Matthew 23
HOMÉLIE LXXII.
« ALORS JÉSUS PARLA AU PEUPLE ET A SES DISCIPLES, ET LEUR DIT : LES DOCTEURS DE LA LOI ET LES PHARISIENS SONT ASSIS SUR LA CHAIRE DE MOÏSE. OBSERVEZ DONC ET FAITES TOUT CE QU’ILS VOUS ORDONNERONT DE FAIRE, MAIS NE FAITES PAS CE QU’ILS FONT. CAR ILS DISENT CE QU’IL FAUT FAIRE, ET NE LE FONT PAS ». (CHAP. 33,1, 2, 3, JUSQU’AU VERSET 13)
ANALYSE.
- 1. L’Orateur fait remarquer que le nom de Loi est quelquefois appliqué dans l’Écriture à tout l’Ancien Testament. – La Loi ne perd aucun de ses droits sur les âmes par la perversité de ceux qui l’enseignent. – Rien de plus misérable qu’un docteur qui ne prêche point l’exemple.
- 2. Hypocrisie des pharisiens. – De leurs phylactères qu’ils portaient plus larges que les autres.
- 3 et 4. Il n’y a qu’un seul Maître qui est le Christ. – Sortie contre les anoméens. – De l’excellence de la vie des solitaires. – De leur extrême humilité. – Combien elle est égale et uniforme. – Combien leur exemple nous doit inspirer d’horreur pour le faste du monde.
1. Qu’est-ce à dire « alors » ? c’est-à-dire lorsqu’il eut dit ce qui précède ; lorsqu’il eut fermé la bouche à tous ses contradicteurs ; lorsqu’il les eut confondus et réduits à ne plus oser le tenter par leurs questions insidieuses lorsqu’il a fait voir que leur malice était sans remède. Après avoir tiré cette parole du psaume : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur », il en appelle encore à la Loi ; et il n’y a pas lieu de s’en étonner, en effet, bien que la loi ancienne n’eût point marqué aux Juifs qu’il y eût deux personnes en Dieu, et qu’elle les assure souvent qu’il n’y a qu’un seul Dieu, il suffisait néanmoins que David le leur eût appris, puisque l’Écriture même comprend quelquefois par ce nom de « Loi », toute l’étendue de l’Ancien Testament. Enfin, il leur témoigne ici quelle estime il fait de la loi de Moïse, en obligeant le peuple de la respecter dans la bouche de ses plus grands ennemis. Jésus-Christ voulait montrer par toutes ces paroles qu’il est dans une union parfaite avec son Père ; puisque s’il pouvait lui être opposé en quelque chose, il l’eût fait paraître en parlant contre la loi. Cependant il témoigne ici, avoir pour elle une, si grande déférence, que quelle que soit la corruption de ceux qui l’enseignent, il veut néanmoins que ceux à qui elle est annoncée, la pratiquent et qu’ils lui obéissent très-fidèlement. Il s’étend ensuite à parler des pharisiens et de leur conduite, parce que la principale cause qui les empêchait de croire en lui, c’était le dérèglement de leurs mœurs et leur passion pour la vaine gloire. Voulant donc ici former les peuples qui l’écoutaient, il commence par un avis très-considérable et très-important pour leur salut, en leur défendant de mépriser leurs maîtres, et de s’élever contre les ministres de Dieu qui leur annonçaient sa Loi. Il ne se contente pas de leur recommander si particulièrement ce point. Il le pratique lui-même, puisqu’il ne prive pas du pouvoir d’enseigner ces pharisiens qui en étaient si peu dignes. Il attire ainsi sur eux une condamnation encore plus sévère, et il ôte à leurs disciples tout prétexte de désobéissance. Il ne veut pas qu’ils puissent dire : Le maître qui m’instruit est tout corrompu lui-même, et je ne puis me résoudre à l’écouter, ni à pratiquer ce qu’il me dit. Il commande à ses disciples de leur obéir quels qu’ils soient. Il établit tellement ces personnes dans la dignité qu’ils possédaient, que, quelque méchants qu’ils fussent, il ne laisse pas, après ces reproches qu’il leur fait, de dire à ses disciples : « Faites tout ce qu’ils vous diront », parce qu’ils ne disent rien d’eux-mêmes, mais seulement ce que Dieu a commandé par Moïse. Mais considérez ici quelle déférence Jésus-Christ a pour Moïse, et combien il témoigne partout l’union de l’Évangile avec la Loi. Il dit qu’on doit honorer ces prêtres, à cause de la Loi de Dieu qu’ils annoncent : « Ils sont », dit-il, « assis sur la chaire de Moïse ». Ne pouvant les honorer ni les rendre vénérables par eux-mêmes, et par la sainteté de leur vie, il veut néanmoins qu’on les respecte à cause de ce siège d’honneur dans lequel ils sont assis, et de cette doctrine sainte qu’ils enseignent. Ce mot, « faites tout », n’enferme pas généralement « tout » ce qui est dans la Loi, comme ce qui regarde les viandes, les sacrifices et les autres cérémonies. Car comment aurait-il établi ici ce qu’il a détruit ailleurs ? Mais il entend seulement par ce mot, tout ce qui regarde le règlement de notre vie, et tout ce qui peut s’accorder avec la loi nouvelle, sans nous accabler des fardeaux insupportables de l’ancienne. Vous me direz peut-être : Pourquoi le Fils de Dieu ne donne-t-il pas cette autorité plutôt aux ministres de la loi de grâce, qu’aux ministres de la loi de Moïse ? C’est parce qu’il n’était pas encore temps de révéler ces mystères avant sa mort. Outre qu’il avait encore une autre raison particulière d’agir de la sorte. Comme il allait les accuser de beaucoup de crimes, il veut d’abord ôter aux personnes les plus simples, tout sujet de croire qu’il se portait à ces reproches par un secret désir de leur ministère, ou par quelque mouvement de haine et d’envie. Il prévient d’abord ce soupçon afin d’avoir ensuite plus de liberté de les reprendre. Mais pourquoi les condamne-t-il avec tant de force ? C’était pour avertir le peuple de ne point tomber avec eux dans le précipice, en imitant leur mauvaise vie. Car il y a bien de la différence entre montrer simplement le mal qu’on doit éviter, ou en montrer les dangereuses suites, par le malheur de ceux qui y sont déjà tombés, comme il y a bien de la différence entre donner d’excellents avis aux hommes pour les porter à quelque vertu, ou leur en montrer l’avantage dans l’exemple de ceux qui s’y sont rendus habiles. Jésus-Christ dit d’abord à ses disciples : « Ne faites pas ce que vous leur voyez faire », afin qu’ils ne pussent conclure que, puisqu’ils les devaient écouter, ils devaient aussi les imiter. Ainsi, l’honneur qu’il les oblige de rendre à ces maîtres corrompus tourne à leur confusion, puisqu’il condamne les dérèglements de leur vie, et qu’il assure qu’on ne peut les imiter sans se perdre. C’est donc là la principale cause pour laquelle il les accuse ici de leurs désordres avec tant de véhémence, li voulait faire voir combien ils étaient opiniâtres et rebelles à la lumière, et montrer par avance que la croix sur laquelle ils devaient l’attacher ensuite, bien loin d’imprimer quelque tache à son innocence, serait la preuve et l’effet de leur incrédulité et de leur audace. Considérez, mes frères, quelle est la première chose que le Sauveur blâme en eux, et qui est comme le surcroît de toutes leurs autres fautes : « Ils disent ce qu’il faut faire, et ne le font pas ». Quiconque viole la Loi est coupable, mais personne ne l’est davantage que celui qui doit instruire les autres. Car il commet une double et une triple faute dans un seul crime. Premièrement, il viole la Loi ; secondement, ayant été établi en autorité pour régler les autres, il se dérègle lui-même. Ce qui le rend beaucoup plus coupable. Troisièmement, comme sa dignité le rend vénérable, son exemple fait beaucoup plus d’impression sur les esprits, et le mal qu’il fait se communique bien plus aisément aux autres. Jésus-Christ reprend ensuite en eux la dureté qu’ils témoignent envers ceux qui leur sont soumis. « Ils lient des fardeaux pesants et qu’on ne saurait porter, ils les mettent sur les épaules des hommes, et ils ne voudraient pas les avoir remués du bout du doigt (4) ». Ces paroles enferment un double reproche, et font voir une double malignité dans les personnes que le Sauveur accuse. La première est cette sévérité avec laquelle ils exigeaient une si grande perfection de ceux qu’ils conduisaient ; et la seconde est leur mollesse propre, et la liberté qu’ils prenaient de vivre comme il leur plaisait. Ce sont deux conditions entièrement opposées à celles que doit avoir un véritable pasteur, qui doit être comme un juge sévère et inflexible à l’égard de lui-même, et qui doit être en même temps plein de douceur et de charité pour ceux qu’il gouverne. Les pharisiens, au contraire, se conduisaient tous d’une manière tout opposée. Ils réduisaient tout leur devoir à faire de beaux discours et à parler beaucoup aux hommes. Ils n’avaient de vertu qu’en paroles. Ainsi, ils étaient durs et impitoyables envers tout le monde, parce qu’ils n’avaient pas l’expérience de cette doctrine toute sainte, qui s’apprend par l’action et par la pratique. 2. Ce dérèglement, déjà si considérable par lui-même, ajoutait encore une nouvelle gravité au crime que le Sauveur vient de reprendre en eux : « Ils disent ce qu’il faut faire, et ne le font pas » : et la manière dont Jésus-Christ l’exprime est bien remarquable. Car il ne dit pas : ils ne peuvent, mais « ils ne veulent pas », non porter ou traîner ces fardeaux, mais « les remuer du bout du doigt », c’est-à-dire n’en pas même approcher pour les toucher. Ils ne sont forts et courageux que pour faire ce qui leur est défendu, « car ils font toutes leurs actions afin d’être vus des hommes (5) ». Jésus-Christ leur reproche par ces paroles leur ambition et leur orgueil qui les a perdus. Il avait repris en eux jusqu’à cette heure, des actions ou de cruauté, ou de paresse : mais maintenant ce qu’il y condamne principalement, c’est cette passion furieuse pour la vaine gloire dont ils étaient possédés. C’est elle qui les a éloignés de Dieu, et qui leur a fait désirer de plaire aux hommes plutôt qu’à lui. Car chacun cherche à plaire aux juges qu’il a choisis. Si un athlète combat devant des hommes de cœur, il tâche de combattre vaillamment, afin de leur plaire. Que s’il combat devant des lâches, il devient lâche lui-même. Un comédien, qui joue devant des personnes qui aiment à rire, fait tout ce qu’il peut pour les faire rire. Que si ces spectateurs sont graves et modérés, il affecte lui-même de la gravité afin de leur plaire. Mais remarquez encore combien Jésus-Christ accuse avec force dans les pharisiens la passion qu’ils avaient d’être loués. Car il ne dit pas qu’ils font dans ce dessein quelques-unes de leurs actions ; mais en général : « Qu’ils font tout ce qu’ils font » dans cette vue. Après qu’il leur a reproché ce désir si passionné pour la vaine gloire, il leur montre aussitôt leur folie, puisqu’ils ne faisaient rien de grand qui méritât quelque louange, et qu’ils s’enflaient des choses les plus viles et les plus méprisables, étant non seulement ambitieux, mais l’étant encore d’une ambition basse et honteuse. « Ils ont des bandes de parchemin, plus larges que les autres, et les franges de leurs vêtements plus longues (5) ». Examinons ici, mes frères, ce que voulaient dire ces « bandes » et ces « franges ». Dieu voyant que les Juifs oubliaient à tous moments les grâces qu’il leur avait faites, leur avait commandé d’écrire ses miracles sur de petites bandes de parchemin pour les pendre à leurs bras. C’est pourquoi il est dit dans le Deutéronome : « Ces merveilles que j’ai faites en votre faveur, ne seront jamais hors de votre vue ». (Deu 6,7) Ils donnaient à ces petites bandes un nom qui marquait qu’ils les portaient pour garder la loi. C’est ce que font encore aujourd’hui plusieurs femmes chrétiennes qui pendent l’Évangile à leur cou. Mais Dieu, voulant leur donner un autre moyen extérieur de conserver le souvenir de ses grâces, fit à l’égard des Juifs ce que font aujourd’hui plusieurs personnes qui, craignant d’oublier les choses s’attachent un filet au doigt pour s’en faire comme une mémoire artificielle. Dieu, traitant les Juifs comme de petits enfants, leur commanda d’attacher au bas de leur robe un ruban, ou une frange de couleur de pourpre, afin que partout où ils marcheraient, ils se souvinssent toujours des commandements de Dieu. Ils étaient extrêmement exacts dans ces observances extérieures, et ils mettaient leur vanité à porter des bandes plus larges, et des franges plus longues que les autres hommes. Mais pourquoi, ô pharisiens, étendez-vous ainsi ces bandes ? Pourquoi affectez-vous de porter des franges si longues ? Mettez-vous la vertu dans un ruban ? Dieu ne demande point de vous que vous agrandissiez ces bandes et ces rubans ; mais que vous vous souveniez de ses grâces, et que vous en témoigniez de la reconnaissance par la droiture de votre vie. Que si Dieu nous défend de chercher de la gloire dans nos jeûnes, dans nos aumônes, et dans nos autres actions de piété, qui sont pénibles et laborieuses, comment vous, ô pharisiens, pouvez-vomis en rechercher dans des choses extérieures, qui vous reprochent au contraire votre peu de vertu et votre insensibilité aux faveurs de Dieu ? Mais la vanité de ces hypocrites ne se terminait pas là ; elle s’étendait encore à d’autres bassesses bien plus grandes. « Ils aiment les premières places dans les festins, et les premières chaires dans les synagogues (6). Ils aiment à être salués dans « les places publiques, et à être appelés maîtres par les hommes (7) ». Quoique ces choses paraissent petites, elles sont néanmoins la cause des plus grands maux. Et elles ont souvent attiré des malheurs effroyables sur des provinces entières et sur le royaume même de Jésus-Christ. Je ne puis retenir mes larmes, lorsque j’entends parler de cet amour des préséances ; de ce désir d’être salué de tout le monde. Je repasse en moi-même combien de ruisseaux funestes, sortis de cette source, ont inondé ensuite l’Église. Mais ce n’est pas maintenant le temps de s’arrêter à déplorer ces malheurs ; et les personnes un peu âgées, qui ont vu ce qui s’est passé du temps de nos pères, n’ont pas besoin que je les en instruise. Remarquez ici, mes frères, que les pharisiens faisaient paraître davantage leur orgueil et leur vanité au lieu même où ils devaient être plus humbles et plus modérés, puisqu’ils étaient obligés de témoigner plus de douceur et de modestie dans les synagogues, où ils n’entraient que pour former leurs disciples à la vertu. Car, pour ce qui regarde « les premières places dans les festins », cela pouvait être plus excusable, quoiqu’il soit vrai que celui qui est établi pour régler et pour enseigner les autres, doit signaler sa vertu, non seulement dans l’Église, mais généralement dans tous les autres lieux où il se trouve. Comme l’homme en quelque endroit qu’il soit est toujours homme, et sans comparaison supérieur aux bêtes, il faut de même que celui qui est le maître et le conducteur des âmes, se fasse reconnaître partout pour ce qu’il est, soit qu’il parle ou qu’il se taise, soit qu’il soit à table ou ailleurs, et que sa démarche, son regard, son geste, toute sa contenance et sa modestie extérieure le distinguent de tous les autres. Les pharisiens, au contraire, se rendaient ridicules partout, et s’exposaient à se faire moquer d’eux par tous les hommes, affectant ce qu’ils devaient éviter, et recherchant ce qu’ils devaient fuir : « Ils aiment », dit Jésus-Christ, « les premières places et les « premières chaires, ils aiment à être salués et à être appelés maîtres ». 3. Si c’est un crime d’aimer ces choses, quel crime n’est-ce pas de les rechercher avec tant d’empressement ? Jésus-Christ avait jusqu’ici passé assez légèrement sur les autres abus des pharisiens qui ne pouvaient nuire à leurs disciples ; et il s’était contenté de les condamner et de les blâmer ; mais quand il s’agit du désir des préséances et des dignités, ou de rechercher par ambition la chaire de vérité, pour instruire les hommes, le Fils de Dieu s’y arrête davantage. Il ne se contente plus de blâmer et de condamner les excès de ce genre, mais il donne à ses disciples des avis et des instructions toutes contraires à cette conduite. « Mais, pour vous, ne désirez point d’être appelés maîtres, parce que vous n’avez tous qu’un Maître, et que vous êtes tous frères (8)», sans que l’un d’entre vous ait aucun avantage sur l’autre, puisqu’il n’est rien de lui-même. C’est ce qui fait dire à saint Paul : « Qui est Paul ? Qui est Apollon ? Qui est Céphas ? Que sont-ils autre chose que des ministres » ? (1Co 3,5) Il ne dit pas : Que sont-ils autre chose que des docteurs ou des maîtres ? « Et n’appelez personne sur la terre votre père, parce que vous n’avez qu’un Père, qui est dans le ciel (9) ». Jésus-Christ ne leur fait point ce commandement, afin qu’ils l’observent à la lettre, et qu’ils ne donnent effectivement à personne le nom de père, mais afin qu’ils sachent quel est celui qu’ils doivent par excellence appeler leur « Père ». Car, comme il n’y a point d’homme qui soit proprement maître, il n’y en a point non plus qui soit proprement père. Dieu seul est essentiellement le Maître et le Père de tous les hommes, et c’est lui qui forme tous ceux qui sont les maîtres et les pères de son Église. « Et ne vous faites point appeler docteurs, parce que vous n’avez qu’un docteur qui est le Christ (10) ». Il ne dit pas « qui est moi », imitant encore cette conduite qu’il vient de garder, en disant : « Que vous semble du Christ ? de qui doit-il être fils » ? Je demanderais volontiers ici à ceux qui, pour déshonorer le Fils de Dieu, disent si souvent du Père qu’il n’y a qu’un Dieu ; qu’il n’y a qu’un Seigneur, si le Père n’est pas aussi le Maître et le docteur des hommes ? Y aurait-il un seul d’entre eux qui osât nier cette vérité ? Et cependant le Fils de Dieu dit « qu’il n’y a qu’un docteur qui est le Christ ». Comme donc cette parole : « Il n’y a qu’un Maître qui est le Christ », n’exclut pas le Père, et ne veut pas dire qu’il ne soit pas aussi le Maître des hommes ; de même cette parole : « Il n’y a qu’un Seigneur, il n’y a qu’un Dieu », qui est proprement dite du Père, n’exclut pas non plus le Fils, et ne veut pas dire qu’il ne soit pas Dieu et Seigneur comme son Père. Car ces mots : « Il n’y a qu’un Dieu, il n’y a qu’un Seigneur », ne sont que pour distinguer Dieu, et le séparer des hommes et du reste des créatures. Après que Jésus-Christ a fait voir à ses apôtres la grandeur de cette maladie qui est si contagieuse, il leur apprend maintenant que c’est par l’humilité qu’il faut la prévenir et y porter remède. C’est pourquoi il ajoute aussitôt : « Celui qui est le plus grand parmi vous sera votre serviteur « (14). Car, quiconque s’élèvera sera abaissé, « et quiconque s’abaissera sera élevé (12) ». Comme il n’y a rien qui soit comparable à la vertu de l’humilité, Jésus-Christ a soin d’en parler souvent à ses disciples. Il le fait en cet endroit. Il le fit encore dans cette autre rencontre où il mit un enfant au milieu d’eux. Il le fit lorqu’en son sermon sur la montagne, il commença par cette béatitude « Bienheureux les pauvres d’esprit ». Mais il arrache ici comme la racine de ce vice, lorsqu’il dit « Quiconque s’abaissera sera élevé ». Je vous prie de remarquer encore ici ce que je vous ai souvent fait voir, que Jésus-Christ exhorte ses disciples à acquérir ce qu’ils souhaitent, par une voie qui semble toute contraire. Il ne leur commande pas seulement de ne point désirer les premières places, mais il les porte même à rechercher la plus basse, et il les assure que c’est le moyen de posséder les premières qu’ils souhaitaient. Parce qu’il faut nécessairement que celui qui veut être le premier, devienne le dernier de tous. « Celui qui s’abaissera sera élevé ». Mais où trouverons-nous cette humilité ? Il m’est aisé de répondre à votre demande. Voulez-vous, mes frères, que nous montions encore aujourd’hui à cette ville bienheureuse, à cette demeure de saints, à ces montagnes et à ces vallées où habitent les vertus ? C’est là que nous verrons l’humilité dans sa grandeur et dans son éclat. Car il y a dans ces troupes saintes des solitaires, qui, après avoir été autrefois dans les dignités du monde, dans les richesses et dans la magnificence, s’humilient maintenant et se rabaissent en toutes choses, dans leur vêtement, dans leur cellule et dans leurs emplois ; et qui regardent l’humilité comme la fin générale où ils rapportent tout le reste. Tout ce qui allume le feu de l’orgueil, les beaux habits, les splendides habitations, les nombreux domestiques, toutes ces choses qui nous engagent malgré nous dans la vanité, sont retranchées parmi eux, Ils vont eux-mêmes couper le bois dont ils ont besoin. Ils allument eux-mêmes leur feu. Ils font cuire eux-mêmes ce qu’ils doivent manger, et ils servent eux-mêmes ceux qui les viennent voir. Nul en ce lieu, ni ne blesse un autre ni n’en est blessé. Nul ne commande, et nul n’a besoin qu’on lui commande. Ils sont tous serviteurs les uns des autres. Ils s’empressent de laver les pieds des hôtes qui les viennent voir. Chacun tâche de prévenir son frère dans ce devoir et ils ne disputent jamais qu’à qui sera le plus humble. On rend cet office de charité à un hôte quel qu’il soit, sans s’informer s’il est pauvre ou s’il est riche, s’il est libre ou s’il est esclave. On traite tout le monde indistinctement. Il n’y a parmi eux ni grand ni petit. Tout y est égal. Il y a donc là, me direz-vous, une grande confusion. Nullement, mes frères, mais on y voit au contraire régner souverainement l’ordre et la paix. Personne ne considère ce qu’est son frère, s’il était noble, s’il ne l’était pas. Chacun se croit le dernier de tous, et devient grand en cela même qu’il aime à se mettre au-dessous des autres. 4. Il n’y a qu’une seule table pour ceux qui servent et pour les autres que l’on sert. Ce sont les mêmes viandes pour tous ; les mêmes habits ; les mêmes cellules ; le même genre de vie. Celui d’entre eux qui se porte aux petites choses avec plus d’ardeur, est celui qui est le plus grand de tous. On n’entend point dire là Ceci est à moi, cela est à vous. Ces paroles qui sont la source des divisions et des guerres, sont éternellement bannies de ces lieux. Et on ne doit pas s’étonner qu’ils n’aient tous qu’un même habit, qu’une même table et qu’une même nourriture, puisqu’ils n’ont tous ensemble qu’une même âme, non parce qu’elle est d’une même substance, ce qui est commun à tous les hommes, mais à cause de leur charité qui, les unissant tous, ne fait d’eux tous qu’un cœur et qu’une âme. Et comment une seule âme pourrait-elle s’élever contre elle-même ? On ne voit donc point là, comme parmi nous, ces différences de pauvres et de riches ; ni ce discernement de personnes qu’on honore, et d’autres que l’on méprise. Cette parfaite égalité ne laisse parmi eux aucune entrée à la vaine gloire. Si l’un y est grand et l’autre petit, ce n’est qu’en vertu, et l’on n’a même aucun égard à ces différences. Celui qui est inférieur aux autres, ne se plaint point d’être méprisé, parce qu’il n’y a personne qui le méprise, et s’il s’en trouvait quelqu’un il en aurait de la joie, parce qu’ils aiment à souffrir les mépris et les injures. C’est à quoi ils s’appliquent sans cesse à s’anéantir et à s’humilier, non seulement dans leurs paroles, mais encore plus dans leurs actions. Ils aiment à manger avec les pauvres et les personnes les plus méprisables. Leur table est tous les jours environnée de ces sortes d’hôtes, et c’est ce qui les rend dignes du ciel. L’un y panse les plaies des blessés, l’autre sert de guide à un aveugle, l’autre porte celui qui a la jambe rompue. Il n’y a point là de flatteurs. On n’y sait pas même ce que c’est que de flatter ; et comme tout est égal entre eux, il ne s’y peut mêler aucune envie. Ainsi, ceux qui entrent parmi ces saints, y apprennent aisément la vertu, et à devenir humbles à leur exemple sans qu’on les contraigne à s’humilier devant les autres. Car comme on arrête plus aisément l’audace d’un homme superbe en lui cédant qu’en lui résistant, et que la modération d’un autre est une grande instruction pour lui, ainsi rien n’est plus propre pour guérir dans une âme la plaie de la vaine gloire, que de voir des personnes qui n’ont pour elle que de l’aversion et du mépris. C’est ce qui se pratique admirablement dans ces lieux. On voit autant d’ardeur pour fuir ou pour quitter les premières places et ces rangs d’honneur, que nous en voyons ailleurs pour y arriver. On y aime, non à se faire honorer, mais à honorer les autres. Les ouvrages mêmes des solitaires et les occupations où ils s’emploient, les portent encore à l’humilité et étouffent en eux tous les mouvements de la vaine gloire. Car, qui peut devenir superbe en bêchant la terre, en arrosant des herbes, en faisant des paniers d’osier, et d’autres choses semblables ? Comment pourraient-ils s’élever dans leur cœur, en souffrant comme ils font la pauvreté, la faim, la soif, et toutes les autres nécessités de la vie ? Ainsi, l’humilité, comme je viens de le dire, est parmi eux une vertu bien aisée. Il est très-difficile de ne devenir pas superbe parmi les louanges et les applaudissements des hommes ; il est facile au contraire de devenir humble parmi des choses si basses, et dans le fond d’un désert. C’est là qu’on traite avec Dieu seul à seul. On n’a pour compagnie que soi-même. On n’y voit qu’un oiseau qui vole ; qu’un arbre qui est agité des vents ; qu’un ruisseau qui coule le long d’une vallée. Par où donc l’orgueil attaquerait-il un homme dans une si profonde solitude ? Ce n’est pas néanmoins que nous soyons excusables au milieu des villes de nous laisser aller à cette passion. Abraham vivait au milieu des chananéens et ne laissait pas de dire à Dieu : « Je ne suis que terre et que cendre ». (Gen 17,29) David était dans la cour et dans les armées, et cependant il disait : « Pour moi, je suis un vermisseau et non un homme ». (Psa 22,6) Saint Paul vivait au milieu des hommes, et cependant il était assez humble pour dire : « Je ne suis pas digne d’être « appelé apôtre ». (1Co 15,9) Après tant d’exemples, mes frères, comment serions-nous excusables d’être encore si superbes et si vains ? N’est-il pas vrai que si ces hommes admirables doivent être comblés de gloire parce qu’ils ont donné les premiers l’exemple d’une si haute vertu, et que nous serons, nous, exposés aux plus grands supplices pour ne l’avoir pas suivi, pour lire leurs actions sans les imiter, pour admirer leur humilité, sans devenir humbles ? Que nous restera-t-il pour excuser une si grande dureté ? Direz-vous que vous ne pouvez lire l’Écriture pour y apprendre quelle a été la vertu de ces saints hommes ? C’est déjà une grande faute de n’avoir pas soin de vous en instruire dans l’Église, où vous devriez venir puiser sans cesse ces eaux si saintes et si salutaires. Mais si vous ne pouvez apprendre les vertus de ces anciens serviteurs de Dieu, ne pouvez-vous pas avoir au moins celles des saints qui vivent encore ? Je n’ai personne qui m’y mène, dites-vous. Venez me trouver, je vous y mènerai moi-même. Venez avec moi pour apprendre des choses qui vous toucheront et qui vous édifieront. Ces solitaires sont comme des lampes qui éclairent toute la terre. Ce sont comme des remparts qui vous serviront de défense. Ils ont recherché les déserts pour vous apprendre à mépriser le monde. Il faut être fort pour trouver le calme au milieu de la tempête. Mais pour vous qui êtes faibles, vous avez besoin de repos après cette agitation continuelle où vous expose l’engagement que vous avez dans le monde. Allez donc, mes frères, voir souvent ces saints, afin que leurs prières et leurs exhortations servent à vous purifier des taches du siècle, et qu’en purifiant votre vie de plus en plus, vous vous mettiez en état de jouir des biens de ce monde et de l’autre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit est la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE LXXIII.
« MALHEUR A VOUS, DOCTEURS DE LA LOI ET PHARISIENS HYPOCRITES, QUI DÉVOREZ LES MAISONS DES VEUVES SOUS PRÉTEXTE QUE VOUS FAITES DE LONGUES PRIÈRES, C’EST POUR CELA QUE VOUS RECEVREZ UNE CONDAMNATION PLUS RIGOUREUSE ». (CHAP. 23,14, JUSQU’AU VERSET 29) ANALYSE.
- 1 et 2. Attaque directe et très-forte contre les pharisiens. – Qu’il faut tenir surtout à la pureté intérieure.
- 3 et 4. Que c’est être pharisien que de ne travailler qu’à régler le dehors et ne se pas mettre en peine du dedans de l’âme. – Que ces sortes de personnes sont des sépulcres selon la parole du Fils de Dieu. – De la mauvaise odeur que les méchants portent dans l’Église par leurs dérèglements. – Contre ceux qui violent la sainteté de l’Église par des regards et des desseins criminels. – Combien la manière dont les femmes se conduisent aujourd’hui est différente de celle des femmes chrétiennes des premiers siècles de l’Église. – Contre ceux qui recherchent les bonnes tables.
1. Jésus-Christ s’en prend maintenant à l’intempérance des pharisiens. Le premier crime qu’il leur reproche sur ce point, et qui en effet était insupportable, c’est qu’ils ne tiraient pas de quoi satisfaire ces excès de bouche du superflu des riches, mais du nécessaire des veuves ; surchargeant ainsi des personnes pauvres qu’ils devaient plutôt soulager. Car Jésus-Christ ne dit pas simplement qu’ils mangeaient, mais qu’ils « dévoraient » les maisons des veuves. La manière dont ils commettaient ce crime les rendait encore plus détestables « Sous prétexte, dit-il, que vous faites de longues prières ». Tout homme qui fait une action criminelle mérite d’en être puni ; mais celui qui se voile alors d’un prétexte de piété, et qui colore sa malice d’une apparence de vertu, mérite d’en être encore beaucoup plus puni. Vous me demanderez peut-être pourquoi, puisque ces pharisiens étaient si corrompus, Jésus-Christ ne leur ôtait pas un ministère qu’ils usurpaient si injustement ? Il ne le fait pas, mes frères, parce que le temps ne le permettait pas encore. Il les laisse cependant dans leur charge, et se contente d’avertir le peuple afin qu’il ne se laisse pas surprendre, et que la dignité de ces hommes ne le porte pas à les imiter. Après qu’il a donné en général cette règle : « Faites tout ce qu’ils vous disent », il montre ici comment elle se doit entendre, et comment il faut borner ce mot de « tout » à ce qui est exempt de péché, afin que les moins sages ne prissent pas de là sujet de croire qu’ils pouvaient leur obéir indifféremment en toutes choses. « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le royaume des cieux, n’y entrant point vous-mêmes, et en empêchant l’entrée à ceux qui y entrent (13) ». Si c’est déjà un crime que de n’être utile à personne, que doit-on attendre lorsqu’on nuit même aux autres, et qu’on leur empêche l’entrée du ciel ? Ce mot, « ceux qui y entrent », ne veut marquer autre chose que ceux qui étaient près d’y entrer. Lorsque les pharisiens avaient à diriger les autres, ils leur faisaient des commandements insupportables. Et lorsqu’il s’agissait pour eux-mêmes de remplir leurs devoirs, au lieu de porter les hommes à la vertu par le bon exemple, ils ne servaient qu’à les induire dans le mal et qu’à les corrompre. Ces sortes de gens sont véritablement les fléaux des mœurs et la perte du monde. Ils n’instruisent les âmes que pour leur apprendre à se perdre, et ils sont opposés aux vrais pasteurs comme les ténèbres le sont à la lumière. Car, comme c’est le propre d’un pasteur et d’un docteur de l’Église de sauver celui qui allait se perdre, c’est le propre aussi d’un corrupteur et d’un empoisonneur des âmes de perdre celui qu’il devait sauver. Voici une autre accusation que Jésus-Christ exprime avec beaucoup de force : « Vous courez la mer et la terre pour rendre un seul prosélyte, et quand il l’est devenu, vous le rendez digne de l’enfer deux fois plus que vous (15) ». Cela veut dire : Ces grandes peines et ces longs travaux que vous endurez pour gagner une âme ne peuvent vous porter à l’épargner et à la ménager ensuite, quoique nous voyions tous les jours que nous conservons avec plus de soin ce que nous avons acquis avec plus de peine. Cependant cette considération ne fait point d"impression sur vous, et ne vous rend point plus compatissants envers ceux que vous gagnez. Jésus-Christ reprend donc ici les pharisiens de deux grands désordres : le premier, de ce qu’ils se sont rendus inutiles pour le salut des hommes, et de ce qu’ils ont bien de la peine à en pouvoir convertir un seul ; et le second, de ce qu’ils sont si indifférents et si lâches ensuite pour conserver ceux qu’ils ont gagnés, ou plutôt de ce qu’ils les perdent au lieu de les convertir, en leur apprenant à se corrompre par leur exemple, et en étant cause que leurs disciples deviennent encore plus méchants qu’eux. Car si le maître est méchant, le disciple le devient encore davantage, et il dépasse le mauvais exemple qui lui a été donné. Lorsque nous avons d’excellents maîtres, c’est tout ce que nous pouvons faire que de les imiter et d’égaler leur vertu ; mais lorsque nous en avons de méchants, nous passons aisément au-delà de leur méchanceté, parce que la nature a une facilité et une pente effroyable qui la porte au mal : « Vous le rendez », dit Jésus-Christ, « digne de l’enfer deux fois plus que vous ». Il veut par cette parole effrayer le peuple qui écoutait les pharisiens, et en même temps châtier sévèrement les pharisiens eux-mêmes, ces docteurs d’iniquité, qui ne se bornaient pas à faire leurs disciples aussi méchants qu’eux-mêmes, mais qui les poussaient encore à un plus bas degré de perversité : ce qui est l’extrême limite du mal. « Malheur à vous, conducteurs aveugles qui dites : Si un homme jure par le temple, cela n’est rien ; mais s’il jure par l’or du temple, il est obligé à son serment (16). Insensés et aveugles que vous êtes ! Lequel est le plus à estimer, ou l’or, ou le temple qui sanctifie l’or (17) ? Et si un homme, dites-vous, jure par l’autel, cela n’est rien ; mais s’il jure par le don qui est sur l’autel, il est obligé à son serment (18). Aveugles que vous êtes, lequel est le plus grand, ou le don, ou l’autel qui sanctifie le don (19) ? Celui donc qui jure par l’autel, jure par l’autel et par tout ce qui est dessus (20). Et celui qui jure par le temple, jure par le temple et par celui qui y habite (21). Et celui qui jure par le ciel, jure par le trône de Dieu et par celui qui y est assis (22) ». Jésus-Christ attaque ici l’aveuglement et la folie des pharisiens qui portaient les hommes à mépriser les plus importants commandements de la Loi. Il semble néanmoins que le Fils de Dieu se contredise, car il a dit le contraire un peu plus haut, lorsqu’il leur « reprochait de mettre des fardeaux insupportables sur les épaules des hommes ». Mais ce qu’on doit dire ici, mes frères, c’est que les pharisiens tombaient en effet dans l’un et l’autre de ces deux excès contraires. Il semble qu’ils affectaient dans leur conduite tout ce qui pouvait perdre ceux qui leur étaient soumis. Ils leur faisaient mépriser les plus grands commandements, et ils les traitaient en même temps avec une rigueur et une dureté insupportable dans les plus petits. « Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, pendant que vous négligez ce qu’il y a de plus important dans la Loi, la justice, la miséricorde et la foi. C’est là ce qu’il fallait pratiquer, sans omettre néanmoins ces autres choses (23) ». C’est avec grande raison que Jésus-Christ ajoute ces paroles, « sans omettre néanmoins ces autres choses », c’est-à-dire la dîme de la menthe et du reste dont il parle, parce que la dîme est une espèce de miséricorde et d’aumône, et entre en quelque sorte dans le rang de ces choses importantes dont il parle. Il faut la payer, dit-il ; car, à qui a-t-il jamais nui de faire l’aumône ? Mais il ne faut pas croire qu’en payant ces dîmes on garde par là toute la loi. Jésus-Christ témoigne le contraire en disant : « Il faut faire cela, sans omettre néanmoins ces autres choses ». Il n’ajoute pas cette dernière parole lorsqu’il leur parle de leurs purifications extérieures. Il fait une séparation exacte de ce qui était pur d’avec ce qui ne l’était pas, et il montre que la pureté du dehors n’est que l’effet et la suite de la pureté du dedans, et que la pureté du corps n’allait point jusqu’à se communiquer à l’âme. Comme il ne s’agissait dans cette exactitude à payer les dîmes que d’une chose qui était bonne en elle-même et qui était une espèce d’aumône, Jésus-Christ passe cela sans le condamner, parce qu’il n’était pas encore temps de rien faire contre la Loi. Mais il détruit plus clairement ce qui ne regardait que la purification extérieure des corps. C’est pourquoi, en parlant ici des dîmes, il ajoute aussitôt : « Il fallait pratiquer cela sans omettre néanmoins ces autres choses » ; mais lorsqu’il parle de ces vaines purifications, il leur dit : « Vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, pendant que le dedans demeure plein de rapine et d’impureté. Pharisien aveugle, nettoyez premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors en soit net aussi ». Il se sert ici de cette comparaison familière et commune d’un « plat » et d’une « coupe ». Mais, pour montrer ensuite qu’on ne perd rien en négligeant la purification extérieure des corps, et qu’on perdrait tout au contraire en négligeant la pureté intérieure des âmes, dans laquelle consiste toute la vertu, il compare l’une à un « moucheron » à cause de sa petitesse, et l’autre à un « chameau » à cause de sa grandeur et de son extrême importance. 2. « Conducteurs aveugles que vous êtes, qui passez ce que vous buvez de peur d’avaler un moucheron, et qui avalez un chameau (24) ». Dieu, leur dit-il, n’a ordonné ces petites choses qu’en les rapportant aux grandes, c’est-à-dire à la « miséricorde » et au « jugement ». Lors donc que ces petites observances sont séparées des grandes, pour lesquelles elles ont été établies, elles ne servent plus à ceux qui les pratiquent, parce qu’alors se trouve rompu ce rapport et cette liaison nécessaire qu’elles ont avec ces règles importantes et essentielles de la loi. Ces règlements capitaux pouvaient subsister sans ces préceptes moins considérables ; mais ces petits préceptes ne pouvaient servir de rien sans ces autres beaucoup plus importants. Jésus-Christ montre par là qu’avant même le temps de la grâce et de l’Évangile, ces observances n’étaient pas ce qu’il désirait le plus, mais qu’il demandait des hommes d’autres observances bien plus considérables et un culte plus spirituel. C’est pourquoi, après que la nouvelle loi de Jésus-Christ nous a donné d’autres lois plus saintes et des commandements plus divins, ces autres sont devenus superflus, et il est inutile de les observer. Mais quoique la malice soit toujours en horreur aux yeux de Dieu, elle ne l’est jamais davantage que lorsque ceux qui en sont possédés, bien loin de croire qu’ils aient besoin de changer de vie, s’imaginent au contraire être capables d’éclairer et de conduire les autres. L’est ce que Jésus-Christ veut nous marquer, lorsqu’il appelle les pharisiens « des conducteurs aveugles ». Si le plus grand malheur pour un aveugle c’est de croire qu’il n’a point besoin de guide, que dirons-nous de celui qui, étant aveugle lui-même, veut être néanmoins le guide des autres ? Jésus-Christ leur reproche d’une manière couverte par ces paroles la passion furieuse qu’ils avaient pour l’ambition et pour la vaine gloire, source de tous leurs maux, parce qu’ils faisaient toutes leurs actions dans le désir d’être vus des hommes. C’est cet orgueil inflexible qui les a empêchés d’embrasser la foi, et qui les a portés à détruire toute véritable vertu, et à renfermer toute leur religion dans quelques purifications extérieures qui ne regardaient que le corps, sans se mettre en peine de la pureté de l’âme. « Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui nettoyez le dehors de la coupe et du plat, pendant que le dedans demeure plein de rapine et d’impureté (25). Pharisien aveugle, nettoyez premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors en soit net aussi (26) ». Jésus-Christ voulant rappeler les pharisiens à la véritable piété qu’ils méprisaient, et les faire passer de ce soin de l’extérieur au soin du dedans de l’âme, leur parle de la « miséricorde », de la « justice » et de la « foi ». Car ce sont là les choses qui renferment toute la vie et toute la sanctification de nos âmes. La « miséricorde » nous rend doux et compatissants envers nos frères. Elle nous porte à leur pardonner aisément leurs fautes, et à ne pas témoigner trop de dureté envers les pécheurs. Nous trouvons en elle ce double avantage, qu’elle attire la miséricorde de Dieu sur nous, et qu’en nous attendrissant le cœur, elle nous rend plus prompts à assister ceux que l’on outrage et à compatir à tout ce qu’ils souffrent. La « justice » et la « foi » nous empêchent d’être hypocrites et trompeurs, et nous rendent purs et sincères. Mais quand Jésus-Christ dit : « Il fallait faire ces choses et ne pas omettre les autres », il ne prétend pas nous engager à toutes les observances de l’ancienne loi ; comme lorsqu’il dit « qu’il faut purifier le dedans du vase afin que le dehors soit aussi pur », il ne veut pas nous ramener à toutes ces purifications légales. Il nous montre au contraire qu’elles sont vaines et inutiles. Car il ne dit pas : « Et purifiez ensuite le dehors », mais, « purifiez le dedans, et le dehors sera pur et net ». Par cette « coupe » et par ce « plat », il marque l’homme. Le « dedans » de la coupe en marque l’âme, et le « dehors » en marque le corps. Si c’est donc un désordre de ne se mettre pas en peine qu’un plat soit net au dedans pour en tenir le dehors propre, combien serait-il plus dangereux de négliger la pureté du dedans de l’âme ? Mais vous, ô pharisiens, vous faites tout le contraire. Vous gardez avec soin les petites choses qui ne sont qu’extérieures, pendant que vous négligez les importantes qui regardent le cœur. C’est de cette source que vient ce mal si dangereux, et comme cette plaie mortelle qui vous fait croire que vous avez accompli toute la loi, et qu’il ne vous reste plus rien à faire, et qu’ainsi vous ne devez point penser à corriger et à purifier votre vie. « Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui êtes semblables à des sépulcres blanchis, qui au-dehors paraissent beaux, mais qui au dedans sont pleins d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture (27). Ainsi au-dehors vous paraissez justes aux yeux des hommes, mais au dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité (28) ». Jésus-Christ leur reproche encore ici leur passion pour la vaine gloire en les appelant des « sépulcres blanchis ». Il condamne par là leur hypocrisie, qui était la source de tous leurs crimes et la cause de leur perte. Il ne se contente pas de dire qu’ils sont seulement semblables à des « sépulcres blanchis », mais il ajoute : « qui sont au dedans pleins d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture », c’est-à-dire, comme il l’explique aussitôt, « qu’ils sont pleins au dedans d’eux-mêmes d’hypocrisie et d’iniquité », marquant par là que leur hypocrisie était leur plus grand obstacle à la foi. Les crimes que Jésus-Christ reproche ici aux Juifs ne leur ont pas été représentés seulement par le Fils de Dieu. Tous les prophètes les en ont souvent accusés, et leur ont fait voir qu’ils étaient avares et voleurs, et que leurs princes ne rendaient point la justice. On voit partout qu’ils négligeaient le plus solide et le plus essentiel de la loi, et qu’ils s’arrêtaient à des choses mutiles. C’est pourquoi il n’y avait rien ni dans ces avis, ni dans ces reproches, ni dans cette comparaison du sépulcre, qui leur dût paraître nouveau, puisque David compare leur « bouche » non seulement à un « sépulcre », mais à « un sépulcre toujours ouvert ». (Psa 52,10) 3. Il a encore aujourd’hui, mes frères, plusieurs de ces « pharisiens qui ont grand soin de paraître purs au-dehors », mais « qui ne sont pleins au dedans que de corruption et d’iniquité ». Nous voyons de nos jours qu’on travaille beaucoup à régler l’extérieur, et qu’on le réforme avec beaucoup de soin, pendant qu’on néglige entièrement de régler le dedans de l’âme, et de l’établir dans la solide piété. Si l’on ouvrait maintenant les consciences de chacun de nous, on les verrait pleines de vers, de puanteur et de pourriture : je veux dire qu’on les verrait pleines de passions et de désirs déréglés, qui déchirent plus les âmes, que les vers ne rongent les corps. C’était sans doute un grand malheur devoir les pharisiens dans cet état déplorable. Mais c’en est un bien plus grand, qu’étant comme nous sommes les membres du Fils de Dieu, nous devenions « des sépulcres pleins de toute sorte de pourriture ». Ce mal, mes frères, est au-dessus de tout ce qu’on en peut dire. Car, qu’y a-t-il de plus effroyable que de voir une âme qui était le temple de Jésus-Christ, et l’organe de son Esprit-Saint, où tant de mystères s’étaient accomplis, et s’accomplissaient tous les jours, devenir tout d’un coup d’un ciel vivant et animé, un sépulcre infâme ? Quelle source de larmes pourrait suffire pour pleurer dignement un si grand malheur ? Souvenez-vous de votre divine renaissance. Rappelez en votre mémoire le titre auguste dont vous avez été honoré en votre baptême ; quelle robe vous y avez reçue, comment vous y êtes devenu un palais céleste, fondé sur l’immobilité de la pierre, enrichi, non de marbre et de jaspe, ni d’or et de diamants, mais des dons de l’Esprit de Dieu, et de toute la magnificence de sa grâce. Considérez qu’on ne souffre point les sépulcres dans les villes, et qu’ainsi étant vous-même « un sépulcre », vous ne devez point prétendre avoir part à cette cité éternellement heureuse. On vous en rejettera avec encore plus d’horreur qu’on ne rejette les tombeaux du milieu des villes. Et comment vous y pourrait-on souffrir, puisque vous êtes devenu sur la terre même l’opprobre de tous les hommes, qui vous voient avec horreur porter une âme morte dans un corps vivant ? Si l’on voyait dans cette ville un homme porter de rue en rue un corps mort plein de puanteur, qui ne le fuirait avec dégoût ? Vous êtes vous-même cet homme, et c’est ainsi que vous portez partout une âme morte, rongée de vers, et « pleine de pourriture ». Qui pourra avoir quelque compassion de vous, puisque vous êtes si cruel envers vous-même, et que vous vous traitez avec tant de dureté ? Que feriez-vous si on allait enterrer un corps mort au lieu où vous mangez, et où vous dormez ? Cependant vous ensevelissez votre âme morte, non pas au lieu où vous mangez et où vous dormez, mais entre les membres mêmes de Jésus-Christ, et vous ne craignez point qu’il ne lance sur vous tous ses foudres ? Comment osez-vous, étant rempli de tant d’ordures et de corruption, entrer dans l’Église de Dieu, et vous présenter dans son saint temple ? On punirait du dernier supplice celui qui ferait à la majesté impériale l’injure d’aller enterrer un mort dans son palais. Que ne devez-vous donc point attendre, vous qui pouvez sans rougir aller infecter ce temple sacré de Jésus-Christ, par vos puanteurs insupportables ? Que n’imitez-vous cette sainte pécheresse qui parfuma les pieds du Sauveur d’une « huile précieuse, dont l’odeur excellente remplit toute la maison » ? Vous faites tout le contraire en vous présentant à Jésus-Christ, étant plein de puanteur. Il est vrai que vous ne la sentez pas. Mais c’est en cela même que votre mal est plus incurable, et presque désespéré. Car, lorsque le corps d’un homme se corrompt, il le sent lui-même, ainsi que ceux qui l’approchent. Ainsi, il est plus aisé de le guérir, et tout le monde le plaint, parce que cette corruption est involontaire. Mais la vôtre est d’autant plus incurable qu’elle ne tombe pas sous les sens, et d’autant plus digne de haine, que vous vous y plaisez, et que vous l’entretenez volontairement. Puis donc que votre maladie est si dangereuse, et que vous n’avez pas le moindre sentiment de cette odeur de mort que vous répandez partout, faites au moins un effort sur vous-même, et appliquez-vous à ce que je vais vous dire pour vous représenter l’état où vous êtes, et pour vous faire voir quelle est cette peste effroyable qui tue votre âme invisiblement. Mais souvenez-vous auparavant de ce que vous dites dans vos prières : « Que ma prière s’élève à vous, mon Dieu, comme l’encens s’élève en votre présence ». (Psa 141,2) Si, au lieu de cet encens, vous faites monter vers Dieu une fumée noire et puante, qui ne voit que vous ferez descendre, non la miséricorde, mais la colère de Dieu sur vous ? Et qui sont ceux, me direz-vous, qui font monter cette fumée vers Dieu dans l’Église ? Ce sont ceux qui ne craignent pas d’y venir, pour y satisfaire leurs regards impudiques, qui ont le démon dans le cœur, et l’adultère dans les yeux. Et l’on ne s’étonne point après cela que tous les foudres du ciel ne tombent sur la terre pour la réduire en cendre, puisque ces crimes devraient attirer également les feux du ciel et ceux de l’enfer. Cependant, comme Dieu est bon et plein de miséricorde, il suspend sa colère, et il vous invite à la pénitence. Quoi, vous osez donc venir à l’église pour voir une femme, et vous ne tremblez pas de déshonorer la sainteté du temple de Dieu ? Regardez-vous l’église comme un lieu de divertissement, et la traitez-vous avec moins de respect que les rues et les places publiques ? Vous rougiriez peut-être dans ces lieux publics qu’on vous vît aller après une femme ; et vous ne rougissez point dans l’église, d’occuper vos yeux de ce qui empoisonne votre cœur, et de vous entretenir de pensées infâmes, au même temps que Dieu par la voix de ses ministres vous menace de vous perdre, si vous n’avez en horreur cette passion ? C’est là le fruit de ces spectacles dont vous êtes si passionnés. C’est là ce que vous enseigne le théâtre. Voilà ce que produit cette peste si contagieuse ; ces objets qui corrompent et qui enchantent les yeux qui les voient, et cette source publique d’impureté dont les eaux empoisonnées et délicieuses tout ensemble, enivrent ceux qui en boivent d’un plaisir funeste, et les perdent agréablement. C’est ce que le prophète Jérémie accusait par ces paroles : « Votre œil », dit-il, « est mauvais aussi bien que votre cœur ». (Jer 34) Combien vaudrait-il mieux être aveugle ou être malade d’une fièvre ardente que d’abuser ainsi de ses yeux ? Il serait à souhaiter aujourd’hui, à voir l’état des choses, qu’il y eût au dedans de cette église un mur qui vous séparât d’avec tes femmes ; mais puisque vous ne le voulez pas souffrir, nos pères ont cru qu’il fallait au moins faire une séparation avec cette clôture de bois. J’ai su, néanmoins, des personnes les plus avancées en âge, que cette séparation n’avait pas été toujours en usage, « parce qu’en Jésus-Christ », comme dit l’apôtre, « il n’y a ni mâle ni femelle ». (Gal 3,25) Les hommes et les femmes, du temps des apôtres, priaient indifféremment ensemble, parce que les chrétiens alors, soit hommes ou femmes, étaient véritablement ce qu’on croyait qu’ils étaient, Mais aujourd’hui les femmes chrétiennes paraissent des courtisanes, et les hommes vivent plutôt en bêtes qu’en hommes. Ne voyons-nous pas dans les actes, que les hommes et les femmes étaient dans une même chambre, lorsque saint Paul leur parlait ? et cette assemblée néanmoins était tout angélique et digne du ciel ; parce que les femmes avaient un cœur mâle et une vertu d’hommes, et que les hommes avaient une modestie et une pureté digne des plus chastes d’entre les femmes. Voyez ce qu’une femme et une vendeuse de pourpre, dit aux apôtres : « Si vous me jugez digne du Seigneur, je vous prie de venir chez moi, et d’y demeurer ». (Act 16,15) Considérez encore ces premiers disciples qui accompagnaient les apôtres, et qui parcouraient avec eux toute la terre. Voyez ces femmes généreuses : Priscille, Perside et tant d’autres, dont les femmes d’aujourd’hui sont aussi éloignées que les hommes, de notre temps, le sont des hommes des premiers siècles. 4. Quoique ces femmes passassent leur vie à aller de ville en ville en suivant les disciples, jamais néanmoins on ne conçut d’elles les moindres soupçons ; au lieu qu’aujourd’hui celles qui demeurent toujours chez elles, et qui ne sortent jamais de leur chambre, n’en sont pas exemptes, à cause de ce soin excessif qu’elles prennent pour se parer, et pour vivre dans les divertissements et dans les délices. Les femmes alors n’avaient point d’autre soin ni d’autre désir que de voir l’Évangile s’étendre par toute la terre ; et les femmes d’aujourd’hui n’ont point d’autres désirs que de s’embellir le visage, et de paraître agréables aux yeux des hommes. Elles mettent en cela toute leur gloire et tout leur bonheur. Pour ce qui regarde cet amour de l’Église et ce zèle pour Dieu et pour le prochain, il ne leur en vient pas seulement la moindre pensée. Quelle femme aujourd’hui s’efforce de retirer son mari de ses excès, et de le rendre un véritable chrétien ? Quel est l’homme qui cherche à rendre sa femme aussi réglée et aussi vertueuse qu’elle le doit être ? Ces soins et ces empressements de charité sont aujourd’hui inconnus au monde, Les femmes s’occupent de leurs ameublements, de leurs habits, et de tout ce qui contribue aux délices et au luxe, et elles souhaitent pour cela d’être plus riches. Les hommes s’occupent aussi de ces mêmes bagatelles et de mille choses semblables, qui ne regardent toutes que l’accroissement de leur bien et les commodités de la vie. Quel est maintenant le jeune homme qui, devant se marier, se met en peine de savoir quelle est la femme qu’il va prendre ; comment elle a été élevée, si ses mœurs sont réglées, si sa vie est sans reproches ? Tous ses soins se terminent à savoir ce qu’elle a de biens ; combien elle a en fonds de terre ou en meubles, Il semble qu’il achète une femme, et on donne même au mariage le nom « de contrat ». J’en vois plusieurs aujourd’hui qui disent : Un tel a contracté avec une telle, pour dire qu’il l’a épousée. On déshonore ainsi le nom de Dieu, et on traite un sacrement si saint, comme un trafic où l’on se vend et où l’on s’achète. Il faut même, dans ces contrats, être extrêmement sur ses gardes, parce que l’on tâche encore plus d’y tromper que dans les autres. Mais voici, mes frères, comment on se mariait autrefois parmi les chrétiens. Se vous le dis, non seulement afin que vous le sachiez, mais aussi afin que vous l’imitiez. On n’avait point d’égard au bien, ni aux avantages temporels. On cherchait une fille qui eût été bien élevée, qui eût de la sagesse et de la vertu, dont la vie fût réglée et honnête. Quand on l’avait trouvée, le mariage était conclu : on n’avait besoin, ni de contrat, ni d’articles, ni de notaires. On ne dépendait ni de l’encre, ni des Écritures. On ne voulait point d’autre sûreté que la vertu et la piété de l’un et de l’autre. C’est pourquoi je vous conjure, mes frères, de ne point vous arrêter à ces vues si basses, lorsque vous vous marierez ; mais de ne vous mettre en peine que de trouver des filles sages, réglées, honnêtes, et vertueuses, et elles vous seront plus précieuses que tous les trésors du monde. Si vous ne cherchez que Dieu dans le mariage, il aura soin de vous y taire trouver avantageusement tout le reste. Mais si vous n’y cherchez que des qualités du monde, sans vous mettre en peine de celles qui doivent être les plus chères à un chrétien, vous n’y trouverez enfin ni les unes ni les autres. Vous me direz peut-être : J’en vois plusieurs qui se sont enrichis du bien de leurs femmes. Ne rougissez-vous point d’avoir ces pensées ? J’ai entendu dire moi-même à plusieurs hommes du monde, qu’ils aimeraient mieux mille fois être pauvres, que de devenir riches par leurs femmes. Car, hélas ! qu’y a-t-il de plus malheureux que d’être riche de cette manière ? Qu’y a-t-il de plus cher que ce qu’on achète à si haut prix ? Qu’y a-t-il de plus honteux pour un homme que de s’exposer à entendre dire de lui, qu’il n’est rien par lui-même, et qu’il n’a de bien que ce qu’il a de sa femme. Je ne parle point du renversement qui a lieu dans un ménage de cette sorte, où l’on voit une femme hautaine et impérieuse, un mari esclave et timide, des serviteurs hardis et insolents, qui diront quelquefois de leur maître Qu’était cet homme-ci, avant qu’il se soit marié ? Un homme sans naissance, sans bien, sans honneur : et qu’a-t-il maintenant, sinon ce qu’il a reçu de notre maîtresse ? Vous me direz peut-être que vous ne vous souciez guère de ces discours. Il est vrai, parce que vous avez un cœur d’esclave. Tous ces flatteurs et tous ces hommes lâches, qui cherchent un dîner aux bonnes tables, entendent tous les jours ces insultes sans en rougir. Ils se glorifient même de ce qui devrait être leur confusion ; et lorsque nous leur parlons de la sorte, ils disent en eux-mêmes ce proverbe : « Qu’on me donne un bon morceau, quand il me devrait étrangler ». O parole du démon, qui n’a été répandue dans le monde qu’afin de le perdre. Que dites-vous, mes frères, quand vous osez parler de la sorte ? Vous déclarez que jamais vous n’aurez nul égard à la justice ; que vous renoncez à la raison ; que vous ne cherchez que le plaisir ; que vous l’aimerez toujours quand il vous devrait coûter la vie, quand tout le monde vous devrait déshonorer, quand on vous cracherait au visage, quand on vous couvrirait de boue, et qu’on vous traiterait comme un chien. Que diraient autre chose les chiens et les pourceaux s’ils pouvaient parler ? Ou plutôt, cette parole serait indigne même d’un chien et d’une bête, et elle n’est digne que d’un homme qui a le démon sur la langue et dans le cœur. Reconnaissez donc, mes frères, l’impiété de cette parole, et bannissez-la éternellement de votre bouche. Opposez à ces proverbes diaboliques les sentiments et les oracles de l’Écriture, et gravez-les dans votre mémoire. Écoutez cette parole : « Ne suivez point les mauvais désirs de votre cœur, et ne soyez point l’esclave de votre concupiscence ». (Sir 18,30) Voyez ce qu’elle vous dit aussi des courtisanes et des femmes débauchées, et combien elle est en cela contraire au proverbe qui règne aujourd’hui dans le monde : « N’arrêtez point », dit-elle, « vos yeux sur une femme corrompue. Car le miel sort de ses lèvres, et il plaît pour un temps à votre bouche ; mais vous le trouverez ensuite plus amer que le fiel, et il pénétrera plus avant qu’une épée à deux tranchants ». (Pro 5,3-4) Étouffez par ces paroles saintes ces paroles exécrables dont le démon est l’auteur, qui inspirent aux hommes un cœur de bêtes et des pensées d’esclaves, et qui leur persuadent de considérer un plaisir honteux et méprisable comme le bien suprême, qu’ils doivent préférer à toutes choses. Car que vous apportera ce plaisir brutal ? Que gagnerez-vous quand vous vous en serez enivré selon votre désir ? Vous, n’y gagnerez que de l’infamie en ce monde et l’enfer en l’autre. Cessons donc d’acheter, par un plaisir qui dure si peu, des tourments qui ne finiront jamais. Méprisons le monde qui passe, et pensons à cette gloire qui doit arriver un jour. Parons notre âme de chasteté et de piété, afin qu’étant pure en ce monde elle devienne glorieuse en l’autre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE LXXIV.
« MALHEUR A VOUS, DOCTEURS DE LA LOI ET PHARISIENS HYPOCRITES, QUI BÂTISSEZ DES TOMBEAUX AUX PROPHÈTES ET ORNEZ LES MONUMENTS DES JUSTES, ET QUI DITES : SI NOUS EUSSIONS ÉTÉ DU TEMPS DE NOS PÈRES, NOUS NE NOUS FUSSIONS PAS JOINTS AVEC EUX POUR RÉPANDRE LE SANG DES PROPHÈTES ». (CHAP. 23,29, 30, JUSQU’AU CHAP. XXIV) ANALYSE.
- 1 et 2. Continuation des Vœux contre les pharisiens.
- 3-5. Le Sauveur, s’adressant à Jérusalem, s’attendrit en lui prédisant les malheurs qui puniront ses crimes. – Qu’il faut se corriger pendant qu’on en a le temps. – Du malheur des pénitences tardives. – Que nous devons être sensibles aux maladies de nos âmes. – Que les apôtres sont les vrais médecins des hommes, et que nous trouvons dans leurs écrits les remèdes de nos maux. – Divers avis très-importants pour les riches.
1. Ce n’est point, mes frères, parce que les pharisiens bâtissaient des tombeaux aux prophètes, ou parce qu’ils accusaient la cruauté et l’injustice de leurs pères qui les avaient tués, que Jésus-Christ prononce ces malédictions contre eux ; mais parce qu’en feignant de condamner l’impiété de leurs pères, ils commettaient eux-mêmes de plus grands excès. Car saint Luc marque assez que cette condamnation qu’ils portaient contre leurs pères n’était que feinte, lorsqu’il dit « qu’ils étaient de même sentiment avec eux. Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes que vos pères ont tués. Ne témoignez-vous pas que vous consentez aux actions de vos pères, puisqu’ils ont tué les prophètes, et que vous, vous leur bâtissez des tombeaux » ? (Luc 11,47) Il condamne par ces paroles le dessein qu’ils avaient en bâtissant ces tombeaux, et il fait voir que ce n’était point pour honorer la mémoire des prophètes qui avaient été tués si injustement, mais pour leur insulter encore davantage, et pour empêcher que le temps, en détruisant leurs sépulcres, ne fît en même temps perdre toutes les traces de la violence de leurs pères. Ainsi ils renouvelaient ces tombeaux afin qu’ils fussent comme un trophée toujours nouveau de l’audace et de l’insolence de leurs ancêtres. Les excès, leur dit Jésus-Christ, auxquels vous vous portez encore aujourd’hui avec tant de hardiesse, découvrent assez que ce n’est que dans cette pensée que vous rebâtissez ces tombeaux. Quoique vous témoigniez par vos paroles être dans un autre sentiment, et condamner en apparence vos pères en disant : « Que si vous aviez été de leur temps, vous ne e vous fussiez pas joints avec eux pour répandre le sang des prophètes » ; on ne peut pas ignorer néanmoins ce qui vous fait parler de la sorte ; et pour le marquer obscurément il dit ensuite : « Ainsi vous vous rendez témoignage à vous-mêmes, que vous êtes les enfants de ceux qui ont tué les prophètes (31). Achevez donc aussi de combler la mesure de vos pères (32) ». Car quel crime serait-ce à un homme d’être le fils d’un homicide et d’un meurtrier, lorsqu’il condamne la violence de son père ? N’est-il pas visible qu’un fils ne devient point coupable des excès de son père ? Ainsi Jésus-Christ ne leur fait ce reproche que pour les accuser de leur propre malice, comme les paroles suivantes le montrent. « Serpents, race de vipères, comment pourrez-vous éviter d’être condamnés au feu de l’enfer (33) » ? Comme les vipères ont le même venin que les autres vipères dont elles sont sorties, vous ressemblez de même à vos pères dans cette humeur audacieuse et cruelle, qui se plaît à répandre le sang des justes. Après avoir ainsi découvert ce qu’ils cachaient dans leur cœur, et qui était encore inconnu aux hommes, il confirme ce qu’il dit par les grands excès qu’ils allaient bientôt commettre à la vue de tout le monde. Car comme il leur avait déjà dit : « Vous rendez témoignage que vous êtes « les enfants de ceux qui ont tué les prophètes », pour montrer qu’ils étaient encore plus leurs enfants par la ressemblance de, leurs mœurs que par la nature, et que ce n’était que jar un déguisement qu’ils disaient « que s’ils avaient été de leur temps, ils n’auraient pris aucune part à leurs violences », il ajoute aussitôt : « Achevez donc aussi de combler la mesure de vos pères », non pour leur commander de le faire, mais pour leur prédire qu’ils le feraient ; entendant par ce « comble de la mesure », la mort qu’ils lui allaient faire souffrir. Ainsi, après avoir réfuté ces paroles qu’ils disaient, « savoir que s’ils avaient été du temps de leurs pères, ils ne se seraient pas joints avec eux pour répandre le sang des prophètes », et après avoir montré combien ce prétexte était vain, puisque ceux qui ont la hardiesse de tuer le maître n’auraient pas sans doute épargné ses serviteurs ; il leur parle ensuite avec force et avec des paroles mordantes : « Serpents, race de vipères, comment pourrez-vous éviter d’être condamnés au feu de l’enfer », puisqu’ayant assez de hardiesse pour commettre de si grands crimes, vous avez assez de malice pour les vouloir déguiser, et pour couvrir vos sacrilèges sous des prétextes de piété ? Il ajoute aussitôt pour les condamner encore davantage : « C’est pourquoi je m’en vais vous envoyer des prophètes, des sages, et des docteurs ; et vous tuerez les uns, vous crucifierez les autres, vous fouetterez les autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville ». Il semble que c’est pour les prévenir et pour les empêcher de dire un jour : Il est vrai que nous avons crucifié le Maître, mais nous n’aurions jamais tué les prophètes, si nous avions été de leur temps, qu’il leur dit ici ces paroles : « Je m’en rais vous envoyer des prophètes, des sages, et des docteurs, et vous les tuerez ». Il veut marquer par ces paroles qu’on ne devra pas s’étonner, si ceux à qui il parle deviennent ses homicides, puisqu’ils sont les enfants barbares de ces pères si cruels, et qu’ils surpassent même en cruauté ceux qui leur en ont donné un si audacieux exemple. Il montre encore combien leur vanité est insupportable. Car en disant : « Si nous avions été du temps de nos pères, nous ne nous fussions pas joints avec eux pour répandre le sang des prophètes », ces hypocrites ne parlaient de la sorte que par un excès d’orgueil, et cette modération qu’ils affectaient dans leurs paroles, était détruite par leurs actions. « Serpents », leur dit-il, « race de vipères » c’est-à-dire, cruels enfants de pères cruels, vous avez encore enchéri sur la dureté et sur la barbarie de vos pères. Vous vous êtes rendus encore plus coupables qu’eux, soit parce que vous aviez dû être plus sages étant venus après eux ; ou parce que l’attentat que vous devez commettre, sera sans comparaison plus grand que ceux qu’ils ont commis, ou parce que vous ajoutez l’orgueil à la cruauté, en disant que si vous aviez été du temps de vos pères, vous n’auriez jamais répandu comme eux le sang des prophètes. Et, en effet, mes frères, les pharisiens n’ont-ils pas comblé les excès de leurs pères ? Leurs pères n’ont tué que les serviteurs qui venaient leur demander le fruit de la vigne, mais ils ont tué le Fils même, puis les serviteurs qui les invitaient aux noces. Jésus-Christ les appelle « serpents et race de vipères », pour leur faire voir qu’ils n’étaient point de la race d’Abraham, et pour leur montrer qu’ils ne devaient rien espérer de cette liaison charnelle qu’ils avaient avec ce saint patriarche, puisqu’ils étaient si éloignés d’imiter ses actions. C’est pourquoi il ajoute : « Comment pourrez-vous éviter d’être condamnés au feu de l’enfer », puisque vous suivez les traces de ceux qui ont commis tant de violences ? Il les fait encore souvenir par ces paroles de ces reproches que saint Jean leur avait faits ; puisqu’il leur donne ici le même nom de « vipères », que saint Jean leur avait donné, et qu’il les menace comme lui des supplices à venir. Mais Jésus-Christ, voyant que ni la crainte de son jugement ni les menaces du feu de l’enfer ne faisaient aucune impression sur leurs esprits, cherche à les effrayer au moins par l’appréhension des malheurs de cette vie. « Je m’en vais vous envoyer », leur dit-il, « des prophètes, des sages et des docteurs, et vous tuerez les uns, vous crucifierez les autres, vous fouetterez les autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville ; afin que tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre retombe sur vous, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l’autel (35). Je vous dis en vérité que tout cela viendra fondre sur cette génération (36) ». 2. Par combien de considérations différentes Jésus-Christ tâche-t-il de rappeler ces hommes à lui ? Il leur a dit d’abord : « Vous condamnez vos pères en disant que vous n’auriez pas avec eux répandu le sans des prophètes, etc. » Cette parole était déjà bien propre à les faire réfléchir ; puis il ajoute : « Mais tout en condamnant vos pères, vous faites encore pis » ; et ce reproche était bien de nature à les couvrir de confusion. Il les assure de plus que tant de maux ne demeureraient pas impunis, et il les effraie par les menaces de l’enfer. Mais comme ces maux n’étaient que pour l’avenir, il s’efforce enfin de les effrayer par les malheurs qu’ils souffriraient dès cette vie. « Tout cela », dit-il, « viendra fondre sur cette génération ». Il montre par la manière dont il leur parle qu’ils deviendront le plus malheureux peuple qui fut jamais, et que tant de maux néanmoins ne les rendront pas meilleurs. Que si vous me demandez, mes frères, pourquoi Dieu les punit avec plus de rigueur qu’il n’a jamais puni aucun peuple, je vous réponds que c’est parce qu’ils l’ont plus offensé qu’aucun autre peuple de la terre, et que rien n’a pu retenir leur malice ni dompter la dureté de leur cœur. Ne savez-vous pas ce qu’a dit Lamech ? « On s’est vengé sept fois de Caïn, mais on se vengera septante fois sept fois de Lamech ». (Gen 4,23) C’est-à-dire je mérite bien plus de supplices que Caïn. Cependant il n’avait pas tué son frère comme Caïn avait fait. Mais parce que l’exemple et la punition de Caïn ne l’avait pas rendu sage, il fut puni avec cette juste sévérité. C’est ce que Dieu dit ailleurs : « Je venge les péchés des pères sur « les enfants jusqu’à la quatrième génération ». (Exo 20,5) Ce qui ne veut pas dire que Dieu punisse personne pour les péchés des autres, mais que celui qui a vu dans les siècles qui l’ont précédé, tant d’hommes punis avec rigueur pour les mêmes péchés qu’il commet, sans que cette considération l’ait pu retenir, souffrira lui seul les peines de tous les autres. Jésus-Christ parle ici avec grande raison « du juste Abel », pour montrer que ce n’était aussi que l’envie qui animait les Juifs contre sa personne. Que pouvez-vous donc dire, ô pharisiens, pour vous excuser ? Ignorez-vous quelle vengeance Dieu a tirée de Caïn ? Direz-vous que Dieu ne punit point ce parricide et qu’il ne témoigna point combien il l’avait eu en horreur ? Ignorez-vous de quelle manière ont été traités vos pères pour avoir tué les prophètes ? Ne les a-t-on pas vus souffrir les dernières extrémités, et finir enfin une misérable vie par une plus misérable mort ? Comment donc n’Êtes-vous point devenus plus sages par ces exemples ? Mais pourquoi m’arrêtai-je à vous représenter moi-même ce qu’ont fait et ce qu’ont enduré vos pères ? Pourquoi vous, qui les condamnez, les surpassez-vous en malice ? N’avez-vous pas prononcé la sentence contre vous-mêmes en disant de quelle manière Dieu devait traiter ceux qui n’étaient que votre figure : « Il fera périr malheureusement les méchants » ? (Mat 21,41) Et quelle espérance donc vous peut-il rester encore, puisque vous n’avez fait que redoubler vos crimes, après cet arrêt que vous avez prononcé vous-mêmes contre vous-mêmes ? Mais quel est ce « Zacharie » dont Jésus-Christ parle ? Les uns croient que c’était le père de saint Jean-Baptiste ; les autres que c’était quelque autre prophète, les autres que c’était un prêtre qui avait deux noms, et que l’Écriture appelle encore ailleurs Judas : « Que vous avez tué », dit-il, « entre le temple et l’autel ». Remarquez, mes frères, deux sacrilèges dans une action des Juifs, puisque non seulement ils tuaient une personne sainte, mais qu’ils le faisaient même dans un lieu saint. Ces paroles devaient d’une part frapper étrangement les Juifs, et de l’autre consoler beaucoup les apôtres, en montrant à ces derniers qu’avant eux des hommes très-justes avaient été les victimes de la fureur de ce peuple : et en faisant voir aux autres que, puisque Dieu n’avait pas épargné leurs pères, ils devaient s’attendre eux-mêmes à éprouver la rigueur de ses jugements. Il dit « qu’il leur enverra des prophètes, des sages et des scribes », pour leur ôter toute excuse. Il ne veut pas qu’ils puissent dire qu’on ne leur avait envoyé que des gentils, et que c’était pour ce sujet qu’ils ne les avaient pas reçus. Ainsi, c’était le seul plaisir qu’ils trouvaient dans ces cruautés et la seule soit du sang innocent dont ils étaient altérés, qui les portaient à ces violences. C’est ce que les prophètes leur ont souvent reproché en leur disant « qu’ils mêlaient le sang au sang, et qu’ils étaient des hommes de sang ». Que si Dieu a bien voulu ordonner dans la loi qu’on lui offrît du sang en sacrifice pour nous témoigner que le sang des bêtes ne lui était pas désagréable, il nous a fait assez juger combien celui des hommes lui devait être plus précieux. C’est ce qu’il marque clairement, lorsque parlant à Noé il lui dit : « Je vengerai tout le sang qui aura été répandu », Il y a beaucoup d’autres endroits semblables par lesquels Dieu défend aux Juifs de verser le sang ; il va jusqu’à leur défendre de manger de la chair des bêtes qui auraient été étouffées. « Je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes ». O admirable bonté de Dieu, qui, prévoyant que tous ces prophètes et que tous ces sages seraient inutiles à ce peuple, ne laisse pas néanmoins de les leur envoyer, et de faire de son côté tout ce qu’il peut pour les faire rentrer en eux-mêmes ! « Je vous envoie », leur dit-il, « des prophètes », quoique je sois assuré que vous devez les tuer. Il ne fallait que cela pour convaincre la fausseté de ce qu’ils disaient, « qu’ils ne se fussent jamais joints avec leurs pères pour répandre le sang des prophètes ». Car ils en ont aussi tué eux-mêmes dans les synagogues sans avoir aucun respect ni pour leurs personnes sacrées, ni pour la sainteté du lieu. Car ce n’était point des hommes ordinaires qu’ils sacrifiaient à leur fureur. Ils s’attaquaient aux prophètes mêmes de Dieu, et ils les tuaient cruellement pour rendre muettes ces bouches saintes, dont ils ne pouvaient plus souffrir les reproches. Il marque par ces « prophètes » et ces « sages », ses apôtres et ceux qui les accompagneraient ou qui viendraient après eux, parmi lesquels il y en avait beaucoup qui étaient prophètes. Et pour augmenter encore la crainte de ces menaces, il ajoute : « Je vous dis en vérité que tout cela viendra fondre sur cette « génération ». Je ferai fondre sur vous, leur dit-il, tous les maux dont j’ai puni ceux que vous imitez, et je tirerai de vous une vengeance proportionnée à votre opiniâtreté et à la dureté de votre cœur. Car celui qui, voyant les crimes et la punition de ceux qui ont été avant lui, non seulement n’en devient pas plus sage, mais se rend encore plus coupable qu’eux, mérite sans doute d’être puni avec plus de rigueur que tous les autres. Il aurait pu beaucoup profiter de l’exemple des autres pour se rendre meilleur ; mais, puisque rien ne peut le corriger, il devient d’autant plus criminel, que l’image du supplice des autres n’a pu l’empêcher de commettre les mêmes choses dont ils ont été punis. 3. Enfin Jésus-Christ adresse son discours à la ville capitale des Juifs, pour tâcher au moins de les fléchir par ce moyen : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui sont envoyés vers toi (37)». Cette répétition, « Jérusalem, Jérusalem », marque dans le Sauveur une grande compassion et une grande tendresse pour cette ville, Il semble qu’il se veuille justifier de tout ce qu’elle allait souffrir, Il lui représente qu’il l’a toujours aimée, et-qu’il s’est efforcé de la convertir et de la rappeler à son devoir, mais qu’elle avait toujours résisté à sa voix et s’était elle-même précipitée dans les crimes qui devaient attirer bientôt sur elle une juste vengeance. C’est ce qu’il lui dit souvent par la bouche de ses prophètes : « Je vous ai dit : Convertissez-vous à moi, et vous ne vous êtes pas convertie ». Mais, après l’avoir appelée deux fois par son nom, il commence à lui reprocher ses crimes. « Qui tues », dit-il, « les prophètes, et qui lapides ceux qui sont envoyés vers toi, combien de fois ai-je voulu rassembler les enfants « et tu ne l’as pas voulu » ? Il continue de se justifier : Quoique vous ayez toujours résisté à ma parole, lui dit-il, vous n’avez pu néanmoins ralentir cette affection ardente que j’ai toujours eue pour vous. Je n’ai pas laissé, après des traitements si injurieux que vous m’avez faits, de vous appeler encore non une ou deux, mais plusieurs fois. Car « combien de fois ai-je voulu rassembler vos enfants comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu » ? Il leur marque par ces paroles que c’était eux-mêmes qui se perdaient en se retirant par leurs égarements de dessous ses ailes saintes. Il use de cette comparaison tour leur témoigner l’excès de son amour, parce que rien n’égale l’affection que la, poule a pour ses petits. Les prophètes se servent de cette même comparaison, et représentent l’affection tendre que Dieu a pour nous, par celle que quelques oiseaux ont pour leurs petits. Il en est parlé dans le cantique de Moïse et dans les psaumes de David. « Le temps s’approche que vos maisons demeureront désertes (38) » ; c’est-à-dire, lorsque je les abandonnerai et que je cesserai de vous secourir. Il veut dire par là que comme c’était lui-même qui dans les siècles passés les avait toujours soutenus et protégés par sa puissance, ce serait lui aussi qui les punirait selon que leurs crimes le méritaient. Il les menace ici de la peine qu’ils appréhendaient le plus, en leur prédisant la ruine de leur ville. « Car je vous dis en vérité que vous ne me verrez plus désormais jusqu’à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (39) ». Il témoigne encore ici qu’il a une extrême affection pour les Juifs, et qu’il fait les derniers efforts pour les porter à la vertu, en rappelant dans leur esprit et le mal qu’ils ont fait autrefois, et celui qu’ils doivent souffrir. Car il marque dans ces dernières paroles le jour de son second avènement. Vous me demanderez peut-être si les Juifs ne virent plus Jésus-Christ depuis qu’il leur eut dit ces paroles ? Ils le virent jusqu’à sa passion ; et ce mot « désormais comprend tout le temps jusque-là. Parce qu’ils le regardaient toujours comme un ennemi de Dieu et comme un homme opposé à sa Loi sainte, il voulait faire voir au contraire qu’il était uni en tout avec Dieu, pour les attirer davantage à son amour. Il use pour ce sujet des paroles mêmes des prophètes, pour leur faire mieux reconnaître que c’était lui que les prophètes avaient annoncé. Il marque obscurément sa résurrection dans ces paroles, mais il y découvre tout à fait son second avènement, et il déclare qu’alors les cœurs les plus endurcis et que les esprits les plus opiniâtres dans leur incrédulité seront forcés de l’adorer. Il leur découvre ces mystères, en leur prédisant beaucoup de choses, en leur disant qu’il leur enverrait ses prophètes, qu’ils les tueraient, et même dans leurs synagogues ; qu’ils seraient punis de ces violences par des malheurs horribles, que leurs maisons demeureraient désertes, et qu’ils tomberaient dans des maux auxquels il n’y a rien eu de semblable. Toutes ces prédictions marquaient aux plus aveugles le second avènement du Fils de Dieu et les hommages profonds que tout le monde sera forcé de lui rendre. En effet, interrogeons les Juifs, et demandons-leur si Jésus-Christ ne leur a pas envoyé des prophètes et des sages ? S’ils ne les ont pas tués dans leurs synagogues ? Si leurs maisons et leurs villes n’ont pas été entièrement ruinées ; et si tous les maux que le Sauveur leur a prédits ne leur sont pas arrivés ? Nul d’entre eux ne le niera. Comme donc jusqu’ici toutes ces prédictions ont été vérifiées peut-on douter que le reste n’arrive de même, que les juifs ne reconnaissent un jour que Jésus-Christ est le vrai Dieu, et qu’ils ne soient forcés de se soumettre à sa souveraine puissance ? Mais ces respects forcés, et ces hommages contraints ne leur serviront de rien, pas plus que leurs regrets et leurs larmes autrefois ne purent empêcher que leur ville ne fût détruite. C’est pourquoi, mes frères, pendant que nous en avons le temps, appliquons-nous à faire le bien. Comme il fut inutile aux Juifs autrefois dans la ruine de leur ville de se repentir trop tard de leurs excès passés, il nous sera inutile de même de nous repentir de nos fautes, lorsque Dieu viendra nous juger. Le pilote ne petit plus sauver un vaisseau lorsque, par sa négligence, l’eau y entre de toutes paris et le coule à fond ; ni le médecin guérir un malade lorsqu’il est près de mourir. Il faut qu’il se hâte de secourir son malade avant qu’il meure, et l’autre son vaisseau avant qu’il périsse. A moins de cela tous leurs travaux seront inutiles. Puis donc qu’il n’y a plus de remède à attendre après, et que tant que nous vivons nous sommes continuellement malades, adressons-nous au Médecin de notre âme, et n’épargnons ni bien, ni travail pour la tirer de la maladie mortelle, afin que nous nous trouvions parfaitement guéris à la mort. Ayons au moins autant de soin pour les maux de nos âmes que nous en avons pour nos serviteurs, lorsqu’ils sont malades. Quoique notre âme nous doive être sans comparaison plus chère que nos domestiques, puisqu’elle est beaucoup plus excellente que le corps ; je m’estimerais heureux, néanmoins si vous aviez le même soin pour l’une que vous en témoignez pour les autres. Mais si nous sommes assez injustes pour refuser à nos âmes une partie de nos soins qu’elle mériterait d’avoir seule tout entiers, quelle excuse pourrons-nous trouver, lorsque Dieu viendra nous juger à notre mort ? 4. Vous me direz peut-être : Mais qui est assez misérable ou assez lâche pour n’avoir pas au moins autant d’amour pour son âme qu’il en a pour son serviteur ? C’est vous, mes frères, qui êtes en cet état ; et, ce qui m’afflige, c’est que nous ayons une telle indifférence pour notre propre salut, que nous traitons notre âme avec plus de mépris que nos serviteurs mêmes. Quand ils sont malades nous faisons venir les médecins ; nous les mettons dans une chambre commode et séparée du bruit, nous les exhortons à bien obéir au médecin qui les voit, et à suivre ponctuellement ses ordonnances ; nous leur témoignons du mécontentement et de la douleur lorsqu’ils ne les ont pas gardées ; nous leur donnons des gardes pour les veiller et pour les empêcher de suivre leurs désirs déréglés. Si les médecins ordonnent des remèdes de grands prix, nous les achetons aussitôt. Nous sommes fidèles à suivre toutes leurs ordonnances, et nous avons soin de les bien récompenser de leur peine. Mais lorsque nous-mêmes nous sommes malades, ou plutôt quoique nous ne soyons jamais un moment sans être malades, nous n’appelons point les médecins, nous ne voulons pas faire la moindre dépense ; et nous avons plus d’indifférence pour notre âme, lorsqu’elle est si dangereusement malade, que nous n’en aurions pour le plus grand de nos ennemis s’il était dans le même état où nous nous trouvons. Je vous dis ceci, mes frères, non pour blâmer le soin que vous avez de vos domestiques, mais pour vous exhorter d’en témoigner au moins autant pour vos âmes. Vous me demanderez peut-être ce que vous devez donc faire pour remédier à un si grand mal. Je vous le dis en un mot. Votre âme est malade, appelez un médecin pour la guérir. Ce médecin, c’est l’Évangéliste saint Matthieu. Ce médecin, c’est saint Jean le disciple bien-aimé. Présentez-vous à ces admirables médecins, et consultez-les pour savoir quel remède il faut appliquer aux maladies de votre âme. Ils vous le diront, Ils ne vous cacheront rien, et vous pouvez suivre toutes leurs ordonnances sans rien craindre, car ces grands hommes vous peuvent secourir, même après leur mort. Tout morts qu’ils sont, ils sont encore vivants, et ils nous parlent tous les jours. Vous me répondrez peut-être que votre âme est tout occupée de son mal, et qu’elle n’a pas la liberté d’écouter leurs sages avis. Faites-lui donc violence afin qu’elle les écoute. Excitez ce qu’il y a en elle de plus raisonnable et de plus spirituel, et réveillez-la de son assoupissement ; faites paraître les prophètes devant elle, afin qu’ils l’assistent de leurs conseils. Ces médecins ne demandent point d’argent ni pour leur peine, ni pour les remèdes ; mais ils vous ordonnent seulement devons faire miséricorde à vous-même en la faisant aux pauvres. Pour tout le reste, vous verrez qu’ils vous donnent, au lieu de penser à rien recevoir de vous. Car en vous ordonnant d’être sobres, combien vous épargnent-ils de folles et d’inutiles dépenses. Ne vous enrichissent-ils pas, lorsqu’ils vous exhortent à ne plus boire de vin, et à retrancher toutes les voluptés ? Après cela, qui n’admirera l’art et la sagesse de ces médecins spirituels, qui vous donnent en même temps la santé et les richesses ? Allez donc vous présenter à eux. Apprenez d’eux la qualité et la nature de votre mal. Si vous êtes possédé de l’avarice, si vous désirez l’argent avec autant d’ardeur qu’un homme qui a la fièvre désire un verre d’eau froide, écoutez ce qu’ils vous diront pour guérir ce mal. Comme les médecins des corps vous prédisent ce qui vous arrivera si vous suivez vos désirs déréglés, saint Paul vous dit de même : « Que ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège, et en diverses passions insensées et pernicieuses, qui précipitent les hommes dans l’abîme de la perdition et de la damnation ». (1Ti 6,9) Si vous êtes sujet à l’impatience, écoutez encore ce qu’il vous dira sur ce sujet : « Dans fort peu de temps », dit-il, « celui qui doit venir viendra et ne tardera point. Le Seigneur est proche, ne soyez en peine de rien ». (Heb 10,37, Phi. 4) Et ailleurs : « La figure de ce monde passe ». (1Co 7,31) Car ce grand Apôtre ne se contente pas de nous donner seulement des avis si sages et des conseils si salutaires. Il nous console encore comme un bon père, et il adoucit toutes nos peines : et comme les médecins des corps ont des remèdes pour désaltérer leurs malades et pour suppléer à l’eau fraîche qu’ils leur défendent ; celui-ci de même substitue à nos désirs et à nos affections déréglées d’autres désirs et d’autres affections plus justes et plus innocentes. Désirez-vous, nous dit-il, de vous enrichir ? Je ne vous défends point d’être riches en toutes sortes de bonnes œuvres. Voulez-vous amasser de grands trésors ? Mettez-les en dépôt dans le ciel. Et comme les médecins disent encore que les choses froides nuisent aux os, aux nerfs et aux dents, saint Paul de même dit en un mot avec une brièveté toute divine, que « l’avarice est la source de tous les maux ». (1Ti 6,10) Que devons-nous donc faire, me direz-vous ? Ce même apôtre vous l’a marqué : Il dit qu’il faut au lieu de l’avarice aimer la modération. « C’est une grande richesse », dit-il, « que la piété et la modération d’un esprit qui se contente de ce qui suffit ». (1Ti 6,11) Si vous ne suivez pas cet avis, et si le désir d’amasser du bien vous empêche de donner votre superflu, vous trouverez encore des avis pour cette maladie : « Que ceux », dit-il, qui « se réjouissent soient comme ne se réjouissant point ; ceux qui achètent comme ne possédant point, et ceux qui usent de ce monde comme n’en usant point. » (1Co 7,30) Vous voyez donc quels sont ces avis si saints que ce saint médecin du ciel nous donne pour nous guérir. Voulez-vous maintenant que nous en consultions un autre ? On ne doit point craindre à propos de ces médecins ce qui arrive pour les médecins du corps, qui sont assez souvent cause, par leur ambition et par leur jalousie, de la mort de leurs malades. Ceux-ci n’ont point d’autre but que la santé de ceux qui les appellent et qui les consultent, et ils ne se proposent jamais pour fin leur réputation et leur propre gloire. Ne craignez donc point leur grand nombre. Ils sont plusieurs, et ils ne sont qu’un, puisque Jésus-Christ seul parle par eux tous. Écoutons encore un autre médecin, saint Matthieu, qui parle terriblement de cette même maladie de l’avarice : ou plutôt écoutons Jésus-Christ, dont il rapporte ces paroles redoutables : « Vous ne pouvez servir en même temps Dieu et l’argent ». (Mat 6,24) 5. Mais comment cela se pourra-t-il faire, me direz-vous, et comment pourrons-nous étouffer tous ces désirs ? Voyez ce qu’il vous dit au même endroit : « Ne vous faites point de trésors dans la terre, où les vers et la rouille les mangent, et où les voleurs les déterrent et les dérobent ». (Id 6,9) Vous voyez, mes frères, combien Jésus-Christ s’efforce de nous éloigner du désir des biens d’ici-bas, parla considération du lieu ou nous les mettons en dépôt ; de la terre et des accidents qui nous les font perdre, tels que les vers, la rouille et les voleurs, afin que cette vue nous porte à prendre pour le dépositaire de tous nos trésors, Dieu même qui nous les gardera avec une sûreté entière. Car si vous vouiez mettre vos richesses dans un lieu où ni la rouille ni les voleurs ne leur puissent nuire, vous vous guérirez sans peine de votre avarice, et votre âme s’enrichira des biens véritables et spirituels. Jésus-Christ ajoute à cela un exemple étonnant et capable de vous toucher. Il imite les médecins qui, craignant pour leurs malades, leur disent : Un tel est mort pour avoir bu de l’eau froide dans ses accès. (Mat 19) C’est ainsi que le Fils de Dieu fait paraître un riche qui, frappé de cette maladie dont nous parions, et désirant néanmoins la santé avec ardeur, ne put la recouvrer à cause de cette étrange attache qu’il avait à ses richesses. Un autre Évangéliste rapporte encore l’exemple d’un autre riche qui ne peut au milieu des flammes trouver une goutte d’eau pour désaltérer sa soif. (Luc 16,24) Jésus-Christ, pour montrer ensuite que les ordonnances qu’il nous donne sont aisées à pratiquer, ajoute ces mots : « Considérez les « oiseaux du ciel ». (Mat 6,26) Mais cet adorable Médecin des âmes a tant de condescendance pour votre faiblesse, que, bien que vous soyez riche, et par conséquent dans un état dangereux pour votre salut, il vous défend néanmoins d’en désespérer, et vous assure lui-même que « ce qui est impossible « aux hommes, est possible à Dieu ». (Mat 19,26) Ainsi, quoique vous soyez riche, vous pouvez encore vous sauver, puisque Dieu ne vous a pas tant défendu d’être riche, que de vous attacher à vos richesses et d’en devenir l’esclave et l’idolâtre. Que doit donc faire un riche afin qu’il se puisse sauver ? Il faut que tout ce qu’il possède lui soit commun avec les pauvres, comme le bienheureux Job vous dit lui-même qu’il faisait. Il faut qu’il arrache de son cœur tout l’amour de ce qui est superflu, qu’il mette des bornes à ses désirs, et qu’il ne passe point au-delà des règles de la nécessité. Jésus-Christ vous montre encore l’exemple d’un publicain qui, après avoir été longtemps possédé de cette passion si basse, en fut guéri tout d’un coup. Il passa en un moment d’une avarice insatiable dans un mépris prodigieux de l’argent, parce qu’il obéit fidèlement aux avis et aux ordonnances de son Médecin. Tous les disciples que Jésus-Christ a eus ont été d’abord attaqués des mêmes maladies que nous, et ils en ont été guéris sans beaucoup de peine. Le Sauveur nous les propose tous pour modèles, afin que nous ne désespérions point de nous-mêmes. Jetez donc les yeux sur ce publicain qui est devenu Évangéliste. Voyez aussi cet autre chef des publicains, nommé Zachée, qui se résolut tout à coup à rendre au quadruple tout ce qu’il avait volé, et à donner la moitié de son bien aux pauvres pour se rendre digne de recevoir Jésus-Christ. Mais vous avez peut-être une ardeur furieuse pour le bien : Suivez-moi donc, vous dit le Sauveur, et vous serez riches. Regardez tout le bien des autres hommes comme étant à vous. Je vous donne plus que vous ne pouvez demander. Je vous ouvre les maisons de tous les riches qui sont dans toute la terre. Car « celui qui abandonnera pour moi son père, sa mère, ses terres ou sa maison, en recevra le centuple », (Mat 29) Ainsi, non seulement vous retrouverez plus que vous n’avez quitté, mais vous éteindrez même cette soif si extrême qui vous brûle ; vous supporterez plus doucement tous les accidents de la vie, et vous mépriserez non seulement le superflu, mais souvent même le nécessaire. Ainsi, saint Paul souffrait quelquefois la faim, et il s’en réjouissait plus que des festins et de la bonne chère, parce qu’un athlète qui combat pour remporter la victoire, ne peut préférer un lâche repos à un combat qui se termine par une fin si glorieuse : et un marchand, qui a éprouvé une fois combien on gagne en trafiquant sur la mer, ne peut plus se résoudre à vivre chez lui dans l’oisiveté et dans la mollesse. Ainsi, quand nous aurons commencé à avoir quelque goût des biens du ciel, nous n’en aurons plus pour les biens de la terre, lorsque nous goûterons et nous nous trouverons saintement enivrés d’un plaisir céleste. Goûtons donc ces délices sacrées, mes chers frères, pour jouir d’une véritable paix, et dans cette vie et dans l’autre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.