Romans 11
HOMÉLIE XVIII.
COMMENT DONC INVOQUERONT-ILS CELUI EN QUI ILS N’ONT POINT CRU ? COMMENT CROIRONT-ILS EN CELUI QU’ILS N’ONT PAS ENTENDU ? ET COMMENT ENTENDRONT-ILS SI PERSONNE NE LES PRÊCHE ? ET COMMENT PRÊCHERA-T-ON SI ON N’EST PAS ENVOYÉ ? COMME IL EST ÉCRIT. (X, 14, 15, JUSQU’A XI, 6)
Analyse.
- 1. Comment saint Paul continue à résoudre toutes les difficultés que les Juifs soulevaient contre la foi en Jésus-Christ. – Le salut dépend de l’invocation du nom du Seigneur Jésus ; l’invocation dépend de la foi ; la foi, de l’audition ; l’audition, de la prédication ; et la prédication, de la mission : or, les apôtres ont reçu cette mission. – Il ne faut pas vouloir ne s’en rapporter qu’aux miracles, ta foi vient de l’audition de la parole de Dieu.
- 2. Les Juifs ne peuvent dire qu’ils n’ont pas entendu la prédication, puisqu’elle a éclaté dans tout l’univers ; ni qu’ils ne l’ont pas comprise, puisque les prophéties d’Isaïe et de Moise touchant la vocation et la conversion des Gentils, ont dû leur ouvrir les yeux. – Ce qui aggrave encore la faute des Juifs, c’est que Dieu n’a pas cessé de les appeler et qu’ils se sont obstinés dans une incrédulité et une contradiction également prédites par les prophètes.
- 3. Les expressions : Je me suis montré, j’ai été trouvé, marquent l’action de la grâce, sans exclure le mérite de ceux qui ont su voir et trouver.— Cependant Dieu n’a pas rejeté absolument son peuple.
- 4. Celui dont Dieu a prévu qu’il croirait en Jésus-Christ, il ne l’a point rejeté. – Il en est de lui comme de ceux qui demeurèrent fidèles au temps d’Élie. – Quoique la promesse regarde tout le peuple, il n’y a cependant de sauvés que ceux qui en sont dignes, et que ceux que Dieu s’est réservés selon l’élection de sa grâce.
- 5-7. De la reconnaissance des grâces de Dieu. – En quoi consiste la véritable action de grâces. – De l’excellence d’une âme chrétienne.
1. Encore une fois, il leur ôte tout espoir de pardon. Après avoir dit : « Je leur rends ce témoignage qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais non selon la science » ; et encore : « Ignorant la justice de Dieu, ils ne se sont pas soumis », il montre qu’ils doivent être punis de Dieu pour cette ignorance. Il ne le dit cependant pas aussi expressément ; mais il le prouve en procédant par interrogation, et en tissant tout ce passage d’objections et de réponses, pour rendre sa proposition plus évidente. Examinez un peu. « Autrefois », dit-il, « le prophète a dit : Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ». Mais quelqu’un objectera peut-être : Comment invoqueront-ils celui en qui ils n’ont point cru ? Après quoi, une question de sa part, après l’objection : Et pourquoi n’ont-ils pas cru ? Puis une objection encore : Car on pourrait évidemment dire : Comment croiront-ils sans avoir entendu ? Or, répond-il, ils ont entendu. Puis encore une autre objection : Et comment ont-ils pu entendre, si personne ne les prêchait ? Ensuite la solution : Or, beaucoup ont prêché et ont été envoyés pour cela. Et comment voit-on que ces prédicateurs ont été envoyés ? Alors Paul invoque le témoignage du prophète qui dit : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent le bonheur ! (Isa 52,7) Voyez-vous comme il désigne les prédicateurs par le genre même de la prédication ? Ils ne prêchaient pas autre chose que le bonheur ineffable et la paix qui s’était faite entre Dieu et les hommes. Ainsi, dit-il, en ne croyant pas, ce n’est pas à notre parole que vous êtes incrédules, mais à celle d’Isaïe, qui a annoncé, depuis bien des années, que nous serions envoyés, que nous prêcherions et que nous dirions ce que nous avons dit. Si donc le salut dépend de l’invocation ; l’invocation, de la foi ; la foi, de l’audition ; l’audition, de la prédication, et la prédication, de la mission ; les apôtres ont reçu la mission et ils ont prêché, et le prophète s’en allait avec eux, pour les montrer, les proclamer et dire : Voilà ceux que j’ai annoncés dès les anciens temps, ceux dont j’ai chanté les pieds à cause de l’objet de leur prédication. Il est donc clair que s’ils n’ont pas cru, c’est de leur faute : car Dieu a tout fait de son côté. « Mais tous n’ont pas obéi à l’Évangile. Car Isaïe dit : Seigneur, qui a cru à ce qu’il a ouï de nous ? Donc la foi vient par l’audition et l’addition par la parole de Dieu » (16, 17) On faisait une autre objection en disant : Si ceux-là étaient les envoyés, et les envoyés de Dieu, comment n’ont-ils pas persuadé tout le monde ? Or, voyez la prudence de Paul, et comme il démontre que ce qui causait le trouble des incrédules était précisément ce qui devait l’empêcher. Qu’est-ce qui vous scandalise ? ô Juif, leur dit-il. Vous vous étonnez de ce que tous n’ont pas cru à l’Évangile, après un témoignage d’une telle nature, d’une telle autorité, après la démonstration par les faits ? C’est précisément ce fait que tous n’ont pas obéi, qui, joint aux autres preuves, doit vous faire ajouter foi à ce que nous disons. Car le prophète l’avait prédit dès les temps anciens. Voyez – cette admirable sagesse, comme il démontre plus qu’on ne s’y attendait, plus qu’on n’en pouvait réfuter. Qu’objectez-vous ? leur dit-il. Que tous n’ont pas obéi à l’Évangile ? Mais Isaïe l’avait annoncé d’avance ; il avait non seulement annoncé cela, mais beaucoup plus encore. En effet, vous objectez que tous n’ont pas obéi à l’Évangile ; or, Isaïe en a prédit davantage. Que dit-il donc ? « Seigneur, qui a cru à ce qu’il a ouï de nous ? » Ensuite, après avoir détruit cette cause de trouble en citant le témoignage du prophète, Paul revient à son premier sujet. En effet, après avoir dit qu’il faut pour se sauver invoquer le nom de Jésus-Christ, que, pour l’invoquer, il faut croire, que pour croire, il faut entendre, que pour entendre, il faut des prédicateurs à qui on prête l’oreille ; que pour prêcher il faut être envoyé, et avoir démontré que des prédicateurs ont été envoyés et que la prédication a eu lieu ; sur le point de présenter une autre objection, il prend occasion de l’autre témoignage du prophète, qui lui a servi à résoudre l’objection qu’il vient de rapporter, et il rattache et entrelace ainsi la seconde objection à la première. En effet, comme il a cité cette parole du prophète : « Seigneur, qui a cru à ce qu’il a ouï de nous ? » Saisissant à propos ce témoignage, il dit : « La foi vient donc par l’audition ». Il ne se contente pas de dire cela ; mais comme en tout temps les Juifs demandaient continuellement des miracles, et voulaient tous les jours voir ressusciter des morts, il leur dit que le prophète a annoncé que la foi doit nous venir par l’audition. Voilà pourquoi il commence par là et dit : « La foi vient donc par l’audition ». Ensuite, comme ce point paraissait de peu d’importance, voyez comme il le relève : Je ne prétends pas simplement, dit-il, qu’il faut écouter, ni qu’il faut écouter des paroles humaines et y croire, mais je parle d’une audition de grande importance : L’audition de la parole de Dieu. Car les apôtres ne parlaient pas d’eux-mêmes, mais ils annonçaient ce qu’ils avaient appris de Dieu : ce qui est le plus grand des miracles. Car il faut également croire et obéir à Dieu, soit qu’il parle, soit qu’il fasse des prodiges. Car les œuvres et les miracles sont les fruits de sa parole, puisque c’est ainsi que le ciel et la terre ont été créés. 2. Après avoir démontré qu’il faut croire aux prophètes qui annoncent toujours la parole de Dieu et qu’il ne faut rien demander de plus que l’audition, il produit l’objection dont j’ai parlé et dit : « Cependant, je le demande : est-ce qu’ils n’ont pas entendu ? » – Mais, dira-t-on, si les prédicateurs ont été envoyés, et s’ils ont prêché ce qu’ils avaient reçu l’ordre de prêcher, et qu’on n’ait point entendu ? – Voici la solution complète de l’objection. « Certes, leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde (18) ». Que dites-vous ? Demande-t-il. Ils n’ont pas entendu ? Le monde entier et les extrémités de la terre out entendu et vous chez qui les prédicateurs ont passé si longtemps, de la race desquels ils étaient, vous n’avez pas entendu ? Est-ce possible ? Si les extrémités de la terre ont entendu, à plus forte raison vous. Puis vient une autre objection. « Je demande encore : Est-ce qu’Israël n’a point connu (19) ? » Et que direz-vous s’ils ont entendu et qu’ils n’aient point compris ce qu’on disait ni su que les prédicateurs étaient envoyés de Dieu ? Cette ignorance ne les excuse-t-elle pas ? Nullement. Car Isaïe a caractérisé les prédicateurs en disant : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! » Et, avant lui, le législateur lui-même en avait parlé. Aussi Paul ajoute-t-il « Moïse le premier a dit : Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un ; je vous mettrai en colère contre une nation insensée ». (Deu 32,21) Ainsi il fallait reconnaître les prédicateurs, non seulement parce qu’on n’ajoutait pas foi à leur parole, non seulement parce qu’ils prêchaient la paix, non seulement parce qu’ils annonçaient le bonheur et que leur parole se répandait dans le monde entier, mais encore parce que les Juifs voyaient les nations, jusqu’alors inférieures à eux, plus honorées qu’eux. En effet, les gentils admettaient tout à coup une philosophie dont ni eux ni leurs pères n’avaient ouï parler : ce qui était un insigne honneur, ce qui les irritait, provoquait leur jalousie et rappelait la parole de Moïse : « Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un ». Et ce n’était pas seulement un si grand honneur qui excitait leur jalousie, mais encore de voir que le peuple appelé à jouir de ces biens avait été si misérable jusque-là qu’il ne méritait même pas d’être regardé comme un peuple. « Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un, je vous mettrai en colère contre une nation insensée ». En effet, qu’y avait-il de plus insensé que les gentils ? Quoi de plus méprisable ? Voyez comme Dieu leur donnait de toutes façons des indices et des signes évidents de ces temps, de manière à ouvrir les yeux des aveugles. Car tout cela ne s’est pas passé dans un lieu obscur, mais sur toutes les terres et les mers, mais dans le monde entier ; ils ont vu jouir de bienfaits sans nombre ceux-là même qu’ils méprisaient auparavant. Il fallait donc reconnaître que c’était là le peuple dont Moïse parlait : « Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un, je vous mettrai en colère contre une nation insensée ». Mais Moïse était-il le seul qui l’eût dit ? Non : Isaïe l’avait répété après lui. Aussi Paul dit-il : « Moïse le premier » pour montrer qu’il en viendra un second qui dira les mêmes choses plus ouvertement et plus clairement. Comme donc il avait dit plus haut : « Isaïe s’écrie », il dit ici : « Isaïe ne craint pas de dire… (20) ». Voici la pensée de l’apôtre : Le prophète dit hautement et résolument, il n’a point voulu laisser d’ombre, il a osé mettre les choses à nu devant nos yeux ; il a mieux aimé s’exposer au danger en parlant clairement, que de pourvoir à sa propre sûreté en laissant un prétexte à votre ingratitude, quoique le propre de la prophétie né soit pas de parler si clairement. Cependant pour vous fermer absolument la bouche, il a tout prédit avec clarté, avec précision. Tout ! dites-, vous : mais quoi, enfin ? Votre déchéance et l’initiation des gentils, quand il disait : « J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas ». (Isa 65,1) Quels étaient donc ceux qui ne le cherchaient pas ? quels étaient ceux qui ne le demandaient pas ? Évidemment ce n’étaient pas les Juifs, mais bien les nations qui ne l’avaient pas connu. Ainsi comme Moïse les avait caractérisées, en disant : « Un peuple qui n’en est pas un », et encore : « Une nation insensée » ; de même ici le prophète les désigne par le même indice, à savoir leur extrême ignorance. Et c’était là le plus grave reproche à l’adresse des Juifs : que ceux qui ne cherchaient pas avaient trouvé, tandis qu’eux s’étaient perdus en cherchant. Et à Israël il dit : « Tout le jour j’ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant ». Voyez comme la difficulté, comme le doute proposé par un grand nombre, est démontré avoir sa solution, dès les temps anciens, dans les paroles des prophètes ? Quelle était cette difficulté ? Vous avez entendu Paul dire plus haut : « Que dirons-nous donc ? Que les gentils qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice ; et qu’Israël, au contraire, en recherchant la justice, n’est point parvenu à la loi de justice ». C’est aussi ce que dit Isaïe ; car ces paroles : « J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas », ont le même sens que celle-ci : « Les gentils, qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice ». Ensuite, pour nous montrer que la conversion des gentils n’est pas seulement l’effet de la grâce, mais aussi de leur bonne volonté, écoutez ce qu’il ajoute : « Et à Israël il dit : « Tout le jour j’ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant » ; désignant ici par le mot jour tout le temps passé, et par ces expressions : « J’ai tendu les mains », la vocation, l’attrait et les invitations. Ensuite, pour indiquer tout le crime des Juifs, il dit : « A ce peuple incrédule et contredisant ». 3. Voyez-vous quelle grave accusation ? Ils n’ont point obéi à l’appel de Dieu, mais ils l’ont contredit non pas une fois, ni deux, ni trois, mais tant qu’ils ont vu Dieu le faire ; et d’autres qui ne connaissaient point – e Dieu ont pu se l’attirer. Paul ne dit pas qu’ils ont pu se l’attirer, mais pour ne pas donner d’orgueil aux gentils, et montrer que la grâce divine a tout fait, il dit : « Je me suis montré », et : « J’ai été trouvé ». Donc, direz-vous, les gentils sont donc sans mérite ? Erreur ; ils ont su saisir ce qu’ils ont trouvé, reconnaître ce qui s’est montré, voilà leur part. Et pour que les Juifs ne disent pas Pourquoi ne s’est-il pas montré à nous ? Dieu leur répond par quelque chose de plus : non seulement je me suis montré, mais j’ai attendu, les mains tendues, exhortant, déployant la sollicitude d’un père aimant, d’gne mère tendre. Voyez quelle solution claire et nette Paul a donné à toutes les difficultés proposées plus haut, en montrant aux Juifs que leur perte est le résultat de leur volonté et qu’ils sont absolument indignes de pardon. En effet, bien qu’ils eussent entendu et compris ce qui leur avait été dit, ils ne voulurent point se rendre. Bien plus : non seulement Dieu avait eu soin de leur faire tout entendre et tout comprendre ; mais il y avait ajouté ce qui était le plus propre à les exciter, à attirer des hommes amis de la contention et de la contradiction. Qu’était-ce donc ? Il les avait piqués au vif, il avait éveillé leur jalousie. Vous connaissez la force de cette passion, la vertu de la jalousie pour terminer toute discussion et relever les défaillances. Et à quoi bon parler des hommes, quand nous en voyons l’effet même chez les animaux et chez les enfants de l’âge le plus tendre ? En effet, souvent le petit enfant ne cède pas aux invitations de son père et montre de l’obstination ; mais quand il en voit caresser un autre, il revient, sans être invité, au sein paternel, et la jalousie produit ce que n’avait pu faire une simple exhortation. Ainsi Dieu a agi non seulement il a exhorté, tendu les mains ; mais il a aussi éveillé en eux le sentiment de la jalousie, en appelant des peuples qui leur étaient bien inférieurs (ce qui est le plus sûr moyen de rendre jaloux), en les appelant, dis-je, non à jouir de leurs avantages, mais chose plus grave et plus irritante, à posséder des biens beaucoup plus considérables et plus nécessaires, et tels que les Juifs eux-mêmes n’eussent jamais osé les rêver. Et pourtant ils ne se sont pas rendus. Comment donc seraient-ils excusables d’avoir montré une telle obstination ? C’est impossible. Toutefois Paul ne dit pas cela expressément ; mais il laisse à la conscience de ses auditeurs le soin de tirer cette conséquence de tout ce qu’il vient de dire, et il continue à donner la preuve avec sa sagesse accoutumée. En effet, comme précédemment, il a présenté des objections sur la loi et sur le peuple, objections renfermant l’accusation la plus grave ; et qu’ensuite dans la solution destinée à réfuter cette accusation, il a fait toutes les concessions qu’il a voulu et que le sujet comportait, de peur que son langage ne parût blessant ; ainsi fait-il encore ici, en écrivant : « Je dis donc : Est-ce que Dieu a rejeté son peuple, qu’il a connu dans sa prescience ? « Loin de là (9, 1) ». Il a l’air d’un homme embarrassé ; comme s’il prenait son début dans ce qu’il vient de dire, il pose une question effrayante ; puis il la détruit et dispose par là â accepter ce qui va suivre, et prouve encore ici ce qu’il avait pour but de démontrer dans tout ce qui précède. Qu’est-ce donc ? Que la promesse subsiste, malgré le petit nombre de ceux qui sont sauvés. C’est pourquoi il ne dit pas simplement « Son peuple », mais il ajoute « Qu’il a connu dans sa prescience ». Ensuite il donne la preuve que Dieu n’avait point rejeté son peuple. « Car », dit-il, « moi-même je suis israélite, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin ». Moi, le docteur, moi le prédicateur. Et comme cela semblait contredire ce qui a été dit plus haut, à savoir : « Qui a cru à ce qu’il a ouï de nous ? » et encore : « Tous les jours j’ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant » ; et aussi : « Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un » : il ne se contente pas de nier et de dire : « Loin de là » ; mais il y revient une seconde fois en disant : « Dieu n’a pas rejeté son peuple (2) ». Mais direz-vous, c’est là une affirmation et non une preuve. Voyez donc la première preuve et celle qui suit. La première, c’est qu’il était juif ; or, si Dieu eût rejeté son peuple, ce n’est pas chez lui qu’il aurait choisi l’homme à qui confier toute la prédication, les intérêts du monde entier, tous les mystères, toute l’administration. Voilà d’abord une preuve ; la seconde est dans ces mots : « Son peuple qu’il a connu dans sa prescience », c’est-à-dire qu’il connaissait parfaitement comme propre à recevoir la foi et comme devant la recevoir. Car trois mille, cinq mille et une foule d’autres avaient cru. 4. Et pour qu’on ne dise pas : Êtes-vous donc le peuple ? Parce que vous avez été appelé, le peuple l’a-t-il été ? il ajoute : « Il n’a pas repoussé son peuple qu’il a connu par sa prescience. » C’est comme s’il disait : Il y en a avec moi trois mille, cinq mille, dix mille. Quoi donc ? c’est à trois mille, à cinq mille, à dix mille que se réduit cette race qui devait égaler en nombre les astres du ciel et les grains de sables de la mer ? Et vous nous trompez, vous vous jouez de nous, jusqu’à vous donner pour tout un peuple, vous et quelques autres avec vous ? Et vous nous avez nourris de vaines espérances en nous disant que la promesse s’accomplirait, tandis que tous périssent et qu’un petit nombre seulement sont sauvés ? C’est là de la jactance et de l’orgueil, et nous ne pouvons supporter ces sophismes. Pour prévenir ce langage, voyez comme il amène la solution dans ce qui va suivre, sans poser l’objection, mais en la résolvant d’avance par un argument tiré de l’histoire ancienne. Quelle est donc cette solution ? « Ne savez-vous pas », leur dit-il « ce que l’Écriture dit d’Élie, comment il interpelle Dieu contre Israël en disant : Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels ; et moi, je suis resté seul, et ils recherchent mon âme. Mais que lui dit la réponse divine ? Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. De même donc, en ce temps aussi, un reste a été sauvé selon l’élection de la grâce (3-5)». Ce qui veut dire : Dieu n’a point rejeté son peuple ; car s’il l’eût rejeté, il n’aurait reçu personne ; et s’il en a reçu quelques-uns, c’est qu’il ne l’a point rejeté. Mais, dira-t-on, s’il ne l’avait point rejeté, il aurait reçu tout le monde. Point du tout, car si, dans le temps d’Elfe, il n’y en eut que sept mille de sauvés, on ne peut nier qu’aujourd’hui un grand nombre croient. Si vous ignorez ce nombre, cela n’est pas étonnant, puisque Élie, cet homme si grand, si distingué, ne le savait pas lui-même : mais Dieu réglait, ses affaires, à l’insu même du prophète. Et voyez la prudence de Paul ; comme, en prouvant sa proposition, il aggrave implicitement l’accusation contre les Juifs. Car il ne cite ce témoignage que pour faire éclater leur ingratitude et montrer qu’elle date de loin. Si ce n’eût été là son but et qu’il eût seulement voulu prouver que le peuple se réduisait à un petit nombre, il se serait contenté de dire que, au temps d’Élie, sept mille hommes étaient réservés ; tandis qu’au contraire il cite le passage en entier. Partout en effet il s’attache à leur démontrer qu’ils n’ont rien fait de nouveau à l’égard du Christ et des apôtres, mais qu’ils se sont conformés à leurs habitudes et à leurs traditions. Et pour qu’ils ne disent pas : nous avons fait mourir le Christ comme séducteur et les apôtres comme imposteurs, il produit le témoignage qui dit : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels ». Mais pour ne pas les blesser, il donne à cette citation un autre motif : car ce n’est pas une accusation qu’il à principalement en vue, mais il semble se proposer autre chose, et il leur ôte ainsi toute excuse même d’après l’histoire du passé. Et voyez comme l’accusation prend du poids d’après l’autorité du personnage ! En effet ce n’est ni Paul, ni Pierre, ni Jacques ni Jean qui les accusent ; mais l’homme qu’ils admiraient le plus, le chef des prophètes, l’ami de Dieu, celui qui brûlait de zèle pour eux jusqu’à endurer la faim, celui qui n’est pas encore mort aujourd’hui. Que dit-il donc ? « Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels ; et moi, je suis resté seul, et ils me cherchent pour m’ôter la vie ». Quoi de plus cruel, de plus barbare que cette conduite ? Au lieu de prier pour leurs crimes passés, ils voulaient encore mettre à mort Élie : ce qui les rendait absolument indignes de pardon. Car ce n’était pas sous l’empire de la faim, mais au milieu de l’abondance, quand l’opprobre d’Israël était levé, les démons confondus, la puissance de Dieu manifestée, le roi humilié, qu’ils osaient méditer de tels crimes, passant du meurtre au meurtre, et mettant à mort leurs maîtres, ceux qui s’attachaient à corriger leurs mœurs. Qu’avaient-ils à dire ? Ceux-là étaient-ils aussi des séducteurs ? Ne savaient-ils pas d’où ils étaient ? – Mais ils vous attristaient, dites-vous ? – Oui, mais ils vous disaient des choses utiles. Et ces autels ? Vous avaient-ils aussi contristés ? Vous avaient-ils irrités ? Voyez quelles preuves d’obstination, d’insolence, ils ont toujours données ! Voilà pourquoi Paul dit ailleurs, en écrivant aux Thessaloniciens « Vous avez souffert, vous aussi, ce qu’elles » (les Églises de Dieu) « ont souffert elles-mêmes des Juifs qui ont tué même le Seigneur et leurs propres prophètes, qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu et qui sont ennemis de tous les hommes ». (1Th 2,14, 15) C’est ce qu’Élie leur dit ici, en leur reprochant d’avoir démoli les autels et tué les prophètes. Mais que lui répond l’oracle divin ? « Je me suis réservé sept mille hommes qui « n’ont point fléchi le genou devant Baal ». Mais, direz-vous, quel rapport cela a-t-il avec le présent ? Un très-grand. Car cela prouve que Dieu ne sauve que ceux qui en sont dignes, bien que la promesse s’adresse à tout le peuple. Déjà Isaïe l’avait indiqué en disant : « Le nombre d’Israël fût-il comme le sable de la mer, il n’y aura qu’un reste de sauvé », et encore : « Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome ». (Rom 9,27-29) C’est sur ces textes que Paul appuie ses preuves ; puis il ajoute : « De même donc, en ce temps aussi, un reste a été sauvé, selon l’élection de la grâce ». 5. Voyez comme chaque expression a sa valeur propre, et montre la grâce de Dieu et la bonne volonté de ceux qui sont sauvés. En effet, en disant : « L’élection », il indique leur mérite, et en ajoutant : « De la grâce », il fait voir le don de Dieu. « Mais si c’est par la grâce, ce n’est donc point par les œuvres ; autrement la grâce ne serait plus grâce (6)». Or si c’est par les œuvres ce n’est plus une grâce, autrement l’œuvre ne serait plus une œuvre. Après avoir dit cela, il revient encore sur l’obstination des Juifs, la combat et leur ôte par là toute excuse. Vous ne pouvez pas, leur dit-il, objecter que, si les prophètes vous appelaient, si Dieu vous exhortait, si les faits mêmes élevaient la voix, alors que la jalousie aurait suffi, à elle seule, à vous attirer : objecter, dis-je, que les commandements étaient difficiles, que vous ne pouviez pas avancer parce qu’on exigeait de vous des actes, des efforts pénibles : non, vous ne pouvez pas employer ce prétexte. Comment Dieu aurait-il pu exiger de vous ce qui eût atténué l’effet de sa grâce ? En disant cela, il veut leur montrer que Dieu désirait vivement leur salut. En effet non seulement leur salut eût été facile, mais Dieu en eût retiré une très-grande gloire, en faisant ainsi éclater sa bonté. Pourquoi donc craigniez-vous d’avancer, quand on n’exigeait point de vous les œuvres ? Pourquoi vous soulever et discuter, quand la grâce vous est offerte, et parler de loi au hasard et sans fruit ? Cela ne vous sauvera pas, et vous perdrez le don. En rejetant obstinément cette voie de salut, vous détruisez la grâce de Dieu. Et pour qu’on ne trouve pas ce langage étrange, il affirme que les sept mille dont il a parlé, ont été sauvés par la grâce. En effet, en disant que, dans ce temps aussi ; un reste a été sauvé selon l’élection de la grâce, il indique que ces sept mille ont été sauvés par la grâce. Et il ne dit pas cela seulement ; car par ces expressions : « Je me suis réservé », Dieu fait entendre que c’est à lui qu’appartient en cela le rôle principal. Mais, dira-t-on, si on est sauvé par la grâce, pourquoi ne le sommes-nous pas tous ? Parce que vous ne le voulez pas : car la grâce, toute grâce qu’elle est, sauve ceux qui veulent être sauvés, et non ceux qui ne veulent pas l’être, ceux qui la repoussent, et sont continuellement en guerre et en opposition avec elle. Le voyez-vous s’attacher sans cesse à prouver : « Que la parole de Dieu n’est pas restée sans effet » (Rom 9,6), et faisant voir que la promesse s’est réalisée pour ceux qui en étaient dignes, et qu’ils ont pu, quoiqu’en petit nombre, former le peuple de Dieu ? Du 'reste, au commencement de son épître, il exprime cette vérité avec plus de force, quand il dit : « Car qu’importe, si quelques-uns n’ont pas cru ? » (Rom 3,3), et, ne s’en tenant pas là, il ajoutait : « Dieu est véritable, mais tout homme est menteur ». Maintenant il donne une autre preuve de cette vérité, montre la force de la grâce, et affirme encore que les uns sont sauvés et les autres perdus. Rendons donc grâces d’être du nombre des sauvés, et de l’avoir été par le don de Dieu, puisque nous ne pouvions pas l’être par nos œuvres. Et ne soyons pas seulement reconnaissants en paroles, mais en actions et en pratique. Car la véritable reconnaissance c’est de faire ce qui doit procurer de la gloire à Dieu, c’est de fuir les maux dont nous avons été délivrés. Si après avoir injurié un roi, nous étions récompensés au lieu d’être punis, et que nous l’insultassions de nouveau ; convaincus par là d’une ingratitude extrême, nous serions justement punis du dernier supplice, bien plus sévèrement que nous ne l’eussions été la première fois. En effet, le premier outrage aurait moins fait voir notre ingratitude que le second, infligé après le pardon, après l’honneur reçu. Fuyons donc les maux dont nous avons été délivrés, ne soyons pas reconnaissants seulement en paroles, et qu’on ne dise pas de nous : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais par le cœur, il est loin de moi ». (Psa 30,13) Comment ne serait-il pas absurde que, pendant que les cieux racontent la gloire de Dieu, vous, pour qui ont été faits ces cieux qui glorifient Dieu, vous fissiez blasphémer par votre conduite celui qui vous a créés ? Aussi ce n’est pas seulement le blasphémateur qui sera puni, mais vous subirez aussi le châtiment. Car ce ne sont pas les cieux qui élèvent la voix pour glorifier Dieu, mais ils y excitent les hommes par leur aspect, et voilà pourquoi on dit qu’ils racontent la gloire de Dieu. Ainsi ceux qui mènent une vie édifiante, glorifient Dieu, même en gardant le silence, parce qu’ils le font glorifier par d’autres. Car le ciel n’excite pas autant l’admiration qu’une vie pure. Aussi quand nous parlons aux gentils, ce n’est pas le ciel que nous leur montrons, mais ces hommes qui étaient pires que des animaux et que Dieu a faits les émules des anges. C’est en leur parlant de ce changement que nous leur fermons la bouche. 6. Car l’homme vaut mieux que le ciel, et il peut donner à son âme une beauté, que le ciel n’a point. Depuis longtemps on voyait le ciel, et cet aspect n’a guère converti ; Paul n’a prêché que peu de temps et il a attiré à lui le monde entier. C’est qu’il possédait une âme qui n’était point inférieure au ciel et capable de tout attirer à elle. Notre âme n’est pas même digne de la terre, et la sienne était comparable aux cieux. En effet, le ciel reste dans ses limites propres, et observe des lois fixes ; mais l’âme de Paul surpassait en hauteur tous les cieux et vivait familièrement avec le Christ même ; et sa beauté était telle que Dieu lui-même la proclamait. Les anges admirèrent les astres au moment de leur création ; mais Dieu lui-même admira Paul, en disant : « Il est pour moi un vase d’élection ». (Act 9,15) Souvent les nues voilent le ciel ; jamais la tentation n’obscurcit l’âme de Paul ; mais au milieu des tempêtes il paraissait plus brillant que les feux du midi et ne perdait rien de l’éclat qu’il avait avant l’orage. Car le soleil qui brillait en lui lançait des rayons que toutes les tentations réunies ne pouvaient obscurcir, qui en devenaient au contraire plus resplendissants. Aussi Dieu lui disait-il : « Ma grâce te suffit : car ma puissance se fait mieux sentir dans la faiblesse ». (2Co 12,9) Imitons-le donc, et ni ce ciel visible, ni le soleil, ni le monde entier ne seront rien en comparaison de nous, si nous le voulons ; car ils ont été faits pour nous, et non pas nous pour eux. Montrons que nous sommes dignes qu’ils aient été faits pour nous. Si nous nous en montrons indignes, comment serons-nous dignes du royaume ? Et si ceux qui vivent pour blasphémer Dieu sont indignes de voir le soleil, ceux qui blasphèment sont également indignes de jouir des créatures qui glorifient Dieu, comme un fils qui outrage son père ne mérite pas d’être servi par des domestiques fidèles. C’est pourquoi les œuvres de Dieu seront revêtues d’une grande gloire, tandis que nous subirons le châtiment et la vengeance. Combien donc il serait misérable que des créatures formées pour nous, fussent conformes à la liberté de la gloire des enfants de Dieu ; et que nous, devenus enfants de Dieu, nous fussions, par notre extrême lâcheté, perdus et précipités en enfer : nous pour qui ces créatures jouiront d’une si grande félicité ! Pour que cela n’arrive pas, que ceux qui ont l’âme pure, la conservent en cet état ; qu’ils augmentent même son éclat ; mais que ceux qui ont l’âme souillée, ne désespèrent pas pour autant : car il est écrit : « Quand vos péchés seraient couleur de pourpre, je les rendrai blancs comme la neige ; et quand ils seraient comme du safran, je les rendrai blancs comme la laine ». (Isa 1,18) Or, quand Dieu promet, n’hésitez pas, mais faites tout ce qu’il faut pour mériter l’exécution de ses promesses. Vous avez commis une multitude d’iniquités ? qu’importe ? Vous n’êtes pas encore tombé en enfer, où personne ne se confesse plus ; votre rôle n’est pas encore terminé, vous êtes encore dans l’arène, et vous pouvez, par une lutte énergique, réparer toutes vos défaites. Vous n’êtes pas encore descendu où est le mauvais riche, pour vous entendre dire : « Entre vous et nous il y a un abîme » (Luc 16,26) ; l’époux n’est pas encore arrivé, pour qu’on craigne de vous donner de l’huile ; vous pouvez encore en acheter et en verser dans votre lampe. Personne ne vous dit encore : « De peur qu’il n’y en ait pas assez pour nous et pour vous » (Mat 25,9) ; mais le nombre des vendeurs est grand, ceux qui sont nus, ceux qui ont faim, les malades, les prisonniers. Nourrissez les uns, revêtez les autres, visitez ceux qui sont sur le lit de douleur, et l’huile vous viendra en surabondance. Le jour des comptes n’est pas encore venu. Usez du temps comme il faut ; remettez les dettes, dites à celui qui doit cent mesures d’huile : « Prenez votre obligation et écrivez cinquante ». (Luc 16, 6) Faites-en autant pour l’argent, pour les paroles, pour tout, à l’exemple de cet économe ; excitez-vous à tenir cette conduite et exhortez-y vos proches. Car vous pouvez encore dire tout cela ; vous n’êtes pas encore dans la nécessité de recourir à un intercesseur ; vous pouvez user de ces conseils et les donner aux autres ; mais quand vous serez sorti de ce monde, vous ne pourrez plus faire ni l’un ni l’autre. Vous qui avez eu de si longs termes, et qui n’avez été utile ni à vous-même ni aux autres, quelle grâce aurez-vous à attendre, quand vous serez aux mains de votre juge ? Faisant donc ces réflexions, travaillons avec ardeur à notre salut, et ne laissons point échapper les occasions que le temps présent nous offre. On peut, oui, on peut jusqu’au dernier souffle se réconcilier avec Dieu ; on le peut encore même par son testament, non pas cependant autant que pendant sa vie, mais enfin on le peut. Et comment cela ? En inscrivant le Christ parmi vos héritiers, en lui attribuant une part de votre succession. Vous ne l’avez pas nourri pendant que vous viviez ? Au moment du départ, quand vous n’êtes plus en état de jouir, donnez-lui une partie de votre fortune ; il est bon, il ne sera point trop sévère avec vous. Sans doute il eût été plus généreux et plus méritoire de le nourrir pendant votre vie ; mais si vous ne l’avez pas fait, usez au moins de ce second moyen : donnez-le pour cohéritier à vos enfants.. Et si vous hésitez encore, songez que le Père vous a fait cohéritier de son Fils, et dépouillez votre inhumanité. Quelle excuse aurez-vous, si vous refusez de faire entrer en partage avec vos enfants celui qui vous a donné part à son ciel, et qui a été immolé pour vous ? D’autre part, tout ce qu’il a fait, il l’a fait par grâce, et non en acquit de dette, tandis qu’après tant de bienfaits vous êtes devenu son débiteur. Et néanmoins, les choses étant ce qu’elles sont, il vous récompense comme s’il avait reçu un don et non comme ayant recouvré une créance, bien que tout ce qu’il réclame soit à lui. 7. Donnez-lui donc un argent qui désormais vous est inutile, dont vous n’êtes plus le maître, et il vous donnera un royaume dont vous jouirez à perpétuité, et, avec ce royaume, encore tous les biens d’ici-bas. S’il est héritier avec vos enfants, il allégera leur situation d’orphelins, il les garantira de l’injustice, écartera d’eux les embûches, fermera la bouche aux calomniateurs ; et s’ils ne peuvent eux-mêmes pourvoir à l’exécution du testament, il s’en chargera et ne permettra pas qu’on en viole les dispositions, et s’il le permet, il n’en sera que plus empressé à les remplir lui-même avec plus de générosité, dès qu’une fois il y aura été inscrit. Constituez-le donc héritier ; car c’est vers lui que vous devez aller : c’est lui qui doit porter le jugement sur tout ce que vous aurez fait ici-bas. Mais il y a des hommes tellement misérables, tellement aveugles, que, quoique sans enfants, ils refusent de prendre ce parti et aiment mieux distribuer leur fortune à des parasites et à des flatteurs, à un tel ou un tel, qu’au Christ même qui leur a fait tant de bien. Peut-il y avoir quelque chose de plus déraisonnable ? En comparant ces gens-là à des ânes, à des pierres, on n’exprimerait pas encore suffisamment leur stupidité, leur insensibilité ; il est impossible de trouver une image qui peigne leur folie et leur déraison. Comment seraient-ils pardonnables de n’avoir pas nourri le Christ pendant leur vie, quand, sur le point d’aller à lui, ils ne veulent pas même lui laisser une petite partie d’une fortune dont ils ne sont plus les maîtres ; quand ils sont à son égard dans des dispositions tellement malveillantes, tellement hostiles, qu’ils ne lui donnaient aucune part de leurs biens désormais inutiles pour eux ? Ne voyez-vous pas combien d’hommes ne sont pas même jugés dignes de mourir ainsi, mais sont enlevés par une mort subite ? Mais Dieu vous a laissé la faculté de pourvoir à vos intérêts, de disposer de votre fortune et de mettre ordre à tout dans votre maison. Quelle sera donc votre excuse, si malgré la grâce qu’il vous accorde, vous abusez des bienfaits et adoptez une conduite diamétralement opposée à celle de vos pères dans la foi ? Car ils vendaient, de leur vivant, tout ce qu’ils possédaient et en apportaient le prix aux pieds des apôtres ; et vous, vous ne donnez pas même en mourant la moindre portion de votre bien aux indigents. Certes il serait bien meilleur, bien plus rassurant, de soulager les pauvres pendant sa vie ; mais si vous ne le voulez pas, faites au moins, en mourant, quelque acte de générosité. Ce n’est pas là une preuve de grand amour pour le Christ : c’est de l’amour pourtant. Vous ne seriez pas sans doute au premier rang parmi les agneaux ; mais ce n’est pas peu de chose d’être avec eux, et non à gauche, au milieu des boucs. Si vous ne faites pas cela, quel salut pouvez-vous espérer, quand la crainte de la mort, l’inutilité de votre fortune, l’intérêt de vos enfants, l’espoir d’obtenir vous-même une grande indulgence dans l’autre vie, n’ont pu vous inspirer des sentiments d’humanité ? C’est pourquoi je vous exhorte à donner, pendant que vous vivez, la plus grande partie de votre bien aux pauvres. S’il en est qui aient l’âme assez étroite pour s’y refuser, qu’ils deviennent au moins humains par nécessité. Pendant votre vie, vous vous attachiez à votre fortune comme si vous eussiez été immortel mais maintenant que vous savez que vous êtes mortel, renoncez à vos desseins, et disposez de vos biens comme un homme qui doit mourir, ou plutôt comme un homme qui doit jouir d’une vie immortelle. Bien que ce que je vais vous dire soit désagréable et même enrayant, il faut cependant que je vous le dise : Comptez le Seigneur parmi vos esclaves. Vous affranchissez des esclaves ? Affranchissez le Christ de la faim, du besoin, de la prison, de la nudité. Ces mots vous font frissonner ? Ce sera bien plus terrible, si vous ne le faites pas. Ce langage vous frappe aujourd’hui de stupeur ; mais quand vous serez sorti de ce monde, quand vous entendrez des choses bien autrement terribles, quand vous verrez des supplices que rien ne peut adoucir, que direz-vous ? A qui recourrez-vous ? Quel aide, quel défenseur invoquerez-vous ? Sera-ce Abraham ? Il ne vous écoutera pas. Sera-ce les vierges sages ? Elles ne vous donneront point d’huile. Sera-ce votre père, votre aïeul ? Mais aucun d’eux, quelque saint qu’il soit, n’aura le pouvoir de faire révoquer cette sentence. Par toutes ces considérations, priez, suppliez, rendez-vous propice Celui qui peut seul effacer votre cédule et éteindre les flammes ; dès ce moment nourrissez-le, revêtez-le sans relâche ; afin de sortir de ce monde avec de bonnes espérances et de jouir dans le ciel des biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XIX.
QU’EST-IL DONC ARRIVÉ ? CE QUE CHERCHAIT ISRAËL, IL NE L’A POINT TROUVÉ ; MAIS CEUX QUI ONT ÉTÉ CHOISIS L’ONT TROUVÉ ; LES AUTRES ONT ÉTÉ AVEUGLÉS. (XI, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE) Analyse.
- 1. Réprobation de la masse de la nation juive.
- 2. Cause de cette réprobation. – Que leur déchéance n’est pas irréparable.
- 3. L’Évangile devait être et a été annoncé premièrement aux Juifs, mais les juifs ayant refusé de le recevoir, les Gentils sont venus les premiers, pour donner de l’émulation aux Juifs.
- 4. Que si la déchéance des Juifs a été si utile au monde, de quelle utilité ne sera pas le retour de cette nation qui à la consommation des siècles, rentrera tout entière dans le sein de l’Église ?
- 5. Les Juifs peuvent recouvrer la position qu’ils ont perdue, ils ne doivent donc pas désespérer ; les Gentils pourraient perdre celle qu’ils ont acquise, qu’ils ne soient donc pas trop présomptueux.
- 6. Les Juifs entreront tous un jour dans le sein de l’Église.
- 7. Primitivement les Juifs durent leur vocation à l’incrédulité des nations, de même aujourd’hui les nations doivent leur vocation à l’incrédulité des Juifs. – Cri sublime que pousse saint Paul à la vue des merveilles de la providence de Dieu.
- 8. Quelles sont les vraies richesses. – Ni la vertu ni le vice des parents n’ont aucune suite pour les enfants, si ceux-ci le veulent. Éloge de l’aumône.
1. Il a affirmé que Dieu n’avait point rejeté son peuple, et pour le prouver, ils eu recours aux prophètes ; et après avoir démontré par leur témoignage que la plus grande partie d’Israël a péri, ne voulant pas les accuser encore de lui-même, les blesser par son langage et paraître animé envers eux de dispositions hostiles, il revient à David et à Isaïe, en disant : « Selon qu’il est écrit : Dieu leur a donné un « esprit de torpeur (8) ». Mais il nous faut reprendre les choses de plus haut. Après avoir parlé d’Élie, et montré ce que c’est que la grâce, il ajoute : « Qu’est-il donc arrivé ? Ce que, cherchait Israël, il ne l’a point trouvé. C’est autant une accusation qu’une interrogation. Le Juif, nous dit-il, est en contradiction avec lui-même, en cherchant la justice et en ne voulant pas la recevoir. Puis par l’exemple de ceux qui l’ont reçue, il leur ôte toute excuse et démontre leur ingratitude, en disant : « Mais « ceux qui ont été choisis l’ont trouvé ». Et ceux-là les condamneront. C’est aussi ce que disait le Christ : « Si je chasse les démons par Béelzébub, vos fils, par qui les chassent-ils ? « C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges ». (Luc 11,19) Pour que personne ne s’en prenne à la nature des choses, et qu’on n’accuse que leur volonté, il fait voir qui sont ceux qui ont trouvé. Aussi parle-t-il en termes énergiques pour signaler la grâce d’en haut et le zèle de ceux-ci. Car ce n’est pas pour détruire le libre arbitre qu’il affirme qu’ils ont trouvé ; mais pour indiquer la grandeur du bienfait, et faire voir que la grâce y a eu la part principale, mais non pas tout. Nous avons aussi l’habitude de dire : Un tel a rencontré, un tel a trouvé, quand il s’agit d’un gain considérable. En effet, ce n’est pas aux efforts de l’homme, mais à la grâce de Dieu que le principal appartient. « Les autres ont été aveuglés ». Voyez comme il ne craint pas de dire en son propre nom que les autres ont été rejetés. Il l’avait déjà dit, mais en produisant l’accusation des prophètes ; ici il le déclare lui-même. Cependant il ne se contente pas de son jugement personnel, et il invoque encore une fois le prophète Isaïe. En effet, après avoir dit : « Ont été aveuglés », il ajoute : « Selon qu’il est écrit : Dieu leur a donné un esprit de torpeur ». Et d’où est venu cet aveuglement ? Il en a dit les causes plus haut et a tout fait retomber sur leur tête, en montrant que leur obstination déplacée leur a attiré ce malheur. Il le répète encore ici. Car après avoir dit : « Des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour, ne pas entendre », il n’accuse plus que leur esprit de contention. En effet, ayant des yeux pour voir les miracles, et des oreilles pour entendre la merveilleuse doctrine, ils n’ont pu en faire l’usage convenable. Par ce mot : « A donné », n’entendez pas une action directe, mais la permission. Par l’expression : « Torpeur », Paul veut dire une disposition de l’âme pour le mal, laquelle n’est pas susceptible de guérison ni de, changement. David a dit ailleurs : « Afin que ma gloire soit un hymne a votre honneur et que je ne tombe pas dans la torpeur » (Psa 29), c’est-à-dire : pour que je ne change pas. Car de même que celui qui est fixé dans la piété, ne change pas aisément ; ainsi celui qui est fixé dans le mal, ne change pas non plus avec facilité : car être fixé n’est pas autre chose que d’être attaché et comme cloué. C’est donc pour indiquer leur volonté incorrigible, difficile à changer, qu’il emploie cette expression : « Esprit de torpeur ». Ensuite pour prouver que leur incrédulité sera punie du dernier supplice, il ramène encore le prophète qui fait les mêmes menaces, mais menaces qui ont eu leur exécution. « Que leur table », dit David, « devienne pour eux lacet, piège et scandale (9) ». C’est-à-dire que la volupté, que tous les biens changent et disparaissent, et qu’ils deviennent – eux-mêmes faciles à vaincre pour tous. Et pour montrer que ces maux sont la punition de leurs péchés, il ajoute : « Et rétribution. Que leurs yeux s’obscurcissent pour qu’ils ne voient point, et faites que leur dos soit toujours courbé (10) ». Tout cela a-t-il encore besoin d’interprétation ? N’est-ce pas clair pour les moins intelligents ? Mais avant toutes nos paroles, l’événement même a prouvé la vérité de ce que nous venons de dire. Quand en effet sont-ils devenus si faciles à vaincre ? Quand donc ont-ils été si aisément pris ? Quand Dieu leur a-t-il fait courber le dos ? Quand ont-ils subi un tel esclavage ? Et le pire c’est que ces malheurs sont irréparables ; ce à quoi le prophète fait aussi allusion. Car il ne dit pas simplement : « Faites que leur dos soit courbé », mais : « Toujours courbé ». Et si vous disputez sur le résultat final, ô Juif, que le passé vous éclaire sur le présent. Vous êtes descendu en Égypte ; mais après deux cents ans, Dieu s’est empressé de vous délivrer de cet esclavage, malgré votre impiété et votre horrible fornication ; vous avez été tiré de l’Égypte, et vous avez adoré le veau d’or, vous avez immolé vos fils à Béelphégor ; vous avez profané le temple ; vous avez commis toute espèce de crimes ; vous avez méconnu la nature elle-même ; vous avez rempli de vos sacrifices impies les montagnes, les vallées, les collines, les fontaines, les fleuves, les jardins ; vous avez tué les prophètes, vous avez démoli les autels, vous avez porté au plus haut degré le vice et l’impiété ; et cependant après vous avoir livré aux Babyloniens pendant soixante-dix ans, il vous a rendu votre première liberté, le temple, la patrie, et même l’antique forme de la prophétie ; et les prophètes sont revenus et aussi la grâce de l’Esprit. Bien plus vous n’avez pas même été délaissé pendant le temps de la captivité, mais vous avez vu, là, Daniel et Ezéchiel, Jérémie en Égypte, et Moïse dans le désert. 2. Et, après tout cela, vous êtes retourné à votre première malice, vous avez été saisi de vertige, vous avez adopté les lois des gentils sous l’impie Antiochus ; puis, livrés pendant un peu plus de trois ans à ce même Antiochus, vous avez remporté sous les Macchabées de glorieuses victoires. Maintenant plus rien de semblable, mais tout le contraire : et ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que la malice a cessé et que la punition s’est aggravée et qu’il n’y a plus d’espérance de changement. Voilà, non pas soixante-dix, ni cent, ni deux cents, mais bien plus de trois cents ans passés, et il n’y a pas une lueur d’espoir, et cela quand vous ne commettez plus l’idolâtrie ni les autres crimes dont vous vous souilliez autrefois. Quelle en est donc la cause ? La vérité a succédé à la figure, la grâce a exclu la loi ; ce que le prophète avait prédit autrefois en disant : « Et faites que leur dos soit toujours courbé ». Voyez-vous l’exactitude de la prophétie, comme elle a annoncé d’avance l’incrédulité, signalé l’esprit de contention, désigné le jugement qui devait suivre, et prédit une punition sans terme ? Comme beaucoup de Juifs des plus grossiers ne croyaient point à l’avenir et voulaient en juger d’après le présent, le Christ leur a donné, à ces deux points de vue, une preuve de sa puissance, en exaltant, d’une part, au-dessus des cieux ceux des gentils qui avaient cru, et de l’autre, en réduisant à la dernière désolation et en livrant à des malheurs irréparables ceux des Juifs qui n’avaient pas voulu croire. Après cette vive attaque, à l’occasion de leur incrédulité et des maux qu’ils souffraient et devaient encore souffrir, Paul mêle quelque consolation à ses paroles, et leur écrit : « Je « dis donc : Ont-ils trébuché de telle sorte « qu’ils soient tombés ? Point du tout (11) ». Après leur avoir montré qu’ils sont accablés de maux sans nombre, il songe enfin à les consoler. Et voyez sa prudence ! Il accuse au nom des prophètes, mais il console en son propre nom. Personne, dit-il, ne peut nier qu’ils aient grandement péché ; mais voyons si leur chute est telle qu’elle soit irréparable et qu’il n’y ait pas moyen d’y remédier. Or il n’en est pas ainsi. Voyez-vous comme il frappe encore sur eux, et comment, tout en leur faisant espérer une consolation, il les tient sous le poids des péchés qu’ils ont commis et dont tout le monde convient ? Mais voyons, nous aussi, quelle est la consolation qu’il leur réserve. Quelle est-elle donc ? Quand la plénitude des nations sera entrée, dit-il, alors tout Israël sera sauvé, au temps du second avènement et de la consommation. Il ne dit cependant pas cela immédiatement : après les avoir attaqués vigoureusement, avoir entassé accusations sur accusations, invoqué prophètes sur prophètes, fait retentir les cris d’Isaïe, d’Élie, de David, de Moïse, d’Os. une fois, deux fois, bien des fois : pour ne pas les jeter dans le désespoir, pour ne pas leur fermer la voie du retour, de peur aussi que les gentils qui avaient cru n’en conçussent de l’orgueil, et ne souffrissent par là même préjudice en leur foi, il en vient enfin à les consoler et leur dit : « Mais par leur péché le salut est venu aux gentils ». Il ne nous suffit pas d’entendre ces paroles ; nous devons connaître l’intention et le but dé celui qui les prononce, 'savoir à quelle fin il tend : ce que je demande toujours de votre charité. Si, en effet, nous étudions ce texte dans cet' esprit, nous verrons qu’il ne renferme aucune difficulté. Or, le but que Paul se propose maintenant, c’est de détruire l’orgueil que ses paroles auraient pu inspirer aux gentils ; en apprenant à être modestes, ils devaient être plus solides dans leur foi, et les Juifs, sauvés du désespoir, venir à là grâce avec plus de confiance. Ayant donc – cette intention présente à la pensée, écoulons maintenant ce que renferme ce passage. Que dit donc l’apôtre ? Comment prouve-t-il que la chute n’est pas irréparable, qu’ils ne sont point rejetés à jamais ? Il le prouve par les gentils eux-mêmes, en disant : « Par leur péché, le salut est venu aux gentils, qui devaient ainsi leur donner de l’émulation ». Et ce n’est pas seulement Paul qui parle ainsi, mais c’est aussi le sens des paraboles de l’Évangile. En effet le roi qui avait préparé la noce de son fils, voyant que ceux qui étaient invités ne voulaient pas venir, envoya chercher ceux qui étaient dans les carrefours. Et celui qui avait planté une vigne, voyant son fils tué par l’es vignerons, la confia à d’autres. En dehors des paraboles, le Christ disait encore : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ». (Mat 15,24) Il a même dit quelque chose de plus à la syro-phénicienne qui lui faisait instance : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens ». (Id 26) Et Paul disait aux Juifs qui se soulevaient : « C’était à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu ; mais puisque vous vous jugez indignes, voilà que nous nous tournons vers les gentils ». 3. Tout démontre que l’ordre des choses exigeait que les Juifs vinssent les premiers et les gentils après eux ; mais comme les Juifs ne voulurent pas croire, l’ordre fut renversé, et leur incrédulité et leur chute ont fait passer les gentils les premiers. Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Par leur péché, le salut est venu aux gentils, qui devaient ainsi leur donner à de l’émulation ». Que s’il placé en premier lieu ce qui ne doit venir qu’au second rang, ne vous en étonnez pas ; il veut consoler leurs âmes affligées. Or, voici ce qu’il veut dire Jésus est venu chez les Juifs ; ils ne l’ont point reçu malgré ses nombreux prodiges ; mais ils l’ont crucifié ; alors il a attiré à lui les nations, pour faire ressortir, par l’honneur qu’il leur accordait, l’insensibilité des Juifs et les déterminer à venir, en excitant leur jalousie contre les gentils. Il fallait en effet qu’ils reçussent la foi les premiers, et nous ensuite ; c’est pourquoi Paul disait : « Car il » (l’Évangile) « est la vertu de Dieu pour sauver tout croyant, le Juif d’abord, et puis le Grec » (Rom 1,16) ; mais comme ils ont résisté, nous qui étions les seconds, nous sommes devenus les premiers. Voyez-vous quel honneur il sait tirer de là pour eux ; d’abord en disant que nous n’avons été appelés que parce qu’ils ont refusé : ensuite en affirmant que nous n’avons pas été appelés seulement pour être sauvés, mais afin qu’excités à l’émulation par notre salut, ils en devinssent meilleurs. Quoi donc ? direz-vous : Sans les Juifs, n’eussions-nous été ni appelés, ni sauvés ? Certainement nous ne l’aurions pas été avant eux, mais dans l’ordre convenable. Aussi quand le Christ parlait à ses disciples, il ne leur disait pas : Allez vers les brebis perdues de la maison d’Israël ; mais plutôt : « Allez » ; indiquant par là qu’ils ne devaient aller chez les nations qu’après s’être adressés aux Juifs. Et, à son tour, Paul ne dit pas : il fallait vous annoncer la parole, mais : « C’était d’abord à vous qu’il fallait annoncer », pour montrer que nous ne devions venir qu’en second lieu. Tout cela s’est fait, tout cela s’est dit pour qu’ils n’eussent pas l’impudence de prétexter qu’ils avaient été dédaignés et qu’à cause de cela ils n’avaient pas cru. Aussi le Christ, qui prévoyait tout, est-il d’abord venu chez eux. « Que si leur péché est la richesse du monde, et leur diminution, la richesse des gentils, combien plus encore leur plénitude (12) ? » Ici il parle en leur faveur. Car, fussent-ils tombés dix mille fois, les nations n’eussent pas été sauvées, si elles n’avaient reçu la foi ; comme les Juifs eux-mêmes n’eussent point péri, s’ils n’avaient été incrédules et obstinés. Mais, comme je l’ai dit, il les console dans leur chute, et met tout en œuvre pour leur faire espérer leur salut, s’ils veulent se convertir. En effet, dit-il, si, quand ils sont tombés, tant d’autres ont été sauvés, si, quand ils ont été rejetés, tant d’autres ont été appelés songez à ce que ce sera quand ils se convertiront. Et il ne dit pas : Combien leur conversion, ni Combien plus leur changement, ni : Combien plus leur correction ; mais : « Combien plus leur plénitude ? » C’est-à-dire quand ils entreront tous. Or il dit cela pour indiquer qu’alors la grâce sera plus abondante, ainsi que le don de Dieu, et qu’on aura à peu près tout. « Car je le dis à vous, gentils : Tant que je serai apôtre des gentils, j’honorerai mon ministère : m’efforçant d’exciter l’émulation de ceux de mon sang et d’en sauver quelques-uns ». Encore une fois il cherche à se soustraire à d’injustes soupçons ; d’un côté il semble ; attaquer les gentils et prévenir leur orgueil, et de l’autre, il blesse légèrement les Juifs, et use de détours en cherchant à les soulager et à les consoler d’une si grande ruine, et n’en trouve aucun moyen dans la nature même des choses. En effet, ce qu’il vient de dire les accuse encore plus haut, puisque d’autres, qui leur étaient bien inférieurs, ont profité de tous les biens qui leur étaient préparés. C’est pourquoi il passe des Juifs aux gentils et insère un mot sur ceux-ci, pour leur faire voir qu’en tout ce qu’il dit, son intention est de leur apprendre à être humbles. Je vous loue, leur dit-il, pour deux raisons : la première c’est que j’y suis obligé, vu que votre administration m’a été confiée ; la seconde, c’est afin d’en sauver d’autres par vous. Et il ne dit pas : Mes frères, mes proches, mais : « Ceux de mon sang ». Ensuite : « Et de sauver », non pas tous, mais « Quelques-uns d’eux » : tant ils étaient durs. Mais tout en leur adressant ce reproche, il fait voir que la situation des gentils est brillante ; et s’ils sont les uns pour les autres une occasion de salut, ce n’est pas parle même moyen : car c’est par leur incrédulité que les Juifs procurent des avantages aux gentils, et c’est par leur foi que les gentils deviennent utiles aux Juifs, d’où il ressort que la condition des gentils est égale et même supérieure. 4. En effet, que pouvez-vous dire, ô Juif ? Ceci peut-être : Si nous n’avions pas été rejetés, vous n’auriez pas été appelés immédiatement ? Mais le gentil vous répond : Si je n’avais pas été sauvé, vous ne vous seriez pas piqué d’émulation. Et si voulez savoir en quoi je l’emporte sur vous, c’est que je vous sauve parce que j’ai cru ; tandis que c’est parce que vous êtes tombé que nous sommes passés au premier rang. Puis sentant qu’il les a blessés, Paul revient à son premier sujet et dit : « Car si leur perte est la réconciliation du monde, que sera leur rappel, sinon une résurrection (15) ? » Mais ceci les condamne encore, puisque les autres ont profité de leurs fautes et qu’ils n’ont pas su eux-mêmes tirer parti des bonnes actions des autres. Que s’il leur attribue ce qui est le résultat de la nécessité, ne vous en étonnez pas ; il donne souvent cette forme à son langage pour contenir les uns et exciter les autres, comme je l’ai déjà dit bien des fois. Et, comme je l’ai dit encore, les Juifs eussent-ils été mille fois rejetés, les gentils n’auraient pas été sauvés s’ils n’avaient reçu la foi. Mais l’apôtre soutient le côté faible et vient en aide à ceux qui sont dans la peine. Mais voyez jusqu’à quel point il condescend en faveur des Juifs, comme il les console par ses paroles. « Car », dit-il, « si leur perte est la réconciliation du monde ». Qu’est-ce que cela fait aux Juifs, dira-t-on ? « Que sera leur rappel, sinon la résurrection ? » Mais, s’ils n’avaient pas été rappelés, ceci ne serait rien encore pour eux. Voici ce que l’apôtre veut dire : Si Dieu, irrité contre les Juifs, a fait à d’autres tant et de si grands dons, que ne leur accordera-t-il pas quand il sera réconcilié avec eux ? Mais comme ce n’est pas à cause de leur rappel qu’a lieu la résurrection des morts, de même ce n’est pas à cause d’eux que nous est venu le salut ; ils ont été rejetés à cause de leur folie, et nous avons été sauvés par la foi et la grâce d’en haut. Or, rien de cela ne peut leur être utile, s’ils ne montrent une foi suffisante. Du reste, selon son habitude, l’apôtre passe à un autre éloge, éloge apparent seulement et non réel : imitant en cela les bons médecins qui donnent aux malades toutes les consolations que comporte la nature de la maladie. Que dit-il donc ? « Que si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi, et si la racine est sainte, les rameaux aussi (16) » ; appelant ici prémices et racine Abraham, Isaac, les prophètes, les patriarches, tous les hommes illustres de l’Ancien Testament, et rameaux, ceux de leurs descendants qui ont cru. Puis comme on lui objectait qu’un grand nombre n’avaient pas cru, voyez comme il coupe court à l’objection en disant : « Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus… 17) ». Pourtant vous disiez plus haut que le plus grand nombre avaient péri, que bien peu avaient été sauvés ; comment donc, en parlant ici de ceux qui ont péri, dites-vous : « Quelques-uns », ce qui désigne clairement un petit nombre ? Je ne suis point, répond-il, en contradiction avec moi-même ; mais j’ai hâte de guérir et de relever ceux qui souffrent. Voyez-vous comme dans tout le passage percent ses efforts et son désir de les consoler ? Autrement, on y trouverait bien des contradictions. Mais considérez sa sagesse, comment, tout en paraissant plaider en leur faveur et à chercher à les consoler, il les accuse implicitement et leur démontre, par leur racine, par leurs prémices, qu’ils n’ont aucun moyen de se justifier ? Songez à la malice des rameaux, qui, sortis d’une racine douce, n’ont pas su être doux comme elle : et à la méchanceté de la masse, que les prémices mêmes n’ont pas la vertu de changer. « Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus ». Et c’est le plus grand nombre qui ont été rompus, mais, comme je l’ai dit, son but est de les consoler. C’est pourquoi il ne parle pas de sa seule autorité, mais d’après les patriarches, et, faisant ainsi un reproche implicite, il montre qu’ils sont déchus de la race d’Abraham ; car c’était là ce qu’il tenait à leur dire : qu’ils n’ont plus rien de commun avec lui. En effet, si la racine est sainte et qu’ils ne soient pas saints, ils sont donc loin de la racine : Puis, en paraissant consoler les Juifs, il accuse encore une fois les gentils. Après avoir dit : « Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus », il ajoute : « Et si toi, qui n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été enté ». Plus le gentil était méprisable, plus le Juif souffrait de le voir jouir de son propre bonheur. et le gentil à son tour est moins humilié de sa bassesse qu’honoré du changement qui s’est opéré en lui. Et voyez la sagesse de Paul ! Il ne dit pas : Qui as été planté, mais : « Qui as été enté » ; pour blesser encore ici le Juif, en lui faisant voir que c’est sur son tronc que le gentil est placé, tandis qu’il est lui-même gisant à terre. Aussi ne s’en tient-il pas là, ne se borne-t-il pas à dire : « Tu as été enté », quoique ce mot renferme tout ; mais il insiste sur le bonheur du gentil et proclame sa gloire en disant : « Et participant de la racine et de la graine de l’olivier ». Il semble, il est vrai, présenter le gentil comme une adjonction ; mais il prouve aussi qu’il n’en éprouve aucun dommage et qu’il a eu tout ce qu’a eu le rameau sorti de la racine. Et de peur qu’en entendant ces mots. « Tu as été enté », vous ne vous imaginiez que le gentil, comparé au rameau naturel, lui est inférieur, voyez comme Paul le place au même rang, en disant. « Tu as été fait participant de la racine et de la graisse d’olivier » ; c’est-à-dire, tu partages la même noblesse, la même nature. Ensuite en avertissant sévèrement le gentil et en disant : « Ne te glorifie point aux dépens des rameaux », il semble consoler le Juif, et néanmoins fait voir sa bassesse et l’excès de son ignominie. Aussi ne dit-il pas. Ne te glorifie pas, mais : « Mais ne te glorifie pas aux dépens », ne te glorifie pas de manière à les briser entièrement : car tu occupes leur place, tu jouis de leurs avantages. 5. Voyez-vous comme, tout en gourmandant les gentils, il pique vivement les Juifs ? « Que si tu te glorifies », dit-il, « sache que tu ne portes point la racine, mais que c’est la racine qui te porte (18) ». Et qu’est-ce que cela fait aux rameaux qui ont été retranchés ? Rien. Comme je l’ai déjà dit, tout en paraissant apporter aux Juifs une faible consolation et attaquer les gentils, il porte à ceux-là un coup mortel. Car en disant : « Ne te glorifies pas », et : « Que si tu te glorifies, sache que tu ne portes pas la racine », il fait voir au Juif qu’on pouvait se glorifier du passé, bien qu’on ne le dût pas : il l’excite, il l’anime à embrasser sa foi, il joue le rôle dé défenseur, en lui montrant la perte qu’il a subie et comment d’autres ont recueilli ses avantages. « Tu diras sans doute, les rameaux ont été brisés « pour que je fusse enté (19) ». Sous forme d’objection, il établit le contraire de ce qui précède, et fait voir que ce qu’il vient de dire tout à l’heure n’avait pas d’autre but que d’attirer les Juifs. 'Ce n’est plus par leur péché que le salut est venu aux gentils, leur péché m’est plus la richesse du monde. Nous n’avons plus été sauvés parce qu’ils sont tombés ; c’est tout le contraire qui a lieu. Il indique que les gentils ont eu la part principale dans cette action de la Providence, bien que ses paroles précédentes semblent présenter un autre sens ; il enchaîne tout ce passage sous forme d’objection, pour écarter tout soupçon d’hostilité de sa part et se faire accepter de l’auditeur. « Fort bien ». Il approuve ce qui vient d’être dit : puis il excite l’épouvante en disant « C’est à cause de leur incrédulité qu’ils ont été rompus. Pour toi, tu as été enté par la foi ». Voici encore un éloge des gentils et une accusation contre les Juifs. Mais de nouveau il réprime l’orgueil des gentils, en ajoutant. « Ne cherche pas à t’élever ; mais crains (20) ». Car ceci n’est point chose naturelle, mais affaire de foi et d’incrédulité. Encore une fois, il a l’air de fermer la bouche au gentil et d’apprendre au Juif qu’il ne faut faire aucune attention à la parenté naturelle ; c’est pourquoi il ajoute : « Ne cherche pas à t’élever ». Il ne dit pas : Sois humble, mais « Crains » : Car l’orgueil produit le mépris et la lâcheté. Puis voulant peindre leur infortune avec de vives couleurs, pour ne pas leur être trop odieux, il a l’air de gourmander les gentils et dit : « Car si Dieu n’a pas épargné les rameaux naturels » ; il n’ajoute pas : Il ne t’épargnera pas, mais : « Il pourra bien ne pas t’épargner toi-même (21) ». Il ôte aussi à sa parole ce qu’elle avait de désagréable, en même temps qu’il excite la vigilance du fidèle, attire les Juifs et contient les gentils. « Vois donc la bonté et la sévérité de Dieu ; sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa bonté envers toi, si toutefois tes demeures ferme dans cette bonté ; autrement tu seras aussi retranché (22) ». Il ne dit pas : Vois tes bonnes œuvres, vois tes travaux, mais Vois la bonté de Dieu ; indiquant par la que tout est l’œuvre de la grâce d’en haut et leur inspirant des sentiments de terreur. Car c’est parce que tu as sujet de te glorifier, que tu dois trembler. Crains, précisément parce que Dieu s’est montré bon envers toi : car ces biens-là né sont pas immuables, si tu te relâches, pas plus que les maux pour les Juifs, s’ils se convertissent. Et toi aussi, dit-il, tu seras retranché, si tu ne persévères pas dans la joie. « Mais eux-mêmes, s’ils ne demeurent point dans l’incrédulité, seront entés (23) ». Car Dieu ne les a pas retranchés, mais ils se sont brisés eux-mêmes et sont tombés. Et il a raison de dire : « Se sont brisés » ; car jamais Dieu ne les a ainsi rejetés, bien qu’ils aient grandement et souvent péché. Voyez-vous quelle est la puissance du libre arbitre ? Quel est le pouvoir de la volonté ? Car rien n’est immuable, ni ton bonheur ni leur malheur. Voyez-vous comme il relève celui qui désespère et abat celui qui a trop de confiance ? Toi qui entends parler de sévérité, ne désespère point ; toi qui entends parler de bonté, ne t’enfle point. Il t’a retranché avec – sévérité, afin que tu désires revenir ; il t’a montré de la bonté, afin que tu persévères. Il ne dit pas Dans la foi, mais : « Dans cette bonté », c’est-à-dire, si tu te conduis d’une manière digne de la bonté de Dieu : Car la foi ne suffit pas. Voyez-vous comme il ne permet pas que le Juif reste à terre, ni que le gentil s’enorgueillisse, et comme il pique le premier d’émulation, en indiquant par ce qu’il vient de dire que le Juif pourrait reprendre la place du gentil, comme le gentil a d’abord pris la place du Juif ? II épouvante les gentils par l’exemple des Juifs, afin qu’ils ne se glorifient pas aux dépens de ceux-ci ; et il encourage les Juifs par l’exemple des faveurs faites aux gentils. Et toi aussi, dit-il au gentil, tu seras retranché, si tu te relâches : car le Juif l’a été ; et le Juif sera enté, s’il montre du zèle : car tu as été enté toi-même. Il s’adresse uniquement aux gentils, suivant sa prudente habitude de fortifier les faibles en gourmandant les forts. Il en fait autant à la fin de son épître, quand il s’agit ces observances relatives à la nourriture. Et il se fonde, non seulement sur l’avenir, mais aussi sur le passé : ce qui fait plus d’impression sur l’auditeur. Et comme il doit présenter une série de raisonnements irréfutables, il commence sa démonstration par la puissance de Dieu. En effet, quoique les Juifs aient été retranchés et rejetés, cependant ne désespérez pas : « Car Dieu est puissant pour les enter de nouveau », lui qui peut faire au-delà de toute espérance. 6. Que si vous faites attention à la suite des faits et des raisonnements, vous trouverez chez vous-même une preuve de la plus grande force. « En effet », dit-il, « si tu as été coupé de l’olivier sauvage, ta tige naturelle, et enté contre ta nature sur l’olivier franc, à combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels seront-ils entés sur leur propre olivier (24) ? » Si la foi a pu ce qui est contraire à la nature, à bien plus forte raison pourra-t-elle ce qui est conforme à la nature. Si celui qui a été retranché de la race de ses pères naturels, en devient, contre sa nature, enfant d’Abraham ; à bien plus forte raison pourras-tu rentrer dans ta famille propre. Chez le gentil le mal est naturel, car il est, de sa nature, olivier sauvage ; et le bien est contre nature, puisque c’est contre sa nature qu’il a été enté sur Abraham. Chez toi, au contraire, le bien est naturel ; et si tu veux revenir, tu ne seras pas, comme le gentil, enté sur une racine étrangère, mais sur ta racine propre. Quelle serait donc ton excuse, de ne pouvoir selon la nature ce que le gentil a pu contre la nature, et de renoncer à tes avantages ? Ensuite, après avoir dit : « Contre nature », et : « Tu as été enté », pour qu’on ne croie pas que le Juif a quelque chose de plus, il met lui-même le correctif, en disant que le Juif aussi est enté. « A combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels seront-ils entés sur leur propre olivier ? » Et encore : « Dieu est assez puissant pour les enter de nouveau ». Plus haut il avait dit qu’ils seraient entés, s’ils ne demeuraient pas dans l’incrédulité. Et si vous l’entendez sans cesse dire : « Contre la nature et selon la nature », ne vous imaginez pas qu’il parle de la nature immuable ; ces expressions signifient simplement chez lui ce qui convient, ce qui résulte, et ce qui ne convient pas. Car le bien et le mal ne sont pas le produit de la nature, mais de la volonté et du libre arbitre. Et voyez comme il évite tout ce qui peut blesser ! Après avoir dit : Tu seras aussi retranché, si tu ne demeures pas ferme dans la foi, et les Juifs seront entés de nouveau, s’ils ne demeurent point dans l’incrédulité : quittant ce langage sévère, il en prend un plus doux, et finit par inspirer aux Juifs de grandes espérances, s’ils montrent de la bonne volonté. C’est pourquoi il ajoute : « Car je neveux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux (26) ». Ici « mystère » veut dire chose inconnue, cachée, renfermant tout à la fois quelque chose de prodigieux et d’incroyable : Comme quand il dit ailleurs : « Voici que je vais vous dire un mystère : Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés ». (1Co 15,5) ▼▼Le texte de la Vulgate est tout différent. – Voir tome IX, page 594.
Quel est donc ce mystère ? « Qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement ». Ici encore, il frappe sur les Juifs, en paraissant donner une leçon aux gentils. II veut dire ce qu’il a déjà établi plus haut, que l’incrédulité n’a pas été universelle, mais partielle ; comme quand il dit ailleurs : « Que si l’un de vous m’a contristé, il ne m’a contristé qu’en partie, pour ne pas vous charger tous ». Et encore : « Après que j’aurai un peu joui de vous ». (Rom 15,24) De même il répète ici ce qu’il a dit plus haut : « Dieu n’a point rejeté son peuple, qu’il a connu dans sa prescience » ; et encore : « Quoi donc ! Ont-ils trébuché de telle sorte « qu’ils soient tombés ? Point du tout ». C’est ce qu’il dit encore ici : Toute la race des gentils n’a pas été attirée, mais beaucoup ont déjà cru et croiront encore. Puis comme il annonce une chose importante, il la prouve par le témoignage du prophète. Quand à ce qui regarde l’aveuglement, il ne produit pas de témoignage, puisque c’est un fait évident pour tous : mais pour prouver qu’ils croiront et qu’ils seront sauvés, il cite une seconde fois Isaïe qui s’écrie : « Il viendra de Sion, celui qui doit délivrer et qui doit bannir l’impiété de Jacob (26) ». Ensuite, après avoir indiqué le signe de la délivrance, pour que personne ne revienne au passé et ne s’y rattache, il ajoute : « Et ce sera là mon alliance avec eux quand j’aurai effacé leurs péchés « (27) » ; non pas quand ils seront circoncis, ni quand ils auront sacrifié, ni quand ils auront rempli les autres prescriptions légales, mais quand ils auront reçu la rémission de leurs péchés. Si donc cette promesse a été faite, si elle n’est bras encore accomplie sur eux, s’ils n’ont pas encore obtenu la rémission par le baptême, certainement cela aura lieu. Aussi ajoute-t-il : « Parce que les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir (29) ». Ce n’est pas seulement par ce motif qu’il les console, mais aussi par le souvenir du passé ; et il pose comme principe ce qui n’était que conséquence, en disant : « Il est vrai que, selon l’Évangile, ils sont ennemis à cause de vous ; mais, selon l’élection, ils sont très-aimés à cause de leurs pères (28) ». De peur que le gentil ne s’enfle et ne dise : Je suis debout, ne me parlez pas de ce qui a pu être, mais de ce qui est : Il le comprime encore par ce motif, en disant : « Selon l’Évangile ils sont ennemis à cause de vous ». En effet, par ce que vous avez été appelés, ils sont devenus plus obstinés. 7. Pourtant Dieu n’a pas renoncé à vous appeler, mais il attend que tous les gentils qui doivent croire, soient entrés, et alors les Juifs viendront aussi. Ensuite il leur fait encore une autre concession, en disant : « Mais, « selon l’élection, ils sont très-aimés à cause « de leurs pères ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Ennemis, ils rencontrent le supplice ; bien-aimés à cause de leurs pères, la vertu de leurs ancêtres leur est inutile, à moins qu’ils ne croient. Cependant, comme je l’ai dit, il ne cesse de les consoler en paroles, afin de les attirer. C’est pourquoi, appuyant d’une autre preuve qu’il a affirmé plus haut, il dit : « Comme donc autrefois vous-mêmes n’avez pas cru à Dieu, et que maintenant vous avez obtenu miséricorde, à cause de leur incrédulité ; ainsi eux maintenant n’ont pas cru, pour que miséricorde vous fût faite. Car Dieu a renfermé tous les hommes ▼▼Dans la Vulgate :
tout, omnia.
dans l’incrédulité, pour faire miséricorde à tous (30-32) ». Ici il fait voir que les gentils ont été appelés les premiers. Mais que, sur leur refus, les Juifs ont été élus ; et que, dans le sens inverse, les Juifs n’ayant pas voulu croire, les nations ont été de nouveau introduites. Mais il ne s’en tient pas là et ne se borne pas uniquement à proclamer leur expulsion ; il leur laisse aussi espérer un retour de miséricorde. Voyez combien il accorde aux gentils ! Autant qu’il accordait en premier lieu aux Juifs. Quand vous, gentils, leur dit-il, vous avez été indociles, les Juifs sont venus ; puis, quand ils ont été indociles à leur tour, vous êtes revenus à leur place. Cependant ils ne sont pas perdus à jamais. « Car Dieu a renfermé tous les hommes dans l’incrédulité », c’est-à-dire, a convaincu, les a fait paraître incrédules, non pour qu’ils demeurent tels, mais pour sauver les uns par émulation à l’égard des autres, ceux-ci par ceux-là et ceux-là par ceux-ci. Examinez un peu : Vous, gentils, vous avez cessé de croire et les Juifs ont été sauvés ; puis les Juifs ont cessé de croire, et vous avez été sauvés à votre tour ; vous n’avez cependant pas été sauvés de manière à sortir encore une fois, comme les Juifs, mais pour persévérer et les attirer par l’émulation. « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles (33) ! » Ici, après avoir fait un retour sur les premiers temps, contemplant l’action de la Providence divine depuis la création du monde jusqu’au moment présent, et considérant la variété de ses voies, il est frappé de stupeur et pousse une exclamation, pour attester à l’auditeur que tout ce qu’il a dit s’accomplira certainement. S’il en eût dû être autrement, il n’aurait pas été saisi d’étonnement, il n’eût pas poussé cette exclamation. Que la profondeur existe, il le sait ; quelle elle est, il ne le sait pas ; car c’est le cri de l’étonnement et non d’une parfaite connaissance. Ravi d’admiration et frappé de stupeur à la vue de la bonté de Dieu, il la proclame, autant qu’il le peut, par deux expressions énergiques : la richesse et la profondeur ; et il reste saisi d’étonnement que Dieu ait voulu et pu ces choses, et qu’il ait tramé les contraires par les contraires. « Que ses jugements sont incompréhensibles ! » non seulement on ne peut les comprendre, mais pas même les scruter. « Et ses voies impénétrables ! » c’est-à-dire les desseins de sa Providence, car non seulement on ne peut pas les connaître, mais pas même s’en enquérir. Je n’ai pas pu, dit-il, découvrir tout ; mais seulement une faible partie : car Dieu seul connaît parfaitement ses œuvres. Aussi ajoute-t-il : « Car qui a connu la pensée du Seigneur ? Ou qui a été son conseiller ? Ou qui, le premier, lui a donné, et sera rétribué ? (34-35) » Voici ce qu’il veut dire : Dieu si sage n’emprunte point sa sagesse à un autre, mais est lui-même la source des biens ; tout ce qu’il a fait pour nous, tout ce qu’il nous a accordé, il nous l’a donné de sa propre abondance sans l’emprunter à personne ; il ne doit point de retour comme ayant reçu de quelqu’un, mais il est lui-même toujours le premier auteur de ses bienfaits. Or c’est là surtout le propre de la richesse ; de surabonder et de n’avoir besoin de personne. Voilà pourquoi Paul ajoute : « Puisque c’est de lui, et par lui, et en lui que sont toutes choses ». C’est lui qui a inventé, c’est lui qui a fait, c’est lui qui conserve : car il est riche et n’a pas besoin de recevoir ; car il est sage et n’a pas besoin de conseiller. Que dis-je, de conseiller ? Personne ne peut rien savoir de lui, si ce n’est lui, le seul riche, et le seul sage. Il faut être en effet bien riche, pour procurer aux gentils une telle abondance de biens ; et il faut être bien sage pour donner aux Juifs, comme maîtres, les gentils qui leur sont si inférieurs Ensuite, après le mouvement de son admiration, l’apôtre exprime un sentiment de reconnaissance, en disant : « A lui la gloire dans les siècles ! Amen ». Quand il a énoncé quelque chose de grand et de mystérieux. Son admiration se termine par la louange. Il en fait autant quand il parle du Fils ; ainsi, plus haut, après avoir exprimé son admiration, il ajoute comme ici. « De qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles. Amen. » Imitons-le, nous aussi, et glorifions Dieu partout par la régularité de notre vie ; instruits par l’exemple des Juifs, ne nous reposons point sur les vertus de nos ancêtres. Car il n’y a point, non, il n’y a point d’autre parenté chez les chrétiens que l’union par l’Esprit. C’est ainsi que le scythe devient fils d’Abraham, et que le fils d’Abraham lui est plus étranger que le scythe. Ne nous confions donc point sur les mérites de nos pères ; fussiez-vous né d’un homme admirable, ne pensez pas que ce soit assez pour être sauvé, honoré, glorifié, si vous n’êtes pas son fils par vos mœurs ; comme, si vous avez pour père un homme vicieux, ne croyez pas que ce soit pour vous un motif de condamnation et de honte, pourvu que vous teniez une bonne conduite. En effet qu’y avait-il de moins honorable que les gentils ? Et cependant ils sont devenus subitement par la foi les enfants des saints qui étaient membres de la famille plus que les Juifs ? Et cependant, par leur incrédulité, ils lui sont devenus étrangers. En effet la parenté qui nous lie tous est fondée sur la nature et sur la nécessité ; car nous sommes tous nés d’Adam, et tous au même degré, par rapport à Adam, à Noé, ou à la terre, notre mère commune ; mais la parenté qui mérite les couronnes est celle qui nous distingue des méchants ici tous ne sont pas parents, mais seulement ceux qui tiennent la même conduite ; nous ne donnons pas le nom de frères à ceux qui sont sortis du même sein que nous, mais à ceux qui montrent le même zèle. C’est en ce sens que le Christ dit enfants de Dieu, enfants du diable, enfants de l’incrédulité, de l’enfer, de la perdition. C’est ainsi que Timothée était fils de Paul par ses vertus et s’appelait son enfant légitime, tandis que nous ne savons pas même le nom du fils de la sueur de l’apôtre ; cependant celui-ci lui appartenait selon la nature ; mais cela n’y faisait rien : le plus rapproché de lui était celui-là même que la nature et la patrie (il était citoyen de Lystres) avaient jeté à une plus grande distance de lui. Soyons donc, nous aussi, enfants des saints ; bien plus encore, soyons enfants de Dieu. Que nous puissions le devenir, la preuve en est dans ce que dit le Christ : « Soyez donc parfaits, comme votre Père, qui est dans les cieux ». (Mat 5,48) Voilà pourquoi nous lui donnons le nom de Père quand nous prions ; nous remettant ainsi en mémoire, non seulement la grâce, mais encore la vertu, afin de ne faire rien d’indigne d’une si noble origine. Et comment, direz-vous, peut-on être fils de Dieu ? En vous débarrassant de vos passions, en vous montrant bon à l’égard de ceux qui vous injurient et vous font tort ; car c’est ainsi que fait votre Père à l’égard de ceux qui le blasphèment. C’est pourquoi, bien qu’il ait dit ailleurs beaucoup d’autres choses, le Christ n’a dit nulle part : Afin que vous soyez semblables à votre Père ; et c’est seulement quand il dit : « Priez pour ceux qui vous persécutent, faites du bien à ceux qui vous haïssent », qu’il ajoute cette récompense. Car rien ne nous rapproche de Dieu, rien ne nous rend semblables, à lui, comme cette bonne œuvre. Aussi quand Paul dit. « Soyez les imitateurs de Dieu » (Eph 5,1), c’est dans ce sens qu’il parle. Sans doute nous avons besoin de toutes les vertus, mais surtout de bonté et de douceur, car il en faut beaucoup à notre égard. En effet, nous commettons bien des fautes tous les jours ; aussi avons-nous grand besoin de miséricorde. Or le plus et le moins ne se mesurent pas sur la quantité du don, mais sur les ressources de ceux qui donnent. Que le riche ne s’enorgueillisse donc pas, et que le pauvre ne se décourage pas, parce qu’il donne peu car souvent il donne plus que le riche. Il ne faut donc pas se tourmenter à raison de sa pauvreté, car elle rend l’aumône plus facile. En effet celui qui possède beaucoup est dominé par l’orgueil et l’ambition ; tandis que celui qui n’a que peu, est exempt de cette double tyrannie, et trouve par là même plus d’occasions de faire le bien. Ainsi il ira sans peine en prison, et visitera les malades, il donnera un verre d’eau froide ; tandis que le riche, fier de sa fortune, ne se prêtera à aucune de ces démarches. Ne vous découragez donc pas à cause de votre pauvreté ; elle nous rend plus facile le commerce avec le ciel, ne possédassiez-vous rien, si vous avez une âme compatissante, vous en recevrez encore la récompense. Voilà pourquoi Paul veut qu’on pleure avec ceux qui pleurent, et qu’on soit comme prisonnier avec les prisonniers. non seulement ceux qui pleurent, mais encore ceux qui éprouvent d’autres infortunes, sont consolés quand beaucoup de personnes leur compatissent ; il est même des cas où la parole n’a pas moins de puissance que l’argent pour rendre le courage à celui qui souffre. C’est même pour cela que Dieu ordonne qu’on fasse l’aumône aux indigents, non pas seulement pour soulager leur pauvreté, mais pour nous apprendre à compatir aux maux du prochain. C’est aussi pourquoi l’avare est odieux, non seulement par ce qu’il méprise le pauvre, mais parce qu’il se rend lui-même dur et inhumain ; comme celui qui méprise l’argent en faveur des pauvres est aimable, parce qu’il est miséricordieux et humain. Quand le Christ appelle heureux ceux qui sont miséricordieux, il n’entend pas seulement parler de ceux qui donnent de l’argent, mais aussi de ceux qui en ont la bonne volonté. Ayons donc cette disposition à la pitié, et tous les biens nous viendront à la suite. En effet celui qui est doué d’un cœur humain et compatissant donne de l’argent s’il en a ; il pleure et gémit avec celui qu’il voit dans l’affliction ; il prête appui à celui qui est victime de l’injustice ; et s’il voit quelqu’un exposé aux outrages, il lui tend la main. Possédant au dedans de lui-même le trésor des biens, une âme bonne et compatissante, il en verse l’abondance sur ses frères et il recevra toutes les récompenses que Dieu tient en réserve. Et nous aussi, pour les obtenir, faisons-nous avant tout une âme pleine de mansuétude. C’est ainsi que nous ferons beaucoup de bonnes œuvres ici-bas et que nous jouirons des récompenses à venir. Puissions-nous tous avoir ce bonheur par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit la gloire, l’honneur, la force, maintenant et toujours, dans les siècles – des siècles. Ainsi soit-il.