaucoup mis en peine, parce qu’il ne se disait pas égal au Père, ni son Fils, ou Dieu, mais seulement qu’il était la lumière. Néanmoins, ils voulaient aussi détruire cette opinion, car c’était là quelque chose de plus grand que de dire : « Celui qui me suit ne « marche point dans les ténèbres (12) ». Le Sauveur parle de la lumière et des ténèbres spirituelles, c’est-à-dire, il ne demeure point dans l’erreur. Ici Jésus-Christ attire à soi Nicodème et l’encourage, parce qu’il avait librement parlé et dit son sentiment, et il loue les gardes de leur sage conduite. Ce mot « crier », marque que Jésus à voulu exciter les pharisiens à venir l’écouter. Et en même temps il insinue qu’ils pensaient à tendre secrètement des pièges et à tromper secrètement, c’est-à-dire, dans les ténèbres et dans l’erreur, mais qu’ils ne vaincraient et n’éteindraient pas la lumière. Il rappelle à. Nicodème les paroles qu’il avait dites depuis peu : « Quiconque fait le mal, hait la lumière et ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient découvertes ». (Jn 3,20) Comme les Juifs disaient qu’aucun des sénateurs n’avait cru en lui, Jésus dit : « Quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient point à la lumière ». Par où il leur fait voir que s’ils ne viennent point, ce n’est pas que la lumière soit faible, mais c’est parce que leur volonté est corrompue et mauvaise. « Les pharisiens lui dirent : Vous vous rendez témoignage à vous-même (13) ; et Jésus leur répondit : Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable, parce que je sais d’où je viens et où je vais ; mais pour vous, vous ne savez point d’où je viens (14) ». Ce que Jésus avait dit auparavant, les Juifs le – lui opposent comme une décision. Que répond donc Jésus-Christ ? Il renverse cette prétendue décision, et leur montre que c’est selon leur opinion qu’il a parlé de la sorte ▼▼Il a parlé de la sorte en saint Jean chap. 5, vers. 31, où le Sauveur, parlant selon l’esprit et l’opinion des Juifs, dit : Si je rends témoignage de moi, mon témoignage n’est pas véritable.
, parce qu’ils le prenaient pour un homme, et il leur dit : « Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable, parce que je « sais d’où je viens ». Que veut dire ceci ? Je suis de Dieu, et Dieu, et Fils de Dieu. Dieu est pour soi un témoin digne de foi pour vous, vous ne connaissez point Dieu, vous faites le mal volontairement ; vous savez et vous feignez de ne point savoir ; vous parlez selon vos sentiments humains et terrestres, et vous ne voulez rien savoir, rien connaître de plus que ce qui paraît au-dehors. « Vous jugez selon la chair (15) ». Comme vivre selon la chair, c’est mal vivre ; de même, juger selon sa chair, c’est mal juger. « Je ne juge personne, et si je juge, mon jugement est véritable (16) » ; c’est-à-dire, vous jugez injustement. Mais si nous jugeons injustement, répliquent-ils, pourquoi ne nous reprenez-vous pas ? pourquoi ne nous punissez-vous pas ? pourquoi ne nous condamnez-vous pas ? C’est, dit-il, parce que je ne suis point venu pour cela. Voilà ce que signifie cette parole : « Je ne juge personne. Et si je juge, mon jugement est véritable ». Car si je voulais juger, vous seriez au nombre des condamnés. Mais si je ne dis pas ceci, dit-il, pour vous juger ; et si j’ai dit : « Je ne parle pas pour juger », ce n’est pas que je craigne de ne pouvoir vous confondre, si je vous mettais en jugement, si je jugeais, vous seriez condamnés justement ; mais le temps de juger n’est pas encore venu. Jésus-Christ fait aussi entrevoir le jugement futur, quand il dit : « Parce que je ne suis pas seul, mais moi, et mon Père qui m’a envoyé ». Enfin il insinue ici qu’il n’est pas seul à les condamner, mais que son Père les condamne aussi. Plus loin, il exprime encore la même chose d’une manière enveloppée, lorsqu’il tâche de les gagner à son témoignage : « Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est véritable (17) ». 3. Quoi donc ! diront les hérétiques ? Si nous prenons cette parole simplement et dans le sens naturel qu’elle présente, qu’aura Jésus-Christ de plus que le reste des hommes ? Car si cette loi est établie parmi les hommes, c’est que nul homme n’est croyable parlant de lui-même. Mais, à l’égard de Dieu, comment pourrait-on admettre cela ? Examinons donc en quel sens Jésus-Christ a dit ce mot d’eux s’est-il servi de ce terme pour désigner deux hommes ? Si c’était là son intention, pourquoi n’a-t-il pas apporté le témoignage de Jean-Baptiste, et n’a-t-il pas dit : Je me rends témoignage à moi-même ? Jean rend aussi témoignage de moi. Pourquoi ne s’est-il pas servi du témoignage des anges ? pourquoi pas de celui des prophètes ? Il pouvait produire une infinité d’autres témoignages. Mais Jésus-Christ ne veut pas seulement indiquer deux personnes, mais encore deux personnes de même substance. « Ils lui disent : Qui est votre Père ? Jésus leur répondit : Vous ne connaissez ni moi ni mon Père (19) ». Comme, le sachant, ils feignaient de ne le point savoir, et l’interrogeaient pour le tenter, Jésus ne daigne même pas leur répondre. Dans la suite, il a parlé plus clairement et plus librement, s’autorisant du témoignage de ses œuvres et de sa doctrine, parce qu’alors le temps du crucifiement et de sa mort était fort proche. « Je sais », dit-il, « d’où je viens » : cela pouvait ne pas les toucher beaucoup. Mais quand il ajouta : « Où je vais » ; cette parole devait les troubler et les effrayer davantage, comme indiquant qu’il ne devait point demeurer dans la mort. Et pourquoi n’a-t-il pas dit : « Je sais que je suis Dieu », mais « je sais d’où je viens ? » Toujours il mêle les choses basses aux choses sublimes, et encore cache-t-il un peu celles-ci. Après avoir dit : « Je me rends témoignage « à moi-même », et l’avoir montré, il passe à quelque chose de moins élevé ; c’est comme s’il disait : Je connais celui qui m’a envoyé, et vers qui j’irai. De cette manière, les Juifs, entendant que le Père l’avait envoyé, et qu’il retournerait à lui, ne pouvaient contredire ce qu’il disait. Je n’ai rien dit que de véritable, dit-il, c’est de là que je viens et j’y retourne, je vais au Dieu de vérité. Mais vous, vous ne connaissez point Dieu, voilà pourquoi vous jugez selon la chair. En effet, après avoir vu tant de témoignages et de preuves, vous dites encore : « Il n’est point véritable ». De Moïse vous dites : Il est digne de foi, et lorsqu’il parle des autres, et lorsqu’il parle de soi ; mais vous parlez autrement au sujet de Jésus-Christ, c’est là juger charnellement. « Je ne juge personne (15) ». D’ailleurs il dit aussi : « Le Père ne juge personne » ; « pourquoi dit-il : Et si je juge, mon jugement est juste, parce que je ne suis pas seul ? » (Jn 5,22) Jésus-Christ parle encore selon l’opinion des Juifs. Cela signifie : Mon jugement est le jugement du Père, car le jugement du Père ne saurait être différent du mien, ni le mien de celui du Père. Mais pourquoi parle-t-il du Père ? Les Juifs ne croyaient pas que le Fils fût digne de foi s’il n’avait le témoignage du Père. Autrement ce qu’il disait serait demeuré sans valeur ; car, parmi les hommes, lorsque deux rendent témoignage dans l’affaire d’autrui, alors leur témoignage est réputé véritable ; c’est là, en effet, le témoignage porté par deux personnes. Mais si quelqu’un se rend témoignage à soi-même, alors il n’y a plus deux témoins. Voyez-vous bien, mon cher auditeur, que si Jésus-Christ a parlé en ces termes, ça été pour montrer qu’il est consubstantiel à son Père, et que par lui-même ensuite il n’a pas besoin du témoignage d’un autre ; enfin, pour faire voir qu’il n’a rien de moins que le Père ? Reconnaissez donc son autorité dans ces paroles : « Or, je me rends témoignage à moi-même, et mon Père qui m’a envoyé me rend « aussi témoignage (18) ». Jésus-Christ n’aurait pas dit cela, s’il était d’une substance inférieure. Ensuite, pour vous convaincre qu’en parlant ainsi il n’a pas eu en vue le nombre « deux », faites bien attention que sa puissance n’est en rien différente de celle du Père. Un homme rend témoignage lorsque, par lui-même, il est digne de foi et qu’il n’a pas besoin du témoignage d’un autre, et cela, lorsqu’il s’agit d’une affaire qui ne le regarde point et qui lui est étrangère ; mais dans sa propre cause il n 'est pas croyable et il a besoin d’un témoignage. Mais c’est tout le contraire pour Jésus-Christ : lors même qu’il se rend témoignage dans sa propre cause et qu’il dit qu’il a le témoignage d’un autre, il se déclare digne de foi, montrant partout son autorité. En effet, pourquoi ayant dit : « Je ne suis pas seul, mais moi et mon Père qui m’a envoyé », et le témoignage de deux témoins est véritable ; n’en est-il pas demeuré là et a-t-il ajouté : « Je me rends témoignage à moi-même ? » N’est-ce pas uniquement pour montrer son autorité ? Et il se met le premier : « Je me rends témoignage à moi-même ». Ici Jésus-Christ montre qu’il est égal en dignité à son Père et qu’il ne sert de rien aux Juifs de se glorifier de connaître Dieu le Père, s’ils ne le connaissent pas lui-même ; et encore que c’est parce qu’ils ne veulent pas le connaître qu’ils ne le connaissent pas. Jésus leur dit donc qu’on ne peut connaître le Père sans le connaître lui-même, afin de les attirer par là à sa connaissance. Comme ils le négligeaient et cherchaient toujours à connaître directement le Père, il leur dit : « Vous ne pouvez pas connaître le Père sans moi ». C’est pourquoi ceux qui blasphèment contre le Fils, ne blasphèment pas seulement contre le Fils, mais aussi contre le Père. 4. Prenons-y garde, mes chers frères, et glorifions le Fils : sûrement il n’aurait point parlé de la sorte, s’il n’était de même nature que le Père. Que si, étant d’une autre substance que le Père, il l’avait seulement fait connaître, on pourrait connaître le Père sans connaître le Fils : et réciproquement, en connaissant le Père, on ne connaîtrait pas pour cela le Fils. En effet, celui qui connaît l’homme ne connaît pas nécessairement l’ange. Pourtant, direz-vous, celui qui connaît la créature, connaît aussi Dieu. Non, certes. Car plusieurs, ou plutôt tous les hommes, connaissent la créature, parce qu’ils la voient ; mais ils ne connaissent point Dieu pour cela. Glorifions donc le Fils de Dieu, non seulement en lui rendant la gloire qui lui est due, comme Fils de Dieu, mais encore par nos œuvres. Car la gloire qu’on rend par les paroles n’est rien, si elle n’est accompagnée de l’hommage qui vient des œuvres. « Vous », dit l’apôtre, « qui portez le nom de Juifs, qui vous reposez sur la loi, qui vous faites gloire d’être à Dieu », prenez garde à ce que vous faites : « Vous instruisez les autres et vous ne vous instruisez pas vous-mêmes : vous vous glorifiez dans la loi, et vous déshonorez Dieu par la violation de la loi ? » (Rom 2,17.21-23) Vous-même, mon cher auditeur, prenez garde que, vous glorifiant d’être dans la foi orthodoxe, vous ne meniez pas une vie conforme à la foi que vous professez ; que vous ne déshonoriez Dieu, en le faisant blasphémer. Dieu veut qu’un chrétien soit le docteur de tout l’univers, le levain, la lumière, le sel. Qu’est-ce que la lumière ? C’est une vie brillante, qui n’est offusquée d’aucun nuage. La lumière n’est point utile à soi, le sel ou le levain pas davantage ; mais ces choses sont utiles à autrui : de même on demande de nous, non seulement ce qui est dans notre intérêt, mais encore ce qui est dans l’intérêt des autres. Car le sel, s’il ne sale pas, n’est plus sel (Mat 5,13 ; Mrc 9,49) ; par là nous est encore révélée une autre vérité : c’est que, si nous vivons bien, les autres aussi vivront bien. Ainsi ce n’est que par notre bonne vie, que nous pouvons être utiles aux autres. (Mat 25,11) Disons adieu aux folies, aux vanités : car telles sont les choses du monde, telles sont les sollicitudes du siècle. Les vierges sont appelées folles, parce qu’elles s’occupaient des folles affaires du siècle : elles amassaient ici, et elles n’envoyaient pas ce qu’elles avaient amassé où il fallait l’envoyer. Craignons donc que ce qui leur arriva, ne nous arrive aussi, et que nous n’allions avec un habit sale, où tous sont vêtus d’habits éclatants, car rien n’est plus salé, rien n’est plus hideux que le péché. C’est pourquoi le prophète, pour en présenter en sa personne une vive image à nos yeux, criait à haute voix : « Mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture ». (Psa 38,5) Voulez-vous connaître la puanteur du péché ? considérez-le après l’avoir commis. Lorsque la concupiscence ne vous tiendra plus dans ses fers, lorsque le feu ne bouillonnera plus dans vos veines, alors vous verrez ce que c’est que le péché. Lorsque vous serez rentré dans le calme, considérez la colère ; considérez l’avarice, lorsque vous aurez éteint en vous cette passion. Rien n’est plus honteux, rien n’est plus horrible que l’avarice et la convoitise. Nous faisons souvent retentir nos chaires de ces vérités, non pour vous chagriner, mais par un désir de produire en vous de grands et d’admirables effets : car peut-être celui qu’une première remontrance n’aura pas corrigé se rendra à une seconde, ou à une troisième. Fasse le ciel, qu’étant tous délivrés du péché et de tous les maux qui l’accompagnent, nous soyons la bonne odeur de Jésus-Christ (2Co 2,15), à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles ! Ainsi soit-il. HOMÉLIE LIII.
JÉSUS DIT CES CHOSES ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE, AU LIEU OU ÉTAIT LE TRÉSOR : ET PERSONNE NE SE SAISIT DE LUI, PARCE QUE SON HEURE N’ÉTAIT PAS ENCORE VENUE. (VERS. 20, JUSQU’AU VERS. 30) ANALYSE.
- 1. Folie et endurcissement des Juifs.
- 2. Jésus-Christ, parlant aux Juifs, leur montre constamment son union avec Dieu, son Père. – Il les menace. – Quelques-uns croient en lui.
- 3. Pour acquérir le salut, lire les saintes Écritures avec soin et non en passant : en les méditant on apprend, la vraie doctrine et la manière de bien vivre. – Fréquenter l’Église, unir la parole de Dieu ; si d’abord on n’en profite pas, un jour on en profitera. C’est déjà avoir fait quelque progrès que de se reconnaître misérable. – Cérémonies qu’on pratiquait anciennement pour lire la sainte Écriture. – S’appliquer à l’étude de l’Écriture sainte, du moins des saints Évangiles : utilité, fruits qu’on en retire.
1. Quelle folie que celle des Juifs ! Ils cherchaient avant la Pâque à prendre Jésus-Christ lorsqu’il était au milieu d’eux, ils ont souvent tenté de mettre leurs sacrilèges mains sur lui, ou de le faire saisir par d’autres : leurs desseins, leurs efforts sont vains et inutiles ; et ils n’admirent pas encore sa vertu : et sa puissance ne les étonne, ne les effraie point encore, mais ils persistent dans leurs complots. En effet, qu’ils cherchassent continuellement les moyens de le prendre, c’est ce que l’évangéliste atteste par ces ; paroles : « Jésus dit ces choses enseignant dans le temple, au lieu où était le trésor : et personne ne se saisit de lui, parce que son heure n’était pas encore venue ». Il enseignait en maître dans le temple, ce qui devait les exciter davantage : ce qu’il disait les choquait, et ils lui faisaient un crime de ce qu’il se disait égal au Père. Car cette parole : « Le témoignage de deux hommes est véritable », ne signifie pas autre chose. Cependant, dit l’évangéliste, il enseignait dans le temple et en maître : et personne ne se saisit de lui, parce que son heure n’était pas encore venue, c’est-à-dire le temps opportun où il voulait être crucifié. Voilà pourquoi il n’a point été alors en leur pouvoir de le prendre ; mais, s’ils n’ont pu assouvir leur passion, c’est par un effet de la sage dispensation du Sauveur. Déjà depuis longtemps ils voulaient l’arrêter, et ils ne l’ont pu ; et ils ne l’auraient jamais pu prendre, s’il ne se fût livré lui-même entre leurs mains. « Jésus leur dit encore : Je m’en vais et vous me chercherez (21) ». Pourquoi ne cesse-t-il de leur tenir ce langage ? Pour toucher leur cœur, et pour les effrayer. Remarquez la frayeur que leur causait cette parole ; car voulant le faire mourir pour se délivrer de lui, ils demandent où il va : tant leur paraissaient devoir être grandes les conséquences de cette mort. Il voulait aussi leur apprendre une autre chose, que ce ne serait point par un effet de leur violence qu’il serait crucifié, mais parce que les figures de l’Ancien Testament l’avaient annoncé longtemps auparavant, et par ces paroles il annonce sa résurrection. Ils disaient donc : « Est-ce qu’il se tuera lui-même ? » Que leur répond Jésus-Christ ? Pour leur ôter ce soupçon et leur faire connaître que c’était là un péché, il dit : « Pour vous autres, vous êtes d’ici-bas (23) », c’est-à-dire, il n’est pas étonnant que vous ayez ces sortes de pensées, vous qui êtes des hommes charnels, et qui n’êtes nullement capables de rien concevoir de spirituel ; mais moi, je ne ferai rien de semblable : « Je suis d’en haut ». Pour vous, « vous êtes de ce monde ». Là encore, le Sauveur parle de pensées terrestres et charnelles. Il résulte de là que cette parole : « Je ne suis pas de ce monde », ne signifie pas qu’il n’a point pris une chair, mais qu’il est exempt de leur malice et de leur méchanceté. En effet, il dit aussi que ses disciples ne sont pas de ce monde (Jn 15,19), et toutefois ils avaient une chair. De même donc que saint Paul disant : « Vous n’êtes pas dans la chair » (Rom 8,9), ne veut pas dire que ceux à qui il parle n’ont point de corps : ainsi Jésus-Christ, disant à ses disciples qu’ils ne sont pas du monde, veut seulement rendre témoignage de leur sagesse. « Je vous ai donc dit que si vous ne croyez pas ce que je suis, vous mourrez dans vos péchés (24) » ; car si Jésus-Christ est venu pour ôter le péché du monde, et si le péché ne peut être effacé que par le baptême, nécessairement il faut que celui qui ne croit pas ait le vieil homme. En effet, celui qui ne veut pas le tuer et l’ensevelir par la foi, mourra avec lui, et avec lui ira recevoir la peine de ses péchés. Voilà pourquoi le Seigneur disait : « Celui qui ne croit pas, est déjà condamné » (Jn 3,18), non seulement parce qu’il ne croit pas, mais aussi parce qu’il va en l’autre monde avec ses premiers péchés. « Ils lui dirent : Et qui êtes-vous donc (25) ? » O l’étrange folie ! Après un si long temps, après avoir vu tant de miracles et entendu sa doctrine, ils lui font cette question : « Et qui êtes-vous ? » Que leur répond donc Jésus-Christ ? « Je suis le principe de toutes choses, moi qui vous parle » ; c’est-à-dire, vous êtes indignes d’entendre ma parole, bien loin d’apprendre qui je suis : car jamais vous ne me parlez que pour me tenter, et vous ne faites nulle attention à ce que je vous dis : et c’est pour cela que maintenant j’ai bien des reproches à vous faire. Voilà, en effet, ce que signifient ces paroles : « J’ai beaucoup de choses à dire de vous, et à condamner en vous (26) ». Non seulement à reprendre, mais encore à punir. Mais celui qui m’a envoyé, je veux dire mon Père, ne le veut pas : « Car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui ». (Jn 3,17) Si c’est donc là pourquoi Dieu m’a envoyé, et si Dieu est véritable, j’ai raison de ne juger personne maintenant, mais je m’attache à enseigner ce qui est nécessaire au salut, et non à faire des réprimandes. Au reste, Jésus-Christ dit cela, afin que les Juifs ne croient pas que lui, qui entend de si grandes choses, il manque de la force nécessaire pour les punir, ou qu’il ignore leurs pensées et leurs dérisions. « Et ils ne comprirent pas qu’il parlait de son Père (27) ». O folie ! ô aveuglement ! Jésus ne cessait de parler de son Père, et ils ne s’en apercevaient point ! Après quoi, n’ayant pu les attirer ni par un grand nombre de miracles, ni par sa doctrine et ses instructions, il les entretient enfin de son crucifiement et leur dit : « Quand vous aurez élevé en haut le Fils de l’homme », dit-il, « alors vous connaîtrez qui je suis, et que je ne parle point de moi-même, et que mon Père, qui m’a envoyé, est avec moi et ne m’a point laissé seul ». Jésus-Christ fait voir par là que c’est avec justice qu’il a dit : « Je suis le principe de toutes choses, moi-même qui vous parle ». 2. Tant les Juifs étaient peu attentifs à ce que leur disait Jésus-Christ. « Lorsque vous aurez élevé en haut le Fils de l’homme » alors, dit-il, vous pensez me faire périr, vous débarrasser de moi : mais moi, je vous dis que c’est principalement alors que vous connaîtrez « qui je suis » ; vous le connaîtrez par les prodiges et les miracles que je ferai, par ma résurrection, par votre ruine. En effet, toutes ces choses étaient bien propres à faire éclater la puissance du Seigneur. Il n’a point dit : Vous connaîtrez alors qui je suis ; mais il dit Lorsque vous verrez que la mort n’aura point eu d’empire sur moi, qu’elle n’aura produit en moi nul changement, ni aucune altération, alors vous connaîtrez qui je suis, savoir, que je suis le Christ, Fils de Dieu, qui gouverne et conduit tout ; et qui ne suis pas contraire au Père. Voilà pourquoi il a ajouté : « Et je ne dis rien de moi-même ». Vous connaîtrez, en effet, ces deux vérités, et ma puissance, et mon union avec mon Père. Car ce mot : « Je ne dis rien de moi-même », montre l’égalité et l’unité de substance, et qu’il ne dit rien contre la volonté de son Père. Quand votre culte sera changé et aboli, et qu’il ne vous sera plus permis d’adorer le Père selon votre ancienne coutume ▼▼C. à d. par des sacrifices et vos cérémonies légales.
, alors vous connaîtrez, qu’irrité contre ceux qui ne m’ont point écouté, il prend ma défense et me venge lui-même. C’est comme s’il disait : Si j’étais opposé et contraire à Dieu, il n’aurait pas conçu une si grande colère contre vous. Isaïe le déclare aussi : « Il livrera les impies pour sa sépulture » (Isa 53,9) ; et David : « Il leur parlera alors dans sa colère » (Psa 3,5) ; et le Seigneur lui-même : « Le temps s’approche que votre maison demeurera déserte » (Mat 23,38) ; écoutez de plus la parabole : « Que fera le Seigneur de la vigne à ces vignerons ? « Il fera périr misérablement ces méchants ». (Mat 21,40) Ne remarquez-vous pas que partout il parle de même, attendu qu’ils ne le croyaient point encore ? Que si le Seigneur doit les faire périr, comme véritablement il le fera (car il dit : « Ceux qui ne veulent point m’avoir pour roi, qu’on les amène ici, et qu’on les tue en ma présence). » (Luc 19,27) ; pourquoi cette œuvre, ne se l’attribue-t-il pas à lui-même, mais au Père ? C’est pour s’accommoder à la portée des Juifs, et aussi pour honorer son Père. Voilà pourquoi il n’a point dit : Je laisse votre maison déserte, mais « votre maison demeurera déserte », parlant impersonnellement. Mais, avoir dit : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, et tu ne l’as pas voulu » (Luc 13,34) ; et ajouter ensuite : « Elle demeurera » ; c’est montrer assez qu’il est l’auteur de la désolation. Puisque, dit-il, mes bienfaits, ma sollicitude, ne vous ont pas déterminés à croire en moi, les supplices vous feront connaître qui je suis. « Et mon Père est avec moi ». De peur qu’ils ne crussent que cette parole : « Celui qui m’a envoyé », marquait qu’il était moins grand que le Père, il ajoute : « Il est avec moi ». Car l’un de ces termes se rapporte à l’incarnation, l’autre à la divinité. « Et il ne m’a point laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable ». Jésus-Christ descend encore à un langage plus humain, combattant sans relâche ce que disaient les Juifs, qu’il n’était point envoyé de Dieu, qu’il ne gardait pas le sabbat ; il dit : « Je fais toua jours ce qui lui est agréable ». Par où il insinue que là violation du sabbat est agréable au Père. De même, lorsqu’on le menait à la croix, il dit : « Croyez-vous que je ne puisse pas prier mon Père ? » (Mat 26,53) Et toutefois, par cette seule parole : « Qui cherchez-vous ? » (Jn 18,4, 6), il les renversa tous par terre. Pourquoi donc né dit-il pas : Ne, croyez-vous pas que je puisse vous faire périr, quand il l’a prouvé par des faits ? Il se proportionne à leur portée. Car il avait grand soin de montrer qu’il ne faisait rien de contraire à son Père. De même ici il parle à la manière des hommes et dans le même sens qu’il a dit : « Il ne m’a point laissé seul » ; il dit ici : « Je fais ce qui lui est agréable ». « Lorsqu’il disait ces choses, plusieurs crurent en lui (30) ». Lorsque le Sauveur s’est abaissé et qu’il a parlé d’une manière simple et grossière, alors plusieurs ont cru en lui. Après cela, me demanderez-vous encore pourquoi Jésus s’abaisse ainsi à parler d’une manière simple et grossière ? Mais l’évangéliste vous en a manifestement fait connaître la raison par ces paroles : « Lorsqu’il disait ces choses, plusieurs crurent en lui ». Les faits mêmes semblent crier par sa bouche : Ne vous troublez pas, vous qui m’écoutez, si vous entendez des paroles basses et grossières ; des hommes qui, après avoir entendu une si grande et si sublime doctrine, n’ont point été persuadés que celui qui l’enseignait était envoyé du Père, ne pouvaient guère être amenés à la foi par des choses – grossières. Et ceci est la justification de ce que le Sauveur pourra dire dans la suite de bas et de grossier. Les Juifs crurent donc, non pas comme il aurait fallu, mais selon leur portée, grâce à cette simplicité de langage qui charmait et reposait leur esprit. En effet, que leur foi n’était point parfaite, l’évangéliste le fait voir après, en rapportant les outrages qu’ils firent à Jésus-Christ ; et pourtant c’étaient les mêmes Juifs qui avaient cru ; il le déclare ouvertement par ces paroles : « Jésus dit donc aux Juifs qui croyaient en lui : Si vous persévérez dans la créance de ma parole (31) » ; montrant qu’ils n’avaient point encore compris sa doctrine, et que seulement ils écoutaient ce qu’ils disaient ; c’est pourquoi il parle avec plus de force, car il s’était d’abord contenté de dire simplement : « Vous me chercherez » ; mais maintenant il ajoute : « Vous mourrez dans votre péché ». Et il leur fait connaître comment cela arrive : Quand vous serez morts, dit-il, dans votre péché, vous ne pourrez pas me prier, ni me demander grâce. « Ce que je dis dans le monde ». Par ces paroles, il déclare aux Juifs qu’il va passer vers les gentils. Mais comme ils n’avaient pas compris que c’était de son Père qu’il leur avait parlé auparavant, il leur en parla encore ; et l’évangéliste montre la cause pour laquelle le Sauveur s’est servi d’expressions basses et grossières. 3. Si donc nous lisons avec beaucoup de soin et d’attention les saintes Écritures, et non pas légèrement et en passant, nous pourrons acquérir le salut ; si nous les étudions et les méditons assidûment, nous apprendrons la vraie doctrine et la manière de bien vivre. Qu’on soit dur et violent, qu’on ait une âme molle, qu’on soit lâche, qu’autrefois on n’ait nullement profité de cette lecture, maintenant, du moins, on en profitera et on en retirera quelque utilité, fût-elle imperceptible. En effet, si quelqu’un entre dans la boutique d’un parfumeur et s’y arrête un peu, même malgré lui, il sentira bon, il répandra une douce et agréable odeur ; à plus forte raison la répandra-t-il, cette bonne odeur, celui qui fréquente l’Église. Car, comme de la paresse naît la paresse, de même du travail naît la force et la vigueur de l’âme. Encore que vous soyez chargé d’une multitude de péchés, que vous soyez impur, ne vous éloignez pas pour cela de nos saintes assemblées. Et de quoi, direz-vous, me servira-t-il d’y assister, si je ne profite pas de ce qu’on y enseigne ? Ah ! si vous vous reconnaissez pécheur, si vous vous édites misérable, ce n’est point là un petit profit, ce n’est point là une crainte mal placée, ce n’est point là une frayeur inutile : si seulement vous gémissez de ne pratiquer point ce que vous avez entendu, un jour viendra que vous le pratiquerez. Car il est impossible que celui qui s’entretient avec Dieu et l’écoute, n’en retire pas quelque profit. Au moment de prendre le divin livre des Écritures, nous nous recueillons et nous lavons nos mains. Ne voyez-vous pas combien de précautions avant même de commencer cette respectable lecture ? Si nous la continuons avec soin et avec attention, nous en rapporterons de grands fruits. En effet, si cette lecture ne nous inspirait de pieuses dispositions, nous ne nous laverions pas les mains ; les femmes, qui ont la tête découverte, ne la couvriraient pas aussitôt de leur voile, en signe de recueillement intérieur ; les hommes, dont la tête est couverte, ne la découvriraient pas. Voyez-vous que la posture extérieure est un témoignage de la piété qu’on a dans le cœur ? Ensuite, assis pour écouter, on pousse des gémissements, on condamne sa vie passée. Appliquons-nous donc, mon cher auditeur, à la lecture de l’Écriture sainte, du moins lisons avec soin les saints évangiles. A peine aurez-vous ouvert ce livre, que vous y verrez le nom de Jésus-Christ, et que vous l’entendrez parler : « Quant à la naissance de Jésus-Christ, elle arriva de cette sorte : « Marie, sa mère, étant fiancée à Joseph, se trouva grosse, ayant conçu dans son sein » par l’opération « du Saint-Esprit, avant qu’ils eussent été ensemble ». (Mat 1,18) Or, celui qui entend ces paroles est tout à coup épris de l’amour de la virginité, il admire ce merveilleux enfantement, il s’élève au-dessus de la terre, il la quitte. Ce n’est point déjà une chose de médiocre importance, que le Saint-Esprit n’ait pas dédaigné de remplir une vierge de sa grâce, et un ange de lui parler et s’entretenir avec elle ; toutefois ce n’est encore là que ce que l’on voit au commencement. Mais si vous continuez votre lecture jusqu’à la fin, bientôt vous rejetterez toutes les choses du siècle, vous rirez de tout ce qui est terrestre ; si vous êtes riche, vous ne ferez point de cas des richesses, quand vous aurez appris que cette femme d’un charpentier, logée dans une pauvre maison, est la mère du Seigneur ; si vous êtes pauvre, vous ne rougirez point de votre pauvreté, lorsque vous apprendrez que le Créateur du monde n’a point rougi d’habiter une humble chaumière. Si vous méditez ces choses, mon cher frère, vous ne volerez point, vous ne serez point avare, vous n’envahirez pas le bien d’autrui, mais plutôt, vous aimerez la pauvreté et vous mépriserez les richesses ; par là, vous éloignerez de vous toutes sortes de maux et de vices. Et encore, lorsque vous verrez Jésus couché, dans une crèche, vous n’aurez plus envie de donner à votre fils un habit tissu d’or, ni à votre femme un lit orné d’argent ; et, une fois libre de ces vaines préoccupations, vous ne vous livrerez plus à l’avarice et aux rapines qu’elles provoquent. Il vous en reviendra encore bien d’autres avantages que nous ne saurions présentement détailler, mais que connaîtront ceux qui feront cette expérience. C’est pourquoi je vous exhorte, mes frères, à faire emplette des saints livres, à en étudier le sens et à le graver dans votre mémoire. Les Juifs, pour les avoir négligés, reçurent l’ordre de les porter attachés à leurs mains. (Deu. 6) Pour nous, nous ne les portons pas ans nos mains, mais nous les laissons dans nos demeures, au lieu de les graver dans nos cœurs, comme nous le devrions ; car c’est de cette manière, qu’après avoir lavé nos souillures, nous obtiendrons les biens à venir, que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE LIV.
JÉSUS DISAIT DONC AUX JUIFS QUI AVAIENT CRU EN LUI : SI VOUS PERSÉVÉREZ DANS MA DOCTRINE, VOUS SEREZ VÉRITABLEMENT MES DISCIPLES. – ET VOUS CONNAÎTREZ LA VÉRITÉ, ET LA VÉRITÉ VOUS RENDRA LIBRES. (VERS. 31, 32, JUSQU’AU VERS. 47) ANALYSE.
- 1. Jésus-Christ promet aux Juifs que sa doctrine, s’ils la gardent, les délivrera de la servitude du péché, et eux, toujours attachés au sens terrestre et charnel, répondent qu’étant fils d’Abraham, ils ne sont les esclaves de personne.
- 2. Si vous aviez Abraham pour père, vous ne chercheriez pas à me faire mourir, leur dit Jésus-Christ.
- 3. N’étant pas les enfants d’Abraham, les Juifs sont encore moins les enfants de Dieu ; le diable, voilà leur père.
- 4. Pour entendre et connaître la vérité, il faut mener une vie pure et sainte. – Emporter, non les biens périssables, mais le royaume des cieux. – Celui qui ne connaît pas les petits maux, ne connaîtra pas les plus grands. – Ce qu’on fait quand on veut emporter quelque chose. – Appliquer tous ses soins et son travail à emporter le royaume des cieux. – Comment on l’emporte.
1. Nous avons besoin d’une grande patience, mes chers frères ; cette vertu se forme et croît en nous, lorsque la parole de Dieu a jeté ses racines dans nos cœurs : et, de même que le vent, avec toute sa violence et son impétuosité, ne peut arracher un chêne que de profondes racines tiennent fortement lié à la terre, ainsi personne ne pourra renverser une âme que la crainte a étroitement attachée à Dieu. Car, être cloué, c’est bien plus fort que d’être enraciné. C’est là ce que le prophète demandait au Seigneur : « Percez mes chairs par votre crainte ». (Psa 119,120) Ainsi vous-même percez-vous, et attachez-vous aussi fortement à Dieu qu’un corps le serait à un autre par un clou profondément enfoncé. Ceux qui sont liés de la sorte, à peine peut-on les séparer ; mais ceux qui ne le sont pas de même, sont aisément surpris et renversés. Voilà ce qui est alors arrivé aux Juifs. Après avoir entendu la parole et avoir cru, ils furent encore renversés. Jésus-Christ, voulant donc rendre leur foi plus solide, plus ferme, plus profonde, laboure leur âme, pour ainsi dire, de reproches plus acérés ; car, puisqu’ils avaient reçu la foi, leur devoir était d’écouter et de souffrir patiemment les réprimandes ; mais tout d’abord ils prirent feu et s’emportèrent. Maintenant, quelle est la marche suivie par Jésus-Christ ? Il commence par cette exhortation : « Si vous persévérez dans ma doctrine, vous serez véritablement mes disciples, et la vérité vous rendra libres » ; comme s’il disait : Je dois faire une profonde incision, mais ne vous en troublez pas : ou plutôt, par ces paroles, il rabaisse leur orgueil. De quoi, je vous prie, la vérité les rendra-t-elle libres ? De leurs péchés. Et que répondirent ces insolents ? « Nous sommes de la race d’Abraham, et nous n’avons jamais été esclaves de personne (33) ». Ils perdirent d’abord l’esprit, parce qu’ils désiraient avidement les choses terrestres. Ce mot : « Si vous persévérez dans ma doctrine », découvre leur pensée et ce qu’ils méditaient dans le cœur, et montre que celui qui parlait de la sorte savait que véritablement ils avaient cru, mais qu’ils n’avaient point persévéré dans la foi : et encore il leur fait espérer quelque chose de grand, savoir, qu’ils seront ses disciples. Comme, depuis peu, plusieurs s’étaient retirés, Jésus, par allusion à ce départ, dit : « Si vous persévérez » ; en effet, ces gens-là aussi avaient ouï sa doctrine, ils avaient cru, et ils s’étaient retirés, parce qu’ils n’avaient pas persévéré. « Car plusieurs de ses disciples », dit l’évangéliste, « se retirèrent de sa suite, et n’allaient plus avec lui ». (Jn 6,67) « Vous connaîtrez la vérité », c’est-à-dire, vous me connaîtrez moi-même, car « je suis la vérité ». (Jn 14,6 ; 1Co 10,11) Toute l’histoire juive n’a été qu’une figure ; vous apprendrez de moi la vérité, qui vous délivrera de vos péchés. Comme il disait à ceux-là : « Vous mourrez dans vos péchés » ; il a dit de même à ceux-ci : « La vérité vous rendra libres de vos péchés ». Jésus ne leur a point dit : Je vous délivrerai de la servitude, mais il le leur a laissé à penser. Que répondirent-ils donc ? « Nous sommes de la race d’Abraham, et nous n’avons jamais été esclaves de personne. » Mais s’ils avaient à se choquer, c’était sans doute de ce qu’il avait dit auparavant : « Vous connaîtrez la vérité » ; et ils auraient dû répondre : Quoi donc ? Est-ce que nous ignorons la vérité ? la loi et nos connaissances sont donc fausses ? Mais ce n’est point là de quoi ils se mettaient en peine ; la perte des biens de la terre était seule capable de les toucher et de les affliger, et c’était de cette perte et de la servitude terrestre qu’ils voulaient parler. Il est aujourd’hui bien des gens encore, oui certes, il en est beaucoup qui rougissent de la privation de choses indifférentes et de cette servitude, et qui n’ont pas honte de même d’être esclaves du péché ; qui aimeraient mieux être mille fois appelés esclaves du péché, que de l’être une seule fois de la servitude des hommes. Tels étaient ces Juifs. ils ne connaissaient point d’autre servitude, voilà pourquoi ils disaient : Quoi ! vous avez appelé esclaves ceux qui sont de la race d’Abraham, des hommes nobles à qui pour cela même vous ne deviez pas donner le nom d’esclaves qui les déshonore ? Nous n’avons jamais, disent-ils, été esclaves de personne. Tel est l’orgueil, telle est la vanité des Juifs : « Nous sommes de la race d’Abraham : nous sommes Israélites ». Jamais ils ne parlent de leurs actions. C’est pourquoi Jean-Baptiste leur criait : « N’allez pas dire : Nous avons Abraham pour père ». (Mat 3,9) Mais pourquoi Jésus-Christ ne les reprend-il pas de leur insolente réponse ? En effet, ils ont été esclaves des Égyptiens, des Babyloniens, et de plusieurs autres. C’est parce qu’il ne leur avait point dit cela pour entrer en dispute avec eux, mais pour les sauver, pour leur faire du bien : voilà ce qu’il avait uniquement en vue. Sûrement il aurait pu leur reprocher une servitude de quarante ans, une autre de soixante-dix, et d’autres sous les juges, tantôt de vingt, tantôt de deux, tantôt de sept ans ; il pouvait leur dire qu’ils n’avaient jamais cessé d’être dans l’esclavage. Mais le Sauveur a voulu leur faire voir, non qu’ils étaient esclaves des hommes, mais qu’ils étaient esclaves du péché, ce qui est la plus dure et la plus misérable de toutes les servitudes, une servitude dont Dieu seul peut délivrer l’homme. Car Dieu seul a le pouvoir de remettre les péchés : ils le reconnaissaient et le confessaient, et c’est à quoi il les amène par ces paroles : « Quiconque commet le péché est esclave du péché (34) », leur montrant qu’il parle de la liberté à l’égard de ce genre de servitude. « Or l’esclave ne demeure pas toujours en la maison, mais le Fils y demeure toujours (36) ». Leur rappelant ainsi les premiers temps ; insensiblement il fait tomber la loi. Il ne voulait pas qu’ils vinssent dire Nous avons les sacrifices que Moïse a ordonnés ; ils peuvent nous délivrer de nos péchés ; voilà pourquoi il ajoute ces choses : autrement quelle liaison y aurait-il dans ses paroles ? « Parce que tous ont péché, et ont besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par sa grâce (Rom 3,23-24) », et les prêtres eux-mêmes. C’est pourquoi saint Paul dit du pontife : « C’est ce qui l’oblige à offrir le sacrifice de l’expiation des péchés, aussi bien pour lui-même que pour le peuple, étant lui-même environné de faiblesse ». (Heb 5,3) Et c’est là ce que fait entendre Jésus-Christ, en disant : « L’esclave ne demeure pas en la maison ». Au reste, par ces paroles, le Seigneur déclare encore qu’il est égal en dignité à son Père, et fait connaître la différence qu’il y a entre l’esclave et le Fils. Car voilà ce que signifie cette parabole ; elle fait connaître que l’esclave n’a point de pouvoir, ce que déclare ce mot : « Il ne demeure pas ». 2. Mais pourquoi Jésus-Christ, discourant sur les péchés, a-t-il parlé de la maison ? C’est pour montrer que, comme le maître a toute l’autorité dans la maison, lui il la possède de même sur toutes choses. Et ce mot « Ne demeure pas », signifie : n’a pas le pouvoir de donner parce qu’il n’est pas le maître ; or, le Fils est le maître ; c’est ce que veut dire cet autre mot : « Il demeure toujours », pris métaphoriquement, et selon l’idée qu’on a des choses humaines, afin qu’ils ne lui disent pas : qui êtes-vous ? Toutes choses sont à moi, car je suis le Fils et je demeure dans la maison de mon, Père ; Jésus appelle ici maison l’autorité ; ailleurs il appelle maison le royaume : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père » (Jn 14,2) Comme il parle de la liberté et de l’esclavage, il est naturel qu’il se serve de cette métaphore, pour montrer que ceux dont il parle n’ont point eu le pouvoir de remettre les péchés. « Si donc le Fils vous met en liberté, vous serez véritablement libres (36) ». Ne remarquez-vous pas, mes frères, que, le Fils est consubstantiel à son Père, et qu’il a un pouvoir égal au sien ? « Si le Fils vous met en liberté », personne ne pourra plus vous la contester, votre liberté, mais elle sera ferme et stable : « Car c’est Dieu même qui justifie, qui osera condamner ? » (Rom 8,33, 34) Jésus-Christ se montre ici pur et exempt de péché ; il parle et de la liberté que donnent les hommes, et qui n’en a que le nom, et de cette autre liberté que Dieu seul a le pouvoir de donner. C’est pourquoi il les exhorte à ne pas rougir de ce qu’on nomme ici-bas esclavage, mais seulement de l’esclavage du péché. Et voulant leur faire voir que, quoiqu’ils ne soient esclaves de personne, le mépris qu’ils ont fait de l’autre esclavage les a néanmoins rendus encore plus esclaves, il a incontinent ajouté : « Vous serez véritablement libres ». Et par là il déclare que leur liberté n’est point une liberté véritable. Ensuite, de peur, qu’ils ne disent qu’ils étaient exempts de péché, car il était croyable qu’ils le diraient : voyez de quelle manière il les accuse sur ce point. Il passe surtout ce qu’il y a de répréhensible dans leur vie, et se borne à leur représenter le crime qu’ils méditaient actuellement : « Je sais que vous êtes enfants d’Abraham : mais vous voulez me faire mourir (37) ». Insensiblement il les exclut de la famille d’Abraham, leur apprenant qu’ils ne doivent point se vanter d’en être. Comme ce sont les œuvres qui rendent l’homme libre ou esclave, ce sont elles aussi qui font la parenté. Il ne leur a pas dit tout d’abord ; Vous n’êtes point les enfants d’Abraham, cet homme juste, vous qui êtes des homicides ; il leur accorde leur filiation et leur dit : « Je sais que vous êtes enfants d’Abraham », mais ce n’est point là de quoi il est question. Maintenant, il va leur parler avec plus de force et de vigueur. En effet, on peut remarquer en général que Jésus-Christ, après avoir opéré quelque grande action qu’il avait dessein de faire, parle ensuite avec plus de force et de fermeté, parce qu’alors le témoignage des œuvres mêmes ferme la bouche aux contradicteurs. « Mais vous voulez me faire mourir ». Et si c’est justement ? Non, certes, c’est pourquoi il en donne la raison : vous voulez me faire mourir, « parce que ma parole ne trouve point d’entrée en vous ». Comment dit-il donc qu’ils ont cru en lui ? Oui, ils ont cru, mais, comme j’ai dit, ils n’ont point persévéré : voilà pourquoi il leur fait une vive réprimande. Si vous vous glorifiez, dit-il, de cette filiation, il faut que votre vie y réponde. Et Jésus n’a pas dit : vous ne comprenez point ma parole, mais : « Ma parole ne trouve point d’entrée en vous » ; en quoi il fait connaître l’élévation et la sublimité de sa doctrine. Mais ce n’est point là une raison de me faire mourir, c’en est une plutôt de m’honorer, afin de vous instruire. Mais si vous dites cela, de vous-même ? Pour prévenir cette objection, il ajoute : « Pour moi, je dis ce que j’ai vu dans mon Père, et vous, vous faites ce que vous avez ouï de votre Père (38) ». Comme moi, dit-il, je fais connaître mon Père, et par mes œuvres et par mes paroles ; de même aussi vous, par vos œuvres, vous montrez qui est le vôtre. Car non seulement j’ai la même substance que mon Père, mais encore la même vérité. « Ils lui répondirent : Nous avons Abraham pour père. Jésus leur repartit : Si vous aviez Abraham pour père, vous feriez ce qu’a fait Abraham ; mais maintenant vous cherchez à me faire mourir (39,40) ». Jésus-Christ leur reproche souvent ici leur humeur sanguinaire, et leur parle d’Abraham : mais c’est pour leur déclarer qu’ils se sont exclus de sa filiation, pour rabaisser leur vanité, leur en marquer l’inutilité et les convaincre qu’ils n’y doivent point mettre l’espérance de leur salut, ni compter sur une alliance charnelle, mais sur l’alliance spirituelle que produit la bonne volonté. C’était là ce qui les empêchait de s’attacher à Jésus-Christ : ils s’imaginaient qu’une si grande alliance leur suffisait seule pour les sauver. Quelle est cette vérité dont parle ici Jésus-Christ ? Qu’il est égal à son Père ; c’est pour cette vérité que les Juifs cherchaient à le faire mourir, comme il le dit lui-même : « Vous cherchez à me faire mourir, moi qui vous ai dit la vérité que j’ai apprise de mon Père ». Pour vous faire voir que ce qu’il dit n’est point contraire à son Père, il s’en autorise encore. « Ils lui dirent : Nous ne sommes pas des enfants de la fornication ; nous n’avons tous qu’un père qui est Dieu (41) ». Que dites-vous ? Que vous avez Dieu pour père, et vous accusez et vous condamnez Jésus-Christ pour avoir dit la même chose ! Ne voyez-vous pas que Jésus a dit que Dieu était son Père d’une manière particulière ? 3. Comme donc le Sauveur avait dépossédé les Juifs de leur prétendue filiation d’Abraham, n’ayant rien à répliquer, ils ont la hardiesse de monter plus haut et de s’arroger la qualité d’enfants de Dieu ; mais Jésus-Christ les dégrade encore de cette dignité en leur disant « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez parce que je suis sorti de Dieu, et que je viens » dans le monde, « car je ne suis pas venu de moi-même, mais c’est lui qui m’a envoyé (42). Pourquoi ne connaissez-vous point mon langage ? Parce que vous ne pouvez ouïr ma parole (43). Vous êtes les enfants du diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été homicide dès le commencement, et il n’est point demeuré dans la vérité. Lorsqu’il dit des mensonges, il dit ce qu’il trouve dans lui-même (44) ». Jésus-Christ a dépossédé et exclu les Juifs de la filiation d’Abraham, et comme ils ont osé s’élever à une grande et plus haute dignité, il les abat et leur porte enfin le coup qui les terrasse, en leur disant : non seulement vous n’êtes point les enfants d’Abraham, mais vous êtes même les enfants du diable ; par là il les frappe aussi durement que le mérite leur impudence, et il ne laisse pas cette accusation sans preuve ; il la démontre, au contraire : tuer, dit-il, c’est le fait d’une méchanceté diabolique. Et il n’a pas simplement dit : Vous faites les œuvres du diable, mais vous accomplissez ses désirs, montrant que les Juifs, comme le diable, sont portés au meurtre, et cela par envie. Car le diable a tué Adam, uniquement pour satisfaire son envie. Jésus-Christ l’insinue ici maintenant. « Et il n’est point demeuré dans la vérité », c’est-à-dire, dons la droiture, dans la probité. Comme les Juifs accusaient souvent Jésus de n’être point envoyé de Dieu, il leur répond que c’est le diable qui leur suggère cette accusation ; car c’est lui qui le premier a enfanté et produit le mensonge, lorsqu’il a dit : « Aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux seront ouverts ». (Gen 3,5) C’est lui aussi qui le premier l’a mis en œuvre. En effet, les hommes ne s’en servent pas comme d’une chose qu’ils trouvent en eux-mêmes, mais comme d’une chose empruntée. Le diable en use comme de sa propriété. « Mais pour moi, quoique je vous dise la vérité, vous ne me croyez pas (45) ». Quelle est la suite des idées ? Vous voulez me faire mourir sans me dire de quoi l’on m’accuse. Vous ne me persécutez que parce que vous êtes ennemis de la vérité ; si ce n’est pas pour cela, montrez-moi mon péché. Voilà pourquoi il continue ainsi : « Qui de vous me peut, convaincre d’aucun péché (46) ? » Sur cela ils répondent : « Nous ne sommes pas des enfants de la fornication ». Et néanmoins plusieurs l’étaient, puisqu’ils étaient dans la coutume de faire des mariages illicites. Mais ce n’est point là ce qu’il veut leur reprocher, il s’en tient au premier point. Leur ayant fait voir qu’ils n’étaient pas les enfants de Dieu, mais les enfants du diable ; il part de tout cela. (Tuer et mentir, leur dit-il, ce sont là des actions dignes du diable et vous faites l’une et l’autre), pour nous apprendre que c’est à l’amour qu’on reconnaît les enfants de Dieu. « Pourquoi ne connaissez-vous point mon langage ? » Comme ils étaient toujours flottants, toujours dans le doute, et qu’ils ne cessaient point de répéter ces paroles : « Que veut-il dire, vous ne sauriez venir où je vais ? A Jésus dit : « Vous ne connaissez point mon langage, parce que vous ne pouvez ouïr ma parole. » Et cela vient de ce que vous avez un esprit bas et rampant, et que ma doctrine est trop élevée. Mais s’ils ne pouvaient pas la comprendre, quel blâme, quel reproche leur faire ? C’est qu’ici ne pouvoir pas, c’est la même chose que ne vouloir pas ; vous ne le pouvez pas, parce que vous êtes habitués à ramper toujours, et que vous n’élevez jamais vos pensées à rien de grand. Et encore, les Juifs voulant faire entendre qu’ils ne le persécutaient que par zèle pour Dieu, Jésus s’attache partout à montrer que le persécuter, c’est haïr Dieu ; que l’aimer, au contraire, ce serait connaître Dieu. « Nous n’avons tous qu’un père qui est Dieu ». C’est toujours d’honneurs, et non d’œuvres qu’ils se prévalent. Donc votre incrédulité prouve, non que je sois étranger à Dieu, mais que vous ne le connaissez pas, et en voici la cause : c’est que vous mentez et voulez faire ce que fait le diable. Vous mentez parce que vous avez une âme basse et rampante, parce que vous n’avez que des pensées charnelles, comme dit l’apôtre : « Puisqu’il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n’est-il pas visible que vous êtes charnels ? » (1Co 3,3) Pourquoi ne pouvez-vous pas recevoir ma parole et croire en moi ? C’est parce que « vous voulez accomplir les désirs de votre Père », vous en faites votre étude, vous appliquez tous vos soins. Ne voyez-vous pas que ce mot : « Vous ne pouvez pas », signifie qu’ils ne veulent pas. « C’est ce qu’Abraham n’a point fait ». Et quelles sont ses œuvres ? la douceur, la modération, l’obéissance : vous, au contraire, vous êtes inhumains et cruels. Mais d’où se sont-ils portés à se dire enfants de Dieu ? Jésus-Christ avait fait voir qu’ils étaient indignes d’être enfants d’Abraham : voulant détourner ce reproche, ils se sont élevés à quelque chose de plus grand. Et comme il leur reprochait leurs meurtres, afin de s’en justifier en quelque sorte, ils disent que c’est pour venger Dieu qu’ils s’y sont portés. Au reste ce mot : « Je suis sorti », signifie qu’il est venu d’en haut. Par là il fait allusion à son avènement dans le monde. Et comme vraisemblablement ils devaient répliquer : Vous enseignez une doctrine étrangère et nouvelle ; Jésus dit qu’il est sorti de Dieu. Il est naturel, dit-il, que vous n’écoutiez pas ma parole, parce que vous êtes les enfants du diable : pourquoi voulez-vous me faire mourir ? De quel crime pouvez-vous m’accuser ? s’il n’en est aucun, pourquoi ne croyez-vous pas en moi ? Puis, après leur avoir fait connaître ainsi, parleur mensonge et le meurtre qu’ils veulent commettre, qu’ils sont enfants du diable, il leur montre qu’ils sont fort éloignés d’être enfants, et d’Abraham et de Dieu, soit parce qu’ils le haïssent, lui qui ne leur a fait aucun mal, soit parce qu’ils n’écoutent point sa parole. Et en même temps il établit invinciblement cette vérité, qu’il n’est point contraire à Dieu, et que ce n’est point pour cette raison qu’ils ne croient point en lui, mais parce qu’ils sont ennemis de Dieu. Il était, en effet, de toute évidence que, s’ils ne croyaient point en celui qui n’avait commis aucun péché, qui se disait sorti de Dieu et envoyé de Dieu, qui enseignait la vérité et l’enseignait de manière qu’il pouvait défier tout le monde de le convaincre d’aucun péché ; il était, dis-je, visible que, s’ils ne croyaient point en Jésus-Christ, c’est qu’ils étaient tout à fait charnels. Car il le savait ; oui, certes, il le savait parfaitement, que les péchés rabaissent l’âme. C’est pourquoi saint Paul dit : « Nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer à cause de votre lenteur et de votre peu d’application pour les entendre ». (Heb 5,11) Lorsqu’on n’a pas la force de mépriser les choses de la terre, on ne peut ni entendre celles du ciel, ni avoir de goût pour elles. 4. C’est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, n’oublions rien, faisons tous nos efforts pour bien régler notre vie : purifions notre âme, de peur qu’aucune tache, qu’aucune souillure ne nous empêche de voir la vérité. Allumons en nous la lampe de l’intelligence et ne semons point parmi les épines. Celui qui ne comprend pas que l’avarice est un mal, comment connaîtra-t-il de plus hautes vérités ? Celui qui ne s’en abstient pas, comment s’attachera-t-il aux choses du ciel ? Il est bon de ravir, non les biens périssables, mais le royaume des cieux ; car ce royaume, dit Jésus-Christ, « les violents l’emportent » (Mat 11,12) ; donc les lâches ne peuvent l’emporter : pour l’acquérir, il faut être diligent et plein d’ardeur. Mais que veut dire ce mot : « les violents ? » Qu’il faut faire beaucoup d’efforts, parce que la voie est étroite (Mat 7,14), qu’il faut du courage et de la fermeté. Ceux qui vont pour emporter veulent devancer tout le monde. Ils ne considèrent rien, ni l’accusation, ni la condamnation, ni le supplice ; mais ils n’ont qu’une seule chose en vue, c’est d’emporter ce qu’ils désirent, et ils font tous leurs efforts pour prévenir ceux qui marchent devant. Emportons donc le royaume des cieux l’emporter ce n’est pas un crime, mais c’est s’acquérir de la gloire ; c’est au contraire un crime de ne point le ravir. Dans ce royaume, nos richesses ne tournent point à la ruine des autres : travaillons donc à l’emporter. Si nous sentons la colère et la concupiscence s’allumer dans nous et nous presser de leur aiguillon, faisons violence à notre nature ; soyons plus doux, travaillons un peu pour nous reposer éternellement. Ne ravissez point l’or, mais ravissez ces richesses qui vous apprendront à regarder l’or comme de la boue. Dites-moi : Si vous trouviez sous vos yeux et sous votre main du plomb et de l’or, lequel prendriez-vous ? ne serait-ce pas l’or que vous saisiriez ? Eh bien ! là où celui qui emporte est puni, vous vous attachez à ce qui est de plus grande valeur, et là où celui qui emporte est honoré et récompensé, vous livrez, vous abandonnez ce qui est de plus grand prix. Que si de l’un et de l’autre côté il y avait une punition à craindre, ne vous seriez-vous pas plutôt jeté sur ce qui vaut le mieux ? mais dans le vol que je vous propose, vous n’avez rien à craindre, une félicité éternelle en est la récompense. Et comment, direz-vous, peint-on l’emporter, ce royaume ? Ce que vous avez dans vos mains, jetez-le ; car tant que vous aurez les mains embarrassées, vous ne pourrez conquérir cet autre trésor : représentez-vous un homme qui a les mains pleines d’argent ; tant qu’il le serrera dans ses mains, pourra-t-il prendre de l’or ? ne faut-il pas qu’auparavant il jette l’argent et qu’il ait les mains libres ? En effet, un voleur doit être adroit et alerte pour n’être pas pris. De même, il y a autour de nous des puissances ennemies qui nous guettent, toujours prêtes à se jeter sur nous pour nous enlever notre trésor. Mais évitons-les, fuyons-les et ne laissons au-dehors aucune prise sur nous. Coupons, rompons les liens qui nous retiennent, dépouillons-nous des biens de ce monde. Quelle nécessité d’avoir des habits de soie ? Jusques à quand nous étalerons-nous ces futilités ridicules ? Jusques à quand cacherons-nous notre or dans la terre ? Je voudrais de tout mon cœur ne plus vous parler continuellement de ces choses ; mais jamais vous ne cessez de me donner sujet de vous en parler. Corrigeons-nous enfin aujourd’hui, afin que, donnant aux autres ce bon exemple, les biens que Dieu nous a promis, nous les obtenions, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE LV.
LES JUIFS LUI RÉPONDIRENT DONC : N’AVONS-NOUS PAS RAISON DE DIRE QUE VOUS ÉTES UN SAMARITAIN ET QUE VOUS ÊTES POSSÉDÉ DU DÉMON ? – JÉSUS LEUR REPARTIT : JE NE SUIS POINT POSSÉDÉ DU DÉMON : MAIS J’HONORE MON PÈRE. (VERS. 48, 49, JUSQU’A LA FIN DU CHAP. VIII) ANALYSE.
- 1. Venger avec force ce qu’on dit contre Dieu, souffrir patiemment ce qu’on dit contre nous.
- 2. Réfutation des Anoméens et des Avens. – Cette parole : *Je suis, marque en Jésus-Christ son éternité.
- 3. Profiter du temps, ne point différer sa conversion. – L’âme, qui est devenue insensible, est semblable au pilote qui a abandonné son vaisseau au gré des vents. – Quels efforts doit faire la vertu pour l’emporter sur la violence des passions. – L’envieux, en voulant perdre quelqu’un, se perd lui-même. – Portrait de l’envieux et de l’envie.
1. C’est une chose impudente et insolente que le vice : lorsqu’il devrait rougir de honte, c’est alors qu’il s’emporte et fait plus fortement éclater sa colère ; c’est ce qui arriva pour les Juifs. Lorsque leur cœur aurait dû être touché de componction de ce qu’ils venaient d’entendre ; lorsqu’ils devaient admirer la force et la justesse des raisonnements du divin Sauveur, ils le chargent d’injures, ils l’appellent samaritain, démoniaque, et répondent : « N’avons-nous pas eu raison de dire que vous êtes un samaritain, et que vous êtes possédé du démon ? » Jésus-Christ disait-il quelque chose de grand et d’élevé, c’était folie aux yeux de ces hommes sans raison. Il est vrai que l’évangéliste n’a point encore dit qu’ils l’aient appelé samaritain, mais toutefois ces paroles donnent bien lieu de croire qu’ils l’avaient souvent apostrophé de ce nom. Vous êtes possédé du démon, dites-vous à Jésus ; mais chez qui vraiment habite le démon ? chez celui qui honore Dieu ; ou chez celui qui outrage l’homme qui honore Dieu ? Quelle est la réponse du Seigneur ? c’est la douceur, c’est la modestie même. « Je ne suis point possédé du démon, mais j’honore mon Père, qui m’a envoyé (49) ». Lorsqu’il fallait les instruire, abattre leur orgueil et leur vanité, et les empêcher de se prévaloir du nom d’Abraham, alors Jésus-Christ parlait avec force et avec vigueur ; mais quand il avait à souffrir leurs injures, il répondait avec beaucoup de douceur : Quand ils disaient : Nous avons Dieu pour Père et Abraham aussi, il les réprimandait fortement ; mais lorsqu’ils l’appellent démoniaque, il leur répond avec douceur, pour nous apprendre à venger la gloire de Dieu et à souffrir avec patience ce qu’on dit contre nous. « Pour moi, je ne cherche point ma gloire (50) ». J’ai dit ces choses pour vous montrer qu’il ne vous appartient pas, à vous, qui êtes des homicides, d’appeler Dieu votre Père ; ce que j’ai dit, c’est donc pour sa gloire que je l’ai dit, et, pour avoir soutenu sa gloire, je vous entends m’injurier ; c’est pour lui que je suis en butte à vos outrages. Mais je n’écoute point vos injures, je ne m’en venge point. Celui pour l’amour de qui je les souffre maintenant, vous en fera rendre compte et vous en punira. « Pour moi, je ne cherche point ma gloire ». C’est pourquoi, au lieu de me venger, je vous invite et vous exhorte à faire ce qui non seulement vous délivrera du supplice, mais aussi vous procurera la vie éternelle. « En vérité, en vérité, je vous le dis : Si quelqu’un garde ma parole, il ne mourra jamais (51) ». Jésus-Christ ne parle pas seulement ici de la foi, mais encore de la pureté de la vie. Et plus haut il a dit : « Il aura la vie éternelle » ; il dit ici : Il ne mourra point, et en même temps il insinue que ses ennemis ne peuvent rien contre lui. Car si celui qui aura gardé sa parole ne doit pas mourir, à plus forte raison lui-même ne mourra-t-il point. Les Juifs l’ayant compris, lui dirent : « Nous connaissons bien maintenant que vous êtes possédé du démon : Abraham est mort et les prophètes aussi (52) », c’est-à-dire ceux qui ont ouï la parole de Dieu sont morts, et ceux qui auront ouï la vôtre ne mourraient point ? « Êtes-vous plus grand que notre père Abraham (53) ? » O vanité ! de nouveau ils se flattent d’être les enfants d’Abraham. Il eût été plus à propos de répondre : Êtes-vous plus grand que Dieu, ou ceux qui vous écoutent sont-ils plus grands qu’Abraham ? mais ils ne le disent point, parce qu’ils croyaient Jésus moins grand qu’Abraham lui-même. Premièrement donc Jésus leur montre qu’ils sont des homicides, et par cette raison il leur prouve qu’ils sont déchus de leur prétendue filiation ; et comme ils s’opiniâtraient à la soutenir, il la combat par une autre voie, leur faisant voir qu’ils font d’inutiles efforts pour s’y maintenir. Au reste, le Sauveur ne découvre et n’explique pas de quelle mort il veut parler présentement ; il leur fait entendre qu’il est plus grand qu’Abraham, afin de les confondre encore par ce moyen. Certes, dit-il, quand même je serais un homme ordinaire, vous ne devriez pas me faire mourir injustement ; mais puisque je dis la vérité, puisque je n’ai commis aucun péché, puisque je suis envoyé de Dieu et plus grand qu’Abraham, n’est-ce pas follement et vainement que vous cherchez tous les moyens de me faire mourir ? Que répondent-ils donc ? « Nous connaissons bien maintenant que vous êtes possédé du démon ? » La Samaritaine n’avait point parlé de la sorte ; elle n’avait point dit à Jésus : Vous êtes possédé du démon, mais seulement : « Êtes-vous plus grand que notre père Jacob ? » (Jn 4,12) En effet, les Juifs étaient des insolents et des scélérats, tandis que cette femme ne songeait qu’à s’instruire. Voilà pourquoi elle propose ses doutes, fait une respectueuse réponse, comme elle le devait, et appelle Jésus Seigneur. Car celui qui faisait de si grandes promesses, et qui, d’autre part, méritait d’être cru sur sa parole, ne devait point recevoir des injures et des outrages, mais il devait plutôt être admiré et comblé de louanges ; et cependant les Juifs l’appellent démoniaque. Les paroles de la Samaritaine marquaient seulement qu’elle était dans le doute, qu’elle n’avait pas encore une foi solide ; mais les paroles des Juifs montraient visiblement leur incrédulité et leur méchanceté : « Êtes-vous plus grand que notre père Abraham ? » Être donc envoyé de Dieu, voilà déjà ce qui le rend plus grand qu’Abraham. Mais lorsque vous le verrez élevé en haut, c’est alors que vous le reconnaîtrez pour tel. Voilà pourquoi le Sauveur disait : « Lorsque vous m’aurez élevé en haut, alors vous connaîtrez qui je suis ». (Jn 8,28) Et vous, mon cher auditeur, remarquez la sagesse de Jésus. Après avoir prouvé aux Juifs qu’ils sont déchus de leur prétendue filiation, il leur fait voir qu’il est plus grand qu’Abraham, afin qu’ils sachent qu’il est bien au-dessus des prophètes. Et il leur disait : « Ma « parole ne trouve point d’entrée en vous » (Jn 8,37), parce que, continuellement, ils l’appelaient prophète. Enfin il disait tantôt : qu’il ressuscitait les morts, tantôt que celui.. qui le trairait ne mourrait point, ce qui est encore bien plus grand que de n’être point laissé dans les liens de la mort. Voilà pourquoi les Juifs s’irritaient davantage. Que répondent-ils donc ? « Qui prétendez-vous être ? » et c’est d’un ton de mépris. Vous vous vantez, disent-ils ; à quoi Jésus-Christ réplique : « Si je me glorifie moi-même, ma gloire n’est rien (54). » 2. Sur cette réponse du Seigneur, que disent les hérétiques ? Écoutez-les un peu. Les, Juifs ont fait à Jésus-Christ cette question : « Êtes-vous plus grand que notre père, Abraham ? » et il n’a osé affirmativement répondre : Oui, je le suis ; mais il se répand en paroles obscures et enveloppées. Quoi donc ? Sa gloire n’est-elle rien ? selon eux, elle n’est rien. Mais sachez, ô hérétiques, que comme, lorsque Jésus-Christ dit : « Mon témoignage n’est point véritable », il parle selon l’opinion des Juifs ; il parle encore de même, quand il dit : « Il y en a un qui me glorifie ». (Jn 5,32) Et pourquoi n’a-t-il pas dit, comme plus haut : c’est mon Père qui m’a envoyé ? c’est parce qu’il voulait montrer aux Juifs, que non seulement ils ne connaissaient pas le Père, mais pas même Dieu. « Mais pour moi je le connais ». C’est pourquoi, quand il dit : Je le connais, ce n’est point une vanterie : s’il disait qu’il ne le connaît pas, ce serait un mensonge. Pour vous autres, lorsque vous dites que vous le connaissez, vous êtes des menteurs ; et comme vous dites faussement que vous le connaissez, moi, de même, je dirais faussement que je ne le connais pas. « Si je me glorifie moi-même ». Les Juifs disent : « Qui prétendez-vous être ? » Jésus leur répond : si je me vante moi-même, si ce que je vous dis, je le dis de moi-même, ma gloire n’est rien. Comme donc je connais parfaitement le Père, vous ne le connaissez point du tout. Ainsi, comme lorsqu’il agitait cette question, savoir : s’ils étaient les enfants d’Abraham, il ne leur a pas tout ôté, mais il a dit : Je sais que vous êtes de la race d’Abraham, pour prendre de là occasion de leur faire un plus grand reproche ; de même en cet endroit il ne leur ôte pas tout, mais il leur dit : « Vous dites qu’il est votre Père ; » leur laissant cette gloire, il montre qu’ils n’en sont que plus coupables et dignes d’une plus grande condamnation. Au reste, comment peut-on dire que vous ne connaissez point Dieu ? Parce que vous chargea d’injures celui qui fait et dit tout pour sa gloire, celui même que Dieu a envoyé : ceci est dit sans preuves, mais ce qui suit servira à le prouver. « Et je garde sa parole (55). ». Si les Juifs avaient eu quelque chose à dire contre Jésus-Christ, ils le pouvaient, ils le devaient ; car c’était 1à un puissant témoignage pour prouver qu’il était envoyé de Dieu. « Abraham votre père a désiré avec ardeur de voir mon jour ; il l’a vu, et il en a été rempli de joie (56)». Jésus-Christ prouve encore que les Juifs ne sont point les enfants d’Abraham, puisqu’ils s’affligent de ce dont il se réjouissait. Et je pense que par ces paroles il désigne le jour du, sacrifice de la croix, qu’Abraham avait marqué d’avance par celui du bélier et d’Isaac, (Gen 22), Que dirent-ils donc ? « Vous n’avez pas encore quarante ans, et vous avez vu Abraham (57) ? » Jésus-Christ avait donc alors environ quarante ans. Jésus leur répondit : « Je suis avant qu’Abraham fût au monde (58). « Là-dessus ils prirent des pierres pour les lui, jeter (59) ». N’avez-vous pas fait attention à la manière dont il prouve qu’il est plus grand qu’Abraham ? Celui qui s’est réjoui devoir ce jour, qui a cru que, c’était là une chose désirable, a sans doute regardé comme un bonheur et une grâce de voir ce jour, parce que Jésus est plus grand que lui. Ainsi comme les Juifs voyaient en lui rien de plus que le fils d’un charpentier, il les élève insensiblement à une plus haute connaissance. Mais il est surprenant qu’ayant entendu dire à Jésus-Christ qu’ils ne connaissaient point Dieu, ils ne se soient point fâchés contre lui ; et que, lorsqu’il dit : je suis avant qu’Abraham fût au monde, comme si cela les eût dégradés de leur noblesse, ils s’emportent et jettent des pierres. Abraham a vu mon jour, et « il en a été rempli de joie ». Jésus fait voir, par ces paroles, qu’il n’est point allé à la croix et à la mort involontairement et malgré lui, puisqu’il loue celui qui se réjouit de la croix, qui était le salut du monde. Et néanmoins les Juifs le lapidaient : tant ils avaient de penchant pour le sang et le carnage ! Et ils s’y portaient ainsi d’eux-mêmes sans autre attention, sans rien examiner. Mais pourquoi Jésus n’a-t-il pas dit : j’étais avant qu’Abraham fût au monde, mais : « Je suis ? » Comme son Père, pour se faire connaître, s’est servi de cette parole : « Je suis », Jésus-Christ en use de même. Cette parole marque qu’il est éternel, en tant qu’elle ne fixe aucun temps particulier. Voilà pourquoi les Juifs regardaient cette parole comme un blasphème. S’ils ne pouvaient donc pas souffrir cette comparaison qu’il faisait de lui avec Abraham, quoiqu’elle ne fût pas si grande ; ni si avantageuse, n’est-il pas visible que s’il s’était souvent fait égal à son Père, ils n’auraient pas cessé un moment de le persécuter et de le poursuivre ? Ensuite il se retira encore à la manière des hommes, et se cacha, après les avoir assez instruits, et avoir accompli son œuvre et sa mission. Il sortit du temple, et fut opérée la guérison d’un aveugle, prouvant par ses œuvres qu’il est avant Abraham. Mais peut-être quelqu’un dira : pourquoi ne les réduisit-il pas à l’impuissance ? De cette lanière peut-être auraient-ils cru en lui. Il a guéri le paralytique, et ils n’ont point cru en lui. II a fait une infinité de miracles jusque dans sa passion, il les renversa par terre, il les rendit aveugles, et ils ne crurent point. Comment donc auraient-ils cru, s’il les avait réduits à l’impuissance ? Rien n’est pire qu’un homme dans le désespoir. Qu’il voie des miracles, qu’il voie des prodiges, ces prodiges et ces miracles ne sont nullement capables de triompher de son obstination. Pharaon en est un exemple : il reçut mille plaies ; mais le châtiment seul pouvait le faire rentrer en lui-même : et il persévéra dans son endurcissement jusqu’à son dernier jour, où il poursuivait encore ceux qu’il avait renvoyés. Voilà pourquoi saint Paul dit souvent : « Que personne ne s’endurcisse par l’illusion du péché ». (Heb 2,18) Car de même que les forces s’épuisent à la fin, et que le corps perd tout sentiment, ainsi l’âme, qu’une foule de passions accable, devient comme morte pour la vertu : présentez-lui tout ce qu’il vous plaira, elle ne sent rien : menacez-la du supplice ou de toute autre chose, elle demeure insensible. 3. C’est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, pendant que nous avons une espérance de salut, pendant que nous pouvons nous convertir, ne négligeons point cette affaire travaillons-y de toutes nos forces. Comme les pilotes qui n’ont plus d’espérance abandonnent leur vaisseau au gré des vents et demeurent les bras croisés, les hommes découragés renoncent de même à tout effort. L’envieux n’a en vue que d’assouvir sa cupidité ; qu’on le menace du supplice, de la mort, il cherche uniquement à contenter sa passion tels sont aussi et l’impudique et l’avare. Si donc les passions exercent sur l’âme un si puissant empire, la vertu doit déployer bien plus de force ; encore. Puisque, pour satisfaire nos passions, nous méprisons la mort, nous devons bien davantage la mépriser pour la vertu. Si ceux qui sont possédés de quelque passion méprisent la vie, à plus forte raison devons-nous la mépriser pour le salut. Autrement, quelle excuse aurions-nous ? Ceux qui périssent se donnent mille peines afin de périr, et nous ne prenons pas même une peine égale pour nous sauver, mais nous séchons toujours d’envie. Rien n’est pire, en effet, que l’envie : en voulant perdre autrui, l’envieux se perd lui-même. L’œil de l’envieux sèche de dépit, sa vie n’est qu’une mort continuelle : il regarde tous les hommes comme ses ennemis, et ceux même qui ne lui ont fait aucun mal. Il s’attriste que Dieu soit honoré ; ce dont le démon se réjouit, il s’en réjouit aussi. Cet homme est honoré des hommes, mais ce n’est point là un honneur, ne lui portez point envie. Il est honoré de Dieu ; imitez-le, mais c’est là ce que vous ne voulez point faire. Pourquoi donc vous perdez-vous vous-même ? pourquoi jetez-vous ce que vous avez entre les mains ? vous ne pouvez l’égaler ni faire quelque profit ? pourquoi, de plus, vous faire du mal ? Il faudrait vous réjouir avec lui, afin que si vous ne pouvez pas participer à ses travaux, vous en tiriez du moins quelque profit par votre congratulation : souvent la bonne volonté suffit pour nous faire un grand bien. Ézéchiel dit que les Moabites ont été punis pour avoir insulté les Israélites et s’être réjouis de leurs calamités, et que ceux qui gémissent sur les maux d’autrui, obtiennent le salut. Que si ceux qui pleurent sur les maux de leurs frères y gagnent des consolations, à plus forte raison en recevront-ils ceux qui se réjouissent des honneurs qu’on leur fait : le prophète reprochait aux Moabites de s’être réjouis des maux qui étaient arrivés aux Israélites : et cependant c’était Dieu même qui châtiait ces derniers. Mais Dieu ne veut pas même que nous ayons de la joie des châtiments qu’il inflige, et lui-même ne prend point plaisir à se venger. Que s’il faut s’affliger avec ceux qui souffrent, à plus forte raison ne faut-il pas porter envie à ceux qui sont honorés. C’est ainsi qu’ont péri et Coré et Dathan (Nom 16) qui, d’une part, ont attiré sur eux-mêmes la vengeance divine, et de l’autre, ont rendu par là plus illustres ceux à qui ils portaient envie. Car l’envie est une bête venimeuse, un animal impur, une malice volontaire, qui ne mérite point de pardon, une méchanceté qu’on ne peut excuser, la racine et la mère de tous les maux. Arrachons-le donc de nos âmes, afin que nous soyons délivrés des maux présents, et que nous acquérions les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père, et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles. Ainsi soit-il.