‏ Psalms 116

EXPLICATION DU PSAUME CXIV.

1. « J’AI AIME PARCE QUE LE SEIGNEUR EXAUCERA LA VOIX DE MA PRIÈRE. »

ANALYSE.

  • 1. Des vrais et des faux biens. Pourquoi Dieu permet la souffrance. Le bien de l’âme, souverain bien.
  • 2. Providence de Dieu à l’égard des enfants. Bienfait de la mort et des souffrances.
  • 3. Félicité de la vie future.

1. Et quel est l’homme, direz-vous qui n’aime pas, quand on l’exauce ? Beaucoup de mondains. Ils ne veulent pas écouter quelles sont les choses qui leur importent, et ils en souhaitent qui ne leur sont point avantageuses : puis, exaucés, ils gémissent et se désolent. Ce qui nous est avantageux, c’est ce que Dieu connaît pour tel, quand ce serait la pauvreté, la faim, la maladie, que sais-je encore ? Ce que Dieu juge nous être utile, ce qu’il nous donne, voilà les choses profitables. Écoutez plutôt ce qu’il dit à Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance se consomme dans la faiblesse. » (2Co 12,9) C’est que l’intérêt de Paul était d’être persécuté, affligé, opprimé. Instruit par cette réponse, il dit « Aussi, je me complais dans les infirmités, les injures, les persécutions. » (Id 10) 1l n’appartient donc pas aux premiers venus de se réjouir quand Dieu les exauce, en procurant leur bien. Beaucoup veulent de faux biens et s’y complaisent. Tel n’était pas le Prophète : il aima, quand Dieu l’eut exaucé, en lui accordant ce qui lui était utile, « Parce qu’il a incliné son oreille vers moi (2). » Encore des expressions humaines pour représenter le consentement de Dieu. Cette parole renferme de plus une autre allusion ; il a l’air de dire : je ne méritais pas d’être entendu ; mais il est descendu jusqu’à moi. « Et dans mes jours je l’invoquerai. » Qu’est-ce à dire, « dans mes jours ? » Parce que j’ai été exaucé, veut-il dire, je ne veux pas pour cela m’enfuir ni me relâcher ; je consacrerai tous mes jours à cette occupation.

« Les douleurs de la mort m’ont environné, les dangers de l’enfer m’ont surpris. J’ai trouvé l’affliction et la douleur (3) ; et j’ai invoqué le nom du Seigneur (44). » Voyez-vous quelle forte armure ? quelle consolation efficace contre toutes les épreuves ? quelle âme échauffée par l’amour du Maître ? Voici ce qu’il veut faire entendre : il m’a suffi, pour échapper aux maux qui m’environnaient, d’invoquer, le Seigneur. Pourquoi nous, l’invoquons-nous tant de fois sans être tirés de peine ? C’est que nous ne l’appelons pas comme il faut. Pour lui il est toujours prêt à nous seconder. Écoutez plutôt ce qu’il dit dans les Évangiles : « Quel est d’entre vous l’homme qui, si son fils lui demande du pain, lui « présentera une pierre ? Ou, si c’est un poisson qu’il lui demande, lui présentera-t-il un serpent ? si donc vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ? » (Mat 7,9, 49) Voyez-vous combien grande est cette bonté auprès de laquelle la nôtre ne paraît plus que méchanceté ? Puisque tel est notre maître, recourons toujours à lui, invoquons-le, lui seul, à notre aide et nous le trouverons prêt à nous sauver. Si des naufragés réfugiés sur une planche flottante n’ont qu’à appeler les premiers venus du plus loin qu’ils les aperçoivent, pour émouvoir leur charité, bien qu’ils n’aient rien de commun avec eux, et pas d’autre recommandation que leur infortune, à bien plus forte raison le bon Dieu en qui la miséricorde est innée a-t-il pitié des malheureux, pour peu qu’ils consentent à recourir à lui, à l’invoquer avec ferveur, renonçant à toutes les espérances humaines. Par conséquent, si vous venez à tomber dans quelque infortune imprévue, ne vous laissez pas abattre, relevez aussitôt votre courage et réfugiez-vous dans ce port sans orages, dans cette imprenable tour qui est l’assistance de Dieu. Car si Dieu vous laisse tomber, c’est afin que vous l’invoquiez. Mais c’est justement alors que la plupart se laissent décourager et perdent jusqu’à la piété qu’ils avaient, quand ils devraient faire tout le contraire. C’est l’amour extrême de Dieu pour nous, c’est son désir de nous attacher plus étroitement à lui qui le détermine à souffrir que nous tombions dans la peine. Les mères se servent de masques effrayants pour forcer leurs enfants rebelles à se jeter dans leurs bras : ce n’est pas qu’elles veuillent leur causer du chagrin, mais elles imaginent ce moyen pour les retenir auprès d’elles. De même Dieu, dans son désir constant de vous attacher à lui, dans son amour extrême, si ce n’est trop peu dire encore, permet que vous tombiez dans de telles épreuves : et c’est afin que vous vaquiez perpétuellement à la prière, que vous l’invoquiez continuellement, que vous négligiez tout le reste pour ne songer qu’à lui. « O Seigneur, délivrez mon âme. » Un autre interprète traduit : « Je vous en prie, Seigneur, retirez mon âme. » Un autre : « O Seigneur, sauvez mon âme. »

Voyez-vous la sagesse du Psalmiste ? Comment il oublie toutes les choses mondaines pour s’occuper d’un seul objet, de maintenir son âme à l’abri de toute atteinte qui pourrait lui porter préjudice ? En effet, si l’âme se porte bien, tout le reste suivra : au contraire si elle va mal, il n’est point de prospérité qui puisse dès lors nous être bonne à quelque chose. Aussi ne faut-il négliger aucun moyen, action ou parole, pour la sauver. C’est le sens caché dans cette parole : « Soyez prudents comme les serpents. » (Mat 10,16) Ainsi que le serpent sacrifie le reste de son corps pour sauver sa tête, ainsi vous devez, vous, tout immoler au salut de votre âme. En effet, ni la pauvreté, ou la maladie, ni cet autre mal qui paraît être comme le résumé des autres, la mort, ne sont en état de nuire à ceux qu’ils frappent, tant que leur âme reste intacte : pareillement la vie même cesse d’être un avantage, quand l’âme est perdue ou gâtée. C’est pour cela que le Psalmiste parle de l’âme et de l’âme seule, qu’il souhaite que le jugement ne lui soit pas rigoureux, et qu’elle échappe aux intolérables supplices. « Le Seigneur est miséricordieux et juste, et notre Dieu a pitié (5). » Voyez-vous comment il enseigne à l’auditeur à ne pas désespérer, à ne point se décourager ? C’est à peu près comme s’il disait : point de désespoir : Dieu est miséricordieux. Point de découragement : Dieu est juste. De cette façon il guérit l’un du relâchement, l’autre du désespoir : et par là il travaille doublement à notre salut.

2. Puis, afin de montrer que Dieu incline plutôt vers la miséricorde, il poursuit en répétant : « Et notre Dieu a pitié. » Il dit à dessein « notre Dieu », afin de l’opposer aux dieux dont il a parlé précédemment. Ces autres dieux ont pour occupation le meurtre, le massacre, les guerres sans trêve. Le nôtre ne songe qu’à répandre ses bienfaits, à pardonner, à nous tirer de péril et rien n’est plus propre à montrer que ces divinités ne sont que des démons funestes, tandis que notre Dieu est un Dieu bon, un Dieu protecteur, un Dieu véritable.

« Le Seigneur veille sur les petits enfants, j’ai été humilié et il m’a sauvé (6). » Il touche ici un côté fort important de la Providence. « Miséricordieux et juste, il a pitié », il aborde une des œuvres les plus frappantes de cette bonté. Quelle œuvre ? Celle qui s’opère sur les petits enfants. Nous avons, nous dans la raison un maître qui nous instruit de ce que nous devons éviter, rechercher, qui nous enseigne à repousser loin de nous les maux qui s’approchent, à nous affranchir de ceux qui nous accablent, nous avons des forces, nous connaissons des expédients ; faute de pareils secours, les enfants seraient sans protecteur, pour ainsi dire, s’ils ne trouvaient une assistance assurée dans la Providence divine qui ne saurait s’éloigner d’eux un seul moment sans les livrer tous à une perte certaine. Sans cela les serpents, les volatiles domestiques, tant d’autres animaux qui hantent les maisons tueraient dans les langes les jeunes nourrissons. Ni nourrice, ni mère, ni personne, ne sauraient montrer une sollicitude suffisante, pour les préserver, s’il leur manquait l’appui d’en haut. Quelques-uns croient d’ailleurs qu’il s’agit ici des enfants encore emprisonnés dans le sein maternel. « J’ai été humilié et il m’a sauvé. » Il ne dit pas : Dieu n’a pas permis que je fusse en péril, mais bien, j’ai été en péril et il m’a sauvé. En effet, après avoir parlé de la Providence en général, il continue à parler en son propre nom, suivant son usage d’associer partout le général et le particulier. N’allez donc pas, mes chers frères, rechercher une vie à l’abri de tous les orages, ce ne serait pas un bien pour vous. Si les prophètes n’y trouvaient point leur avantage, à plus forte raison n’y trouveriez-vous pas le vôtre. Ils n’y trouvaient point leur avantage, dis-je, écoutez en effet : « C’est un bien pour moi que vous m’ayez humilié, afin que je connaisse vos jugements. » Ici Dieu est remercié de deux choses, d’avoir permis le péril et de n’avoir pas abandonné l’homme en danger. Ce sont deux espèces de bienfaits, et le premier n’est pas inférieur à l’autre, ou même, si j’ose le dire, il est plus grand. En effet, le second n’a eu pour effet que d’écarter le péril, le premier a rendu l’âme plus sage. « Rentre, ô mon âme, dans le repos, parce que le Seigneur a répandu sur toi ses bienfaits (7). Parce qu’il a délivré mon âme de la mort, mes yeux, des larmes, mes pieds de la chute (8). Je serai agréable en présence du Seigneur, au pays des vivants (9). » L’interprétation historique fait voir ici une délivrance merveilleuse, un soulagement, un affranchissement. Mais si l’on veut prendre ce passage dans le sens anagogique, on pourra se représenter cet affranchissement comme notre départ d’ici-bas et retrouver lit le repos dont il s’agit. Car on échappe par là à tous les dangers imprévus et l’avenir cesse d’être un mystère inquiétant, on est en sûreté une fois qu’on a quitté la terre le cœur plein de bonnes espérances. En effet, quoique la mort ait été introduite ici-bas par le péché, cela n’empêche pas que Dieu ne la fasse servir à notre avantage. Voilà pourquoi il n’en est pas resté là, mais a rendu de plus notre existence pénible : c’est afin de nous faire comprendre qu’il n’aurait pas permis la mort elle-même, si cette œuvre de sa sagesse n’était pas très-utile. Voilà pourquoi après avoir dit : « Au jour où tu en mangeras, tu mourras », il ne s’est pas borné à exécuter sa menace, en disant : « Tu es terre et tu retourneras en terre. » Mais voici ce qu’il ajoute : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. La terre produira pour toi des épines et des ronces, elle te nourrira dans la peine. » Et il dit à la femme : « Je multiplierai tes douleurs et tes gémissements. Tu enfanteras dans les douleurs. » C’est que la mort n’aurait pas suffi pour les rendre sages. Il est vrai qu’elle corrige beaucoup d’hommes, car sa venue les rend insensibles. Mais les épreuves de la vie nous améliorent de notre vivant. Que si l’on y voit un sujet de terreur, la faute en est à la faiblesse des âmes. C’est ce que montrent les prières de saint Paul et ses transports de joie, lorsqu’il dit, par exemple : « Partir et être avec le Christ, c’est bien préférable », et encore : « Je me réjouis, je partage votre joie à tous, de même, vous aussi, réjouissez-vous, partagez ma joie. » Mais le contraire l’afflige : « Nous gémissons en nous-mêmes », dit-il, « attendant l’adoption, la délivrance de notre corps. » Et ailleurs : « Nous qui sommes dans cet abri, nous gémissons affligés. »

3. Voyez-vous combien c’est une belle chose que la sagesse ? Ce qui paraît aux autres mériter des larmes, lui semble valoir des prières : ce qui paraît aux autres sujet de joie et de contentement, il n’y trouve que des raisons de gémir. N’est-ce pas, en effet, un digne sujet de lamentations, que d’être exilé, expatrié ? N’est-ce pas un bonheur que de se réfugier promptement dans le port de tranquillité, et d’être admis dans la cité céleste, affranchi enfin des douleurs, des peines, des gémissements ? Mais, direz-vous, en quoi cela regarde-t-il un pécheur tel que moi ? Voyez-vous que ce n’est pas la mort qui fait l’affliction, mais le mauvais état de la conscience ? Cessez donc d’être un pécheur, et vous soupirerez après la mort. « Mes yeux des larmes. » – Rien de plus naturel : là-bas il n’y a ni chagrins, ni tristesse, ni pleurs. « Mes pieds de la chute. » Ceci est plus important encore. Comment cela ? C’est que nous sommes affranchis non seulement du chagrin, mais encore des pièges qui pourraient nous faire trébucher. Il est établi sur un roc, celui qui est parti chargé de bonnes œuvres ; il est entré au port ; il ne trouve plus d’obstacles ; le trouble, les alarmes ont disparu. Celui-là vit au sein d’une gloire perpétuelle qui a quitté dans cette disposition le séjour d’ici-bas. « Je serai agréable en présence du Seigneur, au pays des vivants. » – Un autre dit « devant le Seigneur. » Un autre « je marcherai. » C’est ce que Paul, lui aussi, indique par ces mots : « Et nous serons ravis dans des nuées en l’air, au-devant du Seigneur et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur. » (1Th 4,16) Et remarquez cette parole « au pays des vivants. » – C’est là-haut qu’est la vraie vie, exempte de mort, et riche de biens sans mélange. Quand « il aura détruit », dit le même apôtre, « tout pouvoir, tout empire, toute puissance, il détruira un dernier ennemi, la mort. » (1Co 15,24) Mais ces choses détruites, il ne reste plus aucun sujet d’affliction, ni souci, ni épreuve, tout est joie, tout paix, tout amour, toute joie, toute allégresse, tout est parfait, solide. Car il n’y a là-haut aucune chute pareille, ni colère, ni chagrin, ni avarice, ni désirs charnels ou pauvreté, ni richesse, ni infamie, ni rien de semblable. – Aspirons donc à cette vie, et faisons toutes choses en vue d’elle. Voilà pourquoi nous sommes exhortés à dire dans notre prière : « Que votre royaume arrive : » c’est afin que ; nous ayons perpétuellement ce jour devant les yeux. En effet celui qui est possédé d’un pareil amour, celui qui vit dans l’espoir de ces biens, celui-là ne souffre ici-bas aucun naufrage, et ne se laisse abattre par aucun des chagrins de ce monde. – De même que ceux qui se rendent dans une capitale ne se laissent arrêter par aucune des choses qu’ils peuvent rencontrer sur leur route, prairies, vergers, ravins, déserts, et, indifférents aux divertissements comme aux obstacles, ne songent qu’à la patrie qui les attend : ainsi celui qui chaque jour se représente la ville céleste, et qui nourrit en lui cet amour, ne se laissera ébranler par aucune épreuve, trouvera sans charme et sans gloire ce qu’il verra de plus glorieux et de plus charmant. Que dis-je ? il n’en verra rien : car il aura d’autres yeux ceux dont parle Paul, en disant : « Comme nous ne considérons pas les choses visibles, mais les invisibles : en effet, les choses visibles sont éphémères ; les choses invisibles sont éternelles. » – Voyez-vous comment il nous montre la route avec d’autres paroles ? Attachons-nous donc à la poursuite de ces choses invisibles, afin de les posséder et de jouir de la vie éternelle : à laquelle puissions-nous tous arriver par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui gloire et puissance, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

EXPLICATION DU PSAUME CXV.

1. « J’AI CRU, C’EST POURQUOI J’AI PARLÉ : MAIS J’AI ÉTÉ HUMILIÉ ENTIÈREMENT. »

ANALYSE.

  • 1. La foi est le principe de toutes les grandes choses : c’est elle qui a soutenu le peuple juif au milieu de ses épreuves, qui a inspiré ses prophètes et mérité à Abraham de devenir le père des croyants. Nous n’avons pas de meilleur moyen de glorifier Dieu.
  • 2. La foi nous enseigne tontes choses et elle est notre force, car rien ne lui résiste Sans doute c’est un don de Dieu qui la donne à qui il lui plait ; mais nous pouvons nous en rendre dignes par nos bonnes œuvres : témoin le centurion Corneille.
  • 3. Avec la foi, tout s’explique, tout profite dans la vie ; sans elle, il n’y a qu’incertitude, que défaillances, que trouble et scandale, car l’homme abandonné à lui-même n’est que mensonge, c’est-à-dire, vil, passager, pur néant.
  • 4. Malgré cette bassesse de l’homme, le peigneur le comble de bienfaits, ce qui est d’autant plus admirable qu’il est plus grand et que l’homme est plus petit. Et il veille sur lui, non seulement pendant sa vie, mais jusqu’après sa mort, le glorifiant sur la terre et dans le ciel.
  • 5. Pour mériter cette grâce, il faut le servir, se faire son esclave, selon le mot de saint Paul, et lui offrir continuellement un sacrifice de louanges, d’actions de grâces en reconnaissance de ces immenses bienfaits.

1. A propos de ces paroles qu’il cite, le bienheureux Paul s’exprime ainsi : « Et parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu’il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, nous croyons aussi nous, et c’est pourquoi nous parlons. » (2Co 4,13) Il faut donc commencer par dire comment l’Apôtre a entendu ces paroles, en examinant le sujet qu’il avait entrepris de traiter, ce sera un bon moyen de connaître la pensée du Prophète. Du reste, la meilleure manière d’instruire c’est, non pas de prendre dans un discours un passage détaché, pour s’arrêter au point particulier qu’on a choisi, mais de remonter jusqu’au début du texte en question. A quel propos donc saint Paul rappelle-t-il ces mots du Psalmiste. C’est à propos de la résurrection et de l’acquisition des biens futurs qui surpassent toute parole, toute intelligence et toute pensée. Et précisément parce qu’un tel sujet était infiniment au-dessus de toute parole, et ne pouvait être expliqué, la foi était nécessaire pour le saisir. Mais les Juifs, à raison des vaines espérances qui les gonflaient d’orgueil, auraient pu être troublés et croire qu’on les trompait, aussi l’Apôtre se hâte-t-il de redresser leur grossière ignorance par la citation des paroles du Prophète, comme s’il leur eût dit : Je ne vous demande pas une chose nouvelle en vous demandant la foi, vous voyez qu’elle date de loin : Voilà pour saint Paul. Quant au roi David, comme il devait, lui aussi, annoncer aux Juifs les biens à venir, qui étaient en dehors de l’ordre des choses humaines, pour qu’on ne pût pas refuser d’y croire, il commença ainsi son psaume : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. » Jérusalem n’était plus, son temple avait été renversé, et tous ses habitants avaient été emmenés captifs et chargés de chaînes dans une terre étrangère : les barbares avaient pris possession de leur terre, et le vainqueur avait forcé les Juifs à planter des vignes, à bâtir des maisons, à contracter des mariages. Un tel état de choses jetait les Juifs dans le désespoir et ils pensaient en eux-mêmes : si alors que nous avions une ville, des armes, des remparts, de l’argent en si grande abondance, un temple avec son autel, son culte et ses cérémonies, tout ce qui concerne, en un mot, l’exercice de notre religion, nous avons été faits prisonniers et emmenés en captivité, comment pourrons-nous recouvrer notre patrie, maintenant que nous sommes en pays étranger, dépouillés de tout, sans armes et sans liberté ? Et ces pensées en troublaient un grand nombre des plus faibles, et ils ne faisaient plus attention aux prophéties, prédisant leur retour. C’est pourquoi David s’exprima de la sorte pour montrer que la foi est nécessaire dans tout ce que Dieu nous annonce. D’autres, comme Isaïe, leur parlent autrement. « Rappelez dans votre esprit », leur dit-il, « cette roche dont vous avez été taillés et cette citerne profonde d’où vous avez été tirés. » (Isa 51,1) Puis il ajoute : « Jetez les yeux sur Abraham votre père et sur Sara qui vous a enfantés, et considérez que l’ayant appelé lorsqu’il était seul, je l’ai béni et je l’ai multiplié. » (Id. 2) Ces paroles peuvent se traduire ainsi : Abraham n’était-il pas étranger ? N’était-il pas sans enfants et déjà avancé en âge ? N’avait-il pas une femme qui à raison de ses années et de sa constitution était stérile ? Toutes ses espérances n’étaient-elles pas anéanties complètement ? Et pourtant avec ce seul vieillard jusque-là sans enfants, j’ai peuplé la terre. Pourquoi donc vous troubler ? Si avec un seul homme j’ai pu peupler le monde, à plus forte raison, avec vous quoique vous soyez en petit nombre, je repeuplerai Jérusalem. Voilà pourquoi il dit : « Rappelez dans votre esprit cette roche d’où vous avez été taillés », pour indiquer Abraham, « et cette citerne profonde dont vous avez été tirés », désignant ainsi Sara. Car de même qu’une citerne n’a pas de source jaillissante, mais seulement l’eau qu’elle reçoit des pluies du ciel, ainsi Sara reçut d’en haut la faculté de concevoir dont elle était privée. Et de même encore qu’une pierre n’a jamais porté de fruit, ainsi en était-il d’Abraham
A la vérité, Sara était stérile, puisque la sainte Écriture nous l’apprend. Mais comment notre auteur a-t-il pu dire qu’Abraham le lut également, et qu’il n’était pas plus capable d’engendrer qu’une pierre, puisqu’après la mort de Sara, malgré son âge bien plus avancé, il eut sept enfants de Céthura ? (Note des Bénédictins)
. Et pourtant c’est de là que je vous ai tirés pour peupler des régions aussi nombreuses et aussi étendues. Voilà pourquoi encore le Seigneur conduit Ézéchiel dans une plaine où il lui fait voir un amas d’ossements qui revivent à la parole du Prophète. Alors les montrant aux Juifs il leur dit : « Si je puis ainsi ressusciter les morts, à plus forte raison, je saurai vous ramener dans votre patrie, vous qui vivez. » (Eze 37,1-13) Très-bien pour ces prophètes, mais que veut dire le Psalmiste par cette parole : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ? »

C’est-à-dire, il faut avoir confiance dans les promesses. Car, pour moi qui les méditais ces divines promesses, qui les conservais dans mon cœur, j’ai chassé tout trouble aussitôt que j’ai cru. Saint Paul parlant de nos biens sensibles et visibles requiert la foi. D’où il suit que s’il en est ainsi pour les choses matérielles, à plus forte raison pour les biens invisibles. Si la foi fut nécessaire aux Juifs pour recouvrer leur ville, combien plus à nous qui attendons le Ciel. Toutes les fois donc qu’il s’agit de quelque chose de grand que nous ne saurions atteindre ni par la pensée, ni par le raisonnement, il faut avoir recours à la foi et ne point examiner les choses d’après les règles d’une logique humaine : car les opérations miraculeuses de Dieu leur sont infiniment supérieures. Il faut donc imposer silence à la raison, et recourir à la foi pour glorifier Dieu. Essayez par le raisonnement de trouver le secret de ses opérations, ce n’est point le glorifier, c’est vouloir soumettre à notre humble raison les desseins admirables de la Providence.

2. C’est pourquoi saint Paul parlant, lui aussi, d’Abraham et de la manière admirable dont il fit taire sa raison pour ne considérer que la puissance de Celui qui lui faisait des promesses, nous assure que par sa conduite il glorifia Dieu souverainement : « Il n’hésita point », nous dit-il, « et il n’eut pas la moindre défiance de la promesse que Dieu lui avait faite, mais il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu et étant pleinement persuadé qu’il est tout-puissant pour faire tout ce qu’il a promis. » (Rom 4,20, 21)

Mais que signifient ces autres paroles : « Et parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu’il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé : Nous croyons aussi, nous, et c’est aussi pourquoi nous parlons ? » (2Co 4,43) Elles nous révèlent un grand mystère : à savoir, que : L’Esprit qui a inspiré le Nouveau Testament a également inspiré l’Ancien, et qu’il a parlé dans l’un aussi bien que dans l’autre, que la foi nous enseigne toutes choses et que sans elle nous ne pouvons absolument rien. « Nous croyons aussi, nous », est-il écrit, « et c’est pourquoi nous parlons. » Ôtez-nous la foi, nous ne pourrons pas même ouvrir la bouche. Mais pourquoi l’Apôtre n’a-t-il pas dit : « Parce que nous avons une même foi », au lieu de dire : « parce que nous avons « un même esprit de foi ? » Outre la raison que nous venons de dire, c’était pour montrer qu’il faut l’assistance de l’Esprit-Saint pour s’élever à la hauteur de la foi et pour sentir le néant et la faiblesse de notre raison. C’est toujours dans le même but que dans un autre endroit il s’exprime ainsi : « Or, ces dons du Saint-Esprit qui se font connaître au-dehors sont donnés à chacun pour l’utilité de toute l’Église. Car, l’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit le don de la foi, un autre la grâce de guérir les maladies. » (1Co 12,7-9) On me dira peut-être, qu’il s’agit ici, ce qui est vrai du reste, de la foi nécessaire pour opérer les miracles. Mais je sais, moi aussi, qu’il y a une autre foi dont les apôtres disaient. « Augmentez en nous la foi (Luc 17,5) », sans parler de celle par laquelle nous sommes tous chrétiens, et qui ne nous fait point faire de prodiges, mais qui nous donne la science infuse de la piété. Or, dans ces deux derniers cas, nous avons encore besoin de l’assistance de l’Esprit-Saint, selon cette parole de saint Luc « Le Seigneur lui ouvrit le cœur pour entendre ce que Paul disait (Act 16,14) », et celle autre du Christ : « Personne ne vient à moi si mon Père ne l’attire. » (Jn 6,44) Mais si la foi vient de Dieu, comment donc pèchent ceux qui ne croient pas, puisque l’Esprit ne vient pas à leur secours, que le Père ne les attire pas, et que le Fils ne les met pas dans la voie ? Car il dit de lui-même : « Je suis la voie (Jn 14,6) », pour montrer que sans Lui on ne saurait être amené vers le Père. Si donc le Père attire, le Fils conduit, l’Esprit illumine, comment peuvent être coupables ceux qui ne sont ni attirés, ni conduits, ni illuminés ? – En ne se rendant pas dignes de recevoir cette lumière. Voyez ce qui arriva à corneille. (Act 10) Il ne trouva point en lui le bienfait de la foi, mais Dieu l’appela après qu’il s’en fut rendu digne par ses prières et ses bonnes œuvres. Aussi Paul parlant de la foi aux Éphésiens, leur dit : « Et en effet, cela ne vient pas de vous puisque c’est un don de Dieu. » (Act 10) Il ne trouva point en lui le bienfait de la foi, mais Dieu l’appela après qu’il s’en fut rendu digne par ses prières et ses bonnes œuvres. Aussi Paul parlant de la foi aux Éphésiens, leur dit : « Et en effet, cela ne vient pas de vous puisque c’est un don de Dieu. » (Eph 2,8) Ce qui ne veut pas dire que nous soyons impuissants à produire des bonnes actions. Car bien qu’il appartienne à Dieu d’attirer et de conduire, il choisit cependant les âmes droites et dociles à ses inspirations pour leur donner son secours.

C’est pourquoi saint Paul, dans un autre endroit, parle « de ceux qui ont été appelés selon le décret de Dieu. » (Rom 8,28) Car ni notre vertu, ni notre salut ne sont le résultat de la nécessité. Et quoique nous soyons redevables de la plus grande partie et presque de tout à Dieu, il nous a cependant laissé une certaine part à notre salut, afin d’avoir une raison apparente de nous couronner un jour. Voilà pourquoi après avoir dit que « nous avons un même esprit de foi », c’est-à-dire, ce même Esprit qui a parle ; dans l’Ancien Testament, Paul a ajouté : « Nous croyons aussi nous, et c’est pourquoi nous parlons. » (2Co 4,43) Nous avons du reste un besoin de la foi bien plus grand qu’autrefois, et à cause de la nature des biens qui nous sont promis, lesquels sont invisibles et spirituels, et à cause de l’ordre des temps. Car ce n’est pas dans cette vie mais dans l’autre qu’on sera récompensé. En outre, il fallait la foi même pour les biens présents, car les dons qui nous étaient faits, comme la participation aux saints mystères, la grâce du baptême, ne pouvaient être reçus sans la foi ! Et puis, la vertu de ces dons surpasse toute intelligence. Si donc la foi était nécessaire quand il s’agissait de biens grossiers et sensibles, à plus forte raison l’est-elle aujourd’hui : Mais les paroles de l’Apôtre ont été suffisamment expliquées. Il est temps de revenir à notre prophétie et de vous faire comprendre ce que dit ici le saint roi David. Que dit-il donc ? – « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. » Il n’avait encore rien dit, mais il fait allusion au langage intérieur qu’il avait tenu et qui peut se traduire ainsi : Alors, dit-il, que je repassais dans mon esprit et les malheurs des Juifs, et leurs infortunes, et leur extermination, et les derniers ravages, je n’ai pas désespéré de voir des jours meilleurs. Au contraire, je les ai attendus, je les ai annoncés et j’ai parlé. Dans mes premiers psaumes j’ai traité longuement cette question et je n’ai fait que vous annoncer ce que la foi m’enseignait.

3. Voyons maintenant combien est chancelant et troublé celui qui n’est pas instruit par cette même foi. Quoiqu’il s’agisse encore d’un psaume de David, ce ne sont pas ses propres sentiments qu’il a exprimés, mais les troubles intérieurs d’une âme sans consistance quand il s’est écrié : « Que Dieu est bon à Israël et à ceux qui ont le cœur droit, mais mes pieds ont failli me manquer et mes pas ont été chancelants. » (Psa 73,2) Ce qui doit s’entendre non des pieds et des pas, mais des raisonnements défectueux. Il en donne aussitôt un exemple en ajoutant. « Car j’ai été touché « d’un zèle d’indignation contre la prospérité « des méchants. » (Id. 7) C’est-à-dire, en voyant les barbares florissants et les Juifs humiliés et abattus. Mais voici le vice du raisonnement. « Et j’ai dit : C’est donc inutilement que j’ai travaillé à purifier mon cœur et que j’ai lavé mes mains dans la compagnie des innocents. » (Id 13) Et il nous apprend lui-même ce qui l’a poussé à s’exprimer ainsi : « C’est qu’il a vu les pécheurs eux-mêmes dans l’abondance de tous les biens de ce monde, et qu’ils ont acquis de grandes richesses. » (Id 12) Mais entendez-le se reprendre ensuite lui-même : « Que si je disais : je parlerai de la sorte : un grand travail s’est présenté devant moi et j’ai reconnu que je ne « pouvais le comprendre jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu et que j’y apprenne quelle doit être leur fin. » (Id 15, 16, 17) C’est comme s’il eût dit : j’étais indigné, affligé dans mes raisonnements, car c’est toujours le résultat qu’ils produisent. Ensuite, j’ai pensé que j’entreprenais une œuvre difficile, car mes recherches sur de semblables sujets ne pourront m’amener à rien de certain tant que je ne serai pas dans ma patrie.

Jugez par là combien il est dangereux d’abandonner les choses de la foi aux raisonnements humains, au lieu de les confier à la foi elle-même. Si celui dont parle le Prophète eût été ferme et constant dans sa foi, il n’eût pas été troublé, les pieds n’auraient pas failli lui manquer et ses pas n’auraient pas été chancelants. Mais il n’en est pas de même du Psalmiste. Solidement établi sur la pierre il n’était pas troublé, et malgré le triste état où il voyait les affaires des Juifs, malgré la prospérité des barbares, dans un grand nombre de psaumes, il parlait souvent en termes clairs et avec assurance du retour clans sa patrie. Et sa foi était si grande qu’il ne faisait attention ni à la puissance de ses ennemis, ni à l’impuissance des Juifs, mais à la toute-puissance du Seigneur dont il tenait les promesses. Et voilà pourquoi il s’écrie : « J’ai cru et c’est pourquoi j’ai parlé ; j’ai été humilié extrêmement. » Une autre version porte : « J’ai été affligé extrêmement. » – « Dans mon abattement j’ai dit : Tout homme est menteur (2). » Ou selon une autre version : « J’ai dit dans le trouble de mon esprit : Tout homme ment. » C’est ici qu’apparaît de nouveau la splendeur de la foi, car avec elle, l’infortune la plus grande ne saurait précipiter dans le désespoir. Cette vertu, en effet, est comme une ancre sacrée qui retient et affermit de toutes parts le vaisseau de notre esprit qui s’y attache et on le remarque principalement dans les rencontres les plus fâcheuses de la vie où la foi nous persuade d’attendre avec patience l’effet de l’espérance qu’elle nous inspire, et nous fait rejeter tous les raisonnements humains. C’est ce qu’il veut nous faire entendre par ces paroles : « Pour moi, j’ai été affligé extrêmement. » En d’autres termes : J’ai été bien affligé sans doute, mais je n’ai pas désespéré ni perdu courage. Pour nous montrer ensuite qu’il a été non seulement affligé, mais dans l’angoisse la plus grande il ajoute ces paroles : « Dans mon abattement, j’ai dit : « Tout homme est menteur. » Qu’est-ce à dire, « dans mon abattement ? » – Dans mon malheur extrême, dans l’excès de mes maux. Car j’ai été assailli par une épreuve si violente qu’elle m’a plongé dans l’anéantissement et dans un profond sommeil. Il s’agit ici de cette défaillance, de cette insensibilité que produit le malheur. De même, ce qui est dit d’Adam, que Dieu lui envoya un profond sommeil doit s’entendre d’une certaine privation de sentiment. Car l’extase ou le ravissement d’esprit consiste à être hors de soi. Dieu avait donc envoyé à Adam un sommeil extatique pour l’empêcher de sentir l’extraction de sa côte et d’en éprouver de la souffrance, et en le privant ainsi secrètement du sentiment de la peine, il lui déroba par cet anéantissement momentané, la douleur qu’il aurait ressentie. Il est encore écrit : « Il leur survint un ravissement d’esprit. » (Act 10,10) Il s’agit encore ici d’un sommeil extatique et d’une absence de sentiment, c’est le sens du mot « ravissement. » Mais cela a lieu, ou par l’action de Dieu, ou par la grandeur des maux qui produisent un sommeil profond et une sorte d’engourdissement, les malheurs ayant coutume en effet, d’amener l’anéantissement et le sommeil. Par son a abattement », le Psalmiste entend donc ici l’excès des maux qui l’ont accablé. Mais que signifient ces mots : « Tout homme est menteur. » N’y a-t-il donc personne de véridique ? Comment alors Job a-t-il pu être appelé un homme véridique, juste et religieux ? Et les prophètes ? S’il ont été menteurs, s’ils ont trompé dans ce qu’ils ont dit, il n’y a plus rien de solide. Et Abraham ? et tous les Justes ? Vous voyez combien il serait mauvais de s’en tenir à la lettre de l’Écriture sans chercher à en pénétrer l’esprit. Qu’a donc voulu dire le Psalmiste par ces expressions : « Tout homme « est menteur ? » – La même vérité que dans ces autres paroles : « L’homme est devenu a semblable au néant. » (Psa 144,4) C’est ce qu’a dit encore un autre prophète. « Toute chair n’est que de l’herbe et toute sa gloire est comme la fleur des champs (Isa 40,6) », pour exprimer une chose très-vile, passagère, semblable à l’ombre, à un songe et à quelque fantôme.

4. Et afin que vous sachiez que mon raisonnement s’appuie sur des motifs solides, remarquez qu’une version porte : « Tout homme est mensonge. » Une autre : « Tout homme ment ; » ou bien encore : « défaille. » Expressions bien différentes les unes des autres ; car, mentir est l’effet d’un vice qui réside dans l’âme, tandis que défaillir, être passager, ressembler à une onde qui s’écoule, à un songe, à une fleur, à une ombre indique la bassesse de notre nature. Cela revient à ce qu’on lit ailleurs : « Je ne suis que terre et que cendre. » (Gen 18,27). Et encore : « Pourquoi la terre et la cendre s’élèvent-elles d’orgueil ? » (Sir 10,9). Ou bien à ces autres paroles du Psalmiste : « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui ? » (Psa 8,5) Partout le témoignage de la bassesse de notre nature, de son néant. Ne disons-nous pas des moissons qu’elles ont été trompeuses pour marquer qu’elles n’ont pas répondu à notre attente et qu’elles n’ont pas rapporté autant que nous espérions ; et dans le même sens, que l’année a été trompeuse ? L’homme est chose vile et de nul prix, et nous ne nous en apercevons jamais mieux que dans le malheur, parce qu’alors nous jetons ordinairement les yeux sur le néant de notre nature. C’est pourquoi le Psalmiste ayant l’âme abattue et sentant sa nature confondue, veut nous montrer combien elle est abjecte et misérable sous tous rapports eu disant : « Tout homme est menteur. » C’est-à-dire l’homme n’est que néant, comme il avait exprimé la même vérité dans cet autre passage : « L’homme passe comme en image. » (Psa 39,7). – « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits (3). »

Comme il fait bien ressortir la grandeur des bienfaits de Dieu, non seulement parce qu’il a reçu mais encore par sa propre indignité, car, malgré la diversité du langage, on sent qu’il est animé ici des mêmes sentiments que dans un autre psaume où il disait : « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le visitiez ? » (Psa 8,5) Or, ce qui double le prix des bienfaits, c’est d’être grands par eux-mêmes et d’être conférés à ceux qui ne sont que néant. Dans ce cas, la reconnaissance pour être en rapport avec le bienfait, doit être d’autant plus grande. C’est ce que le Prophète a voulu nous faire entendre par ces mots : « Que rendrai-je au Seigneur ? » Pour indiquer que lui, homme de mensonge, n’étant que bassesse et néant, a reçu des biens extraordinaires : « Pour tous les biens qu’il m’a faits. » C’est le propre d’un cœur reconnaissant de rechercher avec soin à donner quelque chose en retour des bienfaits reçus et de croire qu’il n’a rien fait, quand il a payé tout ce qu’il pouvait. Et c’est bien ce que nous voyons se réaliser ici de la part du Prophète. Car il témoigne doublement sa reconnaissance, et en donnant tout ce qu’il peut et en pensant que ce qu’il a donné n’a pas de valeur. Que va-t-il donc faire ? – Il va nous l’apprendre lui-même, écoutez-le : – « Je prendrai le calice « du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur (4). »

Ceux qui entendent ces paroles dans le sens anagogique veulent qu’il s’agisse de la participation aux saints mystères. Pour nous, qui nous en tenons à l’histoire, nous disons en suivant notre pensée qu’il est question des oblations de liqueur, des sacrifices et des hymnes en actions de grâces. Il y avait autrefois, en effet, divers sacrifices ; on distinguait le sacrifice de louanges, le sacrifice pour les péchés, les holocaustes, les hosties pacifiques, celles pour le salut et un grand nombre d’autres. Tout ce qui précède revient donc à ceci : Je ne puis payer Dieu ce qui lui revient, mais je ferai ce que je pourrai. J’offrirai au Seigneur un sacrifice d’actions de grâces, et je le ferai souvenir de mon salut. – « Je m’acquitterai de mes vœux « envers le Seigneur devant tout son peuple (5). »

Par ses vœux il entend ici ses promesses et ses engagements, car dans ses malheurs il avait eu recours à Dieu et il s’était constitué son débiteur, promettant que s’il échappait à ses ennemis, il lui offrirait en retour les sacrifices dont nous venons de parler. Donc, s’écrie-t-il, puisque mes épreuves ont cessé, « je m’acquitterai de mes vœux envers le Seigneur devant tout son peuple. – C’est une chose précieuse devant les yeux du Seigneur que la mort de ses saints (6). » Une autre leçon porte : « C’est une chose honorée devant le Seigneur. » Pourquoi cette conclusion et quel rapport a-t-elle avec ce qui précède ? Elle en a un très-grand si on veut l’examiner avec soin. Comme le Psalmiste avait dit, pour montrer les bienfaits de Dieu : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits ? » En preuve de ces bienfaits il ajoute que Dieu prend soin non seulement de la vie, mais encore de la mort de ses saints, soit qu’elle arrive d’après les lois de la nature ou par la volonté du Seigneur. N’entendez-vous pas saint Paul qui vous crie : « Il est plus utile pour votre bien que je demeure encore en cette vie, c’est pourquoi j’ai une certaine confiance qui me persuade que je demeurerai encore avec vous tous et que j’y demeurerai même assez longtemps ? » (Phi 1,24-25). Et qu’y a-t-il d’étonnant qu’il en soit de la mort comme de la génération de quelques hommes, qui ne sont pas nés selon les lois de la nature ; ainsi Isaac et Samuel. Aussi ne sont-ils pas appelés enfants de la chair, mais enfants de la promesse. Ainsi encore Moïse n’est pas mort purement et simplement, mais il est mort par l’ordre exprès de Dieu ; et Jean est mort par sa permission. Cette dernière mort fut la récompense d’une courtisane, mais elle n’en fut pas moins honorée, et ce qu’il y a même de particulièrement admirable, c’est que malgré cette circonstance elle fut comblée de gloire. C’est que le saint précurseur avait été martyr de la vérité et il fut tellement en honneur qu’il inspira de la crainte à son meurtrier. Nous en trouvons la preuve dans l’évangéliste saint Mc. car voici ce qu’il rapporte d’Hérode « Cependant Hérode disait : voilà Jean-Baptiste qui est ressuscité et c’est pour cela qu’il se fait par lui tant de miracles. » (Mrc 6,14) Voyez encore comment la mort d’Abel était précieuse et honorée : « Où est Abel ton frère ? La voix du sang de ton frère crie vers moi. » (Gen 4,9, 10).

5. Considérez, à propos de Lazare, comment après sa mort, les anges l’accompagnaient. (Luc 16,22) Contemplez, auprès du tombeau des martyrs, ce concours des villes et des peuples que leur amour enflamme. Les paroles du Psalmiste peuvent donc se traduire ainsi Dieu est rempli de sollicitude pour la mort do, ses saints et il en prend un soin extrême. Ils ne meurent pas d’une manière quelconque, ni fortuitement ; mais selon les desseins de sa divine providence. C’est ce qu’il voulait nous montrer par ces mots : « Devant les yeux du Seigneur. O Seigneur, je suis votre serviteur, je suis votre serviteur et le fils de votre servante (7). »

Il ne s’agit pas ici d’une servitude ordinaire, mais de celle qui est produite par un grand amour et une vive affection. C’est ce désir enflammé dont est rempli le Psalmiste, et qui est sa plus belle couronne et son plus beau titre de gloire. Dieu lui-même en a fait le plus grand sujet de louanges, en disant : « Moïse, mon serviteur, est mort. » (Jos 1, 2) « Et le fils de votre servante. » C’est-à-dire, depuis les siècles les plus reculés, dans la personne de mes ancêtres, je suis attaché à votre service. Paul, de son côté, regardait cette dépendance comme la principale gloire de Timothée, quand il disait : « J’ai le souvenir de cette foi sincère qui est en vous, qu’a eue premièrement Loïde, votre aïeule et Eunice, votre mère. Je suis aussi très-persuadé que vous l’avez et que vous avez été nourri dès votre enfance dans les Lettres saintes. » (2Ti 1,5 ; 3, 15) Et en parlant de lui-même : « Je suis né hébreu, de pères hébreux » (Phi 3,5), ou bien : « Sont-ils hébreux ? Je le suis. « Sont-ils Israélites ? Je le suis aussi. » (II Cor xi, 22) Ils avaient quelque chose de plus que les prosélytes, ceux qui étaient tels par leurs ancêtres, et c’est dans ce sens que le Psalmiste s’écrie : « Et le fils de votre servante. »

« Vous avez rompu mes liens. » Il ne dit pas, vous avez affaibli, mais « vous avez rompu », afin de montrer que désormais ils seraient sans effet. Ce qu’il entend ici par ses liens, ce sont les afflictions, les tentations et les dangers. Il y a des liens qui sont bons, dont on souhaite d’être enchaîné, comme dans ces paroles : « Le lien de la dilection (Eph 4,3) », et « c’est le lien de la perfection. » (Col 3,14) Il y a d’autre part un lien opposé à celui-ci : « Chacun est enchaîné par les liens de ses péchés. » (Pro 5,22) C’est ce que veut faire entendre le Christ, quand il dit : « Pourquoi donc ne fallait-il pas délivrer de ses liens cette fille d’Abraham que Satan avait enchaînée ? » (Luc 13,16) Isaïe lui-même dit du Sauveur : « Je vous ai établi pour être le réconciliateur des nations… pour dire à ceux qui étaient dans les chaînes, sortez. » (Isa 49,8-9) Il ne s’est donc pas contenté de délier ces liens, il les a rompus, ce qui est beaucoup plus : Que si l’on veut prendre ces paroles dans le sens anagogique et dire qu’il s’agit ici des liens du péché et de tout le vieil homme, on ne se trompera pas. Il y a encore, un autre lien, le plus beau de tous, que Paul ne quittait jamais, répétant toujours : « Moi, Paul, enchaîné pour l’amour de Jésus-Christ (Eph 3,1 ; 6, 20) », ou bien : « Jésus-Christ pour l’amour duquel je suis lié de cette chaîne. » (Act 28,20)

« Je vous sacrifierai une hostie de louanges (8). » C’est ainsi qu’au début, à la fin, partout et toujours, le Prophète paye à Dieu le même tribut. Il a commencé par lui dire : « Je prendrai le calice du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur. » Ici : « Je vous sacrifierai une hostie de louanges. » C’est-à-dire, je vous rendrai grâces, je vous louerai. « Et j’invoquerai le nom du Seigneur. » Pour nous faire comprendre comment c’est un sacrifice de louanges : « Je m’acquitterai de mes vœux envers le Seigneur, devant tout son peuple (9) ; à l’entrée de la maison du Seigneur, au milieu de vous, ô Jérusalem (10). » Ce n’était point par ostentation ni pour s’attirer de la gloire qu’il en agissait ainsi, mais pour exciter un semblable zèle dans tous lés autres et leur inspirer de prendre part à sa reconnaissance envers Dieu. C’est ainsi qu’agissent torrs les saints, invitant à s’associer à leurs louanges, non seulement les autres gommes, mais encore toute créature. Il n’y a rien qui soit plus agréable au Seigneur que la reconnaissance, non seulement dans la prospérité, mais même dans l’adversité. C’est la principale hostie, c’est la meilleure offrande. Ainsi agissaient, et Job. et Paul et Jacob. Ainsi ont agi tous les justes, témoignant à Dieu leur piété et leur gratitude, surtout au milieu des difficultés. Imitons ces exemples et rendons constamment grâces à Dieu, afin de mériter les biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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