‏ Philippians 2

HOMÉLIE V.

SI DONC IL Y A QUELQUE CONSOLATION EN JÉSUS-CHRIST, S’IL Y A QUELQUE CONSOLATION DANS LA CHARITÉ ; SI L’UNION DES ESPRITS ET DES CŒURS, SI LA TENDRESSE, SI LA MISÉRICORDE A CHEZ VOUS QUELQUE EMPIRE, RENDEZ MA JOIE PARFAITE, EN VOUS TENANT PLUS UNIS ENCORE DE PENSÉE, D’ÂME, DE SENTIMENTS. (CHAP. 2,1-4)

Analyse.

  • 1. Il les invite à l’unité de cœur, au nom des motifs les plus sacrés de la religion. — Il les détourne de l’orgueil par d’instantes prières ; éloge de l’humilité.
  • 2 et 3. L’orgueil, passion ridicule et injuste devant Dieu. — Exemples d’humilité dans Joseph, Daniel et les saints apôtres.

1. On n’est pas meilleur, on n’est pas plus tendre que ce Docteur spirituel ; aucun père selon la nature ne montre une plus grande affection. Remarquez plutôt quelle prière notre bienheureux adresse aux Philippiens pour leurs plus chers intérêts. Car il les exhorte à la concorde, source de tous les biens, et que ne dit-il pas ? Qu’il est abondant ! qu’il est véhément ! qu’il est tendre et sympathique ! Reprenons ses paroles : « S’il y a quelque consolation en Jésus-Christ », oui, si vous avez en lui quelque consolation ; c’est comme s’il disait : Si vous avez pour moi quelque égard, si vous me portez quelque amitié, si je vous ai rendu quelque service, faites ce que je demande. — Cette figure de langage nous est familière, quand nous voulons obtenir une faveur à laquelle nous attachons le plus haut prix. Si cette faveur n’avait pour nous une valeur incomparable, nous ne voudrions pas la recevoir seule en retour de tout ce qui nous est dû, nous ne dirions pas qu’à elle seule elle représente tout le reste. Toutefois, de notre côté, ce sont toujours des bienfaits temporels que nous alléguons : un père dira par exemple à son fils : Si tu as quelque respect pour ton père, s’il te souvient encore de ton éducation si coûteuse, si tu me gardes quelque amour, si tu as mémoire encore de l’honneur du nom que je t’ai légué et du bon vouloir que je t’ai montré, ne sois pas l’ennemi de ton frère ; en un mot, pour tous ces bienfaits je te demande ce seul acte de reconnaissance. Du côté de Paul, la prière est bien différente ; il ne leur rappelle aucun motif charnel, mais tous motifs spirituels. Voici, en effet, ce qu’il dit : Si vous voulez me donner quelque consolation dans mes épreuves, et quelque rafraîchissement en Jésus-Christ ; si vous voulez me témoigner en quelque chose votre charité, et l’union intime, l’union et la communauté d’âme avec moi ; si vous avez des entrailles et quelque sentiment de miséricorde, mettez le comble à ma joie.

« Si vous avez des entrailles de miséricorde ». La miséricorde envers Paul, c’est d’après lui-même la concorde entre ses disciples ; montrant que sans cette concorde parfaite, les dangers sont extrêmes. Si donc, continue-t-il, je dois attendre de vous quelque consolation ; si j’ai droit à quelque preuve touchante de votre affection ; si je puis prétendre à une communauté d’âme avec vous ; si, dans le Seigneur, nous ne faisons qu’un ; si vous me devez quelque miséricorde et quelque compassion, montrez, par votre charité mutuelle, comment vous payez toutes vos dettes ; car j’ai tout retrouvé, si vous vous aimez les uns les autres.

« Comblez ma joie ». Voyez comme, tout en les pressant, il se garde de faire croire que ses chers disciples aient abandonné le devoir. Il ne dit pas : « Faites », il dit : « Comblez ma joie » ; c’est-à-dire, vous avez commencé à semer les bienfaits sur moi ; vous m’avez donné de quoi vivre en paix, mais j’aime à vous voir pousser jusqu’au bout. — Que désirez-vous donc, ô apôtre ? Faut-il vous délivrer de vos chaînes ? Faut-il vous envoyer encore quelque aumône ? — Je ne demande rien de pareil, répond-il : mais seulement que « vous ayez un seul esprit, ayant cette même charité », dans laquelle vous avez débuté ; « n’ayez qu’une âme, qu’une pensée ». Dieu ! comme sa tendresse extrême toujours réclame la même vertu ! Oui, « que vous ayez les mêmes pensées », disait-il d’abord ; mais plutôt, ajoute-t-il, « une seule pensée » ; car les paroles qui suivent vont jusque-là : « Pensant une seule et même chose », c’est son expression, plus forte encore que « pensant la même chose ». « Ayez une seule et même charité », c’est-à-dire, ne l’ayez pas seulement dans la foi, ayez la en tout et toujours. Car nous pourrions avoir entre nous une même pensée, une même croyance et n’avoir pas la charité. « La même » charité, encore : c’est donner et rendre l’amour au même degré. Si vous jouissez, de la part d’autrui, d’une charité vraiment grande, gardez-vous de lui en témoigner une moindre, et par là de vous montrer avare. S’il est des gens de cette trempe, gardez-vous de leur ressembler.

« Soyez unanimes ». Une seule âme, semble-t-il dire, doit animer tous vos corps, non par une fusion de substance, puisque c’est impossible, mais par une communion de volontés et d’idées ; comme si une seule âme commandait tous vos mouvements. Qu’est-ce à dire encore, « unanimes ? » Il l’explique en ajoutant : N’ayez qu’une manière de sentir ; il voudrait que le sens et la pensée de tous ne fussent qu’un, comme produit d’une seule âme.

« Rien par esprit de contention ». Il nous fait cette prière et nous l’explique en ajoutant : Rien par un esprit de contention « et de vaine gloire », lequel, je vous le dis, est la cause de tous les maux ; de là, en effet, combats et discordes ; de là jalousies et luttes acharnées ; de là ce refroidissement de la charité, suite fatale et de notre ambition pour la gloire humaine, et de notre servilisme à l’égard de ceux qui la dispensent : l’homme asservi à cette gloire charnelle, ne sera jamais le vrai serviteur de Dieu. — Mais comment échapper à ce désir de vaine gloire ? Paul, vous n’en avez pas encore indiqué le moyen. Écoutez les paroles qui suivent : « Que chacun, par humilité, croie « les autres supérieurs à soi-même ». Dieu ! quelle maxime de haute sagesse et d’admirable utilité pour le salut vient-il de nous exposer ! Si vous admettez, dit-il, que tout homme, quel qu’il soit, est plus grand que vous ; si vous en êtes persuadés ; ou plutôt, si non contents de le dire, vous en avez la pleine conviction, volontiers vous lui rendez honneur, loin de vous indigner des honneurs qu’on lui rend. Au reste, ne le regardez pas seulement comme plus grand que vous ; voyez en lui « un supérieur », parole qui montre une grande prééminence, et dès lors, le voyant honoré, vous n’éprouverez ni tristesse, ni colère ; s’il vous outrage, vous patienterez généreusement, puisque vous reconnaissez sa grandeur ; s’il vous insulte, vous l’endurerez ; s’il vous maltraite, vous le supporterez en silence. Qu’une bonne fois votre âme soit pénétrée de la conviction qu’il est plus grand que vous : dès lors, il aura beau vous maltraiter, elle sera inaccessible à la colère, à la jalousie. Nul n’oserait envier le sort de ceux dont la supériorité est écrasante ; on subit tout, comme conséquence naturelle d’une supériorité avouée.

2. Telle est la grandeur d’âme que nous enseigne l’apôtre. Que si votre frère, à son tour, dit-il, objet de tant d’honneur de votre côté, revêt à votre égard les mêmes sentiments, songez quelle sûreté acquerra votre mutuelle bienveillance ainsi munie comme d’un double rempart. Tant que vous garderez, en effet, l’un pour l’autre, ce profond respect, tout incident fâcheux est impossible. Car s’il suffit, pour anéantir toute rivalité, que d’un seul côté déjà l’on rende à l’autre partie cet honneur, quand il est rendu de part et d’autre, qui pourra faire brèche à une si solide fortification ? L’assaut est impossible au démon lui-même ; l’enceinte est triple, quadruple, incomparablement fortifiée.

L’humilité, en effet, est la cause de tout bien, de toute vertu. Pour l’apprendre mieux encore, écoutez le prophète : « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’eusse offert, ô mon Dieu ; mais les holocaustes ne peuvent vous plaire. Le vrai sacrifice à Dieu, c’est un esprit pénitent : Dieu ne méprisera jamais un cœur contrit et humilié ». (Psa 51,19) Le prophète ne veut pas simplement l’humilité, il lui faut un degré avancé d’humilité : « Un brisement ». De même que dans un objet matériel une partie broyée ne peut lutter contre un corps solide, mais qu’elle se détruit à chaque coup qui lui est porté avant même de lui avoir rendu le choc, ainsi en est-il d’une âme vraiment humble : elle choisira les mauvais traitements et la mort même, plutôt que d’attaquer, plutôt que de se venger.

Ah ! jusqu’à quand respirerons-nous cet esprit d’orgueil si ridicule ? Quand nous voyons de pauvres enfants s’emporter ; s’enfler, jusqu’à s’armer de pierres, jusqu’à les lancer, le rire nous prend ; or tel est l’orgueil de l’homme, il vient de la puérilité et de la sottise. « Pourquoi la terre et la cendre s’élèvent-elles d’orgueil ? » (Sir 10,9) Tu conçois des pensées orgueilleuses, ô homme ! Pourquoi ? Dans quel intérêt, dis-moi ? D’où vient cette hauteur envers tes semblables ? N’es-tu donc plus de même nature qu’eux ? N’ont-ils pas une âme comme toi ? une âme qui a reçu de Dieu la même gloire ? — Tu es un sage ? je le veux ; alors tu dois être reconnaissant, et non enflé de vanité. C’est l’ingratitude au premier chef, que cette démence d’esprit ; et elle détruit et méconnaît la générosité du bienfaiteur. En s’élevant, on le fait pour s’attribuer le mérite de la bonne œuvre ; et en s’attribuant ce mérite, on prouve son ingratitude envers celui de qui on a reçu ce bienfait. As-tu quelque bien ? Rends-en grâces à l’auteur de tout bien. Écoute ici la parole et de Joseph et de Daniel.

Le premier sort de prison, par ordre du roi d’Égypte ; en présence de toute sa cour ce prince l’interroge sur un point où la sagesse égyptienne, malgré son habileté en ces sortes de question, était restée muette ; Joseph va se montrer bien supérieur en tout ; il va manifester une science qui efface astrologues, devins, thaumaturges, magiciens, et sages de toute sorte, bien qu’il ne soit qu’un enfant sorti à peine de prison et d’esclavage. La gloire n’est que plus grande, en pareille circonstance, puisque autre chose est qu’un homme illustre déjà brille une fois de plus, autre chose qu’un inconnu se révèle ; moins on soupçonnait la réponse qu’il allait faire, plus il en devait être admiré. Or, que dit Joseph présenté à Pharaon ? Répond-il : Oui ! je sais tout ! Tant s’en faut. Quoi donc ? sans influence de personne, uniquement inspiré par sa profonde reconnaissance, que dit-il enfin ? « N’est-ce pas à Dieu qu’appartient semblable interprétation ? » (Gen 40,8) Voyez comme il s’empresse de rendre gloire à Dieu, et comme Dieu aussitôt le glorifie lui-même, par une faveur qui doit compter dans l’appréciation de la vraie gloire. Car il est bien plus beau pour lui de recevoir le don d’interprétation par la révélation de Dieu, que d’y arriver par son effort personnel, outre que les paroles de Joseph lui gagnaient la confiance publique, et devenaient un témoignage irrécusable de sa familiarité avec Dieu. Or, aucun bien n’est comparable à cette divine familiarité. Car, dit saint Paul, « si l’homme est justifié par ses propres œuvres, il en a la gloire, mais non pas devant Dieu ». (Rom 4,2) Celui, en effet, qui a trouvé grâce devant Dieu, se glorifie aussi devant Dieu, parce qu’il est aimé de lui, puisque sa bonté a daigné se rapprocher d’une créature pécheresse. L’homme de ses œuvres, au contraire, trouve la gloire, mais non pas comme l’autre, la gloire devant Dieu preuve certaine de notre grande misère ! — Combien est plus admirable celui qui reçoit de Dieu la sagesse ! Il rend gloire à Dieu, il en reçoit la gloire en retour. « Car je glorifie », dit-il, « ceux qui me glorifient ».

Mais écoutons un des descendants de Joseph, un sage que personne n’a surpassé, puisqu’il est écrit : « Êtes-vous donc plus sage que Daniel ? » (Eze 28,3) Ce Daniel devait partager le sort de tous les sages qui avec lui étaient à Babylone : astrologues, devins, magiciens, faiseurs de prestiges ; toute l’école de sagesse était non seulement réprouvée, mais déjà exécutée : la peine capitale prononcée contre eux tous par le roi, prouvait assez qu’il se regardait comme trompé de longue date. Daniel donc se présente au roi, pour résoudre la question proposée ; loin de se donner à lui-même un regard complaisant, il commence par reporter à Dieu tout honneur : « Ce n’est pas dans la sagesse que je posséderais plus qu’aucun autre homme, que révélation m’a été faite, ô prince !… Alors le roi adora Daniel et dit : Qu’on fasse venir les victimes et les offrandes ! (Dan. 2, 30) Avez-vous compris tant d’humilité, cette reconnaissance, ce caractère ennemi de tout orgueil ?

Écoutez aussi le langage des apôtres, tantôt « Pourquoi nous regardez-vous », disent-ils, « comme si c’était par notre puissance ou notre piété que nous avons fait marcher cet homme ? » Tantôt : « Et nous aussi », s’écrient-ils, nous sommes des hommes mortels, semblables à vous ! » (Act 3,12 et 14, 14) Voilà comment ils répudiaient des honneurs spontanément offerts, ces hommes qui, grâce à leur humilité en Jésus-Christ, grâce à sa puissance, opéraient des prodiges plus grands que ceux de Jésus-Christ lui-même ; car « celui qui croit en moi », avait-il dit, « fera de plus grandes choses que moi-même je n’en fais » comment donc ne pas nous appeler des malheureux, des misérables, nous qui ne pourrions chasser je ne dis pas des démons, mais des moucherons, nous qui n’avons pas même le pouvoir d’obliger un de nos semblables, bien loin d’être les sauveurs du monde entier, et qui cependant portons si haut nos pensées, que le démon même n’atteindrait pas à notre orgueil ?

3. Rien de plus étranger à l’âme chrétienne que l’orgueil. Je dis l’orgueil, et non pas la franchise et le courage. Leur faux air de famille ne les empêche pas d’être essentiellement différents. Autre est l’humilité, autre le servilisme, l’adulation, l’esprit rampant. Voulez-vous de tout cela des exemples frappants ? Les contraires parfois sont étrangement rapprochés, comme l’ivraie du froment, comme la rose des épines ; un enfant s’y laisse tromper ; mais l’homme fait, celui qui est habile dans la culture spirituelle, saura distinguer le bien d’avec le mal. Et, tenez ; proposons à vos réflexions quelques exemples tirés des saintes Écritures mêmes.

Qu’est-ce que flatterie, servilisme, esprit rampant ? Siba profite d’un mauvais moment pour flatter David et accuser son maître ; Achitophel fait pis encore auprès d’Absalon. David ne leur ressemble pas, il est humble. Les trompeurs sont nécessairement flatteurs, comme ces mages de Babylone, qui s’écrient : « Vive le roi dans les siècles ! » Saint Paul, dans les Actes par exemple, discute avec les juifs, sans jamais les flatter, mais aussi sans oublier l’humilité. Il sait parler avec liberté : « Mes frères », dit-il, « je n’ai rien fait ni contre la nation, ni contre les coutumes de nos pères, et cependant j’ai été enchaîné à Jérusalem et livré à la justice ». (Act 28,17) Et pour mieux reconnaître ici le langage de l’humilité, écoutez comment il parle quand il veut les reprendre avec force : « C’est avec raison que l’Esprit-Saint a dit de vous : Vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez pas ; vous verrez de vos yeux, et vous n’apercevrez pas ». (Act 25,26) Reconnaissez-vous là le courage ?

Considérez encore avec quelle fermeté héroïque Jean-Baptiste traite le roi Hérode : « Il ne vous est pas permis d’avoir la femme de votre frère ». (Mrc 6,18) Voilà la confiance, voilà la force ! Ainsi ne parlait pas un Séméi : « Sors », criait-il à David, « sors, homme de sang ». (2Sa 16,7) Il parlait hardiment sans doute ; mais la hardiesse n’est pas le courage ; ici, c’était audace, outrage, excès de langue. De même quand Jésabel insultait Jéhu : Voilà, s’écriait-elle, l’assassin de son maître ! C’était audace et non pas franchise. Élie aussi, mais par franchise et fermeté, trouvait un vif reproche : « Ce n’est pas moi qui trouble le peuple ; c’est vous et la maison de votre père ! » (1Ro 18,18) Le même Élie traitait avec une égale fermeté tout le peuple réuni : « Pourquoi », disait-il, « boiter ainsi des deux jambes et entre deux partis ? » Frapper ainsi donnait la preuve d’un franc parler, d’un vrai courage.

Vous faut-il d’autres exemples à la fois d’humilité et de liberté ? Entendez cette phrase de Paul : « C’est le moindre souci que celui d’être jugé par vous ou par tout homme mortel ; je ne voudrais pas me juger moi-même, car bien que ma conscience ne me reproche rien, je ne suis pas pour cela justifié ». (1Co 4,3) Voilà les inspirations qui conviennent aux chrétiens. Ajoutez-y celle-ci : « Comment ! un d’entre vous, ayant une affaire litigieuse contre un de ses frères, ose se faire juger auprès des infidèles et non par-devant les saints ! » (Id) — Préférez-vous connaître à quelle basse flatterie se dégradent les juifs insensés ? Écoutez ce qu’ils disent : « Nous n’avons point d’autre roi que César ». (Jn 19,15) — Aimez-vous mieux connaître l’humilité ? Écoutez de nouveau les protestations de saint Paul. « Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, nous prêchons Jésus-Christ comme Seigneur, et nous comme vos serviteurs en Jésus-Christ ». (Id) — Voulez-vous voir, à l’égard du même homme, l’audace et la flatterie ? David subit l’audacieux langage de Nabal ; et bientôt la basse adulation des Ziphéens ; celui-là lui jetait des paroles de malédiction ; ceux-ci le trahissaient, au moins par leur volonté et leur complot. — Verrez-vous plus volontiers, non plus l’adulation, mais la sagesse en action ? Considérez David épargnant Saül qui était tombé dans ses mains. — Vous plaît-il de retrouver la vile flatterie ? Rappelez-vous les misérables qui assassinèrent Isboseth
Le manuscrit porte Miphiboseph, soit inadvertance de l’orateur, soit faute des copistes. (Note des Bénédictins)
, crime affreux pour lequel David les fit mourir. Enfin, pour abréger, définissons l’audace, comme aussi la franchise et la force. La première a lieu quand on s’irrite, quand un reproche violent se formule sans une cause grave et juste ; quand on se venge, quand de toute autre injuste manière on s’emporte : la seconde se trouve à braver les périls et la mort, à mépriser les amitiés ou les ressentiments quand il s’agit de la volonté de Dieu. L’adulation et le servilisme se reconnaissent à servir certaines personnes bien au-delà de leurs besoins et des convenances, par convoitise de quelque avantage temporel ; l’humilité se manifeste par les mêmes services, mais qu’on rend uniquement pour des motifs agréés de Dieu ; l’homme humble descendant ainsi de sa dignité, pour accomplir une œuvre grande, admirable et parfaite.

Heureux, si nous savons, si nous pratiquons ces maximes ! Les savoir, en effet, ce n’est pas assez : « Ce ne sont pas ceux qui entendent la loi », dit saint Paul, « mais bien ceux qui la pratiquent, qui seront justifiés ». (Rom 2,13) Bien plus la connaissance du précepte vous condamne, quand les œuvres manquent, et la pratique du devoir. Abordons la pratique aussi, afin de gagner la récompense, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.

HOMÉLIE VI.

QU’ON RECONNAISSE EN VOUS LES SENTIMENTS DE JÉSUS-CHRIST MÊME, QUI ÉTANT L’IMAGE DE DIEU… ET SON ÉGAL,… S’EST ANÉANTI EN PRENANT LA FORME DE SERVITEUR, ETC. (CHAP. 2,5-9)

Analyse.

  • 1-4. Exorde : Jésus-Christ proposé par lui-même et par saint Paul comme modèle de charité. — Les ennemis de l’Incarnation nommés, leurs hérésies dévoilées, leurs impiétés d’avance réfutées par le texte de saint Paul.- Réfutation spéciale de Sabellius et d’Arius. — Le Fils n’est pas un petit Dieu, inférieur au Père. — Jésus-Christ a pu se croire Dieu, « sans rapine », puisqu’il l’est : l’orateur profite de ce texte, pour établir à la fois la nature divine de Jésus-Christ, et l’essence de l’humilité. — Il explique les mots : « In forma Dei ».
  • 4-6. Judas perverti par l’avarice : craignons de succomber sous cette passion.— Mammon et Jésus-Christ se disputent le monde. — L’enfer au bout de l’avarice. Pourquoi l’orateur parle de l’enfer.

1. Quand Notre-Seigneur Jésus-Christ veut élever ses disciples aux plus grandes vertus, il propose en exemple, les prophètes, son Père et lui-même, disant tantôt : « Ainsi ont-ils traité les prophètes qui ont vécu avant moi ». Tantôt : « Apprenez de moi que je suis doux. » (Mat 5,12 et XI, 29) ; et ailleurs : « Soyez miséricordieux comme votre Père qui est dans le ciel ». (Luc 6,36)

Paul ne suit pas une autre méthode. Pour décider les Philippiens à la pratique de l’humilité, il met en scène Jésus-Christ ; et ce n’est pas seulement pour cette vertu, c’est aussi pour expliquer la charité envers les pauvres, qu’il rappelle ce grand modèle en ces termes « Vous connaissez la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui pour nous s’est fait pauvre, lorsqu’il était si riche ! » (2Co 8,9) Il n’est rien, en effet, qui excite une âme grande et sage à la pratique du bien, comme de lui faire comprendre que ses œuvres la rendront semblable à Dieu. Quel motif vaudra jamais celui-là pour décider une volonté ? Paul le savait, aussi pour amener ses lecteurs à l’humilité, il a commencé par les prier et par les conjurer ; puis il a employé les paroles encourageantes : « Vous persévérez », disait-il, « dans un seul esprit » ; et encore : « Ce qui est une preuve de leur perdition, et de votre salut ». (Phi 1,27) Mais il arrive enfin à son grand moyen de persuasion : « Soyez dans la même disposition et dans le même sentiment où a été Jésus-Christ, qui étant dans la forme de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une rapine et une usurpation d’être l’égal de Dieu, mais qui cependant s’est anéanti, prenant la forme de l’esclave (5, 6) ».

Mes frères, appliquez-vous, je vous en prie, élevez vos âmes. Comme un glaive à double tranchant, de quelque côté qu’il frappe, au milieu même d’innombrables bataillons, les rompt facilement et les détruit, parce que, tranchant des deux côtés, il présente d’ailleurs sa pointe à qui rien ne résiste : ainsi en est-il des paroles du Saint-Esprit. Oui, par la force de ces paroles, les sectateurs d’Arius d’Alexandrie, de Paul de Samosate, de Marcel le Galate, de Sabellius l’Africain, de Marcion le Pontique, de Valentin, de Manès, d’Apollinaire le Laodicéen, de Photin, de Sophronius, tous les hérétiques, sans exception, sont tombés sous les coups de Paul.

Invités à ce noble spectacle de leur défaite, conviés à voir toutes leurs phalanges abîmées d’un seul coup, réveillez-vous, pour ne pas perdre un seul trait de ce spectacle divin. Car enfin, si dans les courses des chevaux et des chars, le plus beau coup de théâtre pour vous est de voir un des vaillants écuyers vaincre d’un élan triomphal tous les chars et tous les écuyers ses rivaux, et parmi ces véhicules renversés, et au milieu de ses adversaires encore sur le siège, arriver seul jusqu’à la borne, jusqu’à la barrière du combat, alors que de toutes parts éclatent les applaudissements, et que les clameurs s’élèvent jusqu’aux cieux ; alors que le vainqueur, à qui la joie et les applaudissements semblent donner des ailes, achève avec ses coursiers de parcourir le stade : combien plus n’éprouverez-vous pas de bonheur, après qu’aidés de la grâce de Dieu, nous aurons culbuté les bataillons des hérésies et les machines de guerre du démon avec leurs écuyers eux-mêmes, qui ne seront plus ensemble qu’un monceau de ruines ?

Mais, s’il vous plaît, plaçons en ordre toutes ces hérésies. Quel ordre adopterons-nous, celui de leur impiété, ou celui des temps ? Suivons plutôt celui des temps ; car, au point de vue de l’impiété, il serait difficile de les classer.

Vienne d’abord Sabellius l’Africain. Que dit-il ? « Père, Fils, Esprit-Saint, trois noms et rien de plus, désignant une seule personne ».

Marcion le Pontique nie la bonté de ce Dieu qui a créé toutes choses ; il ne veut pas qu’il soit père du Christ, qui est bon ; il en imagine un autre qui est juste, selon lui ; quant au Fils, il ne s’est pas incarné pour nous.

Marcel, Photin, Sophronius prétendent que le Verbe est une « énergie », et que cette énergie habite dans cet homme qui est né de la race de David, mais que ce n’est pas une substance hypostatique. Arius le reconnaît comme Fils, mais de nom seulement. C’est une créature, dit-il, et bien inférieure au Père. Les autres hérétiques refusent une âme à Jésus-Christ. Voyez — vous tous les chars en ligne ? Considérez aussi leur ruine complète ; voyez bien comment Paul les choque et les renverse, mais tous, vous dis-je, d’un seul coup, d’un seul élan ! Et comment les a-t-il renversés ? « Prenez en vous », dit-il, « les sentiments de Jésus-Christ, qui étant dans la forme de Dieu a cru, sans usurpation aucune, être l’égal de Dieu ». C’est assez pour briser Paul de Samosate, et Marcel ; et Sabellius. Car il le déclare : « Jésus-Christ était dans la forme de Dieu ». S’il était dans cette forme, comment donc, impie, oses-tu dire qu’il a commencé en Marie, et qu’auparavant il n’était pas ? Comment encore ne serait-il qu’une « énergie ? » Car s’il dit : « Dans la forme de Dieu », il dit aussi : « Dans la forme d’esclave ». L’esclave en bonne forme, n’est-il que l’esclave en énergie, ou l’esclave en nature ? Certainement, réponds-tu, l’esclave formel, c’est l’esclave en nature. Donc aussi la forme de Dieu, c’est la nature de Dieu, et non une simple « énergie ». Ainsi succombent Marcel le Galate, Sophronius et Photin.

2. A Sabellius, maintenant. L’apôtre dit « Comme il était dans la forme de Dieu, il n’a pas cru que ce fût une usurpation pour lui, que d’être l’égal de Dieu ». Qui dit égal, dit égal à un autre : l’égalité ne peut se dire d’une personne seule. Vous voyez donc ici la substance, l’hypostase de deux personnes, et non pas de vains noms qui ne s’appliquent pas à des réalités. Par là même, le Fils unique vous apparaît existant avant tous les siècles. Mais cela suffit contre ces adversaires.

Contre Arius, que dirons-nous ? Il fait le Fils d’une autre substance que son Père. — Hérétique, réponds-moi : que veut dire cette proposition : « Il a pris une forme d’esclave ? » Il s’est fait homme, me répond-il. Donc aussi, puisqu’il était dans « une forme de Dieu », il était Dieu ; car dans les deux textes se trouve cette expression de « forme ». Si ce mot est vrai dans un cas, il l’est aussi dans l’autre : la forme d’esclave ici, c’est l’homme en sa nature donc aussi la forme de Dieu, c’est Dieu dans sa nature. L’apôtre ne s’en tient pas là ; mais comme Jean l’Évangéliste, il atteste la parfaite égalité de Jésus-Christ avec Dieu, et montre qu’il n’est en rien inférieur au Père « Il n’a pas regardé comme une usurpation d’être l’égal de Dieu ». Toutefois, n’ont-ils pas ici quelque subtilité à nous opposer ? Le texte, disent-ils, affirme précisément le contraire, puisqu’il dit : Étant dans la forme de Dieu, il n’a pas voulu être usurpateur de la nature de Dieu. — Mais s’il était Dieu même, comment pouvait-il ravir la nature divine ? Se peut-il entendre un langage plus absurde ? Dirait-on jamais ceci, par exemple étant homme, il n’a pas ravi la nature humaine ? Quelqu’un pourrait-il ravir ce qu’il est essentiellement ?

Vous ne comprenez pas, répondent-ils ; entendez ainsi le texte : Le Fils étant un Dieu moindre, n’a pas usurpé l’égalité avec le Dieu grand, avec celui qui est plus grand que lui. — Ainsi, pour vous, il y a un Dieu grand : et un Dieu petit ! Voilà que vous introduisez le paganisme dans l’Église. Chez les païens, en effet, il y a petit et grand Dieu ; en est-il de même chez vous ? Je l’ignore. Dans les Écritures, du moins, vous ne trouverez nulle part rien de pareil : partout le grand, nulle part un petit. Car dès qu’il est petit, comment est-il Dieu ? S’il n’y a pas, à vrai dire, d’homme petit et d’homme grand, mais une seule nature d’homme ; si tout ce qui n’a pas cette nature, n’est pas homme, comment s’est-il trouvé un Dieu grand et un Dieu petit en dehors de la nature divine ? Qui est petit, n’est pas Dieu : car partout nos saints livres le proclament grand :« Le Seigneur est grand », dit David, « et dépasse toute louange ». Il le dit du Fils aussi, car partout il l’appelle son Seigneur. — Ailleurs il s’écrie : « Vous êtes grand, vous faites des merveilles, vous êtes le seul Dieu ». Et encore : « Notre Seigneur est grand, grande est sa puissance ; sa magnificence est sans limites ». (Psa 48,1 ; 85,10 ; 143,3)

Tout cela se dit du Père, répliquent-ils ; le Fils est petit. — Vous le prétendez, vous : mais contre votre dire, l’Écriture affirme du Fils ce qu’elle prononce du Père. Écoutez la parole de Paul : « Nous attendons la bienheureuse espérance, et l’avènement de gloire du Dieu grand ». (Tit 2,13) L’avènement ! Est-ce du Père qu’on dit cela ? Or, pour vous condamner mieux encore, il a ajouté. L’avènement « du Dieu grand ». Cette phrase a-t-elle jamais été dite du Père ? Jamais ! Au reste, ce qu’il ajoute ne permet point un tel sens « L’arrivée du Dieu grand et notre Sauveur, Jésus-Christ ». Voilà donc le Fils aussi déclaré grand ! Comment parlez-vous donc de grand et de petit ? — Écoutez encore un prophète qui l’appelle : « L’Ange du grand conseil ». Qu’est-ce que l’Ange du grand conseil ? N’est-il pas grand lui-même ? Celui qui est le « Dieu fort », ne serait pas grand, mais petit ? Comment ces impudents et criminels sectaires osent-ils abuser des mots, jusqu’à dire : Un petit Dieu ? Souvent je rapporte leurs propres termes, pour que vous en ayez horreur. — C’était un petit Dieu, disent-ils ; et il n’a pas été jusqu’à usurper le même rang que le grand. — Qu’est ceci ? dites-moi ; (cependant, n’allez pas croire que ces paroles absurdes soient de moi !) Mais d’après leur opinion, le Fils était petit, et bien inférieur en puissance à son Père : dès lors, comment aurait-il usurpé l’égalité avec Dieu le Père ? Une nature inférieure ne peut, quelque usurpation qu’elle fasse, devenir une nature supérieure. Ainsi l’homme ne pourra jamais se faire l’égal de l’ange ; le cheval ne pourrait, le voulût-il, arriver à être selon la nature égal à l’homme.

Mais, laissant ce moyen, j’ai une question à vous faire. Par cet exemple de Jésus-Christ, que veut établir saint Paul ? Vous me répondrez qu’il veut conduire les Philippiens à l’humilité. Alors, pourquoi nous proposer ce modèle ? Dès qu’on veut exhorter à l’humilité, on ne s’exprime pas ainsi. On ne dit pas : Soyez humble, n’ayez pas de vous-même des sentiments aussi avantageux que de vos égaux ; prenez modèle sur cet esclave ; il ne s’est pas révolté contre son maître ; imitez-le ! À un tel propos, vous répondriez : Ce n’est pas là un type d’humilité ! Sa révolte serait de l’arrogance ! — Or, apprenez, impie, dont l’enflure est diabolique, apprenez ce que c’est qu’humilité :

En quoi consiste l’humilité ? À n’avoir que d’humbles sentiments. Or, l’homme humble par nécessité n’a pas pour cela d’humbles sentiments ; le vrai humble s’humilie lui-même. Je veux vous éclaircir ce point, appliquez-vous. Si, pouvant avoir des sentiments élevés de soi-même, un homme n’en veut avoir que des idées modestes, il est humble de cœur. Mais quiconque n’a d’humbles pensées que parce qu’il ne peut en avoir de magnifiques, n’est pas humble très certainement. Par exemple, que l’empereur se soumette à son sujet, voilà l’humilité de cœur, puisqu’il descend de son rang suprême ; que le sujet s’incline devant lui, au contraire, il n’est pas humble pour cela ; car il ne s’est pas abaissé d’une plus haute position. Il n’y a vraiment aucune place au sentiment de l’humilité, si vous ne pouvez même pas être humble. Qu’un homme soit rabaissé malgré lui et par nécessité, cette soumission, bonne en elle-même, n’est pas attribuable à ses sentiments, à sa volonté, mais à la nécessité. Or ταπεινοφροσύνη, est un mot qui, par lui-même, dit abaissement volontaire de l’esprit.

3. Voudrez-vous, dites-moi, louer pour son amour de la justice, l’homme qui se contient dans les limites de ses propriétés, mais qui n’a aucun moyen de ravir celle d’autrui ? Non ; et pourquoi ? c’est que la nécessité, l’impossible empêche qu’on ne juge de sa volonté. Dites-moi encore : vanterez-vous, comme tranquille et paisible, le citoyen qui reste dans la vie privée, lorsqu’il ne pourrait aucunement s’emparer d’un pouvoir, d’un trône ? Non encore, il n’y a pas place au mérite. Car le mérite, sachez-le, ignorants, ne consiste pas à s’abstenir en pareil cas, mais à pratiquer son devoir. L’abstention ainsi entendue ne mérite pas le blâme, mais n’arrive pas non plus jusqu’à mériter l’éloge. Voyez plutôt comment Jésus-Christ lui-même motive la louange des élus : « Venez, les bénis de mon Père ; possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ; car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ». (Mat 25,34-35) Il ne dit pas : Car vous n’avez pas désiré le bien d’autrui ; car vous n’avez pas volé ; ce serait trop peu de chose ; mais : Vous m’avez vu avoir faim, et vous m’avez nourri. — Qui donc a jamais parlé de la sorte de ses amis ou de ses ennemis ? Quelqu’un a-t-il jamais loué Paul, mais que dis-je ? Paul ! Quelqu’un a-t-il jamais fait d’un homme vulgaire, l’éloge que vous, hérétique, vous faites de Jésus-Christ, quand vous dites : Il n’a pas usurpé une dignité qui ne lui appartenait pas ? — Louer quelqu’un de cette façon, c’est lui donner certificat de malice achevée. Pourquoi ? C’est qu’on donne ordinairement aux malfaiteurs des compliments négatifs, tels que celui-ci : « Que celui qui volait, ne vole plus désormais ». (Eph 4,28) On ne parle pas sur ce ton aux honnêtes gens. On ne s’avise pas de louer celui qui n’a pas ravi une dignité qui ne lui appartenait pas : quelle folie serait-ce de le vanter ainsi ?

D’ailleurs… Mais appliquez-vous, je vous prie, mon raisonnement se prolonge… Qui voudrait, surtout de cette manière, exhorter à l’humilité ? Un exemple ne doit-il pas toujours être plus grand et plus beau que la chose même, objet de votre exhortation ? Ira-t-on jamais le prendre dans une sphère obscure et inférieure ? Non. Voyez plutôt Jésus-Christ exhortant à faire du bien même à ses ennemis ; il se sert d’un grand exemple, celui du Père « qui fait lever son soleil sur les bons et « sur les méchants, et tomber sa pluie sur le « juste et sur l’injuste ». (Mat 5,45) Veut-il exhorter à la douceur, il se pose en exemple : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Jn 13,14) ; et ailleurs : « Si j’ai fait ainsi pour vous, moi votre Seigneur et votre Maître, combien plus devez-vous le faire vous-mêmes ? » (Mat 11,29) Voyez-vous quel modèle il choisit ? Il ne faut pas en effet qu’un modèle soit inférieur : c’est là une règle que nous gardons nous-mêmes.

Or, dans la question présente, l’exemple, entendu comme les hérétiques, n’approche même pas du terme où il doit nous conduire. Comment cela ? C’est que, si vous me proposez un esclave comme modèle, c’est un être inférieur, soumis par droit à un plus grand que lui : je n’y reconnais point d’humilité. C’est le contraire que vous deviez faire ; il fallait nous montrer un plus grand obéissant à un plus petit. Mais comme l’apôtre ne trouvait en Dieu rien de semblable, je veux dire, une personne plus grande et une autre moindre, il a établi leur parfaite égalité.

Si le Fils avait été inférieur au Père, son exemple ne valait plus et ne pouvait servir à saint Paul, pour commander l’humilité. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas d’humilité à ne pas attaquer plus grand que soi, à ne pas usurper une dignité, à obéir jusqu’à la mort.

Souvenez-vous, d’ailleurs, d’une recommandation qui accompagne cet exemple. Saint Paul disait tout à l’heure : « Que chacun de vous par esprit d’humilité croie les autres au-dessus de soi ». — « Que chacun croie », dit-il ; en effet, puisqu’à l’égard de la nature vous êtes une même chose, et que la grâce que vous avez reçue de Dieu vous rend tous égaux, l’humilité ne peut plus être que dans les sentiments. Mais quand il parle de plus petits et de plus grands, il ne dit plus : Supposez et croyez ; mais : Honorez ceux qui sont au-dessus de vous ; c’est sa parole dans un autre passage : « Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis ». (Heb 13,17) Au cas actuel, saint Paul demande la soumission d’après la nature même des choses ; tandis qu’au cas précédent, elle doit venir de notre libre jugement. « Que chacun par un sentiment d’humilité croie les autres au-dessus de soi » : et c’est bien là ce qu’a fait Jésus-Christ lui-même.

Ces réflexions suffisent à renverser le système hérétique. Il nous reste à exposer notre doctrine. Auparavant résumons ici cette controverse : Non, saint Paul, conviant les fidèles à la pratique de l’humilité, n’a pas dû produire en exemple un inférieur obéissant à un supérieur. S’il avait voulu prêcher simplement l’obéissance, celle que des serviteurs doivent à leur maître, à la bonne heure ! Mais lorsqu’il s’agit de conseiller à l’homme libre de s’abaisser devant l’homme libre, que peut faire en pareil cas la soumission de l’esclave à son maître ? de l’inférieur envers son supérieur ? — Aussi bien n’a-t-il pas dit que le plus petit obéisse au plus grand ; mais obéissez-vous les uns aux autres, bien que vous soyez d’égale dignité. « Croyez les autres au-dessus de vous ». Pourquoi n’a-t-il pas cité plutôt l’obéissance imposée à la femme ? Ainsi que la femme obéit au mari, aurait-il dit, ainsi vous-mêmes obéissez. S’il n’a pas apporté l’exemple des époux, entre lesquels, après tout, se trouve égalité et liberté ; s’il l’a évité, parce qu’il s’y rencontre cependant une certaine dépendance, combien moins aurait-il mis en avant l’exemple de l’esclave ? — Au reste, j’ai commencé par faire remarquer qu’on ne louera personne, qu’on ne voudra pas même citer qui que ce soit, pour le seul mérite de ne pas être un criminel. Pour célébrer, la chasteté d’un homme, on ne dira jamais qu’il ne fut point adultère ; on le vantera, par exemple, de n’avoir pas même usé de son épouse. S’abstenir d’actions honteuses ne sera jamais à nos yeux un sujet de gloire ; la gloire ici serait ridicule.

J’ai ajouté que « la forme de l’esclave » était vraie, et rien moins que l’esclave lui-même par conséquent que « la forme de Dieu » est parfaite et rien moins que Dieu. Mais pourquoi est-il dit, non pas qu’il a été fait dans la forme de Dieu, mais qu’ « il y était ? » Cette expression équivaut à celle-ci : « Je suis celui qui suis ». La forme, en tant que forme, annonce identité de nature ; il ne se peut que la forme soit la même quand l’essence est différente ; que, par exemple, l’homme ait la forme angélique ; que la brute ait la forme humaine. Alors, concluez : Qu’est-ce que le Fils ?

En nous, il est vrai, en nous qui sommes composés de deux substances, la forme appartient au corps : mais en CELUI qui était parfaitement simple et sans composition, la forme, évidemment, appartient à son essence et la désigne.

Que si, parce que le texte porte « en forme de Dieu
Les ariens prétendaient que le mot Dieu, qui en grec admet l’article « le Dieu » signifiait le Père ; mais que, sans l’article, Dieu simplement indiquait le Fils. Le saint les réfute victorieusement.
 », έν μορφῆ Θεοῦ, sans article, vous prétendez que le Père n’est pas désigné ici, je vous montrerai en maints passages le Père désigné par le mot Dieu sans article. Pourquoi vous annoncé-je d’autres textes ; d’abord, celui-ci m’en donne une preuve immédiate : il n’a pas cru être usurpateur, quand il s’est cru l’égal « de Dieu », et non pas « du » Dieu (Θεῷ simplement) ; il n’a pas mis l’article, bien qu’il parlât du Père. — Volontiers j’ajouterais mes autres citations ; mais je crains de fatiguer vos esprits. Du moins que vos mémoires retiennent ce que nous avons dit pour renverser les systèmes ennemis. Arrachons les épines (du doute et de l’erreur), puis nous sèmerons la bonne semence, après avoir détruit les ronces maudites et rendu à la terre de nos cœurs un champ libre et reposé ; il lui faut, en effet, dépouiller toute la végétation vicieuse des doctrines étrangères, pour qu’elle puisse ensuite recevoir avec pleine vertu les divines semences.

4. Rendons grâces à Dieu pour l’instruction que nous venons d’entendre ; demandons-lui qu’il nous accorde de la garder et de la retenir, afin que, peuple et prédicateur, en recueillent la joie, et les hérétiques la confusion. Supplions-le qu’il daigne aussi, pour la suite de ce discours, nous ouvrir la bouche, et nous inspirer pour l’instruction des mœurs. Prions-le qu’il nous donne une vie digne de notre foi, afin que, vivant pour sa gloire, nous ne fassions jamais par notre faute blasphémer son saint nom. « Malheur à vous », est-il écrit, « parce qu’à cause de vous le nom de Dieu est blasphémé ».

Si, lorsque nous avons un fils, (et que pouvons-nous avoir de plus proche qu’un fils?) et que nous sommes, à cause de lui, en butte aux outrages, nous le renions, nous le détestons, nous le rejetons ; combien plus voyant des serviteurs ingrats, blasphémateurs et outrageux, Dieu ne devra-t-il pas les rejeter et les haïr ? Et devenus les objets de cette aversion, de cette haine de Dieu, qui donc recevra, qui protégera ces misérables ? Personne, Satan et les démons exceptés. Et cette proie du démon, quel espoir de délivrance lui reste ? Quelle consolation dans sa triste vie ?

Tant que nous sommes dans la main de Dieu, nul ne peut nous en arracher, tant elle est puissante. Mais une fois tombés hors de cette main, de cette puissance secourable, nous sommes perdus, exposés en proie à tous les ravisseurs, jetés sous tous les pieds qui voudront nous fouler, pareils à des murs croulants, à une haie renversée. Quand la muraille est faible, chacun facilement lui donne l’assaut ; et ce que je vais dire de Jérusalem, ne s’applique pas seulement à la cité sainte, mais, sachez-le, à tout homme. Or, qu’est-il écrit de Jérusalem ?

« Je chanterai au peuple que j’aime le cantique que mon bien-aimé a composé pour sa vigne. — Mon bien-aimé avait une vigne sur une colline, dans un lieu fertile. — Je l’ai close, je l’ai environnée d’un fossé, et j’ai planté un cep de Sorech ; j’ai bâti une tour au milieu, j’y ai construit un pressoir, et j’ai attendu qu’elle me produisît des raisins, et elle n’a produit que des épines. — Maintenant donc, vous, habitants de Jérusalem, et vous, hommes de Juda, soyez juges entre moi et ma vigne. — Qu’ai-je dû faire de plus à ma vigne, et que je n’aie point fait ? Car j’ai attendu qu’elle produisît du raisin ; elle n’a produit que des épines. — Maintenant donc je vous montrerai ce que je veux faire à ma vigne. J’en arracherai la haie, et elle sera exposée au pillage ; j’en détruirai la muraille, et elle sera foulée aux pieds. — Et j’abandonnerai ma vigne ; elle ne sera plus taillée ni labourée ; les épines y monteront, comme dans une terre inculte, et je commanderai aux nuées de ne plus lui épancher leurs ondes. — La vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël, c’est l’homme de Juda, autrefois son plant choisi. — J’ai attendu qu’ils fissent des actions de droiture, ils n’ont en faute que l’iniquité ; et au lieu de la justice que j’attendais, j’entends la clameur qui les accuse ». (Isa 5,1-7)

Toute âme trouve ici sa leçon. Car lorsque le Dieu de toute bonté a comblé la mesure de ses bienfaits ; et que l’âme, au lieu de raisin, a produit les épines, Dieu arrache la haie, détruit le mur, et nous sommes en proie aux ravisseurs. Écoutez comment et avec quelle douleur un autre prophète a dépeint cet état : « Pourquoi, mon Dieu, avez-vous détruit sa muraille ? Pourquoi est-elle ravagée par tous les passants du chemin ? Le sanglier de la forêt l’a dévastée ; toute bête sauvage y a pris sa pâture ». (Psa 80, 13-14) Sans doute, il parle plus haut du Mède et du Babylonien ; mais ici il ne le désigne même pas. Ce sanglier, cette bête solitaire et sauvage, c’est le démon et ses puissances infernales. « Solitaire et sauvage sanglier » désigne et dépeint son impureté et sa férocité. Pour donner une image de ses instincts rapaces, les saints livres le comparent au « lion qui rôde en rugissant, cherchant qui il pourra dévorer ». (1Pi 5,8) Pour nous signaler ses poisons dangereux et mortels, ils l’appellent serpent et scorpion. « Foulez aux pieds », est-il dit, « les serpents, les scorpions, et toute la puissance de l’ennemi ». (Luc 10,19) Pour nous faire comprendre à la fois son poison et sa force, ils le nomment dragon ; ainsi dans ce passage : « Le dragon que vous avez fait pour s’y jouer ». (Psa 104,26) Au reste, dragon, serpent, aspic, sont des noms que l’Écriture lui donne partout ; comme à une bête tortueuse, d’aspects variés et de force redoutable, qui agite, trouble, bouleverse toutes choses dans les hauteurs comme dans les abîmes.

Toutefois ne craignez pas, ne perdez pas courage ; veillez seulement, et il ne sera plus qu’un faible passereau. « Foulez aux pieds », a dit le Seigneur, « les serpents et les scorpions ». Lui-même, si nous le voulons, le jettera sous nos pieds comme une vile poussière.

5. Mais qu’il est ridicule, ou plutôt qu’il est malheureux de voir qu’un être destiné à ramper sous nos pieds, plane en vainqueur sur nos têtes ! Et comment cela se fait-il ? Par notre faute ! Il grandit, si nous voulons ; et si nous voulons, il se rapetisse. Soyons bien à nos intérêts, serrons-nous autour de notre Roi : dès lors, il s’amoindrit, et n’a pas plus de pouvoir contre nous qu’un petit enfant. Mais si nous nous éloignons de notre Roi suprême, il se redresse, il frémit, il aiguise ses dents homicides, parce qu’il nous trouve privés de ce puissant auxiliaire. Il n’attaque, en effet, que dans la mesure que Dieu permet. S’il n’osait, par exemple, envahir un troupeau de pourceaux, avant que le Seigneur ne lui en eût donné permission, bien moins le ferait-il sur les âmes humaines. Dieu permet ses attaques, d’ailleurs, ou pour instruire, ou pour punir, ou même pour glorifier davantage ses élus. Voyez-vous, par exemple, que loin de provoquer Job, le démon n’osait même approcher de lui, qu’il le craignait, qu’il tremblait ?

Mais que parlé-je de Job ? Judas, Judas lui-même ne devint la proie du démon et son entière conquête ; que quand Notre-Seigneur eut retranché ce traître du collège sacré des apôtres. Jusque-là Satan le tentait au-dehors, et n’osait faire irruption jusque dans son âme. Mais dès qu’il le vit retranché du saint bercail, il l’attaqua plus furieusement qu’un loup ne ferait jamais, et il ne lâcha cette proie qu’après lui avoir donné une double mort.

Ce douloureux chapitre a été, du reste, écrit pour notre instruction. Ne demandez pas ce que nous avons gagné à savoir que Jésus-Christ ait été trahi par l’un des douze intimes quel est ici notre profit, quel est notre avantage ? Il est grand, vous répondrai-je. Si nous comprenons bien le motif, qui détermina ce perfide à un pareil complot, nous veillerons à ne pas nous laisser entraîner par une cause semblable.

Comment donc Judas en vint-il à se perdre ? Par avarice. Il était voleur, et cette maladie le rendit fou au point de lui faire livrer Notre-Seigneur pour trente pièces d’argent. Quelle plus honteuse folie ! rien au monde n’égalait, rien ne pouvait valoir l’objet sacré de cette trahison ; et « Celui » devant qui les nations sont comptées comme un néant, il le livre pour trente pièces d’argent ! Tant est lourde la tyrannie de l’avarice, tant elle est capable de dégrader une âme ! L’ivresse même produit dans l’âme un délire moins grand que l’avarice. La folie, l’idiotisme frappent moins fort que la passion de l’argent. Car, dis-moi, aveugle apôtre, quelle raison a déterminé ta perfidie ? Obscur et inconnu, tu fus, par le Seigneur, appelé, placé même au rang des douze ; il te communiqua sa doctrine, il te promit des biens inappréciables, il te fit produire des miracles même ; sa table, ses voyages, sa conversation, il partageait tout avec toi, comme avec tes collègues de l’apostolat. Tant de bienfaits ne suffirent donc pas à t’arrêter ? Quel si grand mobile alors te rendit traître ? Avais-tu, scélérat, le moindre sujet de plainte ; ou plutôt de quels biens ne t’avait-il pas accablé ? Connaissant ton infâme dessein, il ne cesse de te donner tout ce qu’il a. Souvent il répète : « Un de vous me trahira » (Mat 26,21) ; souvent il te désigne, en t’épargnant toujours ; il sait ce que tu es, et ne te chasse pas du sacré collège. Il te supporte encore, et comme si tu étais toujours un membre légitime de ce corps vénérable, un des douze intimes, il t’honore, il te chérit. Enfin, ô crime, tu le vois ceint d’un linge, et de ses pures mains lavant tes pieds impurs ; rien ne t’arrête ; tu continues à voler le bien des pauvres ; et le Seigneur le supporte encore pour t’empêcher de faire le dernier pas ; mais rien ne peut changer ta détermination. Et pourtant, quand tu serais une bête féroce, une pierre même, tant de bienfaits reçus, tant de miracles opérés, cette doctrine sublime de l’Évangile enfin, ne devait-elle pas te fléchir ? Hélas ! jusque dans cette dégradation bestiale, le Seigneur te poursuit de ses appels ; malgré cette pétrification de ton cœur plus dur que les rochers, ses œuvres merveilleuses t’invitent au retour : mais en vain ; tout cela ne peut amender Judas.

Peut-être, mes frères, cet excès de folie dans un traître vous étonne ; ah ! que sa plaie honteuse vous fasse trembler ! La cupidité, l’amour de l’argent l’a fait ce que vous voyez. Arrachez de vos cœurs cette passion, qui enfante de telles maladies de l’âme, qui fait les impies, qui nous conduirait, même après mille bienfaits de la bonté de Dieu, à le méconnaître et à le renier. Arrachez cette passion, je vous en supplie ; ce n’est pas une maladie légère ; elle sait produire mille morts très cruelles. Nous avons vu le mal de Judas : craignons d’y succomber nous-mêmes. Son histoire a été écrite pour nous préserver de tels malheurs ; tous les évangélistes l’ont racontée, pour nous apprendre le désintéressement. Fuyez donc, et de loin, le vice contraire : l’avarice se reconnaît non seulement dans le désir de beaucoup d’argent, mais dans le simple désir de l’argent. C’est déjà avarice grave, que de demander au-delà du besoin. Sont-ce des talents d’or qui ont poussé Judas à la trahison ? Trente deniers lui ont suffi pour livrer le Seigneur. Ne vous souvient-il plus de ce que j’ai dit déjà, que le désir exagéré de l’argent se manifeste non pas seulement en acceptant une somme considérable, mais plus encore en recevant une somme chétive ? Voyez quel grand crime commet Judas pour un peu d’or ! que dis-je pour un peu d’or, pour quelques pièces d’argent !

6. Non, non, jamais l’avare ne contemplera Jésus-Christ face à face ; c’est là, je le répète, une impossibilité. L’avarice est la racine de tous les péchés. Que s’il suffit d’un seul, pour perdre la gloire éternelle, où donc sera placé celui qui apportera, au jugement de Dieu, la racine de tous les péchés ? Le serviteur de l’argent ne peut être le vrai serviteur de Jésus-Christ. C’est lui-même qui a proclamé cette incompatibilité absolue. « Vous ne pouvez », a-t-il dit, « servir Dieu et Mammon » ; et encore : « Nul ne peut servir deux maîtres » (Mat 6,24), car leurs volontés sont contraires. Jésus-Christ vous dit : Pitié pour les pauvres ! Mammon reprend : Prenez ce qu’ils possèdent. Jésus-Christ : Donnez-leur ce que vous avez ! Mammon : Ravissez même ce qu’ils ont. Voyez-vous le combat ? Voyez-vous la guerre ? Faut-il vous montrer comment personne ne peut servir ces deux maîtres, mais comment l’un des deux sera nécessairement méprisé ? N’est-ce pas là une vérité d’une clarté qui n’a pas besoin de commentaire ? Comment ? c’est qu’en fait nous voyons Jésus-Christ méprisé et Mammon en honneur ! Sentez-vous déjà l’amertume de ces paroles ? Et si les paroles sont amères, que ne sont pas les faits eux-mêmes ? mais la maladie qui nous travaille, nous empêche de sentir la gravité des faits. Dès que nous commencerons à nous dégager des étreintes de cette passion, notre esprit jugera sainement des choses. Mais une fois sous l’empire de cette fièvre de l’or, notre âme se complaît dans son mal, perd absolument la faculté de juger, et voit se corrompre le tribunal même de sa conscience. Jésus-Christ prononce : « Si quelqu’un ne renonce pas à tout ce qu’il possède, il ne peut être mon disciple ». (Luc 14,33) Mammon réplique : Arrache le pain à l’indigent. Jésus-Christ : Habillez sa nudité ! Mammon : Volez-lui jusqu’à ses haillons. Jésus-Christ : Ne méprisez pas votre propre sang et ceux de votre maison. Mammon : Pour ton sang et ta maison, point de pitié ; quand ce serait un père, quand ce serait une mère, méprise-les. Et que parlé-je de père et de mère ? Sacrifie, je le veux, jusqu’à ton âme. Il commande, on l’écoute. Hélas ! hélas ! ce maître qui vous impose des lois si cruelles, si inhumaines, si sauvages, nous trouve obéissants, plutôt que Celui dont le joug est léger et les commandements si salutaires. De là, l’enfer ; de là, le feu ; de là ce fleuve de flammes et ce ver qui ronge éternellement.

Je le sais : beaucoup ici ne sont point charmés de nous voir traiter ce sujet menaçant ; mais moi-même, c’est malgré moi que j’y touche : qu’ai-je, enfin, à y gagner ? Ah ! bien mieux aimerais-je à vous entretenir continuellement des biens du royaume céleste, de ce repos, de ces ondes qui désaltèrent pleinement, de ces pâturages verdoyants et joyeux, comme les appelle le prophète : « Il m’a élevé auprès des eaux rafraîchissantes, il m’a placé au milieu de gras pâturages ». (Psa 23,2) Oui, j’aimerais à vous parler de ce lieu, d’où sont bannis la douleur, le deuil, les chagrins. J’aimerais raconter le bonheur qu’on goûte dans un séjour avec Jésus-Christ, bien qu’il dépasse tout langage et même toute pensée. J’aimerais néanmoins à user toutes mes forces sur cet éternel et délicieux sujet, mais que ferais-je alors ? Car il n’est pas possible de parler de royaume à un malade brûlé par la fièvre. Tant que dure son périlleux état, il faut traiter de sa guérison ; tant que la peine et le châtiment le menacent, il messiérait de lui parler de gloire. On n’a qu’un but, en ce cas ; c’est de le sauver de la peine, du supplice ; si nous n’atteignons ce premier résultat, comment espérer l’autre ? Continuellement donc je vous entretiens du mal à redouter, pour vous faire arriver au bien que vous désirez. Car si Dieu lui-même nous a menacés de l’enfer, c’est pour que personne ne tombe en enfer ; c’est pour que tous nous arrivions à la couronne. Ainsi nous-mêmes nous ne cessons pas de vous parler d’enfer, pour vous relever jusqu’à l’espoir d’un trône, pour fléchir d’abord vos cœurs sous la crainte et les décider à pratiquer ce qui fait mériter la palme.

Veuillez donc supporter sans chagrin le poids de nos paroles. Ce poids de ma parole aura l’avantage d’alléger vos âmes du fardeau de leurs péchés. Le fer, aussi, les marteaux ont du poids ; et cependant on fabrique avec eux les vases d’or et d’argent ; on redresse les objets tors ; si les outils étaient moins lourds, ils deviendraient impuissants à redresser un corps tordu. Ainsi le poids de nos reproches peut façonner vos âmes au bien. Ne cherchez donc pas à éviter ni leur pesanteur, ni leurs coups salutaires ; on ne vous blesse jamais pour briser et déchirer vos âmes, mais pour les corriger. Nous savons, en effet, grâce à Dieu, dans quelle mesure il faut frapper, et quelle doit être l’intensité de nos coups, afin que, sans jamais briser le vase, ils puissent le guérir, le restaurer, le remettre en état de servir au divin Maître ; de telle sorte que la réparation le présente avec un nouveau lustre, avec une forme et une ciselure irréprochable, au grand jour où doit couler le fleuve de feu, et qu’il ne devienne pas la pâture du bûcher que l’éternité entretiendra.

Si vous ne passez ici-bas par le feu de la parole, vous passerez infailliblement dans l’autre vie par le feu de l’enfer, puisque « le jour du Seigneur se révélera par le feu ». (1Co 3,13) Mieux vaut qu’un instant notre parole vous brûle, que la flamme dont parle ici l’apôtre. Cet avenir éternel, en effet, est d’une certitude absolue ; souvent je l’ai prouvé par des raisons sans réplique ; les saintes Écritures suffiraient pour vous en donner la pleine conviction. Mais plusieurs étant portés à la discussion, nous y avons ajouté maints raisonnements. Rien n’empêche que maintenant même nous ne les apportions encore. — Qu’avions-nous dit ? Dieu est juste, nous l’avouons ; gentils et juifs, hérétiques et chrétiens. Or, bien, des pécheurs sortent de ce monde sans être punis ; bien des hommes de vie vertueuse en sont sortis de leur côté après avoir subi mille calamités. Donc, si Dieu est juste, en quel lieu donnera-t-il aux uns la récompense, aux autres le supplice, s’il n’y a pas d’enfer, s’il n’y a pas de résurrection ? Ce raisonnement, répétez-le toujours aux autres et à vous-mêmes ; il ne vous laissera pas un doute sur la résurrection. Or, quand on croit à la résurrection, sans ombre de doute, on apporte tous les soins, toute l’attention possible à mettre son âme en état de gagner les biens éternels. Puissions-nous tous y parvenir, par la grâce et bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, en l’unité du Père et du Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Analyse.

  • 1 et 2. Les Philippiens exhortés à bien agir, d’après leurs propres exemples. — Le salut doit se faire avec crainte et tremblement, par la pensée de la présence de Dieu. — La grâce de Dieu et notre libre arbitre conciliés par l’apôtre. — Agir sans murmure ni hésitation.
  • 3 et 4. Le saint apporte l’exemple de Job souffrant sans murmure. — Longs développements. — La vertu brille dans la douleur, comme les étoiles dans la nuit sombre. — Les peines, vrais sujets de joie : ne pleurer la mort ni des justes ni des pécheurs eux-mêmes.

1. Les avis, doivent être tempérés par les éloges : ainsi est-on sûr qu’ils seront bien accueillis, puisque les personnes averties de la sorte se verront invitées à rivaliser avec elles-mêmes. Telle est ici la sainte tactique de l’apôtre, et voyez sa sagesse à l’employer. « Ainsi donc, mes bien-aimés… » Il ne dit pas sans détour et brusquement : Chrétiens, obéissez ! mais il emploie d’abord cette apostrophe élogieuse, et il ajoute même : « Comme vous avez toujours obéi. », c’est-à-dire, je vous engage et je vous supplie d’imiter non pas les autres, mais vous-mêmes. « Non-seulement, lorsque je suis présent, mais encore plus lorsque je suis éloigné de vous… » Pourquoi plus encore en mon absence ? Parce que, moi présent, vous paraissiez peut-être agir par respect, par honneur pour ma personne ; maintenant ce motif n’existe plus. Si vous persévérez maintenant dans les mêmes sentiments et les mêmes vertus, il deviendra évident que vous y êtes déterminés, non par égard pour moi, mais par le seul amour de Dieu. Alors, bienheureux Paul, pour vous-même que demandez-vous ? Je ne demande pas que vous m’écoutiez, mais que vous opériez votre salut avec crainte et tremblement. Impossible, à qui n’a point cette crainte, de faire une œuvre tant soit peu grande et admirable.

L’apôtre, non content de réclamer ici « la crainte », demande même le tremblement », qui est une autre sorte d’appréhension plus grande et plus vive ; son but est de les rendre plus attentifs encore. Au reste, lui-même éprouvait cette crainte quand il écrivait : « Je crains qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé ». (1Co 9,27) Sans cette crainte, en effet, l’acquisition des biens temporels est souvent impossible : combien plus celle des biens spirituels ! Dites-moi plutôt si, sans cette crainte, on pût jamais apprendre même l’alphabet, ou savoir un métier ! Et dans ces travaux, cependant, où le démon n’intervient pas aussi menaçant, où la paresse est le seul ennemi redoutable, il faut un suprême effort pour vaincre l’inertie de notre nature ; comment donc dans la guerre si redoutable, dans les obstacles si grands que rencontre l’affaire du salut, comment pourrait-on jamais réussir sans la crainte ?

Mais quels sont les moyens d’éveiller en nous ce sentiment si efficace ? C’est de graver dans notre âme le sentiment de la présence partout d’un Dieu qui entend tout, qui voit tout, et non seulement nos faits ou nos paroles, mais jusqu’aux replis les plus cachés de nos cœurs et de nos esprits. « Car Dieu est le témoin des pensées et des désirs du cœur ». (Heb. 4) Ainsi prédisposés, nous ne ferons, nous ne dirons, nous ne penserons rien où se mêle le péché. Dites-moi plutôt : si vous deviez constamment vous tenir debout devant un prince, vous seriez dans le respect et dans la crainte. Et comment se fait-il qu’en face de Dieu l’on s’abandonne au rire, aux bâillements, sans craindre, sans trembler ? N’abusez pas de sa longue patience. Il diffère de punir pour vous amener à repentance ; gardez-vous, dans n’importe quelle œuvre, d’agir comme si Dieu n’était pas partout présent : car il est là ! Ainsi dans le repas, à l’heure du sommeil, lorsque vous êtes prêt à vous livrer à la colère, à la rapine, aux plaisirs, dans toute action enfin, pensez à la présence de Dieu, et le rire coupable s’arrêtera sur vos lèvres, et la colère ne pourra vous emporter. Armé de cette continuelle pensée, vous serez constamment dans la crainte et le tremblement, puisque toujours vous vous verrez en présence du souverain Roi. Le maçon le plus expérimenté et le plus habile ne se tient debout qu’avec crainte et tremblement sur l’édifice auquel il travaille : il pourrait se précipiter ! Et vous aussi, malgré votre foi, malgré la pratique de maints devoirs de vertu, malgré le haut degré de sagesse où peut-être vous êtes arrivé, tenez-vous bien ferme sur l’endroit sûr, restez debout, mais avec crainte et l’œil ouvert : vous pourriez en déchoir ! Il y a tant d’esprits de malice qui n’ont d’autre désir que de vous jeter dans l’abîme ! « Servez Dieu avec crainte », dit le Prophète, « réjouissez-vous devant lui, mais avec tremblement ». (Psa 2,11) Mais comment concilier l’allégresse et le tremblement ? Je vous réponds que ce sont choses inséparables. Car lorsque nous aurons accompli un acte vertueux, quand nous l’aurons fait, vous dis-je, avec le même esprit qui fait agir un serviteur obéissant avec tremblement, alors, et seulement, alors la joie nous sera possible. Donc avec crainte et tremblement, « opérez votre salut » ; non pas, faites, mais opérez, en ce sens que vous fassiez la grande œuvre non pas tant bien que mal, mais avec un soin, mais avec un zèle parfait. Or, ces paroles de crainte, de tremblement ne vont-elles pas nous jeter dans l’inquiétude ? L’apôtre la prévient et la dissipe en ajoutant : « C’est Dieu qui opère en nous » ; ainsi, que la crainte et le tremblement dont je parle ne vous fassent point tomber les armes des mains ; si je les prononce, ce n’est pas pour vous désespérer ni pour vous faire croire que la vertu soit inabordable ; mais seulement pour vous forcer à comprendre, à vous appliquer, à ne point vous abattre, à ne jamais vous lasser. — Alors, répondrez-vous, Dieu fera tout ! il est vrai, ayez confiance ! Car c’est Dieu qui opère…

« Qui opère en vous le vouloir et le faire ». Si donc Dieu opère, aussi faut-il que nous lui apportions une volonté toujours concordante, ferme, constante. Si Dieu opère en nous la volonté elle-même, sans aucune coopération de notre part, pourquoi saint Paul nous exhorte-t-il à vouloir ? Si c’est Dieu qui fait toute notre volonté, vous avez tort, ô grand apôtre, de nous dire : « Vous avez obéi », car ce n’est plus nous qui obéissons ; en vain vous ajoutez : « Avec crainte et tremblement » : tout est de Dieu ! — L’apôtre vous répond : Ce n’est pas dans ce sens que je vous ai dit : « Dieu opère en nous le vouloir et le faire » ; je n’ai voulu qu’apaiser votre inquiétude. Si vous voulez, Dieu opérera en vous le vouloir ; que cette crainte ne vous trouble pas. C’est lui qui imprime le mouvement à la volonté et qui donne la force d’opérer. Dès que nous aurons voulu, il augmentera, il accomplira notre bon vouloir. Par exemple, je veux faire quelque bonne œuvre ? Il opère en moi cette bonne œuvre, il opère en moi de la vouloir. Et par le bien que j’accomplis il fortifie encore ma première volonté.

2. Peut-être aussi l’apôtre parle-t-il ainsi par un motif de grande piété, comme quand il appelle grâces nos bonnes œuvres mêmes. Or, de même qu’en les appelant grâces, il ne prétend pas renverser notre libre arbitre et qu’il respecte au contraire notre parfaite autonomie ; ainsi quand il déclare que Dieu opère en nous le vouloir même, il n’entend pas nous priver de notre libre arbitre, mais il nous montre qu’en faisant le bien nous acquérons plus encore l’inclination à bien vouloir. Car, comme en faisant on apprend à faire, ainsi en ne faisant pas on désapprend. Avez-vous donné l’aumône ? vous excitez d’autant plus en vous la sainte passion de la charité ; avez-vous négligé de la donner ? vous êtes devenu plus lent à la faire. Avez-vous passé un jour entier dans la chasteté ? c’est un encouragement à faire de même le jour suivant. Avez-vous été négligent, vous aurez accru votre négligence. « L’impie », selon l’Écriture, « arrivé aux dernières profondeurs du mal, méprise ». (Pro 18,3) Autant donc a de mépris et d’indifférence celui qui est tombé au fond de l’abîme, autant a de zèle et de vigilance celui qui s’élève aux sommets du bien. L’un par désespoir devient plus négligent ; l’autre heureux du trésor amassé déjà, grandit en vigilance de peur de tout perdre.

« D’après la bonne volonté », dit saint Paul, c’est-à-dire, selon votre charité, selon votre soin à lui plaire et à produire les œuvres qu’il aime, et qui sont en harmonie avec sa sainte loi. Le saint vous enseigne et vous encourage ici : certainement, dit-il, Dieu opérera en vous. Il exige, en effet, que notre vie soit d’accord avec sa volonté ; or, si Dieu veut, et si d’ailleurs ce qu’il veut, il l’opère lui-même, bien certainement il le fera pour vous, il vous donnera la grâce d’une vie sans reproche : car là se réduit sa volonté. Vous voyez donc que Paul ne détruit pas ici notre liberté.

« Faites donc toutes choses sans murmures et sans hésitation ». Quand le démon ne peut autrement nous détourner de la voie du bien, il essaie un dernier moyen pour faire évanouir au moins notre récompense. Il nous pousse à l’amour de la vaine gloire ou à la complaisance en nous-mêmes, ou du moins, en cas d’insuccès de ces pièges, il éveille en nous l’esprit de murmure ou d’hésitation. Voyez comme saint Paul nous en préserve. Il a parlé de l’humilité, et vous l’avez entendu combattre ainsi l’orgueil ; il a parlé du goût pour la vaine gloire, et rabaissé notre vanité ; ici encore il répète ces leçons quand il recommande de bien agir, mais non pas seulement en sa présence ; maintenant il nomme en passant et il condamne les murmures et l’hésitation. Mais pourquoi, voulant guérir les Corinthiens de cette même maladie, leur a-t-il apporté l’exemple des Israélites, tandis qu’en ce passage il n’emploie aucun argument de ce genre, et se contente de rappeler un précepte ? C’est qu’à Corinthe le mal était invétéré et il fallait bien sonder les profondeurs de la blessure, et procéder par de vifs reproches ; à Philippes, au contraire, il ne doit que prévenir le mal, et il suffit d’un avis. À des gens qui n’avaient pas encore péché il était inutile d’adresser de sévères paroles dans le seul but de les préserver. Déjà même pour leur faire aimer l’humilité, il ne s’est point servi de l’exemple évangélique où est raconté le supplice de l’orgueil ; il a cherché, au contraire, en Dieu même son modèle pour les exhorter ; il leur a parlé non comme à des esclaves, mais comme à des fils légitimes. En effet, un caractère honnête et généreux n’a besoin, pour être entraîné à la vertu, que des exemples d’hommes vertueux et de nobles actions ; les cœurs mauvais, au contraire, doivent entendre l’histoire funeste de ceux qui ont failli au devoir ; l’un est pris par le motif de l’honneur, l’autre par la terreur du supplice. Pour la même raison, dans l’épître aux Hébreux, Paul rappelle cet Esaü qui vendit pour un vil aliment son droit d’aînesse, et il ajoute : « Si l’homme se retire de moi, il me déplaira ». (Heb 10,38) Or, parmi les Corinthiens, plusieurs s’étaient livrés au libertinage. Aussi leur disait-il : « Quand je reviendrai chez vous, puisse Dieu ne pas m’humilier encore, et me réduire à pleurer bon nombre de ceux qui déjà ont péché et n’ont pas fait pénitence des impuretés, fornications, impudicités qu’ils ont commises. Puissé-je vous trouver simples, exempts de tous reproches » (1Co 10,10), c’est-à-dire, purs de tout blâme devant votre conscience et devant Dieu. Car l’esprit de murmure fait commettre des fautes graves. — Que veut dire précisément « sans hésitation ? » Ce péché a lieu quand on se demande sans fin : L’œuvre est-elle avantageuse, ne l’est-elle pas ? Ne disputez pas ainsi éternellement ; agissez, quand même l’œuvre proposée aurait sa peine et ses ennuis. Il n’ajoute pas : Craignez d’être punis, car le supplice est indubitable ; l’apôtre le déclare ouvertement aux Corinthiens ; ici, rien de semblable ; au contraire : « Soyez », dit-il, « irrépréhensibles et sincères, fils de Dieu sans reproche au milieu d’une nation dépravée et corrompue, parmi laquelle vous brillez comme des astres dans le monde, portant en vous la parole de vie, pour être ma gloire au jour de Jésus-Christ ».

Comprenez-vous comment Paul les instruit à éviter les murmures ? Car cet esprit est celui des esclaves injustes et déraisonnables. Quel fils honnête, dites-moi, travaillant sur les propriétés de son père, et sûr par là de travailler pour lui-même, oserait murmurer ? Pensez donc, dit l’apôtre, que vous travaillez pour vous-mêmes, que vous amassez pour vous-mêmes. Que d’autres murmurent parce qu’ils dépensent pour des étrangers leurs peines et leurs sueurs : mais amassant pour vous, pourquoi murmurer ? Mieux vaut ne rien faire, que travailler avec cet esprit chagrin, puisqu’il détruit et tue ce que vous faites de bien. Est-ce que, dans nos maisons mêmes, nous n’avons pas sans cesse à la bouche cette maxime : Mieux vaut que besogne manque, plutôt que de se faire en murmurant ? Et souvent nous aimons mieux nous passer de certains services que de souffrir qu’on nous les rende de mauvaise grâce. C’est chose grave, en effet, grave et coupable est le murmure ; et qui approche du blasphème. S’il en était autrement, pourquoi les Israélites auraient-ils été si sévèrement punis de Dieu ? Ce vice révèle une âme ingrate. Qui murmure, est ingrat envers Dieu ; qui est ingrat envers Dieu, est déjà blasphémateur.

3. Au reste, à la naissance du Christianisme, les épreuves étaient continuelles, les dangers se suivaient sans interruption ; point de cesse, point de trêve ; de toutes parts une nuée de calamités ; tandis que de nos jours, la paix est profonde, la tranquillité parfaite.

Quel si grave motif vous fait murmurer ? — Votre pauvreté ? Pensez à Job. — Vos maladies ? Que feriez-vous donc si, chargé comme il l’était, et de biens et de bonnes œuvres, vous étiez tombé dans la maladie ? Oui, pensez à ce saint patriarche, voyez-le, pendant de longs jours, rongé de vers, assis sur un fumier et tourmentant de ses ongles une lèpre hideuse. Après des souffrances de longue durée déjà, disent nos saints Livres, sa femme l’apostrophait : « Combien de temps encore durera votre patience ? continuerez-vous toujours à répéter : J’attends, j’attends encore ? Dites plutôt une parole contre Dieu, et puis mourez ». (Job 2,9) — Je reviens à vous, cher auditeur. Vous murmurez parce qu’un fils vous est mort ? Que serait-ce donc si vous les aviez tous perdus, et encore par une fin cruelle comme autrefois Job ? Vous savez, au contraire, oui, vous savez combien vous ont consolé les soins prodigués à leurs derniers jours, cette assiduité auprès de leur chevet, ces baisers de vos lèvres à leurs lèvres, leurs yeux que vous avez fermés, leur bouche que vous avez close, leurs dernières paroles que vous avez ouïes ! Job, si grand et si juste, n’a pas même obtenu du ciel ces suprêmes consolations : tous ses fils, d’un seul coup, furent écrasés et périrent.

Mais, que dis-je ? Si vous aviez reçu l’ordre de tuer vous-même votre fils, de l’immoler de voir brûler sa dépouille mortelle comme cet autre patriarche [Abraham], qu’auriez-vous fait ? Et pourtant avec quel courage il construit un autel, y place le bois, y attache son fils ? — Mais il est des gens qui vous poursuivent de leurs insultes ? Que serait-ce donc si les auteurs de ces insultes étaient des amis venus pour vous consoler ? Et pourtant les péchés ne nous manquent jamais, et à ce titre nous avons mérité l’outrage. Mais Job, qui était un homme sincère, juste, pieux, qui avait évité toute faute, s’entendit calomnier par ses amis. Quelle eût été votre attitude en présence d’une épouse qui vous aurait couvert de reproches ? Oui, disait-elle, me voilà, pauvre vagabonde, servante condamnée à errer çà et là, d’une maison à l’autre, n’attendant qu’avec le coucher du soleil un instant de trêve et de repos à mes chagrins ! — Femme insensée, qu’oses-tu dire ? Ton mari est-il donc la cause de tes malheurs ? Non, non ; c’est le démon seul ! — « Job », dis-tu, « Job, prononcez quelque parole contre le Seigneur, et puis mourez ». Est-ce bien ta pensée ? En serais-tu plus heureuse, pauvre folle, si cet agonisant prononçait cette parole et qu’il mourût ? — Mes frères, il n’existe pas de maladie plus affreuse que celle dont Job était affligé. Elle était si grave et de telle nature qu’elle le chassait de sa maison et de toute habitation humaine. Si ce n’avait été une maladie incurable, on n’eût pas vu le patriarche assis hors de la ville, et dans des conditions pires que les malheureux que la lèpre dévore. Ceux-ci, du moins, trouvent une demeure et se rassemblent entre eux. Mais lui, à l’injure du temps, sur un fumier, passait ainsi nuit et jour et ne pouvait même se couvrir d’un vêtement. Comment l’eût-il essayé ? Sa douleur en devenait plus aiguë. « Je creuse la terre », disait-il, « et j’irrite mes plaies saignantes ». (Job 7,5) Ses chairs se fondaient en pourriture, fourmillaient de vers, et cela continuellement. Rien qu’à entendre ces horreurs, ne sentez-vous pas comme chacun frissonne ? Et s’il est presque intolérable d’en ouïr le récit, combien plus l’était-il de les subir ? Il les subit cependant, cet homme juste, et non pas un jour ou deux, mais longtemps ; et ses lèvres ne commirent point de péché. Quelle maladie semblable pourriez-vous me citer ? Quel mal fut plus fécond en souffrances ? N’était-il pas pire que la perte de la vue ? J’infecte mes aliments, s’écrie-t-il ; la nuit non plus que le sommeil, soulagement de toute âme qui souffre, ne m’apporte aucune consolation ; elle est pour moi une douleur de plus. Voici, du reste, ses paroles mêmes : « Mon Dieu, pourquoi m’effrayez-vous par d’horribles rêves, pourquoi suis-je le jouet de visions cruelles ? Et quand l’aurore vient, je me dis : Quand donc tombera la nuit ? » (Job 7,14) Malgré tant et de si grands maux qui l’accablent, il ne murmure jamais. Nouvel et atroce ennui : la multitude avait conçu contre lui les plus tristes idées. Ces calamités qui le frappaient faisaient croire qu’il était coupable de crimes sans nombre. Ses amis lui répétaient : Vos souffrances n’ont pas encore atteint la mesure de vos péchés ! Lui-même ajoutait : « Je m’entends blâmer par des hommes de rien, que j’estimais moins que les chiens de mes bergers ». (Job 30,1) Une telle honte n’est-elle pas pire que mille morts ? Et cependant, ce naufragé battu par tant de vagues, en proie à une si horrible tempête, demeure calme, immobile au milieu des nuées, parmi les vents, les foudres, les tourbillons et les gouffres ; l’ouragan, si redoutable, ne paraît être pour lui qu’un port tranquille, et l’on n’entend point ses murmures. Tant de courage se déployait avant notre loi de grâce, avant la claire prédication de la résurrection, de l’enfer, de ses peines et de ses supplices. Et nous qui avons entendu prophètes, apôtres, évangélistes, exemples à l’infini ; nous qui avons appris les preuves de la résurrection pour nous si évidentes, nous n’en sommes pas moins impatients, bien que nul d’entre nous ne soit éprouvé par tant et de si grandes calamités. Un tel a fait une perte d’argent, mais il n’a pas perdu et ses fils et ses filles ; et son malheur peut-être est la punition de ses péchés. Job voit périr les siens tout à coup, pendant les sacrifices qu’il offre à Dieu, à l’heure même où il lui rend ses hommages et son culte. Supposez même qu’un chrétien ait vu s’abîmer à la fois et ses richesses et sa famille, ce qui est presque impossible : au moins ne voit-il pas tout son corps se résoudre en vers dévorants et se fondre en corruption. Accordons qu’il ait même ce dernier malheur : du moins ne trouve-t-il pas et ces insultes et ces outrages qui, d’ordinaire, nous semblent être les maux les plus poignants, et nous désolent plus que nos malheurs mêmes. Car si dans nos misères profondes, lorsque nous trouvons des amis pour nous consoler, pour adoucir nos peines et nous inspirer quelques bonnes espérances, nous sommes cependant encore si brisés, si découragés : imaginez quel devait être le supplice de Job, quand il ne trouvait que des insulteurs, Oui, si le prophète nous signale un malheur grave et incomparable dans ce trait du psaume : « J’ai attendu un ami pour pleurer avec moi, et personne n’est venu pour me consoler, et je ne l’ai point trouvé » (Psa 69,21) : à quelle extrémité était donc réduit celui qui, au lieu de trouver des consolateurs, ne rencontrait que des insulteurs, et s’écriait : « Vous n’êtes tous que d’onéreux consolateurs ! » (Job 16,2) Ah ! si de pareils souvenirs nous occupaient sans cesse, si tels étaient nos raisonnements, aucun événement du siècle présent ne nous accablerait de douleur ; nos regards se porteraient sur cet athlète, sur cette âme de diamant, sur ce cœur de bronze que rien ne pouvait entamer ; on eût dit, en effet, qu’il avait revêtu un corps de rocher et d’airain, tant il souffrait avec patience et générosité.

4. Armé de ces pensées, agissons toujours sans murmures, sans hésitation. Vous faites quelque bien et vous murmurez ? Pourquoi ? C’est, dites-vous, une fatalité, une nécessité ! — L’apôtre répondra : Je connais, en effet, dans votre entourage, des gens qui presque vous forcent à murmurer. C’est ce que laisse deviner cette phrase de saint Paul :. « Vous habitez au milieu d’une nation dépravée et pervertie ». Eh bien ! voilà précisément le seul point admirable de votre conduite : même harcelé, même poussé par les méchants, n’arrivez pas jusqu’au murmure. Voyez plutôt comme les étoiles brillent mieux dans la nuit sombre, et lancent leurs feux dans les ténèbres ; loin que leur beauté s’use et se dépense par cette ombre épaisse, elle n’en a que plus d’éclat ; et même à l’approche du jour, vous les verrez pâlir. C’est votre image : demeurez droit et vertueux parmi les méchants ; vous n’en aurez que plus de splendeur, vous n’en serez que plus admirable, de persévérer ainsi sans reproche. Vous voyez que l’apôtre a prévenu vos objections, quand il a écrit ces paroles.

Que veut-il indiquer par celles-ci : « Portant la parole de vie ? » C’est comme s’il disait : Vous qui devez arriver à la vie, vous qui êtes du nombre de ceux qui atteindront le salut. Comprenez donc qu’il se hâte de leur montrer la récompense. Les luminaires n’ont que la lumière ; vous portez, vous, la parole de vie. Qu’est-ce à dire ? La semence de la vie est en vous ; vous en avez la promesse, vous en portez le germe : voilà ce que l’apôtre appelle la parole de vie. En dehors de vous, tous sont des morts : c’est encore ce que Paul donne à entendre, car s’ils vivaient, ils auraient donc aussi la parole de vie.

« Pour ma gloire », dit-il encore. Pourquoi ? C’est que, dit-il, j’ai ma part dans vos biens. Si grande est votre vertu, qu’elle suffit à la fois et pour vous sauver, et pour me glorifier. Mais quelle est votre gloire, ô bienheureux Paul ? Pour nous, vous êtes flagellé, banni, couvert d’outrages ! « Sans doute », répond-il, « ma gloire, au jour de Jésus-Christ, sera de n’avoir pas couru en vain, de n’avoir pas travaillé en vain » ; j’aurai ainsi toujours sujet de gloire, puisque ma carrière ne sera pas sans combat.

« Et si je dois subir l’immolation… » Il ne dit pas : Si je meurs, et il ne parle pas non plus de sa mort dans l’épître à Timothée ; il y répète seulement cette expression : « Déjà je subis l’immolation ». Il veut à la fois et les consoler de sa mort, et leur apprendre à mourir sans crainte pour Jésus-Christ. Je deviens, dit-il, une victime, une hostie. Ô âme bienheureuse ! Il appelle hostie leur établissement dans la foi. Mieux vaut immoler sa vie que d’offrir un bœuf. Si donc je me livre moi-même sur cette offrande, comme victime volontaire, je me réjouis d’avance de ma mort ; tel est le sens de ces paroles : « Mais quand je devrais répandre mon sang sur la victime et le sacrifice de votre foi, je m’en réjouirais en moi-même, et je m’en conjouirais avec vous tous ; et vous devriez aussi vous en réjouir et vous en conjouir avec moi ». Voyez-vous comment il veut que les fidèles se réjouissent ? Pour moi, dit-il, je suis heureux de devenir une victime, et je me conjouis avec vous d’unir le sacrifice de ma mort à celui de votre foi. Vous-mêmes soyez-en heureux ; vous-mêmes, conjouissez avec moi de ce que je suis offert en victime. Partagez la joie que j’éprouve dans ma propre mort.

Ainsi la mort des justes ne veut point des larmes et mérite notre joie. Ils en sont heureux : soyons-le nous-mêmes avec eux. Il serait absurde de pleurer sur eux quand ils se réjouissent. Mais nous regrettons leur présence, direz-vous ? Ce n’est là qu’un prétexte, ce n’est qu’un déguisement. Écoutez l’avis aux Philippiens : « Réjouissez-vous ; félicitez-moi ! » Vous ne les voyez plus, dites-vous, vous auriez raison de vous plaindre, si vous deviez toujours demeurer ici-bas ; mais si vous devez bientôt rejoindre celui que vous pleurez, quelle raison avez-vous de regretter si fort son départ ? Que celui-là regrette ses amis, qui se voit séparé d’eux pour jamais. Mais si vous devez bientôt prendre le même chemin, que signifient vos regrets ? Pourquoi ne pleurons-nous pas les absents ? Pourquoi, du moins, après quelques larmes pendant un ou deux jours, cessons-nous de pleurer ? Si vous ne regrettez que la séparation, pleurez seulement ce qu’il faut pour montrer que la nature vous a fait homme ; puis réjouissez-vous comme le faisait Paul, qui s’écriait : Il ne m’est arrivé aucun mal ; je suis heureux de m’en aller auprès de Jésus-Christ ; vous-mêmes associez-vous à ma joie ; félicitez-moi.

Réjouissons-nous donc à la vue d’un juste qui meurt, et même en apprenant la mort d’un pécheur impénitent. L’un est parti pour recevoir la récompense de ses travaux ; l’autre a cessé d’ajouter au nombre toujours croissant de ses crimes. Mais peut-être, direz-vous, peut-être il eût changé de vie. Non ! car Dieu, si ce pécheur avait dû se convertir, ne l’aurait pas enlevé de ce monde. Car, pourquoi le bon Maître qui pour notre salut prépare tout, fait tout, ne l’aurait-il pas laissé vivre, si ce pécheur un jour avait dû redevenir en état de lui plaire ? S’il supporte et attend ceux qui ne se convertissent pas, combien plus ceux qui se convertissent ? Nous avons donc raison de supprimer les pleurs dans les deux cas. Quoi qu’il arrive, remercions Dieu de toutes choses ; faisons tout sans murmurer ; réjouissons-nous et sachons en tout lui plaire, afin de gagner l’éternelle palme, par la grâce et bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc., etc.

HOMÉLIE IX.

J’ESPÈRE, DANS LE SEIGNEUR JÉSUS, QUE JE VOUS ENVERRAI BIENTÔT TIMOTHÉE, AFIN QUE JE SOIS CONSOLÉ MOI AUSSI, EN APPRENANT DE VOS NOUVELLES. (II, 19, JUSQU’À LA FIN DU CHAP)

Analyse.

  • 1-3. Pour se rassurer au sujet des Philippiens, il envoie Epaphrodite, et bientôt aussi Timothée, un autre lui-même. — Éloge d’Epaphrodite, qu’il veut leur rendre, et que Dieu a guéri. — Le retour à la santé est une grâce de Dieu, et la vie présente n’est pas un mal. — Détails sur Epaphrodite, auxiliaire dévoué ; heureux qui peut ainsi aider les apôtres : transition à l’exhortation.
  • 4-6. Obligation de subvenir aux besoins des ministres des autels : dette d’honneur et non de justice. — Iniquité de ceux qui les accusent. — Pourquoi le prêtre s’est fait pauvre. — Réponse à l’objection : Ne possédez ni or, ni argent, etc. — Pourquoi Dieu nous laisse-t-il les prêtres à secourir ?

1. Paul avait dit : Les événements qui « m’ont frappé ont contribué aux progrès de l’Évangile ; mes chaînes ont été glorieuses jusque dans le palais impérial ». (Phi 1,13) Il ajoutait : « Quand même je répandrais mon sang sur le sacrifice et l’oblation de votre foi » : autant d’encouragements qui rendaient la force à ses chers Philippiens. Mais peut-être aussi auraient-ils soupçonné ces premières paroles de n’être simplement qu’une consolation qu’il leur adressait. Pour écarter ce nuage, que fait-il ? Je vous envoie Timothée, leur dit-il. Il voulait ainsi contenter l’ardent désir qu’ils avaient de connaître parfaitement l’état présent de l’apôtre. Mais pourquoi ne dit-il pas : Je l’envoie pour vous faire savoir ce qui me concerne, mais plutôt pour m’instruire de vos affaires ? C’est que l’état de Paul leur devait être auparavant révélé par Epaphrodite, qu’il leur envoyait avant même le départ de Timothée, comme le prouvent les paroles qui suivent : « J’ai cru nécessaire de vous renvoyer mon frère Epaphrodite. », qui vous dira mes affaires ; mais je veux aussi savoir les vôtres. Il est vraisemblable, en effet, que celui-ci, à cause de sa propre maladie, avait dû rester longtemps près de l’apôtre. Je tiens donc absolument, disait saint Paul, à savoir ce qui vous concerne. Or, voyez comme il soumet toutes choses à Jésus-Christ, tout, jusqu’à l’envoi de Timothée : « J’espère », dit-il, « dans le Seigneur Jésus », c’est-à-dire, j’ai confiance que Dieu m’accordera cette grâce, et qu’ainsi mes vœux pourront aboutir.

« Afin que moi aussi je sois consolé en apprenant de vos nouvelles… » Comme vous avez été consolés, quand je vous ai appris que, selon vos vœux et vos prières, l’Évangile était en progrès, que le déshonneur était retombé sur nos ennemis, que la joie m’était venue des efforts mêmes qu’ils avaient faits pour me nuire ; ainsi je veux savoir à mon tour l’état actuel de vos affaires, afin que moi aussi je sois consolé en apprenant de vos nouvelles. C’est assez leur dire qu’ils avaient dû se réjouir de ses liens et ambitionner de l’y suivre eux-mêmes, puisqu’il y trouvait son plus grand bonheur.

En disant : Pour que « moi aussi » je sois consolé, il sous-entend : comme vous l’êtes vous-mêmes. Dieu ! comme il aimait ses chers Macédoniens ! Il tient, au reste, le même langage aux Thessaloniciens, quand il écrit : Nous sommes désolé d’être séparé de vous, même pour très peu de temps ; tout comme il dit aux Philippiens : J’ai l’espoir de vous envoyer bientôt Timothée pour savoir où vous en êtes. De part et d’autre, il montre même souci, très inquiet de ses néophytes. Car, lorsqu’il ne pouvait les voir en personne, il leur envoyait ses disciples : tant il ne pouvait se résigner à ignorer leurs affaires, même pendant un court laps de temps.

Paul, en effet, ne savait pas tout par révélation de l’Esprit ; et il valait mieux qu’il ignorât de cette manière, puisque si ses néophytes avaient pu croire qu’il eût cette omniscience, ils auraient péché par dépit et impudence ; tandis que s’échappant à des fautes qu’ils croyaient être cachées, ils s’en corrigeaient plus facilement.

C’est aussi pour redoubler leur vigilance qu’il leur écrit : « Afin que moi aussi je sois consolé » ; il réveille leur ferveur et leur bonne volonté, en leur faisant entendre, que, quand bien même Timothée n’irait point chez eux, Paul saurait bien trouver un autre envoyé qui lui apprendrait leur conduite. Il se sert évidemment d’un moyen semblable, quand il diffère son voyage chez les Corinthiens, à l’effet de les convertir, disant : « C’est pour vous épargner que je ne suis pas encore venu chez vous ». La charité de l’apôtre se manifeste, non seulement en leur annonçant ce qui lui arrive, mais aussi en témoignant qu’il veut savoir où eux-mêmes en sont actuellement. Voilà bien le fait d’une âme inquiète, ardente, et qui ne peut calmer sa vive sollicitude. — Mais, en même temps, il les comble d’honneur en leur envoyant Timothée. Que dites-vous, en effet ? ô grand saint ! Vous envoyez Timothée ? Pourquoi ? Vous me répondez : « Je n’ai personne qui soit autant avec moi d’esprit et de cœur, ni qui se porte plus sincèrement à prendre soin de ce qui vous touche… » N’avait-il donc personne qui eût le même cœur, le même amour que lui, Paul ? Non, personne que Timothée. Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire aucun excepté lui qui, autant que moi, vous porte intérêt et sollicitude. Car il est difficile de trouver un ami capable de faire tant de chemin uniquement pour cette raison. Un seul vous aime autant que moi, c’est Timothée. J’en aurais trouvé d’autres pour cette mission ; mais personne n’a son cœur. Ainsi, cette « unanimité » avec l’apôtre, signifie un amour aussi grand que le sien pour ses néophytes… Lui, vous aime d’un amour « sincère », c’est-à-dire d’un amour paternel.

« Car tous cherchent leurs intérêts propres, et non ceux de Jésus-Christ… » c’est-à-dire, leur plaisir, leur sécurité, comme il l’écrivait aussi à Timothée. Mais pourquoi ces plaintes ici ? Il veut nous apprendre, par cette leçon, à ne pas tomber dans de pareils errements ; il veut que tous ceux qui l’entendent ne cherchent ni leur satisfaction, ni leur tranquillité. — Car celui qui cherche son propre bonheur, poursuit, non les intérêts de Jésus-Christ, mais les siens propres ; pour lui nous devons être prêts à subir tous les travaux, toutes les souffrances.

« Jugez de lui par l’épreuve que j’en ai faite, puisqu’il a servi avec moi dans la prédication de l’Évangile, comme un fils avec son père ». — Vous avez la preuve que je ne le loue pas à l’aventure ; vous savez vous-mêmes qu’il m’a aidé dans la prédication de l’Évangile, comme un fils, son père. Paul fait ici à bon droit l’éloge de Timothée, puisqu’il veut qu’on le reçoive en tout honneur. La même raison lui dicte ces paroles aux Corinthiens : « Que personne ne le méprise, car il fait autant que moi l’œuvre de Dieu » (1Co 16,10) ; recommandation qui est beaucoup moins utile à l’envoyé qu’à ceux qui le reçoivent ; car ce sont eux qui seront récompensés magnifiquement en lui faisant accueil.

« J’espère donc vous l’envoyer, aussitôt que j’aurai mis ordre à ce qui me regarde », aussitôt que je saurai l’état de mes affaires et que je pourrai en pressentir l’issue, le résultat. « Et je me promets aussi de la bonté du Seigneur, que j’irai moi-même vous voir bientôt ». Si je vous l’envoie, ce n’est pas que je ne doive plus venir moi-même, mais c’est pour me rassurer en apprenant où en sont vos affaires, et pour ne pas rester, en attendant, sans nouvelle aucune. Je me promets d’aller vous voir, grâce à Dieu, si c’est sa volonté. Vous voyez qu’en tout et toujours, il se soumet à Dieu, et ne prononce rien d’après son propre esprit.

2. « Cependant j’ai cru nécessaire de vous renvoyer mon frère Epaphrodite, l’aide de mon ministère, le compagnon de mes combats… » L’apôtre l’envoie donc, avec les mêmes éloges qu’il donnait à Timothée. Celui-ci obtenait, en effet, deux titres de recommandation son amour pour les Philippiens, que saint Paul attestait en disant que Timothée prendrait soin d’eux avec une affection sincère ; et les preuves de zèle qu’il avait données dans la prédication de l’Évangile. Il invoqua ce double titre pour Epaphrodite ainsi, et en quels termes ? Il l’appelle frère et coopérateur, il va même jusqu’à le nommer son compagnon d’armes, montrant en lui un ami qui a partagé tous ses dangers, et attestant de lui tout ce qu’il pourrait dire de soi-même. Compagnon d’armes dit plus encore que coopérateur ; on trouve des gens qui s’associent à vous pour des affaires peu graves ; beaucoup moins, pour prendre leur part de vos combats et de vos périls. L’apôtre indique que celui-ci portait jusque-là le dévouement. « Epaphrodite qui est aussi votre apôtre et qui m’a servi dans mes besoins ». Ainsi nous vous rendons, dit saint Paul, ce qui est à vous, puisque nous vous renvoyons un homme qui vous appartient, ou qui peut vous instruire.

« Parce qu’il désirait vous voir tous ; et il était fort en peine, parce que vous aviez appris sa maladie ; en effet, il a été malade jusqu’à la mort, mais Dieu a eu pitié de lui, et non seulement de lui, mais aussi de moi, afin que je n’eusse point affliction sur affliction ». C’est une autre manière de recommander Epaphrodite. L’apôtre montre que ce cher député est convaincu de l’amour des Philippiens envers lui. Rien de plus capable qu’un tel motif pour le faire aimer encore davantage. Comment ? C’est qu’il a été malade, et vous en avez été affligés ; il est rétabli, et vous délivre ainsi de l’inquiétude que vous causait son accident ; mais il n’a pas été sans chagrin même après sa guérison ; il s’attristait de ne vous avoir pas vus encore depuis son rétablissement. L’intention de l’apôtre est aussi de se justifier lui-même en leur donnant la raison qui ne lui permettait pas de le renvoyer plus tôt, et prouvant que la négligence n’y est pour rien ; qu’il a dû retenir Timothée, n’ayant personne avec lui : « Lui excepté, dit-il, je n’ai point d’ami intime », et d’autre part, gardant Epaphrodite à cause de sa maladie, qu’il montre aussitôt avoir été longue et dangereuse, puisqu’il « fut malade à en mourir ». Voyez-vous quelles précautions saint Paul met en jeu pour que les fidèles ne puissent le moins du monde accuser en lui négligence ou paresse, et n’aillent soupçonner que si personne n’est venu, c’est parce qu’on les mépriserait ? Rien n’est plus capable, en effet, de gagner le cœur d’un disciple, que de lui donner la preuve et la conviction de l’intérêt que lui porte son maître et des regrets dont il est ainsi l’objet : c’est la marque d’une extrême charité. Et puis ajoutant : « Vous saviez qu’il avait été malade ; il l’a été mortellement, en effet », et pour vous convaincre que je n’invente ni n’exagère aucunement, écoutez : Dieu seul l’a sauvé « dans sa miséricorde ».

À ce fait, hérétiques, que répondrez-vous ? Paul, ici, attribue à la miséricorde la conservation d’un malade près de mourir, et son retour à la vie. Mais si ce monde était essentiellement mauvais, ce ne serait pas miséricorde que de le retenir dans cet empire du mal. Cette réponse est accablante et facile contre un hérétique ; mais à un chrétien, que dirons-nous ? Il se peut qu’il ait des doutes, et qu’il dise : Quoi ! si être dissous et habiter avec Jésus-Christ est un sort préférable, comment dire que la miséricorde ici se soit exercée ? — Et moi je répliquerai : Pourquoi l’apôtre ajoute-t-il aussitôt : Il est nécessaire que je reste à cause de vous ? Nécessité pour Paul, qui valait aussi pour Epaphrodite ; d’ailleurs il n’attendait que pour s’en aller enfin vers Dieu avec de plus riches trésors et une plus grande confiance. Pour être retardé un peu, ce bonheur ne pouvait néanmoins lui manquer ; et une fois parti de ce monde, il lui était impossible de gagner des âmes. Ajoutez que Paul parle souvent le langage ordinaire des hommes, qu’il s’accommode à leurs sentiments et à leurs pensées, et qu’il ne s’élève pas toujours aux sommets de la sagesse. Sa parole s’adressait à des hommes mondains encore et craignant beaucoup la mort. Il veut enfin montrer sa haute estime pour Epaphrodite, et lui gagner les respects des fidèles en attestant que cette vie ainsi sauvée lui est nécessaire au point qu’il regarde cette guérison comme un acte de miséricorde envers lui-même.

Au reste, à part ces raisons, nous soutenons encore que la vie présente est un bien : sinon pourquoi Paul voudrait-il énumérer, parmi les châtiments du ciel, les morts prématurées ? Car il dit en un autre endroit : C’est pour cela que parmi vous plusieurs sont malades infirmes, frappés même de l’éternel sommeil. La vie à venir du méchant n’est pas meilleure que celle-ci, elle est affreuse ; pour l’homme juste, elle vaut mieux que celle-ci.

« Dieu n’a pas voulu que j’eusse tristesse sur tristesse », que déjà désolé de sa maladie, j’eusse encore la douleur de le perdre. Il ne peut mieux faire voir son estime pour Epaphrodite. « C’est pourquoi je me suis hâté de le renvoyer ». Comment s’est-il hâté ? Sans hésitation, sans délai, en lui ordonnant de passer sur tous les obstacles, pour vous arriver au plus tôt et vous mettre hors de peine. En effet, quand une personne aimée revient à la santé, nous sommes heureux de l’apprendre, mais plus joyeux de la revoir, surtout si elle a guéri contre toute espérance, comme il était alors arrivé pour Epaphrodite. — « Pour vous donner la joie de le revoir et pour adoucir aussi mon chagrin ». Quel est le sens des derniers mots ? Le voici : Si vous revenez à la joie, j’y reviendrai moi-même ; notre cher disciple sera, à son tour, heureux de notre bonheur, et moi-même je serai mieux délivré de mon chagrin. Il ne dit pas : Je serai sans tristesse ; mais seulement : Ma tristesse s’en adoucira, pour montrer que jamais son âme n’est exempte de souffrance. Comment serait-il sans chagrin ni peine, celui qui s’écrie : « Qui est-ce qui est malade sans que je le sois avec lui ? Qui est scandalisé sans que je brûle ? » (2Co 11,29) Du moins déposerai-je ce chagrin !

3. « Recevez-le donc avec toute sorte de joie dans le Seigneur ». Recevoir « dans le Seigneur », c’est le recevoir avec l’esprit de foi, avec une charité empressée ; ou plutôt, c’est l’accueillir selon la volonté de Dieu ; par conséquent avec le respect dû à la dignité des saints, comme il convient de recevoir un saint. — « En toute joie », dit-il encore ; car Paul, par ces recommandations, agissait dans l’intérêt non de ses envoyés, mais des fidèles qui les accueilleraient. Celui qui donne en pareil cas a bien plus à gagner que celui qui reçoit. Donc « traitez avec honneur de telles personnes » ; faites à celui-ci l’accueil que méritent les saints.

« Car il s’est vu tout proche de la mort, pour avoir voulu servir à l’œuvre de Jésus-Christ, exposant ainsi sa vie, afin de suppléer par son assistance à celle que vous ne pouviez me rendre vous-mêmes ». Epaphrodite avait été envoyé par la communauté entière des chrétiens de Philippes, afin de servir Paul, ou peut-être il était venu lui apporter un secours L’apôtre semble attester dans un passage déjà cité que c’était un secours d’argent. J’ai reçu, dit-il, ce que vous m’avez envoyé par Epaphrodite. Il est donc vraisemblable qu’à son arrivée à Rome, il trouva Paul dans un danger très grave et si menaçant même que, loin de pouvoir aborder sa prison sans péril, on risquait sa vie en s’y hasardant ; ce qui arrive d’ordinaire quand gronde un violent orage et que la colère des souverains déborde au-delà de toute limite. Qu’un malheureux soit tombé dans la disgrâce du prince, il est jeté dans les fers et gardé très étroitement ; ses serviteurs mêmes ne peuvent arriver jusqu’à lui. Il est vraisemblable que tel était alors le sort de Paul, et qu’Epaphrodite, homme d’un caractère et d’un courage héroïques, avait méprisé tous les dangers pour pénétrer auprès de lui, pour l’aider et lui fournir tout ce que réclamait sa position. Paul apporte donc deux motifs pour lui gagner le respect et l’autorité ; l’un, c’est qu’il a, dit-il, bravé la mort à cause de moi ; l’autre, qu’il s’est exposé ainsi étant l’ambassadeur de toute une cité ; de manière que, dans ce grand péril, la cité qui le députait a eu aussi sa part de gloire, puisqu’il représentait tous ceux qui l’avaient envoyé. Recevez-le donc avec de grands égards, rendez-lui des actions de grâces pour ses fonctions si bien remplies ; c’est le moyen pour vous de participer aux mérites de nos dangers et de toutes nos œuvres. Et il n’a pas dit : Il s’est exposé « pour moi », mais pour que son témoignage acquière autorité et confiance, il dit : « Pour l’œuvre de Dieu ». Ce n’est pas mon intérêt, c’est celui de Dieu qui l’a fait agir et « braver la mort ». Car enfin, n’est-il pas vrai que, bien qu’il n’ait pas, grâce à Dieu, subi le coup fatal, il n’a cependant tenu aucun compte de sa vie et qu’il s’est livré entièrement ; il aurait affronté à l’aveugle tous les maux, sans craindre ni cesser pour cela de m’offrir son secours. Et s’il s’est exposé à la mort pour le service de Paul, bien plus volontiers l’aurait-il fait pour la prédication de l’Évangile ; ou, à dire vrai, mourir pour Paul, c’était mourir pour l’Évangile. Car la couronne du martyre n’est pas seulement pour ceux qui refusent de sacrifier aux idoles, mais pour ceux encore qui meurent pour le service des saints. Je dirai même, et ceci vous étonnera peut-être, que le second cas est même plus glorieux que le premier. Celui qui, pour un sujet moindre, ose affronter la mort, l’osera bien plus encore pour un sujet important. Aussi, nous-mêmes, quand nous voyons les saints aux prises avec le péril, ne ménageons pas même notre vie. Celui qui n’a jamais le cœur d’expérimenter le danger, ne sera jamais non plus capable d’une grande action ; toujours préoccupé du salut de la vie présente, il perd le salut de la vie à venir.

« Afin de suppléer par son assistance à celle que vous ne pouviez me rendre vous-mêmes ». Que dit l’apôtre ? Votre cité n’était pas là, mais, par l’intermédiaire de son député, elle a rempli pour moi tous ses devoirs d’assistance. Il vous a suffi de l’envoyer, pour que votre secours qui me manquait, me fût prodigué par ce bien-aimé mandataire qui, pour cette raison, mérite tout l’honneur possible ; ce que tous vous me deviez, il l’a payé pour tous. L’apôtre montre aussi que le premier devoir des fidèles, qui sont en sûreté, est de venir en aide à ceux qui sont en péril ; c’est ce qu’indique l’expression qu’il emploie : « Le retard de l’assistance qui m’était due », dit-il.

Saisissez-vous bien l’intention de Paul, l’esprit d’un apôtre ? Cette liberté de parole ne provenait pas, chez lui, de l’orgueil, mais du grand intérêt qu’il portait aux fidèles. Craignant que ces néophytes ne viennent à s’enfler, voulant qu’ils gardent la sainte modération de l’esprit, et que loin de surfaire un service rendu, ils gardent d’humbles sentiments ; il appelle le service rendu un ministère obligé, un secours qui manquait. Prenons garde nous aussi de nous enorgueillir quand nous aidons les saints, et n’allons pas nous poser en bienfaiteurs devant nos propres yeux. Nous payons une dette, nous ne faisons pas une donation. Comme l’armée active, et surtout le soldat en campagne, doit recevoir du citoyen qui vit en paix, les aliments et tout le nécessaire ; car c’est pour celui-ci que l’autre est sous les armes : ainsi, dans le cas présent. Si Paul n’avait pas rempli sa charge apostolique, l’aurait-on jeté en prison ? Ainsi c’est un devoir que d’aider les saints. Quelle absurdité serait-ce d’approvisionner entièrement ceux qui protègent un empire de la terre, de leur fournir aliments, vêtements, le nécessaire enfin, et même bien au-delà du besoin, tandis qu’à celui qui combat pour l’empereur du ciel, qui livre bataille contre des ennemis bien plus dangereux, [car saint Paul dit que nous ne luttons pas seulement contre la chair et le sang (Eph 8,12), nous n’accorderions pas l’indispensable nécessaire de chaque jour ? Quelle iniquité serait-ce ! Quelle ingratitude ! Quelle avarice !

4. Ne semble-t-il pas que la crainte des hommes l’emporte chez nous sur les terreurs de l’enfer et des supplices éternels ? On ne peut expliquer autrement ce renversement de nos idées et de notre conduite : ainsi nos obligations civiles s’accomplissent chaque jour comme d’elles-mêmes et avec un soin scrupuleux qui n’en voudrait négliger aucune ; tandis que les obligations spirituelles n’entrent point chez nous en ligne de compte. Faut-il donc que des devoirs imposés par la nécessité et par la crainte des châtiments, exigés de nous comme d’esclaves contraints et forcés, soient cependant acquittés avec un extrême empressement, tandis qu’on oublie entièrement ceux qu’on nous réclame en s’adressant uniquement à notre liberté et à notre générosité ? Ce reproche, s’il n’atteint pas la généralité des fidèles, s’adresse à ceux qui ne veulent point acquitter ces dettes sacrées. Dieu ne pouvait-il pas vous en faire la loi la plus rigoureuse ? Il ne l’a pas voulu, parce que votre intérêt lui est plus cher encore que celui des saints, objets de votre charité. Dieu ne veut pas que vous obéissiez à la nécessité, parce qu’une telle obéissance n’aurait rien à espérer de lui.

Toutefois il en est ici, et beaucoup, qui sont plus bas et plus vils que les Juifs. Rappelez-vous les dîmes et les prémices, les secondes dîmes et même les troisièmes, le sicle, tout ce que donnait enfin ce peuple, sans se plaindre jamais de ce que lui coûtait l’entretien des prêtres. Plus ils recevaient, plus il était rendu à ceux qui donnaient. On ne disait pas : Ces gens sont insatiables, esclaves de leur ventre ! Car il me revient de ces propos indignes, et ceux qui les tiennent savent pourtant se bâtir des maisons et acheter des terres, tout en se prétendant pauvres, tandis qu’ils taxeront de riche un prêtre qui, par hasard, ou sera un peu mieux vêtu, ou ne manquera pas des aliments nécessaires, ou se fera servir par un domestique pour ne pas abdiquer sa dignité. Riches, nous ! oui nous le sommes en vérité, et nos détracteurs sont bien forcés d’en convenir. Si peu que nous possédions, en effet, nous sommes dans l’abondance ; tandis que, possesseurs du monde entier, ils auraient encore des besoins.

Jusques à quand durera notre folie ? N’est-ce donc pas assez pour attirer sur vous le supplice éternel, que vous ne fassiez aucune bonne œuvre ? Faut-il encore y joindre les malins propos pour rendre votre châtiment plus sévère ?

Si c’était vous, en effet, qui eussiez fait la prétendue fortune du prêtre, rien qu’en lui reprochant comme un crime ce libre effet de votre générosité, vous auriez perdu votre récompense. Si c’est un don que vous lui avez fait, pourquoi l’accuser ? Vous-même attestez qu’il était pauvre auparavant : ce qu’il a, dites-vous, il le tient de moi. Pourquoi l’accuser, dès lors ? Il ne fallait pas lui donner, si vous deviez lui faire un crime de recevoir. Mais un autre a donné, et vous l’incriminez ! Vous n’êtes que plus coupable, vous qui savez à la fois refuser pour votre compte et accuser ceux qui font le bien !

Quelle sera, pensez-vous, la récompense de ceux qui subissent de tels affronts ? Car ils souffrent pour la cause de Dieu. Ils auraient pu, au lieu du sacerdoce, exercer la profession de simples hôteliers, en supposant que leurs ancêtres ne leur aient rien laissé. On sait bien nous l’objecter avec impudence, quand parfois nous recommandons tel ou tel comme pauvre et nécessiteux. Ne pourrait-il donc s’enrichir, s’il le voulait ? nous dit-on ; et l’outrage s’ajoute à cette réflexion brutale : Son aïeul, son bisaïeul n’étaient que cela, et lui, aujourd’hui même, voyez comme il est bien vêtu ! Mais quoi ! Voulez-vous qu’il aille nu ? Ah ! vous êtes habiles à imaginer des rapprochements cruels ; mais craignez de parler contre vous-mêmes, et entendez l’avis menaçant de Notre-Seigneur : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ! » (Mat 7,1)

Supposons, du reste, qu’il pouvait, à son gré, choisir une profession d’hôtelier, de commerçant qui l’eût mis au-dessus du besoin, et qu’il ne l’a pas voulu. Que gagne-t-il donc maintenant, dites-moi ? Porte-t-il des vêtements de soie ? Traîne-t-il après lui sur la place publique un cortège de nombreux valets ? Monte-t-il un coursier superbe ? Se construit-il des maisons, ayant d’ailleurs une habitation convenable ? Si telle est sa conduite, je le blâme avec vous, et, loin de l’épargner, je le proclame indigne du sacerdoce. Comment, en effet pourra-t-il exhorter les autres à savoir se passer de cet attirail superflu, puisque lui-même : n’est pas assez sage pour cela ? Mais s’il se borne à ne pas manquer du simple nécessaire, est-ce un crime ? Faut-il plutôt qu’il aille de porte en porte demandant son pain ? Et ne seriez-vous pas le premier à en rougir, vous son disciple ? Si votre père selon la nature en était réduit là, vous vous croiriez déshonorés ; mais si votre père spirituel était forcé à se dégrader, ne devriez-vous pas en être honteux jusqu’à ne plus oser vous montrer ? Car, selon l’Écriture, « un père sans honneur est le déshonneur de ses enfants ». (Ecc 3,13) Eh quoi faut-il donc que ce prêtre meure de faim ? La piété ne le permet pas puisque Dieu le défend.

Or, quand nous répondons ainsi à cette sorte de gens, ils deviennent tout à coup des sages et des docteurs. L’Écriture a prononcé selon eux : « Ne possédez ni or, ni argent, ni deux tuniques, aucune monnaie dans vos ceintures, pas même un bâton ». Mat 10,9) Or, on vous voit double et triple vêtement et jusqu’à des lits bien couverts.

Hélas ! laissez-moi jeter un profond soupir ; car si la bienséance ne me retenait, je verserais même des pleurs abondants. Pourquoi ? parce que nous savons découvrir si habilement une paille dans l’œil du prochain, sans jamais soupçonner la poutre qui nous aveugle. Comment donc, dites-moi, comment ne prenez-vous pas pour vous-mêmes l’avis de Notre-Seigneur ? Le précepte, répondez-vous, n’est que pour nos maîtres spirituels. Ainsi, lorsque Paul a écrit : « Quand vous avez le vivre et le couvert, sachez être contents » (1Ti 6,8), il ne parlait non plus qu’à vos pasteurs ? Certainement non, mais à tous les hommes, et tel est le sens évident de ce passage, si vous l’étudiez dans tout son contexte. Il avait dit d’abord : « C’est une grande richesse que la piété, qui se contente de ce qui suffit » ; il poursuivait. :« Car nous n’avons rien apporté dans ce monde, et il est certain que nous n’en pouvons emporter davantage » ; et il conclut aussitôt : « Ayant donc de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents. Car ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège du démon, et dans maints désirs inutiles et pernicieux ». Voyez-vous comme son discours s’adresse à tous les hommes ? N’est-ce pas encore son langage aux Romains ? « N’ayez point de souci de la chair en ses désirs » ; et aux Corinthiens : « Les viandes sont pour le ventre, et le ventre pour les viandes, et un jour Dieu détruira l’un et l’autre » ; et ailleurs, parlant des veuves : « Celle qui vit dans les délices, est morte toute vive ». Une veuve est-elle un maître et un docteur ? et Paul n’a-t-il pas écrit : « Je ne permets pas aux femmes d’enseigner ni de dominer sur leurs maris ? »

5. Réfléchissez ici. Le veuvage ne va guère sans la vieillesse. Celle-ci déjà veut de grands soins ; la nature de la femme les impose d’ailleurs, puisque ce sexe, à cause de sa faiblesse même, réclame plus de ménagements. Or, malgré ces exigences de l’âge et de la nature, saint Paul ne permet pas à la veuve une vie molle et délicate ; il déclare même qu’elle est déjà morte, puisqu’il n’a pas dit seulement : Elle ne doit pas vivre délicatement ! mais bien : Celle qui vit dans les délices est morte ! Il l’a donc rayée de ce monde, puisqu’un mort en est effacé pour toujours. Comment donc un homme serait-il pardonné, s’il se permet une conduite que Dieu punit dans une femme déjà vieille ? Voilà des réflexions que personne n’aborde, que personne n’approfondit.

Quant à moi, je suis forcé de vous tenir ce langage, non dans le but de disculper les ministres de l’autel, mais pour votre propre bien. Vos prêtres, en effet, s’ils ont le malheur de viser aux richesses, et de mériter de trop justes reproches, vos prêtres ne seront pas punis par vos accusations ; parlez ou ne parlez pas contre eux, il est un Juge auquel ils rendront compte de leur conduite ; mais vos détractions ne peuvent les atteindre. Qu’au contraire vos reproches soient des calomnies, ils n’ont qu’à gagner à être ainsi insultés sans raison, et vous n’avez frappé que vous-mêmes. Voyez-vous combien votre condition est différente de la leur ? Parlez contre eux, à tort ou à raison, dès que vous parlez en mal, vous vous êtes blessés ! Pourquoi ? c’est qu’une accusation même véridique vous nuit déjà, parce qu’en dépit du bon ordre, vous jugez vos maîtres : Or, s’il est défendu de juger un frère, combien plus l’est-il de juger un maître ! Que si votre accusation est calomnieuse, le supplice vous attend ; le châtiment vous menace plus terrible encore. Pensez que vous devez rendre compte même d’une parole oiseuse ! Aussi quand, à ce sujet, je vous exhorte et me fatigue, je le fais dans votre intérêt.

Au reste, je le répète, ces réflexions qui nous condamneraient, personne ne les fait, personne ne les creuse, personne ne se les applique. Voulez-vous cependant d’autres textes dans le même sens ? « Quiconque d’entre vous (c’est Jésus qui parle) ne renonce pas à tout ce qu’il possède, n’est pas digne de moi ». (Luc 14,33) Et que pensez-vous de cette autre parole : « Il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux » (Mat 19,23) ; et de celle-ci encore : « Malheur à vous, riches, parce que vous avez toute votre consolation ! » (Luc 6,24) Voilà ce que personne ne pèse, n’approfondit, ne se dit à soi-même ; nous n’avons de force et d’ardeur que dans la cause du prochain ; c’est le moyen assuré de tremper dans tous les crimes.

Toutefois, et toujours dans votre intérêt, écoutez comment se résolvent les tristes griefs qu’on impute aux prêtres. Les regarder comme convaincus de violer la loi de Dieu n’est pas une mince injure : examinons la valeur de ces accusations.

Jésus-Christ a dit : « Ne possédez ni or, ni a argent, ni deux tuniques, ni chaussures, ni ceinture, ni bâton ». Qu’en conclure, dites-moi ? Pierre allait-il contre le précepte ? Et comment enfin l’excuser d’avoir possédé, en effet, ceinture, vêtements, chaussures ? Écoutez plutôt ce que lui dit l’ange libérateur « Ceignez-vous, chaussez-vous de vos souliers » (Act 12,8), bien qu’à cette époque de l’année, les chaussures ne fussent pas un objet de première nécessité ; en cette chaude saison, on peut aller nu-pieds ; l’hiver seul les rend indispensables ; et voilà Pierre en possession de chaussures ! — Et de Paul, que dirons-nous ? Il écrit à Timothée : « Hâtez-vous de venir me trouver », et aussitôt il ajoute : « Apportez-moi, en venant ici, le manteau que j’ai laissé en Troade, chez Carpus, et les livres et surtout les parchemins ». (2Ti 4,13, 21) Il parle d’un manteau, et personne ne dira qu’il n’en avait pas un autre dont il pût se vêtir. Car s’il avait l’habitude d’aller sans manteau, il était inutile évidemment d’ordonner qu’on lui apportât celui-là. Si, au contraire, il était habitué à ce genre de vêtement, il est clair qu’il en avait un autre encore. Comment expliquer d’ailleurs qu’il demeura deux ans dans un logis qu’il louait ? Il faudra dire qu’il désobéissait à Jésus-Christ, lui qui disait pourtant : « Je vis, non ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi » ; lui, le vase d’élection à qui le Seigneur lui-même rendait ce témoignage « Cet homme est pour moi un vase choisi ! »

Je devrais vous laisser dans le doute et ne pas vous donner la solution de ces problèmes, mais vous punir ainsi de votre négligence et de votre oubli de nos saints livres ; car tout le mal vient de là. Chercheurs infatigables et cruels quand il s’agit des péchés d’autrui, nous n’avons pas même la pensée des nôtres, ignorants que nous sommes des Écritures, et nullement instruits de la loi de Dieu. Oui, je vous devrais ce légitime châtiment. Mais quoi ? je suis père ; un père est toujours trop indulgent pour ses enfants, parce que ce cœur paternel ne peut perdre sa chaleur ; à l’aspect d’un fils triste et défait, il se trouve frappé, plus que lui-même, d’une douleur poignante ; il n’est heureux que quand il a détruit la cause de ce chagrin. Puissé-je y réussir, moi aussi, bien que je vous aie laissé quelque peu avec le chagrin de ne pas être consolés, afin qu’à présent vous receviez mieux la consolation.

6. Que répondrai-je donc ? Non, les exemples précipités ne répugnent pas, bien au contraire, ils sont pleinement d’accord avec les préceptes de Jésus-Christ. Car ces préceptes étaient faits pour un temps et non à perpétuité. Et je n’avance pas là une conjecture, mais une vérité déduite des saintes Écritures. Comment ? Saint Luc rapporte les paroles mêmes de Notre-Seigneur à ses apôtres : « Quand je vous ai envoyés sans sac ni besace, sans ceinture ni chaussures, quelque chose vous a-t-il manqué ? Rien absolument, répondirent-ils ». (Luc 22,35-36) Désormais donc, sachez vous en procurer.

Comment d’ailleurs n’avoir qu’une tunique, une seule ? Comment ? Quand elle avait besoin d’être lavée, fallait-il rester chez soi ou même sortir par nécessité, mais sans tenir compte des bienséances ? Réfléchissez à l’étrange position qui aurait été faite à saint Paul appelé à parcourir le monde entier pour des œuvres si grandes et si nobles, la privation d’un vêtement l’eût condamné à s’enfermer ; elle aurait fait obstacle à sa haute mission ! Et que serait-il arrivé si l’hiver avait été rigoureux, si les pluies ou les glaces eussent été continuelles, de sorte qu’il eût été impossible de faire sécher cet unique vêtement ? Fallait-il encore que l’apôtre demeurât enfermé ? Et si le froid avait raidi ses membres, devait-il périr et s’interdire la parole ? Car n’allez pas croire que le corps de ces premiers apôtres ait été de diamant. Écoutez ce que saint Paul dit à Timothée : « Usez d’un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies » ; et d’Epaphrodite : « J’ai cru devoir vous renvoyer cet apôtre qui m’a tant aidé aux jours de ma détresse ; il a été malade jusqu’à en mourir, mais Dieu a eu pitié de lui, et non seulement de lui, mais de moi-même aussi ». (1Ti 5,23 ; et Phi 2,25) Ils étaient donc sujets à toute maladie ou infirmité. Fallait-il donc qu’ils se laissassent mourir ? Non, évidemment. Pour quelle raison donc le Seigneur, à une certaine époque, leur donnait-il le précepte de n’avoir ni sac, ni besace, etc ? Il voulait sur l’heure y pourvoir par un prodige, et montrer que dans l’avenir même il serait encore assez puissant pour y suffire. Et toutefois il n’y suffit point ; pourquoi ? Car, enfin, les apôtres valaient mieux incontestablement que les Israélites, dont les vêtements ni la chaussure ne s’usèrent point pendant quarante ans, bien qu’ils parcourussent le désert, brûlés par les rayons d’un soleil capable de calciner les rochers mêmes. Pourquoi donc fit-il moins pour ses apôtres ? Pour votre intérêt. Dieu savait que vous ne seriez pas invulnérables, que plus d’une blessure au contraire vous atteindrait ; il vous a donc créé le moyen de vous préparer les médicaments ; et la preuve de cette intention divine, écoutez-la. Dieu ne pouvait-il nourrir ses apôtres ? Ce qu’il vous a donné à vous, pécheur, l’aurait-il refusé à Paul ? Lui qui s’est montré généreux pour les Israélites murmurateurs, débauchés, idolâtres, aurait-il été avare à l’égard de Pierre, qui avait tout quitté pour lui ? Lui qui autorise la propriété en faveur des méchants, comment aurait-il été moins gracieux à l’égard de Jean qui, pour lui, avait abandonné jusqu’à son père même ? Et cependant, il ne l’a pas voulu ; mais c’est par vous qu’il veut les nourrir, afin que vous ayez une occasion de vous sanctifier.

Et, de grâce, remarquez l’excès de sa bonté à votre égard. Il a voulu abaisser ses disciples pour vous relever. S’il les avait mis au-dessus du besoin, ils auraient gagné en admiration et en gloire : mais vous auriez perdu pour votre salut. Loin de les rendre admirables en ce point, il les a voulus nécessiteux et humbles pour vous ouvrir une voie de salut ; il leur a donné l’indigence pour vous offrir de gagner le ciel. Un maître se fait moins respecter quand il reçoit quelque chose ; on honore bien davantage celui qui n’accepte rien. Mais aussi le disciple n’y gagne pas, il perd un noble fruit de charité. Voyez-vous la sagesse de Dieu, l’ami et le sauveur du genre humain ? Il n’a pas lui-même cherché sa propre gloire ni étudié ses intérêts ; il était dans la gloire, et il a voulu s’avilir pour votre bonheur. C’est aussi son plan pour les docteurs de sa loi. Il pouvait nous les montrer vénérables, il a préféré les faire voir abaissés, dans votre intérêt, et vous donner l’occasion de vous enrichir. Oui, pour vous faire moissonner les biens spirituels, Dieu veut que ses ministres éprouvent des besoins temporels. Rien ne l’empêchait de leur donner tout en suffisance ; je vous l’ai prouvé par maintes raisons ; pour votre intérêt, nous l’avons fait voir, Dieu les a laissés dans le besoin.

Convaincus de ces vérités, livrons-nous désormais non plus à notre caractère accusateur, mais à l’esprit de bienfaisance. Au lieu de scruter les défauts d’autrui, connaissons bien nos propres misères ; pensons aux bonnes œuvres du prochain ; n’étudions pas moins nos propres péchés, et nous plairons à Dieu. Celui qui ne veut voir dans les autres que leurs péchés, et dans lui-même que ses vertus, celui-là se cause un double dommage. Dans les uns il trouve sujet d’orgueil ; dans les autres il rencontre scandale et tentation de négligence. En effet, tandis qu’il se rappelle qu’un tel et une telle sont tombés, lui-même se facilite les chutes et les défaillances ; et quand, d’autre part, il croit avoir bien agi, facilement il s’enflera d’orgueil. Qu’un homme, au contraire, oublie ses propres bonnes actions et ne pense qu’à ses péchés ; que dans les autres il cherche volontiers, non les fautes, mais les actes conformes à la vertu ; il a dès lors tout à gagner. Et comment ? Le voici. La vue du prochain dans l’exercice du bien vous décide, par une sainte envie, à suivre son exemple ; le souvenir de vos péchés, d’autre part, rabaisse votre arrogance et sauve en vous la modestie.

Si nous retenons ces pensées et si nous y conformons notre conduite, nous pourrons atteindre enfin les biens promis de la vie future, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ… Ainsi soit-il.

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