‏ Luke 2

HOMÉLIE SUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ DE NOTRE-SEIGNEUR, JÉSUS-CHRIST
Traduction de l’abbé Auger, revue.
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AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Tome 2 p.173 La fête de la Nativité, la fête de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avait été connue longtemps dans l’Occident, et célébrée le 25 de décembre, avant qu’elle fût connue dans les Églises d’Orient ; mais enfin elle fut apportée dans ces Églises, et célébrée avec beaucoup de solennité. – Comme il n’y avait que dix ans qu’on la célébrait à Antioche, et que quelques-uns l’attaquaient encore comme récente, saint Jean Chrysostome, le jour même de cette fête, en l’année 386, après avoir dit un mot sur le mystère, entreprend de prouver que le jour où l’on célébrait la naissance de Jésus-Christ était vraiment le jour où il était né. – Il le démontre par trois sortes de preuves : 1° par l’empressement avec lequel la fête a été reçue ; 2° par le dénombrement des habitants de toute la terre, fait en vertu d’un édit de César Auguste, dénombrement dont la date est consignée dans les registres de Rome ; 3° par le temps où Zacharie reçut l’heureuse nouvelle qu’Elizabeth son épouse était enceinte de Jean. Après avoir prouvé tout ce qui regarde le temps de la fête, l’orateur parle du mystère ; il tâche de rassurer les fidèles contre les railleries des païens qui cherchaient à tourner en ridicule le mystère d’un Dieu fait homme. – Il attaque un abus qui avait lieu dans la participation aux sacrés mystères, c’est-à-dire lorsqu’on approchait de la table sacrée pour participer au corps et au sang de Jésus-Christ. – Les fidèles se pressaient, se poussaient, s’injuriaient ; saint Jean Chrysostome les exhorte à approcher de la table sainte avec le respect et la modestie convenables. – A la tête de cet article il annonce qu’il en a parlé il y a quelques jours. – On croit que c’est dans le panégyrique de saint Philogone, prononcé peu de jours avant cette fête ; cependant il n’y parle que de la pureté intérieure que l’on doit apporter à la participation des sacrés mystères. Dans l’homélie sur le baptême de Jésus-Christ, il s’élève contre le même abus qu’il attaque dans l’homélie présente, et il ajoute des reproches faits à ceux qui sortaient avant que la célébration des mystères fût entièrement achevée. – Les mêmes reproches sont répétés dans la troisième homélie sur l’incompréhensibilité de la nature de Dieu.

1. L’heureux événement après lequel les patriarches ont soupiré dès les premiers temps du monde, que les prophètes ont prédit, que les justes ont désiré de voir, est enfin arrivé, et a été consommé en ce jour. Dieu a paru sur la terre, revêtu de chair, Dieu a conversé parmi les hommes. (Mat 13,12 ; Bar 3,3-8) Réjouissons-nous donc et triomphons, mes bien-aimés. Si saint Jean a tressailli dans le ventre de sa mère, lorsque Marie venait visiter Élisabeth, à plus forte raison nous, qui ne voyons pas Marie, mais le Sauveur lui-même prendre aujourd’hui naissance, nous devons triompher et tressaillir, nous devons admirer avec étonnement la grandeur d’un mystère qui surpasse toutes nos pensées. Songez en effet combien il serait admirable de voir le soleil descendre du ciel, s’avancer sur la terre, et de là répandre partout ses rayons. S’il est vrai qu’un tel prodige dans l’astre visible qui éclaire le monde nous étonnerait tous, considérez combien il est admirable de voir le Soleil de justice se revêtir de notre chair, répandre ses rayons, et éclairer nos âmes.

Il y a longtemps que je désirais de voir ce jour, et de le voir au milieu d’une si grande multitude de peuple. Je souhaitais sans cesse que l’enceinte sacrée qui nous rassemble fût remplie comme je la vois maintenant. Mes vœux sont enfin exaucés. Il n’y a pas dix ans que ce jour nous a été révélé ; et néanmoins ; grâce à votre zèle, il est aussi célèbre que s’il nous eût été transmis depuis plusieurs siècles. Ainsi on pourrait avancer, sans craindre de se tromper, que ce jour est à la fois ancien et nouveau : nouveau, parce qu’il nous est connu depuis bien peu de temps ; ancien, parce qu’il a marché aussitôt de pair avec les fêtes les plus antiques, et que malgré sa nouveauté il a égalé, par la vénération dont il est l’objet, l’ancienneté de leur âge. Comme des plants d’une excellente nature, dès qu’ils ont pris racine, ne tardent pas à s’élever fort haut et à se charger de fruits, de même ce jour, anciennement connu chez les peuples de l’Occident, ne nous a pas été plus tôt apporté, qu’il a pris croissance aussitôt et a produit des fruits avec l’abondance que nous voyons. Nos temples se sont remplis, et sont devenus trop étroits pour le grand nombre de fidèles qui accourent pour célébrer cette fête. Attendez donc la récompense d’un pareil zèle, de Jésus, qui est né aujourd’hui selon la chair, et qui récompensera votre ardeur comme elle le mérite ; car l’empressement que vous témoignez poux le jour de sa naissance est la plus grande marque que vous puissiez lui donner de votre amour. Si nous, qui sommes vos frères, nous devons y contribuer pour notre part, nous le ferons de tout notre pouvoir, ou plutôt nous vous dirons ce que la grâce de Dieu nous inspirera pour votre avantage. Que désirez-vous donc d’entendre aujourd’hui, et de quoi vous parlerons-nous, sinon de la fête même ? Je sais que les esprits sont encore partagés à son sujet, que les uns l’attaquent, les autres la défendent ; que ceux-ci lui reprochent d’être nouvelle et récente, d’avoir été introduite de nos jours ; que ceux-là, au contraire, prétendent qu’elle est fort ancienne, puisque les prophètes ont prédit fort anciennement la naissance du Sauveur, et que le jour marqué pour cette divine naissance a été célèbre et répandu chez tous les peuples, depuis la Thrace jusqu’au détroit de Gadès. C’est donc là ce qui va faire la matière de cet entretien ; car, si vous témoignez un tel empressement pour une fête sur laquelle on conteste encore, il est clair que vous serez beaucoup plus empressés à la, célébrer, quand elle vous sera plus connue, quand une plus ample instruction vous inspirera une plus vive affection pour elle. Trois raisons nous feront connaître que c’est vraiment aujourd’hui le jour où est né Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu. La première, c’est que partout où la fête a été annoncée, elle a fleuri aussitôt, elle a pris les plus grands accroissements ; et ce que Gamaliel disait de la prédication : Si c’est l’ouvrage des hommes, elle se détruira ; si elle vient de Dieu, vous ne pourriez la détruire, et vous seriez en danger de combattre contre Dieu même (Act 5,38-39), je ne crains pas de l’appliquer à la fête présente, et de dire : C’est parce qu’elle vient de Dieu que non seulement elle n’a pas été abolie, mais qu’elle fait tous les ans de nouveaux progrès, qu’elle devient de plus en plus célèbre. Quant à la prédication, elle s’est emparée en peu d’années de toute la terre, quoique ce ne fussent que des ouvriers en tentes, des pêcheurs, des hommes sans sciences et sans lettres, qui la portassent partout. Mais la faiblesse de ceux qui annonçaient la parole ne lui enleva rien de sa force, parce que la puissance du Dieu qu’elle annonçait subjuguait tout avec promptitude, triomphait de tous les obstacles, et exerçait partout son empire.

2. Si l’on combattait ma première preuve, et si l’on refusait de l’admettre, je puis en fournir une seconde. Quelle est-elle ? elle est tirée du dénombrement dont les Évangiles font mention. Vers ce temps, dit saint Luc 2,1-17), on publia un édit de César Auguste, pour faire un dénombrement des habitants de toute la terre. Ce premier dénombrement fut fait par Cyrinus, gouverneur de Syrie. Tous allaient pour se faire enregistrer, chacun dans sa ville. Joseph partit aussi de la ville de Nazareth, qui est en Galilée, et se rendit en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, pour se faire enregistrer avec Marie son épouse, qui était enceinte. Pendant qu’ils étaient en ce lieu, il arriva que le temps auquel elle devait accoucher s’accomplit. Elle enfanta son fils premier-né, l’emmaillota et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait point de place pour eux dans l’hôtellerie ; d’où il est clair que Jésus-Christ est né lors du premier dénombrement. Or, si l’on veut connaître avec exactitude l’époque de ce dénombrement, on peut consulter les anciens registres déposés dans les archives de Rome. Eh ! que nous fait ; dira-t-on, cette circonstance, à nous qui ne sommes pas à Rome ? Écoutez, je vous prie, et ne refusez pas de me croire, puisque nous avons reçu la fête de ceux qui sont parfaitement instruits du fait dont je parle, et qui habitent la ville de Rome. Oui, ce sont les habitants eux-mêmes qui, célébrant la fête depuis longtemps et d’après une longue tradition, nous ont transmis cette connaissance ; car l’Évangile ne se borne pas à indiquer le temps en général, mais il parle de manière à nous faire connaître clairement le jour de la naissance du Sauveur, et à faire éclater la sagesse de Dieu dans l’exécution de ses desseins. Non, ce n’est pas de son propre mouvement, ce n’est pas de lui-même qu’Auguste a publié son édit, mais parce que Dieu lui en a inspiré le projet, pour qu’il servît sans le savoir à la naissance de son Fils unique. Et en quoi, direz-vous, l’édit d’Auguste contribue-t-il à préciser le temps où Dieu s’est fait homme ? Il y contribue sans doute, et non d’une manière commune et – peu sensible, mais comme un des moyens essentiels et un des principaux ressorts de cette opération divine. Comment cela ? la Galilée est un pays de la Palestine, et Nazareth est une ville de la Galilée ; ensuite il est un pays appelé la Judée, du nom de ses habitants, dont une des villes est Bethléem. Tous les prophètes avaient prédit que le Christ sortirait, non de Nazareth, mais de Bethléem, et qu’il naîtrait dans cette dernière ville. Voici leurs propres paroles : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la dernière d’entre les principales villes de Juda ; car c’est de toi que sortira le chef qui conduira mon peuple d’Israël. (Mic 5,2 ; Mat 2,7) Lorsqu’Hérode demanda aux Juifs où le Christ naîtrait, ils lui citèrent cette même prophétie en témoignage. Voilà pourquoi, Philippe ayant annoncé à Nathanaël qu’ils avaient trouvé Jésus de Nazareth : Nathanaël répondit : Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? (Jn 1,45) Or Jésus-Christ dit de lui : Voilà un vrai Israélite, un homme sans artifice. (Id 47) Et pourquoi lui a-t-il donné cet éloge ? C’est parce qu’il ne s’est point laissé prendre par l’annonce de Philippe, mais qu’il savait parfaitement que le Christ devait naître non à Nazareth, ni dans la Galilée, mais dans la Judée et à Bethléem ; ce qui arriva réellement. Comme Philippe ignorait cette circonstance, et que Nathanaël, docteur de la loi, sachant que le Christ ne naîtrait point à Nazareth, lui avait fait une réponse conforme à la prophétie dont nous avons parlé plus haut, et voilà pourquoi Jésus-Christ dit de lui : Voilà un vrai Israélite, un homme sans artifice. C’est là encore pourquoi quelques Juifs disaient à Nicodème : Considérez et voyez qu’il n’est jamais sorti un prophète de Galilée. (Jn 7,52) Il est encore dit ailleurs : Le Christ ne vient-il pas de la ville de Bethléem, d’où était David ? (Id 42) En un mot, c’était l’opinion générale que le Christ devait sortir de cette ville, et non de Galilée. Ainsi, comme Joseph et Marie, citoyens de Bethléem, avaient abandonné cette ville pour aller s’établir à Nazareth, où ils vivaient (car il n’est pas rare de voir des personnes abandonner les villes où elles sont nées pour aller s’établir dans d’autres dont elles ne sont pas originaires) ; comme, dis-je, Joseph et Marie avaient abandonné Bethléem, et que le Christ devait naître dans cette ville, Auguste publia un édit qui, dans les desseins du Seigneur, les fit retourner malgré eux à Bethléem. En effet, l’ordonnance qui signifiait à chacun de se faire enregistrer dans sa patrie les força à partir de Nazareth et à se rendre à Bethléem. C’est donc ce que voulait faire entendre l’Évangéliste, lorsqu’il disait : Joseph partit aussi de la ville de Nazareth qui est en Galilée, et se rendit en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, pour se faire enregistrer avec Marie, son épouse, qui était enceinte. Pendant qu’ils étaient en ce lieu, il arriva que le temps auquel elle devait accoucher s’accomplit, et elle enfanta son fils premier-né. (Luc 2,4-7)

3. Vous voyez, mes frères, que Dieu se sert également des fidèles et des infidèles pour l’exécution de ses desseins, afin que les ennemis de son culte apprennent quelle est sa force et sa puissance. Un astre du ciel fait partir les mages de l’Orient (Mat 2,1-2) ; un édit de l’empereur ramène Marie dans sa patrie marquée par les prophètes. Il résulte de ceci que la Vierge était de la famille de David, ce que d’ailleurs l’Évangéliste nous a appris plus haut en disant : Joseph partit de la Galilée avec Marie, parce qu’il était de la maison et de la famille de. David. (Luc 2,4) Car, après avoir rappelé toute la généalogie de Joseph sans dire un mot de celle de la Vierge, il ajoute, pour prévenir toute objection et empêcher qu’on ne dise : qu’est-ce qui prouve que la Vierge descendait de David : Vers le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée nommée Nazareth, d une vierge qu’avait épousée un homme nommé Joseph, de la maison de David. Ces mots de la maison de David (Luc 1, 26-27), doivent être pris comme ayant été dits de la Vierge, ce qui se voit ici d’une manière évidente. Voilà pourquoi fut publié l’édit qui les ramenait à Bethléem. Dès qu’ils sont entrés dans la ville, Jésus vient au monde, est couché dans une crèche, parce qu’il y avait un grand concours de peuple, et qu’il était difficile de trouver un logement. C’est dans cette crèche que les mages l’adorèrent. Mais, afin de vous fournir des preuves plus claires encore et plus évidentes, élevez-vous avec moi, je vous prie ; je vais parcourir d’anciennes annales et rappeler des usages antiques, afin d’établir de toute part ce que j’ai avancé. Il était une loi ancienne chez les Juifs… Mais il faut remonter encore plus haut. Lorsque le Seigneur eut délivré les Hébreux de la tyrannie d’un prince barbare et de tous les maux qu’ils soutiraient en Égypte, voyant qu’ils avaient conservé les restes d’un culte impie, qu’ils étaient follement attachés aux objets visibles, frappés de la grandeur et de la beauté des temples, il leur en fit construire un qui effaçait tous les temples du monde, non seulement parla richesse de la matière et par le travail de l’art, mais encore par la beauté de son architecture. Et comme un père tendre qui, après avoir été longtemps séparé de son fils, le retrouve accoutumé à jouir de toutes les délices dans la société corrompue d’hommes dissolus, libertins et prodigues, se fait un devoir de l’entourer de tout ce qui peut embellir l’existence, dans la crainte qu’en le resserrant dans les limites étroites de la vie commune il n’allume en son cœur, avec le souvenir du passé, le feu de ses premières passions ; ainsi Dieu, voyant que les Juifs étaient passionnés pour les objets sensibles ; et voulant en cela même satisfaire magnifiquement leur goût, et leur faire oublier tout ce qu’ils avaient vu en Égypte, leur fit construire un temple sur le modèle du monde entier visible et intelligible. En effet, comme la terre et le ciel sont séparés par le firmament que nos yeux aperçoivent, il voulut de même qu’un voile divisât son temple en deux parties, de sorte que tout ce qui était en deçà du voile fût accessible à tout le peuple, et que ce qui était au-delà ne pût être ni approché ni regardé que par le souverain pontife. Et pour preuve que ce n’est point là une simple conjecture de notre part, mais que le temple avait été vraiment construit sur le modèle du monde entier, écoutons ce que dit saint Paul lorsqu’il parle de Jésus-Christ qui est monté au ciel : Jésus-Christ, dit-il, n’est pas entré dans un sanctuaire fait de la main des hommes, figure du véritable (Heb 9,24), le sanctuaire matériel était donc la figure du véritable. Mais écoutez comment il fait entendre que le voile séparait le Saint des saints des autres objets du temple, comme le ciel que nous voyons sépare le ciel supérieur de tous les objets terrestres ; écoutez, dis-je, comment il le fait entendre en donnant au ciel visible le nom de voile. Après avoir dit de l’espérance qu’elle est pour notre âme une ancre ferme et assurée, il ajoute qu’elle pénètre jusqu’au sanctuaire qui est au-delà du voile où Jésus, comme précurseur, est entré pour nous, c’est-à-dire jusqu’au ciel le plus élevé. (Id 6,19, 20) Vous voyez comme il donne le nom de voile au ciel visible. En deçà du voile étaient le chandelier, la table, l’autel d’airain pour les sacrifices et les holocaustes ; au-delà du voile était l’arche toute couverte d’or, laquelle renfermait les tables d’alliance, une urne d’or, la verge d’Aaron aux verts rameaux, et l’autel d’or, non des sacrifices et des holocaustes, mais des parfums seulement. Tout le monde pouvait entrer dans la partie qui était en deçà du voile, celle qui était au-delà n’était accessible qu’au souverain pontife. J’invoquerai encore ici le témoignage de saint Paul : Là première tente, dit-il, renfermait les règlements du culte divin et le sanctuaire commun. (Id 9,1) Il appelle « sanctuaire commun » la tente extérieure, parce que tout le monde pouvait y entrer. Il y avait dans ce sanctuaire le chandelier, la table, les pains de proposition. Après le second voile, était le tabernacle appelé le Saint des saints, où il y avait un encensoir d’or, l’arche d’alliance toute couverte d’or, laquelle renfermait une urne d’or pleine de manne, la verge d’Aaron qui avait fleuri, et les tables d’alliance. Au-dessus de l’arche étaient des chérubins de gloire, qui couvraient le propitiatoire de leurs ailes. Les choses étant ainsi disposées, les prêtres qui exerçaient le saint ministère entraient en tout temps dans le premier tabernacle ; mais il n’y avait que le souverain pontife qui entrât dans le second, seulement une fois l’année, et non sans y porter du sang qu’il offrait pour lui-même et pour les péchés du peuple. (Id 11, 7) Vous voyez que le grand prêtre seul entrait dans le second sanctuaire, et seulement une fois l’année.

4. Et qu’est-ce que cela, direz-vous, a de commun avec la fête présente ? Attendez un peu ; calmez votre impatience. Je reprends les choses dès leur origine, et je vais les amener jusqu’au moment de leur entier accomplissement, afin que la vérité vous soit bien connue. Pour ne pas cacher trop longtemps ma pensée sous le voile de l’expression, pour ne pas donner non plus trop de développements à mes idées, dans la crainte de fatiguer votre attention, vous allez voir enfin la raison pour laquelle je suis entré dans tous ces détails. Il y avait six mois qu’Élisabeth était enceinte de Jean, lorsque Marie conçut le Sauveur du monde ; si donc nous pouvons savoir quel était ce sixième mois, nous saurons dès lors le temps de la conception de Marie. Le temps de la conception nous étant connu, nous saurons quel a été celui de l’accouchement, en comptant neuf mois depuis la conception. Or, comment saurons-nous quel était le sixième mois de la grossesse d’Élisabeth ? nous le saurons si nous pouvons découvrir dans quel mois elle conçut le fils dont elle était enceinte. Et comment connaîtrons-nous ce mois ? si nous savons dans quel temps Zacharie, dont Élisabeth était l’épouse, reçut cette heureuse nouvelle. Et par où serons-nous assurés de cette époque ? par les divines Écritures, en consultant le saint Évangile qui dit que Zacharie était dans le Saint des saints, lorsque l’ange lui annonça l’heureuse nouvelle, et lui prédit la naissance de Jean. Si donc il est montré clairement par les Écritures, que le grand prêtre seul n’entrait qu’une fois dans le Saint des saints, dans quel temps il y entrait cette seule fois, et dans quel mois de, l’année, le temps où l’heureuse nouvelle fut annoncée à Zacharie sera dès lors constaté ; et ce temps constaté, celui de la conception sera parfaitement connu. Or, que le souverain pontife n’entrât qu’une fois dans le Saint des saints, saint Paul l’a déclaré dans ses épîtres, aussi bien que Moïse, qui, dans le Lévitique, s’exprime en ces termes : Le Seigneur parla à Moïse, et lui dit ceci : Dites à Aaron, votre frère, qu’il n’entre pas en tout temps dans le sanctuaire, qui est au-delà du voile devant le propitiatoire, qui couvre l’arche du témoignage, de crainte qu’il ne meure. (Lev 16,2) Et ensuite : Que nul homme ne se trouve dans le tabernacle du témoignage, quand le pontife entrera dans le Saint des saints, afin de prier pour lui-même, pour sa maison, et pour toute l’assemblée d’Israël, jusqu’à ce qu’il en soit sorti. Il priera au pied de l’autel qui est devant le Seigneur. (Id 17,18) Il est clair par là que le pontife n’entrait pas en tout temps dans le Saint des saints ; que personne, lorsqu’il y était, ne pouvait en approcher, que tout le monde devait se tenir en deçà du voile.

Mais écoutez ce qui suit, avec la plus grande attention ; car il me reste à vous montrer en quel temps il entrait dans le Saint des saints, et qu’il y entrait seul une fois l’année. Qu’est-ce qui le prouve ? le même livre : Au dixième jour du septième mois, y est-il dit, vous humilierez vos âmes, vous ne ferez aucune couvre de vos mains, soit ceux qui sont nés dans votre pays, soit les étrangers qui sont parmi vous. C’est en ce jour que se fera votre expiation et la purification de tous vos péchés ; vous serez purifiés devant le Seigneur. C’est le sabbat des sabbats ; vous jouirez alors d’un parfait repos, vous humilierez vos âmes : cet usage sera pour vous perpétuel. Cette expiation se fera par le pontife qui aura reçu l’onction sainte, et dont les mains auront été consacrées pour faire les fonctions du sacerdoce à la place de son père. Après qu’il se sera revêtu des vêtements saints, il expiera le sanctuaire, le tabernacle du témoignage, l’autel, les prêtres et tout le peuple. Cette ordonnance sera donc gardée éternellement parmi vous ; vous prierez pour les enfants d’Israël et pour tous leurs péchés ; la cérémonie aura lieu une fois l’année, selon que le Seigneur l’a ordonné à Moïse. (Lev 16,29-34) L’Écriture parle ici de la fête des Tabernacles ; car c’était le seul jour de l’année où le souverain pontife entrait dans le Saint des saints, ce qu’elle annonce clairement par ces mots : La cérémonie aura lieu une fois l’année.

5. Si donc le souverain pontife entre seul dans le Saint des saints le jour de la fête des Tabernacles, montrons maintenant que l’ange apparut à Zacharie lorsqu’il était dans le Saint des saints. Il lui apparut à lui seul lorsqu’il offrait les parfums ; or, c’est l’unique circonstance où le grand prêtre entrait seul dans le sanctuaire. Mais rien n’empêche que je ne vous cite les propres paroles de l’Évangéliste : Il y avait, dit-il, sous le règne d’Hérode, roi de Judée, un prêtre nommé Zacharie, et sa femme, d’entre les filles d’Aaron, s’appelait Élisabeth. Lorsque Zacharie faisait sa fonction de prêtre devant Dieu dans le rang de sa famille, le sort décida, selon les règlements du sacerdoce, qu’il entrerait dans le temple du Seigneur pour y offrir les parfums. Toute la multitude du peuple était dehors, faisant sa prière à l’heure qu’on offrait les parfums. (Luc 1,5,10) Rappelez-vous, mes frères, le passage qui dit : Que nul homme ne se trouve dans le tabernacle du témoignage, quand le pontife entrera dans le Saint des saints afin de prier, jusqu’à ce qu’il en soit sorti. (Lev 1,17) Un ange du Seigneur lui apparut se tenant debout à la droite de l’autel des parfums. (Luc 1,11) On ne dit pas de l’autel des sacrifices ; mais de l’autel des parfums. L’autel qui était en deçà du voile était l’autel des sacrifices et des holocaustes ; celui qui était au-delà était l’autel des parfums. Ainsi, et par cette circonstance et parce que l’ange apparut à Zacharie seul, et parce qu’il est dit que le peuple l’attendait dehors, il est clair qu’il était entré dans le Saint des saints. Poursuivons : Zacharie se troubla en voyant l’ange, et la frayeur se saisit de son âme. Mais l’ange lui dit : Ne craignez point, Zacharie, parce que votre prière a été exaucée : Élisabeth votre femme vous enfantera un fils auquel vous donnerez le nom de Jean. (Id 12, 13) Cependant le peuple attendait Zacharie, et s’étonnait qu’il demeurât si longtemps dans le sanctuaire ; mais étant sorti et ne pouvant parler, il leur faisait des signes pour se faire entendre. (Id 21, 22) Vous voyez qu’il était au-delà du voile ; ce fut donc alors que l’heureuse nouvelle lui fut annoncée. Le temps où il l’a reçue était la fête des Tabernacles, jour de jeûne ; car c’est là ce que veulent dire ces paroles : Vous humilierez vos âmes. (Lev 16,29) Cette fête des Juifs se célèbre vers la fin de septembre, comme vous pouvez l’attester vous-même, puisque c’est alors que nous avons fait contre les Juifs ces longs discours où nous nous élevions contre leur jeûne déplacé. Ce fut donc alors qu’Élisabeth, femme de Zacharie, conçut, et elle se tint cachée durant cinq mois en disant : C’est la grâce que le Seigneur m’a faite dans les jours où il m’a regardée pour me tirer de l’opprobre où j’étais devant les hommes. (Luc 1,25)

Il est maintenant à propos de montrer qu’elle était dans le sixième mois de la grossesse de Jean, lorsque Marie reçut l’heureuse nouvelle de sa conception. Voici ma preuve. L’ange Gabriel étant venu la trouver, lui dit : Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Vous concevrez dans votre sein et vous enfanterez un fils auquel vous donnerez le nom de Jésus. (Id 30) Marie étant troublée et demandant comment cela se ferait, l’ange lui répondit : Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre c’est pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu. Sachez qu’Élisabeth, votre cousine, a conçu elle-même un fils dans sa vieillesse, et que c’est ici le sixième mois de la grossesse de celle qui est appelée stérile, parce qu’il n’y a rien d’impossible à Dieu. (Id 35, 37) Si donc Élisabeth a conçu après le mois de septembre, comme nous l’avons prouvé, depuis ce mois il faut en compter six, depuis octobre jusqu’à mars. C’est après ce sixième mois que nous avons l’époque de la conception de Marie. En comptant delà neuf mois, nous arriverons au mois présent. Le premier mois de la conception de Notre-Seigneur est donc avril ; après lequel viennent les huit autres mois, depuis mai jusqu’à décembre : Ce dernier mois est celui où nous sommes maintenant, et où nous célébrons la fête de la Nativité. Mais, afin de vous rendre la chose encore plus claire, je vais reprendre tout ce que je viens de dire, et vous en donner le résumé précis. Le grand prêtre seul entrait une fois l’année dans le Saint des saints. Et quand y entrait-il ? dans le mois de septembre. C’est donc alors que Zacharie est entré dans le Saint des saints, c’est alors qu’il a reçu l’heureuse nouvelle de la naissance de Jean. Zacharie est sorti du temple et Élisabeth a conçu après le mois de septembre. C’est après le mois de mars, le sixième de la grossesse d’Élisabeth, que Marie commença à concevoir. Or, en comptant neuf mois depuis avril, nous arriverons au mois présent dans lequel est né Jésus-Christ Notre-Seigneur.

6. Je vous ai donc prouvé tout ce qui regarde le temps de la fête ; il ne me reste plus qu’une réflexion à vous faire, après quoi je finis, et je laisse à dire à notre commun Maître ce qu’il a de plus important. Comme plus d’un infidèle apprenant de nous que Dieu est né selon la chair, insulte à notre croyance et parvient à inquiéter les personnes simples, il est nécessaire de confondre les uns et de rassurer les autres, afin que ceux-ci ne se laissent plus ébranler par les discours de gens insensés, et que de grossières railleries ne jettent plus le trouble dans leur âme. Il arrive souvent que de petits enfants rient lorsque nous agitons les affaires les plus sérieuses, ce qui est une preuve non de la bassesse des objets que l’on traite, mais de la folie de ceux qui rient. On peut dire des infidèles qu’ils sont plus insensés que des enfants, parce qu’ils décrient et qu’ils rabaissent des objets dignes de notre admiration et propres à nous inspirer une vénération religieuse, tandis ;: qu’ils en relèvent et en célèbrent d’autres qui ne méritent que des mépris. Cependant nos mystères, dont ils font le sujet de leurs sarcasmes amers, conservent toute leur majesté et toute leur dignité, malgré les plaisanteries par lesquelles ils les attaquent, au lieu que les objets de leur culte, quoi qu’ils fassent pour les embellir, se montrent toujours sous les traits d’infamie qui leur sont propres. Quel excès d’égarement ! des hommes qui ne croient rien faire, ni rien dire qui choque la bienséance, lorsqu’ils introduisent leurs dieux dans des pierres et dans des bois fragiles, dans de viles statues, où ils les renferment comme dans une prison ; ces hommes nous reprochent d’avancer que Dieu, pour l’avantage de la terre, s’est construit un temple vivant par l’opération de l’Esprit-Saint ! Et de quel front nous font-ils des reproches ? s’il est peu décent que Dieu habite dans un corps humain, sans doute il l’est beaucoup moins encore qu’il habite dans la pierre et dans le bois ; dans la pierre, dis-je, et dans le bois qui sont bien inférieurs à l’homme ; à moins qu’ils ne pensent que notre nature est au-dessous de ces êtres morts et insensibles. Ils ne craignent pas, eux et plusieurs hérétiques, de renfermer la divine essence dans les animaux les plus vils, dans les chiens, dans les chats, ainsi que dans les matières les plus ignobles ; pour nous, incapables de rien soutenir, de rien admettre de pareil, nous disons seulement que Jésus-Christ a pris dans le sein d’une vierge, une chair pure, sainte, irrépréhensible, inaccessible à tout péché, et qu’il l’a prise, cette chair, pour réparer l’homme qu’il a formé de ses mains. Eux et les manichéens, qui ne leur cèdent pas en impiété, ils n’ont pas de honte de renfermer l’essence divine dans des chiens, dans des singes, dans des animaux de toute espèce, puisqu’ils disent que, l’âme de ces animaux est formée de cette essence ; ils n’ont pas horreur d’une pareille opinion, et ils nous accusent d’avoir des idées indignes de Dieu, parce que, sans nous permettre de rien imaginer de semblable, sans rien dire qui ne convienne à sa divinité, nous prétendons que, par une naissance surnaturelle, il est venu dans le monde pour réparer son propre ouvrage ! Eh quoi ! vous dites que l’âme d’un tourbe, d’un assassin, est une partie de l’essence divine, et vous osez nous accuser, nous qui ne pouvons souffrir une opinion aussi absurde et qui jugeons coupables d’impiété ceux qui la soutiennent, vous nous reprochez de dire que Dieu s’est construit un temple saint, par le moyen duquel il a introduit parmi les hommes une vie toute céleste ! ne mériteriez-vous pas mille morts, et pour les reproches que vous nous faites, et pour les outrages que vous ne cessez de commettre envers la Divinité ? S’il est indigne de Dieu d’habiter un corps pur et irrépréhensible, combien n’est-il pas plus indigne de lui d’habiter le corps d’un imposteur, d’un violateur de tombeaux, d’un brigand, d’un chien, d’un singe, et non ce corps saint et glorieux, qui est maintenant assis à la droite du Père ! Quel tort, je vous prie, quelle tache pourrait faire à la splendeur de Dieu notre chair dont il s’est revêtu ? Ne voyez-vous pas que le soleil, dont l’éclat frappe nos yeux, est corruptible de sa nature, dût toute la secte de Manès se récrier d’indignation avec les Grecs ? Que dis-je, le soleil ! la terre, la mer, et toutes les choses perceptibles à nos sens n’ont rien de solide ni de permanent. C’est ce que nous apprend saint Paul : Les créatures sont assujetties à la vanité, et elles ne le sont pas volontairement, mais à cause de Celui qui les y a assujetties. (Rom 8,20) Et il exprime ce qu’il entend par le mot vanité : La créature sera délivrée de cet asservissement à la corruption pour participer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. (Id 21) La créature est donc corruptible, puisque la corruption est une des conditions de sa nature. Que si le soleil, quoique corruptible par sa nature, lance de tous côtés ses rayons, communique avec la boue et la fange, sans que cette communication nuise en rien à sa pureté ; si, retirant ses rayons aussi purs qu’ils l’étaient auparavant, il anime de la vertu qui lui est propre les corps qui les reçoivent sans participer lui-même en aucune manière à l’impureté des plus sales et des plus infects ; à plus forte raison le Soleil de justice, le souverain Maître des puissances incorporelles, en se revêtant de notre chair, loin d’en être souillé, l’a rendue plus pure et plus sainte. Pénétrés de ces idées, et nous rappelant ces paroles de la divine Écriture : J’habiterai et je marcherai parmi eux (Lev 26,12), et ces autres : Vous êtes le temple de Dieu (2Co 6,16), et l’Esprit de Dieu habite parmi vous (1Co 3,16), opposons-les aux objections des impies, et fermons la bouche à ces hommes impudents. Réjouissons-nous de notre bonheur, glorifions Dieu qui s’est revêtu de notre chair, rendons-lui grâces de cette condescendance infinie, et témoignons-lui toute la reconnaissance que ses bienfaits nous inspirent. Or, quelle plus digne reconnaissance que le soin du salut de nos âmes et de notre ardeur pour la vertu ?

7. Ne soyons donc point ingrats envers notre bienfaiteur, mais offrons-lui tous, autant qu’il est en notre pouvoir, les dons spirituels, la foi, l’espérance, la charité, la tempérance, l’amour des pauvres, le zèle à exercer l’hospitalité. Il est un objet important dont je vous ai parlé il y a quelques jours, dont je vous parlerai encore aujourd’hui, et que je ne cesserai point de vous rappeler. Quel est-il donc ? lorsque vous devez approcher des sacrés mystères de la table sainte et redoutable, ne le faites qu’avec un pieux effroi, avec une conscience pure, avec le jeûne et la prière, sans bruit et sans tumulte, sans frapper des pieds, sans vous pousser les uns les autres, car c’est la marque d’un dédain superbe et d’un mépris extrême. Une pareille conduite attire les plus grandes punitions sur ceux qui se la permettent. Pensez, ô mon frère ! pensez à la victime que vous allez toucher, pensez à la table dont vous approchez ! Songez que vous qui êtes cendre et poussière, vous participez au corps et au sang de Jésus-Christ ! Si le prince vous invitait à un repas, vous ne vous présenteriez qu’avec crainte, vous ne toucheriez aux mets qui vous seraient servis qu’avec respect et circonspection ; et lorsque Dieu lui-même vous invite à sa table, une table où il vous sert son propre Fils, lorsque les puissances angéliques ne se tiennent en sa présence qu’avec une frayeur respectueuse, lorsque les chérubins se voilent la face, et que les séraphins s’écrient avec tremblement : Saint, Saint, Saint, le Seigneur (Apo 4,8), vous, qui le croirait ? vous approchez du banquet spirituel avec tumulte et en poussant des clameurs ! Ne savez-vous donc pas que votre âme, dans cette circonstance, doit être calme et paisible ! qu’il faut alors une paix profonde, une tranquillité parfaite, et non ce mouvement et ce tumulte qui rendent impure l’âme de celui qui approche de la table sainte. Quelle excuse nous resterait-il, si nous ne pouvions au moins purifier des passions qui nous souillent le moment où nous en approchons ? Qu’y a-t-il pour nous de plus essentiel que les mets qu’on nous y sert ? qu’est-ce qui nous trouble et nous inquiète ? qu’est-ce qui nous presse d’abandonner l’Église pour retourner dans le monde ? N’excitez pas, je vous supplie, n’excitez pas contre vous-mêmes la colère divine. Le mets qu’on vous sert est le remède efficace de vos blessures, une source inépuisable de richesses, la clef spirituelle qui vous ouvre le royaume des cieux. Ne le prenons donc, ce mets, qu’avec crainte et avec actions de grâces ; jetons-nous aux pieds de Dieu en confessant nos fautes, pleurons sur nos péchés, adressons-lui de ferventes prières ; et, après avoir purifié nos consciences, approchons-nous tranquillement et avec la modestie convenable, comme devant nous présenter au souverain Roi du ciel. Baisons respectueusement l’hostie sainte et pure que nous recevrons ; embrassons-la des yeux, enflammons notre cœur, afin de venir à la table sacrée, non pour y prendre notre jugement et notre condamnation, mais pour y trouver la tempérance de l’âme, la charité, la vertu, la réconciliation avec Dieu, une paix ferme et solide, un moyen de nous sanctifier nous-mêmes et d’édifier nos frères.

Voilà ce que je vous dis continuellement, et ce que je ne cesserai pas de vous dire, car pourquoi accourir ici sans but et sans dessein, sans y apprendre rien d’utile ? quel avantage retireriez-vous de discours uniquement faits pour vous plaire ? Le temps de la vie présente est court ; soyons attentifs et vigilants, réglons notre conduite, témoignons un amour sincère à tous les hommes, soyons circonspects en tout. Soit qu’il nous faille écouter la parole sainte, prier le Seigneur, approcher de la table sacrée, ou faire quelque autre action, faisons-la avec crainte et tremblement, afin de ne pas attirer sur nous la malédiction par notre négligence Maudit soit, dit l’Écriture, celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment. (Jer 48,10) Le tumulte et les clameurs sont un outrage fait à cette victime immolée pour nous, qu’on nous offre comme l’aliment de nos âmes. C’est la marque d’un mépris extrême de se présenter à Dieu rempli de souillures. Écoutez ce que l’Apôtre dit de pareils hommes:Celui qui profane le temple de Dieu, Dieu le perdra. (1Co 3,17) N’irritons donc pas le Seigneur, avec lequel nous voulons nous réconcilier ; approchons du sacré banquet avec toute l’attention qui convient, avec une âme tranquille et recueillie, la prière à la bouche et la contrition dans le cœur, afin qu’après nous être rendu propice le Fils de Dieu, nous puissions obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté du même Fils de Dieu, avec qui soient au Père et à l’Esprit-Saint, la gloire, la puissance et l’empire, maintenant et toujours dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

NATIVITÉ

HOMÉLIE POUR LA NATIVITÉ DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST.

Tome VI, p. 579-585

AVERTISSEMENT.

L’homélie sur la fête de Noël est citée par saint Cyrille d’Alexandrie sous le nom de saint Chrysostome et une partie de ce que ce Père en a cité se trouve dans les actes du concile d’Éphèse. Malgré un témoignage si positif ; on a cependant émis des doutes sur l’authenticité de cette homélie telle que nous l’avons. Ces doutes se fondent sur ce que saint Cyrille, dans sa citation, rapporte à la sainte Vierge les paroles suivantes : Elle embrasse le Soleil de justice qui ne peut être circonscrit, tandis que dans notre homélie, elles sont dites de Bethléem. C’est sur ce fondement que Tillemont ne veut voir dans le morceau suivant qu’un centon formé de passages empruntés tantôt à saint Chrysostome, tantôt à saint Athanase : quoi qu’il en soit, homélie ou centon, la pièce est fort belle et ne manque ni de suite dans les idées, ni d’unité dans le style.

Je vois un mystère nouveau et admirable ; la voix des pasteurs retentir à mes oreilles, non semblable aux accords agrestes du chalumeau, mais au chant des hymnes célestes. Les anges chantent, les archanges font entendre leurs accords et les chérubins leurs cantiques, les séraphins rendent gloire, tous célèbrent cette fête dans laquelle ils contemplent un Dieu sur la terre et l’homme dans les cieux, Celui qui était élevé abaissé par son incarnation et celui qui était abaissé élevé par la miséricorde. Aujourd’hui, Bethléem imite le ciel : les astres de son firmament sont les anges qui chantent leurs cantiques ; son soleil est le Soleil de justice qui ne peut être circonscrit. Et ne cherchez pas comment cela a pu être accompli, car lorsque Dieu veut, l’ordre de la nature doit céder. Il a voulu, il a eu la puissance, il est descendu, il nous a sauvés : la volonté de Dieu s’accomplit en toutes choses.

Aujourd’hui, Celui qui est prend naissance, Celui qui est devient ce qu’il n’était pas. Étant Dieu, il devient homme et n’abandonne pas sa divinité. Car, ce n’est point par la perte de sa divinité qu’il devient homme, ni par addition de qualité que d’homme il devient Dieu ; mais il est le Verbe, et, sa nature demeurant la même à cause de son immutabilité, il s’est fait chair. Mais lorsqu’il vint à naître, les Juifs refusaient de croire à cet enfantement merveilleux, les pharisiens interprétaient à contre-sens les livres sacrés, les scribes enseignaient le contraire de la loi, enfin Hérode cherchait Celui qui venait de naître non pour l’honorer, mais pour le faire périr.

Dans ce jour, tout ce qu’ils voyaient était contradiction. « Car », ainsi que le dit le Psalmiste, « ces choses n’ont point été cachées à leurs fils dans la génération suivante. » (Psa 78,4) Des rois arrivèrent, et c’était pour vénérer le roi céleste qui venait sur la terre, non pas accompagne des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des puissances, des vertus ; mais parcourant un chemin nouveau, une route non frayée, et sortant d’un sein immaculé. Cependant, il n’abandonnait pas le gouvernement des légions célestes, ni ne se dépouillait de sa divinité lorsqu’il se faisait homme : les rois vinrent l’adorer comme le céleste Roi de gloire ; les soldats le reconnurent comme le Seigneur des armées ; les femmes le vénérèrent comme né de la femme et changeant les douleurs de la femme en joie et en allégresse ; les vierges le proclamèrent comme fils d’une vierge admirant que Celui qui a fait le lait et les mamelles et qui a donné au sein de la femme d’être une source intarissable reçoive d’une mère vierge la nourriture des petits enfants ; les enfants l’ont vu devenir petit enfant afin que de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle sortît fa louange parfaite ; les enfants ont vu en lui l’enfant qui s’est servi de la fureur d’Hérode pour donner à leur âge la gloire du martyre ; les hommes faits ont reconnu Celui qui s’est fait homme pour apporter remède aux maux de ceux qui vivaient sous le joug ; pour les pasteurs, il est le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis ; pour les prêtres, il est le souverain Pontife selon l’ordre de Melchisédech (Heb 7,17 ; Psa 110,4) ; pour les esclaves, il est Celui qui a pris la forme (le l’esclave afin (le nous racheter de la servitude (Phi 2,7) ; pour les pécheurs, il est Celui qui a tiré de leurs filets ceux qui ont été envoyés pour ramener les hommes ; pour les publicains, Celui qui a choisi un publicain afin d’en faire un évangéliste ; pour les femmes de mauvaise vie, Celui dont les pieds furent arrosés (les larmes d’une courtisane ; et, pour tout dire en un mot, les pécheurs ont pu voir en lui l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde ; les mages lui ont fourni sa garde royale, les pasteurs l’ont environné de leurs bénédictions, les publicains ont annoncé son Évangile, les courtisanes l’ont embaumé avec la myrrhe, la Samaritaine a eu soif de la source de vie qu’il fait connaître, et la Chananéenne a montré envers lui sa foi inébranlable.

Puisque tous se réjouissent ainsi, je veux aussi me réjouir, je veux former des chœurs, je veux célébrer une fête, mais je formerai des chœurs non en pinçant la cithare, non en agitant le thyrse, non en m’accompagnant de la flûte, noir en portant (les torches allumées, je veux, ni lieu d’instruments de musique, porter les langes du Christ. Ces langes sont mon espérance, ma vie, mon salut ; ils me tiennent lieu de flûte et de cithare. C’est pourquoi je m’avance en les portant, afin que leur puissance soit toute la force de mon discours et que je puisse, dire avec fange : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! » avec les pasteurs « Et la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » (Luc 2,14)

Aujourd’hui, celui qui est né du Père d’une manière ineffable est né de la Vierge, pour l’amour de moi, (l’une manière inexplicable et merveilleuse. Il est né du Père, avant les siècles, conformément aux lois de sa nature et Celui qui fa engendré le sait ; aujourd’hui, il est né en dehors des lois de la nature et la grâce de l’Esprit-Saint en est témoin. Sa génération céleste est légitime et la génération terrestre ne l’est pas moins ; il est vraiment le Dieu engendré de Dieu, il est vraiment homme né d’une vierge. Dans le ciel, il est le seul Fils unique d’un seul ; sur la terre, il est le seul Fils unique d’une vierge seule. De même que dans sa génération céleste il serait impie de lui chercher une mère, de même dans sa génération terrestre ce serait un blasphème de lui chercher un père. Le Père a engendré sans écoulement de sa substance et la Vierge a enfanté sans connaître la corruption. Dieu n’a point souffert d’écoulement de sa substance, car il a engendré comme il convenait à un Dieu, et la Vierge n’a point connu la corruption lorsqu’elle enfantait, parce qu’elle a enfanté spirituellement
C’est-à-dire par l’opération du Saint-Esprit.
. D’où il suit que sa génération céleste ne peut être expliquée par des paroles humaines et que sa venue dans le temps ne peut être le sujet de nos investigations. Je sais qu’une vierge a enfanté aujourd’hui, et je crois qu’un Dieu a engendré en dehors du temps ; mais j’ai appris que le mode de cette génération doit être honoré par le silence et ne peut être l’objet d’une curiosité indiscrète. Car, lorsqu’il s’agit de Dieu, il ne faut pas nous arrêter à la nature des choses, mais croire à la puissance de Celui qui agit. C’est une loi de la nature qu’une femme mette au monde après qu’elle a contracté mariage ; mais si une vierge, sans connaître le mariage enfante et ensuite reste vierge, ceci est au-dessus de la nature. Que l’on scrute ce qui est conforme à la nature, j’y consens ; mais on doit honorer par le silence ce qui est au-dessus de la nature, non parce qu’if faut s’éloigner de tels sujets, mais parce qu’ils sont ineffables et dignes d’être célébrés autrement que par des paroles.

Mais accordez-moi, je vous prie, la permission de mettre fin à ce discours dès l’exorde. Car, je redoute de m’élever jusqu’à cette région des choses dont il n’est point permis de parler et je ne sais de quel côté ni comment diriger le gouvernail. Que dirai-je, ou comment pourrai-je parler ? Je vois une mère qui enfante, je contemple un fils mis au monde, mais j’ignore le mode de cette génération lorsque Dieu veut, la nature est vaincue, les limites de l’ordre établi dans la nature sont franchies. Rien n’arrive ici selon l’ordre de la nature, mais un miracle s’accomplit au-dessus des lois de la nature. La nature n’a point agi ; la volonté du Seigneur a opéré. O grâce qui surpasse tout langage ! Le Fils unique, qui est avant tous les siècles, que le sens du toucher ne peut atteindre, qui est simple, incorporel, a revêtu un corps mortel et visible comme le mien ! Et pour quelle cause, sinon pour que son aspect nous enseigne, et qu’ainsi enseignés il nous conduise par la main vers les choses invisibles ? Parce que les hommes ont plus de confiance dans ce que leurs yeux voient que dans ce que leurs oreilles entendent, et qu’ils hésitent lorsqu’ils n’ont point vu, il a voulu parler aux yeux par le moyen de son corps, de telle sorte que tout prétexte fût enlevé à l’incrédulité. Il naît d’une vierge qui ne connaît point ce qui a rapport à la génération, qui n’a point coopéré à ce qui s’accomplit, qui n’a eu rien contribué à ce qui est fait, ruais qui est un simple instrument de la puissance ineffable et qui sait seulement ce qu’elle a appris de Gabriel en l’interrogeant. « Comment cela se « peut-il faire puisque je ne connais point d’homme ? » (Luc 1, 34) Ce à quoi il répond : Voulez-vous le savoir ? « L’Esprit-Saint descendra en vous et la puissance du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » (Id 35) Or, comment le Seigneur était-il avec elle et, bientôt après, recevant d’elle la naissance ? De même que l’artisan qui trouve une matière très-belle et parfaitement disposée en fabrique un vase merveilleux, ainsi le Christ trouvant le corps saint et l’âme de la Vierge se construit un temple animé, il forme dans son sein l’homme tel qu’il l’a résolu, se revêt de cette nature humaine et se manifeste aujourd’hui, n’ayant point rougi de la difformité de notre nature. Ce n’a pas été pour lui un opprobre de se revêtir de son propre ouvrage, et c’était pour son œuvre une gloire éclatante que celle de devenir le vêtement de Celui qui l’avait faite. De même que dans la première formation il était impossible que l’homme existât avant que la terre dont il fut fait vînt entre les mains de son Créateur, ainsi il était impossible que le corps corruptible de l’homme reçût une nouvelle nature avant que Celui qui l’avait faite s’en fût revêtu.

Que dirai-je donc ou comment parlerai-je
Ce qui suit est cité par saint Cyrille dans son livre aux Reims.
 ? Ce mystère me frappe d’admiration. L’Ancien des jours devient enfant ; Celui qui est assis sur un trône élevé et inaccessible repose dans la crèche ; Celui que le sens du toucher ne peut connaître, qui est simple, sans composition de parties et qui n’a point de corps est touché par des mains humaines ; Celui qui brise les liens de l’iniquité est retenu dans les liens que forment ses langes, parce qu’il l’a ainsi voulu. Il a résolu de changer l’ignominie en honneur, l’infamie en un titre de gloire, l’outrage extrême en une preuve de vertu. C’est pourquoi il a pris mon corps, afin que je puisse porter en moi son Verbe ; et prenant ma chair, il m’a donné son Esprit, afin que donnant et recevant il puisse amasser pour moi un trésor de vie. Il a pris ma chair, afin de me sanctifier ; il m’a donné son Esprit afin de me sauver.

Mais, encore une fois, que dirai-je ou comment parlerai-je ? « Voici qu’une vierge concevra. » (Isa 7,14) Ce n’est plus désormais une chose à venir dont il est parlé ; c’est une chose accomplie qui est proposée à notre admiration. C’est parmi les Juifs que s’est accomplie cette parole prononce au milieu d’eux ; c’est parmi nous qu’elle est crue, parmi nous qui n’en avions pas même entendu le premier mot : « Voici que la vierge concevra. » (Isa. 7, I4) La synagogue gardait la promesse écrite ; l’Église possède l’objet de la promesse. L’une a possédé le livre et l’autre les trésors promis par ce livre ; l’une a su teindre la laine et l’autre a revêtu la robe de pourpre qui en a été tissue. La Judée l’a enfanté ; la terre entière l’a reçu. La synagogue l’a nourri et élevé ; l’Église le possède et recueille les fruits de sa présence. Celle-là eut le cep de la vigne et près de moi sont les fruits mûrs de la vérité. Celle-là a vendangé les raisins ; mais les nations boivent le breuvage mystique. Celle-là a semé le grain du froment dans la Judée ; mais les nations ont moissonné avec la faux la moisson de la foi. Les nations ont recueilli avec piété la rose, tandis que l’épine de l’incrédulité est demeurée parmi les Juifs. Le petit s’est envolé et les insensés restent assis auprès du nid demeuré vide. Les Juifs interprètent la lettre, qui est semblable à la feuille, et les nations recueillent le fruit de l’Esprit.

« La Vierge concevra. » Dis-moi clone le reste, ô juif ! dis-moi quel est Celui qu’elle a enfanté ? Aie en moi autant de confiance qu’en Hérode. Mais tu manques de confiance, et je sais pourquoi. Tu ne penses qu’à tendre des embûches. Tu l’as dit à Hérode afin qu’il le mît à mort ; tu ne me le dis pas, pour que je ne puisse l’adorer. Quel est donc Celui qu’elle a enfanté ? Quel est-il ? C’est le Maître de la nature. Lorsque tu gardes le silence, la nature crie. Elle a enfanté Celui qui a été mis au monde de la façon qu’il avait choisie pour naître. Ce n’est pas la nature qui avait réglé cet enfantement, mais c’est le Maître de la nature qui introduit ce mode inusité de naissance, afin de montrer, en se faisant homme, qu’il ne naît pas comme un homme, mais comme un Dieu.

Il naît aujourd’hui d’une vierge qui triomphe de la nature et qui remporte la victoire sur le mariage. Il convenait au Dispensateur de la sainteté qu’il naquît d’un enfantement pur et saint. Il est Celui qui forma autrefois Adam d’une terre vierge et ensuite lira la Lemme d’Adam sans le concours d’une mère. De même qu’Adam, sans mère, donna naissance à la femme, ainsi la Vierge enfante aujourd’hui un homme sans le concours de l’homme. Et parce que le sexe de la femme était redevable envers l’homme depuis qu’Adam avait donné naissance à la femme sans le secours d’une femme, aujourd’hui la Vierge paye à l’homme la dette contractée par Eve, puisqu’elle enfante sans le secours de l’homme. Afin qu’Adam ne puisse s’enorgueillir d’avoir produit la femme sans le secours d’une femme, la Vierge engendre un homme sans le secours de l’homme, de telle sorte que l’égalité résulte de la parité des merveilles opérées. Adam perdit une de ses côtes et n’en fut pas amoindri ; d’autre part, le Seigneur s’est formé dans le sein de la Vierge un temple animé et il n’a point détruit sa virginité. Adam demeura sain et sauf après l’enlèvement de sa côte ; la Vierge n’a point été flétrie après la naissance de son fils.

Le Seigneur n’a point voulu se construire un autre temple, ni se revêtir d’un corps formé d’une autre manière, pour faire connaître qu’il ne méprisait pas le limon d’Adam. Et, parce que l’homme trompé était devenu l’instrument de Satan, il a fallu qu’il prît comme un temple animé celui-là même qui avait été séduit, afin que par cette union avec son Créateur, il l’arrachât à l’union et au service de Satan. Et, toutefois, se faisant homme, le Christ n’est pas mis au monde comme un homme, mais comme un Dieu, parce que s’il était issu, comme l’un de nous, d’un mariage ordinaire, la foule n’eût pas voulu croire en lui. Mais il naît d’une vierge et, en naissant, il garde le sein de sa mère immaculé, et cette vierge elle-même sans souillure, afin que les circonstances inusitées d’un pareil enfantement nous inspirent une foi plus grande. Donc, si le Gentil m’interroge ou si le juif n’interroge pour savoir si le Christ, étant Dieu par nature, s’est fait homme en dehors des lois de la nature, je répondrai qu’il en est ainsi, et j’en donnerai pour preuves les marques d’une virginité qui n’a point été violée. Car il n’y à qu’un Dieu qui puisse vaincre l’ordre de la nature, il n’y a que Celui qui a fait le sein de la femme et lui a donné sa virginité qui ait pu préparer pour lui-même ce mode immaculé de sa naissance et se construire, selon son désir, un temple bâti d’une manière ineffable.

Dis-moi donc, ô juif, si la Vierge a enfanté ou non ? Si elle a enfanté, reconnais la merveille de cet enfantement. Mais si elle n’a point enfanté, pourquoi as-tu trompé Hérode ? C’est toi-même qui as répondu lorsqu’il demandait où devait naître le Christ : « À Bethléem, dans la terre de Juda. » (Mat 2,5) Est-ce que je connaissais cette bourgade ou ce lieu ? Est-ce que j’étais informé de la dignité de Celui qui venait de naître ? Est-ce que ce n’est pas Isaïe qui fait mention de lui comme d’un Dieu ? « Elle enfantera un fils », dit-il, « et on l’appellera Emmanuel. » (Isa 7,14) N’est-ce pas vous, adversaires sans bonne foi, qui nous avez appris la vérité ? N’est-ce pas vous, scribes et pharisiens, observateurs exacts de la loi, qui nous avez instruits de toute cette affaire ? (Mat 1,23) Est-ce que nous connaissions la langue hébraïque ? Est-ce que vous n’avez pas été vous-mêmes les interprètes des Écritures ? Après que la Vierge eut enfanté, avant qu’elle enfantât, n’est-ce pas vous qui, interrogés par Hérode, afin qu’il fût clair que ce passage n’est pas interprété avec partialité, avez apporté en témoignage le prophète Michée, à l’appui de votre discours ? « Et toi », dit-il, « Bethléem, maison de paix, tu n’es pas la dernière entre les principales villes de Juda ; car c’est de toi que sortira le chef qui gouvernera mon peuple d’Israël. » (Mic 5,2 ; Mat 2, 6) Le prophète a dit avec raison : « De toi », car c’est de vous qu’il est sorti pour être donné au monde. Celui qui est se manifeste, mais celui qui n’est pas est créé ou formé. Mais lui, il était ; il était auparavant ; il était toujours. Il était de toute éternité comme Dieu, gouvernant le inonde. Aujourd’hui, il se manifeste comme homme afin de gouverner son peuple, mais comme Dieu il sauve toute la terre. O ennemis utiles ! O accusateurs bienveillants ! Vous dont l’imprudence a révélé le Dieu né dans Bethléem, vous qui avez fait connaître le Seigneur caché dans la crèche, vous qui sans le vouloir avez montré la retraite dans laquelle il repose, vous qui devenus nos bienfaiteurs contre votre gré avez découvert ce que vous vouliez laisser dans l’ombre ! Voyez-vous ces maîtres inhabiles ? Ce qu’ils enseignent, ils l’ignorent : ils meurent de faim et ils nous nourrissent ; ils ont soif et ils nous désaltèrent ; ils sont dans l’indigence et ils nous enrichissent.

Venez donc et célébrons cette fête ; venez et que ce soit pour nous un jour de solennité. Que la manière de célébrer cette, fête soit extraordinaire, puisque le récit de cette naissance est extraordinaire. Aujourd’hui, le lien antique est brisé, le diable est couvert de confusion, les démons se sont enfuis, la mort est détruite, le paradis est ouvert, la malédiction est effacée, le péché a été banni, l’erreur a été vaincue, la vérité est revenue, et la parole dé la piété est répandue et propagée en tous lieux. La vie du ciel est implantée sur la terre, les anges communiquent avec les hommes, les hommes ne craignent point de s’entretenir avec les anges. Et pourquoi ? Parce qu’un Dieu est venu sur la terre et l’homme dans le ciel, et qu’ainsi tout a été uni et mêlé. Il est venu sur la terre, lui qui est tout entier dans le ciel, et, étant tout entier dans le ciel, il est tout entier sur la terre. Étant Dieu, il s’est fait homme, sans renoncer à sa divinité. Étant le Verbe, non sujet au changement, il s’est fait chair : il s’est fait chair afin d’habiter parmi nous. Il n’est point devenu Dieu, mais il était Dieu. Mais il s’est fait chair, afin qu’une crèche pût recevoir Celui que le ciel ne pouvait contenir. Il est donc posé dans la crèche, afin que Celui qui nourrit toute créature reçoive d’une vierge mère la nourriture qui convient à un petit enfant.

De la sorte, le Père des siècles à venir devient un enfant à la mamelle et repose sur les bras d’une vierge, afin d’offrir aux mages un accès plus facile. Car aujourd’hui les mages arrivent et donnent l’exemple de ne point obéir au tyran : le ciel se réjouit et indique le lieu où repose son Seigneur, et ce Seigneur porté sur le nuage léger du corps qu’il a choisi s’avance rapidement vers le pays d’Égypte. En apparence, il luit les embûches d’Hérode ; dans la réalité, il accomplit ce qui avait été dit par le prophète Isaïe : « En ce jour-là », dit-il, « Israël sera le troisième, après l’Assyrien ; parmi les Égyptiens sera mon peuple béni sur la terre que bénit le Seigneur Dieu des armées en disant : Béni sera mon peuple en Égypte, en Assyrie, et en Israël ! » (Isa 19,24)

Que diras-tu, ô juif, toi, le premier, qui deviens le troisième ? Les Égyptiens et les Assyriens sont mis avant toi, et Israël, le premier-né, est compté ensuite. Il en est ainsi à bon droit. Les Assyriens viendront d’abord, puisque les premiers, ils ont adoré en la personne des mages. Les Égyptiens après les Assyriens, parce qu’ils l’ont reçu fuyant les embûches d’Hérode. Israël sera compté le dernier parce qu’après la sortie du Jourdain il l’a reconnu par la personne des apôtres. Il est entré en Égypte renversant les idoles de l’Égypte faites de la main de l’homme, après avoir fait mourir les premiers-nés des Égyptiens. (Isa 19,1) C’est pourquoi aujourd’hui il se présente en qualité de premier-né, afin de faire disparaître un deuil ancien. Qu’il soit appelé premier-né, c’est ce qu’atteste Luc l’évangéliste, en disant : « Et elle mit au monde son premier-né, et elle l’enveloppa de langes, et elle le plaça dans la crèche parce qu’il n’y avait point de place pour eux dans l’hôtellerie. » (Luc 2,7) Il entre en Égypte pour mettre fin au deuil antique, apportant la joie et non des plaies nouvelles, et au lieu de la nuit et des ténèbres la lumière du salut. Jadis, l’eau du fleuve avait été souillée par la mort des enfants enlevés avant l’âge. Maintenant, celui-là même entre en Égypte qui, autrefois, avait rougi ces ondes ; il donne à l’eau du fleuve la vertu d’engendrer le salut, purifiant par la puissance de l’Esprit tout ce qu’il y avait en elle d’impur et de souillé. Les Égyptiens, frappés de diverses plaies et se laissant aller à leur fureur, avaient méconnu Dieu. Il entre en Égypte et remplit de la connaissance de Dieu les âmes religieuses qui sont dans cette contrée, en sorte que la terre arrosée par le Nil aurait bientôt plus de martyrs que d’épis.

A cause de la brièveté du temps, je terminerai ici mon discours. Je terminerai lorsque j’aurai dit comment le Verbe, qui est immuable, est devenu chair, sans changement de sa nature. Mais que dirai-je ou comment parlerai-je ? Je vois un artisan, une crèche, un enfant, des langes, (enfant né de la Vierge privé des choses nécessaires, de toutes parts la pauvreté, de toutes parts l’indigence. Avez-vous vu le riche dans une pauvreté profonde ? Comment étant riche est-il devenu pauvre à cause de nous ? Comment n’a-t-il point un lit, point de molle toison, mais la crèche toute nue sur laquelle il est jeté ? O pauvreté, source de richesses ! 0 richesses sans mesure, qui n’avez que l’apparence de la pauvreté ! Il repose dans la crèche et il ébranle le mande entier. Il est enveloppé dans les liens de ses langes et il brise les liens du péché. Il n’a pas encore fait entendre sa voix et il a instruit les mages et il les a disposés à la conversion.

Que dirai-je donc ou comment parlerai-je ? Voici l’enfant enveloppé de ses langes et couché dans la crèche ; Marie, vierge et mère est près de lui ; près de lui est Joseph, regardé comme son père. Celui-ci est appelé le mari, celle-là est saluée du nom de femme ; mais ces noms légitimes sont dépouilles de toute leur signification habituelle, ils doivent être compris comme une simple appellation, mais une appellation qui ne va point jusqu’à la nature des choses. Joseph est l’époux de Marie, mais l’Esprit-Saint l’a couverte de son ombre. Et c’est pour cela que Joseph hésite et ne sait quel nom donner à l’enfant. Il n’osait pas dire qu’il fût le fruit de l’adultère et ne pouvait proférer ce blasphème contre la Vierge, mais il ne pouvait pas dire qu’il fût son propre fils, car il savait qu’il ignorait comment et d’où l’enfant tirait son origine. C’est pour cela que, tandis qu’il doute, un oracle du ciel lui est apporté par la voix de l’ange : « Ne crains pas Joseph, car ce qui est né d’elle est de l’Esprit-Saint. » (Mat 1,20)

L’Esprit-Saint a couvert la Vierge de son ombre. Pourquoi donc est-il né de la Vierge, en conservant sa virginité immaculée ? Afin que, si jadis Satan trompa Eve encore vierge, Gabriel, à son tour, vint apporter un heureux message à Marie, elle-même vierge. Mais Eve trompée enfanta une parole qui introduisit la mort dans le monde, tandis que Marie, recevant un heureux message, enfanta dans la chair le Verbe qui nous donne la vie éternelle. La parole d’Eve indiqua le bois par lequel Adam fut chassé du paradis ; le Verbe sorti de la Vierge montre la croix par laquelle il introduit le larron à la place d’Adam dans le paradis. Car comme les gentils, les juifs et les hérétiques ne voulaient pas croire que Dieu engendre sans écoulement de sa substance, en demeurant immuable, c’est pourquoi aujourd’hui, sorti d’un corps sujet au changement, il a conservé, dans son intégrité, ce corps sujet au changement, pour nous faire comprendre que, de même qu’il est né d’une vierge sans briser sa virginité, ainsi Dieu, sans changement ni écoulement de sa substance sainte, comme Dieu, a engendré un Dieu, ainsi qu’il convenait à un Dieu.

Et, parce que les hommes, ayant abandonné Dieu, se sont fait des statues de forme humaine auxquelles ils portaient leur culte, au mépris du Créateur ; à cause de cela, aujourd’hui, le Verbe de Dieu, étant Dieu, apparaît sous la forme de l’homme, afin de détruire le mensonge et de transporter vers lui-même tout culte. A lui donc qui rétablit de la sorte toutes choses dans une voie meilleure, à Celui qui est le Christ Notre-Seigneur, gloire et honneur, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

Traduit par M. HORIOT.

FIN DU SIXIÈME VOLUME. 

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