‏ Romans 1

PROLOGUE POUR LES HOMÉLIES SUR L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS.

(Voir, pour l’avertissement, tome 1, page 247)

1. En entendant lire fréquemment les épîtres du bienheureux Paul, deux fois et souvent même trois et quatre fois la semaine, quand nous célébrons la mémoire des saints martyrs, d’une part je jouis de cette trompette spirituelle, je suis transporté et enflammé d’ardeur aux sons de cette voix si chère ; il me semble qu’il est là, que je le vois parler ; d’autre part, je souffre et je m’attriste en songeant que non seulement tous ne connaissent pas ce grand homme comme ils devraient le connaître, mais que quelques-uns mêmes ignorent jusqu’au nombre de ses épîtres ; et cela, non par incapacité, mais parce qu’ils ne veulent pas entretenir commerce avec ce bienheureux. Car, nous-même, ce n’est point à la pénétration de notre esprit que nous devons ce que nous en savons, si tant est que nous en sachions quelque chose, mais à l’étude assidue que nous en faisons et, à l’extrême affection que nous lui portons. En effet, ceux qui aiment connaissent mieux que les autres l’objet aimé, parce qu’ils en ont souci ; comme le Bienheureux l’indique lui-même quand il écrit aux Philippiens : « Et il est juste que j’aie ce sentiment pour vous tous, parce que je sens que, soit dans mes liens, soit dans la défense et l’affermissement de l’Évangile, je vous porte dans mon cœur ». (Phi 1, 7) Vous n’avez donc besoin que de vous appliquer sérieusement à la lecture ; car la parole du Christ est vraie : « Cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ». (Mat 7,7) Mais comme la plupart des membres de cette assemblée ont des enfants à nourrir, une femme à soigner, une maison à entretenir, et par là même ne pourraient s’adonner entièrement à ce travail ; au moins attachez-vous à profiter de ce que d’autres ont recueilli, et mettez-y autant d’empressement qu’à amasser de l’argent. Que si nous sommes honteux de vous demander si peu, qu’il vous plaise au moins de nous l’accorder.

En effet, l’ignorance des Écritures est la source de maux innombrables. De là l’affreuse peste des hérésies, de là le relâchement de la conduite, de là les travaux stériles. Car de même que des aveugles ne sauraient marcher droit, ainsi ceux qui ne jouissent pas de la lumière des divines Écritures, sont condamnés à pécher et à s’égarer souvent, puisqu’ils marchent au milieu des plus éparses ténèbres. Pour éviter ce malheur, ouvrons les yeux à l’éclat des paroles de l’Apôtre ; car la langue de Paul surpasse le soleil en splendeur, et son enseignement brille par-dessus tous les autres. Parce qu’il a plus travaillé que les autres, il s’est attiré de grandes grâces du Saint-Esprit, et je le prouverais, non seulement par ses épîtres, mais encore par ses actes. En effet, s’il s’agissait de parler, chacun lui cédait la place ; aussi les infidèles le prenaient-ils pour Mercure (Act 14,11), parce que son éloquence était sans rivale. Mais avant d’aborder cette épître, il est nécessaire d’assigner l’époque où elle fut écrite. Elle n’a point précédé toutes les autres, comme beaucoup le pensent ; mais elle est la première de celles qui ont été envoyées de Rome, et postérieure à plusieurs des autres, si, ce n’est à toutes : car les deux aux Corinthiens lui sont antérieures. Cela est démontré par les paroles qu’on lit vers la fin : « Maintenant je vais à Jérusalem pour servir les saints. Car la Macédoine et l’Achaïe ont trouvé bon de faire quelques collectes en faveur des pauvres, des saints qui sont à Jérusalem ». (Rom 15,25-26) Il écrit encore aux Corinthiens : « Que si la chose mérite que j’y aille, ils viendront avec moi » (1Co 16,4), en parlant de ceux qui devaient porter cet argent. D’où il résulte clairement que quand il écrivait aux Corinthiens, son voyage était encore incertain ; tandis qu’il était certain et arrêté, quand il écrivait aux Romains. Or ce point, une fois établi, il est évident que la lettre aux Romains a été écrite après celle aux Corinthiens.

L’épître aux Thessaloniciens me paraît également avoir précédé celle aux Corinthiens. Car c’est après avoir écrit à ceux-là et parlé de l’aumône en ces termes : « Quant à la charité fraternelle, nous n’avons pas besoin de vous en écrire, puisque vous avez appris de Dieu à vous aimer les uns les autres, et c’est aussi ce que vous faites à l’égard de tous les frères » (1Th 4,9-10), qu’il écrit ensuite à ceux-ci, comme le prouvent ces paroles : « Car je connais votre bon vouloir, pour lequel je me glorifie de vous près des Macédoniens, leur disant que l’Achaïe est préparée dès l’année passée, et que votre zèle a provoqué celui du plus grand nombre ». (2Co 9,2) Ce qui prouve qu’il avait d’abord traité ce sujet avec eux. Mais si cette épître aux Romains est postérieure à celle-là, elle est antérieure à toutes celles que l’Apôtre a écrites de Rome ; car il n’était pas encore venu à Rome quand il l’écrivit, comme il l’indique lui-même, en disant : « Car je désire vous voir pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle ». (Rom 1,11) Or, c’est de Rome qu’a écrit aux Philippiens, aussi leur dit-il : « Tous les saints vous saluent, principalement ceux qui sont de la maison de César ». (Phi 4,22) C’est aussi de là qu’a écrit aux Hébreux, puisqu’il leur dit : « Les frères d’Italie vous saluent tous ». (Heb 13,24) C’est également de Rome, quand il était dans les fers, qu’il envoie sa lettre à Timothée, et celle-ci me semble la dernière de toutes, comme on le voit par la fin : « Car pour moi je suis comme une victime qui a déjà reçu l’aspersion pour être immolée, et le temps de ma délivrance approche ». (2Ti 4,6) Or, personne n’ignore que c’est là qu’il a fini sa vie. L’épître à Philémon est aussi parmi les dernières ; car il l’a écrite dans son extrême vieillesse, ainsi qu’on le voit par ces mots : « Comme le vieux Paul, maintenant prisonnier de Jésus-Christ ». (Phm. 9) Or, elle a précédé celle aux Colossiens, ainsi qu’on le voit à la fin de celle-ci, où il dit : « Tychique, que j’ai envoyé avec Onésime, mon serviteur fidèle et bien-aimé, vous racontera tout ». (Col 4,7) Or, cet Onésime, est celui en faveur de qui il a écrit sa lettre à Philémon. Que c’était celui-là, et non quelque autre du même nom, on le voit par cet Archippe dont il invoque l’appui près de Philémon, pour obtenir ce qu’il demande pour Onésime, et dont il excite le zèle en ces termes, dans son épître aux Colossiens : « Dites à Archippe : Voyez le ministère que vous avez reçu dans le Seigneur, afin de le remplir ». (Id 17) Il me semble aussi que l’épître aux Galates est encore antérieure à celle aux Romains. Que si elles ont un autre ordre dans la Bible, il ne faut pas s’en étonner : car quoique les douze prophètes ne se soient point succédé immédiatement dans l’ordre des temps, qu’ils aient même été séparés par de grands intervalles, ils se trouvent cependant dans la Bible à la suite les uns des autres. En effet, Aggée, Zacharie, et d’autres encore, ont prophétisé après Ezéchiel et Daniel ; beaucoup ont prophétisé après Jonas, Sophonie et tous les autres, et pourtant ils sont rattachés à tous ceux-là malgré la distance des temps.

2. Que personne ne croie en ceci notre peine inutile, et ne regarde cette question comme oiseuse et de pure curiosité : la date de chaque épître a un grand, intérêt pour le but que nous nous proposons. Car, quand je vois Paul écrire aux, Romains et aux Colossiens sur les mêmes objets, mais non de la même manière : à ceux-là avec une grande condescendance, comme quand il leur dit : « Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans disputer sur les opinions, car l’un croit qu’il peut manger de tout, et l’autre qui est faible ne mange que des légumes » (Rom 14,1-2) ; et aux Colossiens, sur le thème sujet, mais avec plus de liberté : « Si donc vous êtes morts avec le Christ aux éléments de ce monde, pourquoi vous laissez-vous imposer des lois comme si vous viviez dans ce premier état du monde ? Ne mangez pas, vous dit-on, ne goûtez pas, ne touchez pas. Toutes choses qui périssent par l’usage qu’on en fait, ne sont point en honneur, mais pour le rassasiement de la chair » (Col 2,20-23) ; quand je vois, dis-je, cette différence, je n’en trouve pas d’autre raison que la diversité même des temps. En effet, au commencement il fallait user de condescendance ; dans la suite, cela n’était plus nécessaire. On le voit encore souvent agir de même dans d’autres circonstances. Telle est la conduite que tiennent un médecin et un maître : ni médecin ne traite de la même façon ceux qui commencent à être malades et ceux qui entrent en convalescence ; ni le maître n’en use de la même manière avec les petits enfants et ceux qui demandent un enseignement plus avancé. Ainsi Paul écrit sur un ton différent aux uns et aux autres selon le sujet et l’occasion (et il le fait voir en disant aux Corinthiens : « Quant aux choses dont vous m’avez écrit » (1Co 7,1) ; et en déclarant la même chose aux Galates dès le début et tout le long de sa lettre).

Mais aux Romains, pour quel motif et à quelle occasion leur a-t-il écrit ? On le voit leur rendre témoignage qu’ils sont abondamment pourvus en vertu et en tout genre de connaissance, au point d’être capables de corriger les autres. Pourquoi donc leur a-t-il écrit ? Il le dit lui-même : « À cause de la grâce que Dieu m’a donnée pour être le ministre de Jésus-Christ ». (Rom 15,15-16) C’est ce qui lui fait dire dès le commencement : « Je suis redevable, et (autant qu’il est en moi), je suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome ». (Id 1,14-15) Et ce qu’il dit d’eux, par exemple, qu’ils sont capables de corriger les autres, ou autres choses semblables, il le dit surtout par manière d’éloge et d’exhortation ; néanmoins il était besoin de les corriger aussi par lettres. Comme il n’était point encore venu à Rome, il emploie un double moyen pour les mettre en règle : l’utilité de ses lettres et l’attente de son arrivée.

Car telle était cette sainte âme ; elle embrassait l’univers entier, elle portait tout le monde avec elle, estimant comme la plus précieuse parenté celle qui est selon Dieu ; il les aimait tous comme s’il les eût enfantés ; bien plus, jamais amour paternel n’égala le sien. Telle est en effet la grâce de l’Esprit ; elle fait sentir des douleurs plus vives que celles de l’enfantement charnel, et manifeste un amour bien plus ardent. On peut le remarquer surtout dans l’âme de Paul : la charité semble lui donner des ailes, il est continuellement en mouvement, il ne s’arrête, il ne se fixe nulle part. Ayant appris que le Christ avait dit : « Pierre ; m’aimes-tu ? Pais mes brebis » (Jn 21,15), et avait fixé là le terme extrême de l’amour, il a donné de cet amour des preuves prodigieuses. Imitons donc son zèle : Si nous ne pouvons convertir l’univers, des villes, des nations entières, qu’au moins chacun règle sa maison, sa femme, ses enfants, ses amis, ses voisins. Et que l’on ne dise pas : Je suis sans expérience et sans instruction. Personne n’était plus ignorant que Pierre, ni plus expérimenté que Paul. C’est lui-même qui l’avoue, et sans rougir « À la vérité, je suis inhabile pour la parole, mais non pour la science ». (2Co 11,6) Et pourtant cet ignorant et cet inhabile ont vaincu des milliers de philosophes, ont fermé la bouche à une foule de rhéteurs, uniquement en vertu de leur zèle et de la grâce de Dieu. Quelle excuse aurons-nous donc, nous qui ne pouvons pas même suffire à vingt personnes, qui ne sommes pas même utiles aux membres de notre famille ? Ce sont là d’inutiles objections et de vains prétextes : ce n’est pas le défaut de science ou d’habileté qui empêche d’instruire, mais la paresse et le sommeil de l’indifférence. Secouons donc ce sommeil, exerçons tout notre zèle sur les membres de notre maison, afin qu’après les avoir solidement établis dans la crainte de Dieu, nous jouissions ici-bas d’un repos parfait et que nous méritions les biens innombrables de l’autre vie, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et en qui la gloire soit rendue au Père et en même temps au Saint-Esprit ; maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

COMMENTAIRE SUR L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS.

HOMÉLIE I.

PAUL, SERVITEUR DE JÉSUS-CHRIST, APPELÉ A L’APOSTOLAT, CHOISI POUR L’ÉVANGILE DE DIEU, QU’IL AVAIT PROMIS AUPARAVANT PAR DES PROPHÈTES DANS LES SAINTES ÉCRITURES. (CHAP. 1, VERS. JUSQU’À 7)

Analyse.

  • 1. Explication très-intéressante et très-profonde des mots : Paul, serviteur, Jésus-Christ, appelé, apôtre, choisi, Évangile de Dieu.
  • 2. L’Évangile que quelques-uns considèrent comme une nouveauté, a été annoncé et figuré longtemps d’avance, de sorte qu’il est plus ancien que les Gentils. – Saint Paul parle de deux générations de Jésus-Christ en commençant par la génération selon la chair, pourquoi ? Cinq preuves de la divinité de Jésus-Christ indiquées en passant par l’Apôtre.
  • 3. Pour faire obéir à la foi… C’est de foi et non de raisonnement que les chrétiens ont besoin. – Toutes les nations. – L’Évangile doit être prêché à toutes les nations de la terre, sinon par Paul et les autres apôtres ses contemporains, du moins par ceux qui leur succéderont dans l’apostolat. – Les Romains, quoique maîtres du monde, n’ont devant l’Évangile aucun privilège.
  • 4. Que la sanctification vient de la charité. - Que les dignités qui s’achètent à prix d’argent ne sont pas proprement des dignités.

1. Moïse a composé cinq livres et n’y a écrit son nom nulle part, non plus que ceux qui ont raconté ce qui s’est passé après lui ; il en est de même de Matthieu, de Jean de Marc et de Luc ; mais le bienheureux Paul place toujours le sien en tête de ses lettres. Pourquoi cela ? Parce que ces autres auteurs écrivaient pour des personnes présentes et qu’il leur était inutile de se nommer eux-mêmes ; tandis que Paul, écrivant au loin et sous forme de lettres, devait nécessairement mettre son nom. S’il ne le fait pas dans son Épître aux Hébreux, c’est à dessein et par prudence. Car comme il leur était odieux et qu’il craignait qu’en entendant son nom ils ne se refusassent tout d’abord à l’écouter, il le supprime afin de les attirer. Mais si les prophètes et Salomon ont écrit leurs noms, je vous laisse le soin de chercher pourquoi les uns l’ont fait et les autres non ; car ce n’est point à moi de tout vous apprendre, mais à vous de travailler et de chercher, pour ne pas devenir trop paresseux.

« Paul, serviteur de Jésus-Christ. » Pourquoi Dieu a-t-il changé son nom, en l’appelant Paul au lieu de Saul ? Pour qu’en cela il ne fût point inférieur aux autres apôtres, mais qu’il jouît du même privilège que le chef des disciples et fût plus intimement uni à la famille. Et ce n’est pas sans raison qu’il se nomme serviteur du Christ, car il y a bien des espèces de servitude : l’une découle de la création, comme il est dit : « Toutes choses vous servent » (Psa 118) ; et ailleurs : « Mon serviteur Nabuchodonosor (Jer 25,9) : tout ouvrage étant au service de l’ouvrier ; une autre dérive de la foi, dont Paul dit : « Mais grâces soient rendues à Dieu de ce qu’ayant été esclaves du péché, vous avez obéi du fond du cœur à ce modèle de doctrine sur lequel vous avez été formés, et de ce qu’affranchis du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice ». (Rom 6,17, 18) ; une autre encore tirée de la conduite, de laquelle on lit : « Moïse mon serviteur est mort » (Job 1, 2) ; car bien que tous les Juifs fussent serviteurs de Dieu, Moïse l’était par excellence, à raison de sa conduite. Mais comme Paul était serviteur de Dieu dans tous les sens, il s’en glorifie comme d’une très-haute dignité par ces mots : « Serviteur de Jésus-Christ ». Il prononce les noms de l’incarnation, en remontant de bas en haut ; car le nom de Jésus fut apporté du ciel par un ange, le jour où le Sauveur prit naissance dans le sein d’une vierge ; et le mot Christ vient de l’onction, qui appartient à la chair. Et de quelle huile, direz-vous, le Christ a-t-il été oint ? D’aucune, mais bien de l’Esprit ; or l’Écriture a coutume d’appeler Christs ceux qui ont reçu cette onction. Car le principal, dans, l’onction, c’est l’Esprit ; l’huile n’est que l’accessoire : Mais où appelle-t-on Christs ceux qui n’ont pas été oints avec l’huile ? Dans le passage où il est dit : « Ne touchez point à mes Christs, et ne maltraitez point mes prophètes ». (Psa 104) Car là il n’était pas question d’onction par l’huile. Psa 104) Car là il n’était pas question d’onction par l’huile.

« Appelé à l’apostolat ». Partout il se donne le titre d’appelé, pour témoigner sa reconnaissance et faire voir que s’il a trouvé, ce n’est point pour avoir cherché ; mais parce qu’il a été appelé et qu’il a obéi. C’est aussi le nom qu’il donne aux fidèles appelés ainsi. Mais les fidèles ont été simplement appelés à la foi ; tandis qu’à lui on a confié autre chose, l’apostolat ; fonction pleine de biens sans nombre qui l’emporte sur toutes les grâces et les renferme toutes. Et qu’est-il besoin de dire autre chose, sinon que ce que le Christ a fait lui-même sur la terre, il a chargé les apôtres de le faire après son départ ? C’est ce que Paul nous crie lui-même, quand il exalte en ces termes la dignité des apôtres : « Nous faisons les fonctions d’ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche » (2Co 5,20), c’est-à-dire, nous remplaçons le Christ.

« Choisi pour l’Évangile de Dieu ». De même que, dans une maison, chacun est destiné à un emploi différent, ainsi les divers ministères sont distribués dans l’Église. Ici il me semble moins désigner son lot particulier, qu’insinuer qu’il y a été appelé depuis longtemps, et d’en haut. C’est ainsi que Jérémie affirme que Dieu a dit, en parlant de lui : « Avant que tu sortisses du sein de ta mère, je t’ai sanctifié et établi prophète parmi les nations ». (Jer 1,5) Comme Paul écrivait à un peuple fier et orgueilleux, il veut prouver que l’élection vient de Dieu : c’est Dieu qui a appelé, c’est Dieu qui a choisi. Son but est de rendre sa lettre digne de foi et de la faire agréer. « Pour l’Évangile de Dieu ». Matthieu et Marc ne sont donc pas les seuls évangélistes, pas plus qu’il n’est, lui-même le seul apôtre ; bien que ce nom lui soit donné par excellence, comme à ceux-là celui d’évangéliste. Il l’appelle Évangile, non seulement à cause des biens déjà accordés, mais à cause des biens à venir. Et comment dit-il qu’il apporte la bonne nouvelle de Dieu ? Voici en effet ses paroles : « Choisi pour l’Évangile de Dieu ». Or le Père était connu avant les Évangiles. Mais s’il était connu, ce n’était que des Juifs, et pas de tous encore, comme il l’aurait fallu : car ils ne le connaissaient point comme Père, et s’en formaient beaucoup d’idées indignes de lui : aussi le Christ disait-il : « Les vrais adorateurs viendront ; ce sont de tels adorateurs que le Père cherche ». (Jn 4,23) Enfin il s’est manifesté au monde entier avec le Fils : comme le Christ lui-même l’avait prédit, en disant : « Afin qu’ils vous connaissent, vous seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ ». (Id 17,3) Il l’appelle Évangile de Dieu, pour exciter dès l’abord l’attention de l’auditeur. Car il ne vient pas apporter de tristes nouvelles, des injures, des accusations, des reproches, comme le prophète ; mais annoncer de bonnes nouvelles, les bonnes nouvelles de Dieu, des trésors infinis de biens permanents et immuables. – « Qu’il avait promis auparavant par des prophètes dans les saintes Écritures ». Car il est écrit : « Le Seigneur mettra la parole dans la bouche de ceux qui évangélisent avec beaucoup de force ». (Psa 67) Et encore : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui, évangélisent la paix ! » (Psa 67) Et encore : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui, évangélisent la paix ! » (Isa 52,7)

2. Voyez-vous comme le nom et le mode de l’Évangile sont clairement énoncés dans l’Ancien Testament ? Car, dit-il, nous n’évangélisons pas seulement en paroles, mais en action ; vu que ce n’est point une œuvre humaine, mais divine, mystérieuse, et élevée au-dessus de toute la nature. Et comme on traitait la chose de nouveauté, il démontre qu’elle est plus ancienne que les Grecs et déjà décrite d’avance par les prophètes. Que si elle n’a pas été donnée dès le commencement, la faute en est à ceux qui n’ont pas voulu la recevoir ; car ceux qui l’ont voulu, ont entendu. « Abraham votre père », dit le Christ, « a tressailli pour voir mon jour ; il a vu et il s’en est réjoui ». (Jn 8,56) Comment donc le Sauveur dit-il ailleurs : « Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu ? » (Mat 13,17) C’est-à-dire, voir comme vous voyez et entendez, la chair même, les signes visibles. Mais considérez combien de temps à l’avance cela avait été prédit : car quand Dieu prépare de grandes choses, il les annonce longtemps d’avance, afin de disposer nos oreilles à les accueillir quand elles arriveront. – « Dans les Saintes Écritures ». Les prophètes ne parlaient pas seulement, mais ils écrivaient ce qu’ils disaient ; non seulement ils l’écrivaient, mais ils le représentaient en figures, comme Abraham conduisant Isaac, Moïse élevant le serpent, ou étendant les mains contre Amalec, ou immolant l’agneau de la Pâque.

« Touchant son Fils qui lui est né de David « selon la chair (3) ». Que faites-vous, Paul ? Après avoir élevé nos esprits, nous avoir fait pressentir des choses sublimes et mystérieuses, avoir parlé d’Évangile et d’Évangile de Dieu, introduit le chœur des prophètes et avoir démontré que tous ont prédit longtemps d’avance ces événements futurs ; après tout cela, dis-je, comment nous ramenez-vous à David ? De grâce, quel est l’homme dont vous parlez, et à qui vous donnez pour père le fils de Jessé ? Comment cela répond-il à ce que vous venez de dire ? – Cela y répond parfaitement ; car, nous dit-il, il ne s’agit pas ici d’un pur mortel. Aussi ajoute-t-il : « Selon la chair », insinuant par là qu’il a aussi une génération selon l’Esprit.

Et pourquoi a-t-il commencé par là, et non par le côté le plus élevé ? Parce que Matthieu, Luc et Marc l’ont fait aussi. Car celui qui veut conduire au ciel, doit nécessairement commencer par ce qu’il y a de plus bas pour élever à ce qu’il y a de plus haut : c’est l’ordre suivi par le Verbe incarné. On l’a d’abord vu comme homme sur la terre, puis on a compris le Dieu. Ainsi la manière dont le Maître a réglé son enseignement, est celle que le disciple adopte pour tracer la voie qui conduit au ciel. Il parlera donc d’abord de la génération selon la chair, non parce qu’elle est la première, mais parce qu’il veut élever l’esprit de son auditeur de celle-là à l’autre.

« Qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance selon l’Esprit de sanctification, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts (4) ». La complication des termes rend ici le sens obscur ; aussi devons-nous distinguer. Que dit-il donc ? Nous prêchons Celui qui est né de David : voilà qui est clair. Mais qu’est-ce qui montre que celui-là est aussi le Fils de Dieu qui s’est incarné ? La première preuve est tirée des prophètes ; c’est pourquoi il dit : « Qu’il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes Écritures ». Ce genre de démonstration n’est pas sans valeur. La seconde ressort du mode de génération exprimée par ces mots : « De la race de David selon la chair », car cette naissance a été une dérogation à la loi de la nature. La troisième se tire des miracles qu’il a opérés, donnant ainsi une preuve de sa grande puissance, ainsi que l’indique ce mot : « En puissance ». La quatrième est tirée de l’Esprit-Saint qu’il a donné à ceux qui croient en lui, et par lequel il les fait tous saints ; ce que veulent dire ces paroles : « Selon l’Esprit de sanctification » car Dieu seul pouvait faire de tels dons. La cinquième est la résurrection du Seigneur : Car le Christ est le premier et le seul qui soit ressuscité par sa propre vertu : signe que le Sauveur lui-même donne comme le plus propre à fermer la bouche aux plus impudents. « Détruisez ce temple » ; leur dit-il, « et je le relèverai en trois jours » (Jn 2,19) ; « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, c’est alors que vous connaîtrez ce que je suis ». (Id 8,28) Et encore : « Cette génération demande un miracle ; et il ne lui en sera point donné d’autre que celui de Jonas ». (Mat 12,39) Que veut donc dire « Prédestiné ? » Montré, déclaré, jugé, confessé par le suffrage de tous, par les prophètes, par sa naissance inouïe selon la chair, par la puissance des miracles, par l’Esprit en qui il a donné la sanctification, par la résurrection qui a brisé la puissance de la mort.

« Par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat pour faire obéir à la foi (5) ». Voyez la reconnaissance du serviteur : il ne s’attribue rien, mais renvoie tout au Maître. Or le Seigneur lui-même a donné cet Esprit. Aussi disait-il : « J’ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne les pouvez porter à présent. Mais quand cet Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité ». (Jn 16,12) Et encore : « Séparez-moi Paul et Barnabé ». (Act 13,2) Et Paul nous dit dans l’Épître aux Corinthiens : « À l’un est donné par l’Esprit la parole de sagesse, à un autre la parole de science ». (1Co 12,8) Et encore : « Lui-même distribue tout comme il veut ». (1Co 12,11) Prêchant aux Milésiens, il leur dit : « Dans lequel l’Esprit-Saint vous a établis pasteurs et évêques ». Voyez-vous comme il attribue au Fils ce qui est à l’Esprit, et à l’Esprit ce qui est au Fils ? « La grâce et l’apostolat » ; c’est-à-dire, ce n’est pas nous qui avons mérité d’être apôtres. Ce n’est point par nos travaux et nos peines que nous avons obtenu cette dignité ; mais nous avons reçu la grâce, et ce ministère est un don d’en-haut. « Pour faire obéir à la foi ».

3. Ce n’était donc point là l’œuvre des apôtres, mais de la grâce qui les prévenait. Les voyages et la prédication étaient bien leur fait, mais la persuasion venait de Dieu qui agissait mieux ; comme saint Luc nous le dit : « Il a ouvert leur cœur » ; et encore : « Ceux à qui il avait été donné d’entendre la parole de Dieu. – Pour faire obéir ». Il ne dit point : Pour chercher, pour démontrer ; mais « Pour faire obéir ». Ce qui signifie : Nous n’avons pas été envoyés pour faire des raisonnements, mais pour rendre ce que nous avons reçu. Car quand le Maître prononce quelque chose, les auditeurs n’ont point à scruter et à s’enquérir curieusement, mais seulement à accepter. Les apôtres ont été envoyés pour dire ce qu’ils avaient entendu, et non pour y rien ajouter du leur ; et nous, nous n’avons qu’à croire. Et quoi croire ? « À son nom » (Act 3,6) ; non pour nous livrer à des recherches curieuses sur sa substance, mais pour croire à son nom : car c’est ce nom qui opérait les miracles : comme il est écrit : « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche ». (Id) Ici il faut la foi, et nous ne pouvons rien comprendre par le raisonnement.

« Toutes les nations parmi lesquelles vous avez été, vous aussi, appelés par Jésus-Christ ». Quoi donc ? Paul a-t-il prêché à toutes les nations ? On voit clairement par ce qu’il écrit aux Romains, qu’il est allé de Jérusalem en Illyrie, et de là aux extrémités de la terre. Mais quand il ne serait pas allé partout, sa parole n’en serait pas moins vraie : car il ne parle pas seulement de lui, mais des douze apôtres et de tous ceux qui ont évangélisé après eux. D’ailleurs quand vous prouveriez qu’il parle de lui seul, vous ne pourriez encore le contredire, si vous tenez compte de son ardeur, et si vous considérez qu’il ne cesse de prêcher par toute la terre même après sa mort. Voyez comme il exalte la grâce de l’Évangile, et fait voir qu’il est grand et bien au-dessus de la première, car l’ancien ordre de choses ne regardait qu’un seul peuple, tandis que le nouveau a conquis la terre et la mer ! Voyez encore comme l’âme de Paul est éloignée de toute flatterie ! Il parle aux Romains qui se trouvaient comme placés à la tête de l’univers entier, et pourtant il ne leur accorde pas plus qu’aux autres nations ; bien qu’ils régnassent sur les autres, il ne leur attribue rien de plus dans l’ordre spirituel : nous vous prêchons, leur dit-il, comme à toutes les autres nations ; il les met au rang des Scythes et des Thraces ; sinon, il eût été inutile de dire : « Parmi lesquelles vous avez été, vous aussi ». Il fait cela pour détruire leur orgueil, corriger leur vanité, et leur apprendre qu’ils ne sont point au-dessus des autres. Aussi ajoute-t-il : « Parmi lesquelles vous avez été, vous aussi, appelés par Jésus-Christ (6) ». C’est-à-dire, avec lesquelles vous avez été. Il ne dit point : a appelé les autres avec vous, mais vous a appelés avec les autres. Car, si dans le Christ Jésus il n’y a ni esclave ni libre, à plus forte raison ni roi ni particulier : aussi avez-vous été appelés et vous n’êtes point venus de vous-mêmes.

« À tous ceux qui sont à Rome, aux bien-aimés de Dieu, appelés saints, grâce à vous et paix de la part de Dieu notre Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Voyez comme il répète continuellement le mot d’appelé : « Appelé à l’apostolat ; parmi lesquelles vous êtes, vous aussi, appelés ; à tous ceux qui sont à Rome, aux appelés ». Et ce n’est point ici une superfluité, mais il veut leur rappeler le bienfait. Car comme vraisemblablement il y avait, parmi les croyants, des chefs et des consuls, ainsi que des pauvres et de simples particuliers, il efface toute distinction de dignités, en leur donnant le même nom. Que si dans les choses les plus nécessaires, dans l’ordre spirituel, tout est communaux esclaves et aux hommes libres ; l’amour de Dieu, la vocation, l’Évangile, l’adoption, la grâce, la paix, la sanctification et tout le reste : comment ne serait-il pas souverainement déraisonnable d’établir des distinctions temporelles entre ceux que Dieu a réunis et rendus égaux dans des choses plus importantes ? Aussi, détruisant dès le début cette funeste maladie, le bienheureux les introduit-il tous dans la source de tous les biens, l’humilité. C’était le moyen de rendre meilleurs les serviteurs, en leur apprenant que leur condition ne leur faisait aucun tort, puisqu’ils possédaient la vraie liberté ; cela inspirait aussi la modération aux maîtres, en leur faisant voir que la liberté ne sert à rien, si elle n’est précédée par la foi. Et ce qui vous prouve que Paul n’agit point ici au hasard et sans discernement, mais qu’il sait parfaitement faire la distinction vraie, c’est qu’à ces mots : « A tous ceux qui sont à Rome », il ajoute ceux-ci : « Aux bien-aimés de Dieu ». Excellente distinction en effet et qui nous apprend d’où vient la sanctification.

D’où vient donc la sanctification ? de l’amour, Après avoir dit : Aux bien-aimés », il ajoute : « appelés saints », indiquant que là est la source de tous les biens : or, ce nom de saints, il le donne à tous les fidèles. « Grâce à vous et paix ». O salutation pleine de bénédictions sans nombre C’est celle que le Christ a ordonné à ses apôtres de prononcer d’abord quand ils entrent dans les maisons. C’est pourquoi Paul débute ainsi partout, c’est-à-dire en souhaitant grâce et paix. Car ce n’est pas à une guerre médiocre, mais à une guerre variée, universelle, prolongée que le Christ a mis fin, non par nos travaux, mais par sa grâce. Donc, puisque l’amour nous a donné la grâce, et la grâce la paix, Paul en employant ces mots par forme de salut, demande que ces biens soient durables et permanents, pour empêcher la guerre de se rallumer ; et il prie l’Auteur de ces dons de les consolider, en disant : « Grâce à vous et paix par Dieu, notre Père et par Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Ici le mot « par » est commun au Père et au Fils et a le même sens que « de la part de ». Il n’a pas dit : Grâce à vous et paix de la part de Dieu le Père, par l’intermédiaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; mais : « Par le Père et par Notre-Seigneur Jésus-Christ ».

O ciel ! que l’amour de Dieu est puissant ! Des ennemis, des hommes déshonorés sont devenus tout à coup des saints et des fils ! car, en nommant Dieu le Père, il indique qu’il y a des enfants, et en parlant d’enfants, il révèle le trésor de tous les biens. Persévérons donc dans une conduite digne d’un si grand bienfait, et conservons la paix et la sainteté. Les autres dignités sont passagères ; elles s’évanouissent avec la vie présente et s’achètent à prix d’argent ; aussi pourrait-on dire qu’elles ne sont point des dignités, mais des noms de dignités, puisqu’elles ne consistent que dans l’éclat des vêtements et dans les adulations des courtisans. Mais le don de la sanctification et de l’adoption venant de Dieu, ne disparaît point à la mort ; c’est même alors qu’il nous fait briller et il nous accompagne jusqu’à la vie éternelle. Car celui qui conserve l’adoption et la sanctification avec fidélité, est beaucoup plus éclatant et plus heureux que celui qui porte le diadème et revêt la pourpre ; il possède ici-bas une tranquillité parfaite, entretient les meilleures espérances, n’a aucun sujet d’agitation ni de trouble, mais jouit d’un bonheur perpétuel. Car ce n’est point l’étendue du commandement, ni l’abondance des richesses, ni l’orgueil du pouvoir, ni la vigueur du corps, ni le luxe de la table, ni l’éclat des vêtements, ni rien de mortel, qui donne la joie et la sérénité ; mais les œuvres spirituelles bien faites et une bonne conscience. Celui qui a la conscience pure, fût-il couvert de haillons et en lutte avec la faim, est plus joyeux que ceux qui nagent dans les délices ; de même que celui qui a une conscience coupable, possédât-il toutes les richesses, est le plus malheureux des hommes. C’est pourquoi Paul, vivant toujours dans la faim et dans la nudité, flagellé tous les jours, était plus heureux et plus content que les rois d’alors ; tandis qu’Achab, assis sur le trône, plongé dans les délices, mais coupable d’un crime, gémissait, était inquiet, avait les traits abattus et avant et après son péché. Si donc nous voulons être heureux, avant tout fuyons le vice, et recherchons la vertu : convaincus qu’il n’y a pas d’autre moyen de parvenir au bonheur, fussions-nous même assis sur le trône. Aussi Paul disait-il : « Les fruits de l’Esprit sont la charité, la joie, la paix ». (Gal 5,22) Entretenons donc ces fruits en nous, afin de posséder la joie ici-bas, et d’obtenir le royaume éternel, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire est au Père en même temps qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE II.

PREMIÈREMENT, JE RENDS GRÂCES A MON DIEU PAR JÉSUS-CHRIST, POUR VOUS TOUS, DE CE QUE VOTRE FOI EST ANNONCÉE DANS TOUT L’UNIVERS. (8 JUSQU’A 17)

Analyse.

  • 1. Comment l’on doit rendre grâces à Dieu.
  • 2. L’Apôtre exprime aux Romains les sentiments de tendresse qui l’animent envers eux. – Le culte évangélique, culte spirituel opposé à celui des païens et supérieur à celui des Juifs.
  • 2. Ménagements pleins de délicatesse auxquels l’Apôtre a recours pour ne blesser personne. – Le secours de la grâce ne doit pas empêcher la volonté d’agir.
  • 4. La foi déjà prêchée par tout l’univers.
  • 5. Modestie de saint Paul.
  • 6. Ne pas rougir de l’Évangile. – Le juste vit de foi. – Ne pas demander compte à Dieu de ses commandements.

1. Début bien digne de cette âme bienheureuse, et propre à nous apprendre à tous à offrir à Dieu les prémices de nos paroles et de nos bonnes œuvres, à lui rendre grâces non seulement pour nos succès, mais pour ceux des autres : ce qui est le moyen de purifier l’âme de l’envie et de la jalousie, et ce qui attire particulièrement la bienveillance de Dieu aux cœurs reconnaissants. Aussi dit-il encore ailleurs : « Béni le Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle ». (Gal 1,3)

La reconnaissance est un devoir non seulement pour les riches, pour ceux qui jouissent de la santé, pour ceux qui vivent dans la prospérité, mais encore pour les pauvres, pour les malades, pour ceux que l’adversité afflige. En effet rien d’étonnant à ce que nous rendions grâces à Dieu quand le vent favorable enfle nos voiles ; mais le remercier quand la tempête soulève les flots, quand le vaisseau est ballotté et menacé de périr, c’est là une grande preuve de patience et de reconnaissance. C’est pour cela que Job fut couronné, qu’il ferma la bouche insolente de Satan, et fit voir clairement que sa reconnaissance au sein de la prospérité n’avait point la fortune pour mobile, mais bien un grand amour de Dieu. Et voyez de quoi Paul est reconnaissant : non pas de biens terrestres et périssables, comme seraient l’autorité, la puissance, la gloire (car tout cela est sans valeur), mais des biens réels, de la foi, de la liberté. Voyez aussi avec quelle affection il rend grâces ! Il ne dit pas : à Dieu, mais « à mon Dieu », suivant en cela l’usage des prophètes qui s’approprient Dieu, le bien commun. Et peut-on s’en étonner dans les prophètes ? Dieu lui-même en agit ainsi souvent à l’égard de ses serviteurs, en s’appelant particulièrement le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

« De ce que votre foi est annoncée dans tout l’univers ». Quoi ! le monde entier avait ouï parler de la foi des Romains ? Oui, d’après lui ; et il n’y a rien d’invraisemblable ; car ce n’était point une ville obscure, mais placée comme sur un faîte et visible partout. Considérez ici la puissance de la prédication, comment en peu de temps, par le moyen de publicains et de pêcheurs elle – a envahi la reine même des cités, comment des Syriens sont devenus les maîtres et les guides des Romains. Il leur rend ici un double témoignage : c’est qu’ils ont cru, et qu’ils ont cru avec pleine liberté, au point que le bruit s’en était répandu dans le monde entier. « Car », leur dit-il, « votre foi est annoncée dans tout l’univers ». La foi, et non des disputes de mots, des questions, des raisonnements. Et pourtant la doctrine trouvait là de nombreux obstacles. Car, en possession depuis quelque temps de l’empire du monde, ils avaient une haute opinion d’eux-mêmes et passaient leur vie au sein des richesses et des plaisirs ; et ceux qui leur apportaient la prédication étaient des Juifs, des descendants des Juifs, de cette race odieuse et exécrée de tous ; et ils ordonnaient d’adorer le Crucifié, un homme élevé dans la Judée ; et, avec cet enseignement, ces maîtres prescrivaient une vie austère à des hommes livrés aux voluptés et épris des biens d’ici-bas. Et ces prédicateurs étaient pauvres, ignorants, sans naissance. Mais rien de cela n’a empêché le cours de la parole ; telle était la puissance du Crucifié, qu’il la répandait partout.

« Est annoncée », dit Paul, « dans l’univers entier ». Il ne dit pas : est manifestée, mais « est annoncée », comme si tout le monde parlait d’eux. En attestant le même fait aux Thessaloniciens, il y ajoute autre chose : car après avoir dit : « Par où la parole de Dieu s’est répandue », il ajoute : « En sorte que nous n’avons pas besoin d’en rien dire ». (1Th 1, 3) En effet les disciples avaient pris rang parmi les maîtres, ils instruisaient avec liberté et attiraient tout le monde à eux. Car la prédication ne s’arrêtait nulle part et s’étendait à l’univers entier avec plus de violence que le feu. Ici il se contente de dire qu’ « elle est annoncée », et il a raison de dire qu’ « elle est annoncée » ; par là il fait comprendre qu’il n’y a rien à ajouter à ce qui a été dit, rien à en retrancher : car c’est le devoir d’un messager de répéter simplement ce qu’on lui a dit. C’est pour cela que le prêtre est appelé messager, parce qu’il ne parle point en son nom, mais au nom de celui qui l’envoie. Pourtant Pierre a aussi prêché là. Mais Paul qui brûlait du feu de cette charité qui, comme il dit, n’est point envieuse, regardait ce que faisait Pierre comme s’il l’eût fait lui-même. « Car le Dieu que je sers en mon esprit, dans l’Évangile de son Fils, m’est témoin que je me souviens sans cesse de vous (9) ».

2. Ces paroles sortent des entrailles d’un apôtre, elles démontrent une sollicitude paternelle. Que veut-il donc dire, et pour quelle raison appelle-t-il Dieu en témoignage ? Il s’agissait de son affection. Comme il ne les avait pas encore vus, il invoque pour témoin, non un homme, mais Celui qui pénètre les cœurs. Après leur avoir dit : Je vous aime, et leur en avoir donné pour signe ses prières continuelles et le désir d’aller les voir, comme il n’y avait rien là de manifeste, il recourt à un témoin digne de foi. Quelqu’un de nous peut-il se vanter de se souvenir de l’Église dans laquelle il est, lorsqu’il prie dans sa maison ? Je ne le pense pas. Et Paul priait Dieu non seulement pour une ville, mais pour tout l’univers, et cela, non pas une fois, deux fois ni trois fois, mais toujours. Si porter quelqu’un continuellement dans ses souvenirs est une preuve de grand attachement ; pensez quelle affection, quel amour il faut pour prier et prier continuellement. Quand il dit : « Que je sers en mon esprit, dans l’Évangile de son Fils », il montre tout à la fois et la grâce de Dieu et sa propre humilité : la grâce de Dieu, qui lui a confié une mission aussi importante, et son humilité en ce qu’il n’attribue rien à son zèle, mais rapporte tout à l’action du Saint-Esprit. En ajoutant ce mot « Évangile », il indique l’espèce de son ministère. Car il y a plus d’une sorte, de ministère et aussi de culte. Carde même que, chez les rois, tous, quoique subordonnés à un souverain unique, ne remplissent cependant point les mêmes fonctions, mais que l’un a mission de commander aux armées, l’autre d’administrer les villes, un troisième de veiller à la garde des trésors ; ainsi, dans l’ordre spirituel, l’un sert et honore Dieu par sa foi et sa conduite régulière, l’autre est chargé de donner l’hospitalité aux étrangers, un troisième du soin des pauvres : comme on le voit au temps des apôtres même, où Étienne servait Dieu dans le soin des veuves, un autre par l’enseignement de la parole. Paul, par exemple, servait par la prédication de l’Évangile, c’était son genre de ministère, celui qui lui avait été confié, c’est pourquoi il ne se contente pas d’invoquer Dieu comme témoin, mais il parle de la mission qu’il a reçue, faisant voir que, chargé d’une si haute fonction, il ne voudrait point appeler en témoignage d’un mensonge celui qui la lui a confiée. De plus, il veut aussi leur faire comprendre son amour et la nécessité où il est de se préoccuper d’eux. De peur qu’ils ne disent : Qui êtes-vous, pourquoi vous dites-vous en souci de cette grande et royale cité ? Il leur prouve que ce souci est nécessaire, puisque c’est là le genre de service qui lai est assigné, la prédication de l’Évangile. En effet, celui qui est chargé de cette mission doit nécessairement avoir toujours dans l’esprit ceux qui doivent recevoir la parole.

Il indique encore autre chose par ces mots « En mon esprit » : à savoir que ce culte est bien au-dessus de celui des Grecs et de celui des Juifs : car le culte des Grecs était faux et charnel, celui des Juifs vrai, mais charnel aussi ; tandis que celui de l’Église, opposé à celui des gentils, était bien au-dessus de celui des Juifs. En effet, il ne s’exerce plus par l’immolation des brebis, des veaux, par la fumée et la graisse des victimes, mais par l’âme spirituelle, selon la parole du Christ « Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité ». (Jn 4,24) – « Dans l’Évangile de son Fils ». Plus haut il disait l’Évangile du Père, ici il dit l’Évangile du Fils : tant c’est chose indifférente de nommer le Père ou le Fils. Car il a appris de cette voix bienheureuse que ce qui est au Père appartient au Fils et que ce qui est au Fils appartient au Père. « Car », dit le Christ, « tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi ». (Jn 17,10)

« Que je fais sans cesse mémoire de vous dans mes prières ». C’est là le véritable amour. Il semble ne dire qu’une chose et il en dit quatre : qu’il se souvient d’eux, qu’il s’en souvient sans cesse, et dans ses prières et pour des objets importants. « Demandant que, par la volonté de Dieu, quelque heureuse voie me soit ouverte pour aller vers vous. Car je désire vous voir (10,11) ». Voyez-vous comme il désire ardemment les voir, et comment, ne voulant rien faire que sous le bon plaisir de Dieu, son amour est mêlé de crainte ? Il les aimait en effet, il était pressé d’aller à eux ; mais, bien qu’il les aimât, il ne voulait les voir que quand il plairait à Dieu. Voilà le véritable amour. Il n’en est pas ainsi de nous qui nous écartons dans les deux sens des lois de la charité ; car, ou nous n’aimons personne, ou quand nous aimons, ce n’est point selon la volonté de Dieu ; double transgression de la loi divine. Si nos paroles sont blessantes, votre conduite l’est davantage.

3. Mais, direz-vous, comment aimons-nous contre la volonté de Dieu ? – Quand nous dédaignons le Christ mourant de faim et que nous donnons à nos amis et à nos proches au-delà du nécessaire. A quoi bon, du reste, en dire davantage ? Chacun n’a qu’à examiner sa conscience pour se trouver coupable là-dessus en plus d’un point. Il n’en était pas ainsi de notre bienheureux ; il savait aimer, et aimer comme il faut, et surpasser tout le monde en charité, sans dépasser en rien les bornes de la charité. Et voyez comme il porte ces deux sentiments au plus haut degré : la crainte de Dieu et l’amour des Romains. En effet, prier sans cesse, et ne point se désister d’un vœu qui n’est pas rempli, c’est une preuve d’ardente affection ; mais ne tenir à l’objet de ses désirs que sous le bon plaisir de Dieu, c’est la marque d’une grande piété. Ailleurs même après avoir prié trois fois le Seigneur sans obtenir, en présence même du résultat contraire, il rend de grandes actions de grâces de n’avoir point été exaucé (2Co 12,8) : tant il avait Dieu en vue en toutes choses ! Ici, il obtint, il est vrai, mais tardivement et non quand il demandait, et il ne s’en affligea point. Je dis cela pour que nous ne nous attristions pas, quand nous ne sommes point exaucés ou que nous ne le sommes que tard. Nous ne sommes pas meilleurs que Paul qui rendit grâces dans les deux cas et eut raison de le faire. Comme il s’était livré une bonne fois à la main qui gouverne tout, avec autant de docilité que l’argile à la main du potier, il allait partout où Dieu le conduisait.

Après avoir exprimé son désir de les voir, il en donne la raison. Quelle est-elle ? « Pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle, afin de vous fortifier ». Ce n’était pas sans motif qu’il voulait aller là, comme font tant de gens qui entreprennent des voyages inutiles et sans profit, mais pour des affaires nécessaires et pressantes ; ce qu’il n’exprime pas clairement, mais par énigmes. Car il ne dit point : Pour vous instruire, pour vous prêcher, pour vous donner ce qui vous manque ; mais « pour vous communiquer quelque chose », indiquant qu’il ne donne rien de lui-même, mais fait part de ce qu’il a reçu. Et encore parle-t-il ici avec modestie : « Quelque chose » ; peu de chose, veut-il dire, et en proportion avec ma mesure. Et qu’est-ce donc que ce peu que vous allez leur communiquer ? – Quelque chose « pour vous fortifier », répond-il.

C’est donc un effet de la grâce, de ne pas chanceler, de se tenir ferme. Et quand on vous parle de grâce, gardez-vous de croire que ce soit à l’exclusion du mérite de la volonté ; car si Paul tient ce langage, ce n’est pas qu’il ne tienne aucun compte de la volonté, mais c’est pour détruire l’enflure de l’orgueil. Ne vous découragez donc point, parce qu’il appelle cela grâce. Dans l’excès de sa reconnaissance, il donne le nom de grâces à toutes les bonnes actions, parce qu’en toutes, le secours d’en haut nous est bien nécessaire. Après avoir dit « Pour vous fortifier », il leur insinue qu’ils ont grand besoin d’être corrigés. Car voici ce qu’il veut dire : Depuis longtemps je désirais et souhaitais de vous voir, dans le seul but de vous fortifier, de vous affermir et de vous consolider dans la crainte de Dieu, afin que vous ne soyez pas toujours chancelants. Il ne s’exprime pourtant pas ainsi, car il les aurait blessés ; il se contente d’insinuer sa pensée doucement et sous une autre forme, en se servant de ces mots. « Pour vous fortifier ». Ensuite, comme ce langage était très-pénible, voyez comme il l’adoucit par la suite. En effet de peur qu’ils ne disent : Quoi donc ! est-ce que nous chancelons ? est-ce que nous sommes ballottés ? avons-nous besoin de votre parole pour être fermes ? Il prévient l’objection en ces termes : « C’est-à-dire, pour me consoler avec vous par cette foi, qui est tout ensemble votre foi et la mienne ». Comme s’il disait Ne supposez point que je vous ai dit cela par manière de reproche ; ce n’était point là mon intention : qu’ai-je donc voulu vous dire ? Vous avez beaucoup souffert de la part de vos persécuteurs, j’ai donc désiré vous voir pour vous consoler, et non seulement pour vous consoler, mais encore pour recevoir moi-même de la consolation.

4. Voyez la sagesse de ce maître ! « Pour vous fortifier », dit-il. Il sentait que son langage était désagréable et pénible pour ses disciples, et il ajoute : « Pour vous consoler ». Quoique ces expressions soient plus douces que les premières, elles contiennent cependant encore quelque chose de désagréable. Aussi leur ôte-t-il encore ce caractère, en mitigeant absolument son langage, de manière à le rendre tout à fait acceptable. Car il ne dit pas simplement : Pour vous consoler, mais : « Pour me consoler avec vous », et non content de cela, il apporte encore un nouvel adoucissement en disant : « Par cette foi qui est tout ensemble votre foi et la mienne ». O ciel ! quelle humilité ! Il laisse entendre qu’ils n’ont pas seulement besoin de lui, mais qu’il a aussi besoin d’eux : il place les disciples au rang de maître, et abdique tout privilège pour être l’égal de tous. Le profit, leur dit-il, nous sera commun : j’ai besoin de votre consolation, et vous de la mienne. Et comment cela ? « Par « cette foi, qui est tout ensemble votre foi et la « mienne ». Car comme en allumant beaucoup de lampes, on produit une grande clarté, ainsi en est-il parmi les fidèles. En effet, quand nous sommes séparés les uns des autres, nous avons moins de courage ; mais quand nous nous voyons mutuellement, et que nous sommes rapprochés comme les membres d’un même corps, nous sommes singulièrement consolés. Toutefois, ne comparez point ce temps-là au temps présent où, par la grâce de Dieu, les fidèles sont nombreux dans les bourgades, dans les villes, et même dans les déserts, où l’impiété se trouve refoulée ; mais reportez-vous à cette époque et songez combien il était doux au maître de voir ses disciples, et aux frères de voir des frères venus d’autres cités. Éclaircissons cela par un exemple.

Si par hasard (et que le ciel nous en garde !) nous nous trouvions transportés chez les Perses, chez les Scythes ou d’autres barbares, et dispersés par deux ou trois, dans leurs villes, imaginez quelle consolation nous éprouverions à voir tout à coup arriver d’autres endroits quelques-uns des nôtres. Ne voyez-vous pas les prisonniers se lever et s’élancer par l’effet de la joie, quand ils reçoivent la visite d’un ami ? Et ne vous étonnez pas que je compare ces temps-là à la captivité et à la prison ; car les fidèles souffraient encore bien davantage, dispersés qu’ils étaient, repoussés, en proie aux horreurs de la faim et de la guerre, craignant la mort tous les jours, obligés de se défier de leurs amis, de leurs parents, de leurs proches, étrangers au milieu du monde, et plus malheureux même que des exilés. Voilà pourquoi Paul dit : « Pour vous fortifier et me consoler avec vous, par notre foi commune ». Non pas qu’il ait besoin de leur secours, loin de là ; comment en aurait-il besoin, lui, la colonne de l’Église, lui plus solide que le fer et la pierre, lui, le diamant spirituel, lui, qui suffit à d’innombrables cités ? Mais pour ne pas les blesser, pour adoucir la correction, il leur dit que leur consolation lui est nécessaire. Du reste on ne se tromperait pas en disant qu’il y avait un sujet de consolation et de joie dans la foi et les progrès des fidèles, et que Paul en avait besoin. – Mais, pouvait-on lui dire, si vous désirez si vivement recevoir et donner cette consolation, qui vous empêche d’aller là ?

Pour répondre à cette objection, il ajoute « Aussi je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que je me suis souvent proposé d’aller vers vous, mais j’en ai été empêché jusqu’à « présent (13) ». Voyez là une preuve de sa parfaite obéissance et de sa profonde gratitude. Il dit bien qu’il a été empêché, mais il ne dit pas par quoi. Il ne discute point les ordres du Maître, il se contente d’y obéir. Il y avait cependant lieu de demander pourquoi Dieu privait si longtemps d’un pareil docteur une ville si illustre, si grande, et sur laquelle le monde entier avait les yeux fixés. En effet, en s’emparant d’une capitale on se rend maître de tout l’empire ; mais la laisser pour s’attaquer aux lieux qui en dépendent, c’est négliger le point essentiel. Cependant Paul ne se livre point à ces inutiles recherches ; il obéit à un ordre de la Providence, sans le comprendre, nous faisant voir par là sa modération et nous apprenant à ne jamais demander à Dieu raison des événements, quand bien même beaucoup en paraîtraient troublés. Car c’est au maître à commander, et aux serviteurs à obéir. Voilà pourquoi Paul dit qu’il a été empêché, sans dire pour quelle raison. Je n’en sais rien, leur dit-il, ne me demandez pas quel est le dessein, quelle est la volonté de Dieu. Ce n’est point au vase à dire au potier : « Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? » (Rom 9,20) Pourquoi, je vous le demande, voudriez-vous savoir cela ? Ne savez-vous pas que Dieu a soin de tout, qu’il est sage, qu’il ne fait rien sans raison et au hasard ? qu’il vous aime plus que vos parents ? que son amour pour vous surpasse celui d’un père, sa tendresse celle d’une mère ? Ne demandez donc rien de plus, n’allez pas plus loin ; en voilà assez pour votre consolation ; puisque alors tout était en règle à Rome. Si vous ignorez comment, ne vous en inquiétez point. C’est là surtout le propre de la foi, d’accepter la conduite de la Providence sans en connaître les raisons.

5. Après avoir ainsi atteint le but que son zèle se proposait, (et quel était-il, sinon de leur montrer que s’il n’allait pas les voir, ce n’était point par mépris, mais parce qu’il en était empêché ?) après s’être justifié du reproche de négligence, et leur avoir prouvé qu’il n’est pas moins désireux de les voir qu’ils ne le sont eux-mêmes, il donne encore d’autres preuves de son amour. Pour avoir été empêché, leur dit-il, je n’ai point cessé mes efforts ; toujours j’essayais, toujours les obstacles survenaient, et je ne me désistais point ; sans m’opposer à la volonté de Dieu, je restais fidèle à l’amour. En se proposant toujours, en ne se désistant jamais, il prouvait sa charité ; en rencontrant des obstacles et en s’y soumettant, il prouvait son extrême amour pour Dieu. « Pour obtenir « quelque fruit parmi vous ». Bien qu’il ait donné plus haut le motif de son désir, motif bien digne de lui, il y revient cependant encore ici, pour dissiper entièrement leur soupçon. Car comme leur ville était remarquable, sans rivale pour la beauté sur terre et sur mer, et que beaucoup d’étrangers s’y rendaient uniquement pour la voir, de peur qu’on ne lui supposât quelque motif de ce genre, qu’on ne soupçonnât que Paul désirait faire connaissance avec eux pour s’en glorifier, il rappelle constamment la raison de son désir. Plus haut il a dit : « Je désirais vous voir pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle » ; ici il dit plus clairement : « Pour obtenir quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations ». Il met au même rang ceux qui commandent et ceux qui obéissent ; après des milliers de trophées et de victoires, malgré la gloire de tant de consuls, il les place avec les barbares, et avec raison ; car où règne la noblesse de la foi, il n’y a plus ni barbare, ni grec, ni étranger, ni citoyen, mais tous sont élevés à la même dignité.

Voyez encore ici sa modestie. Il ne dit pas Pour vous instruire, pour vous catéchiser. Que dit-il donc ? « Pour obtenir quelque fruit », non pas des fruits simplement, mais « quelque fruit », restreignant en quelque sorte son rôle, comme plus haut quand il disait : « Pour vous communiquer quelque chose ». Puis, comme je l’ai déjà dit, il comprime leur orgueil, en ajoutant : « Comme parmi les autres nations » ; c’est-à-dire, je n’en serai pas moins zélé pour les autres, parce que vous êtes puissants et que vous l’emportez sur eux ; ce ne sont pas des puissants mais des fidèles que nous cherchons.

Où sont maintenant ces sages si réputés chez les Grecs, ces philosophes à longue barbe, portant manteau et si pleins d’eux-mêmes ? Un fabricant de tentes a converti la Grèce et toutes les contrées barbares. Et ce Platon, si vanté, si célébré chez eux, après s’être rendu trois fois en Sicile, avec un grand fracas de mots, malgré la haute estime qu’on avait de lui, n’a pas même triomphé d’un tyran ; bien plus, il a si mal réussi qu’il a perdu sa liberté. Et ce fabricant de tentes a parcouru, non seulement la Sicile, non seulement l’Italie, mais le monde entier ; et tout en prêchant il a continué son métier, cousu des peaux, présidé à son atelier ; et les personnages consulaires ne s’en sont point scandalisés, ce qui était juste. Car ce ne sont point les métiers ni les occupations, mais bien le mensonge et les doctrines controuvées qui rendent ordinairement les maîtres méprisables. Voilà pourquoi même les Athéniens se moquent des uns, tandis que l’autre attire l’attention des barbares, des simples et des ignorants. Car la doctrine est pour tous ; elle ne connaît ni distinction de dignité, ni prééminence nationale, ni rien de semblable ; elle n’a besoin que de foi et non de raisonnements. Ce qu’il faut donc surtout admirer en elle, ce n’est pas qu’elle soit utile et salutaire, mais facile, très-aisée et accessible à tout le monde : ce qui est proprement l’œuvre de la Providence de Dieu, mettant ses biens à la portée de tous. Car ce qu’il a fait pour le soleil, pour la lune, la terre, la mer et les autres parties de la nature, n’en distribuant rien de plus aux riches et aux sages, rien de moins aux pauvres, mais donnant à tous la part égale ; il l’a fait aussi pour la prédication, et d’une manière plus marquée encore parce que c’est une chose plus nécessaire. Aussi Paul répète-t-il souvent : « A toutes les nations ». Ensuite, pour leur faire voir qu’il ne leur accorde aucune faveur, mais qu’il accomplit l’ordre du Maître, et pour les rappeler à la reconnaissance due à celui qui est le Dieu de tous, il ajoute : « Je suis redevable aux Grecs et aux barbares, aux sages et aux simples » ; expression qu’il employait déjà en écrivant aux Corinthiens. Par là, il rapporte tout à Dieu. « Ainsi, autant qu’il est en moi, je suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome (15) ».

6. O âme généreuse ! qui accepte une mission si pleine de périls, un voyage d’outremer, des tentations, des embûches, des séditions, (car en prêchant dans une si grande ville t dominée par l’impiété, il fallait s’attendre à d’innombrables épreuves : aussi y a-t-il fini sa vie, décapité par le tyran qui y régnait alors). Et cependant la prévision de tant de maux n’a nullement ralenti son zèle ; il est pressé, il souffre les douleurs de l’enfantement, il est plein d’ardeur. Aussi leur dit-il : « Autant qu’il est en moi, le suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome. Car je ne rougis point de l’Évangile… (16) ». Que dites-vous, Paul ? Quand il faudrait dire : Je me félicite, je me glorifie, je suis fier, vous ne le dites pas ; vous vous contentez de cette expression bien plus faible : « Je ne rougis point », dont nous n’avons pas coutume de nous servir dans des cas aussi glorieux. Que dit-il donc ? Pourquoi tient-il ce langage, bien qu’il se glorifie de l’Évangile plus que de la possession du ciel ? ; Car il écrit aux Galates : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». (Gal 6,14)

Pourquoi ne dit-il pas ici : Je me glorifie, mais « Je ne rougis pas ? » Les Romains étaient fort épris des choses de ce monde à cause de leurs richesses, de leur puissance, de leurs victoires, de leurs souverains qu’ils estimaient à l’égal des dieux, à qui même ils en donnaient le nom, jusque-là qu’ils les honoraient par des temples, des autels et des sacrifices. Comme c’était à des hommes ainsi enflés d’eux-mêmes que Paul devait prêcher Jésus, celui qui était réputé le fils d’un artisan, qui avait été élevé en Judée dans la maison d’une humble femme, qui n’avait point de gardes, point de fortune, qui était mort comme un criminel entre des voleurs, et avait souffert beaucoup d’autres ignominies, et que vraisemblablement ils en rougiraient, eux qui ne savaient encore rien des grands mystères voilà pourquoi il se sert de ce terme : « Je ne « rougis pas », leur apprenant en même temps à ne point rougir eux-mêmes : bien convaincu que s’ils en venaient là, ils ne tarderaient pas à aller plus loin et à se glorifier aussi. Si donc jamais vous entendez quelqu’un vous dire : Tu adores le Crucifié ? N’en rougissez pas, ne baissez pas les yeux, mais soyez-en glorieux et fier, et recevez le reproche, l’œil serein et le front haut. Et s’il vous répète encore : Tu adores le Crucifié ? Répondez-lui : Oui, et non un adultère, ni un parricide, ni un meurtrier de ses enfants, (car tels sont tous les dieux des païens) ; mais celui qui par sa croix a fermé la bouche aux démons et détruit leurs innombrables artifices. Car la croix est l’œuvre d’un ineffable amour pour nous, la preuve d’une immense tendresse. De plus, comme ils se vantaient de leur éloquence, et s’enorgueillissaient de la sagesse profane : pour moi, leur dit Paul, ayant dit un éternel adieu à tous les raisonnements, je viens prêcher la croix, et n’en rougis point. « Parce qu’il est la vertu de Dieu pour sauver ». Parce qu’il est aussi la vertu de Dieu pour punir (en effet, quand Dieu punissait les Égyptiens, il disait Voilà l’effet de ma grande puissance), et encore la vertu pour détruire, (car il est écrit « Craignez celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer »). (Mat 10,28) C’est pourquoi Paul dit : Ce que j’apporte n’est point pour la punition ni pour le supplice, mais pour le salut.

Quoi donc ? L’Évangile n’annonçait-il pas aussi tout cela, l’enfer, les ténèbres extérieures, le ver empoisonneur ? Nous ne connaissons ces vérités que par l’Évangile. Pourquoi donc dit-il : « La vertu de Dieu pour sauver ? » Mais écoutez ce qui suit : « Pour sauver tout croyant, le Juif d’abord, et puis le Grec » ; non pas tout le monde, mais seulement ceux qui croient. Fussiez-vous Grec, coupable de toute espèce de crimes, Scythe, Barbare, un monstre sauvage, chargé d’un poids de mille iniquités ; dès l’instant que vous acceptez la doctrine de la croix et que vous êtes baptisé, tout est effacé. Mais pourquoi dit-il : « Le Juif d’abord et puis le Grec ? » D’où vient cette différence ? Il a pourtant dit souvent que la circoncision et l’incirconcision ne servent de rien ; pourquoi donc distingue-t-il ici et place-t-il le Juif avant le Grec ? Oui, pourquoi cela ? Car enfin pour être le premier, on ne reçoit pas une plus grande abondance de grâce : le même don est fait à l’un et à l’autre : le rang n’est ici qu’une simple affaire de préséance. L’avantage ne consiste donc pas dans une justice plus parfaite, mais dans l’honneur de la recevoir le premier. Lorsqu’on initie les catéchumènes à la lumière spirituelle, ils vont tous au baptême, mais non à la même heure : l’un est le premier, l’autre le second ; cependant le premier ne reçoit pas plus que le second, ni celui-ci que le suivant ; tous jouissent du même avantage. Ainsi ce mot de premier est seulement un terme honorifique et n’implique point une grâce plus abondante. Ensuite après avoir dit « Pour sauver », il relève encore le don, en faisant voir qu’il ne se borne pas au temps présent, mais s’étend au-delà : ce qu’il exprime par ces mots : « La justice de Dieu, en effet, y est révélée par la foi et pour la foi, ainsi qu’il est écrit : Le juste vivra de la foi (17) ». Donc celui qui est devenu juste ne vivra pas seulement dans le siècle présent, mais aussi dans le siècle à venir.

Ce n’est pas tout : l’apôtre fait encore allusion à autre chose, à l’éclat et à la splendeur de cette autre vie. Et comme on peut être sauvé avec déshonneur, (ainsi qu’il arrive à ceux que la clémence royale exempte du châtiment), pour qu’on ne soupçonne rien de pareil, il ajoute : « Et la justice », non pas la vôtre, mais celle de Dieu : laissant entrevoir l’abondance de cette justice et la facilité avec laquelle elle s’obtient, car ce n’est point par vos sueurs ni par vos travaux que vous l’obtenez, mais par un don d’en haut, sans y rien apporter de votre côté que de croire. Puis, comme il semblait incroyable qu’un adultère, un libertin, un profanateur de tombeaux, un magicien, non seulement fussent tout à coup exempts de punition, mais encore devinssent justes, et justes de la justice d’en haut, il prouve sa proposition par l’Ancien Testament. Et d’abord il ouvre en peu de mots, à qui sait voir, le vaste océan de l’histoire. Après avoir dit : « Par la foi et pour la foi », il renvoie son auditeur aux traits de Providence consignés dans l’Ancien Testament, qu’il a exposés avec beaucoup de sagesse dans son Épître aux Hébreux, et démontre que déjà alors les justes et les pécheurs étaient justifiés ; c’est pourquoi il cite l’exemple de Rahab et d’Abraham. Ensuite, après cette simple indication, (car il est pressé de courir à un autre sujet), il prouve sa thèse par les prophètes, en produisant le témoignage d’Habacuc, qui s’écrie et dit que celui qui doit vivre ne peut vivre que par la foi. Car « le juste », dit-il en parlant de la vie à venir, « vivra de la foi ». En effet, puisque les dons de Dieu surpassent toute intelligence, la foi nous est évidemment nécessaire. Par conséquent l’incrédule, le dédaigneux et l’orgueilleux n’aboutiront à rien.

Que les hérétiques écoutent la voix de l’Esprit. Car telle est la nature des raisonnements c’est une sorte de labyrinthe, d’énigme, qui n’a point d’issue, ne permet point à la raison de s’établir sur la pierre, et prend son origine dans l’orgueil. Rougissant de se soumettre à la foi et de paraître ignorer les choses du ciel, ils se perdent dans le brouillard de mille pensées. Ensuite, ô mortel infortuné, misérable et digne d’une extrême pitié ! si l’on te demande comment le ciel et la terre ont été faits ; que dis-je, le ciel et la terre ? comment tu as été engendré, comment tu as été nourri, comment tu as grandi, tu ne rougis pas de ton ignorance ; mais si on parle du Fils unique, tu te jettes dans un abîme de perdition, par honte, parce que tu crois indigne de toi de ne pas tout savoir ? Ce qui est indigne, c’est de discuter et de raisonner hors de propos. Mais pourquoi parler de dogmes ? Nous ne pouvons même échapper aux misères de la vie présente que par la foi. Car c’est par elle qu’ont brillé tous ces hommes illustres, Abraham, Isaac, Jacob ; par elle la prostituée a été sauvée et dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. « C’est par la foi », est-il écrit, « que Rahab, femme de mauvaise vie, ne périt point avec les incrédules, ayant reçu pacifiquement les espions ». (Heb 11,31) Elle ne s’est point dit : Comment ces prisonniers, ces fuyards, ces émigrants, ces vagabonds, triompheront-ils de nous qui avons une ville, des remparts et des tours ? Si elle se fût tenu ce langage, elle se serait perdue avec les autres, comme avaient fait les ancêtres des espions qui étaient sauvés ce jour-là. Car voyant des hommes de haute taille, ils désespérèrent et périrent sans combat, sans coup férir. Voyez-vous quel abîme c’est que l’impiété, et quel rempart c’est que la foi ? L’une a détruit d’innombrables multitudes, et l’autre a non seulement sauvé une femme de mauvaise vie, mais en a fait la protectrice d’un grand peuple.

Instruits de ces choses et de beaucoup d’autres, ne demandons jamais compte à Dieu des événements, mais acceptons tout ce qu’il ordonne, et ne raisonnons jamais, ne discutons jamais, quand même ses ordres sembleraient absurdes à la sagesse humaine. Qu’y a-t-il, dites-moi, de plus absurde en apparence que de commander à un père d’immoler son fils unique ? Et pourtant le juste qui recevait cet ordre, ne le discuta point, mais l’accepta et le remplit, par égard pour celui qui l’avait donné. Un autre qui avait reçu de Dieu l’ordre de frapper un prophète, trouva le commandement absurde et fut frappé de mort pour ne l’avoir point accompli, tandis que celui qui l’exécuta fut agréé de Dieu. Et Saül, pour avoir épargné des hommes contre l’ordre de Dieu, perdit la couronne et souffrit des douleurs insupportables. On pourrait citer bien d’autres exemples qui nous apprendraient qu’il ne faut jamais demander à Dieu raison de ses ordres, mais y céder et obéir. Que s’il est dangereux de discuter ce que Dieu commande, et si le dernier supplice en est la punition, comment s’excuseront un jour ceux qui essaient de scruter des mystères beaucoup plus profonds, beaucoup plus terribles, par exemple, comment et par quel procédé Dieu engendre son Fils, quelle est sa substance ? Convaincus de ces vérités, accueillons avec la meilleure volonté possible la foi, source de tous les biens, afin que, naviguant comme en un port tranquille, nous conservions les saines croyances, et que, réglant notre vie en toute sécurité, nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent au Père la gloire, la puissance, l’honneur et l’adoration, en même temps qu’au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE III.

PUISQU’ON Y DÉCOUVRE LA JUSTICE DE DIEU ÉCLATANT DU CIEL CONTRE TOUTE L’IMPIÉTÉ, ET L’INJUSTICE DE CES HOMMES QUI RETIENNENT LA VÉRITÉ DANS L’INJUSTICE. (18 JUSQU’À 25)

Analyse.

  • 1. La colère de Dieu se montre dès cette vie même pour châtier les péchés soit des particuliers, soit des peuples, mais au dernier jour cette colère éclatera plus manifestement, et d’une manière plus terrible.
  • 2. Les philosophes, instruits par le spectacle de la création, ont connu le Dieu créateur.
  • 3. Les philosophes ont rendu aux idoles ce qu’ils devaient rendre à Dieu.
  • 4. Dieu, pour les punir, les â laissés s’enfoncer dans les vices les plus abominables.

1. Voyez la prudence de Paul ; comment, après avoir traité des questions agréables, il passe ensuite à des sujets plus terribles. Après avoir dit que l’Évangile est le principe du salut et de la vie, qu’il est la vertu de Dieu, qu’il a opéré le salut et la justice, il énonce ensuite des vérités capables d’épouvanter ceux qui ne le pratiquent point. Et comme la plupart des hommes sont plutôt poussés à la vertu par la crainte du mal, qu’ils n’y sont attirés par la promesse du bien, l’apôtre emploie ici l’un et l’autre motifs. C’est pourquoi Dieu a non seulement promis le royaume, mais aussi menacé de l’enfer ; et les prophètes en usaient de même avec les Juifs, entremêlant toujours dans leurs discours la crainte des maux et la promesse des biens. Paul varie ainsi son sujet, mais non au hasard ; il commence par les choses agréables, puis passe aux choses tristes, en montrant que les premières sont l’effet de la volonté divine et les autres le résultat de la malice humaine. Le prophète avait procédé de cette façon : « Si vous le voulez et que vous m’écoutiez, vous mangerez les biens de la terre ; si vous refusez et que vous ne m’écoutiez pas, le glaive vous dévorera ». (Isa 19,20) Paul débute ici de la même manière. Voyez en effet. Le Christ, dit-il, est venu apporter le pardon, la justice, la vie ; et non sans peine, mais par la croix ; et le plus étonnant n’est pas qu’il ait fait de tels dons, mais qu’il ait souffert de tels supplices. Si donc vous méprisez ces dons, un triste sort vous est réservé. Et voyez comme il élève le ton. « Puisqu’on y découvre », dit-il, « la colère de Dieu éclatant du ciel ». Et comment le voit-on ? Si c’est un fidèle qui fait cette question, nous lui répondrons par les paroles mêmes du Christ ; si c’est un infidèle ou un grec, Paul va lui fermer la bouche par ce qui suit, où il traite des jugements de Dieu, et tire de leur conduite un argument irréfragable : chose on ne peut plus étonnante, puisqu’il prétend apporter en preuves de la vérité ce qu’en disent et font tous les jours les adversaires mêmes de la vérité. Mais nous verrons cela plus tard ; en attendant attachons-nous à notre sujet.

« Puisqu’on y découvre la colère de Dieu a éclatant du ciel ». Mais, dira-t-on, cela arrive souvent même dès cette vie, parla faim, par la peste, par la guerre : car en général comme en particulier, tous sont punis. Qu’y a-t-il donc là d’extraordinaire ? C’est que le supplice futur sera plus grand, qu’il sera commun et n’aura pas le même but ; car ici-bas, il sert à corriger, là il ne servira qu’à punir. C’est ce que Paul indique ailleurs par ces mots. « Nous sommes repris maintenant, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde ». (1Co 11,32) Ici-bas même, beaucoup pensent que ces accidents proviennent de la malice des hommes et non de la colère divine ; mais là-bas, la vengeance de Dieu se manifestera clairement, lorsque, assis en qualité de juge, sur son redoutable tribunal, il ordonnera de traîner ceux-ci dans les fournaises, ceux-là dans les ténèbres extérieures, d’autres à d’autres supplices inévitables et intolérables tout à la fois. Et pourquoi l’apôtre ne dit-il pas ouvertement que le Fils de Dieu viendra, entouré d’une multitude d’anges, faire rendre compte à chacun, mais, « qu’on y découvre la colère de Dieu ? » C’est que ses auditeurs étaient encore néophytes ; voilà pourquoi il les attire d’abord par des raisons admises chez eux sans difficulté. D’ailleurs il me semble s’adresser aussi aux Grecs, et c’est ce qui explique son début ; puis il arrive enfin à parler du jugement du Christ.

« Contre l’impiété et la justice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l’injustice ». Ici il indique que l’impiété a bien des voies et que la vérité n’en a qu’une : car l’erreur est variée, multiforme et pleine de confusion, tandis que la vérité est une. Après avoir parlé des dogmes, il parle de la conduite et mentionne l’injustice des hommes. Les injustices en effet, sont bien diverses : celle-ci a rapport à l’argent, quand quelqu’un vole son prochain ; celle-là aux femmes, quand on quitte la sienne pour abuser de celle d’un autre. C’est ce que Paul appelle une fraude, quand il dit : « Que personne n’opprime et ne trompe en cela son frère » (1Th 4,6) ; d’autres, tout en respectant la femme et l’argent du prochain, nuisent à sa réputation, ce qui est encore une injustice : « Car une bonne renommée est préférable à de grandes richesses ». (Pro 22,1) Quelques-uns disent que Paul traite encore ici la question dogmatique : rien n’empêche d’admettre qu’il s’agit de l’un et de l’autre. Quant au sens de ces paroles : « Retienne la vérité dans l’injustice », vous l’apprendrez par la suite. « Car ils ont connu ce qui se peut découvrir de Dieu (19) ». Mais ils ont attribué cette gloire au bois et à la pierre.

2. De même que celui qui a la garde des trésors du roi et commission de les dépenser pour sa gloire, est puni comme coupable de lèse-majesté, s’il les distribue à des voleurs, à des prostituées et à des magiciens, de manière à les faire briller aux dépens du souverain ; ainsi en est-il de ceux qui ayant connu Dieu et sa gloire, ont prostitué cette gloire aux idoles, ont retenu la vérité dans l’injustice, outrageant leurs propres connaissances, autant qu’il était en eux, par l’abus qu’ils en faisaient. Comprenez-vous maintenant, ou faut-il vous expliquer cela plus clairement ? Peut-être faudrait-il aller plus loin. Quel est donc le sens de ces paroles ? Dieu s’est fait connaître aux hommes dès le commencement ; mais les Gentils appliquant cette connaissance à du bois, à de la pierre, ont outragé la vérité, autant qu’il était en eux ; car la vérité est immuable, et sa gloire ne saurait changer. Mais comment savons-nous, ô Paul, que Dieu s’est révélé à eux ? « Parce que », nous répond-il, « ils ont connu ce qui se peut découvrir de Dieu ». Mais c’est là une affirmation, et non une preuve ; démontrez-moi, faites-moi voir que la connaissance de Dieu leur a été donnée et qu’ils l’ont volontairement négligée. Comment donc était-elle manifeste ? Leur avait-il parlé d’en haut ? Nullement : mais il avait fait ce qui devait les attirer mieux qu’une voix : il avait créé l’univers, de manière à ce que le savant et l’ignorant, le scythe et le barbare, devinant la beauté de Dieu parle seul aspect des choses visibles, pussent remonter jusqu’à lui. Voilà pourquoi Paul dit : « En effet, ses perfections invisibles sont rendues compréhensibles depuis la création du monde, par les choses qui ont été faites… (20) » ; ce que le prophète disait déjà : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ».

Que disent alors les Grecs ? Nous vous avons ignoré. Eh ! n’avez-vous pas entendu le ciel parler par son seul aspect ; cette magnifique harmonie de l’ensemble, plus éclatante qu’un son de trompette ? Ne voyez-vous pas cette régularité constante de la nuit et du jour ? cette ordonnance fixe, invariable, de l’hiver, du printemps et des autres saisons ? la docilité de la mer au milieu du trouble et des tempêtes ? tout l’ensemble soumis aux lois de l’ordre, et, par sa beauté et par sa grandeur, proclamant l’ouvrier ? Résumant cela et bien d’autres choses encore, Paul dit : « Car ses perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité, de sorte qu’ils sont inexcusables ». Ce n’était point dans ce but que Dieu avait fait ces choses, bien que le résultat ait eu lieu. Ce n’était pas pour les rendre inexcusables qu’il avait créé de tels enseignements ; mais pour qu’ils le connussent, et, par leur ingratitude, ils se sont ôté toute excuse. Et pour faire voir comment ils sont inexcusables, l’apôtre ajoute : « Parce que ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces… (21) ».

Voilà un premier crime, et il est énorme. Un second, c’est qu’ils ont adoré les idoles, comme Jérémie les en accusait en disant « Ce peuple a commis deux iniquités ; ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes percées ». (Jer 2,13) Ensuite pour preuve que, connaissant Dieu, ils n’ont point usé de cette connaissance comme ils le devaient, Paul donne ce signe qu’ils ont reconnu des dieux ; ce qui lui fait dire : « Parce qu’ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu ». Et il donne la raison de cette immense folie. Quelle est-elle ? Ils ont tout remis aux raisonnements. Il ne dit pas cela aussi simplement, mais avec beaucoup plus de force : « Mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur cœur insensé a été obscurci ». Car de même que celui qui s’engage dans un chemin inconnu, ou se met en mer par une nuit obscure, périt bientôt, bien loin d’atteindre son but : ainsi ces hommes, en essayant de suivre la voie qui mène au ciel, en s’ôtant la lumière pour lui substituer leurs propres raisonnements, en cherchant dans les corps celui qui n’a pas de corps, dans les figures celui qui n’a pas de figure, ont fait le plus misérable naufrage. Outre cela, Paul donne encore une autre raison de leur erreur, quand il dit : « En disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous (22) ». Ayant une haute idée d’eux-mêmes, et dédaignant de suivre la voie que Dieu leur avait tracée, ils se sont noyés dans leurs folles pensées. Ensuite dépeignant ce naufrage et faisant voir combien il était triste et inexcusable, il ajoute : « Et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles (23) ».

3. Voilà le premier chef d’accusation, ils n’ont pas trouvé Dieu ; le second, ils en ont eu de grandes et évidentes occasions ; le troisième, ils se sont dits sages ; le quatrième, non seulement ils n’ont pas trouvé Dieu, mais ils ont prostitué leur culte aux démons, à la pierre et au bois. Il combat aussi cet orgueil dans, son épître aux Corinthiens, mais non de la même manière qu’ici. Là il les condamne par la croix, en disant : « Car ce qui est folie en Dieu est plus sage que les hommes » (1Co 1,25) ; ici, sans établir de comparaison, il raille cette sagesse en elle-même, démontrant qu’elle est une folie et une preuve d’orgueil. Et pour vous bien faire comprendre qu’ils avaient la connaissance de Dieu et qu’ils l’ont trahi, il se sert de cette expression : « Ils ont changé ». Or celui qui change a quelque chose à donner en place. Ils voulaient trouver davantage et dépasser les bornes fixées ; par là ils ont perdu ce qu’ils avaient, car ils étaient avides de nouveauté. Tels ont été les Grecs en tout. Voilà pourquoi ils né s’accordaient point entre eux ; Aristote combattit Platon, puis les Stoïciens déblatérèrent contre lui, et d’autres guerres se déclarèrent ; en sorte qu’ils sont moins admirables pour leur sagesse que dignes d’aversion et de haine pour la folie qui en est résultée. Car ils n’eussent point éprouvé un tel sort, s’ils n’avaient tout confié à leurs propres raisonnements, à leurs argumentations et à leurs sophismes. Ensuite, poursuivant ses accusations, Paul se raille de toutes leurs idolâtries. C’est surtout l’échange qui est ridicule ; avoir échangé Dieu contre de tels objets, c’est absolument inexcusable. Voyez en effet contre quoi ils ont échangé et à quels êtres ils ont conféré la gloire. Il a fallu imaginer que tel être était Dieu, maître de toutes choses, créateur capable de pourvoir et d’administrer : car c’est là la gloire de Dieu. Et à qui l’ont-ils attribuée, cette gloire ? Non à des hommes, mais à une image représentant un homme corruptible.

Et ils ne s’en sont pas tenus là, mais ils sont descendus jusqu’à des animaux stupides, voire même aux images de ces animaux. Et voyez la sagesse de Paul : comme il pose les deux extrêmes, Dieu, l’être suprême et les reptiles les plus vils, et non seulement les reptiles, mais leurs images, pour mieux faire ressortir leur folie. Car la notion qu’il fallait avoir de l’Être incomparablement le plus grand, ils l’ont appliquée à ce qu’il y a incomparablement de plus vil. Eh ! qu’est-ce que cela fait aux philosophes, direz-vous ? Ce sont eux surtout que cela regarde. Car ils ont pour maîtres les Égyptiens, inventeurs de ces choses : Platon, qui passe pour le plus digne d’entre eux, s’en glorifie, et son maître lui-même honore les idoles, lui qui ordonne de sacrifier un coq à Esculape. Là on voit des images d’animaux et de reptiles, et parmi elles Apollon et Bacchus qui partagent le même culte. Quelques-uns de ces philosophes ont introduit dans le ciel des taureaux, des scorpions, des dragons et d’autres êtres non moins ridicules : car partout le démon s’est efforcé de rabaisser les hommes devant des images de reptiles, et de soumettre aux plus stupides des animaux ceux que Dieu voulait élever au-dessus du ciel. Et ce n’est pas en cela seulement, mais encore sur d’autres points, que vous verrez leur chef encourir les reproches dont nous venons de parler. Car quand il réunit les poètes et affirme qu’il faut admettre ce qu’ils disent de la divinité, il ne produit qu’un amas de niaiseries, il veut néanmoins qu’on croie comme vraies toutes ces absurdités.

« C’est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs, à l’impureté, en sorte qu’ils ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes (24) ». Paul fait voir par là que l’impiété est le principe de la violation des lois. Ici « livrer » veut dire laisser aller. Car de même qu’un général d’armée en se retirant au fort de la mêlée, livre ses soldats, non pas précisément en les poussant vers l’ennemi, mais en les privant de son secours ; ainsi Dieu, après avoir fait tout ce qu’il devait faire, a abandonné ceux qui refusaient ses dons et s’éloignaient de lui les premiers. Et voyez pour enseignement il avait créé le monde, il avait donné à l’homme l’intelligence et une âme capable de comprendre le devoir. Les hommes de ce temps-là n’ont point usé de ces dons pour leur salut, mais les ont détournés à une fin toute contraire. Que fallait-il donc faire ? user de force et de violence ? Mais ce n’est plus faire des hommes vertueux. Il n’y avait donc plus qu’à laisser faire, et c’est le parti que Dieu a pris, afin que, ayant connu par expérience les objets de leurs désirs, ils se dérobassent à la honte. En effet, si le fils d’un roi, méprisant son père, aime mieux vivre parmi des brigands, des assassins ou des voleurs sacrilèges ; et préfère leur compagnie au séjour de la maison paternelle, le père l’abandonne jusqu’à ce que l’expérience lui ait fait sentir l’excès de sa folie.

4. Mais pourquoi l’apôtre ne mentionne-t-il pas d’autres péchés, comme par exemple l’homicide, l’avarice, et ne parle-t-il que de l’impureté ? Il me semble faire ici allusion à ceux qui l’écoutaient alors, et à ceux à qui s’adressaient sa lettre. « À l’impureté, en sorte qu’ils ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes ». Voyez la force de ces expressions. Ils n’ont pas eu besoin, dit-il, que d’autres les déshonorassent ; ils se sont traités eux-mêmes comme les eussent traités des ennemis. Puis remontant encore à la cause, il ajoute : « Eux qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge, adoré et servi la créature plutôt que le Créateur (25) ». Il parle en particulier de ce qu’il y avait de plus ridicule, et en général de ce qui semblait plus sérieux, mais par l’un et par l’autre il montre que le culte de la créature était le propre des Grecs. Et voyez comme il explique sa pensée. Il ne dit pas simplement : ils ont adoré la créature, mais il ajoute : « Au lieu du créateur » ; faisant ressortir par là la gravité du crime et leur ôtant par ce rapprochement tout espoir de pardon.

« Qui est béni dans les siècles. Ainsi soit-il ». Mais Dieu n’en a point souffert, ajoute-t-il ; car il est béni dans les siècles. Il montre ici que si Dieu les a abandonnés, ce n’est point pour se venger, puisqu’il n’a éprouvé aucun dommage. S’ils lui ont fait injure, leur injure ne l’a point atteint ; sa gloire n’en a point été diminuée, mais il demeure toujours béni. Car si souvent un philosophe ne souffre point des injures qu’on lui adresse, à bien plus forte raison Dieu, nature indestructible et immuable, gloire invariable et immortelle. Et c’est en cela que les hommes ressemblent à Dieu, quand ils ne souffrent point des outrages, des injures, des coups, des railleries dont on les poursuit. Et comment cela se peut-il, direz-vous ? Cela est possible, très-possible : c’est en ne s’affligeant point de ces accidents. Et comment, dites-vous encore, ne pas s’en affliger ? Eh ! comment peut-on s’en affliger au contraire ? Dites-moi : si votre petit enfant vous injuriait, prendriez-vous ses injures pour des injures ? Vous en affligeriez-vous ? Pas le moins du monde ; autrement, ne seriez-vous pas ridicule au dernier point ? Soyons dans les mêmes dispositions à l’égard du prochain, et nous n’éprouverons rien de fâcheux, (ceux qui injurient ont moins de raison que des enfants) ; ne cherchons point à éviter les injures, supportons courageusement celles qu’on nous adresse, car c’est là le véritable honneur. Pourquoi ? parce que vous êtes le maître de souffrir l’injure, et un autre est maître de vous l’infliger. Ne voyez-vous pas le diamant renvoyer les coups dont on le frappe ? mais, direz-vous, c’est sa nature. Vous pouvez par volonté devenir ce qu’il est par nature. Quoi, n’avez-vous pas vu les trois enfants rester sains et saufs dans la fournaise ? Daniel ne rien souffrir dans la fosse aux lions ? Cela peut se reproduire encore aujourd’hui, car nous avons encore des lions, la colère, la concupiscence, armés de dents terribles et prêts à déchirer leurs victimes. Soyez donc semblable à Daniel, et ne souffrez point que les passions portent la dent sur votre âme. Mais, direz-vous, la grâce faisait tout chez Daniel. C’est vrai, mais soit parce que sa volonté la dirigeait. En sorte que si nous voulons lui ressembler, la grâce est encore là pour nous aider ; et quoique tourmentées par la faim les bêtes féroces ne vous toucheront pas. Si elles ont respecté le corps d’un esclave, comment ne s’apaiseraient-elles pas à la vue des membres du Christ ? (Car, en qualité de fidèles, nous sommes les membres du Christ). Si donc elles ne s’apaisent pas, la faute en est à ceux qui deviennent leur proie. Il en est, en effet, beaucoup qui fournissent une abondante pâture à un lion, en entretenant des femmes perdues, en commettant l’adultère, en se vengeant de leurs ennemis ; en sorte qu’ils sont déjà déchirés avant de toucher le sol. Cela n’arriva point à Daniel, et ne nous arrivera point non plus si nous le voulons ; nous serons même encore plus favorisés que lui.

En effet les lions se sont contentés de ne point lui nuire ; mais nos ennemis nous seront utiles, si nous veillons sur nous. Ainsi Paul sortit glorieux des injustices et des embûches qu’on lui tendait ; ainsi Job accablé de coups, Jérémie jeté dans une fosse pleine de boue, Noé au milieu du déluge, ainsi Abel attiré dans un piège, ainsi Moïse parmi les Juifs altérés de sang, ainsi Élisée, ainsi, dis-je, tous ces grands hommes ont gagné leur brillante couronne, non au sein du repos et du plaisir, mais parmi les afflictions et les épreuves. Aussi le Christ connaissant ce principe de gloire, disait-il à ses disciples : « Dans le a monde vous aurez des tribulations ; mais ayez confiance : j’ai vaincu le monde ». (Jn 16,33) Quoi donc ? direz-vous, un grand nombre n’ont-ils pas succombé à l’adversité ? Oui, mais par leur lâcheté, et non par la nature même des épreuves. Que celui donc qui nous fait tirer profit de la tentation en sorte que nous puissions y résister, nous assiste tous et nous tende la main afin que, glorieusement proclamés, nous obtenions les couronnes éternelles, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui appartiennent au Père et au Saint-Esprit la gloire, l’honneur, la force, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IV.

C’EST POURQUOI DIEU LES A LIVRÉS A DES PASSIONS D’IGNOMINIE. CAR LEURS FEMMES ONT CHANGÉ L’USAGE NATUREL EN UN AUTRE QUI EST CONTRE NATURE. ET PAREILLEMENT LES HOMMES, L’USAGE NATUREL DE LA FEMME, ABANDONNÉ, ONT BRÛLÉ DE DÉSIRS L’UN POUR L’AUTRE. (26, 27)

Analyse.

  • 1. Parce que les païens ont abandonné Dieu pour les idoles, Dieu à son tour les a abandonnés, et leur sagesse humaine ne les a pas empêchés de tomber dans les désordres les plus abominables. – Des œuvres sataniques sont la conséquence nécessaire de croyances sataniques. —. Malheur à l’homme qui oublie et abandonne Dieu !
  • 2. Le vice contre nature devenu, en vertu d’une loi de Solon, un privilège des hommes libres chez les Athéniens ! – Que les livres des philosophes sont pleins de cette peste.
  • 3 et 4. Quel enfer serait assez dévorant pour de telles abominations. – A ceux qui ne croient pas à l’enfer, l’orateur cite l’embrasement de Sodome, image et preuve permanente de l’enfer. – Ne point perdre la crainte de Dieu. – Vanité des grands du monde.

1. Toutes les passions sont ignominieuses, mais surtout la sodomie : car l’âme souffre plus, est plus déshonorée par les péchés que le corps par Les infirmités. Et voyez comment l’apôtre ici, comme à propos des dogmes ; leur ôte tout espoir de pardon, en disant d’abord des femmes : « Elles ont changé l’usage naturel ». Personne, dit-il, ne peut prétendre ici que, privées de l’usage naturel du mariage, elles ont passé à l’autre ; ni que ne pouvant satisfaire leur désir, elles soient tombées dans ce désordre contre nature : car échanger suppose que l’on possède, ainsi qu’il le disait déjà en parlant des croyances : « Ils ont transformé la vérité de Dieu en mensonge ».. Il en dit autant des hommes, mais d’une autre manière : « L’usage naturel de la femme étant abandonné ».A ceux-ci comme à celles-là, il ne laisse aucun moyen de défense ; il les accuse, non seulement d’avoir eu le moyen de jouir et de l’avoir abandonné pour un autre, mais d’avoir abandonné celui qui était naturel pour recourir à celui qui est contre, nature. Or ce qui est contre nature est plus pénible et plus désagréable ; car le vrai plaisir est conforme à la nature ; mais quand Dieu se retire, tout se renverse sens dessus dessous. Ainsi non seulement leur croyance était diabolique, mais aussi leur conduite.

Quand Paul, raisonnait sur les croyances, il mettait en scène le monde et l’âme humaine, en disant qu’à l’aide de l’intelligence donnée par Dieu, les hommes auraient pu, par l’aspect des choses visibles, remonter jusqu’au Créateur ; mais que, ne l’ayant pas voulu, ils étaient restés sans excuse. Ici, au lieu du monde visible, il invoque le plaisir naturel, dont ils pouvaient jouir avec plus de liberté et de satisfaction, en se soustrayant à l’ignominie ; niais ils ne l’ont pas voulu ; et déshonorant la nature elle-même, ils se sont rendus inexcusables ; et pour comble d’horreur, les femmes elles-mêmes recherchaient ces commerces, elles qui devaient avoir plus de pudeur que l’homme. Ici encore il faut admirer la prudence de Paul : Comment se trouvant entre deux points opposés, il les traite tous les deux avec une parfaite mesure. Il voulait tout à la fois parler chastement et faire impression sur l’auditeur : deux choses inconciliables et dont l’une nuit à l’autre. Car si votre langage est chaste, vous ne frapperez point ceux qui vous écoutent ; et si vous voulez être violent, vous serez obligé de parler en termes nus et sans voile. Mais cette âme prudente et sainte a su résoudre le problème, en aggravant l’accusation au nom de la nature, et en se servant de cette même nature, comme d’un voile pour sauver la décence de son langage. Après avoir d’abord parlé des femmes, il en vient aux hommes, et dit : « Et pareillement les hommes, l’usage naturel de la femme abandonnée » : ce qui est l’indice d’une extrême dépravation, parce que les deux sexes sont corrompus, et que celui qui est établi comme le maître de la femme, et celle qui a été créée comme aide de l’homme, se traitent mutuellement comme dès ennemis. Et voyez comme les expressions de l’apôtre sont énergiques ! Il ne dit pas qu’ils se sont aimés, désirés mutuellement ; mais : « Ils ont brûlé de désirs l’un pour l’autre ». Remarquez-vous que tout vient de l’excès de la passion, qui ne peut plus se contenir dans les bornes de la nature ? Car tout ce qui transgresse les lois de Dieu, porte à l’excès, et ne se tient point dans les limites prescrites. Car comme on voit souvent des hommes ayant perdu le goût des aliments, manger de la terre et de petites pierres, et d’autres brûlés par la soif, être avides d’une eau boueuse ; ainsi ils brûlaient d’un amour contraire à la loi. Et si vous demandez : D’où venait cet excès de la passion ? De ce que Dieu les avait abandonnés. Et pourquoi Dieu les avait-il abandonnés ? A cause de l’iniquité de ceux qui l’avaient abandonné les premiers. « L’homme commettant l’infamie avec l’homme ».

2. Pour avoir entendu ce mot : « Ils ont brûlé de désirs », n’allez pas vous imaginer, dit l’apôtre, que la maladie se bornait à la seule concupiscence : car le plus souvent cette concupiscence empruntait son feu de leur lâcheté. Aussi ne dit-il point entraînés ou préoccupés ; expressions qu’il emploie ailleurs. Que dit-il donc ? « Commettant ». Ils ont mis le péché à effet, et non seulement à effet, mais avec ardeur. Il ne dit pas le désir, mais proprement « l’infamie » ; car ils ont outragé la nature et foulé les lois aux pieds. Et voyez un peu la confusion qui s’ensuit des deux côtés. Tout est bouleversé et mis sens dessus dessous, ils sont devenus ennemis d’eux-mêmes et entre eux, en allumant une guerre terrible, multipliée, variée, plus cruelle qu’aucune guerre civile. En effet, ils lui ont donné quatre formes aussi vaines que contraires aux lois : car elle n’était pas seulement double ou triple, mais quadruple. Examinez un peu : l’homme et la femme de deux ne devaient faire qu’un : « Ils seront les deux en une seule chair », est-il écrit. (Gen 2,24) Le désir de l’union conjugale produisait en effet, et réunissait les deux sexes. Le démon, en détruisant ce désir et lui en substituant un autre, a brisé le rapport d’un sexe à l’autre, a fait deux de ce qui n’était qu’un, contrairement à la loi de Dieu qui avait dit : « Ils seront les deux en une seule chair », tandis que lui partage une seule chair en deux. Voilà une première guerre.

Ensuite il a armé ces deux parties contre elles-mêmes et entre elles : car les femmes n’outrageaient pas seulement les hommes, mais aussi les femmes ; et les hommes à leur tour, non contents de se faire la guerre, la faisaient aussi au sexe féminin, comme dans un combat de nuit. Voyez-vous une seconde et une troisième guerre, et même une quatrième et une cinquième ? Il y en a encore une autre outre ce que nous avons dit, ils outrageaient encore les lois de la nature elle-même. Car le démon s’apercevant que le désir portait surtout un sexe vers l’autre, s’est attaché à briser ce lien ; en sorte que le genre humain tendait à sa destruction, non seulement par le défaut de génération, mais aussi par suite de la division et de la guerre qui régnaient entre les sexes.

« Et recevant ainsi en eux-mêmes la récompense qui était due à leur égarement ». Voyez comme il revient encore à la source du mal, l’impiété dogmatique, et fait voir que d’elle dérivaient ces désordres. Comme en parlant de l’enfer et de ses supplices, il ne paraissait point digne de foi aux impies et à ceux qui avaient adopté ce genre de conduite, qu’il leur semblait même ridicule, il leur prouve que la volupté renferme, en elle-même son châtiment. S’ils ne le sentent pas, s’ils jouissent même, ne vous en étonnez pas : les furieux, les frénétiques, tout en se blessant et en se maltraitant misérablement, tout en excitant la pitié chez les autres, rient et sont heureux de ce qu’ils font. Nous ne les disons pas pour cela exempts du châtiment ; nous les disons au contraire d’autant plus punis qu’ils ignorent leur état. Car ce ne sont pas les malades, mais ceux qui se portent bien qu’il faut consulter ; d’ailleurs c’était anciennement chez eux une loi, un ordre de leur législateur que la friction sèche
La friction sèche était prise par les athlètes au sortir du bain.
et la pédérastie fussent interdites aux esclaves ; ces privilèges, ou plutôt ces turpitudes, étaient réservées aux hommes libres. Cependant ils ne voyaient point là d’infamie ; c’étaient une chose honnête, mais trop relevée pour un esclave et digne seulement d’un homme libre : telle était l’opinion des Athéniens, le plus sage des peuples, et de leur illustre Solon. Et l’on retrouverait cette maladie dans beaucoup de livres de philosophes. Nous ne disons cependant pas pour cela que ce fût une loi pour tous, mais que ceux qui la subissaient, étaient misérables et dignes d’une grande pitié. Car ils éprouvaient ce qu’éprouvent les prostituées, et pire encore. En effet, chez celles-ci, le commerce est illégitime, mais non contre nature ; tandis que là il est tout à la fois illégitime et contre nature.

Et quand il n’y aurait pas d’enfer, ni aucune menace de supplice, le mal lui-même serait pire que – tout supplice. En parlant du plaisir qu’ils éprouvent, vous indiquez une aggravation de châtiment. Si je voyais un homme courir nu, tout couvert de boue, et se pavanant au lieu de rougir, bien loin de partager sa satisfaction, je le plaindrais, d’autant plus qu’il ne sentirait pas l’indécence de sa conduite. Pour mieux faire ressortir cette ignominie, souffrez que je donne un autre exemple. Si on condamnait une jeune fille à admettre de stupides animaux dans son lit virginal, à avoir commerce avec eux, et qu’elle y trouvât du plaisir, ne serait-elle pas d’autant plus à plaindre que l’absence de la honte rendrait sa maladie incurable ? Cela est évident pour tout le monde. Or si le mal serait grand ici, il ne l’est pas moins là : car il est plus triste d’être outragé par ses semblables que par des étrangers. J’affirme que ces hommes sont plus coupables que des homicides. Car il vaut mieux mourir que de vivre dans un tel opprobre. L’homicide ne fait que séparer l’âme du corps, tandis que celui-ci perd le corps et l’âme. Ce crime dépasse tous ceux que vous pouvez nommer ; et si ceux qui souffrent de tels outrages en sentaient la gravité, ils aimeraient mieux mourir mille fois que de les subir.

3. En vérité il n’y a rien, non rien de plus déraisonnable ni de plus affreux. Si en parlant de la fornication Paul disait : « Tout péché, quel qu’il soit, que fait l’homme, est hors de son corps ; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps » (1Co 6,18) ; que dirons-nous de ce désordre qui l’emporte sur la fornication plus qu’on ne saurait l’exprimer ? Car je ne dirai pas seulement que vous êtes devenu femme ; mais j’ajouterai que vous avez cessé d’être homme, que vous avez perdu votre nature sans prendre l’autre, que vous les avez trahies toutes les deux, et que vous méritez d’être chassé, lapidé par les hommes et par les femmes, puisque vous avez déshonoré l’un et l’autre sexe. Et pour vous faire bien comprendre l’énormité de votre crime : Si quelqu’un vous proposait de vous changer d’homme en chien, ne le fuiriez-vous pas comme un malfaiteur ? Et voilà que vous vous êtes vous-même changé, non pas en chien, mais en un animal bien plus vil : car un chien est utile, tandis que l’infâme n’est bon à rien. Dites-moi, je vous prie, si quelqu’un menaçait de faire enfanter les hommes, ne serions-nous pas enflammés de colère ? Mais ceux qui poussent la rage jusque-là, s’infligent un bien plus grave outrage : car ce n’est pas la même chose d’être changé en femme, ou de devenir femme tout en restant homme, ou plutôt de n’être ni l’un ni l’autre. Pour vous convaincre mieux encore de l’énormité de ce crime, demandez pourquoi les législateurs punissent ceux qui font des eunuques, et vous apprendrez que leur seule raison est que c’est là un amoindrissement de la nature. Or cette dernière injure est moins grave que l’autre ; car les eunuques, même après la castration, sont encore utiles ; tandis que rien n’est plus inutile que l’homme changé en prostituée ; puisque non seulement son âme, mais aussi son corps est plein d’ignominie et ne mérite que l’expulsion.

Combien faudrait-il d’enfers pour eux ? Si ce mot d’enfer vous fait rire, si vous y êtes incrédule, rappelez-vous le feu qui consuma Sodome ; car nous avons vu, oui, nous avons vu en ce monde une image de l’enfer. Car comme beaucoup devaient être incrédules à ce qui suivra la résurrection, en entendant parler d’un feu qui même ici-bas ne pouvait s’éteindre, ils sont revenus à la sainte doctrine, Dieu leur en donnant une preuve actuelle. Tel est en effet le résultat du feu et de l’incendie de Sodome ; ceux-là le savent qui ont été sur les lieux et ont vu de leurs yeux les suites de la colère céleste et les traces de la foudre. Considérez l’énormité de ce crime, qui a rendu nécessaire une image anticipée de l’enfer. Comme beaucoup méprisaient les avertissements, Dieu a voulu donner, sous une forme nouvelle, une figure de la géhenne. Et au fait cette pluie était extraordinaire, parce que le crime était contre nature, et elle a inondé la terre parce que la passion avait envahi les âmes. Voilà pourquoi la pluie était extraordinaire : car non seulement elle ne féconda point la terre pour la production des fruits, mais elle la rendit incapable de recevoir les semences. Tel était le commerce charnel des Sodomites, qu’il frappait même ce grand corps de stérilité. Qu’y a-t-il de plus abominable que l’homme métamorphosé en prostituée ? Qu’y a-t-il de plus infâme ? O fureur ! O délire ! Comment cette passion s’est-elle répandue, elle qui a traité la nature humaine en ennemie, elle Plus cruelle même qu’un ennemi, d’autant que l’âme l’emporte sur le corps ? O êtres plus déraisonnables que les brutes, plus impudents que les chiens ! Car nulle part chez les animaux on ne voit de telles unions ; là, la nature reconnaît ses limites ; mais vous, en déshonorant ainsi votre espèce, vous la placez au-dessous de celle des brutes. Encore une fois, quelle est la source de ces maux ? La volupté, l’oubli de Dieu ; car dès qu’on a perdu la crainte de Dieu, tous les biens s’envolent à la fin.

4. Pour éviter ces maux, ayons toujours devant les yeux la crainte de Dieu. Car rien, rien n’est funeste à l’homme comme d’abandonner cette ancre ; rien ne lui est salutaire comme d’avoir toujours les yeux de ce côté-là. Si la présence d’un homme nous retient sur la pente du péché ; si, souvent par égard pour le plus humble domestique, nous nous abstenons d’une action déplacée, pensez quelle sécurité nous puiserions dans le souvenir continuel de la présence de Dieu. Jamais alors le démon ne nous attaquerait, persuadé de l’inutilité de ses efforts ; mais s’il nous voit errant au-dehors, courant çà et là sans frein, profitant de nos avances, il pourra nous jeter hors du bercail. Si nous nous écartons des commandements de Dieu, il nous arrivera ce qui arrive sur les places publiques aux serviteurs négligents qui, oubliant leurs commissions principales, celles mêmes pour lesquelles on les a envoyés, s’accrochent sans but et au hasard aux premiers venus et perdent leur temps.

Nous restons debout à admirer les richesses, la beauté du corps et d’autres choses qui ne nous concernent en rien. Semblables à ces serviteurs qui s’amusent à voir les tours de passe-passe de quelques mendiants, et au retour expient leur retard par les plus durs traitements. Beaucoup quittent la voie ouverte devant eux pour suivre ceux qui s’abandonnent à ces désordres. Ne les imitons point car nous sommes envoyés pour des œuvres pressantes ; et si nous les négligeons pour rester bouche béante devant des objets inutiles, nous perdrons notre temps et nous serons punis du dernier supplice. Que si vous voulez exercer votre attention, vous avez de quoi admirer, de quoi rester toujours en contemplation et ce ne seront plus des sujets ridicules, mais merveilleux et tout à fait estimables ; tandis que celui qui admire des objets ridicules, devient lui-même ridicule et plus que le baladin même. Hâtez-vous d’échapper à ce malheur.

Car enfin pourquoi, dites-le-moi, êtes-vous en admiration, en extase devant la richesse ? Qu’y voyez-vous de si merveilleux, de si digne de captiver vos regards ? Dès chevaux aux harnais dorés ; des domestiques, les uns étrangers, les autres eunuques ; de splendides vêtements par-dessous une âme amollie, un front altier, des mouvements, du bruit ? Qu’y a-t-il d’admirable là-dedans ? Quelle différence voyez-vous entre ces riches et les mendiants qui dansent ou sifflent sur les places publiques ? Car eux aussi, dans une extrême indigence de toute vertu, ces riches dansent d’une manière encore plus ridicule, courent çà et là, tantôt à des tables somptueuses, tantôt au logis de femmes perdues, tantôt vers la foule de leurs flatteurs et de leurs parasites. S’ils portent de l’or, ils n’en sont que plus misérables d’attacher tant d’intérêt à ce qui ne les regarde pas. Ne vous arrêtez pas aux vêtements, mais pénétrez jusqu’à leur âme, et voyez les mille blessures dont elle souffre, les haillons qui la couvrent, sa solitude, son délaissement. À quoi lui sert la folie du dehors ? Il vaut bien mieux être pauvre avec la vertu que roi avec le vice. Le pauvre jouit au dedans de toutes les délices de l’âme, sa richesse intérieure lui fait oublier sa pauvreté extérieure ; tandis que le roi, vivant au sein de voluptés qui lui sont étrangères, est puni dans ce qui le touche de près, dans son âme, dans ses pensées, dans sa conscience, qui l’accompagneront au-delà de cette vie. Persuadés de ces vérités, dépouillons donc ces riches vêtements dorés, embrassons la vertu et les joies qu’elle procure. Par là nous goûterons de grands plaisirs en ce monde et en l’autre, et nous obtiendrons les biens promis par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit la gloire, l’honneur, la force, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Voir le commentaire du début du chap. 2.
Copyright information for FreChry