Matthew 5
HOMÉLIE XV
« JÉSUS VOYANT TOUT CE PEUPLE, MONTA SUR UNE MONTAGNE, ET S’ÉTANT ASSIS, SES DISCIPLES S’APPROCHÈRENT DE LUI. » (CHAP. 5,1, JUSQU’AU VERSET 17)
ANALYSE.
- 1. L’orateur réfute les Manichéens – Ce que le Christ dit à ses disciples, il le dit à tout l’univers.
- 2. et 3. Qu’il y a plusieurs sortes d’humilité. – De la consolation qui vient de Dieu, sa vertu.
- 4. 5. et 6. De la justice prise dans le sens général de la vertu. – Le Fils est égal au Père.- Vous êtes le sel de la terre.
- 7. Quelle gloire Jésus-Christ ose promettre dans l’avenir à ces pêcheurs, inconnus en leur pays durant leur vie.
- 8. Qu’une grande vertu ne peut rester cachée. – Égalité du Père avec le Fils.
- 9. et 10. Que tout cède à la vertu après qu’elle a cédé à la violence. – Comme on doit aimer et assister les pauvres.- Qu’on doit séparer ceux qu’on voit se battre dans les rues ; et que si on était tué en le faisant on serait martyr.
1. Considérez je vous prie, mes frères, combien Jésus-Christ méprisait l’honneur et la vaine gloire. Il ne mène point ces multitudes avec lui dans ses voyages. Lorsqu’ils ont besoin de son assistance dans leurs maux, il va lui-même parcourir leurs villes et leurs provinces. Mais lorsqu’il les voit venir en foule après lui, il demeure dans un même lieu ; et non dans une place publique, mais sur une montagne et dans un désert. Il nous apprend par cet exemple à ne rien faire par vanité, et à nous retirer du bruit et du tumulte du monde, principalement lorsque nous voulons nous appliquer à la contemplation de la Vérité, et nous entretenir des choses saintes et éternelles. « Jésus voyant tout ce peuple, monta sur une montagne, et s’étant assis, ses disciples s’approchèrent de lui (1). » Voyez-vous leur progrès dans la vertu ? Voyez-vous comme ils sont devenus tout à coup meilleurs ? Plusieurs d’entre ce peuple désiraient de voir ses miracles, mais pour eux ils souhaitaient de lui entendre dire des vérités grandes et élevées. C’est ce qui excita le Sauveur à leur faire ce long discours. Car il ne guérissait pas seulement les corps, mais encore les âmes et, après les soins donnés à celles-ci, il revenait à ceux-là. Il diversifiait ainsi les grâces Qu’il répandait sur les hommes, et il mêlait à la prédication de sa parole les guérisons miraculeuses des corps pour fermer la bouche à l’insolence des hérétiques et pour montrer, par le soin qu’il témoignait de l’une et l’autre de ces deux substances qui composent l’homme, qu’il était le créateur de l’une et de l’autre. C’est la raison pour laquelle sa providence partageait si souvent ses grâces tantôt au corps et tantôt à l’âme, comme il le témoigne même en cet endroit. « Et ouvrant sa bouche, il les enseignait (2). » Pourquoi l’Évangile marque-t-il cette circonstance, « et ouvrant sa bouche » ? C’est pour nous apprendre que Jésus-Christ n’instruisait pas seulement les hommes par ses paroles, mais par son silence. Il les enseignait quelques fois en leur parlant, et il leur parlait aussi quelquefois par la voix de ses œuvres, et par l’exemple de sa sainte vie. Mais, parce qu’il est dit que Jésus-Christ enseignait ses apôtres, il ne faut pas croire qu’il ne parlât qu’à eux seuls. II enseignait en eux généralement tous les hommes. Comme cette foule était composée de gens du peuple, âmes grossières et rampantes, le Sauveur, plaçant devant lui le chœur de ses disciples, leur adresse à eux directement ses discours, mais en leur parlant il n’oublie pas cette multitude qui avait un extrême besoin de sa parole ; seulement il fait en sorte que l’enseignement de la divine sagesse soit pour elle sans fatigue. C’est ce que saint Luc fait entendre lorsqu’il dit que Jésus-Christ adressa son discours à ses apôtres ; et saint Matthieu marque la même chose en disant que « ses disciples s’approchèrent de lui, et qu’il « les enseignait. » C’était un meilleur moyen pour exciter leur attention que s’il se fût adressé à tous. Mais que leur dit-il d’abord, et quels sont les fondements de la nouvelle doctrine ? Écoutons attentivement ces divins oracles. S’ils ont été dits alors pour ceux qui étaient présents, ils ont été écrits pour tous ceux qui devaient venir dans la suite. C’est pourquoi, bien que Jésus-Christ s’adresse à ses disciples, il ne détermine pas néanmoins ce qu’il dit à leurs seules personnes, mais parlant d’une manière indéterminée, il propose en général ces béatitudes pour tout le monde. Il ne dit pas : Vous êtes bienheureux si vous êtes pauvres : mais il dit en général : « Bienheureux sont les pauvres ! » Quand même Jésus-Christ aurait appliqué ces béatitudes à ses disciples en particulier, elles n’auraient pas laissé de regarder tous les hommes. Ainsi lorsqu’il a dit : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle », il ne l’a pas dit seulement à ses apôtres, mais il l’a dit en leurs personnes à toute la terre. De même en leur disant qu’ils seront heureux lorsqu’ils seront persécutés, tourmentés et affligés d’une infinité de maux ; il ne le dit pas seulement pour ! es apôtres, non, c’est pour tous ceux qui auront triomphé des mêmes épreuves qu’il tresse la couronne de gloire. Pour vous montrer encore plus clairement que tout ce que dit ici le Sauveur, vous regarde vous-mêmes, et généralement tous les hommes qui voudront lui obéir, écoutez de quelle manière il commence cet admirable discours. « Bienheureux, dit-il, les pauvres d’esprit ; parce que le royaume du ciel est à eux (3). » Qui sont ceux qu’il appelle « pauvres d’esprit » ? Ce sont les humbles et ceux qui ont le cœur contrit. Car par le mot d’esprit, il entend le cœur et la volonté. Comme il y en a beaucoup qui sont humiliés non par leur volonté, mais seulement par la nécessité de leur état, il ne les comprend point dans cette béatitude, puisque l’involontaire ne saurait être méritoire, et il ne l’étend que sur ceux qui s’abaissent et s’humilient volontairement. C’est à ceux-là qu’il donne le premier rang entre tous ceux qu’il appelle heureux. Mais pourquoi Jésus-Christ ne dit-il pas bienheureux les humbles d’esprit, mais « bienheureux les pauvres d’esprit » ? C’est parce que ce mot de pauvres ▼▼Le mot
pauvres ne traduit que très imparfaitement le grec
πτωκός qui signifie étymologiquement (
πτωσσω) craintif, timide, tremblant, et par extension chétif, misérable, pauvre. C’est au sens étymologique que saint Chrysostome s’attache ici, de sorte que selon lui l’expression (
οἱ πτωκοἱ τῶ πνεύματι) veut dire ceux qui ont l’esprit, la conscience timide, tremblante)
, dit beaucoup plus que celui d’humbles. Car il entend ici cette sorte de personnes qui sont tout abattues devant Dieu, et qui écoutent avec frayeur tout ce qu’il leur dit. Ce sont ces personnes que Dieu regarde favorablement, comme il dit lui-même par le prophète Isaïe : « Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur celui qui est humble et paisible, et qui tremble à la moindre de mes paroles ? » (Isa 66,2) 2. L’humilité a plusieurs degrés. Les uns ne sont que médiocrement humbles ; les autres le sont parfaitement. David loue cette humilité parfaite, qui ne consiste pas seulement dans un abaissement, mais dans un entier brisement de cœur, lorsqu’il dit : « Le sacrifice agréable à Dieu, est un esprit abattu d’affliction et de repentir, ô Dieu, vous ne mépriserez point un cœur contrit et humilié. » (Psa 51,19) C’est cette humilité que les trois enfants de la fournaise offrirent à Dieu comme un grand sacrifice, lorsqu’ils lui dirent : « Recevez-nous, Seigneur, dans un esprit contrit, et dans un cœur humilié. » (Dan 3,39) C’est à cette humilité que Jésus-Christ donne le premier rang dans ses béatitudes, parce que ce déluge de maux qui inonde toute la terre n’a point d’autre source que l’orgueil. Le diable n’était pas tel d’abord : c’est par l’orgueil qu’il est devenu le diable. Saint Paul l’assure lorsqu’il dit d’un néophyte : « De peur que s’élevant d’orgueil il ne tombe dans la même condamnation que le démon. » (1Ti 3,6) C’est ainsi que le premier homme, pour s’être laissé enfler par les orgueilleuses espérances que le démon lui avait fait concevoir, tomba dans le précipice, et devint sujet à la mort. En s’imaginant qu’il deviendrait Dieu, il perdit l’état qu’il possédait. Dieu même lui reprocha sa folie, et lui dit en lui insultant : « Voilà Adam devenu comme l’un de nous. » (Gen 3,22) Cet ange orgueilleux fait tomber depuis tous les ambitieux dans la même impiété, en les abusant de l’illusion qu’ils deviendront semblables à Dieu. Comme donc l’orgueil était, pour ainsi dire, le mal culminant de l’homme, et la racine et la source de tous les péchés du monde, Jésus-Christ, pour le guérir par un remède contraire, établit d’abord cette loi d’humilité, comme le fondement inébranlable de l’édifice qu’il veut bâtir. Quand ce fondement sera posé, celui qui bâtit pourra sans crainte élever le reste de l’édifice ; mais s’il vient à manquer, quand l’édifice monterait jusqu’au ciel, il faut nécessairement qu’il se renverse et qu’il tombe en ruine. Jeûne, prière, œuvres de miséricorde, chasteté, réunissez toutes les vertus, si vous exceptez l’humilité, tout vous échappe, tout périt. Le pharisien de l’Évangile est une preuve de ce que je dis. Après s’être déjà élevé jusqu’au plus haut degré de la vertu, il tomba et il perdit tout, parce qu’il n’avait point en lui cette mère de tous les biens. Car comme l’orgueil est la source de toute malice, l’humilité est le principe de toute sagesse. C’est pourquoi Jésus-Christ commence par elle ce discours, afin d’arracher de nos cœurs jusqu’aux moindres racines de la vanité. Mais d’où vient, me direz-vous, qu’il parle de l’humilité à ses disciples qui étaient dans un état si humble ? Quel sujet avaient-ils de s’élever, étant pêcheurs, pauvres, grossiers, et méprisables ? Je vous réponds que si Jésus-Christ ne disait pas ces paroles pour ses disciples, il les disait pour les autres qui étaient présents, et pour tous ceux qui devaient écouter un jour ses apôtres, afin que personne ne méprisât leur humilité. Mais plutôt, c’était aussi pour ses disciples qu’il disait ces choses. Car en admettant qu’ils n’eussent pas besoin alors de cette instruction, elle leur était néanmoins bien nécessaire pour l’avenir, lorsqu’ils feraient tant de prodiges et de miracles, qu’ils seraient si honorés de toute la terre, et qu’ils auraient tant de crédit et de confiance auprès de Dieu. Ni les richesses, ni la puissance, ni même la royauté ne seraient en état d’enfler le cœur autant que toutes les grâces qui furent dans la suite accordées aux apôtres. Et avant même que de faire des miracles, n’avaient-ils pas dès lors quelque sujet de s’élever en voyant cette multitude de peuple, et ce concours de monde qui venait écouter leur Maître ? Ne pouvaient-ils pas ressentir déjà quelque effet de la fragilité humaine ? C’est pourquoi Jésus-Christ commence d’abord par les porter à l’humilité. Il ne prend pas la forme de l’exhortation, ni le ton impératif pour introduire sa révélation, il la propose sous forme de béatitude, manière plus attrayante de présenter sa parole et d’ouvrir à tous le stade de la doctrine. Il ne dit pas en particulier : Celui-ci, ou celui-là ; mais généralement tous ceux qui feront ce que je dis, seront bienheureux : quand vous seriez misérable, pauvre, esclave, étranger, ignorant, rien ne vous empêchera d’être heureux si vous êtes humble. Ayant donc commencé par où il convenait surtout de le faire, il passe à une autre béatitude qui semble opposée au sentiment naturel de tous les hommes. Car au lieu que tout le monde appelle heureux ceux qui se divertissent et qui se réjouissent, et malheureux ceux qui sont dans l’affliction, dans la pauvreté et dans les larmes, Jésus-Christ déclare au contraire que ceux-ci sont heureux et les autres malheureux. « Bienheureux, dit-il, ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés (4). » Le monde, au contraire, ne trouve rien de plus malheureux. Aussi avait-il commencé par faire des miracles afin d’acquérir l’autorité qui lui était nécessaire pour porter ces lois. Il n’appelle pas heureux généralement tous ceux qui pleurent, mais ceux qui pleurent pour leurs péchés. Car les larmes que l’on répand pour le siècle et la vie présente, non seulement ne sont pas heureuses, mais elles nous sont même interdites comme dangereuses et mortelles, selon cette parole de saint Paul : « La tristesse de ce monde produit la mort, mais la tristesse qui est selon Dieu produit une pénitence stable pour le salut. » C’est cette sorte de tristesse que Jésus-Christ appelle heureuse, et il ne marque pas seulement une tristesse commune, mais une profonde tristesse et qui aille jusqu’aux pleurs, lorsqu’il dit : « Heureux, non pas ceux qui sont tristes, mais ceux qui pleurent. » Ce précepte, mes frères, nous mène au comble de la vertu et de la sagesse chrétienne. Car si ceux qui pleurent la mort d’un fils, d’une femme ou d’un de leurs proches, ne sont agités d’aucune passion durant tout le temps de leur douleur, s’ils n’ont alors aucun mouvement ni d’avarice, ni d’impureté, ni d’orgueil, ni d’envie, ni de vengeance, ni d’aucun autre vice semblable, parce qu’ils sont tout entiers livrés à leur tristesse ; combien ceux qui pleurent leurs péchés avec un regret sincère se montreront-ils plus dégagés de toutes les passions de l’âme ? Mais quelle sera leur récompense ? dit le Sauveur. « Parce qu’ils sont consolés », dit le Sauveur. Dites-nous donc où ils recevront cette consolation ? Sera-ce en ce monde ou en l’autre ? Ce sera dans tous les deux. Comme cette obligation de pleurer pouvait paraître dure et fâcheuse, Jésus-Christ l’adoucit par la promesse qui était la plus propre pour en ôter toute l’amertume. Si vous voulez donc être consolé, pleurez. Et ne pensez point que ceci soit une énigme. Quand vous seriez accablé d’un déluge d’afflictions, si Dieu vous console lui-même, vous vous trouverez au-dessus de tous vos maux. Dieu donne toujours à nos travaux de plus grandes récompenses qu’ils ne méritent. Cette promesse qu’il fait ici en est une preuve. Quand il appelle heureux ceux qui pleurent, ce bonheur n’est point un bonheur proportionné au mérite de celui qui le reçoit, mais à la bonté de Dieu qui le donne. Ces personnes qui pleurent, pleurent leurs péchés, et elles seraient déjà trop bien récompensées de leurs larmes, si elles pouvaient apaiser la colère de Dieu et recevoir de lui le pardon de tous leurs crimes. Mais comme l’amour de Dieu envers nous n’a point de bornes, il ne le termine pas à nous pardonner nos péchés ou à nous délivrer des peines qu’ils méritaient, mais de plus il nous rend heureux et nous comble de ses consolations divines. Jésus-Christ ne nous commande pas de pleurer seulement pour nos péchés, mais encore pour ceux de nos frères. C’est la disposition où ont été toutes les âmes saintes, comme Moïse, David et saint Paul. Tous ces hommes ont souvent versé des larmes pour les péchés que les autres avaient commis. « Heureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre (5). » Quelle est cette terre qu’ils posséderont ? Ce n’est pas, comme disent quelques-uns, une terre intelligible et spirituelle, puisque nous ne trouvons point que l’Écriture ait jamais parlé d’une terre de cette sorte. Que devons-nous donc entendre par cette terre ? Premièrement il promet une récompense sensible, comme saint Paul a dit : « Honorez votre père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre. » (Eph 6,2) Et comme Jésus-Christ même dit au bon larron : « Vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis. » (Luc 23,43) Jésus-Christ ne promet pas seulement les biens à venir, mais encore les biens présents pour condescendre aux personnes plus grossières, qui souhaitent d’être heureuses dans ce monde, avant que de l’être dans l’autre. C’est dans ce même esprit qu’il dit un peu après : « Accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire ;» et qu’il ajoute ensuite : « de peur qu’il ne vous livre au juge et le juge au ministre de la justice. » (Id 25) Il menace non pas d’une peine future, mais d’un supplice présent ; comme il fait encore lorsqu’il dit : « Quiconque dira à son frère, Raca, méritera d’être condamné par le conseil. » (Id 22). C’est ainsi que saint Paul promet souvent des récompenses sensibles, comme il tâche aussi de nous détourner du péché par des peines présentes. Par exemple, lorsqu’il traite de la virginité, et qu’il y invite ses auditeurs, il ne leur dit rien encore des biens du ciel, mais il prend ses motifs dans la vie présente : « Je crois », dit-il, « qu’il est avantageux à l’homme de ne se point marier, à cause des fâcheuses nécessités de la vie présente. » (1Co 7,26) Et ensuite : « Les personnes mariées sentiront dans la chair des afflictions et des maux. Or je voudrais vous les épargner. » (Id 28) Et au – même endroit : « Je désire vous voir dégagés de soins et d’inquiétudes. » (Id 32) Jésus-Christ mêle de même ici les considérations temporelles aux éternelles. Et comme l’homme doux passe d’ordinaire pour laisser perdre ses biens, le Seigneur promet au contraire qu’il les possédera plus sûrement que l’homme violent et orgueilleux, lequel perdra souvent son patrimoine et jusqu’à son âme. D’ailleurs comme le Prophète avait dit dans l’Ancien Testament que « les doux hériteraient de la terre », Jésus-Christ fait, entrer dans le tissu da son discours ces paroles familières aux. Juifs, pour ne pas paraître leur tenir un langage trop nouveau. Toutefois Jésus-Christ, en promettant la terre, ne termine pas là ses récompenses, mais il y joint celles de l’autre vie. Lorsqu’il promet des biens spirituels, il ne nous ôte pas les temporels ; et d’un autre côté lorsqu’il promet les biens de ce monde, il ne s’en tient jamais là, mais il complète toujours sa promesse par les biens futurs : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu », dit-il, « et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » (Mat 6,33) Et ailleurs : « Quiconque abandonnera pour moi sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs ou son père, ou sa mère, ou sa « femme, ou ses enfants, ou ses terres, en recevra cent fois autant, et aura pour héritage la vie éternelle. » (Mat 19,29) 4. « Heureux ceux qui ont faim et soit de la « justice, parce qu’ils, seront rassasiés (6). » Quelle est cette justice dont il parle ? C’est ou cette vertu en général, ou seulement celle de ses parties qui est la plus opposée à l’avarice. Comme il va recommander l’aumône et la miséricorde, il montre par avance comment on doit la pratiquer, c’est-à-dire, non de ses larcins ou de ses rapines ; c’est ce qu’il fait entendre en appelant heureux ceux qui aiment la justice. Mais remarquez, avec quelle énergie d’expression il parle de cet amour. Il ne dit pas simplement : Heureux ceux qui gardent la justice ; mais « heureux ceux qui ont faim, et qui ont soif de la justice », afin que nous la pratiquions non pas froidement, mais avec toute l’ardeur possible. Comme c’est le propre de l’avarice d’être ardente à amasser du bien, et qu’on a d’ordinaire moins de passion pour le boire et pour le manger, que les avares n’en ont pour augmenter leurs richesses ; Jésus-Christ veut que nous transportions cette ardeur à la pratique de la vertu opposée à l’avarice. Il nous propose encore ici une récompense sensible, « parce qu’ils seront rassasiés. » Parce qu’on croit d’ordinaire que l’avarice enrichit les hommes, il montre au contraire que c’est la justice qui procure ce bienfait. Ne craignez donc plus la pauvreté ni la faim ; lorsque vous pratiquerez la justice. Ce sont principalement ceux qui ravissent le bien des autres, qui perdent eux-mêmes ce qu’ils ont, comme au contraire celui qui aime la justice possède son bien en toute sûreté. Que si ceux qui ne prennent point le bien d’autrui, doivent jouir un jour d’une si grande abondance, quel sera le bonheur de ceux qui renoncent à tout ce qu’ils possédaient sur la terre ? « Heureux ceux qui sont miséricordieux, parce qu’on leur fera miséricorde (7). » Ici Jésus-Christ parle, selon moi, de tous ceux qui pratiquent la miséricorde non seulement par le moyen des richesses, mais encore par toutes sortes de bonnes œuvres. Il y a plusieurs manières d’exercer la miséricorde, et ce commandement est d’une très grande étendue. Quelle doit en être donc la récompense ? « Parce », dit-il, « qu’ils recevront miséricorde. » Il semble d’abord que cette récompense ne soit qu’égale au bien qu’on aura fait ; mais elle est infiniment plus grande. Les hommes exercent la miséricorde en hommes mais Dieu leur fera miséricorde en Dieu. Il y a bien de la différence entre la compassion d’un homme, et celle d’un Dieu : et elles sont aussi éloignées l’une de l’autre, que la malice l’est de la bonté. « Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu (8). » Remarquez que cette récompense est toute spirituelle. Ceux-là selon Jésus-Christ, ont le cœur pur, qui ont une vertu générale et universelle, et qui ne se sentent coupables de rien, ou qui possèdent la chasteté dans un degré éminent. Car il, n’y a point de vertu qui nous soit plus nécessaire pour mériter de voir Dieu. Ce qui fait dire à saint Paul : « Tâchez d’avoir la paix avec tout le monde, et de conserver la pureté sans laquelle personne ne verra Dieu. » (Heb 11,14) Cette vue de Dieu qu’il promet, doit s’entendre de celle dont les hommes sont capables. Ce commandement était nécessaire. Plusieurs sont assez charitables, s’abstiennent de la rapine, ne connaissent pas l’avarice, mais ils se livrent à l’impureté et à la fornication ; or cela ne peut suffire, et c’est pour le montrer que Jésus-Christ ajoute ensuite ce précepte. Saint Paul enseigne la même chose dans son épître aux Corinthiens lorsqu’il rend aux Macédoniens le témoignage qu’ils s’étaient enrichis non seulement par l’aumône, mais par toute sorte de vertus. Car après avoir parlé de la libéralité avec laquelle ils avaient secouru les pauvres de leur argent, il ajoute aussi qu’ils s’étaient donnés au Seigneur. Car parlant de la libéralité avec laquelle ils avaient secouru les pauvres, il dit : Qu’ils s’étaient donnés premièrement eux-mêmes à Dieu. « Heureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu (9). » Jésus-Christ par ces paroles, non seulement nous défend les discussions et les haines ; il exige quelque chose de plus, il veut que nous travaillions à réconcilier entre eux ceux qui sont divisés. Il promet encore ici une récompense spirituelle « Ils seront », dit-il, « appelés enfants de Dieu ; » ça a été en effet l’œuvre propre du Fils unique de Dieu, de réunir ce qui était divisé, et de réconcilier ceux qui étaient ennemis. Mais afin que l’on ne croie pas qu’il n’existe point d’autre bien que la paix, il ajoute ensuite : « Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume du ciel est à eux (10). » Ceux qui souffrent « pour la justice », c’est-à-dire, pour la vertu ; pour la piété, et pour la défense du prochain, car il entend d’ordinaire par ce mot « de justice », la réunion de toutes les vertus. « Vous serez bienheureux, lorsque les hommes vous diront des paroles outrageuses, qu’ils vous persécuteront, et qu’à cause de moi, ils publieront faussement toute sorte de mal contre vous (11). Réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie, parce qu’une grande récompense vous est réservée dans les cieux (12). » Quand les hommes, dit-il, vous appelleraient séducteurs, imposteurs, ou n’importe quoi, « vous êtes bienheureux. » Qu’y a-t-il de plus nouveau que cette loi, qui appelle des biens ce que tout le monde fuit comme des maux, la pauvreté, les larmes, les persécutions, et les médisances ? Cependant Jésus a persuadé cette doctrine, non à un, non à deux, non à dix, à vingt, à cent, à mille personnes, mais généralement à toute la terre. Ce peuple qui entendait ces vérités si nouvelles, si surprenantes, et si dures, ne laissait pas d’en être frappé, tant était grande la majesté de Celui qui les publiait. 5. Ne croyez pas néanmoins qu’il suffise simplement d’être en butte à la médisance pour mériter d’être proclamés bienheureux ; le Seigneur ajoute deux conditions nécessaires, la première que les injures soient souffertes pour lui, la seconde qu’elles soient fausses. Sans ces deux conditions, on devient non pas bienheureux, mais très-malheureux de subir les médisances des hommes. Considérez encore la récompense qu’il attache à cette béatitude ; « parce qu’une grande récompense », dit-il, « vous est réservée dans les cieux. » Pour vous, quoique vous ne voyiez pas toutes les béatitudes se terminer par la promesse du royaume des cieux, ne vous découragez pas pour cela ; car bien qu’elles diffèrent par les noms, ces récompenses se réduisent cependant tontes en effet au seul royaume des cieux. Lorsque Jésus-Christ dit que ceux qui pleurent seront consolés, que les miséricordieux recevront miséricorde, que ceux qui ont le cœur pur verront Dieu, et que les hommes de paix seront appelés les enfants de Dieu, c’est toujours le royaume du ciel qu’il désigne par toutes ces béatitudes différentes, puisque ceux qui les recevront jouiront indubitablement de ce royaume. Ne croyez donc pas qu’il ne soit que pour les pauvres d’esprit ; il est pour ceux qui ont faim et soif de la justice ; il est pour les doux, il est pour toue les autres sans exception. Telle est la récompense qu’il promet généralement à tous, afin que vous ne vous promettiez rien de terrestre ou de sensible. Car vous ne pourriez pas être « heureux », si vous n’aviez qu’une récompense périssable, qui passerait avec cette vie, et s’enfuirait plus vite qu’une ombre. Mais après avoir dit, « une grande récompense vous est réservée dans les cieux », il ajoute aussitôt cette autre consolation : « Car c’est ainsi qu’ils ont persécuté les prophètes qui ont été avant vous (12). » Comme le royaume des cieux qu’il leur promet, était un bonheur qui n’était encore qu’en espérance, il les console par avance, en leur montrant l’union et la conformité qu’ils ont avec les prophètes, qui ont souffert avant eux ces traitements si injustes. Ne croyez pas, leur dit-il, que vous soyez ainsi persécutés par les hommes, parce que vous leur enseignerez des choses dangereuses et mauvaises ; ni qu’ils vous traitent de la sorte, parce que vous serez les auteurs de quelques dogmes faux et erronés. Ces mauvais traitements ne viendront pas de la mauvaise doctrine que vous publierez, mais de la mauvaise vie de ceux qui vous écouteront. Ces calomnies ne tomberont pas sur vous qui les souffrirez, mais sur ceux qui vous les feront souffrir. Tous les siècles passés en sont témoins. Quand ils ont si maltraité les prophètes, qu’ils les ont bannis, qu’ils les ont lapidés, et qu’ils leur ont fait souffrir tant de maux : ils l’ont fait par une fureur injuste, et non point pour avoir découvert en eux quelque sentiment impie et contraire à la loi de Dieu. Ne vous troublez donc point de ces violences. Le même esprit qui animait leurs pères les animera encore. Considérez comme il relève le courage de ses disciples en les rapprochant de Moïse et d’Élie, et les mettant sur le même rang. C’est ce que saint Paul fait en écrivant aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus les imitateurs des églises de Dieu, qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ dans la Judée, puisque vous avez souffert les mêmes persécutions de vos concitoyens que ces églises ont souffertes de la part des Juifs, qui ont tué même le Seigneur Jésus, et leurs propres prophètes ; qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes. » (1Th 2,14) Telle est donc la pensée de Jésus-Christ. Dans les autres béatitudes il disait en général : « Heureux sont les pauvres ; heureux sont les miséricordieux ; » mais ici il détermine les personnes, et s’adressant spécialement à ses disciples, il leur dit : « Vous êtes bienheureux lorsque les hommes vous diront des paroles outrageuses, et qu’ils publieront toute sorte de mal de vous ; » pour montrer que ce serait là particulièrement leur partage, et que les prédicateurs de l’Évangile devaient s’y attendre plus que tous les autres. Il laisse encore entrevoir dans ces paroles sa grandeur et son égalité avec son père. Les prophètes, semble-t-il dire, ont souffert ces traitements à cause de mon Père ; vous les souffrirez, vous autres, à cause de moi ; et lorsqu’il dit : « Les prophètes qui ont été avant vous », il montre qu’ils sont eux-mêmes devenus prophètes. Puis, pour leur faire comprendre que rien n’était pour eux plus utile ni plus glorieux que la persécution, il ne leur dit pas : Les hommes voudront mal parler de vous ; ils voudront vous persécuter ; mais je m’opposerai à eux, et je les empêcherai de le faire. Il veut que ses apôtres se mettent au-dessus de toute la malignité des hommes, non en n’étant point exposés à leurs médisances, mais en les souffrant avec courage, et en en faisant voir la fausseté par l’innocence et la sainteté de leur vie. Car l’un est bien plus glorieux que l’autre ; car être frappé et ne pas ressentir les coups c’est bien plus que de n’être point frappé. C’est pour ce sujet que Jésus-Christ dit : « Car une grande récompense vous est réservée dans les cieux. » Mais saint Luc nous apprend que Jésus-Christ s’est plus étendu en cet endroit, et a dit des choses qui peuvent nous consoler davantage. Car il ne dit pas seulement : bienheureux ceux qui souffrent l’injure à cause de Dieu, mais il dit encore malheur à ceux dont tout le monde dira du bien. « Malheur à vous », dit-il, « lorsque tous les hommes diront du bien de vous. » (Luc 6,26) Cependant les hommes bénissaient les apôtres ; mais non pas « tous. » C’est pourquoi Jésus-Christ ne dit pas : « Malheur à vous lorsque les hommes », mais, lorsque « tous les hommes diront du bien de vous. » Car il est impossible que ceux qui sont véritablement vertueux soient loués de tous les hommes. Jésus-Christ ajoute ensuite « Lorsqu’ils rejetteront votre nom comme mauvais, réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie. » (Luc 6,22) Il leur promet de les récompenser, non seulement pour les périls et les mauvais traitements auxquels ils auront été exposés pour lui, mais encore pour les médisances et les calomnies qu’on aura publiées contre eux. C’est pourquoi il ne dit pas : Lorsqu’ils vous persécuteront et qu’ils vous tueront ; mais « lorsqu’ils publieront faussement toute sorte de mal de vous. » Car il y a quelque chose dans les calomnies, qui pénètre plus avant dans nos cœurs, que ne font souvent les mauvais traitements même. Dans les dangers, nombre de consolations adoucissent la peine ; c’est par exemple, la voix publique qui encourage l’athlète, qui l’applaudit, le couronne, et proclame son triomphe. Mais dans la calomnie nous perdons même toutes ces consolations. On ne se figure pas que c’est la plus poignante persécution ; on s’imagine qu’il ne faut qu’une vertu médiocre pour la supporter avec patience, quoiqu’on en ait vu recourir au fatal lacet pour se soustraire au supplice d’une mauvaise réputation. Et pourquoi s’étonner qu’il en soit ainsi chez les autres hommes, quand on voit un Judas, ce traître, ce déhonté, ce scélérat qui s’était fait un front à ne plus rougir de rien, céder lui-même à l’infamie et se pendre plutôt que de la supporter plus longtemps. 6. Et Job, ce cœur de diamant, cet homme plus ferme que le roc, lorsqu’il fut dépouillé de ses biens, frappé de calamités intolérables et privé de tous ses enfants, lorsqu’il vit les vers sourdre de son corps et qu’il entendit sa femme l’accabler de reproches, il supporta tout cela avec facilité ; mais lorsqu’il vit ses amis parler mal de lui, et croire qu’il ne souffrait ces malheurs que pour ses péchés, il ne put s’empêcher de se troubler alors, et son grand cœur se sentit ébranlé de cette injure. David aussi oublie toutes ses autres souffrances, et prie Dieu seulement de se souvenir de la douceur avec laquelle il souffrit un médisant : « Laissez-le », dit-il alors, « qu’il me maudisse, parce que le Seigneur lui en a donné l’ordre, afin qu’il voie l’affliction où je suis réduit, et qu’il me récompense un jour de ces calomnies que je souffre. » Saint Paul ne loue pas seulement les saints pour avoir souffert des maux ou la perte de leurs biens, mais encore pour avoir enduré des injures et des outrages. « Rappelez », dit-il, en « votre mémoire ce premier temps, auquel, après avoir été illuminés, vous avez soutenu de grands combats, dans les afflictions que l’on vous a fait souffrir, ayant été d’une part exposés devant tout le monde aux injures et aux mauvais traitements. ». C’est pour cette raison que Jésus-Christ propose dans cette béatitude une grande récompense à ceux qui sont éprouvés de cette manière. Et comme pour empêcher qu’on ne lui dise : Quoi, vous ne défendrez pas vos apôtres de ces outrages ! vous ne confondrez pas ces calomniateurs, et vous ne leur fermerez pas la bouche, en récompensant dès ce monde vos fidèles serviteurs ! Il parle aussitôt des prophètes, pour nous faire souvenir qu’en leur temps même, Dieu ne s’est point vengé dès cette vie de ceux qui les déshonoraient par leurs médisances. Si donc lorsque Dieu récompensait les hommes par les biens présents, il n’encourageait néanmoins ses plus fidèles amis qu’en leur promettant les biens à venir, combien était-il plus juste que Jésus-Christ traitât de même les apôtres, puisqu’il les appelait à des espérances beaucoup plus grandes, et à une vertu beaucoup plus parfaite ? Mais considérez de combien de préceptes celui-ci est précédé ; et ce n’est pas sans raison que Jésus-Christ a suivi cet ordre, il l’a fait pour nous montrer qu’à moins de s’être exercé longtemps, et fortifié dans toutes les autres béatitudes qui précèdent, nul ne peut demeurer ferme et invincible dans ces grands combats. Ainsi il se sert de la première comme d’un degré pour passer à la seconde, et ainsi de suite, et de la sorte c’est comme une admirable chaîne d’or qu’il nous a tissée. Car l’humble de cœur pleurera nécessairement ses péchés. Celui qui pleure ses péchés, sera, comme par une suite nécessaire, doux, juste et miséricordieux. Celui qu’il possédera la douceur, la justice et la miséricorde aura le cœur pur. Celui qui aura ce cœur pur sera sans doute un homme de paix, et celui qui possédera toutes ces vertus ne craindra point les périls ; il ne se troublera point de la calomnie et conservera la patience dans les plus grands maux. Après que Jésus-Christ a convenablement exhorté ses apôtres, il semble qu’il veuille les consoler par les louanges qu’il leur donne. Comme les préceptes qu’il venait de leur donner étaient assez relevés et infiniment au-dessus de l’ancienne loi, pour les empêcher de s’en étonner ou de s’en troubler, et de dire : Comment pourrons-nous faire de si grandes choses ? considérez ce qu’il leur dit : « Vous êtes le sel de la terre (13). » Il leur montre par là la nécessité où il est de leur donner ces préceptes. Ce n’est pas pour vous en particulier, leur dit-il, que je vous donne ces instructions, c’est pour le salut de toute la terre. Car je ne vous envoie pas comme autrefois les prophètes, à une ville ou à un peuple particulier, mais à la terre, à la mer, mais au monde tout entier, monde de corruption et de vice. Lorsqu’il leur dit : « Vous êtes le sel de la terre », il montre que toute la nature des hommes était comme affadie et corrompue par le péché. C’est pourquoi il exige principalement de ses apôtres les vertus et les qualités qui leur étaient nécessaires pour toucher et pour convertir les hommes. Car lorsqu’un homme est doux, humble, charitable et juste, il ne renferme pas ces excellentes vertus en lui, mais elles sont comme des sources divines qui coulent et qui se répandent sur les autres. Celui de même qui a le cœur pur, qui est pacifique, et qui souffre persécution pour la vérité, sacrifie sa vie pour le bien de tous. Ne croyez donc point, mes apôtres, que je vous prépare de légers combats, et que ce soit sans raison que je vous appelle « le sel de la terre. » Quoi donc ! ils ont corrigé ce qui était gâté ? Non, ce n’est pas ce qu’ils ont fait. Le sel ne remédie pas à la pourriture. Les apôtres n’ont point fait cela. Mais lorsque la grâce de Dieu avait renouvelé les cœurs, et qu’après les avoir délivrés de leur corruption, il les mettait comme en dépôt entre les mains des apôtres, c’était alors qu’ils montraient véritablement qu’ils étaient « le sel de la terre », en les conservant dans cette nouvelle vie qu’ils avaient reçue de Dieu. Il n’appartient qu’à Jésus-Christ de délivrer les hommes de la corruption du péché, mais c’est aux apôtres ensuite à employer tous leurs soins pour les empêcher de retomber dans ce même état. Remarquez, je vous prie, comment Jésus-Christ met ses apôtres au-dessus des prophètes. Car il ne les appelle pas seulement les docteurs de la Judée, mais les maîtres « de toute la terre », et des maîtres sévères et terribles. Ce qu’il y a d’admirable, c’est que sans flatter, sans s’occuper de plaire, mais en piquant et en brûlant, à la manière du sel, ils se sont ainsi fait aimer de tous les hommes. Ne vous étonnez donc pas, semble-t-il leur dire, que je quitte les autres, pour m’adresser particulièrement à vous, et que je vous exhorte à vous disposer à tant de périls. Considérez combien de villes et combien de peuples vous devez instruire. Vous ne devez pas seulement être sages ; mais vous devez entendre aussi les autres imitateurs de votre sagesse. Qu’ils doivent être prudents, ceux de qui dépend le salut des autres ! Il leur faut une vertu surabondante afin de pouvoir la répandre sur les autres hommes. Si vous n’avez pas assez de vertu pour en communiquer aux autres, vous n’en aurez pas assez pour vous-mêmes. 7. Ne vous plaignez donc pas que ce que je demande de vous soit trop difficile. Car vous êtes « le sel de la terre », et je guérirai par vous la corruption des autres. Mais si vous perdez votre vigueur et votre force, vous vous perdrez vous-mêmes et les autres avec vous. Plus les choses dont je vous commets le soin sont importantes, plus vous devez y apporter d’application et de vigilance ; c’est pourquoi il ajoute : « Que si le sel devient fade, avec quoi le salerait-on ? Il n’est plus bon à rien, qu’à être jeté dehors et à être foulé aux pieds des hommes (13). » Quand les autres tomberaient dans mille fautes, ils peuvent en obtenir le pardon, mais si le maître même devient coupable, rien ne peut l’excuser, et on punira sa faute avec une rigueur extrême. De peur que les apôtres, en entendant dire que le monde les injurierait, qu’il les persécuterait et qu’il dirait d’eux tout le mal possible, ne fussent intimidés de ces prédictions et qu’ils ne craignissent de se produire en public, il leur déclare que s’ils ne sont prêts à souffrir ces traitements, c’est en vain qu’il les a choisis. Vous ne devez pas craindre, leur dit-il, d’être calomniés par les hommes, mais de devenir lâches et flatteurs, parce qu’alors vous seriez « un sel fade que le monde foulerait aux pieds. » Mais si vous conservez toute votre âpreté contre la corruption, et qu’ensuite on dise du mal de vous, réjouissez-vous alors ; car c’est là l’effet du sel, de piquer les plaies et de causer une douleur cuisante. Les malédictions des hommes vous suivront inévitablement ; mais, bien loin de vous faire aucun mal, elles ne serviront qu’à rendre témoignage à votre invincible fermeté. Que si la crainte des calomnies vous fait perdre la vigueur qui vous convient, vous tomberez dans un état pire que celui que vous voulez éviter, et vous serez méprisés de tout le monde. C’est ce que veut dire cette parole : « Vous serez foulés aux pieds. » Le Sauveur passe ensuite à une comparaison plus relevée. « Vous êtes », leur dit-il, « la lumière du monde (14). » Il ne les appelle pas seulement la lumière d’une ville ou d’un peuple, mais « la lumière du monde. » Comme « le sel » dont il vient de parler est un sel tout spirituel, de même « la lumière » dont il parle ensuite est une lumière intérieure plus éclatante que la lumière du soleil. Il met d’abord « le sel », et ensuite « la lumière », pour montrer quel est l’avantage des paroles piquantes et le fruit d’une doctrine salutaire, puisqu’elle resserre en quelque sorte les âmes, en ne leur permettant plus de se relâcher et de se corrompre, et qu’elle les élève et les conduit comme par la main dans la voie de la vertu. « Une ville située sur une montagne ne peut être cachée (14). Et on n’allume point une lampe pour la mettre sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison (15). » Jésus-Christ excite encore ses apôtres par ces paroles à veiller sur leur conduite, et les avertit de se tenir sur leur garde, se considérant comme exposés à la vue de tous les hommes et comme combattant sur un théâtre élevé au milieu de toute la terre. Ne vous arrêtez point, leur dit-il, à considérer ce petit coin du monde où nous sommes, lorsque je vous parle. Vous serez aussi en vue à tous les hommes que l’est une ville située sur le haut d’une montagne, ou une lampe qui éclaire toute une maison. Où sont maintenant ceux qui osent douter de la toute-puissance de Jésus-Christ ? Qu’ils écoutent ces paroles et que, reconnaissant la force de cette prophétie, ils soient frappés d’admiration et qu’ils viennent avec frayeur adorer cette redoutable majesté. Considérez ce que Jésus-Christ dit ici à des hommes qui n’étaient pas même alors connus dans leur propre pays, et comment il leur promet que la terre et la mer les connaîtront, et qu’ils rempliront le monde de leur réputation, ou plutôt non seulement de leur réputation, mais encore de l’efficacité de leurs bienfaits. Car ce n’est pas l’a renommée qui, en portant partout leurs noms, les a rendus célèbres, c’est l’éclat des œuvres qu’ils ont faites. Ils ont été comme des aigles qui ont couru d’un bout du monde jusqu’à l’autre avec plus de vitesse et de rapidité que le soleil, répandant de tous côtés la lumière et l’ardeur de la piété. Mais il me semble que Jésus-Christ, par ces paroles, les exhorte encore à la confiance. Car en disant : « Qu’une ville située sur une montagne ne peut être cachée », il déclare manifestement sa toute-puissance. Il semble qu’il dise que comme il est impossible qu’une ville soit cachée sur une montagne, il est impossible aussi que son Évangile ne se publie et qu’il demeure enseveli dans le silence. Après leur avoir parlé des persécutions, des calomnies, des périls et des afflictions, il ne veut pas qu’ils croient que ces maux puissent leur fermer la bouche et les obliger à se taire, et, pour les rassurer, il leur promet que non seulement leur prédication n’en sera pas obscurcie, mais qu’elle en éclatera davantage pour éclairer tout l’univers ; et qu’ainsi ils deviendront eux-mêmes célèbres et illustres. Par là il montre donc sa toute-puissance ; et par ce qui suit, il leur marque quelle fermeté il attend d’eux. En effet, après avoir dit : « On n’allume point », dit-il, « une lampe pour la mettre sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ; » il ajoute : « Ainsi que votre lumière luise devant les hommes, afin que, voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père, qui est dans les cieux (46). » J’ai allumé la lampe moi-même, leur dit-il ; c’est à vous maintenant à prendre garde qu’elle ne s’éteigne. Conservez-lui son éclat, non seulement à cause de vous, mais encore à cause de ceux dont vous devez être la lumière, pour les éclairer et les conduire dans le chemin de la vérité. Les plus noires calomnies des hommes ne pourront obscurcir votre lumière, si vous vivez selon les règles que je vous donne, et d’une manière digne de ceux qui doivent convertir toute la terre. Faites donc que la sainteté de votre vie réponde à la grâce dont vous êtes les dispensateurs, afin que votre vertu conspire à étendre la publication et à relever la gloire de mon Évangile. Il joint encore à ce premier avantage, qui est la conversion des hommes, une considération puissante pour les encourager, et pour les rendre plus fervents dans la pratique des vertus. Car en vivant de la sorte, leur dit-il, non seulement vous convertirez les hommes, mais « vous glorifierez Dieu votre Père : » comme au contraire, si vous agissez autrement, vous serez cause et que les hommes se perdront, et que le nom de Dieu sera déshonoré par leurs blasphèmes. 8. Les apôtres pouvaient demander ici à Jésus-Christ : Comment le Christ sera-t-il glorifié à cause de nous, si les hommes doivent nous maudire ? – Mais ce ne seront pas tous les hommes ; il n’y en aura que quelques-uns, et encore ne le feront-ils que par envie. Et ces envieux-là même, en vous décriant, vous admireront, comme les flatteurs condamnent dans leur cœur ceux qu’ils comblent ouvertement de fausses louanges. Quoi donc, Seigneur, nous ordonnez-vous de vivre pour l’ostentation et l’amour de la gloire ? – Au contraire, répond Jésus-Christ, je vous le défends très expressément. Je ne vous ai point commandé de publier vos bonnes œuvres, et de faire que tout le monde les connaisse. Je vous ai dit seulement : « Que votre lumière luise », c’est-à-dire : qu’il y ait en vous une grande vertu, que le feu de la charité brûle dans vos cœurs, et que sa lumière éclate au-dehors. Car quand la vertu est dans cette haute perfection, il est impossible qu’elle demeure inconnue, quelque effort que puisse faire celui qui la possède, pour la cacher. Rendez donc toute votre vie irrépréhensible aux yeux des hommes, et qu’ils ne trouvent en vous aucun prétexte de vous accuser. Après cela, quand vous auriez mille calomniateurs, personne ne pourra ternir votre gloire. C’est avec une grande raison qu’il se sert ici du mot de « lumière. » Car il n’y a rien qui rende un homme si remarquable et si illustre, que cet éclat qui naît de la vertu, quand, d’ailleurs, il ferait tout son possible pour demeurer inconnu. Il semble qu’il soit toujours environné du soleil, et que les rayons qu’il lance de toutes parts, non seulement percent par toute la terre, mais pénètrent même jusque dans le ciel. Jésus-Christ donc console ainsi ses apôtres Si d’un côté plusieurs s’efforcent de vous noircir par leurs médisances, il y en aura aussi beaucoup d’autres qui vous admireront, et qui seront excités par votre exemple à aimer et à glorifier Dieu. Ainsi des deux côtés s’accroîtra votre récompense, puisque Dieu sera glorifié à cause de vous, et que vous serez insultés à cause de Dieu. De peur que nous n’allions, de propos délibéré, attirer sur nous les mauvais propos des hommes, sous prétexte qu’une récompense est proposée à qui les souffre, il se garde de s’exprimer à cet égard d’une manière absolue, mais il apporte deux conditions : la première, c’est que le mal qu’on dira de nous soit faux ; la seconde, c’est que nous le souffrirons pour l’amour de Dieu. Il leur enseigne de plus, que si les calomnies qu’ils souffriront, ne les empêchent pas d’être heureux, l’estime aussi qu’on fera d’eux leur sera très-avantageuse, puisque la gloire en remontera jusqu’à Dieu. Il relève ainsi leurs espérances pour l’avenir, comme s’il leur disait : Jamais la calomnie de vos envieux ne sera assez puissante pour aveugler de telle sorte les esprits des hommes, qu’ils ne puissent plus découvrir votre lumière. Lorsque vous deviendrez un sel fade et sans force, ce sera alors que vous serez foulés aux pieds par tout le monde. Mais lorsqu’en vivant saintement vous serez en butte à la calomnie, il s’en trouvera toujours plusieurs qui admireront votre vertu, et qui apprendront par votre exemple à rendre à votre Père la gloire qui lui est due. Il ne dit pas, votre Dieu, mais votre père, leur donnant déjà par avance des marques, et comme des gages de cette glorieuse naissance, qui devait les rendre les enfants de Dieu. En outre cette expression marque l’égalité d’honneur qui existe entre le Père et lui ; en effet après avoir dit plus haut : ne vous attristez pas des mauvais propos auxquels vous serez en butte, il vous suffit que vous y soyez exposés à cause de moi, c’est maintenant le Père qu’il met au lieu de lui ; l’égalité des personnes ne saurait être mieux marquée. Puisque nous voyons, mes frères, que notre zèle sera si heureux, et notre négligence si malheureuse, et qu’elle deviendra d’autant plus criminelle, que le nom de Dieu sera blasphémé à cause de nous, rendons-nous, comme dit saint Paul, irrépréhensibles à l’égard des juifs, des gentils, et de toute l’Église de Dieu, et que toute notre vie soit plus pure et plus éclatante que la lumière du soleil. Que si quelqu’un parle mal de nous, ne nous affligeons pas de ce qu’on nous décrie ; mais seulement de ce qu’on a raison de le faire. Si nous sommes dans le vice, quand personne ne parlerait mal de nous, nous serons les plus misérables de tous les hommes : mais si nous n’abandonnons point la vertu, quand tout le monde s’accorderait à nous charger d’outrages, nous ne laisserons pas d’être les plus heureux de tous les hommes, et nous attirerons de notre côté tous ceux qui penseront sérieusement à leur salut. Ils ne s’arrêteront pas aux médisances des méchants ; mais ils considéreront la pureté de notre vie. Car les actions saintes rendent un son plus perçant que les trompettes les plus éclatantes ; et la pureté des mœurs jette une lumière plus brillanta que les rayons du soleil. Quand il y aurait mille calomniateurs, c’est en vain qu’ils s’efforceraient d’obscurcir un si grand éclat. Si nous possédons ces vertus dont nous venons de parler ; si nous sommes doux, miséricordieux, humbles, pacifiques, et purs de cœur, si nous ne rendons point injure pour injure, mais si nous nous réjouissons du mal qu’on dit contre nous, il n’est pas douteux que ces vertus ne frapperont pas moins ceux qui les verront, que pourraient faire les plus grands miracles. Tout le monde viendra avec joie se ranger de notre côté. Il n’y aura point d’homme, quelque méchant qu’il puisse être, qui ne fléchisse, quand ce serait une bête farouche, quand ce serait un démon. Que s’il s’en trouve néanmoins quelques-uns qui ne laissent pas de vous déchirer par leurs impostures, ne vous en troublez point. Ne regardez point ce qu’ils disent de vous en public, entrez dans le fond de leur conscience, et vous verrez que lors même qu’ils vous décrient, ils vous estiment, ils vous admirent, et ils vous donnent mille éloges en secret. Considérez combien Nabuchodonosor loue ces trois jeunes hommes de la fournaise, quoiqu’il fût leur ennemi déclaré. Aussitôt qu’il a éprouvé leur confiance et leur courage, il les loue, il leur offre des couronnes, seulement parce qu’ils avaient été fermes à lui désobéir, et à se tenir inviolablement attachés à la loi de Dieu. Quand le démon voit qu’il ne gagne rien par les calomnies qu’il fait publier contre nous, il se retire de peur de contribuer à augmenter notre couronne. Et quand cet imposteur se retire de ceux qui nous décriaient, quelques méchants et quelque corrompus qu’ils puissent être, ils reconnaissent enfin notre vertu, et ce nuage dont elle était couverte, se dissipe en même temps. Que si les hommes se refusent opiniâtrement à vous rendre justice, la récompense et la gloire que Dieu vous garde n’en seront que plus grandes. 9. Ainsi donc ne vous affligez, ni ne vous découragez point, puisque les apôtres même « ont été aux uns une odeur de mort, et aux autres une odeur de vie. » (2Co 2,16) Pourvu que vous ne donniez aucun sujet aux calomnies, vous serez exempts de faute, et les invectives ne feront que redoubler votre gloire. Que votre vie éclate en vertu et en sainteté, et après cela méprisez tous les calomniateurs. Car il est impossible qu’une grande vertu n’ait pas toujours beaucoup d’ennemis. Mais elle est hors d’atteinte à tous leurs efforts ; et en la combattant ils ne servent qu’à la rendre plus illustre. Que ces considérations, mes frères, nous portent à n’être attentifs qu’à une seule chose, qui est de bien régler toute notre vie. Ce sera ainsi que nous pourrons éclairer ceux qui sont assis dans l’ombre de la mort, et les attirer à la lumière et à la vie de Dieu. La force de cette lumière est telle, qu’elle peut non seulement éclairer les hommes en cette vie, mais les conduire même jusqu’en l’autre, pourvu qu’ils la suivent. Lorsqu’ils verront le mépris que nous avons pour tout ce qu’il y a sur la terre, et notre attente continuelle des biens du ciel, ils seront incomparablement plus touchés de nos actions, que de tout ce que nous leur pourrions dire. Car quel est l’homme, si stupide qu’on le suppose, qui, envoyant une personne plongée un peu auparavant dans l’amour des plaisirs et des richesses, se délivrer tout d’un coup de cet esclavage, s’élever à Dieu comme si elle avait des ailes, être prête à souffrir la faim, la pauvreté, et toutes sortes de travaux, et courir aux périls, à la mort, et à tout ce que les autres regardent comme effroyable, quel est, dis-je, l’homme qui ne regarde ce changement comme une preuve certaine des biens invisibles d’une autre vie ? Que si l’on voit au contraire que nous nous embarrassions dans les soins et dans l’amour des choses d’ici-bas, comment pourra-t-on croire que nous soupirions après la félicité du ciel ? Qui pourra excuser notre lâcheté, lorsque le respect et la crainte que nous devons à Dieu, n’aura pas eu sur nous la même force qu’a sur les sages du monde, l’amour de la gloire ? On a vu quelquefois ces philosophes superbes renoncer à toutes les richesses, et mépriser la mort, seulement pour s’acquérir de l’estime parmi les hommes. Ils ont fait toutes ces choses, n’ayant pour fruit et pour espérance que la vanité. Mais quelle excuse nous reste-t-il à nous autres, qui attendons une récompense si ineffable, et qui avons reçu de si grandes lumières, si nous ne faisons pas même ce que ces philosophes ont fait, et si au lieu d’user de ces grâces pour notre salut, nous nous perdons nous-mêmes, et les autres avec nous ? Un païen qui pèche est beaucoup moins coupable qu’un chrétien qui tombe dans la même faute. Et la raison en est claire, puisque toute la gloire qu’attendent ces premiers, est une gloire corruptible et périssable, et que la nôtre au contraire est aujourd’hui, par la grâce de Dieu, reconnue et respectée même par les impies. C’est pourquoi lorsque les païens veulent nous faire, un grand reproche, et nous couvrir de confusion, ils nous disent : vous faites cela vous, un chrétien ? Ce qu’ils ne diraient pas sans doute, s’ils n’avaient une grande idée de notre religion. Ne savez-vous pas combien Jésus-Christ vous a donné de préceptes, et combien est pur ce qu’il vous commande ? Comment pourrez-vous obéir à un seul des commandements qu’il vous fait, puisqu’au lieu de vous y appliquer, vous courez de tous côtés pour recueillir l’argent de vos injustices ; vous ajoutez usure sur usure ; vous vous occupez à un commerce et à un trafic indigne de vous, vous ne pensez qu’à acheter des troupes d’esclaves, des vases d’argent, des terres, des maisons, et des ameublements à l’infini ? Encore plût à Dieu que vous en demeurassiez là ! Mais lorsqu’à ces bassesses, vous joignez encore l’injustice ; que vous ajoutez à vos terres les terres de vos voisins, que vous enlevez les maisons des autres ; que vous opprimez le pauvre ; et que vous augmentez la misère de ceux qui meurent de faim, comment serez-vous dignes de mettre seulement le pied sur le seuil de cette église ? Mais peut-être que vous faites quelques aumônes aux pauvres. Je le sais : mais je sais aussi combien il se mêle de corruption dans ces aumônes. Car ou vous les faites avec le sentiment d’un orgueil satisfait ; ou pour vous acquérir une vaine gloire parmi les hommes, et ainsi ces bonnes œuvres sont sans récompense. N’Êtes-vous donc pas bien malheureux de vous nuire de la sorte en faisant du bien, et de trouver le naufrage dans le port ? Ainsi pour éviter ce malheur ; lorsque vous faites quelque bien, n’en attendez pas la récompense d’un homme, afin que Dieu même vous la doive. C’est lui qui a dit : « Prêtez sans en rien espérer. » (Luc 6,35) Puisqu’un Dieu qui est si riche, se charge de vous payer cette dette, comment pouvez-vous l’exiger d’un homme, et d’un homme qui est si pauvre ? Ce débiteur adorable se fâche-t-il, lorsqu’on exige de lui ce qu’il doit ? Est-il pauvre, ou dissimule-t-il de payer sa dette ? Ne savez-vous pas que ses trésors sont inépuisables, et sa libéralité infinie et incompréhensible ? adressez-vous donc à lui ; importunez-le ; pressez-le de vous payer, parce qu’il prend plaisir à ce qu’on l’importune de la sorte. Lorsqu’il voit qu’on exige d’un autre ce qu’il doit, il le tient à injure et alors il ne pense plus à payer ce qu’il devait, mais à se venger de l’injustice qui lui est faite. Suis-je un ingrat, vous dit-il alors ; ou avez-vous trouvé que je sois pauvre, pour ne vous adresser pas à moi, afin que je vous paye, et pour avoir recours à un homme ? vous avez prêté à l’un, et vous exigez de l’autre le payement ? À la vérité c’est un homme qui a reçu, mais c’est Dieu qui a commandé de donner. C’est lui qui est votre principal débiteur. C’est lui qui répond de votre argent, qui est votre caution, et qui vous fait naître une infinité d’occasions d’exiger de lui ce qu’il vous doit. Ne quittez donc pas cette facilité que vous trouvez auprès de Dieu à vous faire payer, pour vous adresser à un homme qui n’a rien. Car pourquoi me considérez-vous moi, ou quelque homme que ce soit, quand vous faites une action de miséricorde ? Est-ce moi qui vous ai commandé de la faire ? Est-ce moi qui vous en ai promis la récompense ? N’est-ce pas Dieu même qui a dit : « Celui qui a compassion du pauvre, donne son argent à usure à Dieu ? » (Pro 9,17) Puis donc que c’est Dieu qui vous est redevable, adressez-vous à lui. Vous dites qu’il ne vous payera pas toute votre dette en cette vie. Mais c’est pour votre avantage, qu’il diffère de vous la payer ailleurs. Dieu ne fait pas comme les hommes qui se hâtent de rendre seulement ce qu’on leur avait prêté. Il pense à assurer et à multiplier votre principal. C’est pourquoi il veut qu’ici vous lui donniez beaucoup à usure, et il vous réserve un trésor ailleurs. 10. Sachant cela, mes frères, pratiquons donc beaucoup la miséricorde ; montrons beaucoup d’humanité pour les pauvres, et assistons-les non seulement de notre bien, mais encore de nos bons offices. Si nous voyous qu’on fasse souffrir et qu’on maltraite quelqu’un dans l’agora, délivrons-le ; s’il faut pour cela donner de l’argent, donnons-en ; s’il faut y employer les paroles et les sollicitations, ne les épargnons pas. Une seule de nos paroles sera récompensée, et encore plus nos gémissements et nos soupirs. C’est pourquoi le bienheureux Job disait : « Je pleurais sur celui qui était dans l’affliction, et mon âme était touchée de compassion pour le pauvre. » (Job 30,25) Que si les soupirs et les larmes seules ont leur prix devant Dieu, comment les récompensera-t-il, lorsqu’on y joindra les paroles, les soins, et les actions ? Et nous aussi, nous étions dans l’inimitié de Dieu ; et le Fils unique a opéré notre réconciliation ; il s’est interposé ; il a subi le châtiment à notre place ; il a enduré la mort pour nous. Ayons la même charité envers ceux qui sont dans l’affliction, et tâchons de les délivrer de tant de misères qui les accablent. Défaisons-nous de la détestable coutume que nous avons de nous attrouper autour des gens qui se querellent ou se battent, arrêtés que nous sommes par le plaisir que nous trouvons dans la honte et la douleur des autres, et charmés par la vue d’un spectacle diabolique. Quoi de plus inhumain qu’une telle conduite ? Vous voyez des personnes se déchirer par des injures, se meurtrir de coups, s’arracher leurs vêtements, se défigurer le visage, et vous pouvez vous arrêter pour les regarder en paix ? Est-ce donc un lion ou un ours qui se bat ? Est-ce un serpent ou quelque autre bête farouche ? N’est-ce pas un homme semblable à vous ? N’est-ce pas votre frère, et l’un de vos membres ? Ne les regardez donc pas, mais séparez-les. Ne prenez pas plaisir à les voir, mais tâchez de les réconcilier. Bien loin d’attirer les autres à ce spectacle honteux, tâchez au contraire d’en chasser ceux qui s’y rassemblent. Il faut avoir perdu et l’honneur et la raison, il faut être un méchant et un scélérat, pour vouloir bien repaître ses yeux de semblables turpitudes. Vous voyez un homme qui en outrage un autre ; et vous croyez être innocent en voyant ce mal sans l’empêcher ? Vous ne vous jetez pas au milieu de ces personnes, pour dissiper cette œuvre du diable, et pour prévenir les périls et la mort des hommes ! Oui, direz-vous, pour que je m’expose moi-même même aux coups, faut-il aussi que je coure ce danger ? l’ordonnez-vous ? Il est probable que ce malheur ne vous arrivera pas. Mais supposons qu’il vous arrive, eh bien ! votre fait sera celui d’un martyr, car c’est pour Dieu que vous aurez souffert. Si vous craignez d’être blessé pour votre frère, considérez que votre Sauveur a bien voulu être crucifié pour vous. Ces personnes que vous regardez sont comme des hommes ivres. Ils sont transportés par la violence de leur passion et de leur fureur. Ils ont besoin de quelque personne sage qui les assiste dans cette rencontre. Celui qui fait l’outrage et celui qui le reçoit, ont tous deux également besoin de ce secours ; l’un pour ne plus souffrir cette violence, et l’autre pour ne la plus faire. Rendez-leur donc ce service. Tendez la main, vous qui êtes sobre, à ces personnes qui sont ivres. Car la colère et la fureur est une ivresse pire que n’est celle du vin. Ne voyez-vous pas tous les jours sur lamer que lorsqu’un vaisseau est menacé du naufrage, tous les mariniers qui sont au port courent au secours de leurs compagnons qui sont en danger de se perdre ? Si la communauté de leur métier leur inspire ce dévouement, combien plus n’en doit pas inspirer la communauté de la nature. Ces personnes que vous voyez sont en danger de faire un naufrage bien plus dangereux que n’est celui de la mer. Car ou celui qui souffre l’injure commet le blasphème ou le parjure, emporté par sa colère, et le malheureux perdant tous ses avantages, tombe misérablement en enfer ; ou celui qui fait violence devient l’homicide de son âme, comme il l’est du corps de son ennemi, et se tue en le tuant. Allez donc, arrêtez de si grands maux. Retirez du milieu des eaux ces personnes qui y périssent. Jetez-vous hardiment dans le fond de ces abîmes pour les en retirer. Faites cesser ce spectacle diabolique. Prenez chacun en particulier ; exhortez-le, et tâchez d’apaiser cette tempête. Que si leur colère est trop violente, ne vous rebutez pas. Vous avez beaucoup de personnes auprès de vous, qui vous aideront quand vous aurez commencé, et Dieu qui est le Dieu de la paix vous assistera encore plus alors que tous les hommes ensemble. Si vous étendez le premier la main pour étendre la flamme, les autres vous imiteront, et vous recevrez la récompense du bien que vous leur aurez fait faire. Considérez ce que le Christ a commandé autrefois aux Juifs, quoique si grossiers et si terrestres. Si vous voyez, leur dit-il, que le cheval de votre ennemi soit tombé dans le chemin, ne passez pas outre, mais courez à son secours, afin de l’aider à relever son cheval. Or il est bien plus aisé de séparer deux personnes qui se battent, et de les réconcilier ensemble. Si donc Dieu commande ce secours de charité pour sauver le cheval de son ennemi ; combien plus vous le commande-t-il pour sauver l’âme de vos frères ; principalement lorsque leur chute est incomparablement plus funeste ? Car elle ne tombe pas dans un bourbier, mais dans le feu même de l’enfer, où elle se précipite après s’être laissée abattre par la violence de sa colère. Cependant lorsque vous voyez votre frère accablé sous ce poids, et que de plus le démon lui insulte, et excite encore ce feu qui le brûle, vous passez outre sans être touché de compassion, et avec une cruauté qui serait inexcusable même envers les bêtes. 11. Le Samaritain autrefois ayant vu un homme blessé, quoiqu’il ne le connût pas, et qu’il ne lui fût rien, s’arrêta néanmoins et le mit sur son cheval, le mena dans une hôtellerie, et ayant fait venir un médecin pour guérir ses plaies, il donna sur l’heure une partie de l’argent, et promit le reste. Et vous lorsque vous voyez votre frère tombé entre les mains non des voleurs, mais des démons ; lorsque vous voyez que la colère lui déchire le cœur, non dans les bois ou dans les lieux écartés, mais au milieu de la ville, vous passez sans rien dire, avec une dureté cruelle et impitoyable, quoique vous n’ayez pas besoin pour le soulager de prêter votre cheval, comme le Samaritain, ou d’aller bien loin, ou de donner de l’argent ? Après cette inhumanité envers votre frère, attendez-vous que Dieu vous écoute lorsque vous l’invoquerez ? Des spectateurs passons aux acteurs de ces honteuses luttes. Je m’adresse à vous qui osez outrager votre frère devant tout le monde. Dites-moi, vous faites des blessures, vous frappez avec le pied, vous mordez. Êtes-vous donc un sanglier, ou un onagre ? Ne rougissez-vous point de quitter la douceur naturelle à l’homme, pour prendre la fureur des bêtes sauvages ? Vous êtes pauvre, mais vous êtes libre ; vous êtes un artisan, un manœuvre, mais vous êtes chrétien. La qualité même de pauvre vous engage plus à la douceur et à la paix. C’est aux riches à disputer et non pas aux pauvres : car les richesses mêmes leur donnent mille sujets de divisions et de querelles. Vous n’avez pas la satisfaction des richesses, et vous en attirez la malédiction sur vous, en vous engageant comme les riches dans des inimitiés et des querelles. Vous osez battre et outrager votre frère, vous l’étranglez, et vous le foulez aux pieds devant tout un peuple. Ne voyez-vous pas quelle honte vous encourez en imitant la fureur des bêtes féroces, en les surpassant même en cruauté ? Car les bêtes ont toutes choses en commun ; elles s’attroupent ensemble ; elles marchent ensemble ; elles se réjouissent d’être ensemble : et nous, au contraire, nous n’avons rien de commun. Tout est dans la confusion parmi nous ; ce ne sont qu’inimitiés, que querelles qu’injures et outrages. Nous n’avons de respect ni pour le ciel, où nous sommes tous appelés, ni pour la terre qui nous a été donnée pour en jouir tous ensemble ; ni pour la nature même qui nous est commune à tous. La passion de la colère, et l’amour des richesses ont tout ravagé dans nos cœurs. Ne savez-vous point dans quel malheur tomba ce serviteur, qui devait mille talents à son maître et qui osa bien, après qu’on lui eut remis cette dette, étrangler sans compassion un de ses confrères qui lui devait cent deniers ? Vous souvenez-vous comment il fut condamné sur l’heure à une éternelle mort ? Vous ne tremblez point à cet exemple et vous ne lisez pas dans le sort de ce misérable l’arrêt qui est déjà prononcé contre vous ! Car nous sommes aussi nous autres redevables à Dieu d’une infinité de dettes. Et néanmoins sa patience nous attend et il ne nous traite point avec la rigueur dont nous usons envers nos frères. Il ne nous met point le pied sur la gorge, quoique s’il voulait se faire payer de la moindre partie de ce que nous lui devons, il y a déjà longtemps que nous serions tous perdus. Pensons à ceci, mes très-chers frères, humilions-nous et tenons-nous pour obligés à ceux même qui nous doivent, puisque si nous agissons sagement et chrétiennement envers eux, ils nous serviront à obtenir de Dieu la remise d’une grande dette et qu’en leur donnant peu, nous en recevrons beaucoup. Pourquoi exigez-vous avec violence ce que votre frère vous doit ? Quand il voudrait vous le rendre, vous devriez le lui remettre volontairement, afin que Dieu vous en tînt compte un jour et vous rendit le tout. Cependant vous agissez inhumainement et vous faites tous vos efforts pour ne pas perdre un denier de ce qui vous est dû. Il semble que cette violence ne tombe que sur votre frère ; mais vous vous percez vous-mêmes en le blessant et vous ne faites qu’accroître le supplice qui vous est réservé dans l’enfer. Que si au contraire vous témoignez un peu de charité, vous obligerez Dieu même à vous traiter avec douceur dans son jugement. Car il veut que nous commencions ici les premiers à pratiquer cette générosité envers nos frères, afin d’en tirer occasion de nous rendre beaucoup plus que nous ne donnons. Faites donc grâce à tous ceux qui vous sont redevables, remettez aux uns l’argent qu’ils vous doivent, aux autres les offenses que vous en avez reçues, et exigez ensuite de Dieu la récompense de cette conduite si généreuse. Tant que vous presserez les hommes de vous payer, Dieu ne sera point votre débiteur. Mais quand vous leur remettrez ce qu’ils vous doivent pour vous adresser à Dieu, il récompensera votre générosité par une magnificence toute divine. Si un homme, vous voyant prendre l’un de vos débiteurs à la gorge pour lui faire payer ses dettes, vous conjurait de le laisser et se chargeait lui-même de cette dette ; et qu’en sa considération vous eussiez laissé aller cet homme libre, n’est-il pas vrai que ce répondant si charitable se tiendrait pour votre obligé, quoiqu’il se fût chargé de toute la dette que vous exigiez de l’autre ? Comment donc Dieu ne nous récompensera-t-il pas à l’infini, puisque pour obéir à sa loi, nous remettons à nos débiteurs tout ce qu’ils nous doivent sans leur redemander la moindre chose ? Ne considérons point, mes frères, ce plaisir cruel que nous trouvons à exiger des autres tout ce qu’ils nous doivent, mais envisageons le péril où nous nous exposons pour jamais, et la perte que nous faisons volontairement des richesses éternelles. Élevons-nous aujourd’hui au-dessus de tout. Remettons aux hommes ou l’argent qu’ils nous doivent, ou le mal qu’ils ont commis contre nous, afin que notre juge nous traite plus favorablement dans ce que nous lui devons et qu’il nous accorde, par cette facilité à pardonner les injures, ce que nous n’avons pu obtenir de lui par toutes les autres vertus. Ce sera le moyen de jouir éternellement des biens du ciel que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire maintenant et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XVI
« NE PENSEZ PAS QUE JE SOIS VENU DÉTRUIRE LA LOI OU LES PROPHÈTES. » (CHAP. 5,17, JUSQU’AU V. 27) ANALYSE.
- 1. et 2. Des regards impudiques.
- 3. Contre le luxe des femmes et les femmes et les spectacles.
- 4. Pourquoi l’ancienne loi permettait l’acte de répudiation.
- 5. Sur les jurements.
- 6. Pourquoi la Loi nouvelle les défend ? – Les mêmes choses permises ou défendues selon les temps.- La Loi nouvelle plus exigeante que l’ancienne.
- 7. Moyen de se défaire d’une mauvaise habitude. – Saint Chrysostome repousse les applaudissements.
1. Après que Jésus-Christ a pleinement éclairci ce premier commandement, et qu’il l’a porté jusqu’à sa plus haute perfection, il suit l’ordre marqué dans la loi, et il parle ensuite du second. Mais vous me direz peut-être que ce n’est pas ici le second commandement mais le troisième, puisque le premier n’est pas : « Vous ne tuerez point ; » mais celui-ci : « Écoutez Israël, le Seigneur votre Dieu est le « seul Seigneur. » (Exo 20,43) Il faut donc voir pourquoi il ne commence pas par celui-là. Il ne l’a pas fait parce qu’il aurait été obligé d’étendre ce commandement jusqu’à sa propre personne, et de se faire connaître aux hommes en leur révélant des choses dont le temps n’était pas encore venu. Il se contentait alors de former les mœurs, voulant persuader aux hommes, d’abord par la sainteté de sa vie et par ses miracles, qu’il était le Fils de Dieu. Si donc avant d’avoir jamais rien enseigné ou rien fait, il fût venu d’abord dire aux hommes : Vous savez qu’il a été dit aux anciens : Je suis le Seigneur votre Dieu, et il n’y en a point d’autre que moi : mais moi je vous dis, que vous m’adoriez de même que mon Père ; il n’est pas douteux qu’ils l’eussent traité comme un extravagant et un insensé. Car si après leur avoir enseigné une doctrine si pure, et avoir fait tant de miracles, ils ne laissaient pas de dire qu’il était possédé du démon, lorsqu’il ne déclarait pas même ouvertement ce qu’il était ;.à quoi ne se fussent-ils point portés, s’il leur eût parlé de la sorte, avant que de leur avoir donné des preuves de ce qu’il était ? Mais en réservant cette vérité pour un temps plus opportun, il disposait peu à peu les hommes à la recevoir. C’est pourquoi il la passe ici sous silence, en y préparant le monde par ses prodiges, et par la pureté de sa doctrine. Il l’a dite clairement dans la suite, mais il se contente ici de la découvrir peu à peu par une longue suite de merveilles, et par la manière dont il instruisait les hommes. L’autorité même avec laquelle il établissait de nouvelles lois, et réformait les anciennes, était capable de faire juger à un esprit réfléchi que celui qui parlait de la sorte, n’était autre que Dieu. « Ils étaient surpris », dit l’Évangile, « parce qu’il ne les enseignait pas comme les docteurs de la loi. » (Mat 7,29) En effet commençant par les vices les plus naturels à l’homme, savoir la colère et l’impureté, les deux passions qui le tyrannisent le plus, et qui sont la source de toutes les autres, il les combat avec l’autorité, d’un législateur, et il leur oppose la vertu la plus pure et la plus parfaite. Il ne dit pas qu’on punira seulement les adultères qui auront effectivement commis ce crime. Mais de même qu’il a condamné jusqu’à la pensée de l’homicide, de même ici il punit jusqu’à un regard impudique, afin de nous apprendre en quoi consiste cette surabondance de justice qu’il demande de nous et que n’avait pas la vertu des pharisiens. « Celui, dit-il, qui aura regardé une femme avec un mauvais désir pour elle, a déjà commis l’adultère dans son cœur : » c’est-à-dire celui qui se plaît à regarder des personnes agréables, qui recherche même avec curiosité et avec passion la vue d’un gracieux visage, et qui en repaît ses yeux et son cœur. Car Jésus-Christ n’est pas venu seulement pour empêcher qu’on ne déshonore son corps par des actions criminelles, mais encore pour établir la pureté de l’âme, en lui interdisant les mauvais désirs. Comme c’est dans le cœur que nous recevons la grâce du Saint-Esprit, c’est le cœur aussi qu’il purifie le premier. Mais comment est-il possible, me direz-vous, d’être délivré de ces désirs ? II nous sera facile, si nous le voulons, de les réprimer de telle façon, que s’ils commencent à s’élever, ils demeurent néanmoins sans aucun effet. D’ailleurs Jésus-Christ ne parle pas ici généralement de toute sorte de désirs ; mais de ceux qui s’excitent par les yeux et par les regards. Car celui qui se plaît à regarder de beaux visages, allume en lui-même une flamme impure, met son âme sous le joug de la passion, et ne tarde pas à commettre le crime même. C’est pour ce sujet que Jésus-Christ ne dit pas : Celui qui aura désiré de commettre un adultère, mais « celui qui aura regardé une femme avec un mauvais désir. » Il ne dit pas même ici ce mot, « sans sujet », qu’il met expressément en parlant de colère, non, il condamne sans exception toute convoitise. Et cependant ces deux passions, la colère et la concupiscence, sont toutes les deux inhérentes à notre nature, et l’on peut se servir utilement de l’une et de l’autre, de la première, en l’employant à réprimer les méchants, et à corriger les gens déréglés ; et de l’autre en en usant seulement pour la génération des enfants, et pour conserver la succession des hommes. 2. D’où vient donc que Jésus-Christ ne met point ici d’exception ? Je vous réponds que si vous considérez bien ses paroles, vous y en trouverez une grande. Car il ne dit pas, Celui qui aura eu un mauvais désir, ce qui peut arriver aux solitaires dans les déserts les plus retirés, mais : « Celui qui aura regardé une femme avec un mauvais désir pour elle ; » comme s’il disait : Celui qui aura excité ce mauvais désir en lui-même et qui aura volontairement déchaîné sur son âme cette espèce de bête féroce. Car cela n’est plus l’effet de la nature, mais de votre négligence et de votre paresse. L’ancienne loi même nous faisait déjà la même défense : « Ne vous arrêtez point », dit-elle, « à considérer une beauté étrangère. » (Pro 6,25) Et afin que personne ne pût dire : mais si je la regarde sans qu’il en résulte aucun mal ? l’Écriture défend généralement tous ces regards, de peur qu’en s’assurant trop de soi-même, on ne tombe dans le péché. Mais si je la regarde, dites-vous, et que j’aie même un mauvais désir, quel mal fais-je pourvu que je n’aille pas plus loin ? Cela seul vous range parmi les adultères. Jésus-Christ déclare qu’il vous met de ce nombre. Il est le législateur, il a fait la loi, il ne faut point disputer davantage. Vous pourrez peut-être voir une ou deux ou trois fois une femme sans en ressentir de mauvais effets. Mais si vous vous abandonnez souvent à ces regards, vous allumerez un feu dans votre cœur, dont vous serez enfin consumé. Car vous n’êtes pas d’une autre nature que les autres hommes Comme donc lorsque nous voyons un enfant prendre un couteau, quoiqu’il ne s’en soit pas blessé, nous ne laissons pas de le châtier et de lui défendre d’y toucher à l’avenir ; Dieu de même nous défend les mauvais regards avant même que nous péchions, afin que nous ne péchions pas. Car celui qui allume dans son cœur cette passion honteuse, lors même que les objets sont absents, se trouve environné de fantômes et d’images détestables, qui le font enfin tomber dans le crime. C’est pour cette raison que Jésus-Christ condamne même cette sorte d’adultère, qui ne se passe que dans le cœur. Que répondront à ceci ceux qui ont avec eux des jeunes filles demeurant sous le même toit, puisque par cette loi de Jésus-Christ, ils peuvent devenir coupables d’une infinité d’adultères, en les regardant tous les jours avec de mauvais désirs ? Aussi le bienheureux Job s’était d’abord imposé cette loi lui-même, en s’interdisant absolument cette sorte de regards. Car le combat devient plus grand après avoir vu ce que l’on aime, et cette vue ne nous cause pas tant de satisfaction, que la nouvelle violence de notre passion ne nous fait ressentir de douleur. Nous rendons ainsi le démon bien plus puissant contre nous et nous ouvrons la porte à cet ennemi, sans qu’il soit plus en notre pouvoir de le chasser de chez nous, après l’avoir introduit dans le fond de notre cœur et dans le plus secret de nos pensées. C’est pourquoi Jésus-Christ nous dit : Ne soyez point adultère des yeux et vous ne le serez point du cœur. Il est certain qu’on peut regarder une femme innocemment et comme les personnes chastes la regardent. C’est pourquoi Jésus-Christ ne condamne pas en général toutes sortes de regards, mais seulement ceux qui sont accompagnés d’un mauvais désir. S’il n’eût voulu faire cette distinction, il eût dit simplement : « Celui qui regarde une femme », mais il ne parle pas ainsi, et il dit : « Celui qui regarde une femme avec un mauvais désir ; » c’est-à-dire, celui qui la regarde afin de contenter ses yeux. Dieu ne vous a pas donné des yeux pour que vous introduisiez par là l’adultère dans votre âme, mais afin que, contemplant ses créatures, vous en admiriez le Créateur. Comme donc on se met en colère « sans sujet », on regarde aussi « sans sujet », lorsqu’on le fait avec un mauvais désir. Si vous voulez prendre plaisir à voir une femme, regardez la vôtre et aimez-la toujours. Il n’y a point de loi qui vous le défende. Que si vous en regardez curieusement une autre, vous faites tort à celle que Dieu vous a donnée, en détournant vos yeux d’elle pour en regarder une autre, et vous faites encore une injure à celle que vous regardez. Car quoique vous ne la touchiez pas de la main, on peut dire néanmoins que vous la touchez des yeux et du désir. Dieu regarde cela comme un véritable adultère, et avant que de le punir par les peines de l’enfer, il le punit ici par avance par des supplices rigoureux. Car l’esprit est rempli aussitôt de nuages et de troubles. Il entre dans l’agitation et l’inquiétude, et il est percé des pointes de la douleur. Un homme en cet état est aussi misérable que les captifs qui gémissent sous leurs chaînes. Cette femme qui vous a blessé d’un de ses regards, s’est retirée de vous, mais la plaie qu’elle vous a faite demeure toujours ; ou plutôt ce n’est pas celle femme qui vous a fait cette plaie, c’est vous-même qui vous êtes blessé en la regardant d’une manière déshonnête. Je dis ceci afin qu’on n’accuse point celles d’entre les femmes qui sont sages et modestes, Que si quelqu’une prend plaisir à se parer et à se rendre agréable et qu’elle attire ainsi sur elle les regards de tous les hommes, quoique peut-être elle ne fasse aucun mal à ceux qui la voient, elle ne laissera pas d’être punie d’un supplice extrême. Car elle a mêlé le poison, elle l’a préparé, elle n’avait plus qu’à le présenter à boire, ou plutôt elle l’a même présenté ; mais il ne s’est trouvé personne pour boire ce breuvage de mort. 3. Quoi donc ! direz-vous, Jésus-Christ parle-t-il aussi aux femmes en cet endroit ? Les lois qu’il établit ici sont communes aux hommes et aux femmes, quoiqu’il adresse son discours particulièrement aux hommes. Quand il parle au chef, il parle à tout le corps. Il sait que l’homme et la femme ne sont qu’un, et il ne les divise point. Que si vous voulez entendre un avis particulier pour les femmes, voyez ce que dit Isaïe, qui jette tant de ridicule sur leur vanité dans leurs habits, dans leurs regards, dans leur marcher, dans leurs robes traînantes, dans leurs démarches affectées, et dans tout le port de leur corps. Écoutez après Isaïe saint Paul, qui leur donne beaucoup d’avis touchant leurs habits, leurs ornements d’or, leurs cheveux frisés, leur luxe, et autres choses semblables qu’il leur défend très sévèrement. Et Jésus-Christ exprime la même pensée, quoique obscurément. Car en disant : Arrachez et coupez ce qui vous scandalise, il montre avec quelle colère on doit traiter ces sortes de personnes. C’est pourquoi il ajoute : « Que si votre œil droit vous est tin sujet de scandale, arrachez-le, et jetez-le loin de vous (29). » Et ne dites pas : mais quoi ! si c’est ma parente, si c’est mon alliée ? L’objection est prévenue par ces paroles, ce sont ces personnes-là précisément que Jésus-Christ nous ordonne de retrancher et non pas les membres mêmes de notre corps. Dieu nous garde de cette pensée ! il n’accuse point notre chair, mais il condamne la corruption de la volonté. Ce n’est point l’œil qui regarde, mais l’esprit et la pensée. Il arrive, tous les jours que lorsque notre esprit est appliqué ailleurs, notre œil ne voit pas ceux qui sont présents parce que l’action dépend de l’esprit. Si Jésus-Christ eût parlé de nos membres, il ne nous eût pas commandé d’arracher seulement un œil, et il n’eût pas marqué particulièrement le droit, mais il y aurait joint le gauche. Car celui qui est scandalisé par le droit, l’est sans doute aussi par le gauche. Pourquoi donc marque-t-il précisément l’œil droit, et ensuite la main droite, sinon pour nous apprendre qu’il ne parle point des membres de notre corps, mais des personnes qui nous sont le plus unies ? Quand vous aimeriez, dit-il, quelqu’un, de telle sorte que vous le regarderiez comme votre œil droit, ou que vous vous le croiriez aussi utile que votre main droite, néanmoins s’il nuit à votre âme, retranchez-le hardiment de vous. Et remarquez la force de ces paroles. Il ne dit pas : Retirez-vous de lui ; mais pour marquer une plus grande séparation : « Arrachez-le », dit-il, « et le jetez loin de vous. » Mais après un commandement si rude, il en fait voir l’avantage, et par les biens que nous en recevons, et par le mal que nous évitons ; et, demeurant toujours dans la même comparaison, il ajoute : « Car il vaut bien mieux pour vous qu’une partie de votre corps périsse, que si tout votre corps était jeté dans l’enfer (29). Et si votre main droite vous est un sujet de scandale, coupez-la et jetez-la loin de vous. Car il vaut bien mieux pour vous e qu’une partie de votre corps périsse, que si tout votre corps était dans l’enfer (30). » Car puisque cette personne ne se sauve pas elle-même, et qu’elle vous perd avec elle, quelle amitié serait-ce de tomber tous deux dans le précipice, lorsqu’en se séparant, l’un des deux au moins pourrait se sauver ? Pourquoi donc saint Paul, dites-vous, souhaitait-il d’être anathème ? Ce n’était pas pour se perdre inutilement, mais pour acheter par sa perte le salut des autres. Mais ici tous deux se perdent sans ressource. C’est pourquoi Jésus-Christ ne dit pas seulement : « Arrachez-le », mais « jetez-le loin de vous ; » afin que vous ne le repreniez plus s’il continue à vous être dangereux. Car vous empêcherez ainsi qu’il ne soit puni davantage, et vous vous sauverez vous-même. Mais pour voir plus clairement l’avantage de ce précepte, examinons-le en le comparant avec ce qui se passe dans notre corps. Si on nous donnait le choix, et qu’il fallût nécessairement ou, en conservant nos deux yeux, tomber dans le précipice, ou en perdre un pour conserver tout le corps, n’est-il pas clair que nous choisirions le dernier parti, et que ce ne serait pas alors haïr son œil que de le perdre, mais aimer le reste du corps ? Appliquons ceci aux personnes qui nous sont chères. Si quelqu’un vous nuit par l’affection qu’il a pour vous, sans que vous puissiez y remédier, en le retranchant de vous, premièrement vous empêcherez qu’il ne vous perde, ensuite vous le sauverez d’une condamnation plus terrible en faisant en sorte qu’il n’ait pas à rendre compte et de ses propres péchés et de votre perte. Il est donc visible que cette loi est très douce et très charitable, quoiqu’elle semble si sévère à tant de personnes. Que ceux qui sont si ardents pour le théâtre et dont les yeux se remplissent d’adultères presque tous les jours, écoutent ce que nous disons. Si Jésus-Christ nous commande de retrancher de nous nos plus intimes amis, lorsqu’ils nous sont un sujet de scandale, qui pourra excuser ceux qui sans connaître d’ailleurs des personnes, et seulement parce qu’ils les voient tous les jours au théâtre, s’engagent dans dès connaissances qui leur font naître mille occasions de se perdre ? Jésus-Christ ne se contente pas de défendre les regards accompagnés de mauvais désirs, mais, après avoir montré le mal qu’ils peuvent faire, il va plus loin, et il ordonne de s’arracher l’œil et la main, et de les jeter loin de nous. Et cependant celui qui fait cette loi qui paraît si dure, est celui-là même qui nous commande tant la charité fraternelle, ce qui nous fait voir combien il veille pour notre salut, et comme il a soin d’écarter de nous ce qui nous peut nuire. 4. « Il a été dit encore : Quiconque veut quitter sa femme, qu’il lui donne un écrit par lequel il déclare qu’il la répudie (31). Mais « moi je vous dis que quiconque quitte sa femme, si ce n’est en cas de fornication, la fait devenir adultère, et que quiconque épouse celle que son mari aura quittée, commet un adultère (32). » Jésus-Christ ne passe à ces ordonnances plus hautes qu’après avoir purifié tout ce qu’il y avait de plus grossier. Car il nous apprend encore ici une autre espèce d’adultère. Il y avait une loi qui permettait à un homme qui avait conçu de l’aversion pour sa femme pour quelque sujet que ce fût, de la quitter et d’en prendre une autre, pourvu qu’on lui donnât un écrit par lequel il déclarait qu’il la répudiait, afin qu’il ne fût plus permis à cette femme de le reprendre pour mari, et qu’au moins cette ombre de mariage subsistât. Car si le législateur n’eût apporté cette restriction, et qu’il eût simplement permis à un homme de répudier sa femme pour en prendre une autre, et de reprendre ensuite la première, ç’aurait été une confusion effroyable : les hommes auraient pris ainsi les femmes les uns des autres, ce qui aurait été une suite continuelle d’adultères. C’est pourquoi cet écrit de répudiation était une admirable invention de la sagesse de Dieu ; car cette loi s’opposait encore à un autre mal bien plus grand. Si Dieu eût contraint les Juifs de retenir leur femme chez eux, lors même qu’ils la haïssaient, ils eussent pu se porter quelquefois jusqu’à la tuer. Telle était l’humeur brutale de cette nation. S’ils ne pardonnaient pas à leurs enfants, s’ils tuaient les prophètes, s’ils répandaient le sang comme l’eau, combien auraient-ils moins épargné leurs femmes ? C’est pourquoi Dieu souffrait un moindre mal, afin d’en empêcher un plus grand. Car Jésus-Christ fait assez voir que ce n’était pas là l’intention principale de Dieu, lorsqu’il dit : « Moïse vous a permis cela à cause de la dureté de votre cœur (Mat 19,8) », pour vous empêcher de tuer vos femmes dans vos maisons, en vous permettant de les chasser. Mais comme il avait déjà condamné la colère et défendu non seulement l’homicide, mais encore le moindre mouvement de haine, il lui était plus aisé d’établir cette loi touchant les femmes. Il apporte toujours les paroles de l’ancienne loi pour faire voir comme elle s’accorde avec la nouvelle. Car sa doctrine n’est pas une destruction, mais une extension de la loi de Moïse, et, bien loin de la violer, il l’accomplit et la perfectionne. Remarquez aussi qu’il s’adresse toujours aux hommes : « Celui qui quitte sa femme la fait devenir adultère, et quiconque épouse celle que son mari a quittée, commet un adultère. » Lors même que le premier de ces deux n’épouse point une autre femme, il se rend coupable par cela seul qu’il rend sa femme adultère. Et le second, en prenant la femme d’un autre, commet encore un adultère. Et ne me dites point que cet homme a chassé sa femme. Quoiqu’il l’ait chassée, elle ne cesse pas d’être sa femme. Et de peur qu’en rejetant tout sur le mari, il ne rende la femme trop insolente, il lui ferme aussi à elle la porte d’un second mariage, en disant : « Quiconque épouse celle que son mari a quittée, commet un adultère. » Ainsi il rend en quelque sorte la femme sage malgré elle, en empêchant tout autre de l’épouser, en ne souffrant pas qu’elle cherche les occasions d’irriter son mari contre elle. Car se voyant dans la nécessité, ou d’être toujours avec le mari qu’elle a pris d’abord, ou, si elle est une fois répudiée, de demeurer toute sa vie sans secours et sans assistance, elle se sent comme forcée d’aimer son mari. Il ne faut pas s’étonner que Jésus-Christ ne parle point en particulier à la femme. Ce sexe est trop faible, et Jésus se contente, en effrayant les hommes, de retenir en même temps les femmes dans leur devoir. Il imite un père qui, ayant un fils débauché, lui épargnerait la honte d’une réprimande, et se contenterait de menacer ceux qui l’auraient jeté dans la débauche, leur commandant de ne le plus voir, et de ne se trouver jamais avec lui. Si cela vous paraît onéreux, souvenez-vous de ce que le Seigneur a dit d’abord dans les huit béatitudes, et vous le trouverez aisé. Comment, en effet, un homme doux et ami de la paix, comment celui qui est pauvre d’esprit et charitable, répudiera-t-il sa femme ? comment celui qui réconcilie les autres serait-il lui-même en guerre avec sa femme ? Mais Jésus rend encore cette loi douce et facile d’une autre manière, puisqu’il laisse à l’homme une occasion légitime de répudier sa femme si ce n’est », dit-il, « en cas de fornication. »Sans cela tout aurait été dans le trouble. Car si Jésus-Christ avait commandé de retenir sa femme après qu’elle se serait abandonnée à un autre, le monde aurait été plein d’adultères. Vous voyez donc la liaison que ce commandement a avec les autres. Celui qui ne voit point d’un œil impudique la femme de son prochain, ne commettra pas d’adultère avec elle ; et ainsi on ne donnera occasion à personne de répudier sa femme. C’est pourquoi il ne craint point, après cela, d’intimider si fort le mari, en le menaçant d’un grand péril s’il répudie sa femme, et en le rendant coupable de l’adultère où il l’expose. Car de peur qu’on n’entendît de la femme cette parole : « Arrachez votre œil », il prévient cette interprétation abusive, lorsqu’il déclare qu’il n’y a qu’un sujet légitime où l’on puisse la répudier. « Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Vous ne vous parjurerez point ; mais « vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous lui aurez faits (33). Et moi je vous dis de ne point jurer du tout (34). » Pourquoi Jésus-Christ passe-t-il le commandement qui défend le larcin, pour venir à celui qui regarde le parjure et le faux témoignage ? C’est parce que quelquefois celui qui craindrait de dérober ne craindrait pas de se parjurer, et qu’au contraire celui qui craindra le mensonge et le parjure, ne se laissera jamais aller au larcin. Ainsi en détruisant le parjure il détruit le vol, puisque c’est du vol que naît le parjure. 5. Mais que veulent dire ces paroles : « Vous rendrez au Seigneur les serments que vous lui aurez faits ? » (Psa 50,14) C’est-à-dire, lorsque vous jurerez, vous direz la vérité « Et moi », dit-il, « je vous défends de jurer absolument. » Et voulant les éloigner davantage de jurer par le nom de Dieu, il dit : « Ne jurez point, ni par le ciel, parce que c’est le trône de Dieu (34) ; ni par la terre, parce que c’est son marche-pied ; ni par Jérusalem, parce que c’est la ville du grand Roi (35). » Il se sert encore du langage des prophètes, et montre qu’il n’est point contraire aux anciens, qui avaient coutume de jurer par ces choses, comme il le dit à la fin de cet évangile. Mais remarquez comment il relève les éléments, non par leur nature particulière, mais par le rapport qu’ils ont à Dieu ; remarquez aussi la condescendance de son langage. Les hommes alors étaient étrangement portés à l’idolâtrie. C’est donc pour les détourner de croire les éléments vénérables par eux-mêmes, qu’il se sert du motif que nous venons de voir, et qu’il met en jeu la majesté de Dieu. Il ne dit pas que le ciel est beau, et d’une grande étendue, ou que la terre est féconde et très-utile aux hommes ; mais il dit de l’un qu’il est le trône de Dieu, et de l’autre, qu’elle est son marchepied, afin de porter les hommes par toutes sortes de considérations à craindre et à révérer le Créateur. « Et ne jurez pas même par votre tête, parce que vous ne pouvez rendre un seul de vos cheveux blanc ou noir. » Lorsque Jésus-Christ défend à l’homme de jurer par sa tête, ce n’est pas qu’il considère l’homme comme quelque chose de bien grand, puisque l’homme n’a été créé que pour être soumis à Dieu, et pour l’adorer. Mais il veut en ceci rendre gloire à Dieu, et montrer que l’homme n’est pas le maître de lui-même, ni des serments qu’il ferait en jurant par sa tête. Que si un père ne donne point son fils à un autre homme, Dieu donnera bien moins à un autre l’ouvrage de ses propres mains. Car encore que votre tête soit à vous, elle est néanmoins l’ouvrage d’un autre. Vous êtes si éloigné d’en être le seigneur et le maître, qu’il vous est impossible d’y faire le moindre changement. Il ne dit pas : Vous ne pouvez agrandir un de vos cheveux, mais : vous n’en pouvez changer la couleur. Vous me direz peut-être : Si quelqu’un me contraint de jurer, et m’impose cette nécessité, que dois-je faire ? Je vous réponds que la crainte de Dieu doit être plus forte sur votre esprit, que cette nécessité qu’on vous impose. Que si vous allez chercher des raisons de ce genre, et de semblables prétextes, vous n’obéirez à aucun des commandements de Dieu. Car lorsqu’on vous défend de répudier votre femme, ne pourrez-vous pas dire de même : mais si elle est de mauvaise humeur, si elle fait trop de dépense ? Lorsqu’on vous commande d’arracher votre œil droit, ne pourrez-vous pas dire : Mais si je l’aime de tout mon cœur ? Lorsqu’on ne vous permet pas de jeter un seul regard déshonnête, ne direz-vous pas encore : Mais puis-je m’empêcher de voir ? Lorsqu’on vous ordonne de ne vous point mettre en colère contre votre frère, ne pourrez-vous pas dire aussi : Mais si je suis prompt, et que je ne puisse retenir ma langue ? Ainsi vous pourriez éluder tous les commandements que Dieu vous fait. Considérez que vous n’oseriez alléguer de semblables excuses, lorsqu’il s’agit de garder les lois humaines. Vous n’oseriez dire : Mais si telle ou telle chose arrive, suis-je obligé de garder la loi ? Et il faut de gré ou de force que vous vous y soumettiez. Si vous voulez être fidèle à la loi de Jésus-Christ, vous ne vous trouverez pas exposé à cette nécessité de jurer. Car celui qui aura écouté avec foi ces béatitudes, et qui se sera mis dans l’état où Jésus-Christ le demande, sera tellement cru de tout le monde, qu’il ne trouvera personne qui le contraigne à jurer. « Mais contentez-vous de dire : Cela est, ou cela n’est pas. Ce qui est de plus vient du mauvais (37). » Ce qui est de plus que le oui ou le non, c’est le jurement, et non le parjure, puisque ce dernier étant visiblement mauvais, nous n’avons pas besoin que personne nous en avertisse, et Jésus-Christ ne dirait pas : « ce qui est de plus », en parlant d’une chose évidemment mauvaise. Car ce qui est « de plus », c’est le superflu, le surajouté, ce qui dépasse le nécessaire, tel qu’est le jurement. Vous nie direz peut-être : Si le serment vient d’une mauvaise cause, pourquoi Dieu le commande-t-il par la loi ? Vous pourrez demander la même chose touchant le divorce : Pourquoi ce qui est un adultère maintenant, était-il permis autrefois ? Que pouvons-nous répondre à cela, sinon que la faiblesse de ce peuple obligeait Dieu à user de condescendance dans les lois qu’il lui donnait ? N’était-il pas de même indigne de Dieu d’être honoré par la fumée des holocaustes ? Mais il se proportionnait à ce peuple, comme un homme sage prend avec un enfant le langage des enfants. Mais depuis que Dieu nous a instruits des véritables vertus, le divorce passe pour un adultère, et le jurement est défendu comme venant d’un mauvais principe. Si ces premières lois avaient eu le démon pour auteur, elles n’auraient pas produit tant de bons effets. Si la loi ancienne n’avait précédé la nouvelle, celle-ci n’aurait pas été si facilement reçue. N’accusez donc point d’être sans vertu une loi, dont l’usage n’est plus de saison. Elle a servi, en son temps, et nous pouvons dire qu’elle sert encore aujourd’hui. Rien ne montre mieux son utilité que le reproche même qu’on lui fait de n’en avoir pas. C’est sa gloire qu’on en juge de la sorte. Car si elle ne nous avait nourris d’abord d’une manière proportionnée à notre faiblesse, et si elle ne nous avait ainsi rendu capables de quelque chose de plus grand, nous n’aurions pu jamais en porter un semblable jugement. 6. Ainsi la mamelle d’une nourrice paraît inutile lorsqu’elle a nourri l’enfant, et qu’elle l’a rendu capable, d’une nourriture plus solide. On ne la considère plus alors ; et le père qui la regardait auparavant comme étant si nécessaire à son fils, s’en moque ensuite. Plusieurs même y mettent quelque chose d’amer, afin que n’en pouvant retirer l’enfant par des paroles, ils arrêtent par cette amertume l’inclination violente qui sans cesse l’y ramène. Ainsi Jésus-Christ dit que le jurement venait d’un mauvais principe, non pour marquer que la loi ancienne vînt du démon, mais pour porter les hommes avec plus de force à se séparer de ses observances désormais trop imparfaites. C’est ainsi qu’il agit avec ses disciples. Mais pour ce qui est des Juifs, qui sont demeurés toujours inflexibles et opiniâtres dans leur aveuglement, il a voulu leur rendre leur ville inaccessible, comme on empêche les enfants d’approcher de la mamelle de leurs nourrices ; et comme on y met quelque chose d’amer pour les en éloigner, il a voulu aussi les éloigner de Jérusalem par la crainte d’un siège, et par l’appréhension de perdre leur liberté. Et parce que cela ne suffisait pas pour les écarter, et qu’ils désiraient toujours de revoir leur ville, comme un enfant qui veut reprendre la mamelle de sa nourrice, Dieu se vit enfin réduit à la cacher entièrement, à la détruire tout à fait, et à disperser la plupart d’entre eux dans des pays éloignés, les traitant comme ces animaux qu’on enferme et qu’en sépare de leurs mères lorsqu’on veut les en sevrer, afin que la longueur du temps leur apprenne à se désaccoutumer enfin de cette nourriture, et comme du lait de la loi, pour passer à une autre plus solide. Si l’ancienne loi avait eu le démon pour auteur, elle n’aurait jamais défendu l’idolâtrie, et elle en eût fait un commandement exprès, puisque le démon n’aime rien tant que cette impiété sacrilège. Cependant nous voyons tout le contraire, et c’est – pour cela même qu’elle permettait de jurer, et afin que les hommes ne jurassent point par les idoles « Jurez, » leur dit-elle, « par le véritable Dieu. » Il est donc vrai que la loi ancienne a été très utile, puisqu’elle a élevé les hommes pendant leur enfance, et qu’elle les a rendus capables d’une nourriture plus solide. Mais quoi ! me direz-vous, est-ce un mal que de jurer ? Oui c’en est un, depuis que règne la perfection évangélique, mais auparavant ce n’était pas un mal. Vous me répondrez sans doute : Comment ce qui était autrefois un bien est-il devenu maintenant un mal ? Et moi je vous demande au contraire : Comment peut-on nier que ce qui est bon en un temps ne l’est plus en un autre, puisque nous voyons cette vérité dans tous les arts, dans tous – les fruits de la terre, et dans toute la nature ? Considérez premièrement ce qui se passe dans notre enfance. C’est un bien lorsqu’on est enfant d’être sur les bras ; mais ce serait un mal de l’être encore lorsqu’on est homme. C’est un bien quand on est petit de sucer le lait d’une nourrice ; mais ce serait un mal de le faire quand on est grand. L’enfant au berceau veut qu’on lui mâche sa nourriture, tandis que cela répugnerait à l’homme fait. Ainsi vous voyez que la différence des temps rend les mêmes choses tantôt bonnes tantôt mauvaises. Un habit d’enfant sied bien à un enfant : mais il serait in supportable dans un homme. Ce qui est de même propre à l’homme, ne l’est pas à un enfant. Habillez un enfant en homme, tout le monde s’en rira, et cet habit même pourrait le faire tomber. Donnez à un enfant le soin du commerce, d’une ferme, des affaires civiles, et tout le monde se moquera de vous. Mais que dis-je ? Nous avons encore des preuves plus grandes de cette vérité. L’homicide est certainement l’ouvrage du démon, et néanmoins un homicide a mérité à Phinée l’honneur du sacerdoce. Jésus-Christ, lorsqu’il disait aux juifs : « Vous voulez exécuter les désirs de votre père. Il a été homicide dès le « commencement (Jn 8,44) », fait assez voir que c’est le démon qui a appris à tuer les hommes : et néanmoins Phinée tue un homme, et ce meurtre lui est imputé à justice Abraham, pour avoir voulu tuer un homme seulement, mais son propre fils, ce qui est bien plus grave, en devient plus juste et plus agréable aux yeux de Dieu. Saint Pierre tue Ananie et Saphira, et il les tue par un mouvement du Saint-Esprit. 7. Ne regardons pas les choses, mes frères, comme elles paraissent à l’extérieur. Examinons avec soin le temps, le sujet, la volonté, la différence des personnes, et toutes les autres circonstances, puisque sans cela nous ne pouvons bien connaître la vérité. Efforçons-nous, si nous voulons entrer dans le royaume de Dieu, de faire plus de bonnes œuvres, et d’aller au-delà de la justice de la loi, puisqu’autrement nous ne devons point prétendre d’avoir aucune part au ciel. Si nous nous bornons à la vertu des anciens, les portes célestes nous seront fermées. « Car si votre justice n’est plus abondante », dit Jésus-Christ, « que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. » Et cependant après cette menace, il y a des personnes, qui non seulement ne surpassent point la vertu des anciens ; mais qui même en sont encore très-éloignées. Bien loin d’éviter de jurer, ils se parjurent. Bien loin de s’empêcher de jeter un regard impur, ils s’abandonnent à des actions brutales, Ils commettent sans aucune crainte tout ce que Jésus-Christ nous défend. Et il ne leur reste plus que de trouver ce jour qui vengera tous leurs crimes, et qui les punira avec une extrême rigueur ; puisque c’est là le partage de ceux qui finissent leur vie dans le péché. Il faut que ceux qui vivent de la sorte, désespèrent de leur salut, et qu’ils n’attendent plus que la punition de leurs crimes. Pour ceux qui ont encore du temps et de la vie, ils peuvent combattre et vaincre aisément leur ennemi, et mériter ainsi la couronne. Ne vous laissez donc point abattre par la négligence, et ne perdez point courage. Ce qu’on vous commande n’est point pénible. Quelle peine y a-t-il à ne point jurer ? Faut-il pour cela dépenser beaucoup d’argent ? Faut-il y employer beaucoup de travail ? Il suffit de le vouloir, et tout ce qu’on vous commande sera accompli. Que si vous vous excusez sur votre mauvaise habitude, c’est par cela même que je vous veux faire voir qu’il vous est aisé de vous corriger. Car aussitôt que vous aurez pris une habitude contraire, vous aurez gagné ce que vous voulez. On en a vu autrefois parmi les païens qui, ayant une difficulté de langue, l’ont surmontée par leurs soins, et se sont corrigés de ce défaut : d’autres qui remuaient sans cesse les épaules d’une façon disgracieuse, se sont fait des violences pour perdre cette habitude, jusqu’à arrêter ce mouvement de leur corps par la pointe d’une épée nue. Puisque l’Écriture ne vous persuade pas, je suis contraint de vous exciter par l’exemple de ces idolâtres. Dieu traitait ainsi les Juifs lorsqu’il leur disait : « Allez dans les îles de Céthim et envoyez dans le pays de Cédar, et voyez si ces peuples ont quitté leurs dieux, quoique certainement ils ne soient pas dieux. » (Jer 2,10) Il renvoie même quelquefois l’homme à l’exemple des bêtes. Il dit aux paresseux : « Allez à la fourmi, allez à l’abeille et imitez leur activité et leur travail. » (Pro. 6, et 30) Je suis donc aujourd’hui cet exemple et je vous dis : Jetez les yeux sur ces philosophes païens et vous reconnaîtrez de quels supplices sont dignes ceux qui méprisent la loi de Dieu, puisque ceux-là, pour avoir l’extérieur un peu mieux réglé, ont enduré tant de maux, et que vous ne voulez rien faire de semblable pour gagner le ciel. Que si après cela vous dites que la longue habitude est difficile à vaincre et qu’elle trompe souvent ceux qui se tiennent le plus sur leurs gardes, j’en demeure d’accord avec vous. Mais je vous dis en même temps, que comme elle peut aisément vous surprendre, vous pouvez aussi aisément la vaincre. Car si vous donnez ordre à quelqu’un de chez vous de vous avertir, comme à un domestique, à votre femme, à quelque ami, vous vous dégagerez bientôt de votre habitude. Si vous prenez cette peine seulement durant dix jours, il ne vous en faudra pas davantage, vous serez dans une paisible assurance et cette nouvelle habitude que vous contracterez, vous rendra fermes contre la mauvaise. Si, lorsque vous entreprendrez ainsi de vous corriger, vous tombez, une ou deux ou plusieurs fois, ne vous découragez pas. Relevez-vous aussitôt, revenez au combat avec ardeur et vous remporterez enfin la victoire. Le parjure n’est pas un péché peu considérable, et si le simple jurement vient du mauvais, jugez de quels supplices le parjure sera puni. Vous applaudissez à ce que je dis, mais ce ne sont point ces applaudissements ni ces acclamations que je recherche. Tout mon désir est que vous écoutiez paisiblement et modestement ce que je vous prescris et que vous soyez fidèles à le pratiquer. Ce sont là les acclamations que je cherche, et les applaudissements que je désire. Que si vous vous contentez de louer ce que je dis sans le pratiquer, vous vous attirez un plus grand supplice et une condamnation plus sévère, et vous vous couvrez vous-mêmes de honte. Nous n’êtes pas ici au théâtre et vous ne vous y assemblez pas pour écouter des comédiens et leur applaudir. C’est ici une école toute sainte, et tout ce que vous avez à faire, c’est de mettre en pratique ce que vous entendez et de témoigner votre obéissance par vos actions. Ce sera alors que je me tiendrai bien récompensé de toutes mes peines. Mais maintenant je vous avoue que je suis presque réduit au désespoir. Quoique je ne cesse point de vous instruire et en particulier et en public, le n’en remarque aucun fruit et vous êtes encore comme aux premiers éléments de la vie spirituelle, ce qui abat sans doute et qui décourage beaucoup un pasteur. Considérez que saint Paul même témoigne une extrême peine de voir des chrétiens toujours dans la bassesse des premières instructions : « Au lieu que depuis le temps qu’on « vous instruit », dit-il aux Hébreux, « vous devriez déjà être maîtres, vous avez besoin « encore qu’on vous apprenne les rudiments par où l’on commence à expliquer la parole « de Dieu. » (Heb 5,12) C’est le sujet de notre douleur et de nos gémissements. Et si vous demeurez toujours les mêmes, je vous interdirai l’entrée de l’église et la participation des sacrés mystères, comme aux impudiques, aux adultères et aux homicides. Car il vaut bien mieux offrir à Dieu nos prières avec deux ou trois qui gardent ses commandements, que d’assembler une foule de personnes corrompues qui se perdent et perdent les autres. Que les riches, que les grands ne s’élèvent point ici contre moi, qu’ils ne me regardent point avec indignation. Je me ris de leur colère, et leurs menaces sont pour moi une fable, une ombre et un songe. Ces riches ne me défendront pas un jour quand Dieu m’accusera à son tribunal et qu’il me reprochera de n’avoir pas soutenu avec vigueur la sainteté de ses commandements. C’est ce qui perdit autrefois cet admirable vieillard Héli qui était irrépréhensible d’ailleurs. L’indifférence avec laquelle il vit ses enfants fouler aux pieds la loi de Dieu, attira sa colère sur lui et sur eux, et il en fut puni d’une manière terrible. Que si dans une rencontre où la nature, qui a tant d’empire, pouvait jusqu’à un certain point servir d’excuse, cet homme néanmoins fut puni avec tant de rigueur, parce qu’il n’avait pas été assez sévère à réprimer ses enfants, quelle excuse nous restera-t-il à nous autres, si sans être surpris comme lui par cette tendresse naturelle, nous corrompons néanmoins les hommes par notre indulgence et nos flatteries ? Afin donc que vous ne nous perdiez pas avec vous-mêmes, je vous conjure de vous rendre à ce que je vous dis. Priez autant de personnes que vous pourrez, de vous avertir quand vous jurerez, pour vous défaire peu à peu de cette mauvaise habitude. C’est ainsi que vous avançant dans la vertu, elle vous deviendra aisée de plus en plus et que vous mériterez de jouir des biens à venir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XVIII
« VOUS AVEZ APPRIS QU’IL A ÉTÉ DIT : ŒIL POUR ŒIL, DENT POUR DENT.- ET MOI JE VOUS DIS DE NE POINT RÉSISTER AU MÉCHANT ; MAIS SI QUELQU’UN VOUS DONNE UN SOUFFLET SUR LA JOUE DROITE, PRÉSENTEZ-LUI ENCORE L’AUTRE.- SI QUELQU’UN VEUT VOUS FAIRE UNE QUERELLE POUR VOUS PRENDRE VOTRE ROBE, LAISSEZ-LUI ENCORE EMPORTER VOTRE MANTEAU. » (CHAP. 5,38, 39, 40, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE) ANALYSE.
- 1. Pourquoi certains préceptes de l’ancienne Loi étaient si peu relevés.
- 2. C’est par la patience qu’il faut vaincre.
- 3. Les hommes parfaits sont plus fort que le malheur.
- 4. Comment l’on doit se conduire envers les ennemis. On arrive au sommet de la perfection en cette matière par neuf différents degrés. – Le Christ modèle de patience et de charité.
- 5. et 6. Que nous devons nous prévenir les uns les autres par des déférences volontaires ; que rien n’est plus glorieux que d’être méprisé des hommes pour plaire à Dieu.
1. Vous voyez clairement, mes frères, que Jésus-Christ ne parlait point des yeux du corps, lorsqu’il nous commandait d’arracher l’œil qui nous scandalise, mais qu’il marquait par cette expression, que nous devons éloigner de nous les personnes dont l’amitié nous nuit, et qui sont capables de nous perdre. Comment en effet, Celui qui ne nous permet pas même d’arracher l’œil à un autre qui nous l’aurait arraché, pourrait-il nous commander de nous l’arracher à nous-mêmes ? Que si quelqu’un blâme l’ancienne loi, de ce qu’elle commande ainsi d’exiger « œil pour œil, et dent pour dent ; » il ne comprend guère, ni la sagesse que doit avoir un législateur, ni les différentes conjonctures des temps, ni l’avantage que les hommes ont de cette divine condescendance. Car si vous considérez quel était ce peuple, dans quelle disposition il était, et en quel temps il a reçu cette loi, vous reconnaîtrez aisément que Dieu est le seul et le même auteur de l’un et de l’autre Testament, qu’il a établi très-utilement ces lois différentes, et qu’il les a proportionnées aux personnes et aux temps. S’il avait tout d’abord imposé aux hommes la loi évangélique qui est si sublime, les hommes n’auraient reçu ni l’ancienne ni la nouvelle : mais les publiant en divers temps, et chacune en celui qui lui était propre, il s’est servi très utilement de l’une et de l’autre, pour renouveler la face de toute la terre. Au reste s’il a donné ce commandement ce n’était pas pour porter les hommes à s’arracher les yeux les uns aux autres, c’était au contraire pour les empêcher de se porter à des violences. Car la menace de cette peine était un frein pour la colère. Il commençait ainsi à établir insensiblement la vertu dans le monde, en voulant qu’on se contentât d’une vengeance pareille au mal qu’on avait reçu, bien que cependant celui qui commence l’injure mérite une peine plus grave, et que la peine du talion ne semble pas assez rigoureuse au jugement d’une exacte justice. C’est parce qu’il voulait tempérer la justice par la miséricorde, qu’il n’infligeait au coupable qu’un châtiment au-dessous de son crime : c’était aussi pour nous enseigner à montrer beaucoup de patience dans les maux que nous souffrons. Après avoir rapporté l’ancienne loi tout au long, il montre que ce n’est pas proprement votre frère qui vous offense, mais le démon par votre frère. C’est pourquoi il ajoute : « Et moi je vous dis de ne point résister au méchant (39). » Il ne dit pas de ne point résister à votre frère, mais « au méchant », montrant que c’est le démon qui lui inspire cette violence, et diminuant ainsi beaucoup notre colère contre celui qui nous aurait offensé, en rejetant toute sa faute sur un autre. Quoi donc ! me direz-vous, ne faut-il point résister au méchant ? Il faut lui résister, mais non de la manière que vous pensez, mais de celle que Jésus-Christ nous commande : c’est-à-dire en voulant bien souffrir tout le mal qu’il nous veut faire. C’est ainsi que vous le surmonterez. Ce n’est pas avec le feu qu’on éteint le feu, mais seulement avec l’eau. Et pour vous faire voir que dans l’ancienne loi même, celui qui souffrait l’injure avait l’avantage et qu’il remportait la couronne, considérez la chose en elle-même, et vous jugerez combien la patience de cet homme s’élevait an-dessus de l’autre. Car celui qui a commencé l’outrage est lui seul cause de la perte des deux yeux, c’est-à-dire, de celui de son frère et du sien propre, ce qui doit l’exposer justement à la haine et à l’exécration du monde. Celui au contraire qui a souffert la violence, lors même qu’il en tire une vengeance proportionnée à l’injure qu’on lui a faite, ne passera point pour cruel, ni pour avoir fait aucun mal. C’est pourquoi il trouve beaucoup d’hommes pour compatir à sa douleur parce qu’il est innocent, même après s’être vengé de la sorte. Le mal est égal pour tous deux ; mais la gloire n’est pas égale ni devant Dieu ni devant les hommes ; ce qui fait une grande inégalité dans l’égalité du mal qu’ils souffrent. 2. Jésus-Christ s’était contenté de dire d’abord : « Celui qui se met en colère sans sujet contre son frère ; et qui l’appelle fou, méritera d être condamné au feu de l’enfer ; » mais il exige ici de nous une plus grande vertu, ordonnant à celui qui a été outragé, non seulement de conserver la paix et la douceur, mais de témoigner même du respect à celui qui le frappe et de lui présenter l’autre joue. Il nous prescrit cette loi de patience, non seulement dans l’offense particulière qu’il nous marque, mais généralement dans toutes sortes d’injures. De même, en effet, qu’en disant : « Celui qui appelle son frère, fou, mérite d’être condamné au feu de l’enfer », il ne restreint pas cette vérité à cette injure particulière, mais qu’il l’étend à toutes les autres ; de même lorsqu’il nous commande de souffrir généreusement un soufflet, il nous ordonne en même temps de ne nous point troubler dans tous les autres outrages qu’on nous pourrait faire. C’est pourquoi il choisit cette injure comme la plus offensante, et il marque particulièrement l’outrage d’un soufflet, parce que c’est le dernier mépris qu’on puisse témoigner à un homme. Ce commandement il le donne dans l’intérêt de celui qui est frappé, non moins qu’en faveur de celui qui frappe. En effet, formé par ces saintes instructions du Sauveur, celui qui sera frappé ne se croira point offensé, et il se regardera plutôt comme un homme qui reçoit un coup dans le combat, que comme une personne qu’on outrage. Et de son côté l’offenseur, rougissant de honte en voyant la patience de l’autre, bien loin de redoubler le coup, ce qu’il ne fera pas quand il serait plus cruel qu’une bête farouche, aura une douleur extrême du premier qu’il aura donné. Car rien ne calme tant les hommes violents que la patience de ceux qu’ils outragent. non seulement cette douceur arrête le cours des violences, mais encore elle produit le repentir des injures déjà faites ; à sa vue, les plus malintentionnés se retirent saisis d’admiration, et souvent ils deviennent amis sincères et dévoués d’ennemis déclarés qu’ils étaient. Il arrive tout le contraire lorsqu’on se venge. On se couvre de confusion l’un l’autre, on devient pire qu’on n’était ; on ne fait que s’irriter encore davantage de part et d’autre, et souvent on se porte jusqu’aux dernières extrémités et jusqu’à tuer son ennemi. C’est pourquoi non seulement Jésus-Christ défend à celui qui a reçu le coup, de se mettre en colère, mais il lui commande même d’être prêt à souffrir toute la violence de celui qui le frappe, pour lui témoigner qu’il n’a aucun ressentiment du premier outrage qu’il a reçu, En agissant de la sorte vous blesserez plus sensiblement celui qui vous offense, quelque insensible qu’il puisse être, que si vous le perciez de coups, et les plus impudents seront forcés de rougir, et de vous traiter avec respect. « Si quelqu’un vous veut faire une querelle pour vous prendre votre robe, laissez-lui encore emporter votre manteau (40). » Jésus-Christ veut que nous montrions cette patience, non seulement dans les outrages, mais encore dans les pertes d’argent c’est le sens propre de l’expression figurée dont il se sert. De même que tout à l’heure il commandait de surmonter l’injure en la souffrant ; il veut de même ici que celui que l’on dépouille, donne plus même qu’on ne veut lui ôter. Il ne dit pas simplement : Donnez votre vêtement à celui qui le demande ; mais, donnez-le à celui qui veut disputer contre vous, c’est-à-dire, s’il veut vous faire une affaire, et vous appeler en jugement. Et comme, après avoir défendu de se fâcher sans sujet contre son frère et de l’appeler fou, il va plus loin et commande de tendre la joue droite, de même en cet endroit, après avoir dit : « accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire », il enchérit encore et nous conseille non seulement de céder ce qu’on veut nous ravir, mais de donner même plus qu’on ne voulait nous prendre. Mais vous me direz peut-être : Abandonnerai-je donc ma robe, et irai-je tout nu par la ville ? Nous ne serions jamais nus, si nous étions fidèles à ces règles, et nous serions plus richement parés, que ne peuvent l’être les mieux pourvus de vêtements. Premièrement, il ne se trouverait personne qui voulût nous offenser, si nous étions dans cette disposition. Et quand il se trouverait quelqu’un d’assez barbare et d’assez brutal pour nous traiter de la sorte, nous en trouverions une infinité d’autres, qui admirant notre vertu, nous couvriraient non seulement de leurs habits, mais de leurs corps même, s’il était possible. Que si enfin vous étiez réduit à être nu pour avoir accompli ce précepte, cette nudité vous serait glorieuse, et n’aurait rien qui vous fit rougir, puisqu’Adam était nu dans le paradis, et qu’il n’en rougissait pas. Isaïe allait nu et déchaux parmi les Juifs (Isa 20,3), et nul d’entre eux n’était aussi glorieusement paré de ses habits, que ce prophète l’était de sa nudité. Jamais Joseph ne fut plus glorieux, que lorsque sa chasteté le rendit nu, en le dépouillant de son manteau. 3. Ce n est pas un mal que d’être dans cette nudité, et dans cette pauvreté : mais c’en est un et un bien honteux, que d’être vêtu de ces habits d’aujourd’hui, si somptueux et si magnifiques. C’est pourquoi Dieu souvent a loué ce premier état ; et il blâme au contraire cette magnificence et par ses prophètes et par ses apôtres. Ne regardons donc pas comme impossibles les commandements de Dieu, qui au contraire nous paraîtront aussi faciles qu’utiles si nous veillons sur nous-mêmes. Ils sont très-avantageux, non seulement à nous qui souffrons, mais à ceux-mêmes qui nous font souffrir. Qui n’en admirera la sublimité et l’excellence, puisqu’en nous commandant une si parfaite patience, ils font cesser la violence des injustes, et leur inspirent même l’amour de la vertu et de la sagesse ? Car lorsque celui qui vous vole croit que c’est un grand bonheur de pouvoir enlever le bien des autres, et que vous lui témoignez au contraire que vous êtes très disposé à lui donner même ce qu’il ne vous demande pas, que vous opposez votre générosité à sa bassesse, et votre libéralité à son avarice ; combien est grande l’instruction que vous lui donnez, puisque vous lui apprenez, non par vos paroles, mais par vos actions, à mépriser le vice, et à désirer la vertu ! Dieu veut que nous soyons utiles non seulement à nous-mêmes, mais à tous nos frères. Si vous ne donnez que ce qu’on vous dispute, pour éviter un procès, vous ne recherchez en cela que votre utilité particulière ; mais si vous y ajoutez ce qu’on ne vous demande pas, vous convertirez votre frère, vous le rendrez meilleur. Jésus-Christ compare ses disciples au sel. Le sel se conserve lui-même, et il conserve encore toutes les choses auxquelles on le mêle. Ainsi l’œil s’éclaire lui-même, et il éclaire aussi le reste du corps. Puisque telle est la fonction que Jésus-Christ vous donne, assistez votre frère qui est assis dans les ténèbres. Agissez avec lui, comme s’il ne vous avait fait aucun tort ; persuadez-lui qu’il ne vous a pas même lésé. Ainsi il admirera votre vertu, et il semblera que vous lui aurez plutôt donné ce qu’il vous avait ravi, qu’il ne vous l’a pris. Faites de son péché l’honneur de votre générosité. Et si vous croyez que ce que je vous dis soit trop élevé, écoutez la suite. Vous trouverez, que quand vous feriez ce que je vous dis, vous ne seriez pas encore parfait. Car Jésus-Christ ne termine pas là la patience qu’il exige de vous ; mais il l’étend encore plus loin. « Si quelqu’un veut vous contraindre à faire « mille pas avec lui, faites-en encore deux mille autres (41). » Voilà, mes frères, le comble de la perfection. Après avoir donné votre robe et votre manteau, dit Jésus-Christ, si votre ennemi veut encore que dans cette nudité de votre corps vous le serviez et vous souffriez quelque peine et quelque travail, ne vous y opposez pas. Il veut que tout soit commun parmi nous, non seulement nos biens, mais notre corps, et que nous en fassions également part, et aux pauvres, et à nos ennemis, parce que le premier est l’effet de la charité ; et le second, de la générosité. C’est pourquoi il dit : « Si quelqu’un veut vous contraindre à faire mille pas avec lui, faites-en encore deux mille autres. » Il vous élève encore plus haut, et il veut que vous soyez généreux dans cette occasion comme dans l’autre. Car si ce qu’il ordonne d’abord, quoique beaucoup inférieur à ces dernières ordonnances, ne laisse pas d’avoir ces grandes béatitudes pour récompense, que doivent attendre ceux qui auront pratiqué ces préceptes si sublimes, et qui dès ici-bas dans un corps mortel et passible auront paru comme spirituels et impassibles ? Car puisque ni les affronts, ni les plaies, ni la perte des biens ne les touchent point, puisque tous les maux semblables ne les peuvent vaincre, et que plus ils souffrent, plus ils deviennent patients et généreux, quelle doit être la perfection et la pureté de leur âme ? C’est pourquoi Jésus-Christ commande en cet endroit la même chose pour le travail du corps, qu’il a commandé auparavant pour souffrir la violence, et la perte de nos biens. Comme s’il disait : ce n’est pas assez de souffrir qu’on vous vole, et qu’on vous outrage ; mais si de plus on veut abuser de votre peine en vous faisant marcher loin, et en vous imposant un grand travail, embrassez-le de bon cœur, et mettez-vous au-dessus de cette injustice par votre vertu, et votre courage. « Si quelqu’un veut vous contraindre », c’est-à-dire : s’il vous entraîne par force, sans avoir raison, et par une pure violence, ne vous impatientez pas néanmoins, et soyez prêt à souffrir encore plus de mal, qu’il ne sera disposé à vous en faire. « Donnez à celui qui vous demande, et ne rejetez point celui qui veut emprunter de vous (42). » Ce commandement n’est pas si grand ni si difficile que celui qui précède. Mais ne vous en étonnez pas. Le Seigneur agit ainsi d’ordinaire, il mêle ses grands préceptes avec les petits. Que si ceux-ci paraissent légers en comparaison des autres, que diront ceux qui volent le bien de leurs frères, et donnent le leur à des femmes prostituées : qui s’allument ainsi un double feu par ces injustes richesses qu’ils amassent, et par ces honteuses profusions qu’ils en font ? Cet emprunt dont parle Jésus-Christ, ne doit pas s’entendre de ces sortes d’emprunts dont on tire usure ; mais du simple argent qu’on prête sans intérêt. Et il va plus loin ailleurs, lorsqu’il nous commande de donner à ceux de qui nous n’espérons rien recevoir. « Vous avez appris qu’il a été dit : Vous aimerez votre prochain, et vous haïrez votre « ennemi (43). Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent ; faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous calomnient, et qui vous persécutent (44). » « Afin que vous soyez enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes (45). » Remarquez comment il réserve pour la fin le couronnement de tous les biens. C’est pour cela qu’il commande non seulement de souffrir le soufflet qu’on nous donne, mais de tendre même l’autre joue, et de ne pas donner seulement notre manteau avec notre robe, mais de faire encore deux mille pas avec celui qui n’en demande que mille, afin de nous disposer à embrasser de tout notre cœur les commandements encore plus relevés. Mais que peut-on ajouter, direz-vous, à ce qu’il vient de commander ? C’est de ne pas regarder comme votre ennemi celui qui vous traite si mal, mais d’en avoir une idée toute contraire. Car le Seigneur ne dit pas : Ne baissez point ; mais, « Aimez. » Il ne dit point : Ne leur faites point de mal, mais, « Faites-leur du bien. » Il va même plus loin. Il ne commande pas un amour qui soit commun et ordinaire ; mais qui aille jusqu’à « prier pour eux. » 4. Considérez par combien de degrés il nous ait passer pour monter à la plus haute perfection. Je vous prie de les compter. Le premier c’est de n’être point le premier à faire du mal. Le deuxième, lorsqu’on nous en a fait, de n’en point tirer une vengeance, égale. Le troisième, de ne point rendre la pareille à l’offenseur, mais de ne rien faire. Le quatrième, de s’offrir volontairement à l’injure. Le cinquième, de vouloir souffrir plus qu’on ne nous veut faire endurer. Le sixième, de ne point haïr celui qui nous maltraite. Le septième, d’avoir même de l’affection pour lui. Le huitième, de lui faire du bien. Et le neuvième enfin, de prier Dieu pour lui. Voilà le comble de la vertu chrétienne. C’est pourquoi Jésus-Christ y attache cette haute récompense. Comme ce commandement était relevé, et qu’il avait besoin d’une âme généreuse, et d’un grand travail le Sauveur y joint aussi une récompense, qu’il n’a promise à aucune de toutes ces autres vertus. Il ne promet point une terre comme à ceux qui sont doux, ni des consolations comme à ceux qui pleurent, ni la miséricorde comme à ceux qui seront miséricordieux ; ni le royaume même du ciel ; mais ce qui est plus étonnant, il promet que nous deviendrons semblables à Dieu, autant que des hommes le peuvent être : « Afin », dit-il, « que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. » Et remarquez que ni ici, ni dans ce qui précède, il ne nomme point Dieu son Père, mais qu’il l’appelle ou un grand Roi, comme lorsqu’il parle des jurements ; ou le Père de ceux à qui il parle, comme en cet endroit. Il voulait réserver cela à un autre temps plus favorable. Il ajoute ensuite : « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » Comme s’il disait : Il est si éloigné de haïr ceux qui le méprisent, qu’il leur fait même du bien. Et cependant cette comparaison n’est pas égale, non seulement à cause de l’excellence des biens que Dieu fait aux hommes, mais encore à cause de son infinie grandeur. Celui qui vous méprise est un homme semblable à vous ; mais celui qui offense Dieu est son esclave, et un esclave qui en avait reçu mille biens. Vous ne lui donnez que des paroles, lorsque vous priez pour lui ; mais Dieu lui donne des biens réels et admirables, en faisant lever son soleil sur lui, et en lui procurant des pluies durant tout le cours de l’année. Cependant une laisse pas de vous donner la gloire d’être égal à Dieu, autant qu’un homme peut l’être. Ne haïssez donc plus celui qui vous a fait tort, puisqu’il vous procure un si grand bien, et qu’il vous élève à une si haute gloire. Ne lancez donc point d’imprécations contre celui qui vous outrage, puisqu’alors vous ne laisseriez pas de souffrir le mal qu’il vous fait, et que vous en perdriez tout le fruit. Vous endureriez une peine ; et vous n’en auriez point de récompense. Ce serait le dernier aveuglement, qu’après avoir souffert les plus grands maux, on ne pût souffrir les plus légers. Mais comment, direz-vous, puis-je pardonner ainsi à ceux qui m’offensent ? Quoi ! lorsque vous voyez un Dieu qui se fait homme, qui s’abaisse et qui souffre si épouvantablement pour vous ; vous hésitez encore, et vous demandez comment vous pouvez remettre à vos frères les injures qu’ils vous font ? Ne l’entendez-vous pas crier du haut de sa croix : « Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. »(Luc 23,34) N’entendez-vous pas saint Paul qui dit : « Jésus-Christ est ressuscité, et est monté au ciel, et est assis à la droite de Dieu, où il intercède pour nous ? » (Rom 8,34) Ne savez-vous pas qu’après sa mort et après sa résurrection il envoya aux Juifs qui l’avaient tué, ses apôtres pour les combler de biens, quoique ces mêmes juifs dussent leur faire souffrir mille maux ? Mais vous dites qu’on vous a cruellement offensé. L’avez-vous été autant que votre Seigneur ? Avez-vous été comme lui chargé de chaînes, battu de verges, outragé de soufflets, couvert de crachats par les derniers de tous les hommes, condamné à la mort, et à la mort la plus cruelle et par des personnes qui vous avaient des obligations infinies ? Si votre frère vous a beaucoup offensé, efforcez-vous de lui faire plus de bien, afin de rendre votre couronne plus illustre, et de délivrer votre frère du profond assoupissement où vous le voyez. Plus les frénétiques frappent les médecins, et plus ceux-ci les plaignent, plus ils s’appliquent à les guérir parce qu’ils savent que cet outrage n’est qu’un effet de la violence de la maladie. Imitez cette conduite à l’égard de vos ennemis, et traitez ainsi ceux qui vous outragent. Ces personnes sont vraiment malades. Elles souffrent une véritable violence. Délivrez-les donc de cette langueur mortelle. Aidez-les à vaincre leur passion, et à chasser d’eux ce démon cruel de la colère et de la fureur. Nous pleurons sur les possédés lorsqu’ils se présentent à nous ; et non seulement nous ne tâchons pas, mais nous appréhendons extrêmement d’être possédés comme eux. Agissons de même à l’égard de ceux qui sont transportés de fureur. Le démon les possède comme ceux qu’on appelle proprement possédés, et d’autant plus malheureusement, qu’ils sont furieux sans avoir perdu l’esprit. Ainsi leur folie est d’autant plus inexcusable qu’elle est volontaire. N’insultez donc point à ces malades, mais ayez compassion d’eux. 5. Quand nous voyons une personne tourmentée de la bile, et qui témoigne par le soulèvement de son estomac, qu’elle veut rejeter quelque humeur maligne ; nous lui tendons la main pour la soutenir, nous n’appréhendons point que nos habits soient gâtés, et nous ne pensons qu’à la secourir. Traitons ainsi ces autres malades ; supportons-les pendant qu’ils jettent tout leur feu, et toute leur mauvaise humeur ; et ne les quittons point qu’ils ne s’en soient, entièrement déchargés. Ce sera alors qu’ils comprendront l’obligation qu’ils vous ont, et qu’ils reconnaîtront de quelle maladie vous les aurez délivrés. Que dis-je, qu’ils reconnaîtront l’obligation qu’ils vous auront ? Dieu même vous récompensera d’une couronne de gloire, et vous comblera de biens, parce que vous aurez sauvé votre frère d’une maladie si dangereuse. Cet homme vous re gardera toute sa vie comme son maître ; et il aura un profond respect pour votre modération et votre douceur. Ne voyez-vous pas tous les jours que les femmes qui sont dans les douleurs de l’enfantement, mordent et déchirent celles qui les assistent, sans que celles-ci le sentent ; ou plu tôt elles le sentent, mais elles le supportent avec courage dans la compassion qu’elles ont des douleurs excessives que souffrent ces femmes en cet état. Imitez au moins ces personnes, et ne soyez pas plus délicat que des femmes. Quand ceux qui vous outragent, et qui sont en effet plus pusillanimes que les femmes, auront jeté dehors, et comme enfanté cette fureur qu’ils avaient conçue, ils admireront votre courage, et ils reconnaîtront que vous êtes véritablement homme. Que si ce que je vous dis vous paraît pénible, souvenez-vous que Jésus-Christ s’est fait homme pour vous imprimer cette modération dans le cœur, et pour nous mettre en état d’être également utiles à nos amis et à nos ennemis. C’est pourquoi il nous commande d’avoir soin des uns et des autres : de nos amis et de nos frères, lorsqu’il nous commande de quitter l’offrande à l’autel pour aller nous réconcilier avec eux, et de nos ennemis, lorsqu’il nous ordonne de le aimer et de prier pour eux. Il ne nous y exhorte pas seulement par l’exemple de Dieu, mais encore par un autre tout contraire. « Car si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les publicains ne le font-ils pas aussi(46) ? » Saint Paul dit la même chose : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’à répandre le sang en combattant contre le péché. » (Hébr, 12,4) Si donc vous faites ce que je dis, vous demeurerez uni à Dieu, mais si vous le négligez, vous serez au rang des publicains. Que si la grandeur de ce précepte vous étonne, jetez les yeux sur la différence qu’il y a entre inciter Dieu ou les publicains. Ne considérez pas seulement la difficulté du commandement, mais pesez-en aussi la récompense. Voyez à qui nous nous rendons semblables en l’accomplissant ; et à qui nous le serons en le violant. Lorsqu’il s’agit de nos frères, Jésus-Christ veut que nous nous réconciliions avec eux, et que nous ne les quittions point que nous ne soyons rentrés en grâce ; mais pour les autres hommes, il ne nous impose plus cette nécessité, il se contente que nous leur rendions seulement ce que nous leur devons, et il rend ainsi sa loi légère. Comme il avait dit à ses disciples en leur parlant des Juifs : « C’est ainsi qu’avant vous ils ont persécuté les prophètes (Mat 5,12) », de peur qu’ils ne prissent de là occasion de les haïr, il leur commande aussi non seulement de les supporter en cet état, mais encore de les aimer. Il arrache, comme vous voyez, jusqu’aux moindres racines de la colère, des désirs sensuels, de l’avarice, de la vanité, et de tous les soins de cette vie. C’est ce qu’il fait dès le commencement de ce sermon, mais surtout à l’endroit où nous sommes arrivés. En effet, celui qui est pauvre d’esprit, qui est doux, et qui pleure, bannit de lui la colère ; celui qui est juste et miséricordieux, chasse l’avarice ; celui qui a le cœur pur, s’éloigne de toute impureté ; et celui qui souffre les persécutions, les outrages et les calomnies, se met en état de mépriser toutes les choses de la terre ; et de se purifier du faste de la vanité du monde. Mais après avoir dégagé de ces liens les mes de ses auditeurs, et les avoir comme frottées d’huile pour le combat, il s’applique encore à déraciner ces vices avec plus de soin qu’auparavant. Il commence par la colère. Il la détruit entièrement en disant : « Que celui qui se fâchera contre son frère sans sujet, »et qui lui dira « Raca », ou qui l’appellera « fou », sera puni. Que celui qui veut offrir son présent n’approchera point de l’autel avant qu’il se soit réconcilié avec son frère, et que celui qui a un ennemi, tâchera de se le rendre ami avant que d’entrer en jugement. Il passe ensuite à l’impureté. Il dit : Que celui qui regarde une personne avec un œil impudique, sera puni comme un adultère : Que celui à qui la compagnie d’une femme, ou d’un homme, ou d’un de ses intimes amis, peut être une occasion de chute et de scandale, doit les éloigner et se retrancher de lui : Que celui qui est lié à une femme par le mariage ne la quittera point pour en épouser une autre. Et c’est ainsi qu’il coupe la racine de l’impureté. Il attaque ensuite l’avarice en défendant de jurer ou de mentir, ou de plaider contre celui qui emporte notre robe, en nous commandant de lui laisser notre manteau, de donner même les assistances corporelles qu’on exige de nous, et par là il enseigne admirablement à étouffer l’amour des richesses. Enfin il ajoute, comme pour le couronnement de tous ces différents préceptes : « Priez pour ceux qui vous calomnient. » C’est ainsi qu’il élève ses disciples à la plus haute perfection. Car s’il est évident qu’être doux est moins que de se laisser maltraiter ; qu’être miséricordieux, est moins que de donner son manteau à celui qui nous ôte notre robe ; qu’être juste, est moins que de souffrir l’injustice ; qu’être pacifique, est moins que de faire volontairement plus qu’on n’exige de nous, ou de tendre la joue droite quand on nous frappe sur la gauche, c’est de même beaucoup moins d’être persécuté, que de bénir ceux qui nous persécutent. 6. C’est de cette manière qu’il nous élève peu à peu jusqu’au plus haut des cieux. Après cela de quels supplices ne serons-nous pas dignes, si tandis qu’on nous commande de nous rendre semblables à Dieu, nous ne faisons pas même ce que font les païens et les gentils ? Si les publicains, les païens et les pécheurs aiment ceux qui les aiment : que deviendrons-nous nous autres, si nous n’aimons pas nos propres frères, et si nous témoignons ce, manquement de charité, par l’envie que nous causent les louanges et l’estime dont ils sont l’objet ? A quels supplices ne serons-nous pas condamnés, si lorsque Jésus-Christ nous commande d’être plus justes que les pharisiens, nous sommes moins vertueux que les païens même ? Comment oserons-nous approcher de l’entrée du ciel, et de ces portes sacrées si nous ne sommes pas meilleurs que les publicains ? Car Jésus-Christ le donne à entendre lorsqu’il dit : « Et si vous n’aimez que vos frères, que ferez-vous en cela de particulier ? Les païens ne le font ils pas aussi (47) ? » Mais une des choses qui doit nous faire le plus admirer la manière dont Jésus-Christ instruit les hommes, c’est qu’il propose les récompenses avec une sorte de prodigalité, comme de voir Dieu, d’avoir part au royaume des cieux, de devenir enfants de Dieu, et semblables à lui ; d’avoir part à ses miséricordes et à ses consolations divines, et de jouir d’une couronne immortelle, tandis qu’au contraire, s’il est obligé de faire quelque menace, il ne le fait que comme en passant. Car il ne parle qu’une seule fois ici du feu de l’enfer, et il fait la même chose ailleurs, ayant plus pour but de toucher ses auditeurs par la honte que par des menaces, comme lorsqu’il dit : « Les publicains ne font-ils pas la même chose ? » Et : « Si le sel devient fade, », etc ; et : « Celui-là sera appelé le dernier dans le « royaume des cieux. » Il y a même des endroits, où au lieu de punition, il ne marque que le péché même où l’on tombe, afin de laisser juger à l’auditeur de la sévérité du châtiment. Comme lorsqu’il dit : « Il a déjà commis l’adultère dans son cœur. » Et : « Celui qui quitte sa femme la rend adultère. » Et : « Ce qui est de plus, vient du mauvais. » Car il ne faut point marquer d’autre punition à des personnes raisonnables pour les éloigner de quelque péché, que de leur en montrer la grandeur. C’est pour ce sujet qu’il apporte ici l’exemple des publicains et des gentils, afin que cette comparaison fasse plus d’impression sur ses disciples. Saint Paul a imité cette conduite, lorsqu’il a dit : « Ne vous affligez point comme les autres qui n’ont point d’espérance (1Th 4,12) » et « comme les gentils qui ne connaissent point Dieu. » (Id. 5) Et pour leur montrer qu’il ne leur demande rien de fort grand, mais seulement d’un peu au-dessus de la pratique ordinaire, il leur dit : « Les païens n’en font-ils pas autant ? » Mais il ne s’arrête pas là, et c’est par les récompenses qu’il conclut, c’est sur les bonnes espérances qu’il laisse ses auditeurs : « Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait (48). » Il nomme le ciel presque partout pour accoutumer ses disciples à des pensées plus hautes et plus sublimes ; Car ils étaient encore faibles et dans des sentiments humains et charnels. Repassons, mes frères, dans notre esprit toutes ces instructions si saintes, et témoignons à l’avenir un grand amour pour nos ennemis. Rejetons cette coutume ridicule de quelques personnes déraisonnables, qui attendent que ceux qu’ils rencontrent les saluent les premiers, négligeant ainsi ce qui les rendrait heureux selon la parole de Jésus-Christ, et affectant ce qui les rend ridicules. Car pourquoi ne saluez-vous pas le premier celui que vous rencontrez ? C’est, dites-vous, parce qu’il attend que je le prévienne. N’est-ce pas pour cela même que vous devez vous hâter, afin qu’en le prévenant vous receviez la récompense que Jésus-Christ a promise ? Je ne le ferai pas, dites-vous, parce qu’il veut exiger cela de moi. Qu’y a-t-il de plus extravagant que cette pensée ? Parce qu’il m’offre une occasion d’être récompensé de Dieu, je ne veux pas m’en servir. Car s’il vous salue le premier, vous ne gagnerez plus rien en le saluant. Mais si vous le prévenez, la vanité est votre profit, et son orgueil sera votre couronne. N’est-ce pas un étrange aveuglement de pouvoir gagner beaucoup par peu de paroles, et de vous priver volontairement de cet avantage ? Mais de plus vous tombez dans le même vice que vous reprenez dans votre frère. Car si vous le blâmez de ce qu’il attend que vous le saluiez le premier, pourquoi imitez-vous ce que vous condamnez en lui ? Pourquoi affectez-vous de faire comme un bien, ce que vous reprenez en lui comme un mal ? Voyez-vous par là qu’il n’y a rien de plus ennemi de la raison, que celui qui n’est pas ami de Dieu ? C’est pourquoi je vous conjure, mes frères, de fuir une coutume si dangereuse et si peu raisonnable. Cette maladie d’esprit a séparé une infinité d’amis, et fait une infinité d’ennemis. Prévenons donc les hommes, et aimons à les saluer toujours les premiers. Car si Jésus-Christ nous commande de nous tenir prêts à souffrir les soufflets, à laisser prendre notre robe, et à suivre nos ennemis lorsqu’ils nous contraignent de marcher bien loin, qui pourra nous excuser si nous faisons preuve d’un orgueil si opiniâtre, lorsqu’il ne s’agit que de saluer et de dire un mot ? Vous me direz peut-être : Mais si je lui rends cette déférence, les autres me mépriseront et me railleront. Quoi donc ! de peur d’être méprisé par un extravagant, vous ne craindrez pas d’offenser Dieu ? Et pour empêcher qu’un autre homme comme vous ne vous raille, vous foulerez aux pieds la loi de Celui qui vous a tant fait de grâces ? Si c’est un mal qu’un homme vous méprise, quelle indignité sera-ce que vous désobéissiez à Dieu même qui vous a créé ? Mais de plus, si vous souffrez quelque mépris, c’est pour vous un sujet de récompense. Car vous le souffrez pour Dieu et pour avoir obéi à sa loi. Qu’y a-t-il de plus glorieux que cette souffrance et où trouvera-t-on une couronne qui l’égale ? Qui me rendra assez heureux que d’être méprisé pour Dieu, plutôt que d’être honoré de tous les rois de la terre ? Je ne vois rien de si illustre, ni de si glorieux que ce mépris. Suivons donc cet esprit, puisque Dieu nous l’ordonne et regardons comme un néant toute la gloire des hommes. Aspirons à cette haute sagesse et réglons par elle toute la suite de notre vie. Ce sera ainsi que nous jouirons par avance des biens du ciel et de la gloire qui nous est promise en vivant dès ici-bas comme des anges qui conversent avec les hommes et en nous tenant au-dessus de tous les désirs terrestres, de tout le trouble des passions, comme ces puissances célestes et spirituelles, et que nous recevrons ensuite ces biens ineffables de l’autre vie, que je vous souhaite à tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient toute gloire, tout empire et toute adoration avec son Père éternel et saint principe, et avec le Saint-Esprit, la source et le principe de toute bonté, maintenant et à jamais, et dans tous les siècles des siècles, Ainsi soit-il.