‏ Matthew 2

HOMÉLIE VI.

« JÉSUS DONC ÉTANT NÉ A BETHLÉEM, QUI EST DANS LA TRIBU DE JUDA AU TEMPS DU ROI HÉRODE, DES MAGES VINRENT DE L’ORIENT A JÉRUSALEM.- ET ILS DEMANDÈRENT, OU EST LE ROI DES JUIFS QUI EST NOUVELLEMENT NÉ ? CAR NOUS AVONS VU SON ÉTOILE DANS L’ORIENT, ET NOUS SOMMES VENUS L’ADORER, ETC. » (CHAP. 2,1, JUSQU’AU VERSET 4)

ANALYSE.

  • 1. L’étoile qui apparut aux mages ne prouve pas que l’astrologie soit une science vraie, autrement comment expliquer que le Christ l’eût fait cesser ainsi que les autres prestiges des démons.
  • 2. L’étoile qui annonça la naissance du Christ n’était pas du nombre des autres étoiles.
  • 3. Pourquoi l’étoile apparut.
  • 4. C’est par l’action de la grâce que les mages, en voyant l’étoile, prirent la résolution d’adorer Jésus. – Dieu influence la volonté sans détruire le libre arbitre. – Pourquoi Jérusalem se troubla en apprenant la naissance du Christ.
  • 5. Les Juifs ne suivirent pas les mages, tant était grande leur insouciance des choses du ciel. – Ils n’avaient pas la moindre étincelle de ce feu spirituel qui détruit dans le cœur l’amour des choses du siècle.
  • 6. Contre le rire dissolu. 7 et 8. Contre les spectacles.

1. Nous avons besoin, mes frères, d’une grande attention, et de beaucoup de prières, pour expliquer toutes les difficultés qui se trouvent dans ces paroles de notre Évangile, et pour savoir qui sont ces mages, d’où ils sont venus ; qui leur a fait entreprendre ce voyage ; et quelle était cette étoile qui les a conduits.

Commençons, si vous voulez, par ce que disent sur ce sujet les ennemis de la vérité : car le démon les aveugle de telle sorte, qu’ils croient trouver dans cette histoire des armes pour combattre cette même vérité. Aussitôt, disent-ils, que Jésus-Christ fut né, il parut une étoile, ce qui est une preuve claire de la certitude et de la solidité de l’astrologie. Mais qu’y a-t-il de plus faux que ce raisonnement ? Si Jésus était né selon la loi de l’astrologie, comment l’aurait-il détruite après, en renversant l’erreur du destin, en fermant la bouche aux démons, et en détruisant toutes les illusions de cet art de prédire et de deviner ?

Comment les mages ont-ils pu aussi comprendre par cette étoile que cet enfant fût le roi des Juifs, puisque assurément il n’était pas roi de ce royaume terrestre, comme il le dit lui-même à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde ? » (Jn 18,36) Il n’a rien eu à l’extérieur de ce qui accompagne les rois.

Il n’a point eu auprès de lui de gardes d’hommes de guerre, de chevaux, d’attelages de mules, ni d’autres choses semblables. Il a choisi une vie basse et méprisable, et il ne s’est fait suivre que de douze hommes fort pauvres.

Mais quand même les mages eussent reconnu Jésus-Christ comme un prince temporel, pourquoi le viennent-ils trouver ? Ce n’est point l’effet de l’art des astrologues de connaître par les astres ceux qui sont nés, mais de prédire, à ce qu’ils prétendent, ce qui doit arriver à l’enfant, en observant quelle était la disposition des étoiles au moment de sa naissance. Cependant les mages ne s’étaient point trouvés auprès de la mère pour remarquer le point de son accouchement. Ils n’avaient point su le temps auquel était né Jésus-Christ, pour que cette connaissance fût le fondement des prédictions qu’ils auraient pu faire pour l’avenir. Au contraire, après avoir vu luire longtemps auparavant une étoile dans leur pays, ils viennent pour voir celui qui était né, ce qui surprend encore plus que tout le reste.

Car quelle raison les pouvait porter à ce voyage ? Quel bien espéraient-ils en venant de si loin adorer un roi ? Quand ce prince eût dû un jour être leur roi, cette raison n’aurait pas encore été suffisante pour les engager à ce long chemin. S’il fût né dans un palais et qu’il eût eu un roi pour père, on pourrait peut-être dire que le désir de complaire au père les eût portés à venir saluer l’enfant, afin de s’en faire un mérite, et de s’attirer son amitié ; mais ils n’espèrent point qu’il soit jamais leur roi : il sera, tout au plus, celui d’un peuple étranger et très-éloigné de leur pays, ce n’est encore qu’un enfant, pourquoi donc entreprendre un voyage si pénible ? pourquoi offrir des présents, principalement lorsqu’ils ne le peuvent faire qu’en s’exposant à un grand péril ? « Car Hérode, entendant cela, en fut troublé, et avec lui tout le peuple. » Mais, dira-t-on, ils ne prévoyaient pas ce trouble ni ces périls. Objection invraisemblable ; à moins d’être entièrement dépourvus de sens, ils devaient savoir qu’en entrant dans une ville gouvernée par un roi, en y annonçant ce qu’ils annonçaient, en indiquant un autre roi que le roi régnant, ils s’exposeraient infailliblement à mille dangers mortels.

Mais pourquoi adorent-ils un enfant encore dans les langes ? Si c’eût été un prince d’âge viril, on pourrait encore dire que l’espérance d’en tirer quelque secours les aurait portés à s’exposer pour lui à tous ces périls. Et néanmoins ç’aurait encore été une extrême folie à des Perses et à des étrangers, qui n’avaient aucune liaison avec les Juifs, de quitter pays, maison, parents, pour venir se mettre sous la domination d’un roi étranger.

Que s’il y eût eu en cela de la folie, il y en avait bien davantage à ce que des personnes sages vinssent de si loin adorer un enfant, exciter de grands troubles, et s’en retourner aussitôt. Car enfin quelle marque de royauté virent-ils en voyant une étable, une crèche, un enfant enveloppé de langes, et une mère très pauvre ?

Mais à qui font-ils ces présents qu’ils lui offrent, et pourquoi les lui offrent-ils ? Est-ce qu’il y avait quelque loi ou quelque coutume qui obligeât à rendre cet honneur à tous les rois à leur naissance ? Dira-t-on que ces mages parcouraient toute la terre, pour adorer ceux qu’ils savaient devoir un jour de pauvres devenir rois, et pour leur rendre leurs hommages avant qu’ils montassent sur le trône ? Cette supposition ne serait pas sérieuse.

Pourquoi donc l’adorent-ils ? Si c’était dans la vue de quelque avantage présent, que pouvaient-ils attendre d’un enfant, et d’une mère pauvre ? Si c’était pour quelque avantage à venir, d’où pouvaient-ils savoir que cet enfant se ressouviendrait un jour qu’ils l’auraient adoré dans le berceau ? Si l’on dit que la mère l’en eût pu faire souvenir, je réponds qu’ils devaient alors s’attendre à recevoir non la récompense, mais le châtiment pour l’avoir exposé à un danger évident. Car ils furent cause qu’Hérode, troublé par cette nouvelle, s’enquit avec soin du lieu où était cet enfant, et fit tout ce qu’il put pour le découvrir, et pour le tuer. En effet, publier qu’un particulier doit un jour devenir roi, n’est-ce pas le désigner au poignard, et lui susciter de toutes parts mille hostilités ?

Vous voyez donc combien on trouverait ici d’absurdités, si on considérait cette histoire humainement. Celles que je viens de relever ne sont pas les seules, une réflexion attentive en découvrirait bien d’autres. Mais en entassant trop de questions les unes sur les autres je n’arriverais qu’à vous causer une sorte d’éblouissement et de vertige ; contentons-nous de celles que nous avons proposées et cherchons-en la solution en commençant par l’étoile que virent les mages. Lorsque nous aurons examiné quel était cet astre ; d’où il était, s’il était de la nature des autres, si c’en était un nouveau, et d’une espèce différente, si c’était un astre en réalité ou seulement en apparence, nous comprendrons ensuite aisément le reste.

2. D’où nous viendra l’éclaircissement de ces doutes ? De l’Évangile même. Car pour juger que cette étoile n’était pas une étoile ordinaire, ni même une étoile, mais une vertu invisible, qui se cachait sous cette forme extérieure, il ne faut que considérer quel était son cours et son mouvement. Il n’y a pas un astre, pas un seul, qui suive la même direction que celui-ci. Le soleil et la lune et toutes les planètes et les étoiles, vont de l’Orient à l’Occident ; au lieu que cette étoile allait du Septentrion au Midi, selon la situation de la Palestine à l’égard de la Perse.

On peut prouver encore la même chose par le temps où cette étoile paraît. Car elle ne brille pas la nuit comme les autres, mais au milieu du jour et en plein midi, ce que ne peuvent faire les autres étoiles, ni la lune même, qui, bien que plus éclatante que les autres astres, disparaît néanmoins aussitôt que le soleil commence à paraître. Cependant cette étoile avait un éclat qui surpassait celui du, soleil, et jetait une clarté plus vive et plus brillante.

La troisième preuve qui fait voir que cette étoile n’était point ordinaire, c’est qu’elle paraît et se cache ensuite. Elle guida les mages tout le long de la route jusqu’en Palestine. Aussitôt qu’ils entrent à Jérusalem elle se cache ; et quand ils ont quitté Hérode après lui avoir fait connaître l’objet de leur voyage, et qu’ils continuent leur chemin, elle se remontre encore, ce qui ne peut être l’effet d’un astre ordinaire, mais seulement d’une vertu vivante et surtout intelligente. Car elle n’avait point comme les autres un mouvement fixe et invariable. Elle allait quand il fallait aller ; elle s’arrêtait quand il fallait s’arrêter, modifiant suivant les convenances, sa marche et son état, à l’exemple de cette colonne de feu qui paraissait devant les Israélites, et qui faisait ou marcher, ou arrêter l’armée lorsqu’il le fallait.

La même chose se prouve en quatrième, lieu par les indications que donnait cette étoile. Elle n’était point au haut du ciel, lorsqu’elle marqua aux mages le lieu où ils devaient aller, puisqu’elle n’aurait pu le leur faire reconnaître de cette manière ; mais elle descendit pour cela dans la plus basse région de l’air. Car vous jugez bien qu’une étoile n’eût pas pu marquer une cabane étroite, le point précis occupé par le corps d’un enfant. Non, à une si grande hauteur, elle n’aurait pu désigner, indiquer exactement un si petit objet aux regards. Considérez la lune, ses dimensions sont bien autres que celle des étoiles, et cependant tous les habitants de la terre, de quelque point de cette vaste étendue qu’ils la regardent, l’aperçoivent toujours près d’eux. Comment donc, dites-le-moi, une simple étoile aurait-elle indiqué des objets aussi petits, que le sont une grotte et une crèche autrement qu’en descendant de ces hauteurs du ciel, pour venir s’arrêter en quelque sorte sur la tête même de l’enfant ? C’est ce que l’Évangéliste marque un peu après par ces paroles : « L’étoile qu’ils avaient vue en Orient commença d’aller devant eux, jusqu’à ce qu’étant arrivée sur le lieu où était l’enfant, elle s’y arrêta. » Vous voyez donc par combien de preuves l’Évangile montre que cette étoile n’était pas une étoile ordinaire, et que ce n’était point par les règles de l’astrologie qu’elle découvrait cet enfant aux mages.

3. Mais pourquoi Dieu fit-il paraître cette étoile ? C’était pour convaincre l’infidélité des Juifs, et pour rendre leur ingratitude inexcusable. Venant sur la terre pour faire cesser l’Ancien Testament, pour appeler tout le monde à la connaissance de son nom, et pour se faire adorer dans toute la terre, et au-delà des mers, Jésus-Christ ouvre d’abord aux Gentils la porte de la foi, et il instruit son propre peuple par des étrangers. Dieu voyant l’indifférence avec laquelle les Juifs écoutaient toutes les prophéties qui promettaient la naissance du Sauveur, fait venir de loin des barbares chercher le roi des Juifs au milieu des Juifs, et il veut que des Perses leur apprennent les premiers ce qu’ils ne voulaient pas apprendre eux-mêmes des oracles de leurs prophètes afin que s’ils avaient quelque reste de bonne volonté, cette occasion les portât à croire, et que s’ils voulaient toujours être rebelles, il ne leur restât plus aucune excuse. Car que pouvaient-ils dire en rejetant Jésus-Christ après tant de témoignages des prophètes, lorsqu’ils voyaient ces mages le chercher à la seule apparition d’une étoile, et l’adorer aussitôt qu’ils l’ont trouvé ?

Dieu se sert aujourd’hui des mages de la même manière qu’il s’était servi autrefois des Ninivites, auxquels il envoya Jonas, de la même manière qu’il se servira plus tard de la Samaritaine et de la Chananéenne, c’est-à-dire pour confondre les Juifs ; et l’on peut appliquer ici cette parole de Jésus-Christ : « Les Ninivites s’élèveront contre ce peuple et le condamneront. La reine de Saba accusera cette race infidèle (Mat 12,41) », puisqu’ils ont cru aux moindres signes, et que ce peuple ne se rend pas aux plus grands.

Vous me demanderez peut – être pourquoi Dieu se sert de cette étoile pour attirer les mages à lui. Mais de quel autre moyen aurait-il dû se servir ? Devait-il leur envoyer des prophètes ? Les mages ne les eussent jamais reçus. Leur devait-il parler du Ciel ? Ils ne l’eussent point écouté. Leur devait-il envoyer un ange ? Ils l’auraient aussi négligé. C’est pourquoi, laissant de côté tous ces moyens extraordinaires, il les appelle par des choses qui leur étaient communes et familières ; et, usant ainsi d’une admirable condescendance pour s’accommoder à leur faiblesse, il fait luire sur eux un grand astre, très différent de tous les autres, afin de les frapper par sa grandeur, par sa beauté et par la nouveauté de son mouvement. C’est à l’imitation de cette condescendance que saint Paul prit autrefois occasion d’un autel qu’il vit à Athènes, pour prêcher Jésus-Christ aux Athéniens, et qu’il se servit du témoignage de leurs poètes. C’est de circoncision qu’il parle lorsqu’il s’adresse aux Juifs ; c’est des sacrifices qu’il part pour annoncer la doctrine à ceux qui vivent encore sous la loi ancienne. Comme les hommes sont tout attachés à leurs coutumes et à ce qu’ils voient d’ordinaire, Dieu et tous ceux qu’il envoie pour travailler au salut des peuples s’en servent souvent pour les faire entrer dans la vérité.

Ne regardez donc point comme une chose indigne de la grandeur de Dieu d’appeler à lui les mages par une étoile, puisque vous blâmeriez par la même raison les cérémonies des Juifs, leurs sacrifices, leurs purifications, leurs néoménies, leur arche et le temple même. Toutes ces choses n’ont point eu d’autre origine qu’une grossièreté toute païenne. Dieu cependant, pour le salut d’un peuple enfoncé dans l’erreur, permit que les Hébreux l’honorassent comme les païens honoraient les démons, à quelques petites différences près, afin qu’en les retirant peu à peu de ces coutumes, il les élevât dans la suite jusqu’au faîte de la sagesse évangélique.

Il use donc de cette condescendance envers les mages, et il les appelle à lui par une étoile, afin de les faire passer ensuite à un état plus parfait et plus élevé. Mais après qu’il les a ainsi conduits comme par la main jusqu’à la crèche, il ne leur parle plus par une étoile, mais par un ange, parce qu’ils sont devenus plus parfaits et plus éclairés.

Dieu traita ainsi autrefois les Ascalonites et les peuples de Gaza. (1Sa. 5) Car les cinq villes des Philistins ayant été frappées d’une plaie mortelle après la prise de l’arche, et ne pouvant trouver aucun moyen de s’en délivrer, ils assemblèrent les devins, et s’informèrent du moyen de faire cesser cette plaie. Leurs devins leur répondirent qu’il fallait prendre des génisses qui n’eussent pas encore été domptées, et qui n’eussent porté qu’une fois, et les atteler au chariot où était l’arche, afin de les laisser aller où elles voudraient sans que personne les conduisît ; et ils assurèrent qu’on reconnaîtrait par là si cette plaie venait de Dieu, ou si elle était arrivée par hasard. Car si, dirent-ils, elles secouent le joug, auquel elles n’ont pas été accoutumées ; si le cri de leurs veaux les fait retourner à leur étable, ce sera une preuve que cette plaie est arrivée par hasard ; mais si elles marchent droit dans leur chemin sans s’y égarer, quoiqu’elles ne le sachent pas, et sans être touchées par le cri de leurs petits, ce sera une marque certaine, que c’est la main de Dieu qui aura frappé nos villes. Comme donc ces peuples crurent alors ces devins, et firent ce qu’ils leur avaient ordonné, Dieu, par une admirable condescendance, voulut bien se conformer à la parole des devins, et il ne crut pas indigne de lui de seconder leurs prédictions, et d’accomplir ce qu’ils avaient dit. Sa gloire alors éclata d’autant plus, que ses propres ennemis reconnurent sa grandeur, et rendirent témoignage à sa souveraine puissance.

On pourrait citer plusieurs autres exemples d’une semblable condescendance de Dieu l’apparition de l’ombre de Samuel, évoquée par la pythonisse (1Sa 28), s’expliquerait suivant le même principe, et cette explication, vous la trouverez aisément vous-mêmes après ce que je viens de vous dire. Voilà les réflexions que je me borne à vous présenter sur l’étoile, mais en y songeant vous en trouverez bien davantage.

4. Maintenant reprenons le commencement du passage que nous avons lu : « Jésus donc étant né à Bethléem, qui est dans la tribu de Juda, au temps du roi Hérode, des mages vinrent d’Orient à Jérusalem (2). » Ces mages suivent la lumière d’une étoile, et les Juifs ne croient pas à tant de prophètes, qui avaient annoncé la naissance du Fils de Dieu ! Mais pourquoi l’Évangéliste marque-t-il avec tant de soin le lieu et le temps de cette histoire ? « Dans Bethléem », dit-il, « et au temps du roi Hérode. » Pourquoi encore a-t-il soin d’indiquer la dignité d’Hérode en ajoutant le mot de roi ? C’est pour distinguer cet Hérode de celui qui fit mourir saint Jean qui était Tétrarque, et non pas roi. Quant au lieu et au temps, il les rapporte pour rappeler à notre mémoire d’anciennes prophéties, l’une du prophète Michée qui avait dit : « Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la plus petite entre les villes de Juda (Mic 5,2) ; » et l’autre du patriarche qui avait marqué exactement le temps de la venue du Messie, et qui pour en donner un signe évident, avait dit : « Les princes ne cesseront point dans la tribu de Juda, et les chefs sortiront toujours de sa chair, jusqu’à ce que Celui qui a été destiné de Dieu soit venu, et il sera l’attente des nations. » (Gen 49,10)

Mais il faut voir d’où vint aux mages la pensée qu’ils eurent, ainsi que la résolution qu’ils prirent. Car je crois que leur foi n’a pas été l’ouvrage de cette étoile, mais de Dieu même, qui agissait dans leurs âmes, comme il agit autrefois sur l’esprit du roi Cyrus, pour le disposer à délivrer le peuple juif. Lorsque Dieu agit de la sorte, il le fait sans détruire le libre arbitre, puisque, lorsqu’il convertit saint Paul par une voix qu’il fit entendre du ciel, il voulut, en faisant voir sa grâce, faire voir en même temps la soumission et l’obéissance de cet apôtre.

Mais pourquoi, dites-vous, Dieu ne fit-il pas cette révélation à tous les mages ? C’est parce qu’ils n’y auraient pas tous ajouté foi, et que ceux-ci étaient mieux disposés que les autres. C’est ainsi que parmi tant de peuples sur le point de périr, Dieu n’envoya un prophète qu’aux seuls Ninivites, et que de deux larrons crucifiés avec Jésus-Christ, il n’y en eut qu’un qui fut sauvé. Admirez donc la vertu des mages, admirez non seulement le courage qu’ils ont eu de venir de si loin, mais la franchise qu’ils montrent envers Hérode. Pour qu’on ne les prenne pas pour des espions, ils s’expliquent franchement sur le guide qui les a conduits, comme sur la longueur de la route qu’ils ont parcourue. « Et ils demandèrent : Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus « l’adorer (2). » Ils ne craignent ni la colère du peuple ni la tyrannie du roi. C’est ce qui me fait croire que ces mages devinrent ensuite dans leur pays les prédicateurs de la vérité. Car après avoir parlé si hardiment à un peuple étranger, il l’auront fait encore beaucoup plus dans leur propre pays, principalement après avoir été instruits depuis par la parole d’un ange, et par le témoignage des prophètes. « Ce que le roi Hérode ayant entendu, il en « fut troublé, et avec lui toute la ville de Jérusalem (3). » Hérode pouvait raisonnablement craindre parce qu’il était roi, et qu’il craignait pour lui et pour ses enfants. Mais quel sujet de crainte pouvait avoir Jérusalem, à qui depuis si longtemps les prophètes promettaient un Messie sauveur, bienfaiteur, libérateur ? D’où venait donc le trouble de ce peuple ? De la même aberration d’esprit qui tant de fois lui avait fait mépriser Dieu lors même qu’il le comblait de biens, et qui lui faisait regretter les viandes d’Égypte au mépris de sa liberté si miraculeusement recouvrée. Mais considérez l’exactitude des prophéties. Car Isaïe avait annoncé ces choses longtemps auparavant : « Ils désireront », dit-il, « ils seront consumés, parce qu’un petit enfant nous est né et qu’un « fils nous a été donné. » (Isa 9,6) Cependant quelque trouble qu’ils ressentent, ils ne s’informent point de cette merveille qu’on leur annonce : ils ne suivent point les mages, ils ne témoignent pas la moindre curiosité en cette rencontre ; mais ils allient dans eux en même temps une négligence incroyable, avec une opiniâtreté inflexible. Ils devaient tenir au contraire, à grand honneur, la naissance de ce nouveau roi, qui déjà s’attirait l’hommage des Perses, et sous le règne duquel ils pouvaient se promettre de se rendre les maîtres du monde, puisqu’un commencement si illustre ne pouvait avoir que des suites glorieuses. Mais rien ne put changer leurs mauvaises dispositions, pas même le souvenir de la domination persane, à laquelle cependant il n’y avait pas encore très longtemps qu’ils avaient échappé. Quand même ils n’auraient eu aucune connaissance des sublimes mystères que Dieu devait accomplir, en ne consultant que l’événement dont ils étaient témoins, ils devaient tout naturellement se dire en eux-mêmes : Si ces étrangers tremblent déjà, et craignent si fort notre roi, lorsqu’il ne fait que de naître ; combien le craindront-ils davantage quand il sera grand ! combien donc allons-nous devenir plus puissants et plus glorieux que les autres peuples ? Mais rien de tout cela ne les peut toucher. Tel est l’assoupissement de leur indifférence, telle est la malignité de leur envie ; double vice que nous devons avec soin expulser de notre âme ; mais pour le combattre avec succès, il faut être plus brûlant que le feu. C’est pourquoi Jésus-Christ a dit : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et que désiré-je sinon qu’il s’allume ? » (Luc 12,49) C’est aussi pourquoi le Saint-Esprit a paru en forme de feu.

5. Et après cela néanmoins nous demeurons plus froids que la cendre et plus insensibles que les morts. Nous ne sommes point touchés en voyant le bienheureux Paul s’élever au-dessus du ciel et passer même le ciel du ciel, voler plus vite qu’une flamme, vaincre tous les obstacles qui se présentent à lui et se mettre au-dessus du ciel et de l’enfer, du présent et de l’avenir, de ce qui est et de ce qui n’est pas.

Si ce modèle est trop grand pour vous, c’est une marque de votre lâcheté. Qu’est-ce que saint Paul a eu de plus que vous, pour croire qu’il vous soit impossible de l’imiter ? Mais n’insistons pas sur ce point, laissons saint Paul à part et jetons la vue sur les premiers chrétiens ; argent, propriétés, soucis mondains, occupations séculières, ils rejetaient tous ces hommes, pour se donner à Dieu tout entiers et pour méditer jour et nuit ses enseignements.

Car tel est le feu du Saint-Esprit il ne souffre point que le cœur qu’il enflamme désire aucune des choses de ce monde, mais il nous, porte à un autre amour. C’est pourquoi celui qui suivait d’abord ses passions et ses désirs, deviendra prêt tout d’un coup à donner tout ce qu’il possède, à mépriser la gloire, à quitter les délices et même à exposer sa vie, s’il est nécessaire, et il fera tout cela avec une facilité merveilleuse, parce que lorsque l’ardeur de ce feu est entrée dans l’âme de quelqu’un, elle en chasse toute froideur et toute lâcheté. Elle la rend plus légère que n’est un oiseau et lui donne un mépris général de toutes les choses présentes.

Cette personne commence aussitôt à ressentir sans relâche les mouvements du repentir et de la componction. Elle pleure sans cesse avec abondance et trouve mille plaisirs et mille délices dans ses larmes. Et certes il n’y a rien qui nous attache plus fortement à Dieu que ces larmes. Celui qui est en cet état a beau demeurer dans une ville, il ne laisse pas d’y vivre comme s’il était retiré dans un désert, sur une montagne ou dans le creux d’un rocher. Il ne regarde plus rien des choses présentes et il ne se lasse point de gémir et de pleurer, soit qu’il pleure ses propres péchés, soit qu’il pleure ceux des autres. C’est pourquoi Jésus-Christ déclare que ceux-là sont bienheureux : « Heureux », dit-il, « ceux qui pleurent ! » (Mat 5,5 ; Phi 4,4)

Mais comment donc, me direz-vous, saint Paul a-t-il dit. «. Réjouissez-vous sans cesse en Notre-Seigneur ? » Il l’a dit pour exprimer le plaisir qui naît de ces larmes. Car comme la joie du monde a toujours la tristesse pour compagne, de même les larmes que l’on verse selon Dieu, font croître dans l’âme une fleur de joie qui ne meurt ni ne se fane jamais.

Ce fut ainsi, que cette courtisane de l’Évangile devint plus pure que les vierges même, ayant été embrasée de ce feu divin, Dès qu’elle eut passé par les flammes de la pénitence, son amour pour Jésus-Christ alla jusqu’au transport. Elle vint toute échevelée, elle arrosa ses pieds sacrés de ses larmes, les essuya de ses cheveux et versa dessus des parfums. Mais combien ces marques extérieures de son amour étaient encore au-dessous des saintes ardeurs de son âme, que Dieu seul voyait ! Aussi tous ceux qui entendent raconter cette histoire, se réjouissent de ses actions si saintes et la tiennent déjà purifiée de tous ses péchés.

Si nous qui avons tant de malice, nous portons ce jugement sur sa conversion, considérons quelles grâces elle aura reçues de Dieu, dont la bonté est infinie, et combien elle-même a recueilli de fruits de sa pénitence, avant même que Dieu l’ait comblée de ses dons et de ses faveurs. Comme l’air devient pur après une grande pluie, ainsi après cette pluie de larmes, l’esprit devient serein et tranquille, et les nuages des péchés se dissipent entièrement. Et comme nous avons été purifiés la première fois dans le baptême par l’eau et par l’esprit, nous le sommes une seconde fois dans la pénitence, par les larmes et par la confession, pourvu que nous n’agissions point par ostentation et par vaine gloire. Car celle qui pleure de la sorte est encore plus digne de blâme, que celle qui se peint le visage de blanc et de rouge par le désir qu’elle a de paraître belle.

Pour moi je veux des larmes qu’on ne donne pas à l’hypocrisie, mais à la componction. Je veux des larmes que l’on répande en secret dans le lieu le plus retiré de sa maison, et hors de la vue des hommes ; des larmes que l’on verse dans un grand silence, et dans un profond repos, et qui sortent du fond du cœur, qui naissent de la douleur et de la tristesse, et que l’on ne présente qu’aux yeux de Dieu seul. Telles étaient celles d’Anne, dont l’Écriture dit : « Qu’elle remuait les lèvres, sans qu’on entendît sa voix. » (1Sa 1,13) Mais ses larmes retentissaient plus haut devant Dieu que toutes les trompettes, du monde. C’est pourquoi Dieu la guérit de sa stérilité, et d’une roche dure fit un champ fertile.

6. Vous imiterez encore votre Seigneur et votre Dieu, si vous pleurez de cette manière, puisqu’il a pleuré lui-même la mort de Lazare et la ruine de Jérusalem, et qu’il a été ému et troublé de la perte de Judas. Enfin on le trouve souvent pleurant, mais on ne le trouve point riant, il ne souriait même jamais. Au moins nul des Évangélistes ne l’a marqué. L’Écriture aussi rapporte que saint Paul « a pleuré la nuit et le jour durant trois ans. » (Act 20,31) Lui-même le dit, et d’autres encore l’ont dit de lui ; mais ni lui ni personne n’a point écrit qu’il ait ri ; et nul des Saints ne l’a écrit aussi ni de soi-même ni d’un autre. On n’a dit cela que de Sara, qui en fut aussitôt reprise, et de l’un des fils de Noé, qui de libre qu’il était en devint esclave. Ce que je ne dis pas toutefois pour défendre absolument de rire jamais, mais peur bannir la dissipation.

Et véritablement quel sujet avez-vous tant de vous réjouir, et d’éclater de rire, puisque vous êtes encore si redevables à la justice divine, puisque vous devez comparaître devant un tribunal si terrible, et rendre un compte exact de toutes vos actions ? Fautes volontaires et même involontaires, nous rendrons raison de tout : « Si quelqu’un », dit le Sauveur, « me renonce devant les hommes, je le renoncerai devant mon Père, qui est dans les cieux. » (Mat 10,33) Et ainsi quoique ce renoncement ait été involontaire, on n’évitera pas le supplice.

Nous répondrons encore et de ce que nous savons, et de ce que nous ne savons pas, puisque l’Apôtre dit : « Je ne me sens coupable de rien, mais cela ne me justifie pas. » (1Co 4,4) Et il montre encore que l’ignorance n’excuse point, lorsqu’il dit des Juifs : « Je puis leur rendre ce témoignage, qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais leur zèle n’est pas selon la science (Rom 10,2) », ce qui néanmoins ne suffit pas pour les excuser. Et écrivant aux Corinthiens, il leur dit : « Je crains que comme le serpent trompa Eve par sa malice, on ne vous corrompe l’esprit, et que vous ne perdiez la simplicité qui est selon Jésus-Christ. » (2Co 11,3)

Comment ! vous avez à rendre compte de tant de péchés, et vous vous amusez à rire, à dire des plaisanteries, et à rechercher les délices de la vie ? Mais que gagnerai-je, me dites vous, quand je pleurerai au lieu de rire ? Vous y gagnerez infiniment. Dans la justice du siècle un criminel a beau pleurer ; on ne rétractera point pour cela l’arrêt de sa condamnation. Mais dans l’église si vous soupirez seulement, vos soupirs feront révoquer votre sentence, et vous obtiendront le pardon. C’est pour cette raison que Jésus-Christ nous recommande tant les larmes, et qu’il appelle heureux ceux qui pleurent, et malheureux ceux qui rient. L’église n’est point un théâtre, et nous ne nous y assemblons point pour rire aux éclats, mais pour gémir, et pour acquérir un royaume par nos pleurs et par nos soupirs. Quand vous êtes devant un roi de la terre, vous n’osez pas même sourire ; et lorsque le Seigneur des anges habite au milieu de vous, vous ne paraissez point devant lui avec la bienséance et la frayeur respectueuse qu’il demande ; mais vous riez même souvent, lorsqu’il est en colère contre vous. Ne voyez-vous pas que vous irritez encore plus Dieu par ce mépris, que par tous vos crimes ? Dieu d’ordinaire n’a pas tant d’horreur de ceux qui pèchent, que de ceux qui ne se repentent point après leurs péchés.

Cependant il y a des personnes assez insensibles pour pouvoir dire après tout ceci : Dieu me garde de pleurer jamais ; mais le don que je lui demande c’est de rire et de me divertir toute ma vie. Y a-t-il rien de plus bas et de plus puéril que cette pensée ? Les divertissements ne sont pas un don de Dieu, mais du diable. Écoutez ce qui arriva autrefois à ceux qui se divertissaient : « Le peuple », dit l’Écriture, « s’assit pour manger et pour boire ; et il se leva ensuite pour jouer. » (Exo 32,6) Tel était le peuple de Sodome ; tels étaient ceux qui vivaient avant le déluge. Car Dieu dit des premiers qu’« ils étaient plongés dans les délices, dans l’orgueil, dans les festins, et dans l’abondance de toutes choses. » (Eze 16,49) Et les seconds qui vivaient du temps de Noé, le voyant devant leurs yeux bâtir l’arche durant tant de temps, ne pensèrent qu’à prendre leurs divertissements, sans être touchés de douleur pour leurs péchés, et sans se mettre en peine de l’avenir. C’est pourquoi le déluge venant, les enveloppa tous, et ils périrent dans ce naufrage commun de toute la terre.

7. N’attendez donc point de Dieu ce que le démon seul donne aux hommes. Le don que Dieu nous fait est un cœur contrit et humilié, qui veille sur soi-même avec une grande circonspection (51), et qui est touché du repentir et de la componction de ses fautes. Ce sont là les présents que Dieu nous fait parce qu’ils nous sont les plus utiles. Nous avons à soutenir une rude guerre. Nous avons à combattre contre des ennemis invisibles, contre des esprits de malice, contre les principautés et les puissances, et nous sommes trop heureux si par tous nos soins, toute notre vigilance, et tous nos efforts, nous pouvons résister à une phalange si redoutable. Mais si nous devenons lâches et paresseux, si nous nous amusons à nous divertir et à rire, nous serons vaincus par notre mollesse, même avant que de combattre.

Ce n’est point à nous à passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et dans les délices. Cela n’est bon que pour les prostituées de théâtre, et pour les hommes qui les fréquentent, et particulièrement pour ces flatteurs qui cherchent les bonnes tables. Ce n’est point là l’esprit de ceux qui sont appelés à une vie céleste ; dont les noms sont déjà écrits dans l’éternelle cité, et qui font profession d’une milice toute spirituelle : mais c’est l’esprit de ceux qui combattent sous les enseignes du démon.

Oui, mes frères, c’est le démon qui a fait un art de ces divertissements et de ces jeux, pour attirer à lui les soldats de Jésus-Christ, et pour relâcher toute la vigueur, et comme les nerfs de leur vertu. C’est pour ce sujet qu’il a fait dresser des théâtres dans les places publiques, et qu’exerçant et formant lui-même ces bouffons, il s’en sert comme d’une peste dont il infecte toute la ville. Saint Paul nous a détendu les paroles impertinentes, et celles qui ne tendent qu’à un vain divertissement : mais le démon nous persuade d’aimer les unes et les autres.

Ce qui est encore plus dangereux, est le sujet pour lequel éclatent ces ris immodérés. Dès que ces bouffons ridicules ont proféré quelque blasphème, ou quelque parole déshonnête, aussitôt une multitude de fous se mettent à rire et à montrer de la joie ils les applaudissent pour des choses qui devraient les faire lapider et ils s’attirent ainsi sur eux-mêmes, par ce plaisir malheureux, le supplice d’un feu éternel. Car en les louant de ces folies, on leur persuade de les faire, et on se rend encore plus digne qu’eux de la condamnation qu’ils ont méritée. Si tout le monde s’accordait à ne vouloir point regarder leurs sottises, ils cesseraient bientôt de les faire : mais lorsqu’ils vous voient tous les jours quitter vos occupations, vos travaux, et l’argent qui vous en revient ; en un mot, renoncer à tout pour assister à ces spectacles, ils redoublent d’ardeur, et ils s’appliquent bien davantage à ces folies.

Je ne dis pas ceci pour les excuser, mais pour vous faire voir que c’est vous principalement qui êtes la source de tous ces dérèglements, en assistant à leurs jeux, et y passant les journées entières. C’est vous qui dans ces représentations malheureuses profanez la sainteté du mariage, et qui déshonorez devant tout le monde ce grand sacrement. Car celui qui représente ces personnages infâmes, est moins coupable que vous qui les faites représenter, que vous qui l’animez de plus en plus par votre passion, par vos ravissements, par vos éclats et par vos louanges, et qui travaillez de toutes manières à embellir et à relever cet ouvrage du démon. Avec quels yeux pourrez-vous regarder chez vous votre femme, après l’avoir vue si outragée en la personne de ces comédiennes ? Comment ne rougissez-vous point en pensant à elle, en voyant son sexe si déshonoré par ces infamies ?

8. Ne me dites point que tout ce qui se fait alors n’est qu’une fiction. Cette fiction a fait beaucoup d’adultères véritables, et a renversé beaucoup de familles. C’est ce qui m’afflige davantage, que ce mal étant si grand, on ne le regarde pas même comme un mal, et que lorsqu’on représente un crime aussi grave que l’est l’adultère, on n’entende que des applaudissements et des cris de joie. Ce n’est qu’une feinte, dites-vous. C’est donc pour cela même que ces personnes sont dignes de mille morts, d’oser exposer aux yeux de tout le monde des désordres qui sont défendus par toutes les lois. Si l’adultère est un mal, c’est un mal aussi que de le représenter.

Qui pourrait dire combien ces représentations dramatiques de l’adultère font d’adultères, et combien elles inspirent l’impudence et l’impureté à tous ceux qui les regardent ? Car il n’y a rien de plus impudique que l’œil, qui peut souffrir de voir ces obscénités. Vous auriez horreur qu’une femme nue se présentât à vous dans une place publique, ou dans une maison, et vous vous croiriez offensé si elle le faisait : et cependant vous ne craignez pas d’aller au théâtre, pour déshonorer publiquement l’un et l’autre sexe, et pour souiller vos yeux par la vue de ces impuretés.

Ne dites point que celle qui paraît de la sorte est une femme prostituée. Car c’est toujours une femme, et qu’elle soit libre ou esclave, son déshonneur est celui du sexe et de la nature. S’il n’y avait point de mal en cela, pourquoi vous retireriez-vous, si cela vous arrivait dans une rue ? Pourquoi vous emporteriez-vous contre celle qui commettrait cette infamie ? Est-ce que ce qui blesse l’honnêteté lorsqu’on est seul, ne la blesse plus lorsqu’on est plusieurs ensemble ? Cette pensée n’est-elle pas ridicule, et entièrement extravagante ? Il vaudrait mieux couvrir tout son visage de boue, que de souiller sa vue par ces spectacles honteux. Car la boue blesse moins les yeux du corps, que la vile de cette femme impudique ne blesse ceux de l’âme.

Souvenez-vous d’où est venue d’abord la nudité dans le premier homme, et appréhendez la cause de cet état si honteux. Qu’est-ce qui causa cette nudité, sinon la désobéissance d’Adam, et l’inspiration du démon ? Tant il est vrai que c’est le démon qui s’est plu d’abord à mettre les hommes dans cet état ! Mais nos premiers pères se voyant nus rougirent au moins de leur nudité : et vous autres vous vous en glorifiez ; et « vous mettez votre gloire dans votre confusion (Phi 3,13) », selon la parole de l’Apôtre. De quels yeux vous regardera votre femme, lorsque vous revenez de ces lieux impurs ? comment vous recevra-t-elle ? comment vous parlera-t-elle, après que vous avez fait cet outrage à son sexe, et que la vue d’une prostituée vous a peut-être rendu son esclave par une détestable passion ?

Si vous vous affligez lorsque je vous parle de la sorte, je bénirai Dieu de la grâce qu’il vous fait. Car « qui peut me donner plus de joie, » comme disait saint Paul, « que celui qui s’attriste par ce que je dis ? » (2Co 2,2)Ne cessez donc point de pleurer et de soupirer de ces désordres, puisque la douleur que vous en ressentirez sera le commencement de votre conversion. C’est pour cette raison que je vous ai parlé avec plus de force ; j’ai voulu par une incision plus profonde vous guérir de la gangrène que vous communiquent ces corrupteurs publics, et vous rendre une parfaite santé. C’est ce que je vous souhaite à tous avec ces récompenses éternelles que Dieu promet à nos bonnes œuvres, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII.

HÉRODE AYANT ASSEMBLÉ TOUS LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES DOCTEURS DU PEUPLE, S’ENQUIT D’EUX OU DEVAIT NAÎTRE LE CHRIST. – ET ILS LUI DIRENT QUE C’ÉTAIT A BETHLÉEM DE LA TRIBU DE JUDA, SELON CE QUI A ÉTÉ ÉCRIT PAR LE PROPHÈTE : – ET VOUS, BETHLÉEM, TERRE DE JUDA, VOUS N’ÊTES PAS LA PLUS PETITE PARMI LES PRINCIPALES VILLES DE JUDA ; CAR DE VOUS SORTIRA LE PRINCE QUI SERA LE PASTEUR DE MON PEUPLE D’ISRAËL », ETC. (CHAP. 2,4, 5, 6, JUSQU’AU VERSET 12)

ANALYSE.

  • 1. Des signes qui marquèrent la venue de Jésus-Christ.
  • 2. Il sortira de Bethléem. Quelques-uns ont l’audace d’appliquer cet oracle à Zorobabel ; vive réfutation de cette erreur.
  • 3. Aveuglement et inconséquence d’Hérode.
  • 4. Sortie contre Marcion, Paul de Samozate et les Juifs.
  • 5-7. Comment on doit aller à la sainte communion. – Que les préceptes de l’Évangile sont communs à tous.- Péroraison éloquente contre les spectacles.

1. Voyez-vous, mes frères, comment tout dans cette histoire tourne à la condamnation des Juifs ? Tant qu’ils n’ont pas encore vu Jésus-Christ, tant que l’envie ne s’est pas emparée d’eux, ils rapportent fidèlement ce que les prophètes en avaient prédit ; et lorsqu’ils ont vu depuis sa gloire établie par ses miracles, l’envie dont ils ont été prévenus leur a fait trahir la vérité. Mais plus elle a rencontré d’obstacles, plus elle s’est élevée, et les persécutions n’ont servi qu’à la propager.

Cependant admirez ici un étonnant effet de la sagesse de Dieu. On voit les Juifs et ces étrangers s’instruire mutuellement les uns les autres. Les Juifs apprennent des mages qu’une étoile avait annoncé le Messie dans leur pays ; et les mages apprennent des Juifs que Celui que cette étoile annonçait, avait été longtemps auparavant prédit par les prophètes. Cette exacte information d’Hérode est cause que les uns et les autres connaissent plus clairement la vérité. Ceux même qui la combattaient sont forcés malgré eux de lire les Écritures qui la démontrent, et d’interpréter les prophéties, quoi-qu’ils ne l’aient fait qu’imparfaitement. Car après avoir dit que Jésus naîtrait dans Bethléem, et que d’elle sortirait le pasteur d’Israël, ils suppriment, pour flatter Hérode, ces paroles que le Prophète ajoute ; « Il sortira dès le commencement des jours de l’éternité. » (Mic 5,2)

Vous me direz peut-être : Puisque le Messie devait sortir de Bethléem, pourquoi demeure-t-il dans Nazareth un peu après sa naissance, et jette-t-il ainsi quelque obscurité sur les prophéties ? Je vous réponds que ce n’était point obscurcir la vérité, mais que c’était au contraire la découvrir davantage. En effet, s’il est né à Bethléem, quoique ordinairement sa mère demeurât à Nazareth, n’est-ce pas un signe de l’action mystérieuse de la divine Providence ? C’est pourquoi il ne quitte point Bethléem aussitôt après qu’il y est né, mais il y demeure quarante jours, afin de donner à ceux qui voudraient en prendre la peine, la faculté de faire à son sujet une enquête exacte et complète.

Il y avait plusieurs raisons qui devaient porter les Juifs à cette recherche, s’ils eussent voulu s’y appliquer. Lorsque les mages arrivent, toute la ville et le roi même est frappé d’étonnement. On consulte les prophètes ; on assemble les docteurs de la loi ; sans compter beaucoup d’autres faits encore que saint Luc rapporte très-exactement, comme ce qu’il dit d’Anne, de Siméon, de Zacharie, des anges et des pasteurs, toutes choses qui pouvaient suffire à des personnes un peu curieuses, pour leur donner occasion de connaître ce qui se passait. Si les mages venant de la Perse purent bien trouver le lieu de sa naissance, combien plus ceux qui étaient sur les lieux mêmes pouvaient-ils s’en instruire plus aisément ?

Il se découvre donc aussitôt après sa naissance par plusieurs miracles ; mais parce qu’ils ferment les yeux pour ne pas les voir, le Sauveur se cache quelque temps, afin de se produire ensuite d’une manière plus éclatante. Ce ne seront plus alors les mages ni l’étoile, ce sera son Père même qui le révélera et l’annoncera sur le fleuve du Jourdain. Le Saint-Esprit descendra sur sa tête lorsqu’il sera baptisé, et il lui rendra témoignage par une voix qui viendra du ciel. Jean son précurseur le publiera dans toute la Judée à haute voix, et le bruit de sa prédication remplira le désert comme les lieux habités ; ses miracles lui rendront témoignage, et la terre, la mer, et toutes les créatures élèveront leurs voix pour faire connaître sa grandeur. Ce n’est pas qu’au temps même de sa naissance, il n’ait fait assez de miracles pour découvrir qui il était. En effet, pour que les Juifs ne pussent dire : Nous ne savons ni quand ni où il est né, Dieu fait venir les mages avec tout ce qui arriva alors, pour les rendre entièrement inexcusables d’avoir négligé de s’instruire de tout ce qui se passait.

2. Mais remarquez avec quelle exactitude le Prophète parle. Il ne dit pas que le Messie demeurerait dans Bethléem, mais seulement qu’il en sortirait ; ce qui marquait expressément qu’il ne ferait que naître en ce lieu.

Quelques téméraires ont osé soutenir que cette prophétie regardait Zorobabel et non Jésus-Christ. Mais quelles raisons peuvent-ils apporter, puisqu’on ne peut pas dire de Zorobabel comme de Jésus-Christ : « Qu’il soit sorti dès le « commencement des jours de l’éternité ? » (Mic 5,2) Comment aussi cette parole serait-elle vraie : « Il sortira de Juda un Roi (Mat 2,6) » puisque Zorobabel ne naquit point dans la Judée, mais à Babylone, circonstance à laquelle il dut même son nom, comme le savent ceux qui connaissent la langue syriaque ?

Mais, outre ces preuves, toute la suite des temps confirme assez cette prophétie. Que dit la prophétie ? Tu n’es pas la moindre entre les princes de Juda ; pourquoi ? De qui te viendra ta gloire ? De Celui qui sortira de toi. Or, de cette petite bourgade, il n’est sorti personne qui l’ait illustrée et rendue glorieuse, si ce n’est Jésus-Christ seul. Mais à présent, depuis cette naissance admirable, on vient des extrémités de la terre voir cette étable et le lieu de cette crèche. C’est ce que le Prophète marquait par ces paroles : « Vous n’êtes pas la plus petite entre les princes de Juda (Mat 2,6) », c’est-à-dire entre les princes des tribus, ce qui comprenait Jérusalem même.

Cependant les Juifs ne donnèrent aucune attention à une affaire qui leur importait si fort. Et c’est pour cette raison que les prophéties ont moins insisté d’abord sur la grandeur de Jésus-Christ que sur les – grâces qu’il devait apporter aux Juifs. Lorsqu’il était encore dans le sein de la Vierge, l’ange dit à Joseph « Vous « le nommerez Jésus, parce que ce sera lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Les mages de même ne demandent point « où était né » le Fils de Dieu, mais « le Roi des Juifs. » Et il n’est pas dit ici de Bethléem : « Il sortira de vous » le Fils de Dieu, mais « le Prince qui sera le Pasteur de mon peuple d’Israël. » Il convenait que Dieu, dans les commencements, usât de condescendance en son langage pour ne scandaliser personne, et que, pour mieux attirer les Juifs, il publiât d’abord ce qui concernait leur salut.

Aussi les premières prophéties citées par l’Évangéliste, celles qui ont rapport au temps de sa naissance, ne disent-elles rien de grand ni de sublime à son sujet ; il n’en est pas de même de celles qui regardent la période de temps où éclatent ses miracles ; celles-ci parlent beaucoup plus clairement de sa divinité. Lorsque le Prophète parle des enfants qui chantèrent dans le temple les louanges du Sauveur après les œuvres miraculeuses qu’il avait faites, il dit : « Vous avez tiré votre louange de la bouche des enfants qui étaient à la mamelle (Psa 8,4) », mais il ajoute ensuite : « Je verrai vos cieux, qui sont les ouvrages de vos mains », pour marquer clairement qu’il est le créateur de toutes choses. De même les prophéties qui parlent de son ascension font voir son égalité avec le Père, comme on le voit par ces paroles : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite. » (Psa 110,1) Isaïe dit aussi : « Il s’est levé afin d’être le Prince des nations, et les nations espéreront en lui. » (Isa 20,10)

Mais comment le Prophète dit-il : « Que Bethléem n’est pas la plus petite entre les principales, villes de Juda » puisqu’elle est devenue célèbre non seulement dans la Judée, mais dans tout le monde ? C’est parce que le Prophète ne parle ici qu’aux Juifs, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Il sera le Pasteur de mon peuple d’Israël », quoiqu’il l’ait été de toute la terre. Mais, comme je l’ai déjà dit, il ne voulait point d’abord offenser les Juifs, et il cache à dessein le mystère de la vocation des Gentils. Et comment, me direz-vous, n’a-t-il pas été le pasteur du peuple juif ? Mais il l’a été au contraire, puisque par ce mot d’Israël l’Évangile entend ceux des Juifs qui ont cru en Jésus-Christ. C’est ainsi que saint Paul le prend en disant : « Tous ceux qui sont d’Israël ne sont pas Israélites, mais tous ceux qui sont nés par la foi qu’ils ont eue aux promesses. » (Rom 9,6) S’il n’a pas été le roi de tous les Israélites, c’est uniquement leur faute et leur crime. Car, au lieu de l’adorer avec les mages, et de rendre gloire à Dieu de ce qu’enfin le temps s’approchait de remettre leurs péchés, puisqu’on ne leur parlait point de la terreur des jugements de Dieu, ni de sa vengeance, mais qu’on ne leur représentait Jésus-Christ que comme un pasteur très-doux, ils ne font au contraire qu’exciter des troubles et des tumultes, et lui dresser mille pièges pour le perdre. « Alors Hérode ayant appelé les mages en secret, s’enquit d’eux avec grand soin du temps que l’étoile leur était apparue (7). » Il voulait tuer cet enfant par un dessein aussi cruel qu’il était extravagant. Car tout ce qui était arrivé et tout ce qu’on lui avait dit au sujet de cet enfant, devait suffire pour le détourner de cette entreprise.

On ne pouvait expliquer humainement ce qui s’était passé. Un avertissement envoyé du ciel aux mages par le moyen d’une étoile, un si long voyage entrepris par des étrangers pour venir adorer un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche, enfin ces événements si longtemps d’avance annoncés par les prophètes, il n’y avait rien dans tout cela qui ne surpassât l’homme. Néanmoins rien n’arrêta Dérode. Telle est la méchanceté, elle se combat elle-même, elle se heurte opiniâtrement à l’impossible.

3. Mais voyez l’absurdité. Si Hérode croyait à la prophétie, et s’il était persuadé que rien n’en pourrait détourner l’effet, il devait aussi comprendre l’inanité de ses efforts pour empêcher ce qui ne pouvait être empêché. Si, au contraire, il n’y ajoutait pas foi et ne comptait pas que les choses prédites dussent arriver, pourquoi appréhender et craindre, pourquoi dresser des embûches ? Ainsi, d’une manière comme de l’autre, sa ruse était superflue. C’était aussi le comble de l’extravagance d’espérer que les mages feraient plus d’état de lui que de l’enfant pour lequel ils avaient fait un si long voyage. Si, avant même que de l’avoir vu, ils avaient témoigné tant d’ardeur pour le chercher, comment espérer qu’après l’avoir vu, et avoir été confirmés dans leur foi par les prophètes, ils le trahiraient et le livreraient à son ennemi ? Malgré tant de raisons qui devaient le retenir, le tyran passe outre. « Il appelle les mages en secret. » Il garde le secret, parce qu’il pensait que les Juifs se mettraient en peine de sauver cet enfant et qu’il ne les croyait pas assez plongés dans la folie, pour vouloir livrer entre les mains d’un tyran celui qui venait être leur Sauveur, leur protecteur et le libérateur de leur pays. C’est pourquoi « il les appelle en secret et il s’informe avec soin du temps », non de l’enfant, mais « de l’étoile ; » le tigre fait un détour pour tomber plus sûrement sur sa proie. Car il me semble qu’il y avait assez longtemps déjà que l’étoile s’était montrée pour la première fois. Comme les mages devaient employer beaucoup de temps à ce voyage et qu’il était utile, pour faire éclater davantage cet événement, qu’ils adorassent l’enfant lorsqu’il était encore au maillot, il fallait nécessairement que l’étoile leur eût apparu longtemps d’avance. Si elle n’eût commencé à paraître en Orient que lorsque Jésus-Christ naissait dans la Judée, la longueur du chemin ne leur eût pas permis d’arriver à temps pour le voir dans ses langes. Ne nous étonnons donc pas qu’Hérode fasse périr les enfants de deux ans et au-dessous. D’ailleurs la fureur et la crainte dont il était agité le portaient, pour plus de sûreté, à ajouter encore au temps indiqué par les mages, afin que nul enfant de cet âge ne pût lui échapper. « Et les envoyant à Bethléem il leur dit : Allez, informez-vous exactement de cet enfant, et lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille aussi l’adorer (8). » Voyez la déraison ! Si tu parles sincèrement, pourquoi le fais-tu en secret ? Et si c’est dans le dessein de dresser quelque piège, comment ne vois-tu pas que les mages pourront s’en défier après ces informations si secrètes ? Mais comme j’ai déjà dit, l’excès de la passion porte une âme au comble de la folie.

Il ne leur dit pas : « Allez, informez-vous de ce roi », mais de cet « enfant », parce qu’il ne pouvait même se résoudre à lui donner le nom de roi. Cependant les mages, bons et sincères, ne soupçonnent rien dans ses paroles. Comment en effet supposer qu’un homme se porte à cet excès de malice, et entreprenne de s’opposer à l’œuvre la plus merveilleuse de la bonté divine ? Ils sortent de devant Hérode sans penser à rien de mal, jugeant par leur propre sincérité de celle des autres. « Ils partirent donc après ces paroles du roi, et aussitôt l’étoile qu’ils avaient vue en Orient commença d’aller devant eux, jusqu’à ce qu’étant arrivée sur le lieu où était l’enfant, elle s’y arrêta (9). » Elle ne s’était cachée qu’afin que privés de ce guide, ils fussent forcés d’interroger les Juifs, et de publier ainsi cette naissance devant tout le monde. Dès qu’ils eurent interrogé les Juifs et que ceux-ci les ont instruits, l’étoile reparaît aussitôt. Admirez, je vous prie, la conduite de Dieu en cette rencontre. Aussitôt qu’ils cessent d’être conduits par l’étoile, les Juifs les reçoivent avec leur roi, et leur rapportent les prophéties-qui parlaient de cet enfant. Quand les prophètes les ont instruits, l’ange le fait ensuite, et les informe de tout ; et cette même étoile les conduit encore de Jérusalem à Bethléem. De nouveau elle fait route avec eux pour nous faire encore une fois comprendre qu’elle n’est point une étoile ordinaire. Dans quelle autre en effet a-t-on remarqué rien de pareil ? Elle ne luisait pas simplement comme les autres, mais elle allait devant les mages, et les conduisait en plein midi.

4. Mais quelle nécessité, dites-vous, avaient-ils de cette étoile, puisqu’ils savaient déjà le lieu de la naissance de Jésus-Christ ? Ce n’était plus pour apprendre simplement la ville, mais pour savoir en particulier le lieu où pouvait être cet enfant. Car la maison où il était n’avait rien de grand, et sa mère n’avait rien qui attirât les regards et l’attention. Il fallait donc que l’étoile s’arrêtât sur le toit de la maison. C’est pourquoi ils la revoient en sortant de Jérusalem, et elle ne s’arrête plus qu’elle ne soit arrivée sur l’étable, et qu’elle n’ait ajouté un miracle à un miracle, le miracle de l’adoration des mages au miracle des mages guidés par une étoile, Ce double miracle me paraît si grand qu’il devait, ce me semble, attirer à Jésus-Christ des âmes de pierre. Si les mages eussent dit qu’ils avaient appris cette naissance des prophètes, ou que les anges la leur avaient annoncée, on ne les aurait pas crus, mais l’apparition d’une étoile dans le ciel était un prodige capable de fermer la bouche aux plus impudents. Lorsque l’étoile fut au-dessus du Sauveur, elle s’arrêta encore une fois ; or c’est une puissance qui n’est point ordinaire aux astres, de se cacher et de paraître de nouveau, et de s’arrêter lorsqu’elle paraît. A cette vue sans doute les mages sentirent croître leur foi. Ils se réjouirent d’avoir trouvé enfin celui qu’ils avaient tant cherché, d’avoir été les prédicateurs de la vérité, et de n’avoir pas entrepris inutilement un si long voyage et cette joie naissait de l’amour dont ils brûlaient pour Jésus-Christ. L’étoile s’arrêta sur la tête de l’enfant, pour apprendre qu’il était le Fils de Dieu. Elle porte à l’adorer non de simples étrangers, mais les plus sages d’entre eux. Ainsi vous voyez avec combien de raison l’étoile leur a paru de nouveau, puisqu’ils ont eu besoin d’elle après même le témoignage des prophètes, et les instructions qu’ils avaient reçues des scribes et des princes des prêtres.

Que l’hérétique Marcion, que l’impie Paul de Samosate rougissent, eux qui n’ont pas voulu reconnaître ce qu’ont vu les mages, ces premiers Pères de l’Église. Car je ne rougis point de les appeler de la sorte. Que Marcion soit couvert de honte, en voyant un Dieu adoré en sa chair, et que l’impie Paul soit confondu, en voyant adoré comme Dieu Celui qu’il ne croit qu’un homme. Les langes et la crèche font assez voir qu’il est homme ; mais l’adoration que les mages lui rendent, fait voir qu’il est plus qu’un homme. Ils montrent assez qu’il est Dieu, en lui offrant dans soir enfance même des présents qu’on ne peut offrir qu’à Dieu. Que les Juifs rougissent aussi avec eux, en voyant – que des barbares et des mages les devancent, et qu’ils n’ont pas même assez de foi pour les suivre. Mais ce qui se passait alors était une figure de l’avenir, qui marquait que les gentils préviendraient dans la foi le peuple juif.

Pourquoi donc, me direz-vous, Jésus-Christ ne dit-il pas d’abord à ses apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations (Mat 28,19) », et qu’il réserve ce commandement à la fin de sa vie ? C’est parce que ce qui est arrivé aux mages était, comme j’ai dit, une prédiction de l’avenir. Il était plus juste que ce fût d’abord le peuple juif qui embrassât la foi de Jésus-Christ. Mais ce peuple ayant volontairement renoncé à la grâce qui lui était offerte, Dieu a changé l’ordre des choses. Ce n’était pas sans doute l’ordre le plus naturel que les mages adorassent Jésus-Christ avant les Juifs ; que dés hommes si éloignés prévinssent ceux qui avaient cet enfant au milieu d’eux ; et que des étrangers qui n’avaient rien entendu de ces mystères, eussent l’avantage sur ceux qui avaient été nourris dans la connaissance des prophètes. Mais parce qu’ils n’ont pas connu le trésor qu’ils avaient reçu de Dieu, les Perses le leur ont ravi au milieu même de Jérusalem. C’est ce que saint Paul leur reproche : « C’était à vous », dit-il, « qu’on devait annoncer d’abord la parole de Dieu, mais puisque vous vous en êtes jugés indignes, nous nous tournons vers les gentils. » (Act 13,46). Quelque incrédulité qu’ils eussent témoignée jusqu’alors, ils devaient au moins, après avoir vu les mages, suivre leur exemple et courir à Jésus-Christ. Mais ils ne l’ont pas voulu ; et les mages les préviennent et se hâtent d’aller au Sauveur, pendant que les autres sont assoupis d’un profond sommeil.

5. Suivons donc nous autres les mages. Quittons le pays barbare de nos mauvaises habitudes, et faisons un long voyage pour voir Jésus-Christ, puisque si les mages n’eussent fait un si long chemin, ils n’auraient jamais eu ce bonheur. Séparons-nous de tous les embarras de la terre. Tant que les mages demeurèrent dans la Perse, ils ne virent qu’une étoile, mais lorsqu’ils l’eurent quittée, ils méritèrent de voir le Soleil même de justice. Et l’un peut dire que cette étoile ne leur eût pas lui longtemps, s’ils ne fussent sortis promptement de leur pays.

Levons-nous aussi nous autres, et quand toute la terre serait en trouble, hâtons-nous d’aller à la maison de cet enfant. Quand les rois, quand les peuples, quand les tyrans voudraient nous en couper le chemin, ne laissons point éteindre notre ardeur par ces obstacles, puisque c’est ainsi que nous les vaincrons. Si les mages n’eussent été constants jusqu’à la fin, et n’eussent vu l’enfant, ils n’auraient point évité les maux dont ils étaient menacés par Hérode. Ils sont environnés de craintes, de périls et de troubles, avant que d’adorer l’enfant, mais aussitôt après ils ont dans la paix et dans le calme. Ce n’est plus une étoile qui les instruit, mais un ange qui leur parle, parce qu’ils étaient devenus prêtres en adorant Jésus-Christ, et en lui offrant leurs dons.

Quittez aussi vous-mêmes le peuple juif ; quittez cette ville troublée, ce tyran altéré de sang, et tout ce vain éclat du siècle, pour courir à Bethléem, à cette maison du pain céleste et spirituel. Quand vous ne seriez qu’un berger, si vous vous hâtez d’aller à cette étable, vous y verrez l’enfant. Mais quand vous seriez roi, si vous n’y venez, votre pourpre ne pourra pas vous sauver. Quand – vous seriez étranger et barbare comme les mages, rien ne vous empêchera de voir l’enfant, pourvu que vous veniez pour adorer le Fils de Dieu, et non pour le fouler aux pieds, comme dit saint Paul, et que vous vous présentiez devant lui avec frayeur, et avec joie, deux choses qui peuvent fort bien s’allier ensemble.

Mais gardez-vous de ressembler à Hérode, et, en disant comme lui que vous viendrez l’adorer, de venir en effet pour le tuer. Tous ceux qui approchent indignement des sacrés mystères, se rendent semblables à ce tyran : « Celui qui mange indignement ce pain », dit saint Paul, « est coupable du corps et du sang du Seigneur. » (1Co 2,27) Car ils ont en eux-mêmes un tyran qui est encore plus méchant qu’Hérode, et plus ennemi, de la gloire et du royaume de Jésus-Christ : c’est le démon de l’avarice. Ce tyran veut seul régner dans notre âme, et envoie ses sujets pour adorer Jésus-Christ en apparence, et pour le tuer en effet.

Craignons donc aussi nous-mêmes d’être en apparence les adorateurs de Dieu, et d’être en effet dans une disposition toute contraire. Renonçons à tout lorsque nous allons adorer Jésus-Christ. Si nous avons de l’or, offrons-le-lui plutôt que de le cacher en terre. Si les mages lui en présentèrent alors seulement par honneur et comme par hommage, que deviendrez-vous si vous, lui en refusez lorsqu’il est pauvre ? Si ces hommes font un si long voyage pour le venir adorer enfant, quelle excuse vous peut-il rester de refuser de faire trois pas pour l’aller visiter malade, et en prison ? Nos ennemis même nous font compassion lorsqu’ils sont malades ou captifs ; et vous n’en avez point de votre Seigneur qui vous a fait tant de grâces, lorsque vous le voyez en cet état ?

Les mages lui donnèrent de l’or, et vous avez peine même à lui donner du pain. Lorsqu’ils virent l’étoile, ils furent ravis de joie, et vous voyez Jésus-Christ devant vous sans habits, et sans retraite, et vous n’en êtes point touchés ? Qui de vous, après avoir reçu de si grandes grâces du Sauveur, a fait pour lui un aussi long chemin que ces étrangers et ces barbares, qui étaient en effet plus sages que les sages mêmes ? Mais que dis-je, un aussi long chemin ? La plupart des femmes aujourd’hui sont dans une si grande mollesse, qu’elles ne peuvent faire trois pas pour venir l’adorer sur cette crèche sacrée de l’autel sans se faire traîner par des mules. Les autres qui n’épargnent pas leurs pas, préfèrent néanmoins les affaires du siècle à celles de leur salut, et le théâtre à l’église.

6. Quoi ! les mages font un voyage si pénible avant que d’avoir vu Jésus-Christ, et vous ne voulez pas les imiter après même que vous l’avez vu ? Vous le quittez aussitôt pour courir aux spectacles, car je ne crains pas de vous parler encore sur ce sujet. Vous quittez Jésus-Christ que vous voyez dans cette crèche, pour aller voir des femmes impudiques sur le théâtre. Quels supplices sont assez grands pour punir un si grand excès ? Dites-moi, je vous prie, si quelqu’un vous offrait de vous mener au palais du roi, et de vous le faire voir sur son trône, aimeriez-vous mieux alors aller au théâtre ? D’ailleurs que gagnez-vous à ces spectacles ? Ici au contraire vous trouvez une source de feu, source spirituelle qui jaillit de l’autel. Et néanmoins vous ne craignez point de la quitter pour courir au théâtre, voir des femmes qui nagent, et pour être témoins de cette infamie publique, dont on déshonore la nature ?

Jésus-Christ est ici présent, il est assis proche de cette fontaine céleste, pour parler non à une femme seule, comme autrefois à la Samaritaine, mais à tout-un peuple. Et peut-être qu’il n’y est que pour une personne seule, puisqu’on ne se met point en peine de le venir voir. Quelques-uns viennent, mais de corps seulement, et les autres ne viennent pas même de cette manière. Cependant Jésus-Christ ne se retire point ; il demeure, et ne cesse point de nous demander à boire, non de l’eau, mais notre sanctification dont il est altéré. Car il est ici pour donner aux saints les choses saintes. Il ne nous présente point de cette divine source, une eau corruptible à boire, mais son sang vivant, qui est en même temps le symbole de sa mort, et la cause de notre vie.

Cependant vous quittez cette source de sang divin, et ce breuvage terrible, pour voir dans une même eau une prostituée qui nage, et votre âme qui se noie et périt malheureusement. Car cette eau est une mer d’impudicité, où se perdent tous les jours non les corps, mais les âmes. Ces femmes se jouent dans ces eaux, et vous périssez en les regardant. Ce sont là les pièges du démon. Il submerge dans ces eaux, non seulement ceux qui y descendent, mais encore plus ceux qui sont au-dessus pour voir ce spectacle. Ils périssent là plus cruellement, qu’autrefois Pharaon dans la mer Rouge, « lorsque les chevaux et les cavaliers », comme dit l’Écriture, « furent ensevelis dans les eaux. » (Exo 15,1) Si les âmes étaient visibles, je vous les ferais voir mortes sur les eaux, comme on y vit alors les corps des Égyptiens.

Mais ce qui est plus déplorable, c’est qu’on fait passer cette peste pour un divertissement, et qu’on appelle cet abîme de perdition, une mer de volupté, On se sauvera plus aisément de four les écueils de la-mer Egée et de la mer Tyrrhénienne, que des périls de ces spectacles. Le démon d’abord inquiète les esprits toute la nuit par l’attente ; puis leur faisant voir ce qu’ils avaient tant désiré, il les enchaîne et les emmène tomme ses captifs. Ne croyez pas que vous soyez sans crime, parce que vous n’avez point approché de ces personnes infâmes. Tout le mal a été consommé dans la disposition de la volonté. Si l’impureté vous possédait déjà, vous avez mis de l’huile dans sa flamme. Que si vous avez-pu voir ces choses sans en recevoir de l’impression, vous en êtes encore plus coupable, parce que vous êtes devenu un sujet de scandale et de chute pour les autres, en les invitant à ces spectacles par votre exemple, et en y souillant en même temps vos yeux et votre âme.

Mais ce n’est pas assez de vous avoir montré vos plaies. Voyons maintenant le moyen de les guérir. Où chercherons-nous des remèdes à ce mal ? Je veux vous renvoyer aujourd’hui à vos femmes, afin qu’elles vous instruisent elles-mêmes, au lieu que selon saint Paul, vous devriez être leurs maîtres. Mais puisque le péché a renversé cet ordre, et que le corps a pris le dessus, et la tête le dessous, usons au moins de cette voie pour rétablir toutes choses. Que si vous rougissez d’être le disciple de votre femme, cessez de pécher, et vous remonterez bientôt sur ce trône où Dieu vous a mis d’a bord. Tant que vous serez l’esclave du péché l’Écriture vous renverra pour vous instruire1 non seulement à vos femmes, mais même aux plus viles d’entre les bêtes. En effet, l’Écriture ne craint pas d’envoyer l’homme quoique honoré de la raison, à l’école de la fourmi. S’il y a du désordre en cela, ce n’est pas la faute de l’Écriture, mais de l’homme qui a dégénéré de sa grandeur. C’est donc pour suivre cet exemple que nous vous rendons les disciples de vos femmes ; et si vous méprisez leurs instructions, nous vous renverrons à l’école même des bêtes ; et nous vous ferons voir combien d’animaux dans l’air, sur la mer et sur la terre, sont beaucoup plus chastes et réservés que vous n’êtes. Si cette comparaison vous fait rougir, rentrez en vous-mêmes, et que le souvenir de ce que vous êtes, que la frayeur de cet abîme de l’enfer, et de ce fleuve de feu, vous fasse renoncer pour jamais aux eaux meurtrières du théâtre. Car c’est cette eau qui précipite dans l’enfer, et qui allume ce feu qui ne s’éteindra jamais.

7. Si celui qui regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l’adultère, comment ne deviendra-t-il pas mille fois adultère, celui qui veut bien la voir dans cette nudité ? Le déluge autrefois ne submergea pas tant d’hommes, que ces femmes qui nagent n’en noient dans la honte. Si les eaux du déluge ont tué les corps, elles ont arrêté les dérèglements des âmes ; mais celles-ci au contraire tuent les âmes sans perdre les corps.

Lorsqu’il s’agit de l’honneur de votre ville, vous voulez l’emporter sur toute la terre, parce qu’elle est la première qui a donné aux fidèles le nom de chrétiens : et lorsqu’il s’agit de la vertu et de la modestie chrétienne, vous souffrez que les plus petits villages l’emportent sur vous.

Que voulez-vous donc que nous fassions, me direz-vous ? Irons-nous sur les montagnes pour nous faire moines ? C’est cela même que je déplore, que vous vous imaginiez qu’il faille être solitaire pour devenir chaste. Les lois que Jésus-Christ a établies sont communes à tous. Lorsqu’il dit : « Si quelqu’un voit une femme avec un mauvais désir (Mat 5,28) », il ne le dit pas à un solitaire, mais à celui qui est engagé dans le mariage, puisque la montagne où il donnait ces divines lois n’était pleine alors que de personnes mariées.

Considérez donc par la foi ce qui se passe à ces théâtres, et renoncez pour jamais à ces spectacles diaboliques. N’accusez point la sévérité de mes paroles. Je ne vous interdis point le mariage, je ne vous empêche point de vous divertir, mais je souhaite seulement que ce soit avec modestie, et non d’une manière brutale et honteuse. Je ne vous oblige point de vous retirer dans les déserts et sur les montagnes, mais d’être modestes, réglés, humbles et charitables au milieu des villes.

Tous les préceptes de l’Évangile nous sont communs avec les religieux, excepté le mariage ; et en ce point même saint Paul veut nous égaler à eux, lorsqu’il dit : « Que ceux qui ont des femmes, soient comme s’ils n’en avaient point, parce que la figure de ce monde passe (1Co 7,29) ; » comme s’il disait : je ne vous commande point de fuir sur les montagnes, quoique cela serait à désirer, puisque les villes aujourd’hui imitent les crimes de Sodome et de Gomorrhe ; mais je ne l’exige point de vous. Demeurez dans votre maison avec votre femme et vos enfants ; mais ne déshonorez point votre femme, ne corrompez point vos enfants, et n’infectez point votre famille par cette peste du théâtre. N’entendez-vous pas saint Paul qui dit : « L’homme n’a point la puissance de son corps, mais c’est sa femme (1Co 7,4) », et qui vous impose à tous deux un devoir réciproque ? Cependant si votre femme va souvent à l’église, vous l’en accusez comme d’un crime ; et vous ne croyez pas qu’elle ait droit de vous accuser, lorsque vous passez les jours entiers au théâtre. Vous demandez à votre femme une si exacte retenue, que vous passez même au-delà des bornes, en ne lui permettant pas de sortir, lorsqu’il y aurait nécessité de le faire ; et vous croyez que pour vous, tout vous est permis. Saint Paul ne vous permet point cela néanmoins, puisqu’il donne en ceci à votre femme le même pouvoir qu’à vous : « Que l’homme », dit-il, « rende à sa femme l’honneur qu’il lui doit. » (1Co 7,3) Quel est le respect que vous avez pour elle, lorsque vous abandonnez à une prostituée ce qui est à elle ? Car votre corps est à votre femme. Comment lui rendez-vous l’honneur que vous lui devez, lorsque vous introduisez le tumulte et le désordre chez vous ; lorsque rapportant dans votre maison ce que vous avez fait dans la ville, vous couvrez de confusion et votre femme et votre fille qui vous écoutent, et vous encore plus qu’elles ? Il vaudrait bien mieux se taire, que de dire ce qu’on ne peut écouter sans rougir, et ce qu’on croirait digne de châtiment dans la bouche d’un esclave. Quelle excuse donc vous restera-t-il, lorsque vous allez voir avec tant d’ardeur ces objets infâmes, et que vous préférez à toute chose ce qu’il n’est pas même permis de dire ?

Je finis ici ce discours, afin de ne point paraître trop sévère. Mais si vous ne vous corrigez, je me servirai d’un fer encore plus tranchant, et je vous ferai une incision plus profonde. Je ne vous donnerai point de relâche, que je n’aie entièrement renversé ce théâtre diabolique, afin de rendre pure et sans tache l’assemblée de notre église. C’est ainsi que nous serons délivrés de tous les dérèglements de cette vie, et que nous mériterons le bonheur de l’autre, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VIII

« ET ÉTANT ENTRÉS DANS LA MAISON, ILS TROUVÈRENT L’ENFANT AVEC MARIE SA MÈRE, ET SE PROSTERNANT EN TERRE, ILS L’ADORÈRENT. ET OUVRANT LEURS TRÉSORS, ILS LUI OFFRIRENT POUR PRÉSENTS, DE L’OR, DE L’ENCENS ET DE LA MYRRHE », ETC. (CHAP. 2,11, JUSQU’AU VERSET 16)

ANALYSE.

  • 1. Les Mages adorent Jésus-Christ comme Dieu.
  • 2. La fuite du Christ enfant en Égypte.
  • 3. Éloge de saint Joseph.
  • 4. La Judée chasse le Christ et l’Égypte le reçoit. – État florissant de la religion chrétienne en Égypte à l’époque de saint Chrysostome.
  • 5. Saint Chrysostome propose à son peuple l’exemple des solitaires d’Égypte, et particulièrement de saint Antoine.

1. Comment donc saint Luc dit-il que l’enfant était couché dans une crèche ? Voici : Joseph et Marie n’ayant pu trouver asile dans une maison, à cause du grand nombre d’étrangers venus à Bethléem pour le recensement, S’étaient réfugiés dans une étable ; la Vierge mit alors au monde l’enfant-Dieu, et le coucha dans la crèche de l’étable. Cette explication, saint Luc lui-même la donne en disant « Elle coucha l’enfant dans la crèche, parce « qu’il n’y avait point de place pour eux dans l’hôtellerie. » (Luc 2,7) Mais ensuite elle le retira de là et le prit sur ses genoux.

A peine arrivée à Bethléem, la Vierge accouche ; cette circonstance n’a rien de fortuit, elle fait partie du plan divin touchant le mystère de l’Incarnation, elle est nécessaire pour l’accomplissement des prophéties.

Mais qui put porter les mages à adorer l’enfant ? Ce n’était pas l’extérieur de la Vierge qui n’avait rien d’extraordinaire, ni l’apparence de la maison qui était loin d’être magnifique, ni le reste de l’entourage où l’on ne voyait rien qui pût frapper et captiver. Cependant non seulement ils l’adorent ; mais ils ouvrent leurs trésors, et lui font des présents, plutôt comme à un Dieu que comme à un homme, puisque la myrrhe et l’encens sont particulièrement dus à Dieu. Qu’est-ce donc qui les prosternait en adoration devant un enfant, sinon ce qui les avait déjà portés à quitter leur maison pour faire un si long voyage, c’est-à-dire, l’étoile d’abord, puis la lumière que Dieu répandit en même temps dans leurs âmes, et qui les conduisit peu à peu, et les éclaira de plus en plus ? Sans cela comment expliquer ces honneurs divins rendus à un enfant entouré d’un si pauvre appareil ? Mais parce qu’il n’y a ici rien de grand pour les sens, parce que les yeux n’aperçoivent qu’une crèche, qu’une étable, qu’une mère pauvre, la grande sagesse des mages, se montrant seule, n’en éclate que mieux, et il faut nécessairement que vous compreniez que ce n’est pas vers un pur homme qu’ils viennent, mais vers Dieu même, et vers le Sauveur du monde. C’est dans cette vive foi que, bien loin de s’offenser de toute cette bassesse extérieure, ils se prosternent devant l’enfant, et lui offrent des présents qui n’avaient rien de charnel comme les offrandes des Juifs. Car ils ne lui immolent point des brebis ni des veaux, mais des dons mystérieux très rapprochés de la grâce et de l’excellence de l’Église, et qui sont les symboles de la science, de l’obéissance et de la charité. « Et ayant reçu en songe un avertissement du ciel de n’aller point retrouver Hérode, ils s’en retournèrent à leur pays par un autre chemin (12). » Admirez encore ici la foi des mages. Car comment ne sont-ils point scandalisés, ni surpris de cet avis ? comment sont-ils demeurés fermes dans l’obéissance, sans se troubler et sans raisonner ainsi en eux-mêmes ?

Si cet enfant était quelque chose de grand, et s’il avait quelque puissance, pourquoi serions-nous obligés de nous enfuir, et de nous retirer si secrètement ? pourquoi, après que nous avons paru librement et hardiment devant tout un peuple, sans craindre le bruit et l’étonnement de la ville ni la fureur du tyran, un ange vient-il maintenant nous chasser d’ici, comme des esclaves et des fugitifs ? Mais ils n’ont ni ces pensées dans l’âme, ni ces paroles dans la bouche. Car c’est en cela proprement que consiste la foi, de ne point chercher les raisons de ce qu’on nous dit, mais d’obéir simplement à ce qu’on nous ordonne.

2. « Or après que les mages s’en furent allés, l’ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et lui dit : Levez-vous, prenez l’enfant et sa mère et fuyez en Égypte, et demeurez-y jusqu’à ce que je vous dise d’en partir (13). » On peut ici être en suspens, en considérant et les mages et l’enfant. Car bien qu’ils n’aient point été troublés, et qu’ils aient reçu avec foi ce qu’on leur a dit, ne peut-on pas néanmoins demander pourquoi Dieu ne les sauve pas hautement de la fureur d’Hérode, eux et l’enfant, sans que les uns soient obligés de fuir en Perse, et l’autre en Égypte avec sa mère ? Mais que vouliez-vous que Dieu fît en cette rencontre ? Voudriez-vous que Jésus-Christ tombât entre les mains d’Hérode, et que néanmoins il ne reçût de lui aucun mal, après y être tombé ? S’il eût agi de la sorte, on n’aurait pas cru qu’il eût pris véritablement notre chair, et on aurait douté de la vérité de son incarnation. Car si en dépit de ce qu’il a fait, et de toutes les preuves qu’il a données de son humanité quelques-uns néanmoins ont osé dire que son incarnation n’était qu’une fable, dans quel excès d’impiété ne fussent-ils point tombés, s’il eût toujours agi en Dieu, et dans toute l’étendue de sa puissance ? L’ange donc renvoie ainsi ces mages, tant pour les rendre comme les prédicateurs de – Jésus-Christ en leur pays, que pour faire voir en même temps à Hérode, que son dessein cruel ne lui réussirait pas ; qu’il entreprenait, une chose impossible ; que sa fureur était vaine, et que tous ses travaux seraient sans effet. Car il est digne de la grandeur et de la puissance de Dieu, non seulement de vaincre hautement et sans peine ses ennemis, mais encore de les tromper et de les surprendre. C’est ainsi qu’il voulut autrefois tromper les Égyptiens par les Juifs, et que pouvant faire passer visiblement toutes leurs richesses entre les mains des Israélites, il aima mieux le faire secrètement et par une adresse, qui ne jeta pas moins de terreur dans l’esprit de ses ennemis, que les prodiges qu’il avait fait auparavant ?

2. En effet, les Ascalonites et les autres peuples voisins, lorsqu’ils eurent pris l’arche, qu’ils eurent été frappés d’une grande plaie, conseillaient à ceux de leur nation de ne pas lutter contre Dieu, de ne pas lui résister, et entre autres merveilles, ils leur rappelaient comment Dieu s’était joué des Égyptiens :« Pourquoi », disaient-ils, « appesantissez-vous vos cœurs, comme autrefois l’Égypte et Pharaon ? Lorsque Dieu se fut joué d’eux, ne laissèrent-ils pas aller son peuple ? » (1Sa 6,6) Ils, parlaient ainsi persuadés que cette conduite adroite n’était pas inférieure à tant de prodiges éclatants, ni moins propre à démontrer la puissance et la grandeur de Dieu.

Ce qui arriva à Hérode à l’occasion des mages n’était-il pas de nature aussi à le frapper fortement ? Se voir ainsi trompé et joué par les mages, n’était-ce pas à crever de dépit ? que s’il n’en devint pas meilleur, ce n’est pas la faute de Dieu qui lui avait ménagé cette leçon : il faut l’attribuer à l’excès de folie du tyran qui, loin de céder à ces avertissements, et de revenir de sa méchanceté, s’emporta plus avant dans le crime et ne fut pas arrêté par la crainte d’encourir un châtiment, plus sévère par un excès d’endurcissement et de démence.

Mais pourquoi Dieu choisit-il l’Égypte, pour y envoyer cet enfant ? L’Évangile en marque la principale raison, qui était d’accomplir cette parole : « J’ai appelé mon fils de l’Égypte. » (Ose 2,1) C’était aussi pour annoncer dès lors à toute la terre les grandes espérances qu’elle devait concevoir pour l’avenir. Car, comme l’Égypte et Babylone avaient plus que tout le reste du monde, brûlé dés flammes de l’impiété, Dieu voulait marquer d’abord qu’il convertirait l’une et l’autre, et qu’il les purifierait de leurs vices ; et donner par là l’espérance d’un semblable changement à toute la terre. C’est pourquoi il envoie les mages à Babylone, et va lui-même dans l’Égypte avec sa mère.

Outre ces raisons, nous avons encore ici une autre instruction très utile, pour nous établir dans une solide vertu ; c’est de nous préparer dès les premiers jours de notre vie aux tentations et aux maux. Car considérez que ce fut dès le berceau que Jésus-Christ se vit obligé de fuir. A peine est-il né que la fureur d’un tyran s’allume contre lui. Elle l’oblige de se sauver dans un pays étranger, et sa mère si pure et si innocente est contrainte de s’enfuir, et d’aller vivre avec des barbares.

Cette conduite de Dieu vous apprend que lorsque vous avez l’honneur d’être employé dans quelque affaire spirituelle, et que vous vous voyez ensuite accablé de maux et environné de dangers, vous ne devez pas en être troublé ni dire en vous-même : D’où vient-que je suis ainsi traité, moi qui m’attendais à la couronne, aux éloges, à la gloire, aux brillantes récompenses après avoir si bien accompli la volonté de Dieu ? Mais que cet exemple vous anime à souffrir généreusement et vous fasse connaître que la suite ordinaire des vocations spirituelles fidèlement remplies, c’est la souffrance, et que les afflictions sont les compagnes inséparables de la vertu.

Remarquez aujourd’hui cette vérité, non seulement dans la mère de Jésus, mais encore dans les mages. Car ils se retirent en secret comme des fugitifs, et la Vierge qui n’était jamais sortie du secret d’une maison, est contrainte de faire un chemin très pénible, à cause de cet enfantement tout spirituel et tout divin. Admirez une merveille si étrange. La Judée persécute Jésus-Christ, et l’Égypte le reçoit et le sauve de ceux qui le persécutent. Ceci fait bien voir que Dieu n’a pas seulement tracé dans les enfants des patriarches les figures de l’avenir, mais encore dans Jésus-Christ même, car il est – certain que beaucoup de choses qu’il a faites alors étaient des figures de ce qui devait arriver après ; je citerais par exemple l’ânesse et l’ânon qu’il monta pour faire son entrée à Jérusalem. L’ange donc apparut non à Marie, mais à Joseph, et lui dit : « Levez-vous, et prenez l’enfant et sa mère. » Il ne dit plus comme auparavant : « Prenez Marie votre femme ; » mais « prenez la mère de l’enfant », parce qu’il ne restait plus à Joseph aucun doute après l’enfantement, et qu’il croyait fermement la vérité au mystère. L’ange lui parle donc avec plus de liberté, et n’appelle plus Marie « sa femme, » mais « la mère de l’enfant. Et fuyez en Égypte », dit-il. Et il lui en dit en même temps la raison : « Car Hérode cherchera l’enfant pour le perdre(13) »

3. Joseph écoutant ces paroles n’en est point scandalisé. II ne dit point à l’ange : voici une chose bien étrange. Vous me disiez il n’y a pas longtemps que cet enfant sauverait son peuple, et il ne se peut sauver aujourd’hui lui-même. Il faut que nous nous retirions dans une terre étrangère. Ce que vous me commandez de faire est contraire à votre promesse. Joseph ne dit rien de semblable, parce que c’était un homme fidèle. II ne témoigne point de curiosité pour savoir le temps de son retour, quoique l’ange ne le lui eût point marqué en particulier, lui disant en général : « Demeurez là jusqu’à ce que je vous dise d’en sortir. » Cependant il n’en témoigne pas moins d’ardeur à croire et à obéir, et il souffre avec joie toutes ces épreuves. La bonté de Dieu mêle en cette rencontre la joie avec la tristesse et tempère l’une par l’autre. C’est ainsi qu’il a coutume d’agir envers tous les saints. Il ne les laisse pas toujours ni dans les périls ni dans la sécurité, mais il fait de la suite de leur vie comme un tissu et une chaîne admirable de biens et de maux. C’est ce qu’il pratique envers Joseph, et je vous prie de le remarquer.

Il voit la grossesse de Marie, et il entre aussitôt dans le trouble et dans la peine, soupçonnant sa jeune femme d’adultère ; mais l’ange survient en même temps qui le guérit de ses soupçons et le délivre de ses craintes. L’enfant naît ensuite. Il en conçoit une extrême joie ; mais elle est aussitôt suivie d’une douleur étrange, lorsqu’il voit toute la ville troublée et un roi furieux résolu de perdre l’enfant. Peu de temps après, cette tristesse est encore tempérée par la joie que lui causent l’étoile et l’adoration des mages ; mais elle est aussitôt changée en une nouvelle frayeur lorsqu’on lui dit : « qu’Hérode cherche l’enfant pour le perdre », et que l’ange l’oblige à fuir pour le sauver.

Car Jésus-Christ devait agir alors d’une manière humaine. Le temps d’agir en Dieu n’était pas encore venu, S’il avait commencé de faire des miracles de si bonne heure, on n’aurait pas cru qu’il fût homme. C’est pourquoi il ne vient pas au monde tout d’un coup ; mais il est conçu d’abord, il demeure neuf mois entiers dans le sein de Marie, il naît, il est nourri de lait, il se cache durant tant de temps et attend que par la succession des années il soit devenu homme, afin que cette conduite persuade à tout le monde la vérité de son incarnation. Mais pourquoi donc, direz-vous, parut-il d’abord quelques miracles ? C’était à cause de sa mère, de Joseph, de Siméon qui était près de mourir, des pasteurs, des mages et des Juifs mêmes, puisque s’ils eussent voulu examiner avec soin tout ce qui se passait, ils en eussent retiré un grand avantage. Que si vous ne voyez rien dans les prophètes touchant les mages, ne vous en étonnez pas. Les prophètes ne devaient ni tout prédire, ni ne rien prédire absolument. Si tant de prodiges s’étaient opérés tout à coup sans être annoncés, ils eussent trop frappé les hommes, trop bouleversé leurs idées. D’un autre côté, s’ils avaient connu d’avance tout le détail des mystères, ils en eussent accueilli l’événement avec trop d’indifférence, et les Évangélistes n’auraient plus rien eu de nouveau à dire. « Joseph s’étant levé prit l’enfant et sa mère durant la nuit et se retira en Égypte (14), où il demeura jusqu’à la mort d’Hérode, afin que cette parole que le Seigneur avait dite par le Prophète fût accomplie : J’ai appelé mon fils de l’Égypte (14). » Si les Juifs doutent de cette prophétie et prétendent que cette parole : « J’ai appelé mon fils de l’Égypte » (Ose 11,1), doit s’entendre d’eux-mêmes, nous leur répondrons que la coutume des prophètes est de dire des choses qui ne s’accomplissent pas en ceux-là même dont ils les disent. Ainsi, lorsque l’Écriture dit de Siméon et de Lévi : « Je les diviserai dans Jacob et je les disperserai dans Israël (Gen 49,7) ; » cette prophétie ne s’est pas accomplie dans ces deux patriarches, mais seulement dans leurs descendants. Ce que Noé dit de Chanaan ne s’est pas non plus accompli dans lui, mais dans les Gabaonites qui en sont sortis. La même chose se remarque encore dans le patriarche Jacob. Car cette bénédiction que son père lui donna : « Soyez le seigneur de vos frères, et que les enfants de votre père vous adorent (Gen 27,29) », ne s’est point certainement accomplie en lui, puisqu’au contraire Jacob eut tant de crainte et de frayeur de son frère Esaü, et que nous voyons dans l’Écriture qu’il se prosterna plusieurs fois en terre pour l’adorer, mais cela s’est vérifié dans ses enfants.

On peut dire ici la même chose. Car, qui des deux est plus véritablement Fils de Dieu, de celui qui adore un veau d’or, qui se consacre au culte de Beelphégor et qui immole ses enfants au démon, ou de celui qui est le Fils de Dieu par sa nature, et qui rend un souverain honneur à son Père ? C’est pourquoi si Jésus-Christ n’était venu, cette prophétie n’aurait point été assez dignement accomplie. Et remarquez que l’Évangéliste insinue ceci lorsqu’il dit « Afin que la parole du prophète fût accomplie », montrant assez par là qu’elle ne l’eût point été si le Fils de Dieu ne fût venu.

4. C’est aussi ce qui relève extraordinairement la gloire de la Vierge, puisqu’elle possède seule par un titre tout particulier, un avantage dont le peuple juif se vantait si hautement en publiant que Dieu l’avait retiré de l’Égypte. Le Prophète marque ceci obscurément lorsqu’il dit : « N’ai-je pas fait venir les étrangers de Cappadoce, et les Assyriens de la fosse ? » (Amo 9,7, selon les Sept) C’est donc là, comme je viens de dire, l’avantage et le privilège particulier de la Vierge. On peut dire même que ce peuple, autrefois, et le patriarche Jacob ne descendirent en Égypte et n’en revinrent que pour être la figure de ce qui arrive ici à Jésus-Christ. Ce peuple alla dans l’Égypte pour éviter la mort dont il était menacé par la famine ; et Jésus-Christ y va pour éviter celle dont Hérode le menaçait. Ce peuple se délivra seulement de la famine, et Jésus-Christ entrant en Égypte sanctifia tout le pays par sa présence. Mais admirez, je vous prie, comment Jésus-Christ allie la bassesse de l’homme avec la grandeur d’un Dieu. Car l’ange dit à Joseph et à Marie : « Fuyez – en Égypte ; » mais il ne leur promet point de les accompagner once voyagé, ni dans leur retour ; c’était leur donner à entendre qu’ils avaient un grand conducteur avec eux, savoir cet enfant qui change dès sa naissance tout l’ordre des choses et qui force ses plus grands ennemis de contribuer eux-mêmes à l’exécution de ses desseins. Car les mages, qui étaient barbares et idolâtres, quittent toutes leurs superstitions pour le venir adorer ; et l’empereur Auguste sert par son édit à faire que Jésus-Christ naisse à Bethléem. L’Égypte le reçoit dans sa fuite, et le sauve de son ennemi, et elle tire de sa présence comme une disposition à se convertir, afin qu’aussitôt qu’elle entendra les apôtres annoncer sa foi, elle se puisse vanter d’avoir été la première à le recevoir. Ce devait être là le privilège de la Judée, mais l’Égypte le lui a ravi par son zèle. Allez aujourd’hui dans les solitudes d’Égypte, vous y verrez un désert changé en un paradis, bien plus beau que tous les jardins du monde ; des troupes innombrables d’anges revêtus d’un corps ; des peuples entiers de martyrs ; des assemblées de vierges ; enfin toute la tyrannie du démon détruite, et le royaume de Jésus-Christ florissant de toutes parts.

Vous verrez cette Égypte, cette mère des poètes, des philosophes et des magiciens, qui se vantait d’avoir trouvé toutes sortes de superstitions, et de les avoir enseignées aux autres, se glorifier maintenant d’être la fidèle disciple des pêcheurs, renoncer à toute la science de ces faux sages ; avoir toujours dans les mains les écrits d’un publicain et d’un faiseur de tentes, et mettre toute sa gloire dans la croix de Jésus-Christ, Ce sont les miracles que l’Égypte fait voir, non seulement dans ses villes, mais plus encore dans ses déserts. On y voit de tous côtés les soldats de Jésus-Christ, une assemblée royale et auguste de solitaires et une image de la vie des anges.

Cette gloire n’est point particulière aux hommes, les femmes la partagent avec eux. Elles n’ont pas moins de force que les hommes, non pour monter à cheval, et pour savoir se bien servir des armes, comme l’ordonnent les plus graves d’entre les législateurs et les philosophes grecs, mais pour entreprendre une guerre bien plus rude et bien plus pénible, qui leur est commune avec les hommes. Car elles ont comme eux à combattre le démon même, et les puissances des ténèbres ; sans que la faiblesse de leur sexe leur puisse interdire ces combats, parce qu’ils ne demandent point la force du corps, mais la bonne disposition de l’âme et du cœur. C’est pourquoi on a vu souvent dans cette sorte de guerre, les femmes témoigner plus de courage et de générosité que les hommes, et remporter de plus glorieuses victoires.

5. Le ciel n’éclate pas d’une aussi grande variété d’étoiles, que les déserts de l’Égypte ne brillent aujourd’hui par une infinité de monastères, et de maisons saintes. Celui qui se souviendra quelle était autrefois cette Égypte si rebelle à Dieu, si plongée dans la superstition ; qui adorait jusqu’à des chats ; et qui avait une frayeur respectueuse pour des poireaux et pour des oignons : comprendra en la comparant avec ce que nous y voyons maintenant, quelle est la force et la toute-puissance de Jésus-Christ. Nous n’avons pas même besoin de rappeler en notre mémoire les siècles passés, pour concevoir quel a été l’excès des superstitions de l’Égypte il n’en reste encore aujourd’hui que trop de traces parmi ses habitants.

Cependant ceux mêmes qui se plongeaient autrefois dans des dérèglements si étranges, ne s’occupent maintenant que des choses du ciel, et de ce qui est au-dessus du ciel. Ils ont en horreur les coutumes impies de leurs pères. Ils ont compassion de leurs aïeux, et ils n’ont que du mépris pour tous leurs sages, et leurs philosophes. Car ils ont enfin reconnu par expérience, que les maximes de ces sages n’étaient que des imaginations de personnes ivres, ou des contes semblables à ceux que les vieilles femmes font aux enfants ; mais que la sagesse véritable et digne du ciel était celle que des pêcheurs leur ont enseignée. C’est pourquoi ils joignent à l’amour extrême de la vérité, l’éclat d’une vie très réglée et très parfaite. Après s’être dépouillés de tout, et s’être crucifiés au monde, ils portent encore leur zèle plus loin ; et ils travaillent de leurs propres mains, pour gagner de quoi soulager les pauvres. Ils ne prétendent point que, parce qu’ils jeûnent ou qu’ils veillent, ils doivent être oisifs durant le jour ; mais ils emploient la nuit à chanter des hymnes et à veiller, et le jour à prier et à travailler des mains, imitant en cela le zèle du grand Apôtre. Car si lorsque toute la terre le regardait comme le prédicateur de la vérité, il a voulu néanmoins s’occuper comme un artisan, et travailler de ses mains, jusqu’à passer les nuits sans dormir pour gagner de quoi soulager les pauvres : combien plus, disent ces saints hommes, nous qui jouissons de la solitude, et qui n’avons rien de commun avec le tumulte des villes, devons-nous consacrer ce repos à quelque travail utile et spirituel ?

Rougissons donc ici nous autres, et pauvres et riches, de ce que pendant que ces saints solitaires, qui n’ont rien que leurs corps et que leurs bras, se font violence pour trouver dans leur travail de quoi faire subsister les pauvres : nous au contraire qui avons tant de bien dans nos maisons, n’employons pas seulement notre superflu pour le soulagement des misérables. Comment excuserons-nous une si grande dureté ? Comment pourrons-nous en obtenir le pardon ?

Souvenez-vous combien ces Égyptiens autrefois étaient avares ; combien ils étaient esclaves de l’intempérance de la bouche, et des autres vices. Il y avait là, comme dit l’Écriture, « des marmites pleines de viande (Exo 16,3) », que les juifs même regrettaient dans le désert. L’intempérance donc dominait dans l’Égypte. Et cependant lorsqu’ils l’ont voulu, ils se sont convertis et se sont changés, et étant embrasés du feu de Jésus-Christ, ils se sont aussitôt élevés au ciel. Après avoir été et plus colères et plus voluptueux que les autres peuples, ils imitent maintenant les anges par leur tempérance, et par toutes leurs autres vertus.

Tous ceux qui ont été en ce pays, savent que ce que je dis est vrai. Mais si quelqu’un n’a pas eu le bonheur de voir ces saints monastères, qu’il considère le grand et le bienheureux Antoine, qui est encore maintenant l’admiration de toute la terre, et que l’Égypte a produit presque égal aux apôtres. Qu’il se souvienne que ce saint homme est né du même pays que Pharaon, sans que pour cela il en ait été moins saint. Il a même été digne que Dieu se soit montré à lui d’une manière toute particulière, et toute sa vie n’a été qu’une pratique très-exacte de ce que Jésus-Christ ordonne dans l’Évangile.

Ceux qui liront sa Vie reconnaîtront la vérité de ce que je dis, et ils y verront en beaucoup d’endroits qu’il a eu le don de prophétie. Car il a découvert et prédit les maux que l’hérésie arienne produirait dans l’Église, Dieu les lui révélant dès lors, et lui mettant tout l’avenir devant les yeux. Il est constant qu’outre toutes les autres preuves de la vérité de l’Église, celle-ci en est une bien claire, qu’on ne voit point parmi tous les hérétiques un seul homme qui soit semblable à celui-ci. Et afin que vous ne m’en croyiez pas seul, lisez le livre de sa Vie, où vous verrez toutes ses actions en détail, et où vous trouverez beaucoup de choses qui vous, porteront au comble de la vertu.

Méditons cette vie si sainte, et ayons soin en même temps de l’imiter, sans nous excuser jamais, ou sur le lieu où nous vivons ; ou sur notre mauvaise éducation ; ou sur le dérèglement de nos pères. Car si nous veillons exactement sur nous-mêmes, nulle de ces choses ne nous pourra nuire. Abraham avait un père impie et idolâtre, et il ne fut pas – néanmoins l’héritier de son [impiété. Ezéchias était fils du détestable roi Achas, et cela ne l’empêcha pas de devenir l’ami de Dieu. Joseph au milieu même de l’Égypte, s’acquit la couronne d’une inviolable chasteté. Et ces trois jeunes hommes au milieu de Babylone, et au milieu de la cour, ne laissèrent pas parmi ces viandes délicieuses dont leur table était servie, de conserver un amour ferme et inébranlable pour la plus haute vertu. Ainsi Moïse vécut dans l’Égypte, et Paul dans tous les endroits de la terre, sans que leur vertu ait été moins parfaite pour avoir vécu parmi des méchants.

Représentons-nous ces exemples, mes frères, cessons d’alléguer ces vaines excuses ; retranchons tous ces faux prétextes ; embrassons généreusement tous les travaux nécessaires, pour nous établir dans une vie sainte. C’est ainsi que nous obligerons Dieu à nous aimer de plus en plus, que nous le porterons à nous soutenir dans nos combats, et que nous recevrons enfin ces biens éternels que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur JésusChrist, à qui est la gloire et l’empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IX.

« ALORS HÉRODE VOYANT QUE LES MAGES S’ÉTAIENT MOQUÉS DE LUI, ENTRA EN UNE EXTRÊME COLÈRE, ET ENVOYANT DE SES GENS, IL FIT TUER TOUS LES ENFANTS QUI ÉTAIENT DANS BETHLÉEM ET DANS TOUT LE PAYS D’ALENTOUR, ÂGÉS DE DEUX ANS ET AU-DESSOUS, SELON LE TEMPS QU’IL S’ÉTAIT FAIT MARQUER EXACTEMENT PAR LES MAGES », ETC. (CHAP II, v. 16, JUSQU’AU CHAP. III)

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