Psalms 4
EXPLICATION SUR LE PSAUME IV.
« QUAND JE L’INVOQUAIS, IL M’A EXAUCÉ LE DIEU DE MA JUSTICE. »ANALYSE.
- 1. Nécessité des bonnes œuvres et tic la justice : définition de ce mot, pris dans son sens le plus large.
- 2. Suite du même développement. Avantages et facilité de la prière.
- 3. Condition d’une bonne prière..bonté de Dieu, manifestée jusque dans les tribulations.
- 4. Que notre salut est toujours dû à la miséricorde. Ne rien demander qui soit contraire à la Loi.
- 5. Qu’est-ce que les fils des hommes ? Pourquoi dire que leurs cœurs sont appesantis ?
- 6. Providence de Dieu manifestée par sa conduite à l’égard de ses serviteurs.
- 7. De la colère légitime.
- 8. Nécessité de l’examen de conscience et de la componction.
- 9. Nouvelle démonstration de la Providence : objection vulgaire. 10. Réfutation : que la paix est en l’homme ; que la Providence se manifeste d’une manière nouvelle depuis Jésus-Christ. 11. Folie des païens : qu’est-ce que leur Jupiter ? 12. Malheur des méchants, tranquillité des justes ici-bas. 13. Danger des mauvaises fréquentations.
▼Ailleurs, saint Chrysostome appelle ainsi le peuple voisin d’Abraham quand ce patriarche habitait Gérare.
par le même patriarche, les Ismaélites et bien d’autres par ses descendants, d’autres enfin, les Mésopotamiens, par Jacob. Ainsi vous venez de voir toute la terre instruite (ou du moins il ne tint qu’à elle de l’être) par les saints ? Et même avant cela le déluge, la confusion des langues, avaient été propres à ouvrir les yeux des hommes. Car, afin que le temps ne fit pas tomber dans l’oubli ce dernier événement, l’endroit prit le nom de Babylone en souvenir de la confusion des langues : de telle manière que ce nom servît de guide pour remonter au principe des faits, et apprendre – à connaître la puissance de Dieu. Par là, les habitants de l’Occident eux-mêmes furent tous informés de tout parles propos des marchands égyptiens. D’ailleurs à l’origine, cette partie du monde n’était pas fort peuplée : les hommes étaient ramassés en grand nombre dans les contrées de l’Orient, c’est de là qu’Adam était sorti, c’est là que vécurent les races issues de Noé, même après Babel. Elles demeurèrent aux mêmes lieux et habitèrent surtout l’Orient. Ce qui n’empêcha point qu’à chaque génération, Dieu ne leur donnât de nouveaux instituteurs. Noé, Abraham, Isaac, Melchisédech. Voilà pourquoi notre prophète se sert des choses arrivées aux saints, pour ramener ceux qui vivent dans l’iniquité, en disant : « Reconnaissez que le Seigneur a couvert son saint d’une gloire admirable. » Qu’est-ce à dire ? Cela signifie qu’il a rendu vénérable, glorieux, illustre, auguste, celui qui s’est consacré à lui. Apprenons donc, en considérant le serviteur et son histoire, quelle est la puissance du Maître. David ne se borne pas à dire : Il lui a fait du bien, il dit : « Il l’a couvert d’une gloire admirable », faisant entendre qu’il se montra envers lui prodigieusement, miraculeusement prodigue. Ainsi arriva-t-il pour Abraham, non seulement il lui donna une épouse vierge, mais encore il le rendit digne d’admiration : et son bienfait ne consista point seulement à le préserver de tout mal, mais encore à le faire briller en Égypte d’un grand éclat. Une de ces faveurs, celle d’être affranchi de toute incommodité, Abraham la dut à sa justice : l’autre lui fut accordée pour le bien d’autrui, je parle de son retour miraculeux. La même chose arriva pour les trois jeunes gens, la même chose pour les lions, pour la baleine et Jonas ; partout Dieu sauve miraculeusement non pas tous indistinctement, mais le juste. 7. Vous avez vu comment, outre la connaissance de Dieu, il nous prescrit encore une vie pure, nous enseignant par là à fonder l’espoir de notre salut non seulement sûr la bonté de Dieu, mais encore sur le mérite de nos propres actions ? « Le Seigneur m’exaucera quand je crierai vers lui. » Il vient de dire que le Seigneur l’a rendu admirable : il ne s’en tient pas là et indique une nouvelle espèce de félicité. Laquelle donc ? C’est d’avoir Dieu constamment pour allié, pour auxiliaire, de trouver en lui un appui permanent. En effet ce n’est pas une, deux, trois fois, c’est constamment qu’il nous secourt, dit-il, c’est toutes les fois que, nous l’invoquons ; et voyez ici encore cette promptitude. Il disait plus haut : « Quand je l’invoquais, il m’a exaucé, le Dieu de ma justice : » et de même ici : quand je crierai vers lui. Mais dira-t-on, comment se fait-il que tant de gens ne soient pas exaucés ? c’est qu’ils demandent des choses qu’il ne leur serait pas avantageux d’obtenir. Alors, en effet, mieux vaut n’être pas entendu que de l’être. Par conséquent, même exaucés, ne nous hâtons pas de nous réjouir ; même non exaucés, ne cessons pas de glorifier Dieu. Car, ou bien nous demandons des choses qui ne nous sont pas avantageuses : et dans ce cas, c’est un profit pour nous de ne pas les obtenir : ou bien nous demandons négligemment, et alors, en différant ses dons, Dieu nous invite à la persévérance, ce qui n’est pas un mince avantage : « Car si vous savez donner de bonnes choses à vos enfants » (Mat 7,11), à plus fortes raison notre Dieu, qui sait donner, et quand il faut donner, et quoi donner. Paul même demanda sans obtenir, parce qu’il demandait une chose qui ne lui aurait pas été avantageuse : Moïse pareillement, et Dieu ne l’exauça pas non plus. Gardons-nous donc de renoncer, lorsque nous ne sommes pas entendus, dé nous décourager, de nous endormir : persévérons, au contraire, avec constance dans nos sollicitations. Car Dieu fait tout selon qu’il est utile. « Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher : soyez touchés de componction dans vos lits, sur les choses que vous méditez au fond de vos cœurs. » Ce qui j’ai dit plus haut, je le répète en cet endroit : Voulant les amener à la connaissance de Dieu, il délivre leur âme de ses infirmités. Car il sait qu’une vie corrompue est un obstacle à la parfaite intelligence des dogmes sublimes. Paul fait allusion à la même chose en disant : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels. » (1Co 3,1) Et encore : « Comme de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai abreuvés de lait, mais je ne vous ai point donné à manger. » (Id 5,2) Et ailleurs : « Là-dessus nous aurions beaucoup de choses à dire, et difficiles à expliquer, parce que vous êtes devenus peu capables de les entendre. » (Heb 5,11) Isaïe de même : « Ce peuple me cherche, et désire connaître mes voies, comme un peuple qui aurait agi selon la justice, et qui n’aurait point abandonné le jugement de Dieu. » (Isa 58,2) Et Osée : « Semez pour vous dans la justice, allumez le flambeau de la doctrine. » (Ose 10,12). Et le Christ enseignait ce qui suit : « Quiconque fait le mal hait la lumière, et il ne vient point à la lumière. » (Jn 3,20) Et ailleurs « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire l’un de l’autre, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? » (Jn 5,44) Ailleurs encore : « Ses parents dirent cela parce qu’ils craignaient les Juifs et pour n’être pas chassés de la synagogue. » (Jn 9,22) Enfin : « Beaucoup crurent en lui, et à cause des pharisiens ne le confessaient pas. » (Jn 12,42) Et partout on peut voir que la corruption des mœurs est un empêchement à la pleine connaissance des dogmes. Car, de même que la chassie en s’appliquant sur la pupille transparente de l’œil obscurcit et trouble la vision, ainsi les pensées mauvaises aveuglent l’intelligence et la remplissent de ténèbres. Aussi le Prophète, sachant cela, disait-il « Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher. » Il ne proscrit pas la colère : elle est bonne à quelque chose ; il ne condamne point le courroux : le courroux est utile, quand il a pour objet les hommes injustes et les négligents : il n’interdit que la colère injuste, que le courroux déraisonnable. Et de même que Moïse, passant à la morale, donne ce précepte pour base à sa législation : « Tu ne tueras point » (Exo 20,13), ainsi fait le Prophète et il fait plus encore, attendu que les règles dé la piété lui étaient mieux connues. Moïse prohibe le meurtre : le Prophète remonte jusqu’au principe, à la source, à la racine du meurtre, la colère, pour la réprimer. Le Christ disait de même pour réprimer la colère : « Celui qui se met en colère sans raison contre son frère, sera soumis à la géhenne du feu. » (Mat 5,22) Partout vous retrouvez la même mesure. « Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher. Celui qui se met en colère sans raison : » en effet, il y a aussi de justes colères : la preuve, c’est que Paul lui-même s’est mis en colère contre Etyme, et Pierre contre Saphire, mais à vrai dire ce n’est point ici une colère comme une autre, c’est sagesse, c’est sollicitude, c’est prévoyance. Un père s’irrite contre son fils, mais c’est pour le bien de celui-ci. Celui qui se fâche sans raison, c’est celui qui se venge : au contraire, celui qui redresse les fautes d’autrui, celui-là est le plus charitable des hommes. Ainsi quand Dieu lui-même se met en colère, comme on dit, ce n’est point pour se venger, mais pour nous ramener au bien. Suivons cet exemple. Sévir de la sorte, c’est le fait de Dieu ; sévir autrement, c’est le propre des hommes. Mais Dieu ne diffère pas de nous en ce point seulement, que sa colère est juste ; de plus cette colère n’a rien chez lui d’une passion. Par conséquent, prenons garde, nous aussi de nous irriter sans raison. Car si la colère a été mise en nous, ce n’est pas pour que nous péchions, mais bien pour que nous empêchions les autres de commettre le péché : ce n’est pas pour qu’elle devienne chez nous une passion, une infirmité, mais pour qu’elle soit un remède aux passions. 8. Jugez donc quel est cet excès de perversité, quand le remède devient poison, quand ce qui devait guérir les plaies d’autrui devient entre nos mains une arme qui blesse. Supposez un homme qui, après avoir pris le fer en main pour amputer à autrui des membres gangrenés, se blesse lui-même étourdiment, et se meurtrisse tout le corps ; ou un pilote qui se servirait du gouvernail pour submerger son esquif, au lieu de l’employer à réprimer la fureur désordonnée des vents. – Telle est la colère, instrument utile pour réveiller notre âme dans ses accès de torpeur, pour lui donner de la vigueur, pour nous rendre plus prompts à l’indignation méritée par l’injustice, pour susciter des vengeurs à l’iniquité. – Voilà pourquoi le Prophète dit : « Mettez-vous en colère et gardez-vous de pécher. » Recommandation qu’il ne ferait pas, si elle était inexécutable ; car, dans ce cas, on ne prescrit rien. Après cette loi tout apostolique, ce précepte digne de l’Évangile, ces paroles conformes à celles du Christ, il nous donne cet autre avis : « Soyez touchés de componction dans vos lits sur les choses que vous méditez au fond de votre cœur. » Qu’est-ce à dire : il y a ici, ce semble, quelque obscurité. Voici ce qu’il veut dire : Dans le temps qui suit le repas, lorsque vous vous éloignez pour vous coucher et vous livrer au sommeil, que la solitude, que l’absence de toute gêne vous procurent un profond repos, un calme parfait, éveillez le tribunal qui sommeille dans votre conscience, demandez-vous des comptes à vous-mêmes ; faites comparaître dans ce moment de loisir tout ce que vous avez conçu dans la journée, de mauvais desseins, tramé d’artifices, tendu de pièges au prochain, accueilli de désirs pervers ; mettez en face de votre conscience ces mauvaises pensées, et punissez, déchirez, torturez votre âme pécheresse. Voilà le sens de ce mot : « Soyez touchés de componction ; » ou : Faites sentir l’aiguillon à vos secrètes pensées du jour, c’est-à-dire les mauvais desseins que vous avez conçus, châtiez-les, punissez-les dans vos lits à l’heure du repos ; quand aucun ami ne vous dérangera, qu’aucun serviteur n’excitera votre courroux, que vous serez libre du tracas des affaires, alors faites le compte de vos actions de la journée. Et pourquoi ne point parler des paroles et des actions, mais uniquement des mauvaises pensées ? Ce précepte suppose l’autre. – En effet, s’il faut réprimer les projets coupables afin, qu’ils ne se réalisent point, à plus forte raison pour les actions et les paroles doit-on soumettre l’âme à la gêne. N’y manquez pas un seul jour, mon cher auditeur, ne vous endormez pas avant d’avoir repassé dans votre esprit vos fautes de la journée : et certainement vous serez moins prompt le lendemain à tomber dans les mêmes fautes ; voyez ce que vous faites pour votre argent ; vous ne laissez point passer deux jours sans compter avec votre serviteur, tant vous craignez la confusion qui résulte de l’oubli : faites de même chaque jour pour vos actions ; le soir, appelez votre âme à rendre ses comptes, prononcez la condamnation contre votre cœur égaré, attachez-le à la croix, mettez-le à la torture, prescrivez-lui de ne pas recommencer. – Voyez-vous comment cette excellente médecine dispose à la fois de préservatifs et de remèdes ? Prescrire de ne pas retomber, c’est en effet, administrer pour ainsi dire, un préservatif ; tel est ce précepte : « Mettez-vous a en colère, et gardez-vous de pécher ;» au contraire : « Soyez touchés de componction dans vos lits sur les choses que vous médita au fond de vos cœurs », voilà un remède. – En effet, la médecine s’applique ici après la faute, à guérir le coupable par lui-même. Pratiquons donc cette médecine qui n’a rien de pénible. Et si ton âme ne peut supporter le souvenir de ses fautes, si la honte, la confusion l’en empêchent, dis-lui : Tu ne gagnes rien à ne pas te souvenir, tu y perds, au contraire ; beaucoup. Car, faute de te rappeler à présent tes péchés, tu t’exposes à ce qu’ils soient un jour manifestés à tous les yeux. Au contraire ; si tu les repasses maintenant dans ton esprit tu en seras promptement délivré, et tu n’y retomberas point si facilement. En effet, dans l’attente de ce jugement du soir, dans la crainte de retomber sous le coup du même arrêt, d’être encore flagellée et torturée, l’âme sera plus lente à pécher ; et tel est l’avantage de cette pratique, qu’il nous suffira de nous adonner un mois durant, pour nous mettre dans l’état de vertu. N’allons donc point négliger un si beau bénéfice. Celui qui aura institué ce tribunal ici-bas, échappera aux durs jugements de là-haut. « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés ; et lorsque nous sommes jugés, c’est par le Seigneur que nous sommes repris, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde. » (1Co 11,31-32) – Recourons donc à ce moyen, afin de n’être pas condamnés. « Offrez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. » (Id. 6) Voyez-vous comme cet excellent conseil s’enchaîne bien au précédent et le complète ? Après nous avoir touchés de componction, nous avoir rendus moins prompts à retomber dans nos péchés, avoir institué cet incorruptible tribunal, nous avoir demandé compte de nos actions, de suite le prophète nous amène à la pratique de la vertu. En effet, il ne suffit point de s’abstenir du mal, il faut joindre à cela la pratique du bien. Delà aussi ce conseil qu’il donne plus loin : « Détourne-toi du mal et fais le bien. » (Psa 34,15) – En effet, on n’est pas puni, uniquement pour faire le mal, on l’est encore pour ne pas pratiquer la vertu. Ceux qui n’ont pas nourri leur prochain quand il était affamé, ne l’ont pas désaltéré quand il avait soif, couvert quand il était nu, ceux-là n’ont ni pillé, ni pris, ni usurpé le bien d’autrui ; c’est pour n’avoir pas fait l’aumône qu’ils sont livrés à l’éternel châtiment, au supplice qui n’aura pas de fin. D’où nous voyons qu’on, ne se sauve point en s’abstenant du vice ; à moins d’être en outre riche de vertus et de faire le bien. 9. Voilà pourquoi le Prophète, quand il nous a retirés du vice au moyen de la componction, qu’ils nous a rendus plus aptes à la pratique de la vertu, qu’il a vaincu la dureté de notre âme, qu’il l’a amollie par le même moyen, voilà pourquoi, dis-je, il se met a parler de la justice, en ces termes : « Offrez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. » Qu’est-ce à dire : Offrez un sacrifice de justice ? Cherchez la justice, montrez de la justice : le plus beau présent que vous puissiez faire à Dieu, le sacrifice agréable, l’offrande propre à fléchir la colère, ce n’est point un sacrifice de veaux ou de brebis, c’est une conduite conforme à l’équité. Vous voyez ici comme une esquisse tracée de main divine de la législation future de l’Église ; et les choses spirituelles recherchées dès lors à la place des choses charnelles. Ici d’ailleurs, comme je l’ai dit plus haut, il entend par justice, non pas une vertu particulière, mais, la vertu en général : c’est ainsi que nous appelons juste l’homme qui réunit en soi toutes les vertus. Ce sacrifice-là n’exige ni argent, ni couteau, ni autel, ni feu : il ne se résout pas en fumée, en graisse et en cendre, il consiste tout entier dans l’intention de celui qui l’offre. Ni la pauvreté n’y est un obstacle, ni la misère une entrave, pas plus que le lieu ou quoi que ce soit : en quelque lieu que vous vous trouviez, vous pouvez l’offrir et être vous-même le prêtre, l’autel, le couteau et la victime. Telle est la nature des choses invisibles et spirituelles : elles offrent bien plus de facilités, parce qu’elles ne nécessitent aucune pratique extérieure. « Et espérez dans le Seigneur. » Un autre dit : « Et confiez-vous au Seigneur. » En effet, celui qui a mérité la faveur divine par une conduite équitable, celui-là y trouve un grand appui, un tout-puissant secours, une force irrésistible. Voyez-vous le fruit du sacrifice, qui vous attend à la porte ? Voyez-vous ce trésor de biens qui sur-le-champ s’entasse entre vos mains ? Qui pourrait encore inspirer de la crainte à celui qui a Dieu pour allié ? Mais ceci même n’est point une petite vertu, d’avoir confiance en lui, de se reposer sur lui. Avec la justice il nous demande donc cette autre vertu, la confiance, l’espoir en Dieu, la défiance et le détachement à l’égard des biens charnels, de telle sorte que nous fixions là-haut notre pensée. Car les choses de la vie présente ressemblent à des songes, à des ombres, et ont encore moins de consistance, ne faisant que paraître et s’envolant ; après, avoir dans l’instant de leur présence, porté le trouble dans nos cœurs : au contraire, l’espoir en Dieu est immortel, invariable, constant, exempt de changement ; il nous met dans une sécurité parfaite, il rend invincible celui qui s’y livre sans réserve et avec là ferveur convenable. « Beaucoup disent : Qui nous fera voir les biens ? La lumière de votre visage est empreinte sur nous, Seigneur. (Id. 7) » Après avoir parfait son exhortation morale, nous avoir, acheminés à la connaissance de Dieu, avoir mis en œuvre tous les moyens capables de redresser la raison de ceux qui sont égarés, en se servant surtout de l’exemple des fidèles et de la sollicitude divine à leur égard, il donne place à une objection qu’il emprunte aux hommes faibles et grossiers : « Beaucoup disent : Qui nous fera voir les biens ? » Ce n’est point le petit nombre, ce ne sont point les vrais sages, les fidèles éprouvés qui s’expriment ainsi : c’est la multitude, c’est cette foule confuse que sa démence ne quitte point. Quel est le sens de cette parole : « Qui nous fera voir les biens ? » Il y a des gens qui disent, les uns pour calomnier la Providence divine, les autres parce qu’ils sont épris de la volupté, de la mollesse, de l’argent, de la gloire, de la puissance : Où sont les biens de Dieu ? Me voici dans la misère, la maladie, l’infortune, en butte à des maux extrêmes, à la persécution, à la calomnie : tel autre, au contraire, vit dans la prospérité, les plaisirs, la puissance, la gloire, la richesse. Ces hommes ne recherchent que ces biens-là et négligent les biens véritables, je veux dire la sagesse et la vertu. Les autres, comme je le dis plus haut, partent de là pour accuser la Providence : Où est, disent-ils, la providence de Dieu, quand le monde offre le spectacle d’une telle confusion, quand la plupart des hommes vivent dans la misère, la pauvreté et l’excès des maux ? Quelle est la preuve de sa sollicitude ? On croit entendre des gens qui en plein midi, par un beau ciel, demandent à voir le soleil, et contestent l’existence de la lumière. C’est à quoi songe le Prophète, quand il dit de manière à résoudre d’un mot tous ces doutes : La Lumière de votre visage est empreinte sur nous, Seigneur : Il ne dit pas : « Est visible », il ne dit pas « Éclate », il dit : « Est empreinte », faisant voir que, de même qu’une marque empreinte sur le front est visible à tous et ne saurait échapper à personne, de même qu’il est impossible de ne pas reconnaître un visage rayonnant et inondé de lumière, de même il est impossible de ne pas voir la providence de Dieu. En effet, autant est manifeste une lumière empreinte, c’est-à-dire, gravée, inscrite sur un visage : autant est sensible cette bienfaisante Providence. Car ce due David entend ici par lumière, c’est l’assistance, la sollicitude, le secours, la Providence. Après avoir avancé cette proposition, voici qu’il en donne la preuve. Quelle est cette preuve ? « Vous avez mis la joie dans mon cœur. » Après avoir condamné l’irréflexion du vulgaire, il parle maintenant le langage des hommes sages et sensés pour démontrer la Providence divine « Vous avez mis la joie dans mon cœur », dit-il : c’est-à-dire, vous m’avez enseigné la sagesse, le dédain des choses mondaines, la connaissance des biens véritables et permanents : vous avez relevé mon âme par de bonnes espérances, vous m’avez guidé vers la vie future ; afin de me faire jouir des biens, vous m’avez encouragé par l’attente des biens. On ne peut mieux dire. 10. En effet, si l’homme qui doit entrer en possession d’un héritage, ou parvenir à une charge élevée, se sent heureux avant d’être appelé à en jouir et d’en avoir fait l’expérience, grâce au seul plaisir que ne cessent de lui causer l’attente et l’espoir : songez à ce que doit éprouver celui qui vit dans l’attente d’un immortel royaume, dans l’espérance de biens que l’œil n’a jamais vus, que n’a jamais ouïs l’oreille, que le cœur de l’homme n’a jamais connus. Voilà pourquoi il dit : « Tu as mis la joie dans mon cœur. » Car c’est la meilleure marque de providence, que d’avoir ainsi tout disposé dès l’origine. Que si les hommes grossiers, charnels et attachés à la terre, n’y font pas attention, la cause du désordre n’est point imputable à l’auteur de la promesse, mais à la folie de ceux qui l’ont reçue. Et le Prophète ne se borne point à dire : « Tu m’as donné la a joie », il dit : « Tu as mis la joie dans mon a cœur. » Montrant que le bonheur ne consiste pas dans les choses du dehors, dans le nombre des esclaves, dans l’or, dans l’argent, dans les étoffes précieuses, dans une table somptueusement servie ; dans la puissance, dans le luxe. Ce bonheur-là est pour les yeux, non pour le cœur. Beaucoup d’hommes qui possèdent toutes ces choses regardent la vie comme intolérable, et portent dans leur âme une fournaise de douleur ; mille soucis les consument ; mille alarmes les assiègent. Quant à moi, dit le Prophète, ce n’est point là-dedans que je mets mon bonheur, mais dans mon cœur, dans ma pensée, choses invisibles, incorporelles et qui ne me représentent que des choses incorporelles. – Par conséquent, si le contentement que te procurent les choses présentes, te fournit une preuve de la Providence divine : à plus forte raison les biens futurs doivent t’en instruire, puisqu’ils sont supérieurs à ceux-là, plus solides, et inaliénables. Car si, parce que l’on jouit de la richesse et de la prospérité, on est convaincu de la Providence divine : à plus forte raison les richesses du ciel doivent-elles produire en nous la même persuasion. Mais, direz-vous : Pourquoi donc ces richesses-là ne sont-elles que des richesses en espérance, qui ne tombent point sous la vue ? Je réponds que pour nous, fidèles, ces biens en espérance ont une réalité plus manifeste que ceux d’ici-bas : telle est la certitude que donne la foi. Peut-être nous proposera-t-on cette autre difficulté : Pourquoi n’est-ce point ici-bas que nous recevons notre salaire ? A cela je répondrai qu’il y a un temps pour les combats et les luttes, un autre pour les couronnes et la distribution des récompenses. Et ceci même est un trait de la sollicitude de Dieu qu’il ait confiné les peines et les fatigues dans les bornes étroites de cette vie périssable, et qu’au contraire il ait égalé la durée des couronnes et des récompenses à celle d’une éternité sur laquelle la vieillesse n’a pas de prises. De plus, comme les faibles étaient en grand nombre, il leur a donné en outre les biens sensibles d’ici-bas. C’est ainsi du moins qu’il gouverna le peuple juif. La richesse affluait chez eux, leur vie se prolongeait jusqu’à la vieillesse, la maladie les épargnait : extermination de leurs ennemis, paix profonde, trophées, victoires ; belle et nombreuse postérité, tout conspirait à leur bonheur. Mais quand eut paru Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour nous appeler au ciel, nous inspirer le mépris des choses d’ici-bas et l’amour des biens célestes, pour nous arracher aux choses mondaines : la valeur de celle-ci a diminué, comme de juste : et les autres sont devenus la seule richesse vu l’état de maturité auquel nous étions parvenus. Ainsi, tant que les enfants sont petits encore, leurs pères leur donnent des chaussures, des vêtements, des ornements d’or, des bracelets mais, une fois qu’ils sont devenus grands, au lieu de tout cela, ils reçoivent de leurs parents d’autres présents plus beaux : le talent de l’éloquence, un rang élevé dans l’État, le crédit à la cour du souverain, les charges, les magistratures, et sont dégoûtés par là des frivoles amusements de l’enfance. – Ainsi fit Dieu lui-même : il nous arracha aux futiles divertissements de l’enfance, pour nous promettre les trésors célestes. Ne te laisse donc pas éblouir par des biens périssables et fugitifs, ne t’occupe point de ces bagatelles. – Ce n’est pas, d’ailleurs, que Dieu te les ait absolument refusés. Enveloppés de chair, attachés à un corps, nous ne pouvions rester entièrement privés de ces choses : aussi Dieu nous en a-t-il pourvus largement. Voilà pourquoi le Prophète, après avoir touché à la Providence, en ce qu’elle a de plus élevé, et avoir dit : « Vous avez mis la joie dans mon cœur », voilà pourquoi le Prophète ajoute : « L’abondance de leur froment, de leur vin, de leur huile, les a accrus et enrichis. » Par ces mots il fait allusion à un côté de cette même Providence, qui n’est pas à négliger, celui qui se manifeste jusque dans les choses visibles. – En effet, parler de froment, de vin, d’huile, de l’abondance de ces productions, c’est faire penser aux pluies, au savant arrangement des saisons, à la terre, à son travail intérieur, à sa fécondité, à l’atmosphère, au cours du soleil, aux révolutions de la lune, à la marche régulière des astres, à l’été, à l’hiver, à l’automne, au printemps, au labourage, aux instruments de culture, à une foule d’industries. Car si tout cela n’était point réuni, il ne serait pas possible aux fruits de parvenir à maturité. Ainsi, en nommant le blé, le vin, l’huile, le Prophète donne au sage une occasion de s’élever de la partie au tout, et lui ouvre un vaste champ pour étudier la providence de Dieu révélée dans les choses sensibles. 11. Voilà pourquoi Paul aussi, faisant un discours public et traitant de la Providence, partait de là pour dire : « Dispersant les pluies et les saisons fécondes, en nous donnant la nourriture en abondance, et en remplissant nos cœurs de joie. » (Act 14,16) Le Prophète, dans sa concision, omet tout le reste : fruits, baies, espèces de plantes, de graines ; d’herbes, prairies, fleurs, jardins, que sais-je encore ? Il abrège, en nommant seulement les choses nécessaires à notre subsistance, et nous laissant les autres à deviner. Tous ces biens, ce n’est pas assez de dire que Dieu nous les donne : il nous les prodigue, et cela chaque année. Que si parfois il en devient ménager, en cela même il fait voir encore sa Providence ; il réveille la nonchalance des hommes, il les excite à solliciter ces biens de sa bonté. Viendra-t-on nous dire que ce n’est pas Dieu qui donne la pluie, mais les idoles ? Nous demanderons alors, qu’est-ce qui le prouve ? C’est que les poètes prétendent, dira-t-on, que c’est Jupiter qui fait la pluie. J’objecte que ces mêmes poètes ont dit aussi que ce Jupiter est un adultère, qu’il a débauché des enfants, meurtri son père, et commis d’autres crimes non moins énormes. Mais tout cela est faux, dira-t-on : eh bien ! il est faux également que la pluie vienne de Jupiter : car si vous admettez ceci, il faut admettre tout le reste : si vous rejetez le reste, rejetez pareillement ceci. En ce qui nous concerne, lorsque nous produisons des témoins de la puissance de Dieu, nous tenons pour vrai tout ce qu’ils disent de Dieu. Vous voilà donc forcés d’admettre les adultères de Jupiter, et toutes les autres actions qu’on lui attribue, et de vous convaincre par là que la nature divine ne comporte pas de pareilles imputations, qu’un être semblable ne saurait être dieu. Et dussiez-vous ne point l’admettre, la fable se dément de soi, le mensonge est confondu par lui-même, et toute autorité est enlevée aux poètes. Mais il est clair que cette autorité détruite, tout s’échappe de vos mains puisque ce sont les poètes qui ont inventé les noms donnés par eux aux fausses divinités, ainsi qu’un de vos philosophes en fait l’aveu. Mais peut-être sacrifierez-vous vos dieux pour recourir aux allégories : je vous demanderai alors : qu’est-ce que Jupiter ? Vous me répondrez :.la substance ignée, la région supérieure à l’air, ce qu’on appelle éther, d’un mot qui signifie bouillonnement, combustion. Ce n’est donc point une essence raisonnable, intelligente, mais un être dépourvu de pensée. En effet, personne ne contestera sans doute que tout ce qui participe de la nature de l’air, ne possède ni la raison ni le raisonnement : le plus stupide des hommes sait ce qu’il en est. Voilà donc Jupiter et son essence réduits à néant. En effet, s’il est air, et que l’air soit ce que nous avons dit, la fable est encore battue sur ce terrain. S’il est air, il ne peut être le père de personne, il n’a pu engendrer une essence telle que l’on représente le soleil, appelé aussi Apollon, et prétendu fils de Jupiter : en effet, le soleil est également dépourvu de raisonnement, de pensée, d’intelligence : il n’est lui-même qu’une créature physique, guidée dans son cours circulaire par la loi que Dieu lui a prescrite à l’origine. D’ailleurs la pluie ne tombe point de l’éther ; mais des nuages où vient s’amasser l’eau, soit de la mer, soit des réservoirs qui sont au-dessus du ciel, comme parlent les prophètes. Que si vous révoquez en doute l’autorité des prophètes, nous vous produirons des marques incontestables et manifestes qui les montrent clairement inspirés de Dieu, et ne parlant jamais par eux-mêmes, mais toujours sous la dictée de cette grâce divine et céleste. En effet, tout ce qu’ils ont prédit est accompli, tout a trouvé sa réalisation, soit que l’on feuillette l’histoire ancienne ou celle des temps nouveaux. Ce que les prophètes ont dit des Juifs a reçu son plein accomplissement, et tous ont pu en vérifier la réalisation : de même pour ce qui concerne le Christ dans le Nouveau Testament : par là on voit clairement la divinité de l’une et l’autre Écriture. Mais si l’Écriture est divine, ce qu’elle dit de Dieu ne peut manquer d’être complètement vrai. N’allez donc point douter de la Providence divine, et admirez en ceci encore sa sollicitude, que les méchants mêlés aux bons ici-bas ne l’aient pas empêché d’accorder à tous la jouissance de la terre et du soleil, ainsi que le bienfait des pluies. Que s’il laisse quelques hommes dans la misère et la pauvreté, c’est afin d’améliorer leur âme et de leur inspirer des pensées plus sages. En effet vous savez, vous n’ignorez pas que la richesse n’est qu’un instrument de corruption pour ceux qui n’y prennent pas garde ; tandis que la pauvreté est mère de la philosophie : et c’est ce que les faits établissent chaque jour. Combien de pauvres plus sages, plus intelligents : que les riches, et aussi plus sains de corps, grâce à leur pauvreté même qui amende tout à la fois leur chair et leur âme ? « Pour moi, je dormirai là-dessus et je reposerai d’un profond sommeil. Parce que vous m’avez logé, Seigneur, à l’écart, près de l’espérance. » Encore une autre manifestation, très-notable, de la Providence : la paix accordée à ceux qui sont voués à Dieu, « Car ceux qui chérissent votre loi sont en paix, et il n’y a pas de scandale pour eux. » (Psa 119,165) En effet, rien ne donne plus habituellement la paix que la connaissance de Dieu, que la possession de la vertu, qui exile de notre cœur les passions avec les troubles qu’elles y fomentent, et ne permet pas à l’homme d’être en guerre avec lui-même : à ce point qu’à défaut de cette paix, quand bien même on trouverait au-dehors une paix profonde, quand on ne serait en butte à aucun ennemi, on est plus malheureux que ceux contre qui l’univers est conjuré. 12. En effet, ni les Scythes, ni les Thraces, ni les Sarmates, ni les Indiens, ni les Maures, ni aucune nation sauvage, ne font une guerre aussi acharnée que les mauvaises pensées qui font leur séjour dans l’âme, que les passions déréglées, l’amour des richesses, la soif du pouvoir, l’attachement aux choses mondaines ; et cela se conçoit, car c’est du dehors que ces premiers ennemis nous attaquent, c’est au-dedans que les seconds nous font la guerre. Or, que les maux intérieurs sont plus désastreux et plus pernicieux que ceux qui viennent du dehors, c’est une observation que l’on peut faire constamment. Rien n’est plus funeste aux arbres que les vers engendrés dans leur substance, rien n’est plus fatal à la santé, à la force du corps, que les infirmités qui s’y développent intérieurement ; les villes ont moins à souffrir de la guerre étrangère, que de leurs dissensions intestines ; de même l’âme n’a pas tant à redouter les pièges qui lui sont tendus dans le monde que les maladies dont elle a fourni le germe elle-même. Mais quand un homme vivant dans la crainte de Dieu, s’attache avec constance à faire cesser cette guerre, à assoupir ses passions, à étouffer l’hydre des mauvaises pensées, à ne lui laisser aucune retraite, alors il est assuré de goûter une paix parfaite et profonde. Telle est la paix que nous devons à la venue du Christ ; telle est la paix que Paul souhaitait aux fidèles, disant dans chaque épître : « Grâce à vous, et paix par Dieu notre père. » En effet, celui qui en jouit non seulement n’a pas à craindre le barbare et l’ennemi, il n’a pas même lieu de redouter le diable, il se rit de toute la phalange des démons, il est le plus heureux des hommes, la pauvreté ne le gêne point ; ni la maladie, ni, les infirmités ne l’incommodent ; aucun des accidents imprévus qui assaillent l’humanité ne le trouble, parce que son âme, en qui réside le pouvoir d’accommoder tout cela pour le mieux, reste forte et en bonne santé. Vous allez vous convaincre que c’est la vérité ; prenez, par exemple, un envieux, en admettant que personne ne l’attaque, à quoi cela lui sert-il ? Il est lui-même son propre ennemi, son âme aiguise contre elle-même des traits plus perçants qu’une épée ; il se heurte à tout ce qu’il voit, chaque homme qu’il vient à rencontrer le blesse, ses regards ne s’arrêtent avec plaisir sur personne, il ne voit partout que des ennemis conjurés. Que lui revient-il donc de cette paix où le monde le laisse, quand lui-même, furieux, enragé, ennemi de toute la nature, porte en tous lieux cette guerre intestine, et souhaiterait d’être en butte à mille flèches, à mille traits, disons plus, à mille morts, plutôt que de voir un de ses semblables au sein des honneurs ou de la prospérité ? Tel autre que possède la passion des richesses, ouvre la porte de son âme à mille guerres, mille combats, mille séditions, et, dans son trouble, dans ses alarmes, il ne peut respirer un instant. Tout autre est celui qui a su s’affranchir des passions : il vit dans un port paisible, parmi les douceurs de la philosophie, à l’abri de toute incommodité pareille. Voilà pourquoi le Prophète, favorisé de ce bienfait de la Providence, disait : « Pour moi, je dormirai là-dessus, et je reposerai d’un profond sommeil », faisant voir par là que celui à qui cette paix est refusée n’a plus même l’accès de ce port du sommeil et de la nuit qui est ouvert à tous les hommes, et que l’entrée lui en est fermée. En effet, ces passions ruinent jusqu’au repos procuré par la nature, en opposant à la tyrannie du sommeil, une autre tyrannie plus forte qui en triomphe. Car les hommes envieux, jaloux, cupides, injustes, portant en tous lieux cette guerre et ses ennemis dans leur sein, ne peuvent se dérober au combat, dans quelque asile qu’ils se réfugient : même chez eux, même au lit, des nuées de traits, des agitations plus violentes que les flots, des combats sanglants, des cris, des gémissements, mille autres alarmes pires que celles que peut causer la présence des ennemis, ne cessent de les troubler. Il n’en est pas ainsi de notre juste. Content durant la veille, la nuit lui apporte un sommeil délicieux. Mais qu’est-ce à dire, « là-dessus ? » Cela signifie recueilli, replié sur moi-même, sans me laisser distraire par mille inquiétudes, sans songer à tel ou tel ; sans laisser mes pensées s’égarer sur la terre : en me contentant de réfléchir à mes affaires, à mes intérêts, aux choses qui importent le plus à un homme : « Parce que vous m’avez logé, Seigneur, à l’écart, près de l’espérance. » Il veut dire que son espérance, sa confiance en Dieu ont apaisé toutes ses passions. Tel est aussi le langage de Paul : « Car les tribulations si courtes et si légères de la vie présente produisent en nous le poids éternel d’une sublime et incomparable gloire : parce que nous ne considérons point les choses qui se voient, mais celles qui ne se voient pas. » En effet, il n’y a pas de chose si difficile qui ne devienne très-aisée, grâce à l’espérance de la glorification selon Dieu. Voilà pourquoi le Prophète dit : « Vous avez mis en moi l’espérance. À l’écart : » ce mot même renferme une grande instruction. 13. Qu’est-ce à dire : à l’écart ? C’est-à-dire loin des méchants. J’ai trouvé cette paix en vous, veut-il dire, et je vis séparé des pervers. C’est très-bien fait : car si les corps ont souvent à souffrir du contact d’un air vicié : ainsi l’âme est gagnée souvent par la contagion des vices d’autrui. et si un œil parfaitement sain peut contracter par les regards jetés sur un œil malade la même maladie ; si le galeux communique son mal aux gens bien portants ; les mauvaises sociétés produisent souvent des effets analogues. Voilà pourquoi le Christ conseillait non seulement de fuir les méchants, mais même de s’en séparer violemment, témoin ces paroles : « Si ton œil droit te scandalise, arrache-le, et jette-le loin de toi. » (Mat 5,29) Ce n’est pas de l’œil qu’il veut parler : en effet, quel mal l’œil peut-il faire tant que l’esprit reste sain ? Il veut parler de ces amis intimes qui nous sont aussi nécessaires que nos yeux, et il nous prescrit, s’ils viennent à nous nuire de répudier tout commerce avec eux, pour garantir plus efficacement notre salut. De là encore ces paroles qui se trouvent plus loin chez le Prophète. « Je ne me suis pas assis avec les conseillers de vanité, et je n’entrerai pas avec les prévaricateurs. » (Psa 26,4) Jérémie aussi proclame heureux l’homme qui reste dans la solitude, et qui porte ce joug dès la jeunesse. (Thrèn. III, 27, 28) Les Proverbes, également, contiennent beaucoup de conseils à ce sujet, et invitent tout le monde, non seulement à éviter les mauvais conseillers, mais encore à rompre tout commerce avec eux, et à ne les point fréquenter. En effet si nous voyons souvent les choses corporelles dénaturées par l’effet d’un mauvais voisinage, à combien plus forte raison en doit-il être ainsi de la moralité ? Les couleurs et la santé sont naturelles à notre corps : néanmoins il arrive qu’elles nous sont ôtées par la prédominance d’une disposition contraire. – L’appétit est pareillement inné chez nous : néanmoins il nous arrive de le perdre souvent par la faute des maladies : et l’on pourrait multiplier les exemples de ce genre. Eh bien l si les choses physiques sont sujettes à ces ébranlements, à plus forte raison les choses morales qui sont bien plus promptes à changer dans un sens ou dans l’autre. N’allons donc pas croire que les mauvaises fréquentations n’offrent qu’un médiocre danger fuyons-les au contraire, par-dessus toutes choses, fût-ce la société de nos femmes ou celle de nos amis. C’est le péril auquel ont succombé ces grands hommes, Salomon et Samson : toute une nation, la nation juive, se perdit aussi de la sorte. Car les serpents sont moins dangereux que la perversité humaine. Le venin du serpent est visible : les hommes, au contraire, distillent goutte à goutte, sans bruit, mais chaque jour, leur poison, qui peu à peu détruit toute la vigueur de notre vertu. Aussi Dieu défend-il jusqu’aux regards déréglés : « Celui, dit-il, qui a jeté les yeux sur une femme pour la convoiter, a déjà commis l’adultère dans son cœur. » (Mat 5,28) C’est pour indiquer combien la chute est facile et prompte. Mais vous-mêmes, avez-vous envie de vous établir dans une ville ? Vous vous inquiétez du climat, vous voulez savoir s’il n’est pas insalubre, variable, sec à l’excès mais quand il s’agit de votre âme, peu vous importent les sociétés dont elle va se trouver entourée, et vous la livrez, sans examen, à la merci du premier venu ? Et par quelle excuse, je vous le demande, justifier une pareille indifférence ? Quelle est, selon vous, la cause, qui porte si haut la gloire et le renom des solitaires ? N’est-ce point d’avoir fui les agitations de la place publique, de s’être sauvés loin de la fumée des affaires d’ici-bas ? Sachez les limiter, et chercher la solitude au milieu même de la cité. Mais comment la trouver ? En fuyant les méchants, en courant après les bons. C’est le moyen d’être mieux préservé que les solitaires eux-mêmes, parce que, tout en vous prémunissant contre ce qui pourrait vous nuire, vous aurez encore l’avantage des sociétés utiles. Fuir les méchants, rechercher les bons, ce sera pour vous double ressource afin de croître en vertu, et de mettre le vice en fuite. Conduisons-nous donc de manière à y parvenir, conformément à la parole du Psalmiste : « Parce que tu m’as logé, Seigneur, à l’écart près de l’espérance. » Je finirai ici mon discours, après vous avoir expliqué suffisamment, je pense, les difficultés, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui gloire et puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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