Matthew 10
HOMÉLIE XXXII
« COMME JÉSUS SORTAIT DE CE LIEU, DEUX AVEUGLES LE SUIVIRENT, CRIANT APRÈS LUI ET DISANT : FILS DE DAVID, AYEZ PITIÉ DE NOUS. » (CHAP. 9,27. JUSQU’AU VERSET 16 DU CHAP. X)
ANALYSE.
- 1. Qu’il faut fuir l’ostentation.
- 2. Il faut répondre aux calomnies, non par des calomnies, mais par des bienfaits.
- 3. Liste des noms des apôtres.
- 4. Les miracles, sans les bonnes œuvres, ne servent de rien.
- 5. Les apôtres ont été plus remarquables par leurs vertus morales que par leur puissance de faire des miracles.
- 6. De la paix qui se donnait dans l’église pendant l’office divin. Malades guéris par l’onction faite avec l’huile de la lampe des églises.
- 7 et 8. De la sainteté de l’église et de la parole de Dieu. Avec quel respect on doit entendre les prédicateurs. Charité de saint Chrysostome pour son peuple. Qu’on ne doit pas désirer maintenant des miracles que de bien régler sa vie.
1. Pourquoi. Jésus-Christ tire-t-il ces aveugles du milieu du peuple d’où ils criaient, sinon pour nous apprendre encore avec quel soin nous devons fuir la gloire des hommes ? Comme la maison était proche, il les y conduit pour les guérir plus en secret. Et ce désir d’être caché dans cette action paraît en ce qu’il défend à ces aveugles de ne parler de ce miracle à personne. Mais certes ces deux aveugles sont le sujet d’un grand reproche aux Juifs. Le seul bruit des miracles de Jésus-Christ les fait croire en Celui qu’ils ne pouvaient voir ; et les Juifs, qui voyaient tous les jours de leurs propres yeux tant de miracles de Jésus-Christ, font le contraire de ces aveugles. Jugez de l’ardeur de leur foi, et par les cris qu’ils poussent, et par la demande qu’ils font. Car ils ne s’approchèrent pas froidement de Jésus-Christ, mais en criant beaucoup, et demandant seulement miséricorde : « ayez pitié de nous. » Ils l’appelèrent « Fils de David », parce que ce nom paraissait alors glorieux : et lorsque les prophètes mêmes voulaient parler d’un roi avec honneur, ils l’appelaient fils de David. « Et lorsqu’il fut entré dans la maison ces aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit : Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? Ils lui répondirent : « Oui, Seigneur (28). » Ainsi lorsque les aveugles venus avec lui sont arrivés dans la maison, Jésus-Christ leur fait encore une seconde demande : « Croyez-vous », leur dit-il, « que je puisse faire ce que vous me demandez ? » Il s’étudiait partout à ne guérir que ceux qui l’en priaient, de peur qu’on ne crût qu’il cherchât sa gloire dans ces miracles, et qu’il les lit par vanité ; outre qu’il voulait montrer encore que ces hommes étaient dignes de cette grâce, pour prévenir l’accusation de quelques impies qui eussent pu dire : s’il ne sauve et guérit les hommes que par miséricorde, pourquoi ne les sauve-t-il pas tous ? Car la miséricorde que Dieu témoigne pour les hommes, a sans doute quelque rapport à la foi de ceux qu’il sauve. Il avait encore une raison particulière pour exiger la foi de ces aveugles. Comme ils l’appelaient « Fils de David », il voulait les élever plus haut, et leur faire avoir des sentiments plus dignes de lui. C’est pourquoi il leur dit : « Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? » il ne dit pas : croyez-vous que je puisse par mes prières obtenir ce miracle de mon Père ; mais « que je puisse, moi, faire ce que vous demandez ? » Que répondent ces aveugles ? « Oui, Seigneur. » Ils ne l’appellent plus de Fils de David ; » mais élevant leur foi plus haut ils reconnaissent la souveraine puissance de Celui à qui ils parlent. « Alors il leur toucha les yeux en disant qu’il vous soit fait selon votre foi ! Et aussitôt leurs yeux furent ouverts (29). » Jésus-Christ alors étend sa main sur eux pour les guérir, et leur dit : « Qu’il vous soit fait selon votre foi. » Le Fils de Dieu fait trois choses par ces paroles. Il affermit la foi de ces aveugles, il montre que leur volonté avait eu aussi quelque part à leur guérison, et il tait voir que la manière dont il leur avait parlé, ne pouvait être suspecte de flatterie. Car il ne leur dit pas : que vos yeux soient ouverts ; mais : « qu’il vous soit fait selon votre foi. » C’était ce qu’il observait presque envers tous ceux qu’il guérissait, voulant que tout le monde reconnût quelle était la foi de leur âme, avant que d’être témoin de la guérison de leur corps ; pour rendre en même temps ceux qui étaient guéris encore plus fervents dans la foi, et les autres qui les voyaient plus disposés à la recevoir. Ce fut ainsi qu’avant que de guérir le paralytique, il guérit son âme par ces paroles : « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous « sont remis ; » qu’ayant ressuscité la jeune fille, il demeura là, et commanda qu’on lui apportât à manger, afin qu’elle connût Celui qui l’avait ressuscitée ; qu’il fit voir, dans la guérison du serviteur du centenier, que c’était la foi avec laquelle le centenier la lui avait demandée, qui avait tout fait ; et qu’avant que de délivrer ses disciples de la tempête, il les délivra auparavant de leur manqué de foi. II fait donc encore ici la même chose. Quoiqu’il sût parfaitement le fond du cœur de ces deux aveugles, il les interroge néanmoins devant tout le monde, pour exciter les autres par leur exemple, et pour faire connaître leur vive foi, c’est-à-dire la cause secrète de leur guérison. Après les avoir guéris il leur défend aussitôt d’en rien dire à personne, et par un commandement qu’il accompagne de beaucoup de sévérité. « Jésus leur dit avec des paroles fortes et pressantes : Prenez bien garde que personne ne le sache (30). Mais eux s’en étant allés répandirent sa réputation dans tout ce pays-là (3l). » Ils ne purent donc se retenir, ils se firent prédicateurs et Évangélistes, et malgré l’ordre formel qu’ils avaient reçu de tenir caché ce qui leur était arrivé, ils ne purent résister au désir de le répandre. Nous voyons dans l’Évangile que le Sauveur a dit à un autre malade qu’il guérit : « Allez et racontez la gloire de Dieu. » Mais cette parole, bien loin d’être contraire à ce que nous voyons ici, s’y accorde parfaitement. Jésus-Christ nous apprend d’une part à cacher toujours ce qui nous peut être avantageux, et à ne pas même souffrir que d’autres nous louent. Mais lorsque toute la gloire d’une action retourne à Dieu seul, non seulement il ne nous empêche point, mais il nous commande même de faire en sorte qu’on le loue. « Et lorsqu’ils furent sortis, voici qu’on lui présenta un homme muet, possédé du démon (32). » L’infirmité de cet homme n’était point un effet de la nature, mais de la seule malice du démon. C’est pourquoi il fallait qu’il fût amené à Jésus-Christ par d’autres, puisqu’étant muet il ne le pouvait prier par lui-même, ni – prier les autres de l’y mener, parce que son âme était liée par le démon aussi bien que sa langue. Jésus-Christ donc, sans exiger de lui la foi, le guérit aussitôt. « Et le démon ayant été chassé, le muet parla, et tout le peuple en fut dans l’admiration, et ils disaient : on n’a jamais vu rien de semblable en Israël (33). » Ces paroles perçaient les pharisiens parce que le peuple témoignait publiquement préférer Jésus-Christ à tout, et l’estimer incomparablement plus que ceux qui non seulement étaient dans la Judée, mais qui y furent jamais ; non seulement parce qu’il guérissait les malades, mais parce qu’il les guérissait en un moment, et avec une facilité admirable, quoique leurs maladies fussent inconnues et incurables à tout le reste des hommes. Mais pendant que le peuple est dans une disposition si raisonnable, les pharisiens entrent dans des sentiments bien différents ; et ne se contentant pas de calomnier ces miracles de Jésus-Christ, ils ne rougissent point de se couper dans leurs propres paroles et de se combattre eux-mêmes. C’est ce qui arrive d’ordinaire à la méchanceté envieuse. 2. « Mais les pharisiens disaient au con traire : Il chasse les démons par le prince des démons (34). » Y a-t-il rien de plus extravagant que cette pensée, comme Jésus-Christ le leur reproche ensuite ? Il est impossible que le démon chasse le démon. Cet esprit de malice ne détruit pas ses propres desseins, mais il ne tend et ne travaille au contraire qu’à les affermir. D’ailleurs Jésus-Christ ne faisait pas seulement paraître sa puissance en chassant les démons ; mais encore en guérissant les lépreux, en ressuscitant les morts, en calmant la mer, en pardonnant les péchés ; en prêchant le royaume du ciel, et en conduisant les hommes à Dieu son Père : merveilles d’autant plus impossibles au démon, que n’en ayant point le pouvoir il n’en a pas même la volonté. Les démons détournent les hommes du culte de Dieu, et ils les portent à adorer les idoles ils les attachent à cette vie, et ils leur ôtent la foi de l’autre. De plus, si l’on offense le démon, il n’a garde de faire du bien au lieu de se venger, puisqu’il nuit même à ceux qui le servent le mieux, et qui l’honorent davantage. Mais Jésus-Christ se conduit d’une manière bien différente, puisqu’après ces médisances, ces outrages et ces blasphèmes ; l’Évangile ne laisse pas d’ajouter : « Et Jésus allait de tous côtés dans les villes et dans les villages enseignant dans leurs synagogues, et prêchant l’évangile du royaume, et guérissant toutes sortes de maladies et de langueurs (35). » Bien loin de punir leur ingratitude, il ne veut pas même les en reprendre. Il leur témoigne son extrême douceur, et en même temps il réfute leurs calomnies. Car il veut les convaincre d’abord de la fausseté de leurs accusations par une grande multitude de miracles, et les confondre ensuite par ses paroles et par ses raisons. Après donc avoir été ainsi outragé, il ne laisse pas d’aller dans les villes, dans les villages et dans les synagogues des Juifs, pour nous apprendre à riposter à nos calomniateurs, non en leur répondant injure pour injure, mais en redoublant notre affection envers eux. Car si vous ne regardez que Dieu et non pas les hommes, dans la charité que vous leur faites, vous ne cesserez jamais de leur faire du bien, quelque ingrats qu’ils puissent être envers vous, sachant que leur ingratitude augmentera votre récompense. Celui qui se lasse de faire la charité, parce qu’on médit de lui, et qu’on le décrie, témoigne assez qu’il a été plutôt charitable pour être loué des hommes que pour plaire à Dieu. Jésus-Christ au contraire nous voulant apprendre qu’il ne suivait dans ces guérisons que le mouvement de sa bonté n’attend pas, même après toutes ces médisances, que les malades le viennent trouver. Il va les trouver jusque dans leur pays et dans leurs villes, Il leur fait deux grâces très-considérables en même temps : l’une qu’il leur prêche l’Évangile, et l’autre qu’il les guérit de toutes leurs maladies. Il ne passait aucune ville, il ne négligeait aucun village, mais il allait indifféremment en toutes sortes de lieux. Il n’arrêtait pas encore là l’excès et la tendresse de sa charité. « Car voyant la multitude du peuple, ses entrailles furent émues de compassion, parce qu’ils étaient languissants et dispersés çà et là, comme des brebis qui n’ont point de pasteur (36). » Considérez encore ici, mes frères, combien Jésus-Christ est éloigné de la vaine gloire. Pour ne pas attirer à lui tout le monde, il aime mieux envoyer ses disciples. Il veut que d’abord la Judée soit comme le lieu où ils s’exercent, pour les rendre ensuite capables de combattre et de lui assujettir toute la terre. Il les met d’abord dans des épreuves assez fortes, si l’on considère que leur vertu était encore bien faible, afin que s’étant fortifiés de plus en plus ils puissent entreprendre une guerre plus pénible. C’est un aigle qui tire du nid ses aiglons pour leur apprendre à voler. Il leur donne d’abord de pouvoir de guérir les corps pour les rendre ensuite les médecins et les conducteurs des âmes. Et remarquez comment il leur fait voir en même temps la nécessité et la facilité de ce qu’il leur ordonne. « La moisson est grande », dit-il, « et il y a peu d’ouvriers. » Je ne vous envoie pas pour semer, mais pour recueillir une moisson toute préparée. C’est ce qu’il dit dans saint Jean : « Les autres ont travaillé et vous êtes entrés dans leurs travaux. » (Jn 4,59) Il leur parlait de la sorte pour les empêcher de s’enorgueillir et pour leur donner en même temps de la confiance en leur faisant voir que le plus grand travail était déjà fait. Il est remarquable encore que ce qu’il fait en cette rencontre n’est point l’ouvrage d’une justice qui rende ce qui est dû, mais d’une miséricorde toute pure et toute gratuite. « Voyant la multitude du peuple, ses entrailles furent émues de compassion, parce qu’ils « étaient languissants et dispersés çà et là comme des brebis qui n’ont point de pasteur. » Ces paroles sans doute retombent comme une accusation grave sur la tête des Juifs, puisqu’au lieu d’être les pasteurs des peuples ils en étaient devenus les loups. Car non seulement ils ne les redressaient point de leurs égarements, mais ils s’opposaient même au progrès qu’ils auraient pu faire dans la vertu. Aussi nous voyons que lorsque le peuple, ravi des miracles de Jésus-Christ, publie hautement « qu’on n’a jamais rien vu de semblable dans Israël », les pharisiens crient au contraire : « Il chasse les démons par le prince des démons. » 3. « Alors il dit à ses disciples : Il est vrai que la moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers (37). Priez donc le maître de la moisson qu’il fasse aller les ouvriers à sa moisson (38). » Qui sont « ces ouvriers » dont Jésus-Christ parle en ce lieu, sinon ses douze disciples ? il dit « qu’ils sont peu, et néanmoins il n’y en ajoute point d’autres, et il les envoie sans en accroître le nombre. Pourquoi dit-il donc : « Priez le maître de la moisson qu’il fasse aller les ouvriers dans sa moisson », puisqu’il n’y en ajoute pas un seul lui-même ? C’est parce que, bien qu’ils ne fussent que douze, il sut les multiplier, non pas en augmentant leur nombre, mais en leur communiquant sa puissance et sa grâce. « Priez », dit-il, « le maître de la moisson. » Il leur apprend par ces paroles quelle est la grandeur du don qu’il leur doit faire, et il marque aussi obscurément qu’il est lui-même « le maître de cette moisson. » Puisqu’aussitôt qu’il leur a donné cet avis, sans qu’ils eussent prié personne, il les fait apôtres et les envoie prêcher, les faisant souvenir en même temps de ces paroles de saint Jean de « l’aire », du « van », de « la paille », et du « bon grain. » Ce qui montre clairement que c’est lui qui est le véritable laboureur, et qu’il est le maître de la moisson et des prophètes qui l’ont semée. Car en voyant ses apôtres recueillir la moisson, il est hors de doute qu’il ne les envoie pas recueillir la moisson d’un autre, mais celle qui était à lui, comme l’ayant lui-même semée par la prédication des prophètes. Mais il n’encourage pas seulement ses disciples, en leur représentant que leur travail est une moisson, mais en leur rendant encore ce travail facile. « Jésus ayant appelé ses douze disciples, leur donna puissance sur les esprits impurs pour les chasser et pour guérir toutes sortes de maladies et de langueurs (10, 1) » Cependant le Saint-Esprit n’avait pas encore été donné ; saint Jean le dit clairement : « Le Saint-Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié. » (Jn 7,39) Comment donc les apôtres pouvaient-ils chasser les démons, sinon par la puissance de Jésus-Christ, et par la vertu de la mission qu’il leur avait donnée ? Considérez aussi, mes frères, comme il ne les envoie que lorsqu’il est temps. Il ne les envoie point d’abord lorsqu’ils ne commençaient que de le suivre, mais après qu’ils ont été longtemps en sa compagnie, après, qu’ils l’ont vu ressusciter les morts, chasser les démons, commander à la mer, guérir les paralytiques et les lépreux, remettre les péchés ; enfin après les avoir suffisamment convaincus de sa toute-puissance par ses actions et par ses paroles, il leur dit alors : « Allez, je vous envoie. » Il ne les expose pas d’abord à de grands périls, puisqu’il n’y avait encore rien à craindre pour eux dans la Palestine, et qu’ils n’avaient qu’à se fortifier contre les injures et les médisances. Cependant il leur prédit de grands maux pour l’avenir, et il leur en parle sans cesse, afin qu’ils s’y préparent de bonne heure, et qu’ils soient plus fermes et plus courageux dans le péril. Mais comme l’Évangéliste, n’avait encore parlé que de quatre apôtres, saint Pierre, saint André, saint Jacques et saint Jean et de saint Matthieu ensuite, sans avoir rien dit ni de la vocation, ni du nom même des autres, il rapporte ici leurs noms et leurs nombres. « Voici les noms des douze apôtres. Le premier, Simon, qui est appelé Pierre, et André son frère (2). » Il marque avec soin les noms et le pays des apôtres, parce qu’il y en avait deux qui s’appelaient Simon ; l’un Simon Pierre, et l’autre Simon le Chananéen ; comme il y en avait deux appelés Judas, dont l’un était le traître, et l’autre le frère de Jacques ; comme il y en avait aussi deux nommés Jacques l’un qui était fils d’Alphée, et l’autre, de Zébédée. Saint Marc en les nommant observe le rang et la dignité. Car après avoir nommé les deux chefs, il nomme en troisième lieu saint André. Mais notre Évangéliste nomine saint Thomas avant de se nommer lui-même, quoique saint Thomas lui fût de beaucoup inférieur. Mais voyons cette liste jusqu’au bout. « Le premier est Simon, qui est appelé Pierre, et André, son frère. » Ce n’est pas là un petit éloge de saint Pierre, de le placer le premier à cause de sa vertu, et de lui joindre André, son frère, à cause du rapport de vertu et de mœurs qui était entre eux. « Jacques fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthelemi ; Thomas et Matthieu le Publicain ; Jacques fils d’Alphée ; et Lebbée, surnommé Thaddée (3). » Il est visible que l’Évangéliste ne prend pas garde au rang et à la dignité, puisqu’il me semble que saint Jean était plus grand non seulement que les autres, mais encore que son frère même. De même, après avoir nommé « Philippe et Barthelemi », il parle de « Thomas et de Matthieu le Publicain. » Mais au lieu que saint Matthieu met saint Thomas avant lui, saint Luc met saint Matthieu avant saint Thomas. Il appelle « Jacques fils d’Alphée », parce qu’il y avait, comme j’ai déjà marqué, un autre Jacques fils de Zébédée, après lequel il émet « Lebbée, surnommé Thaddée ; Simon le Chananéen, et Judas Iscariote, celui qui le trahit. » Il met Judas le dernier de tous, et il en parle non comme un ennemi et avec passion, mais comme un historien fidèle qui dit les choses dans leur ordre. Il ne dit point, le méchant, le détestable Judas, mais il l’appelle seulement comme les autres, du nom de la ville d’où il était, « Judas Iscariote », parce qu’il y avait un autre Judas, Judas Lebbée, surnommé Thaddée, que saint Luc dit être fils de Jacques. « Judas Iscariote, celui qui le trahit. » Il ne rougit point de rapporter cette parole : « Qui fut celui qui le trahit », parce qu’il a soin de ne rien cacher de ce qui paraît mêlé de honte. Ainsi on voit assez, par son Évangile, que saint Pierre, le premier de tous, était un homme du peuple sans lettres et sans science. Mais voyons où Jésus-Christ envoie ses disciples, et vers qui il les envoie. « Jésus envoya ces douze après leur avoir s donné ces instructions et leur avoir dit (5) : Quels sont ces douze ? » Ce sont des pêcheurs et des publicains, puisqu’il y en avait parmi eux quatre qui étaient pêcheurs et deux qui étaient publicains, saint Matthieu et saint Jacques. Et l’un de ces douze encore devait être le traître de Celui qui l’envoyait. Mais voyons quels sont les ordres et les instructions que Jésus-Christ leur donne. « N’allez point vers les Gentils, et n’entrez point dans les villes des samaritains (6). Mais allez plutôt aux tribus de la maison d’Israël qui sont perdues (6). » Ne croyez pas, leur dit-il, que j’aie quelque aversion pour les Juifs qui m’outragent et m’appellent démoniaque. Ce sont au contraire les premiers que je tâche de convertir, et je vous défends d’aller prêcher à d’autres qu’à eux, parce que je veux que vous soyez leurs maîtres et leurs médecins, non seulement je vous défends de prêcher aux autres avant eux, mais je ne vous permets pas de faire un pas dans la voie qui conduit aux autres peuples, ni d’entrer dans une seule de leurs villes, pas même dans celles des samaritains qui étaient toujours opposés aux Juifs. 4. Et quoique ce peuple fût beaucoup plus aisé à convertir que les Juifs, et qu’il fût plus susceptible de la foi, Jésus envoie néanmoins ses apôtres plutôt aux Juifs qu’à ceux-ci, pour faire mieux voir le zèle et le soin qu’il avait de leur salut, Son dessein était de fermer ainsi la bouche aux Juifs, de les disposer à la prédication des apôtres, de prévenir les calomnies qu’ils publiaient contre eux de ce qu’ils iraient prêcher aux incirconcis, et d’empêcher que la haine qu’ils devaient leur porter un jour ne parût avoir quelque fondement. Il les appelle des « brebis perdues. » Il ne dit point qu’elles se soient volontairement égarées. Il leur témoigne partout qu’il est prêt à leur pardonner, et il tâche toujours de les attirer à lui. « Et dans les lieux où vous irez, prêchez en disant : le royaume des cieux est proche (7). » Admirez ici la grandeur des apôtres et la dignité de leur ministère ! Jésus-Christ ne leur commande point de prêcher rien de sensible, ou de semblable à ce que Moïse et les prophètes avaient annoncé avant eux. Ils proposent des choses nouvelles et inouïes jusqu’alors. Les prophètes ne promettaient que la terre et les biens terrestres ; mais les apôtres annonçaient le royaume du ciel, et promettaient des biens éternels. Ce n’est pas néanmoins cette seule excellence des promesses de l’Évangile qui rend les apôtres supérieurs aux prophètes, mais encore cette obéissance si prompte qu’ils témoignent à Jésus-Christ. Ils ne s’excusent point, ils ne résistent point comme quelques-uns des prophètes. De quelques périls, de quelques maux, de quelques combats qu’on les menace, ils ne laissent pas d’embrasser avec une parfaite soumission tout ce qu’on leur commande, comme de véritables prédicateurs d’un royaume céleste et divin. Et quoi d’étonnant, direz-vous, si, n’ayant rien à publier de pénible et de fâcheux, ils obéissent sans difficulté ? —. Que dites-vous ? est-ce qu’ils n’avaient à exécuter aucune mission difficile ? est-ce que vous n’entendez pas parler de prisons, de supplices, de guerres civiles, de haine universelle et de tant d’autres maux qui les attendent ? Il les rend pour les autres des sources de biens et de grâces, mais il ne leur promet à eux-mêmes que des afflictions et des maux. Pour les rendre ensuite dignes de toute créance il leur dit : « Guérissez les infirmes, purifiez les lépreux, ressuscitez les morts, chassez les démons. Vous « avez reçu ces dons gratuitement, dispensez-les gratuitement (8). » Considérez, mes frères, comme Jésus-Christ a souci des mœurs non moins que des miracles, et comme il montre que les miracles même ne sont rien sans la bonne vie : « Vous « avez », dit-il, « reçu ces dons gratuitement, dispensez-les gratuitement. » Il les détourne par ces paroles de deux grandes passions premièrement de l’avarice, puisqu’il est bien juste qu’ils dispensent ses dons aussi gratuitement qu’ils les ont reçus. Secondement de l’orgueil, afin qu’ils ne s’imaginent pas que les miracles que Dieu fait par eux, soient leur propre ouvrage et qu’ils ne s’en glorifient pas : « Vous les avez reçus gratuitement », leur dit-il : vous ne donnez rien du vôtre à ceux qui les reçoivent ; et ces effets miraculeux ne sont point la récompense de vos travaux, Ma grâce est à moi. Vous l’avez reçue de moi gratuitement, dispensez-la aux autres gratuitement. N’attendez point de prix de ce qui n’a point de prix. Et, pour arracher d’abord la racine de tous les maux, il dit : « Ne possédez ni or, ni argent, ni aucune monnaie dans vos ceintures (9). Ne préparez, pour le chemin, ni sac, ni deux habits, ni souliers, ni bâton (10). » Il ne leur dit pas seulement : Ne prenez point d’or avec vous ; mais quand on vous en offrirait, rejetez-le, fuyez la maladie si dangereuse de l’avarice. Jésus-Christ remédie par ce seul précepte à beaucoup de maux. Il empêche premièrement que l’on ne puisse soupçonner ses apôtres d’avarice. Secondement, il les dégage de toute sorte de soins, afin qu’ils soient plus libres pour la prédication de l’Évangile. En troisième lieu, il leur montre sa souveraine puissance, ainsi qu’il leur fait remarquer ensuite : « Quand je vous ai envoyés sans habits et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose ? » Il ne leur dit pas tout d’abord : « N’ayez ni or ni argent. » Il leur donne premièrement le pouvoir de guérir les lépreux et de chasser les démons, et il leur dit ensuite : « Ne possédez rien. Vous avez reçu ces dons gratuitement, donnez-les aussi gratuitement », se réservant de leur faire connaître par leur propre expérience qu’il ne leur donnait que des ordres très-saints en soi, très-utiles pour eux-mêmes et très faciles à exécuter. Vous me direz peut-être que toutes ces ordonnances sont très-justes, mais que vous ne pouvez comprendre pourquoi il leur défend d’avoir « une bourse, deux habits, des souliers », et de porter même « un bâton. » Je vous réponds que c’était pour exercer les disciples dans la pauvreté la plus exacte. C’est ainsi que nous avons déjà vu qu’il leur a défendu de se mettre en peine du lendemain. Comme il les envoyait pour être les docteurs des nations, il en fait en quelque sorte des anges en les détachant de tous les soins de cette vie, pour les attacher uniquement à leur ministère. Il ne veut pas même qu’ils se mettent en peine sur ce point : « Ne vous mettez point en peine », leur dit-il, « comment vous leur parlerez. » Ainsi il leur rend très-aisé ce qui paraissait le plus pénible. Car rien ne donne tant de joie à l’âme que cette absence de tout soin, lors principalement que sans nous mettre aucunement en peine, nous sommes assurés de ne manquer jamais de rien, Dieu pourvoyant à tous nos besoins et nous tenant seul lieu de toutes choses. 5. Mais parce que ses disciples auraient pu dire en eux-mêmes : D’où aurons-nous donc ce qui nous est nécessaire pour la vie ? il prévient cette pensée et il ne leur propose plus ce qu’il avait dit ailleurs : « Considérez les oiseaux du ciel. » Ils n’étaient pas encore en état de pratiquer ce conseil ; mais il les fortifie contre cette appréhension, par une considération moins haute : e Celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse (10). » Il montre par là que ceux qu’ils instruiraient les devaient nourrir, afin-que d’une part les maîtres ne s’élevassent point au-dessus de leurs disciples, comme leur donnant tout et ne recevant rien d’eux, et que les disciples de l’autre n’eussent point la douleur de voir que ceux qui les instruisaient ne voulussent point souffrir qu’ils leur rendissent aucune assistance. Ensuite, pour que les apôtres ne disent pas qu’il les oblige donc à mendier pour vivre, il leur fait comprendre que ce qu’ils recevront sera moins un don qu’une dette ; il leur fait comprendre cela par cette qualité « d’ouvriers » qu’il leur donne et en appelant salaire ce qui leur sera offert. Car encore que tout ce que vous faites, leur dit-il, ne consiste qu’à parler et à instruire ; néanmoins votre ministère sera très-avantageux aux peuples et à vous très-laborieux ; et ainsi ce que vous en recevrez sera moins une grâce qu’une récompense très juste et très-légitime : « Car celui qui travaille mérite qu’on le récompense. » Ce qu’il ne dit pas pour nous faire croire que les travaux de ses apôtres fussent dignement payés de ce prix ; Dieu nous garde de cette pensée ; mais pour persuader à ces docteurs des peuples de ne rien exiger de plus et pour apprendre aux disciples que, lorsqu’ils assistent ceux qui les instruisent, ils ne font pas un acte de libéralité, mais qu’ils s’acquittent d’une dette. « En quelque ville, ou en quelque village que vous entriez, informez-vous du plus digne, et demeurez chez lui jusqu’à ce que « vous vous en alliez (11). » Ne croyez pas, leur dit-il, que par ces paroles : « Un ouvrier mérite qu’on le nourrisse », j’aie prétendu vous ouvrir les maisons de tout le monde. Je veux qu’en ce point vous ayez beaucoup de réserve, puisque cette réserve même vous fera plus respecter et portera les hommes à contribuer à votre subsistance avec plus de joie. Si vous ne vous retirez que chez des personnes qui le méritent, ils vous donneront sans doute tous vos besoins, principalement lorsque vous ne leur demanderez que le nécessaire. Et il ne se contente pas de commander à ses apôtres de n’aller que chez des personnes qui en soient digues, il leur défend même de passer de maison en maison, pour ne point faire de peine à celui qui les aurait reçus d’abord et pour empêcher qu’ils ne passassent pour légers et amis de la bonne chère. C’est ce qu’il veut faire entendre par ces mots : « Demeurez là jusqu’à ce que vous vous en alliez. » Et ce point est aussi mis en lumière par les autres Évangélistes. (Mrc. 6 ; Luc 10) Vous voyez donc combien Jésus-Christ recommande d’une part la gravité à ses apôtres ; et de l’autre l’empressement à ceux qui, les reçoivent, leur représentant que ce sont eux qui reçoivent dans ces visites tout l’honneur et tout l’avantage. Et pour confirmer davantage ce qu’il venait de dire, il ajoute : « Entrant dans la maison saluez-la en disant : la paix soit à cette maison (12) ! Que si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle ; et si elle n’en est pas digne, votre paix retournera à vous (13). » Considérez, mes frères, jusqu’à quelles particularités Jésus-Christ veut bien descendre. Et c’est avec raison. Car puisqu’il formait les athlètes de la piété et les prédicateurs de l’univers, il convenait d’en faire des hommes que leur modération ferait rechercher et aimer de tout le monde. « Lorsque quelqu’un ne voudra point vous recevoir ni écouter vos paroles, en sortant de cette maison ou de cette ville, secouez la poussière de vos pieds (14). Je vous dis en vérité qu’au jour du jugement Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville (15). » Ne prétendez point, parce que vous êtes les maîtres dont la mission est d’enseigner le monde, que les hommes vous doivent saluer les premiers, mais prévenez-les vous-mêmes en les saluant. Et montrant ensuite que cette salutation ne doit point être seulement une civilité humaine et stérile, mais une source de bénédictions : « Si cette maison en est digne », dit-il, « votre paix viendra sur elle. » Que si elle vous traite indignement, sa première punition sera de ne point jouir de votre paix, et la seconde sera d’être traitée avec plus de rigueur que n’ont été Sodome et Gomorrhe. Mais comme si ses apôtres lui disaient : de quoi nous servira à nous ce terrible châtiment ? Vous aurez, leur répond-il, pour vous recevoir les maisons de ceux qui en seront dignes. Et que signifie ceci : Secouez la poussière de vos pieds ? C’est ou pour signifier qu’ils n’ont rien à eux, pas même la poussière de la terre ; ou pour témoigner de la longueur du chemin parcouru pour ces ingrats qui les repoussent. Remarquez ici que le Fils de Dieu ne donne pas tout ce qu’il pouvait donner à ses apôtres, puisqu’il ne leur donne pas l’esprit de discernement et de prévoyance, pour distinguer ceux qui seraient dignes de les recevoir d’avec ceux qui ne le seraient pas. Il veut qu’ils en fassent l’essai eux-mêmes, et qu’ils s’exposent à cette épreuve. Pourquoi donc Jésus-Christ logea-t-il lui-même chez un publicain ? parce que le changement de vie de ce publicain le rendit digne de cette visite. Mais qui n’admirera en ce point la conduite du Sauveur ? Il dépouille ses disciples de tout, et en même temps il leur donne tout, leur permettant d’entrer et de demeurer dans la maison de ceux qu’ils auraient instruits. Ainsi par ce seul précepte du Fils de Dieu, les apôtres se trouvaient délivrés de tous les embarras de la terre, et ils faisaient voir clairement à ceux qui les recevaient, que ce n’était que pour leur salut qu’ils les venaient visiter, puisqu’ils ne portaient point d’argent avec eux, et qu’ils ne voulaient rien d’eux que le nécessaire, et qu’ils n’entraient pas indifféremment chez toutes sortes de personnes, mais avec réserve et avec choix. Jésus-Christ ne voulait pas que ses disciples se signalassent seulement par les miracles. Il leur commandait de se rendre encore plus illustres par leurs vertus que par ces prodiges. Car il n’y a point de caractère et de marque plus propre d’une vertu vraiment chrétienne que d’aimer à n’avoir rien de superflu, et de se passer de tout ce qui n’est pas absolument nécessaire. Les faux apôtres même savaient et pratiquaient cette vérité, et saint Paul, en faisant voir son désintéressement, disait d’eux : « Afin qu’en cela même dont ils « se glorifient tant, ils soient trouvés semblables à nous. » (1Co 2,12) Que si ceux même qui vont dans des pays étrangers et chez des inconnus, n’en doivent rien rechercher que la nourriture de chaque jour, combien sont plus obligés à cela ceux qui demeurent toujours chez eux ? 6. Écoutons ceci, mes frères ; mais écoutons-le pour le pratiquer. Jésus-Christ n’a pas dit ces paroles seulement pour ses apôtres. Il les a dites pour tous ceux qui voudraient se sanctifier dans la suite de tous les siècles. Rendons-nous donc dignes nous autres de recevoir chez nous de si divins hôtes, puisque c’est par la disposition intérieure de ceux qui les reçoivent, que cette paix ou descend sur eux, ou se retire d’eux. Elle ne dépend pas seulement de la vertu des prédicateurs qui la donnent, mais encore de la sainteté des disciples qui la reçoivent. Que personne ne regarde comme une perte légère la privation de cette paix. Le Prophète l’avait prédite autrefois en disant : « Que les pieds de ceux qui annoncent la paix sont beaux ! » (Nahum, 1,15) Et pour en marquer davantage l’excellence, il ajoute : « de « ceux qui annoncent les biens. » Jésus-Christ montre assez quelle elle est, lorsqu’il dit : « Je vous laisse la paix : je vous donne ma paix » (Jn 14,13) Il faut, mes frères, faire toutes choses pour jouir d’une paix si précieuse, et dans vos maisons, et dans nos églises. Car celui qui préside ici et qui tient la première place dans l’église, donne comme vous savez la paix à tout le peuple ; et cette paix est la figure de celle que Jésus-Christ a donnée à ses apôtres. C’est pourquoi il faut la recevoir de tout son cœur avant que de se présenter à la sainte table. Si c’est un si grand mal de ne point participer à cette table, quel mal serait-ce de chasser et d’outrager celui même qui la bénit ? C’est pour vous que le prêtre se tient assis dans l’église, et que le diacre est debout avec beaucoup de peine quelle excuse donc vous restera-t-il de ne pas recevoir le ministre de Dieu, au moins en écoutant sa parole ? Cette église est la maison commune de tous. Vous y entrez les premiers, et nous y venons ensuite, et nous pratiquons en y entrant, ce que Jésus-Christ ordonne ici à ses apôtres. Nous vous y bénissons tous en général, et nous vous y donnons d’abord cette paix que Jésus-Christ commande à ses disciples de donner lorsqu’ils entrent dans une maison. Que personne donc ne soit lâche et paresseux, que personne ne s’abandonne à l’égarement de ses pensées, lorsque les ministres de Dieu entrent et parlent dans ce lieu saint, Car cette négligence sera terriblement punie. Pour moi j’aimerais cent fois mieux être maltraité de vous, lorsque je vais vous voir dans vos maisons, que de n’être pas écouté ici lorsque je vous parle de la part de Dieu. Ce dernier mépris est d’autant plus grand, que cette maison est sans comparaison plus sainte et plus excellente que les vôtres. Car c’est ici, mes frères, que sont renfermées nos plus précieuses richesses ; c’est ici qu’est l’objet de toutes nos espérances. Qu’y a-t-il ici qui ne soit grand et terrible ? Notre table est plus sainte et plus délicieuse que les vôtres. Notre huile est plus précieuse ; et tout le monde sait combien de personnes recevant avec foi cette divine onction dans leurs maladies, se sont trouvées guéries de leurs maux. Cette armoire où l’on garde l’Eucharistie est aussi bien plus estimable que ne sont les vôtres. Car elle ne renferme pas de riches habits, mais elle contient la miséricorde même, quoiqu’il y ait peu de personnes ici qui en jouissent et qui la possèdent. Le lit aussi où l’on se repose ici est bien plus doux que les vôtres, puisque la lecture et la méditation de l’Écriture est un repos plus agréable que celui que vous prenez chez vous. Si nous étions tous dans une parfaite union, nous n’aurions point besoin d’autre maison que de celle-ci. Ces trois mille hommes d’autrefois, et ces cinq autres mille ensuite montrent la vérité de ce que je dis, puisqu’ils n’avaient tous qu’une même maison, qu’une même table, et qu’une même âme. « La multitude des fidèles », disent les Actes « n’avaient tous qu’une âme, et qu’un cœur. » (Act 4,32) Mais puisque nous sommes trop éloignés de cette haute vertu, et que nous sommes dispersés en plusieurs maisons différentes, au moins lorsque nous nous rassemblons ici, rentrons le plus que nous pourrons dans cet esprit et cette charité de l’Église à sa naissance. Quand nous serions pauvres dans tout le reste, soyons riches en ce point. Je vous conjure donc, mes frères, de nous recevoir avec affection lorsque nous entrons ici. Quand nous vous disons : « Que la paix « soit avec vous », répondez-nous : « Et qu’elle soit avec votre esprit ; » mais du cœur plus que de la bouche, et plus par un véritable désir que par le son extérieur de la parole. Que si après m’avoir dit ici avec tout le peuple : « Que la paix soit avec votre esprit », lorsque vous êtes revenus chez vous, vous me faites une guerre sanglante par vos médisances, par vos injures, et par toute sorte d’outrages, que doit-on dire de cette paix que vous m’aurez donnée dans l’église ? Pour moi je vous assure que quand vous diriez de moi tout le mal imaginable, je ne laisserai pas de vous donner et de vous souhaiter toujours très-sincèrement la paix. Je n’aurai jamais pour vous qu’une affection très-pure. Car je sens que j’ai pour vous tous les entrailles d’un vrai père. Si je vous fais quelquefois des réprimandes un peu fortes, ce n’est que par le zèle que j’ai de votre salut. Mais lorsque je vois que vous me décriez en secret et que dans la maison même du Seigneur, vous ne me recevez pas, et que vous ne m’écoutez pas avec un esprit de paix, je crains fort que vous rie redoubliez ma tristesse, non parce que vous tâchez de me noircir par vos injures, mais parce que vous rejetez de vous la paix que je vous donnais, et que vous attirez sur vous ces supplices effroyables dont Dieu menace ceux qui méprisent les prédicateurs de sa parole. Quoique « je ne secoue point contre vous la poussière de mes pieds », quoique je ne me retire point d’auprès de vous ; l’arrêt néanmoins que Jésus-Christ a prononcé contre vous subsiste. Pour ce qui est de moi je ne cesserai point de vous souhaiter la paix, et je dirai continuellement : « Que la paix soit avec vous ! » Si vous la rejetez avec mépris, je ne secouerai point contre vous la poussière de mes pieds, non que je veuille en ce point désobéir à mon Sauveur, mais parce que la charité qu’il m’a donnée pour vous m’empêcherait de le faire. Il est vrai que j’ai peut-être tort de m’attribuer ce que Jésus-Christ dit ici à ses apôtres puisque je n’ai rien souffert pour vous, que je ne vous suis point venu chercher de loin pour vous annoncer l’Évangile, et que je ne vous ai point paru dans cet extérieur pauvre que Jésus-Christ a commandé à ses disciples, ni sans chaussures, ni sans une double tunique. Je veux bien être le premier à m’accuser moi-même, mais je suis obligé de vous dire que cela ne suffit pas pour vous justifier devant Dieu. J’en serai peut-être plus condamné, mais vous ne serez pas excusés. 7. Les maisons particulières étaient autrefois des églises, et les églises aujourd’hui ne sont plus que comme des maisons particulières. Les chrétiens alors ne parlaient que des choses du ciel dans leurs maisons, et aujourd’hui ils ne parlent plus dans les églises que des choses de la terre. Vous introduisez le siècle dans nos temples, et vous faites entrer le tumulte du palais jusque dans le sanctuaire. Quand Dieu parle, et que Son Évangile frappe votre oreille, au lieu de l’écouter dans le silence, vous ne vous entretenez que de vos affaires, et plût à Dieu que vous ne parlassiez alors que de vos affaires ! mais vous parlez alors, et vous entendez parler de choses encore plus vaines et plus inutiles. Je vous avoue, mes frères, que c’est là le sujet de ma douleur. C’est pour cela que je pleure, et que je ne cesserai jamais de pleurer. Je ne suis plus libre de quitter cette église pour passer dans une autre. Il faut nécessairement que je demeure et que je souffre ici jusqu’à la fin de ma vie. « Recevez-nous donc », comme saint Paul disait à un peuple, qu’il conjurait par ces paroles de lui donner entrée non à leur table, mais dans leur cœur. C’est ce que nous vous demandons, mes frères. Nous ne désirons de vous que cette charité qui a de l’ardeur, et cette amitié sincère et véritable. Que si vous refusez de nous aimer, au moins aimez-vous vous-mêmes, en renonçant à cette tiédeur malheureuse dont vous êtes possédés. Il nous suffira pour nous consoler de voir que vous devenez meilleurs, et que vous avancez dans la voie de Dieu. C’est en cela même que mon affection paraîtra plus grande, si, lorsque j’en ai beaucoup pour vous, vous en avez peu pour moi. Car il y a bien des liens qui nous unissent ensemble, et qui nous obligent de nous entr’aimer. Un même père nous a engendrés ; une même mère nous a enfantés avec les mêmes douleurs : nous mangeons à la même table, et non seulement nous recevons un même breuvage, mais nous buvons même à la même coupe. C’est un artifice de la sagesse et de la bonté de notre Père qui est dans le ciel, d’avoir voulu que nous bussions ainsi du même calice, ce qui est le fait de la plus parfaite charité. Vous me direz peut-être que je suis bien éloigné du mérite et de la dignité des apôtres : je le reconnais de tout mon cœur, et je ne le désavouerai jamais. Bien loin de m’égaler à eux, je confesse que je ne suis pas digne d’être comparé, je ne dis pas avec eux, mais avec leur ombre. Si vous faites néanmoins ce que vous devez, non seulement mes défauts ne vous nuiront point, mais ils vous pourront même beaucoup servir. Car vous serez d’autant plus récompensés de Dieu, que vous témoignerez plus d’affection et d’obéissance envers des ministres qui par eux-mêmes en auraient été indignes. Nous ne vous parlons point ici de nous-mêmes, et nous ne vous disons point nos propres pensées. Nous n’avons point de maître sur la terre, selon la parole de Jésus-Christ, nous n’en avons qu’un qui est dans le ciel. Nous vous donnons ce que nous avons reçu, et en vous le donnant nous ne vous redemandons autre chose que votre amour. Que si nous en sommes indignes, aimez-nous néanmoins, et peut-être que votre charité nous en rendra dignes. Ce n’est pas trop pour vous que d’aimer ceux qui ne méritent pas d’être aimés, puisque Jésus-Christ vous commande d’aimer même vos ennemis. Qui pourrait donc après un commandement si doux avoir l’âme si barbare et si inhumaine que de haïr celui qui l’aime, quand d’ailleurs il serait engagé dans mille vices ? Une même table, une même viande nous unit tous, qu’un même amour divin et spirituel unisse nos cœurs. Si les voleurs les plus cruels épargnent ceux avec qui ils ont bu et mangé, et oublient à leur égard cette inhumanité qui leur est si naturelle, quelle excuse nous restera-t-il, si après avoir mangé ensemble la même chair du Sauveur, nous avons moins de tendresse et moins d’amitié que des voleurs ? Les païens autrefois se sont entr’aimés, non pour n’avoir eu qu’une même maison et une même table, mais seulement pour avoir été citoyens d’une même ville ; que pourrons-nous donc attendre de Dieu ? Nous nous trouvons divisés les uns des autres, nous qu’il a unis par tant de nœuds et par des chaînes si sacrées ; nous qui demeurons dans la même ville et dans la même maison ; nous qui marchons dans la même voie ; qui entrons par la même porte ; qui sommeS les rejetons d’une même tige ; qui sommes les membres d’une même tête et d’un même chef, et enfin nous qui n’avons tous qu’une même vie, un même créateur, un même père, un même pasteur, un même roi, un même maître et un même juge. Vous voudriez peut-être que nous fissions des miracles tomme les apôtres en ont fait. Vous voudriez voir les lépreux guéris, les démons chassés et les morts ressuscités ; mais c’est – là la plus grande preuve de votre foi et de votre amour pour Dieu, de croire fermement en lui sans tous ses miracles. C’est pour cela même que Dieu a fait cesser les miracles, quoiqu’il y en ait encore d’autres raisons. Car si lors même que Dieu a retiré ces dons qui ont plus d’éclat, ceux qui excellent en d’autres, comme dans celui de la science et de la vertu, s’enorgueillissent aisément, et par le désir d’une vaine estime se séparent d’avec leurs frères ; s’ils avaient le don des miracles, combien tomberaient-ils encore plus aisément dans le même orgueil, et dans les schismes qui en peuvent naître ? Ce que je vous dis n’est point seulement une vaine conjecture, mais nous en voyons une preuve dans ce que saint Paul dit des Corinthiens, parmi lesquels il se forma beaucoup de divisions, parce qu’ils aimaient fort les dons extérieurs, et entr’autres celui des miracles. Ne cherchez point, mes frères, ces effets miraculeux, mais la guérison de vos âmes. Ne désirez point de voir ressusciter un mort, puisque vous savez que tous les morts ressusciteront un jour. Ne demandez point comme une grâce de voir un aveugle recouvrer la vue ; mais considérez plutôt tant de personnes à qui Dieu a ouvert les yeux du cœur et qu’il a si divinement éclairées dans l’âme. Apprenez à leur exemple à rendre votre œil chaste et modeste, et à régler tous vos regards. Si notre vie était telle qu’elle devrait être, les païens seraient plus touchés en la voyant, que, si nous taisions les plus grands miracles ; car les miracles ne persuadent pas toujours. On croit quelquefois qu’ils ne sont que feints et en apparence, ou qu’il s’y mêle quelque chose de mauvais, quoiqu’il soit vrai que ce soupçon ne puisse tomber sur ceux qui se font parmi nous. Mais une vie pure ne saurait être suspecte. Elle est hors d’atteinte à la calomnie, et elle ferme la bouche à tous les hommes. Appliquons-nous donc plus qu’à toute autre chose à bien régler notre vie. La bonne vie est un grand trésor et un grand miracle. C’est elle qui donne la véritable liberté. Elle rend les esclaves parfaitement libres, non, en les tirant de la servitude, mais en les rendant sans comparaison plus libres que les personnes libres, quoiqu’ils demeurent extérieurement toujours esclaves, ce qui est beaucoup plus grand que de leur donner la liberté. La bonne vie enrichit le pauvre, non en le tirant de sa pauvreté, mais en faisant que, demeurant pauvre il est plus content, il a moins de besoin, et il est plus riche, en effet, que tous les riches. 8. Si vous désirez de voir des miracles, tâchez de vaincre en vous le péché, et vous verrez ce que Vous désirez. Car le péché, mes frères, est un démon, et un démon redoutable, Si vous le chassez de vous, vous faites un plus grand miracle que ne font les exorcistes lorsqu’ils chassent les démons des possédés. Écoutez ce que dit saint Paul, et voyez combien il préfère la vertu à tous les miracles. « Désirez » dit-il, « entre les dons ceux qui sont les plus excellents, et je vous montrerai une voie qui « est encore beaucoup plus élevée au-dessus de tous ces dons. » (1Co 12,31) Expliquant ensuite quelle est cette « voie », il ne parle ni de la résurrection des morts, ni de la guérison des lépreux, ni des autres miracles semblables, mais seulement de la charité. Considérez aussi ce que Jésus-Christ dit à ses apôtres : « Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous obéissent, mais réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits au ciel. » (Luc 9,21) Et ailleurs : « Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé ? n’avons-nous pas chassé les démons, et fait beaucoup de miracles en votre nom ? Et je leur répondrai alors : je ne vous connais point. » (Mat 7,26) Et lorsque, près de mourir sur la croix, il donne ses dernières instructions à ses apôtres, il leur dit : « On reconnaîtra que vous êtes mes disciples », non pas si vous chassez les démons, mais « si vous vous aimez l’un l’autre. » (Jn 13,35) Et un peu après : « C’est en cela, mon Père, qu’on reconnaîtra que vous m’avez envoyé », non pas si mes apôtres ressuscitent les morts, mais « s’ils sont tous une même chose. » (Jn 17) Jn 17) Souvent les miracles ont peu servi à ceux qui les voyaient, et ont nui beaucoup à celui qui les faisait, en lui donnant des sentiments de complaisance et de vaine gloire. Mais on ne peut craindre ce mauvais effet de la bonne vie et de la vertu. Car la vertu sert à ceux qui la voient et encore plus à celui qui la pratique. Travaillez donc, mes frères, à bien vivre, et vos actions seront des miracles. Si, d’avare que vous étiez ; vous devenez libéral, vous avez guéri une main desséchée qui ne pouvait s’étendre pour donner l’aumône. Si vous renoncez au théâtre, pour venir dans nos églises, vous avez guéri un boiteux, et vous l’avez fait marcher droit. Si vous éloignez vos yeux de la courtisane et de la femme d’autrui pour n’avoir plus à l’avenir que des regards chastes vous aurez rendu la vue à un aveugle. Si vous détestez ces chansons diaboliques pour ne chanter à l’avenir que nos cantiques spirituels, vous aurez fait parler un muet. Voilà les merveilles qui sont véritablement estimables. Voilà les miracles que je vous souhaite. En faisant ces œuvres saintes et miraculeuses, nous deviendrons grands nous-mêmes, et nous servirons aux autres par notre exempté, nous les ferons passer d’une vie mauvaise à une vie sainte, et nous nous ouvrirons ainsi l’entrée du ciel, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire, et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXXIII
« JE VOUS ENVOIE COMME DES BREBIS AU MILIEU DES LOUPsa. SOYEZ DONC PRUDENTS COMME DES SERPENTS ET SIMPLES COMME DES COLOMBES. » (CHAP. 10,16 JUSQU’AU VERSET 25) ANALYSE.
- 1. Les brebis du Christ vainquent les loups qui sont partout dans le monde.
- 2. Unir la simplicité et la patience. C’est la patience qui seule fait des chrétiens.
- 3. Constance et fermeté des apôtres.
- 4. Que les philosophes les plus fameux sont loin d’égaler les. Apôtres.
- 5. Ferveur initiale et persévérance finale.
- 6 et 7. Que la souffrance des premiers chrétiens devrait confondre notre mollesse. Qu’il faut se préparer aux grands maux par les petits. Vertu de Job égale à celle des apôtres.
1. Nous avons vu, mes frères, que Jésus-Christ a assuré ses disciples qu’ils ne manqueraient de rien ; qu’il leur a ouvert les maisons de tous les fidèles ; qu’il leur a prescrit même avec combien de modération et de retenue ils y devaient entrer, non comme des vagabonds et des mendiants, mais comme des hommes graves qui venaient obliger ceux qui les recevaient et qui étaient même fort au-dessus d’eux ; c’est en effet ce qui découle comme conséquence de ce qu’il a dit : « Que celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse ; » de ce qu’il leur a commandé de s’informer de ceux qui seraient dignes d’être honorés de leur visite, de demeurer chez eux, et de les saluer en entrant ; de ce qu’il prononce de terribles menaces contre ceux qui ne les recevraient pas. Après donc que le Sauveur a délivré ses apôtres de tous ces soins, qu’il les a comme armés de la puissance de faire des miracles, et que par ce dégagement même de tous les embarras de la vie, il les a rendus fermes comme le fer et le diamant, il leur prédit enfin les maux qui leur allaient arriver : et non seulement ceux dont ils étaient bientôt menacés, mais encore ceux qui leur arriveraient durant tout le cours de leur vie, pour les former de bonne heure à cette guerre si difficile et si dangereuse qu’ils allaient entreprendre contre les démons. Ces prédictions leur étaient extrêmement utiles. Car premièrement elles faisaient voir la toute-puissance de Celui à qui l’avenir était présent. Secondement elles empêchaient qu’on ne pût attribuer les maux que souffriraient les apôtres à la faiblesse et à l’impuissance de leur Maître. En troisième lieu, elles prévenaient les troubles où ils auraient pu tomber, s’ils avaient été surpris de ces afflictions contre leur attente. Et enfin elles les disposaient à ne pas s’étonner lorsque Jésus-Christ leur prédirait sa mort, quand il serait sur le point de la souffrir. Car ils furent étonnés alors, et Jésus-Christ même leur fait ce reproche « Parce que je vous ai dit, ces choses, la tristesse a rempli votre cœur, et personne de vous ne me demande : où allez-vous ? » (Jn 16,3) Il ne leur parle point encore ici de lui-même. Il ne leur dit point qu’il serait lié, qu’il serait flagellé, et qu’il serait attaché en croix : ce qui sans doute les aurait extraordinairement troublés, mais il leur prédit seulement les maux qui leur devaient arriver. Il leur fait voir ensuite combien la guerre à laquelle il les destinait était nouvelle, et comme la manière même de combattre serait tout à fait extraordinaire il leur avait déjà dit qu’il les envoyait sans armes, n’ayant qu’une robe, sans souliers, sans bâton, sans bourse, sans vivres, et leur commandant de manger chez ceux qui les recevraient. Mais il va encore plus loin, et pour leur montrer son ineffable puissance, il dit : allez ainsi et néanmoins montrez-vous doux comme des brebis, et cela lorsque c’est contre des loups que je vous envoie, et non seulement contre des loups mais au milieu des loups. Outre la douceur des agneaux, il leur commande encore d’avoir la simplicité de la colombe. C’est ainsi, leur dit-il, que je signalerai ma toute-puissance, lorsque les agneaux se trouvant au milieu des loups, et étant déchirés par leurs morsures cruelles, non seulement les agneaux ne céderont pas aux loups, mais qu’ils changeront même les loups en agneaux. Il est sans doute bien plus admirable de transformer son ennemi en un autre homme que de le vaincre ; et de lui changer l’esprit et le cœur, que de lui ôter la vie. Mais ce qui est encore plus étrange, c’est qu’il n’envoie que douze agneaux pour s’assujettir toute la terre qui était pleine de loups. Rougissons donc, nous autres, qui faisons maintenant tout le contraire de ce que Jésus-Christ ordonne aux apôtres, et qui combattons nos ennemis non comme des agneaux, mais comme des loups. Tant que nous demeurerons agneaux, nous serons vainqueurs ; mais si nous devenons des loups, nous serons vaincus, parce que nous serons abandonnés de ce pasteur souverain qui paît des agneaux et non pas des loups. Il se retire de vous alors, et il vous abandonne ; parce que vous l’empêchez de faire éclater en vous sa toute-puissance. Car lorsqu’en souffrant beaucoup de vos ennemis vous ne témoignez contre eux aucune aigreur, à lui est attribué tout l’honneur de la victoire. Mais si vous vous élevez contre eux, et si vous les attaquez, vous obscurcissez l’éclat de son triomphe. Mais je vous prie de considérer ici quels sont ceux à qui Jésus-Christ prédit des choses si capables de les remplir de frayeur. Ce sont des hommes timides, ignorants, grossiers, sans lettres, sans aucune connaissance des lois et du barreau, enfin des pêcheurs et des publicains, en qui il n’y a rien que de bas, puisque tout conspire à leur abaisser l’esprit et le cœur. Si des choses si grandes et si difficiles auraient pu étonner les cœurs les plus haut placés, et ébranler les courages les plus fermes, comment des hommes sans expérience, qui n’avaient jamais pensé à rien de grand, ont-ils pu les entendre sans être abattus et atterrés ? Et cependant ils ne le furent pas. Il n’y a rien d’étonnant à cela, dira quelqu’un, puisque Jésus-Christ leur avait donné la puissance de guérir les lépreux et de chasser les démons. Et moi je réponds au contraire que c’est ce qui les devait troubler davantage, qu’en ressuscitant les morts et faisant tant de miracles ils dussent souffrir néanmoins des maux si épouvantables, endurer les prisons et les chaînes, être traînés devant les tribunaux, enfin être en butte aux attaques de tous et devenir l’horreur du genre humain. Rien n’était plus capable de les étonner, que cette alliance incompréhensible des plus grands maux avec les miracles. 2. Que leur reste-t-il donc pour les consoler, sinon la puissance de Celui qui les envoie ? C’est pourquoi il dit dès l’entrée de ce discours : « Je vous envoie. » Cela seul suffit pour vous consoler : cela seul suffit pour vous donner du courage, et pour vous empêcher de craindre ceux qui vous attaqueront. Qui admirera cette autorité, cette puissance, cette force à qui rien n’est difficile ? Il semble qu’il leur dise : Ne vous troublez point de ce que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, et de ce que je vous commande d’être simples comme des colombes. Il me serait aisé de choisir une autre conduite. Je pourrais bien vous dispenser si je le voulais de tous les maux que je vous prédis. Je pourrais bien empêcher que vous ne fussiez exposés à vos ennemis comme des agneaux à des loups, et vous rendre au contraire plus terribles que des lions. Mais il est mieux que je me conduise de la sorte, puisque ma puissance et votre vertu en paraîtront davantage. C’est ce qu’il dit lui-même ensuite à saint Paul : « Ma grâce vous suffit, parce que ma force se perfectionne dans l’infirmité. » (2Co 12,9) C’est donc moi, leur dit-il, qui ai voulu vous rendre ainsi doux comme des agneaux. Car lorsqu’il leur dit : je vous envoie comme des brebis, il leur donne ceci à entendre : ne vous laissez point abattre, car je sais, je sais très certainement que c’est principalement par cette douceur que vous serez invincibles à tous les efforts de vos ennemis. Et voulant ensuite que ses apôtres fissent tout ce qui dépendait d’eux-mêmes sans se négliger, comme si tout devait venir de la grâce, ou qu’on pût recevoir la couronne sans : l’avoir justement méritée, il ajoute : « Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes (16) » Mais quel avantage tirerons-nous de toute « notre prudence » parmi de si grands périls ? Comment pourrons-nous appliquer notre raison et notre jugement au milieu de ces tempêtes ? De quoi servira à l’agneau toute sa sagesse, lorsqu’il est environné de loups et de loups si furieux ? De quoi servira à la colombe d’être simple, lorsqu’elle est assaillie de tant de vautours ? Il est vrai que cela est inutile dans ces animaux ; mais vous en retirerez vous autres de grands avantages. Il veut que la prudence qu’il demande de ses apôtres soit une « prudence de serpent. » Car, comme le serpent abandonne tout son corps pour conserver sa tête, ainsi abandonnez tous vos biens, votre corps et votre vie même s’il est besoin, pour conserver votre foi. Elle est votre tête, elle est votre racine. Conservez-la seule, et quand vous auriez tout perdu, tout refleurira avec plus d’abondance, et vous recouvrerez tout avec plus de gloire. C’est pourquoi il ne leur commande point séparément ou d’être simples, ou d’être prudents, mais il allie ensemble ces deux qualités, afin qu’unies l’une à l’autre, elles deviennent des vertus. Il demande une prudence de serpent, afin que pour sauver votre tête vous exposiez tout le reste ; et une simplicité de colombe, afin que vous ne vous vengiez point de ceux qui vous font injure, et que vous ne désiriez point la punition de ceux qui vous dressent des pièges pour vous perdre. Car toute la prudence du serpent serait inutile, si elle n’était accompagnée de cette douceur de la colombe. Quelqu’un me dira peut-être : Qu’y a-t-il de plus pénible que ce précepte ? Ne suffit-il pas de souffrir tout le mal qu’on veut nous faire ? Non, répond Jésus-Christ. Cela ne vous suffit pas, mais je vous défends encore d’eu ressentir la moindre aigreur. Et c’est en cela que je veux que vous ayez la simplicité de la colombe. N’est-ce pas, mes frères, la même chose que si quelqu’un jetant un roseau dans le feu, non seulement lui défendait de brûler ; mais lui commandait même d’éteindre le feu ? Cependant ne nous troublons point. L’événement a justifié la sagesse de ce précepte. On l’a vu accompli parfaitement. Les apôtres ont effectivement été sages comme des serpents et simples comme des colombes, non en changeant de nature, mais en demeurant toujours des hommes semblables à nous. Que personne donc ne croie que ces commandements de Jésus-Christ soient impossibles. Personne ne connaît mieux le véritable état des choses que celui-là même qui donne ces lois. Il sait parfaitement que l’audace ne s’abat point par l’audace, et qu’elle ne cède qu’à la douceur. Si vous désirez de savoir comment ce précepte a été accompli, lisez les Actes des apôtres. Vous y verrez combien de fois, lorsque le peuple juif se levait furieux contre les apôtres, et qu’il aiguisait déjà ses dents comme une bête fauve, ils se sont sauvés de sa rage en imitant la douceur de la colombe ; vous verrez que c’est en répondant avec une grande modération, qu’ils ont apaisé la colère, éteint la fureur, arrêté l’emportement. Lorsque les Juifs leur dirent : « Ne vous avons-nous pas commandé très expressément de ne point parler au peuple, et de ne le point enseigner en ce nom (Act. 4) ? » au lieu qu’ils pouvaient se justifier par une infinité de miracles, ils ne font et ne disent rien qui puisse témoigner la moindre aigreur, mais ils répondent avec une souveraine modération : « Jugez vous-mêmes s’il est juste que nous vous écoutions plutôt que Dieu. » Vous voyez dans ces paroles la douceur et la simplicité de la colombe, voyez maintenant la prudence du serpent : « Car nous ne pouvons pas ne point dire ce que nous avons vu et ce que nous avons entendu. » Considérez donc, mes frères, combien nous devons être sur nos gardes, afin que d’un côté nous ne soyons point abattus par les dangers, et que de l’autre nous ne, soyons point emportés par la colère. C’est dans cette vue que Jésus-Christ leur dit : « Mais donnez-vous de garde des hommes, car ils vous feront comparaître devant l’assemblée de leurs magistrats et ils vous feront fouetter dans leurs synagogues (17). Et vous serez menés à cause de moi devant les gouverneurs et devant les rois ; afin que ce leur soit un témoignage tant à eux qu’aux gentils (18). » Il les avertit encore ici d’être sur leurs gardes et de se préparer à tout, en ne leur promettant que des maux, et permettant aux hommes de les affliger pour nous apprendre qu’on ne peut vaincre qu’en souffrant, et que c’est la patience qui nous couronne. Il ne leur dit point : « Combattez contre eux et résistez à ceux qui vous attaqueront ». Il leur prédit seulement qu’ils souffriront les dernières extrémités. 3. Qui peut assez admirer d’un côté la puissance du Maître qui parle et de l’autre la vertu des disciples qui l’écoutent ? Car ne doit-on pas s’étonner comment de pauvres gens accoutumés à la pêche, et qui ne connaissaient que leurs filets et le lac où ils pêchaient, ne se sont pas retirés aussitôt qu’ils ont entendu ces paroles, comme ils n’ont point dit en eux-mêmes : De quel côté fuirons-nous à l’avenir ? Tous les tribunaux sont déclarés contre nous, tous les souverains nous persécutent, les princes des prêtres sont nos ennemis, les synagogues nous haïssent. Les juifs et les gentils, les princes et les peuples sont unis et conspirent tous ensemble contre nous. Vous ne nous parlez plus seulement de la Judée. Vous nous dites que nous serons menés « devant les gouverneurs et devant les rois. » Ainsi vous nous faites voir tout un monde armé contre nous, les peuples, les magistrats et les souverains. Vous dites même, ce qui est encore plus horrible, que notre doctrine fera massacrer les frères par les frères, les fils par les pères, les pères par les fils dans tous les lieux de la terre. « Le frère, dites-vous, livrera son frère à la mort, et le père son fils, les enfants se soulèveront contre leurs pères et leurs mères, et les feront mourir. » Comment donc pourra-t-on croire ce que nous dirons, si l’on voit que nous sommes cause que le frère tue son propre frère, le père son fils et le fils son père, et que toute la terre soit remplie de meurtres et de parricides ? Ne nous chassera-t-on pas comme de mauvais démons, comme des corrupteurs des hommes, comme des pestes publiques, lorsqu’on verra les familles divisées, la tendresse la plus naturelle changée en haine et les plus proches s’entre-tuer les uns les autres ? Est-ce ainsi que nous devons donner la paix à ceux qui nous recevront dans leurs maisons, auxquels, au contraire, nous ne devons apporter que la guerre, le sang et le meurtre ? Quand nous serions un grand nombre au lieu que nous ne sommes que douze ; quand nous serions savants et éloquents au lieu que nous sommes ignorants et grossiers ; enflez quand nous serions rois au lieu de pauvres que nous sommes, et que nous aurions des richesses immenses et de puissantes armées, nous ne pourrions néanmoins jamais persuader aux hommes de recevoir une doctrine qui doit produire parmi eux des guerres domestiques et civiles, et plus que civiles. Enfin, quand nous mépriserions notre propre vie comme vous nous le commandez, que gagnerions-nous après tout cela, pour acquérir quelque créance dans l’esprit des hommes ? Les apôtres ne pensent et ne disent rien de semblable. Ils ne pénètrent point trop curieusement dans les ordres qu’on leur prescrit, et ils n’en demandent point les raisons. Ils se rendent simplement à ce qu’on leur ordonne, et obéissent à ce qu’on leur commande. Et cette soumission était une preuve non seulement de la vertu des disciples, mais encore plus de la sagesse du Maître. Car je vous prie de considérer comme il apporte à chacun de ces maux le remède et la consolation qui lui était propre. Il dit d’abord contre ceux qui ne les recevraient pas, « que le peuple de Sodome et de Gomorrhe endurerait des maux plus supportables que la ville qui les rejetterait. »Après qu’il leur a dit « qu’ils seraient menés devant les tribunaux des juges et devant les rois », il ajoute aussitôt : « à cause de moi, pour leur être en témoignage ainsi qu’aux gentils. » Voilà une grande consolation, de souffrir pour Jésus-Christ et pour servir de témoignage à l’égard de ceux même qui nous font souffrir. Car lorsque Dieu a entrepris une chose, il la fait réussir infailliblement, et il l’exécute lui-même, quoique par des voies inconnues à tous les hommes. Ces paroles consolaient les apôtres, non parce qu’ils désiraient de voir leurs ennemis punis, mais parce qu’elles leur donnaient la confiance de trouver Dieu présent partout, lui qui savait tout et qui leur avait tout prédit, et en même temps, parce qu’ils souffraient comme des ministres de Dieu, et non comme des méchants et des criminels. Ce qu’il leur dit ensuite est encore un sujet de grande consolation. « Lorsqu’ils vous livreront aux juges, ne vous mettez point en peine comment vous leur parlerez ni de ce que vous leur devez dire. Car ce que vous leur devez dire vous sera donné à l’heure même (19). Ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre père qui parle en vous (20). » Il veut leur ôter tout sujet de dire : Comment pourrons-nous leur persuader ce que nous leur prêcherons, lorsque notre doctrine produira de si étranges effets ? C’est pourquoi il leur ordonne d’attendre de lui ce qu’ils devront répondre pour se défendre. Il leur dit ailleurs : « Je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront contredire ni résister. » (Luc 21,15) Et il dit ici : « C’est l’Esprit de votre père qui parle en vous : » les égalant ainsi aux prophètes qui parlaient par l’Esprit de Dieu. Ce n’est qu’après leur avoir marqué la force invincible qui leur serait donnée, qu’il leur parle de meurtres et de massacres. « Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils ; les enfants se soulèveront contre leurs pères et leurs mères et ils les feront mourir (21). » Il ne s’arrête pas même à cela. Il dit des choses plus horribles, qui pouvaient ébranler des cœurs de marbre et de diamant. « Vous serez », dit-il, « haïs de tous les hommes », à quoi il joint aussitôt la consolation, lorsqu’il ajoute ces paroles : « à cause de mon nom ; » et ces autres : « Celui-là sera sauvé qui persévérera jusqu’à la fin (22). » D’ailleurs rien n’était si propre à les consoler que de savoir que leur prédication serait si puissante qu’elle rendrait les hommes capables de rompre toutes les liaisons de la parenté et du sang, et de mépriser tout ce qu’il y a de plus aimable ou de plus redoutable dans la vie. C’est comme si Jésus-Christ leur disait : Qui pourra vous vaincre si vous surmontez la nature même et si elle est contrainte de céder à la vertu de vos paroles, quelque absolue qu’elle soit d’ailleurs sur l’esprit des hommes ? Cependant n’espérez pas pour cela que votre vie en soit plus tranquille et plus assurée. Vous aurez pour ennemis tous les hommes, et vous serez comme en butte à la haine et à l’aversion de toute la terre. 4. Où est maintenant ce Platon si célèbre parmi les païens ? où est ce Pythagore ? où sont tous les stoïciens ensemble ? N’est-il pas certain que si Platon s’est acquis une grande réputation, il a néanmoins été méprisé de telle sorte qu’il a même été vendu sans qu’il ait jamais pu persuader ses sentiments à un seul tyran ? Quant à l’autre, tout le monde sait qu’après avoir trahi ses disciples il finit misérablement sa vie. Et les ordures des cyniques se sont évanouies il y a longtemps comme des songes et comme des fables. Cependant ces philosophes n’ont point été haïs comme le Fils de Dieu le prédit à ses apôtres. Ils ont été au contraire très-estimés pour leur éloquence, au point que les Athéniens exposèrent en public les lettres de Platon envoyées par Dion. Quelques-uns d’entre eux ont vécu dans la mollesse et dans les délices, et ont possédé de grandes richesses. On rapporte d’Aristippe qu’il a eu des prostituées qu’il avait achetées à grand prix. Un autre fit un testament par lequel il laissa de grandes sommes à ses héritiers. Un autre était si superbe qu’il se faisait comme un pont de ses disciples et marchait sur eux. On écrit de Diogène qu’il commettait des infamies en pleine place publique. Voilà donc les actions d’éclat de ces grands esprits. On ne voit rien de semblable dans les apôtres. Toute leur conduite a été modeste, et toutes leurs actions ont été réglées ils ne sont pas tombés dans le vice, ils lui ont déclaré une guerre mortelle. Ils ont entrepris d’établir dans toute la terre le règne de la vérité et de la piété, et lorsqu’on les a tourmentés et tués cruellement, ils ont vaincu et ils ont triomphé dans la mort même. Vous me direz peut-être qu’on a vu aussi parmi ces anciens de grands courages et des capitaines illustres comme Thémistocle et Périclès. Mais si vous comparez ce qu’ils ont fait avec ce que des pêcheurs ont accompli parmi nous, vous verrez que ces grandes actions de ces sages de la Grèce n’ont été que des jeux d’enfants. Car en quoi consiste la grandeur de Thémistocle ? Est-ce en ce qu’il a persuadé aux Athéniens de monter sur leurs vaisseaux, lorsque Xerxès entrait dans la Grèce avec une puissante armée ? Mais nous ne voyons plus ici une armée de Perses qui attaque les Grecs. Nous voyons le diable même, qui vient avec tous les hommes de la terre et tous les dénions de l’enfer attaquer douze pêcheurs et leur faire une guerre mortelle, non pas durant quelque temps, mais pendant toute leur vie. Cependant ces douze hommes ont soutenu ces efforts, et sont demeurés vainqueurs, non en tuant leurs ennemis, mais, ce qui est plus admirable, en les convertissant et en leur faisant changer de vie. Car il ne faut pas oublier que les apôtres ne se sont pas défaits de leurs ennemis par la force et par la violence, mais qu’ils les ont transformés heureusement, et que des démons ils ont fait des anges. Ils ont tiré la nature humaine des chaînes du démon, de cette servitude si honteuse et si misérable, et ils ont chassé ces tyrans et ces séducteurs des âmes non seulement des maisons et des villes, mais des autres déserts les plus reculés. On voit la vérité de ce que je dis par ces troupes de moines et de solitaires dont ils ont peuplé toutes les solitudes du monde, purifiant par la force de leur prédication, non seulement toute la terre habitable, mais encore jusqu’aux déserts eux-mêmes. Et ce qui est plus admirable, c’est que pour accomplir ces grandes actions, ils n’ont eu besoin ni d’armes, ni de corps d’armées, mais qu’ils sont venus à bout de tout par leurs travaux et par leurs souffrances ! Les villes, les synagogues et les rois avaient au milieu d’eux douze hommes pauvres et grossiers qu’ils tenaient dans les prisons, qu’ils chargeaient de chaînes, qu’ils déchiraient par les fouets et par mille autres tourments, qu’ils faisaient errer de ville en ville, et de province en province ; et cependant ils ne pouvaient leur fermer la bouche. Il leur était aussi impossible de lier leur langue qu’il le serait de lier les rayons du soleil. Et nous ne devons pas nous en étonner, parce qu’un si grand miracle n’était point l’ouvrage de ceux qui parlaient, mais du Saint-Esprit qui parlait par eux. Ce fut par cette force invisible que saint Paul vainquit Agrippa, et Néron même, le plus méchant de tous les hommes. « Le « Seigneur », dit-il, « m’a secouru de sa présence, il m’a fortifié, et m’a délivré de la gueule du lion. » (2Ti 4,16) Mais admirez comment, après avoir entendu ces paroles : « Ne vous mettez en peine de rien », ils les pratiquent en effet, sans se laisser ébranler par tout ce qu’il y a de plus terrible. Que si vous dites qu’ils ont été assez fortifiés par cette parole « L’Esprit de votre Père parlera en vous », je dis au contraire que ce qui m’étonne davantage, c’est que, loin de chanceler dans leur résolution, ils n’ont pas même désiré d’être délivrés de tant de maux, dont ils se voyaient menacés non pas durant un an ou deux ans, mais pendant toute leur vie. Car c’est le sens de cette parole : « Celui-là sera sauvé, qui persévérera jusqu’à la fin. » Il ne veut pas que sa grâce fasse tellement tout dans eux, qu’ils n’y contribuent en rien de leur part. Il y a des choses qui viennent de lui seul, et d’autres qui viennent aussi des apôtres. Les miracles étaient de lui seul ; le renoncement à tous les biens était aussi des apôtres. Cette entrée libre dans toutes les maisons des chrétiens venait de Dieu seul ; mais cette retenue qui les bornait au seul nécessaire venait aussi d’eux : « Car celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse. » La puissance de donner la paix en entrant était une grâce de Dieu seul, mais le soin de ne chercher que ceux qui en étaient dignes, et dé n’aller pas indifféremment chez tout le monde, était l’effet de leur sagesse. La punition de ceux qui ne les recevaient pas, était de Dieu seul, mais la douceur qu’ils témoignaient dans ces rencontres, en se retirant sans aigreur et sans reproches, était des apôtres. C’était Dieu qui leur donnait le Saint-Esprit, et qui les empêchait de se mettre en peine de ce qu’ils devraient dire, mais c’était par leur constance et par leur sagesse qu’ils enduraient tout avec courage, et qu’ils étaient doux comme des brebis et simples comme des colombes. C’était par leur force qu’ils voyaient sans s’abattre cette haine que tous les hommes avaient pour eux ; mais c’était la grâce de Celui qui les envoyait qui les faisait persévérer, et qui les sauvait. C’est pour ce sujet qu’il disait : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. » Comme plusieurs ont coutume de commencer d’abord avec ferveur et avec zèle, et de se relâcher ensuite, je vous avertis, leur dit-il, que je considère principalement la fin. Que sert-il que les grains fleurissent d’abord, s’ils sèchent aussitôt après ? 5. Il veut donc que ses apôtres aient une patience persévérante pour empêcher qu’on ne crût que Dieu faisait tout dans les apôtres, sans qu’ils y eussent aucune part, et qu’on ne devait pas beaucoup admirer leur courage, puisqu’ils n’auraient rien de bien pénible à souffrir. Il leur dit clairement qu’ils auraient besoin de patience : Quand je vous délivrerai d’un péril, ce sera pour vous laisser tomber dans un autre. Vous passerez d’un moindre dans un plus grand, et la fin de tous vos travaux sera la perte de votre vie. C’est ce qu’il leur promet par ces paroles : « Celui-là sera sauvé qui persévérera jusqu’à la fin. » C’est pourquoi leur ayant dit ici : « Ne soyez point en peine de ce que vous répondrez », il dit ailleurs : « Soyez prêts à répondre à toutes sortes de personnes qui vous demanderont compte de votre foi. » Quand nous n’avons à disputer qu’avec nos amis, il semble qu’il nous laisse à nous, et qu’il veut que nous nous mettions nous-mêmes en peine de ce que nous devons dire. Mais quand nous sommes devant le tribunal d’un juge sévère, environnés d’une populace furieuse, et que tout est capable de nous frapper de terreur, il nous assiste alors de sa force, pour nous rendre fermes de cœur et, d’esprit, et pour nous faire répondre avec hardiesse, sans blesser en rien ni la vérité ni la justice. Car représentez-vous, je vous prie, un homme qui ne s’est occupé toute sa vie que de pêche, ou de cuirs, que de banque, et qui paraît tout d’un coup devant des rois assis dans leurs trônes, environnés de grands officiers, de gardes et d’épées nues et d’une foule innombrable de peuple, et qui entre seul devant tout ce monde, ayant les mains liées et les yeux baissés vers la terre ; croyez-vous qu’un homme en cet état aurait eu seulement la hardiesse d’ouvrir la bouche, et de dire une parole ? On ne pouvait même souffrir qu’ils parlassent pour se justifier, et pour défendre la vérité de leur doctrine, mais on les regardait comme des corrupteurs et des perturbateurs de toute la terre, qu’il fallait exterminer et condamner aux plus effroyables supplices : « Voilà », disaient-ils, « ces gens qui troublent toute la terre (Act 16) », ces séditieux « qui osent parler contre les édits de César, en appelant Jésus-Christ roi. » (Id 17) Ainsi les juges étaient prévenus contre eux par ces fausses impressions, et il était besoin d’avoir une force et une lumière toute divine, pour persuader ces deux choses : l’une que la doctrine qu’ils prêchaient était vraie ; et l’autre qu’elle n’était point contraire aux lois civiles et aux intérêts de l’État. Car si, d’une part, ils soutenaient la vérité qu’ils prêchaient, ou les accusait de renverser les lois de l’État ; et si de l’autre, ils se mettaient en peine de prouver qu’ils n’étaient point contraires au bien des États, ils étaient en danger d’affaiblir en quelque chose la vérité et la sainteté de l’Évangile. Cependant nous savons avec quelle sagesse saint Pierre et saint Paul, et tous les autres apôtres se sont conduits dans de semblables rencontres. On les accusait partout comme des factieux, comme des gens qui voulaient introduire des nouveautés par des intrigues et par des cabales, et néanmoins non seulement ils se sont purgés de toutes ces fausses accusations, mais ils ont même donné des impressions toutes différentes de leur conduite, et tout le monde a reconnu qu’ils étaient les sauveurs de la terre, les bienfaiteurs et les pères communs de tous les hommes. Et ils se sont acquis cette réputation par leurs longs travaux, et par une extrême patience. C’est pourquoi saint Paul disait de lui-même qu’il mourait chaque jour : « Je meurs tous les jours », dit-il, et ainsi sa vie n’a été qu’une souffrance et une mort continuelle. Après cela, mes frères, comment pouvons-nous nous excuser d’avoir de si grands exemples et de vivre dans une mollesse criminelle, lorsqu’il nous serait si aisé de servir Dieu dans la paix de son Église ? Nous nous laissons tuer sans que personne nous fasse la guerre. Nous mourons sans qu’aucun ennemi nous persécute. Dieu nous commande de nous sauver, nous sommes en pleine paix, et nous ne le pouvons faire. Les apôtres voyant toute la terre en feu, se jetaient au milieu des flammes, et en retiraient tous ceux qui brûlaient. Nous sommes, nous autres, dans le plus grand calme du monde, et nous ne pouvons nous sauver nous-mêmes. Après cela quelle excuse nous restera-t-il ? Nous ne sommes plus menacés ni de prisons ni de chaînes. On ne parle plus ni de fouets ni de tortures.. Les princes et les synagogues ne fulminent plus, d’arrêts contre nous. Tout est changé maintenant. Nous dominons et nous régnons, puisque nous avons des princes fidèles et religieux. Le nom chrétien est en vénération et en honneur, et ceux qui en font profession sont dans les magistratures et dans lés premières charges ; et cependant nous nous laissons vaincre au milieu de cette paix. Les apôtres et leurs disciples, alors battus de verges et tourmentés de mille manières, faisaient leurs délices de leurs tourments ; et nous qui ne souffrons pas aujourd’hui le, moindre mal, nous sommes plus mous que de la cire. Mais, me direz-vous, les apôtres faisaient des miracles ? Mais leurs miracles les empêchaient-ils de souffrir les fouets, les prisons et les bannissements ? Et ce qu’il y a d’étrange, c’est précisément qu’ils étaient si cruellement traités par ceux qui recevaient leurs bienfaits, et qu’ils ne se troublaient point de cette ingratitude et qu’ils recevaient sans s’étonner de si grands maux au lieu des grands biens qu’ils avaient faits. Vous au contraire, si vous avez rendu à quelqu’un le moindre service, et qu’ensuite il vous désoblige en quelque chose, vous entrez dans le trouble, vous avez l’esprit aigri et agité, et vous vous repentez du bien que vous lui avez fait. 6. Que serait-ce s’il arrivait, ce que je prie Dieu de ne pas permettre ; que serait-ce, dis-je, s’il arrivait quelque persécution dans l’Église ? Quel désordre ne verrait-on pas, et à quelle confusion ne serions-nous pas exposés ? Car où est le fidèle qui pourrait combattre, puisque personne ne s’exerce avant le combat ? Quel est l’athlète qui puisse vaincre son adversaire, et remporter le prix aux jeux olympiques, si dès sa jeunesse il ne s’est formé dans l’art de la lutte ? Ne devrions-nous pas courir tous les jours dans la carrière de la foi et combattre tous les jours ? Ne voyez-vous pas que les athlètes qui n’ont pas d’antagonistes se servent d’un sac plein de sable, pour faire ainsi l’essai de leurs forces, et que les plus jeunes d’entre eux s’exercent contre d’autres plus robustes pour se préparer à un combat véritable ? Imitez-les, vous qui êtes les athlètes de Jésus-Christ. Exercez-vous dans les combats de la piété et de la sagesse. Nous trouvons tous les jours des personnes qui nous portent à l’aigreur et à la colère, et qui allument en nous le feu de nos passions. Résistez à ces ennemis invisibles, supportez ces peines de l’âme, pour vous rendre plus supportables celles du corps. Si le bienheureux Job ne se fût ainsi exercé avant le combat, il n’eût jamais témoigné dans l’occasion une patience si inimitable. S’il ne se fût longtemps étudié à étouffer tous les murmures et les ressentiments de son cœur il eût sans doute dit quelque parole déréglée, lorsqu’il se vit tout d’un coup accablé de tant de maux. Mais parce qu’il s’était acquis une grande force en s’accoutumant à tout souffrir, il ne put être abattu ni par la perte de tous ses biens, ni par la mort si soudaine de tous ses enfants, ni par la fausse compassion de sa femme, ni par les plaies horribles de tout son corps, ni par les reproches de ses amis, ni par les insultes de ses domestiques. Que si vous désirez de savoir quels furent les exercices par lesquels il se prépara à ce grand combat, écoutez jusqu’à quel point il témoigne lui-même qu’il méprisait les richesses. « Vous savez, Seigneur », dit-il à Dieu, « si je me suis réjoui d’avoir de grands biens, si j’ai regardé l’or comme mon appui, et si j’ai mis ma confiance dans les pierres précieuses. » (Job 31,25) Ainsi il ne se troubla point d’être devenu pauvre, parce qu’il n’avait point eu de joie de se voir si riche. Considérez aussi de quelle manière il gouvernait ses enfants. Sa conduite envers eux n’était point molle et relâchée comme la nôtre ; niais pleine de vigilance et d’une sage sévérité. Car s’il avait tant de soin d’offrir à Dieu des victimes pour leurs fautes secrètes, avec quel zèle les a-t-il dû reprendre pour celles qui étaient visibles ? Si vous voulez voir encore comment il s’exerçait à la continence, voyez ce qu’il dit : « J’ai fait un pacte avec mes yeux, pour n’avoir pas seulement une pensée d’une vierge. » (Job 31,1) Nous voyons aussi que sa femme ne put abattre son grand courage, parce qu’il ne l’aimait que comme un homme sage doit aimer sa femme. C’est pourquoi j’ai admiré souvent en moi-même comment le démon osa tenter ce saint homme, et comment il entreprit même de le vaincre, lui qui savait que par un long exercice il s’était élevé jusqu’au comble de la vertu. Mais le démon est comme une bête cruelle. Il est toujours altéré de sang. Il ne se rebute point, et il ne désespère jamais de nous perdre. Son opiniâtreté est la condamnation dé notre mollesse, puisqu’il ne désespère jamais de nous perdre, au lieu que nous désespérons au contraire si aisément de nous sauver. Mais considérez encore comment ce saint homme se préparait aux maux du corps et aux plaies horribles dont il fut frappé. Comme il n’avait rien à souffrir en lui-même, parce qu’il vivait dans les richesses, dans l’abondance de toutes choses et dans la magnificence, il arrêtait ses yeux sur les misères des autres. Et c’est ce qui lui fait dire : « Le mal que je craignais m’est arrivé, et les afflictions que je considérais avec frayeur sont tombées sur moi. » Et ailleurs : « J’ai répandu des larmes sur toutes les personnes affligées, et j’ai soupiré quand j’ai vu un homme dans la misère. » (Job 3,25) C’est là ce qui l’a rendu invincible dans sa douleur et invulnérable à tous les traits du démon. Car il ne faut pas seulement compter parmi ses maux la perte de ses biens, la mort de ses enfants, les plaintes empoisonnées de sa femme et les plaies incurables de tout son corps. Il faut jeter les yeux sur d’autres encore beaucoup plus sensibles. Cela vous surprend sans doute, et vous demandez en vous-même ce que Job a souffert de plus grand et de plus sensible que ce que nous venons de dire, puisque c’est tout ce que l’Écriture nous en rapporte. Je ne m’étonne pas de votre doute. Je sais avec quelle négligence vous lisez l’Écriture, et ainsi je ne m’étonne pas que vous y remarquiez si peu de chose. Mais ceux qui pèsent la parole de Dieu comme l’or et qui savent le prix de ces perles spirituelles, y trouvent bien dans cette histoire d’autres sujets de douleur pour ce saint homme. Ils considèrent premièrement qu’il n’avait pas encore une connaissance bien claire du royaume du ciel et de la résurrection des hommes. C’est ce qui lui faisait dire : « Je n’ai point à vivre éternellement, pour ne me lasser point dans ma patience. » (Id. 7) Secondement, qu’il se voyait accablé de maux, après le grand nombre d’actions saintes qu’il avait faites. Troisièmement, qu’il ne se sentait coupable d’aucun crime. En quatrième lieu, qu’il croyait que Dieu était l’auteur des maux qu’il souffrait, et que quand même il les eût attribués au démon, c’en était encore assez pour le troubler. Cinquièmement, qu’il voyait que ses amis étaient devenus ses accusateurs et qu’ils lui disaient : « Vous n’avez pas encore souffert autant que vous le méritez. » Sixièmement, qu’il considérait que des hommes plongés dans le vice étaient comblés de biens, et qu’ils lui insultaient dans son malheur. Septièmement, qu’il n’y avait eu encore personne avant lui qui eût souffert de la sorte et dont l’exemple le pût consoler. 7. Pour comprendre combien toutes ces circonstances aggravaient son mal, il n’en faut juger que parce que nous voyons aujourd’hui. Car encore que nous croyions maintenant avec tant d’assurance au royaume des cieux et à la résurrection de la chair ; que nous nous sentions coupables de tant de péchés ; que nous ayons tant de grands exemples et tant de modèles excellents de toutes sortes de vertus ; cependant s’il nous arrive de perdre quelque argent que peut-être nous avions volé, ce seul mal, sans être accompagné ni des reproches d’une femme, ni de la mort d’un enfant, ni des accusations d’un ennemi, ni des insultes d’un domestique, lorsqu’au contraire beaucoup de choses pourraient et devraient l’adoucir, ne laisse pas de nous être insupportable et de nous rendre la vie odieuse. Quelles louanges donc mérite Job. qui, après avoir perdu en un moment ce qu’il avait amassé par un juste travail durant tant d’années, voit comme pleuvoir sur lui les malheurs de toutes parts sans que sa constance soit ébranlée, et sans cesser jamais de rendre à son Créateur les actions de grâces qui lui sont dues ? Car, pour ne point parler de tout le reste, les seules paroles de sa femme n’auraient-elles pas été capables d’ébranler les pierres les plus dures ? Considérez, je vous prie, avec quelle adresse elle tâche de le surprendre. Elle ne se plaint point de la perte de ses biens. Elle ne lui parle point de ses chameaux, de ses brebis et de tout le reste, parce qu’elle savait combien son mari méprisait toutes ces choses. Elle s’arrête à la mort de ses enfants, qui pouvait le plus le toucher. Elle la déplore avec des plaintes excessives ; elle l’exagère autant qu’elle peut. Que si l’on a vu souvent des personnes qui, dans un état très-heureux, n’ont pas laissé de faire de grandes fautes par la persuasion de leurs femmes ; quel courage devait avoir cette âme héroïque, pour repousser sa femme qui venait l’attaquer avec tant d’avantage et pour étouffer en même temps deux passions si fortes, l’amour et la compassion ? il est arrivé souvent que ceux qui avaient résisté à la première de ces passions ont succombé à la seconde. Le patriarche Joseph foula aux pieds l’amour impudique, en repoussant l’Égyptienne avec tous les attraits et tous les artifices dont elle usa ; mais il ne put résister à la compassion ni retenir ses larmes, lorsqu’il vit ses frères qui l’avaient vendu autrefois ; et ne pouvant plus souffrir le déguisement et la feinte, il se fit reconnaître pour ce qu’il était. Lors donc que ce n’est pas un frère qui parle à son frère, mais une femme qui parle à son mari et qui lui dit des choses touchantes, qu’elle est d’ailleurs secondée par la conjoncture du temps, par les plaies, par la douleur et par mille maux de celui à qui elle parle, il est certain qu’à moins d’avoir un cœur plus ferme que le diamant on ne peut pas résister à cette tempête. Permettez-moi, mes frères, de vous déclarer avec liberté ce que je pense de ce saint homme. Je ne dis pas que Job a été plus grand que les apôtres. Mais j’ose dire qu’il leur a été égal. Les apôtres avaient une très-grande consolation que Job n’avait pas. Ils savaient qu’ils souffraient pour Jésus-Christ, ce qui était un si grand soulagement dans leurs maux que Jésus-Christ ne manque jamais de marquer cette circonstance en leur disant : « Vous souffrirez à cause de moi : vous souffrirez pour mon nom. S’ils ont appelé le maître Béelzébub, comment ne traiteront-ils pas de même ses disciples ? » Mais Job ne pouvait pas se consoler par une si haute considération. Il n’avait point reçu comme les apôtres le don de faire des miracles et il n’était point assisté de Dieu si puissamment. Car il n’avait point reçu le Saint-Esprit dans cette plénitude avec laquelle il a depuis été donné à l’Église. Nous devons encore considérer que Job avait été nourri dans une grande délicatesse ; qu’il avait vécu dans les plaisirs et dans la jouissance de toutes sortes de biens ; qu’il était en cela bien différent des apôtres, pêcheurs accoutumés à une vie dure et pauvre ; et qu’ainsi il fallait une grande vertu pour passer tout d’un coup du comble des délices dans une extrême misère. Il a souffert aussi comme les apôtres, les injures, les outrages et les insultes ; mais ceux qui le traitaient de la sorte étaient ses propres amis et ses domestiques, car il était également haï de ses ennemis, et de ceux qu’il avait le plus obligés. Mais dans tous ces maux il n’a point eu le bonheur, comme nous l’avons déjà remarqué, d’être soutenu par cette ancre sacrée qui rassurait les apôtres parmi toutes les tempêtes de ce monde, c’est-à-dire de souffrir « pour Jésus-Christ et pour le nom du Sauveur. » J’admire ces trois jeunes hommes de la fournaise, qui résistèrent à ce tyran si redoutable, et qui méprisèrent toute la violence des flammes. Mais considérez aussi ce qu’ils disent à ce roi barbare : « Nous n’adorons point vos dieux, et nous n’adorerons jamais cette idole que vous avez faite. » (Dan 3,7) C’était là leur grande consolation, de savoir qu’ils souffraient pour Dieu tout ce qu’ils souffraient. Job au contraire ne savait pas que tout ce qu’il souffrait venait d’un combat qui se passait dans sa personne entre Dieu et le démon ; et sans doute que s’il l’eût su, cette pensée l’aurait rendu insensible à tous ses maux. C’est pourquoi, aussitôt qu’il eût entendu ces paroles du Seigneur : « Croyez-vous que je vous aie ainsi affligé pour un autre sujet que pour faire connaître et publier votre vertu et votre justice (Job 24,3) ? » vous voyez comme à cette parole, il reprend une nouvelle force, comme il s’anéantit en lui-même, et comment il croit n’avoir pas même souffert ce qu’il a souffert. « Pourquoi », dit-il, « croit-on encore que Dieu m’ait traité de la sorte pour mes péchés, après avoir entendu ces paroles, moi qui ne suis rien ? » (Job 24,13) Et ailleurs : « Je ne pouvais que vous écouter auparavant, mais maintenant mon œil vous a vu. C’est pourquoi je me méprise moi-même, je me fonds et je m’écoule comme l’eau, et je me regarde comme la poussière et la cendre. » (Job 42,5) Imitons, mes frères, ce courage si fort et si humble. Imitons, nous qui ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce, un homme qui vivait avant la loi et avant le temps heureux de la grâce, afin que nous puissions mériter d’entrer un jour comme lui dans les tabernacles éternels où je prie Dieu de nous conduire, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire et l’empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXXIV
« ALORS DONC QU’ILS VOUS PERSÉCUTERONT DANS UNE VILLE, FUYEZ DANS UNE AUTRE. JE VOUS DIS EN VÉRITÉ QUE VOUS N’AUREZ PAS ACHEVÉ DE PARCOURIR TOUTES LES VILLES D’ISRAËL, QUE LE FILS DE L’HOMME NE SOIT VENU. » (CHAP. 10,23, JUSQU’AU VERSET 34) ANALYSE.
- 1. Le Christ propose son exemple à ses apôtres pour leur apprendre à supporter courageusement les injures.
- 2. Si nous le voulons, nous ne serons pas vaincus.
- 3. Celui qui confesse Jésus-Christ, le fait par la force que lui châtiments. Dieu dispense plus volontiers les biens que les châtiments.
- 4. Des maux qui s’ensuivraient si les corps ne se corrompaient point après la mort.
- 5. Rien de plus beau qu’une belle âme.
1. Après tant de prédictions pleines de terreur que Jésus-Christ vient de faire à ses apôtres, prédictions qui pouvaient abattre les cœurs les plus fermes, après ce déluge de maux qui devait fondre sur eux, lorsqu’après être mort sur une croix, leur Maître serait ressuscité et monté au ciel, il passe à des choses moins pénibles et moins dures, pour donner lieu à ses nouveaux soldats de reprendre un peu leurs esprits, et pour les rassurer contre la crainte. Car il ne leur commande pas d’aller attaquer eux-mêmes et d’irriter leurs persécuteurs, mais de les fuir. Comme ils étaient faibles et qu’ils ne faisaient que débuter dans l’apostolat, il use d’une grande condescendance. Il ne leur parle point encore des persécutions qui devaient suivre sa passion, mais seulement de celles qui la devaient précéder. Il marque cela formellement lorsqu’il dit : « Je vous dis en vérité que vous n’aurez pas achevé de parcourir toutes les villes d’Israël, que le Fils de l’homme ne soit venu. » Il semble qu’il les veuille prévenir et les empêcher de dire : Mais si, lorsque nous aurons fui d’une ville dans une autre, nos persécuteurs nous y viennent encore chercher, que devrons-nous faire ? Il les délivre de cette crainte en les assurant qu’ils n’auraient point achevé de parcourir toutes les villes de la Judée « avant que le Fils de l’homme soit venu. » Il est remarquable aussi que Jésus-Christ ne veut point dispenser ses disciples de souffrir, mais qu’il leur promet seulement de les assister dans leurs périls et dans leurs travaux, Il ne leur dit pas : Je vous retirerai de toutes ces persécutions, mais : « Vous n’aurez point achevé de parcourir toutes les villes « d’Israël, que le Fils de l’homme ne soit venu. » Je viendrai, leur dit-il, parce que sa seule vue leur suffisait pour les consoler de toutes leurs peines. Considérez aussi comment il ne laisse pas tout faire à sa grâce ; mais qu’il veut que ses apôtres travaillent, et qu’ils contribuent de leur part. Si vous craignez, leur dit-il, fuyez et ne craignez plus. Il ne leur commande pas de fuir les premiers et de leur propre mouvement, mais d’attendre qu’on les y force, et de se retirer lorsqu’on les y oblige. Il ne leur donne pas même une grande étendue de terre pour y chercher leur sûreté, mais seulement les pays de la Judée. Il les excite ensuite à pratiquer encore une autre vertu. Après les avoir dégagés du soin de la nourriture ; après les avoir délivrés de la crainte des périls, il les fortifie maintenant contre les médisances et les calomnies. Il les a dégagés de tous les soins qu’apporte la nourriture, en leur disant : « Celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse », en les assurant que plusieurs les recevraient chez eux. Il leur a ôté la crainte des périls lorsqu’il leur a dit : « Ne vous mettez point en peine de ce que vous direz ou comment vous répondrez ; » et en les assurant que « celui-là sera sauvé « qui persévérera jusqu’à la fin. » Mais parce qu’il prévoyait qu’ils passeraient pour des méchants et des séducteurs, ce qui paraît à quelques-uns la chose du monde la plus insupportable, il les fortifie contre cette crainte par son exemple, en les faisant ressouvenir de ce qu’on avait dit contre lui, ce qui était la plus grande consolation que ce divin Maître pût laisser à ses disciples. Ainsi comme lorsqu’il leur avait dit auparavant : « Tout le monde vous haïra », il ajoute aussitôt : « à cause de « mon nom ; » il les console ici de même, mais en ajoutant une nouvelle raison. Voici ce qu’il dit : « Le disciple n’est pas plus que le maître, ni l’esclave plus que son seigneur (24). C’est assez pour un disciple d’être comme son maître, et pour un esclave d’être comme son seigneur. S’ils ont appelé le père de famille Béelzébub, combien plutôt traiteront-ils de même ceux de sa maison (25) ? » Il fait voir clairement dans ces paroles qu’il est Dieu, et Créateur de toutes choses. Quoi donc ! me direz-vous, n’y a-t-il jamais de disciple qui soit plus grand que son maître, ni d’esclave qui soit plus estimable-que son seigneur ? Non, le disciple en tant que disciple, l’esclave en tant qu’esclave n’est jamais plus grand que son maître selon l’ordre naturel des choses. Ne me citez pas ici quelques exceptions fort rares, raisonnez d’après la règle générale. Remarquez aussi qu’il ne dit pas : « S’ils ont appelé le père de famille Béelzébub, combien plus traiteront-ils de même » ses esclaves ? mais ceux de sa maison, usant de ce terme pour montrer l’affection qu’il avait pour eux ; comme il fait encore ailleurs en leur disant : « Vous serez mes amis si vous faites ce que je vous ai commandé ; » et : « Je ne vous donnerai plus le nom d’esclaves, mais d’amis. » (Jn 15,14-15) Il ne leur dit pas en général qu’on a outragé le père de famille, mais il marque en particulier l’injure, en disant qu’on l’a appelé Béelzébub. Il joint à cela une troisième consolation plus grande que les deux premières ; parce que, comme ils n’étaient pas encore élevés à une haute vertu, il avait besoin de les exciter par des considérations plus sensibles. C’est ce qu’il fait ici par une sentence qui semble générale et universelle, mais qu’il ne faut entendre néanmoins que du sujet auquel Jésus-Christ l’applique. « Ne les craignez donc point. Car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu (26). » Il leur dit par là : Il vous doit suffire pour votre consolation que moi, qui suis votre Maître et votre Seigneur, j’ai bien voulu passer le premier, par les mêmes outrages que vous aurez à souffrir. Si cela ne vous, suffit pas pour adoucir votre douleur, considérez au moins que dans peu de temps vous serez délivrés de ces faux soupçons. Car de quoi vous affligez-vous ? Est-ce de ce qu’on vous appelle des séducteurs et des imposteurs ? mais attendez un peu, et vous verrez tout le monde reconnaître et publier hautement que vous êtes les sauveurs de toute la terre. Le temps découvre enfin ce qui est le plus caché. Il fera connaître un jour votre innocence, et la malice de ceux qui vous calomnient ; Quand on verra par vos actions que vous êtes la lumière du monde, que vous comblez de grâces tous les hommes, et que vous éclaterez en toutes sortes de vertus, on ne s’arrêtera plus alors aux discours de vos calomniateurs ; mais on jugera de vous selon la vérité. Vos ennemis passeront publiquement pour des imposteurs, pour des médisants, pour des âmes noires et malignes, et votre vertu sera plus éclatante que le soleil. Votre réputation se répandra et se publiera dans toute la terre, et tous les hommes seront les témoins de vos grandes actions. Ne vous laissez donc pas abattre par les maux que je vous prédis maintenant, mais fortifiez-vous par l’espérance des biens à venir. Car remplissant la mission à laquelle je vous destine, il est impossible que vous demeuriez éternellement dans l’obscurité. 2. Après donc que Jésus-Christ a délivre ses apôtres de toute crainte et de toute inquiétude, et qu’il les a élevés au-dessus de la calomnie, il les porte maintenant à témoigner une grande liberté dans la prédication de l’Évangile. « Dites dans la lumière ce que je vous dis dans l’obscurité ; et prêchez sur le haut des maisons ce qui vous aura été dit à l’oreille (27). » Quoique Jésus-Christ ne dît point ceci aux apôtres dans les ténèbres, et qu’il ne leur parlât point à l’oreille, il use néanmoins de cette expression par une espèce d’hyperbole. Comme il leur parlait à eux seuls, et dans un petit coin de la Judée, il dit qu’il leur parlait dans l’obscurité et à l’oreille, en comparaison de cette liberté qu’il leur devait donner un jour dans la prédication de sa parole. Car tous n’annoncerez pas, dit-il, mon Évangile à une, à deux ou trois villes seulement, mais généralement à toutes les parties du monde ; vous traverserez les terres et les mers, les pays habités et inhabités ; vous prêcherez devant les rois et devant les peuples ; vous enseignerez les philosophes et les orateurs, et vous leur parlerez avec une fermeté et une assurance qui leur donnera de la terreur. Il se sert de ces mots : « Qu’ils prêcheront sur le haut des maisons, et dans la lumière », pour marquer cette hardiesse sainte avec laquelle ils devaient parler. Mais ne suffisait-il pas de leur dire : « Prêchez sur le haut des maisons et dans la lumière ? » Pourquoi ajoute-t-il : « Ce que je vous ai dit à l’oreille et dans les ténèbres », sinon pour leur élever l’esprit, et les rendre capables de ses grands desseins ? C’est ainsi qu’il leur dit dans saint Jean : « Celui qui croit en moi fera les mêmes œuvres que je fais, et en fera même de plus grandes. » (Jn 14,1) Il montre ici de la même manière qu’il ferait tout par eux, et plus encore qu’il n’avait fait par lui-même. J’ai commencé, leur dit-il, j’ai marqué la première trace, et j’ai comme ébauché les choses ; mais je veux par vous achever le reste. Cette parole au reste n’est pas seulement un commandement, c’est encore une prédiction ; c’est la parole d’un homme sûr que ce qu’il dit s’accomplira, et qui affirme aux apôtres qu’ils triompheront de toutes les difficultés, et qui, en leur montrant le succès, détruit doucement mais sûrement l’angoisse que leur causait la prévision des calomnies auxquelles ils seraient en butte. Il semble qu’il leur disait : Comme la prédication de l’Évangile, qui jusqu’ici a été cachée et secrète, remplira néanmoins toute la terre ; de même ces calomnies que vos ennemis publieront de toutes parts contre vous, se dissiperont bientôt et s’évanouiront comme des songes. Après les avoir ainsi fortifiés, il leur prédit encore de plus grands périls. Mais il leur inspire en même temps un si grand courage, qu’il met leur âme au-dessus de tous les maux. « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ; mais craignez plutôt celui qui peut perdre et le corps et l’âme en les jetant dans l’enfer (28). » Considérez, mes frères, combien Jésus-Christ élève ses disciples, non seulement au-dessus des soins, des inquiétudes, des périls et des pièges, des médisances et des calomnies, mais au-dessus de la mort même, qui est la chose de toutes la plus terrible, et non seulement de la mort, mais de la mort la plus sanglante et la plus cruelle. Il ne leur dit point : On vous tuera. Il use d’une expression plus douce et moins effrayante : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme, mais craignez plutôt celui qui peut perdre et le corps et l’âme en les jetant dans l’enfer. » Il use souvent de cette conduite, et il ménage tellement la pensée des hommes, qu’il leur fait conclure tout le contraire de ce qu’ils croyaient. Vous craignez la mort, leur dit-il, et cette crainte vous fait appréhender de prêcher mon Évangile. Mais c’est au contraire, parce que vous craignez la mort, que vous devez prêcher hardiment, puisqu’il n’y a que cette hardiesse sainte qui vous puisse délivrer de la véritable mort. Vos ennemis vous peuvent tuer, mais quelques efforts qu’ils fassent, ils ne peuvent vous toucher dans la plus noble partie de vous-mêmes. C’est pourquoi il ne dit pas seulement de ces ennemis qu’ils ne tuent point l’âme, mais « qu’ils ne la peuvent tuer », pour montrer que quand ils le voudraient ils ne le pourraient pas. Si donc vous craignez les tourments des hommes, craignez encore plus ceux dont Dieu vous menace dans l’enfer. Vous voyez encore ici que Jésus-Christ ne promet point à ses disciples de les délivrer de la mort, et qu’il les abandonne à la violence des hommes ; mais qu’il leur promet une grâce plus grande que la délivrance même de la mort, puisque c’est beaucoup plus de persuader à un homme de mépriser la mort, que de le délivrer de la mort. Ainsi Jésus-Christ n’abandonne pas ses apôtres aux périls, mais il leur donne un courage plus grand que tous les périls. Il établit ici en passant la vérité de l’immortalité de l’âme ; et il imprime par ce peu de paroles dans l’esprit de ses disciples une doctrine salutaire qui les devait fortifier contre tous les maux. Mais pour les consoler d’une autre manière, et pour les empêcher de se croire abandonnés de Dieu, en se voyant dans les périls, dans les tourments et dans la mort même, il les instruit encore et les assure de sa providence dans la suite. « N’est-il pas vrai qu’on a deux passereaux « pour une obole ? et néanmoins aucun d’eux « ne tombe sur la terre sans la volonté de « votre père (29). Les cheveux mêmes de votre « tête sont tous comptés (30). » Qu’y a-t-il de plus vil « que ces petits passereaux ? » leur dit-il, et cependant on n’en prend pas un sans que Dieu le sache. Il ne dit pas que c’est Dieu qui les fait tomber sur la terre : cela serait trop indigne de la majesté divine ; mais il déclare seulement que cela ne se fait point sans sa connaissance. Que si Dieu n’ignore rien de tout ce qui arrive ; et s’il vous aime avec encore plus de tendresse que les pères n’aiment leurs enfants, et jusqu’à tenir compte de tous vos cheveux, que devez-vous craindre ? Jésus-Christ parle de la sorte, non que Dieu compte effectivement le nombre de leurs cheveux ; mais seulement pour faire voir jusqu’où va son soin et sa vigilance sur ceux qui le servent. Puis donc qu’il connaît tout, et qu’il peut et veut vous sauver, lorsque vous souffrirez quelque chose, ne croyez point que ce soit parce qu’il vous abandonne. Car son dessein n’est pas de vous délivrer des maux du corps, mais de vous apprendre à les mépriser, parce que ce ne sont plus des maux quand on les méprise. 3. « Et ainsi ne craignez point : vous valez beaucoup mieux qu’un grand nombre de passereaux (31). » Vous voyez, mes frères, comme il arrête leur crainte. Car il pénétrait le secret de leurs pensées. C’est pourquoi il dit : « Ne les craignez donc point. » S’ils ont quelque avantage sur vous, ce ne sera que sur la plus faible et sur la plus vile partie de vous-mêmes, sur le corps, qui mourrait de lui-même par une mort toute naturelle, si on ne la prévenait par une autre plus glorieuse. Ainsi ce ne seront point proprement vos ennemis qui vous feront mourir : ce sera plutôt la nature qui leur cédera son pouvoir. Que si vous craignez un homme qui a cette puissance, combien devez-vous plus craindre celui qui peut perdre l’âme et le corps, en les jetant dans l’enfer ? Il ne dit pas clairement que ce soit lui qui ait cette puissance de perdre l’âme et le corps en les jetant dans l’enfer, mais il est aisé de tirer cette conséquence par ce qui précède, puisqu’il déclare qu’il est le juge du monde. Cependant, mes frères, nous faisons le contraire de ce que Jésus-Christ nous commande. Nous ne craignons point celui qui peut perdre nos âmes, et nous craignons beaucoup ceux qui peuvent perdre nos corps, quoique Dieu puisse perdre en même temps et l’âme et le corps, et que les hommes soient si éloignés de nuire à l’âme, qu’ils n’ont pas même le pouvoir de punir le corps. Car ils ont beau le déchirer et le mettre en pièces, ils l’honorent au lieu de le punir, et toutes ses peines deviennent sa gloire. C’est ainsi que Jésus-Christ adoucit les travaux auxquels il les destinait. Car la mort leur paraissait encore bien terrible, et elle faisait une grande impression sur leurs esprits, parce que jusqu’alors on ne nous avait point appris à la vaincre, et que ceux qui la devaient mépriser n’avaient pas encore reçu la grâce et l’effusion du Saint-Esprit. Mais après avoir banni cette frayeur qui les abattait, il les encourage encore dans la suite. Il chasse une crainte par une autre crainte, et il y joint l’espérance d’une grande récompense. Il allie ainsi les menaces avec les promesses, et il se sert de ces moyens opposés pour les encourager à prêcher la vérité avec une liberté apostolique. « Quiconque donc me confessera et me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai aussi devant mon Père qui est dans le ciel (32). Et « quiconque me renoncera devant les hommes, je le renoncerai aussi devant mon Père qui est dans le ciel (33). » Il n’exhorte pas seulement ses disciples par l’espérance des biens futurs, mais encore par la terreur de ses jugements. L’Évangile ne dit pas proprement Quiconque me confessera ; mais « quiconque confessera en moi », c’est-à-dire, en mon nom, en ma puissance, pour marquer que celui qui fait cette confession ne la fait point par sa propre force, mais par le secours et par la grâce de celui qui confesse. Il dit au contraire de celui qui renonce « Celui qui me renoncera », et non pas « qui renoncera en moi », parce qu’il ne renonce qu’étant privé du secours de la grâce. Vous me direz, peut-être : Pourquoi donc accuse-t-on celui qui renonce Jésus-Christ, puisqu’il ne le fait qu’étant abandonné du secours de Dieu ? C’est parce qu’il n’a été abandonné de Dieu que par sa faute. Mais pourquoi, me direz-vous, Jésus-Christ ne se contente-t-il pas de la seule foi du cœur ? pourquoi exige-t-il encore cette confession de la bouche ? Jésus-Christ le fait pour nous exciter à être courageux et intrépides. Il veut que par cette confession généreuse nous témoignions l’ardeur de notre charité, et que nous nous élevions au-dessus de tout. C’est pourquoi il parle en général à tout le monde, et il n’adresse point ici son discours seulement à ses apôtres. II ne se contente pas de les rendre généreux, mais il veut que cette même générosité passe dans tous leurs disciples. Aussi celui qui considère bien ces paroles de Jésus-Christ, non seulement publiera hardiment la vérité, mais il souffrira même de grand cœur tous les maux qui lui en pourront arriver. C’est la confiance dans ces paroles de Jésus-Christ qui a donné aux apôtres un grand nombre de disciples. Car elles nous font voir que le supplice de ceux qui auront renoncé Jésus-Christ sera effroyable ; comme la récompense de ceux qui l’auront confessé devant les hommes, sera incompréhensible. Plus les souffrances du juste se seront prolongées dans cette confession de Jésus-Christ, plus s’accroîtra pour l’éternité la somme de son bonheur ; au contraire le pécheur qui se flatte en ce monde du retard de sa peine, n’y gagnera rien, sinon de la trouver un jour augmentée d’autant plus qu’elle aura été plus retardée. Vous m’avez confessé avec courage, dira Jésus-Christ à l’un, et moi je vous promets aussi une récompense infiniment au-dessus de vos mérites. Car « je vous confesserai devant mon Père. » Et vous qui m’avez renoncé, « je vous renoncerai aussi devant les anges de Dieu. » Vous voyez donc que c’est pour l’autre vie que Jésus-Christ réserve la dispensation des biens et des maux. Après cela pourquoi vous hâtez-vous ? pourquoi vous précipitez-vous ? pourquoi cherchez-vous ici votre récompense, vous qui selon saint Paul « êtes sauvé par l’espérance ? » (Rom 8,30) Si vous faites quelque bien dont vous ne receviez ici aucune récompense, ne vous troublez pas, mais réjouissez-vous plutôt de ce qu’on vous en réserve une infiniment plus grande. Si au contraire vous commettez de grands crimes sans en être puni dans cette vie, ne croyez pas pour cela qu’ils demeurent impunis, puisque Dieu vous en châtiera un jour d’une manière terrible, si vous ne prévenez ici sa justice par une patience sincère et par le changement de votre vie. Si vous ne croyez pas ce que je vous dis, jugez de l’avenir parce que vous voyez tous les jours. Car si la gloire de ceux qui confessent Jésus-Christ est si grande dans ce temps même qui est le temps du combat, quelle pensez-vous qu’elle doive être, lorsque Dieu même les couronnera ? Si dès cette vie même vos ennemis sont contraints de vous huer, combien Dieu vous relèverait-il encore davantage, lui qui vous aime avec plus de tendresse que les meilleurs pères n’aiment leurs infants, lorsque le temps de récompenser les bons et de punir les méchants sera venu ? Ceux au contraire qui, renoncent Jésus-Christ en seront punis terriblement dans l’autre monde, et ils le sont déjà dans celui-ci. Ils sont continuellement déchirés par les remords de leur conscience. Pour avoir craint une seule mort, ils meurent cent fois ; et au lieu des supplices qui auraient passé en un moment, ils se précipitent dans les éternels. Mais ceux qui meurent en confessant Jésus-Christ sont heureux en ce monde et en l’autre. Leur mort est un gain puisqu’ils en achètent l’immortalité ; et après s’être acquis ici-bas une gloire qui est plus grande que celle de tous les hommes, ils jouissent dans le ciel d’une félicité qui est ineffable. Car Dieu est toujours prêt à récompenser comme à punir, et il est encore plus, porté à faire du bien qu’à rendre le mal. Vous me demanderez peut-être pourquoi Jésus-Christ parle ici deux fois de l’enfer, quoiqu’il ne parle qu’une fois du paradis. Il le fait parce qu’il sait que la crainte des peines arrête bien plus les hommes que l’espérance des biens. C’est pourquoi, après avoir dit : « Craignez celui qui peut perdre le corps et l’âme en les jetant dans l’enfer », il dit encore : « Je le renoncerai devant mon Père. » C’est la conduite que saint Paul a gardée en parlant continuellement des supplices de l’enfer. Vous voyez, mes frères, comme Jésus-Christ se sert de tout pour fortifier ses disciples. Il leur ouvre le ciel, il les fait descendre jusqu’aux enfers. Il leur représente ce tribunal terrible, cette assemblée redoutable de tous les anges, et cette publique distribution des couronnes immortelles, pour les exciter par ces grands objets, à s’acquitter avec ferveur du ministère de la prédication de sa parole. Et pour empêcher que leur timidité n’arrêtât le progrès de l’Évangile, lorsqu’il se présenterait des maux à souffrir, il veut qu’ils soient prêts à s’exposer à la mort la plus cruelle, persuadés que leurs travaux auront leur récompense, et que ceux qui les persécutent seront punis, s’ils ne reviennent de leurs égarements. 4. Méprisons donc la mort, mes frères, quoiqu’il ne se présenta pas encore d’occasion de la souffrir, puisqu’elle n’est à notre égard qu’un passage à une meilleure vie. – Mais le corps, dans le tombeau, se réduit en poudre ?— Raison de plus pour se réjouir de ce que la mort est détruite, de ce que la mortalité, et non la substance de notre corps est anéantie. Quand vous voyez jeter dans la fournaise une statue pour la refondre, vous ne tenez pas le fait pour une destruction, mais pour une restauration avantageuse. Jugez de même de la destruction de votre corps, et cessez de vous affliger. Si le corps devait toujours demeurer dans cet état pénible où la juste punition de Dieu l’a réduit en cette vie, ce serait alors qu’il faudrait pleurer. Mais ne serait-il pas plus avantageux, me direz-vous, que nos corps passassent à cette, immortalité sans passer par la corruption et la pourriture ? Je ne vois pas, si cela était, quelle utilité en pourraient retirer n les vivants ni les morts. Jusques à quand donc, idolâtres de votre corps, jusques à quand serez-vous ainsi attachés à la terre ? jusques à quand aimerez-vous l’ombre et les ténèbres d’ici-bas ? Car que vous servirait-il que vos corps demeurassent toujours entiers, ou quel désavantage au contraire n’en résulterait pas pour vous ? Si nos corps n’étaient point réduits à cet anéantissement, il s’ensuivrait le plus grand des maux, l’orgueil chez un grand-nombre. Que s’il s’en est trouvé qui ont voulu passer pour des dieux, quoique leurs corps fussent mangés dés vers et consumés de pourriture, que n’auraient-ils point fait s’ils eussent été incorruptibles ? D’ailleurs les hommes n’eussent pu croire qu’ils n’eussent été qu’un peu de terre. Nous le voyons maintenant et nous avons peine à le concevoir ; combien donc en aurions-nous douté davantage si nous n’en avions pas ce témoignage de nos propres yeux ? En troisième lieu les hommes auraient eu une attache bien plus grande pour les corps, et en seraient devenus bien plus charnels et bien plus grossiers. Car s’il s’en trouve encore aujourd’hui qui veulent bien souffrir la puanteur des sépulcres pour se tenir auprès des personnes qui leur ont été chères durant leur vie, que n’auraient-ils point, fait, si les corps fussent demeurés entiers et incorruptibles après la mort ? De plus, si nous n’avions été réduits à cet anéantissement dans cette vie, nous aurions moins désiré la félicité de l’autre. Ceux qui croient aussi que le monde est éternel se seraient servis de l’incorruptibilité de nos corps pour appuyer leur erreur, et pour en conclure que le monde n’aurait point été créé. Nous pouvons ajouter encore que, si le corps n’était entièrement détruit après la mort, nous n’aurions pas assez compris quelle est la vertu de l’âme, et comment c’est elle qui fait tout dans notre corps. Enfin, si Dieu n’avait disposé les choses de cette manière, il se serait trouvé des personnes tellement possédées de passion pour leurs proches qui seraient morts, qu’abandonnant les villes, ils seraient venus demeurer auprès de leurs tombeaux, pour jouir de la présence de leurs corps, et pour s’entretenir avec eux autant qu’ils pourraient. Car si, maintenant que les corps périssent et se réduisent en cendre, quoi qu’on puisse faire pour les conserver, il y en a néanmoins qui s’attachent tellement à un portrait, et à la seule figure morte de ceux qu’ils aimaient, qu’ils passent leur vie à la regarder ; que ne feraient-ils point, s’ils pouvaient conserver et voir devant eux leurs corps tout entiers ? Pour moi, je me persuade aisément qu’il s’en serait trouvé qui auraient bâti des temples à ces corps morts, et que, l’art de la magie se mêlant à cette passion furieuse, se serait servi du démon pour faire parler ces morts, comme s’ils eussent été encore vivants, puisque nous voyons aujourd’hui que ceux qu’on appelle nécromanciens entreprennent des choses semblables, et même encore plus criminelles, quoique les corps, après la mort, soient réduits en cendre et en poussière. Et ainsi il ne pourrait naître de cette conservation de nos corps qu’une source d’impiété et d’idolâtrie. C’est donc pour prévenir tous ces abus et tous ces désordres, c’est pour nous détacher de la terre et pour nous élever au ciel, que Dieu a voulu que nos corps se détruisent et disparaissent aux yeux des hommes. Si celui qui est passionné pour la beauté d’une jeune fille ne peut pas se laisser persuader à la raison, et reconnaître la vanité de ce qu’il estime tant, Dieu veut qu’il en soit convaincu par ses yeux. Il veut qu’il voie tous les jours des femmes du même âge, mieux faites et plus riches que celle qu’il aime, disparaître tout d’un coup, et exhaler une grande puanteur un ou deux jours après leur mort, et être livrées à la corruption, à la pourriture et aux vers. Jugez donc par là, leur dit-il, quelle est cette beauté que vous aimez, et combien est insensée cette passion qui vous possède. On n’aurait point compris si sensiblement toutes ces choses si l’on n’avait vu les corps se corrompre. Et comme les démons courent aux sépulcres et y font leur demeure ordinaire ; ainsi ceux qui auraient été si passionnés pour les corps lorsqu’ils vivaient, les auraient toujours voulu voir après leur mort. Ils auraient habité dans les sépulcres comme les possédés, et devenus bientôt eux-mêmes les sépulcres des démons, ils auraient enfin perdu la vie aussi bien que la raison par une manie si honteuse et si détestable. 5. Outre les autres raisons qui nous peuvent détacher des morts, celle-ci est très-importante, savoir, que la disparition de l’objet aimé et de son image entraîne insensiblement l’oubli de la passion et son extinction complète. Que si le corps ne périssait de la sorte, on verrait aujourd’hui, au lieu de sépulcres et de mausolées, des villes entières pleines non pas de statues, mais de corps morts, chacun désirant de voir celui de la personne qui lui aurait été chère. Il naîtrait de là une horrible confusion. On n’aurait plus aucun soin de l’âme des morts, et on ne voudrait plus même entendre parler de l’immortalité de nos âmes. On verrait de plus beaucoup de désordres encore plus grands que ceux-ci, qu’il est plus utile d’ensevelir dans le silence. Dieu veut donc que le corps soit détruit en un moment, afin qu’on voie plus clairement la beauté de l’âme. Car si elle a la force de donner toute la vie, et toute la beauté à notre corps, combien doit-elle être et plus vivante et plus belle que le corps ? et si elle peut conserver cette chair si fragile et si corrompue, combien plus se conservera-t-elle elle-même ? Car le corps n’est beau que par la disposition et par le mouvement de tous ses membres, et par cette couleur vive qui l’anime et qui l’embellit, et c’est l’âme seule qui lui donne cet avantage. Aimez donc votre âme, puisque c’est elle seule qui embellit ce corps que vous aimez tant. Mais pourquoi me mets-je en peine de vous faire comprendre ce que le corps reçoit de l’âme, par la vue de l’état où il se trouve après la mort, puisque vous le pouvez voir si aisément par ce qui se passe même durant cette vie ? Si l’âme est dans la joie, elle la répand aussitôt sur le visage par cette couleur vermeille qui y paraît. Si elle est triste, elle efface cet éclat du teint, et elle défigure tout le visage. Lorsque l’âme est contente et n’a point de soin, le corps est dans une parfaite santé ; et lorsqu’elle est inquiète et mélancolique, le corps devient tout sec et tout languissant. Si l’âme est agitée de colère, elle répand un feu sur tout le visage ; si elle est dans la paix, elle rend l’œil doux et serein. Si l’âme est jalouse et envieuse, le visage en devient tout pâle et tout maigre ; si elle a de la bonté et de l’affection, on le voit par l’ouverture même et par la candeur du visage. C’est pourquoi il est arrivé souvent que des personnes qui n’étaient point belles de figure l’étaient néanmoins par la beauté de leur âme, et que d’autres au contraire qui avaient de beaux traits sont devenues difformes par le dérèglement de leurs passions. Ainsi lorsque la pudeur fait rougir une personne modeste, cette rougeur donne à son visage beaucoup de grâce. Et au contraire lorsque l’impudence empêche une personne de rougir, elle devient laide, quelque agréable qu’elle puisse être, et elle ressemble plus aux bêtes, qu’aux hommes. Tant il est vrai que rien n’est plus beau ni plus attrayant que la pureté de l’âme ! Il n’y a que de la douleur et de l’infamie dans l’amour des corps : il n’y a que de la joie, et qu’une joie toute pure dans l’amour de l’âme. L’âme est la reine, et le corps l’esclave. Pourquoi abandonnez-vous celle qui commande pour admirer celui qui lui obéit ? Pourquoi quittez-vous celle qui possède la lumière et la sagesse, pour vous asservir au corps et aux sens qui ne sont que ses organes ? Si les yeux d’une personne vous paraissent beaux, considérez l’âme qui, les gouverne. Si cette âme est difforme et déréglée, méprisez ses yeux comme elle-même. Si vous voyiez une personne fort laide couverte d’un voile extrêmement beau, vous ne seriez point touché de la beauté de ce voile. Et si une personne dont on estimerait la beauté était tellement voilée qu’on ne la pût voir, vous souhaiteriez qu’on ôtât ce voile, et qu’on vous permît de la voir. Faites donc la même chose à l’égard de l’âme, qui est couverte du corps comme d’un voile. Quand le corps est difforme, il demeure toujours ce qu’il est ; mais l’âme la plus laide peut devenir belle si elle le veut. Elle aurait les yeux difformes, durs et repoussants, qu’elle pourrait en un moment les changer en d’autres, qui seront doux, sereins, paisibles et agréables. Cherchons donc, mes frères, cette beauté intérieure et invisible, afin que nous rendant agréables à Dieu, elle nous ouvre l’entrée en son éternelle gloire, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXXV
« NE PENSEZ PAS QUE JE SOIS VENU POUR APPORTER LA PAIX SUR LA TERRE ; JE NE SUIS PAS VENU POUR Y APPORTER LA PAIX, MAIS L’ÉPÉE. CAR JE SUIS VENU POUR SÉPARER L’HOMME D’AVEC SON PÈRE, ET LA FILLE D’AVEC SA MÈRE, ET LA BELLE-FILLE D’AVEC SA BELLE-MÈRE. ET L’HOMME AURA POUR ENNEMIS CEUX DE SA PROPRE MAISON. » (CHAP. 10,31, 35, 36, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE)